Notre commission d'enquête sur l'efficacité de la lutte contre le dopage a été constituée à l'initiative du groupe socialiste, en particulier de M. Jean-Jacques Lozach, notre rapporteur.
Une commission d'enquête fait l'objet d'un encadrement juridique strict. Je signale au public présent que toute personne qui troublerait les débats serait exclue sur le champ. Je vous informe en outre qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Bernard Lapasset prête serment.
Cette audition est pour moi l'occasion de m'exprimer non plus en tant que président de la fédération française de rugby, mais au titre de mes fonctions à la fédération internationale de rugby, que je représente ici.
Le rôle de la France dans la mise en place du contrôle antidopage, notamment grâce à l'action menée par Mme Marie-George Buffet, puis par M. Jean-François Lamour, a été important. Ces actions sont toujours reconnues dans le domaine sportif international, notamment la fédération internationale de rugby.
Le rôle de la France a été moteur et déterminant dans le domaine de la lutte antidopage. C'est un élément important, dont il faut encore tenir compte aujourd'hui, car il a toujours un rôle à jouer sur le plan international. La France est encore quelque peu isolée sur le plan international. Le soutien que nous recevons n'est pas aussi fort qu'on pourrait le croire. Le rôle que joue la France doit être poursuivi, afin de continuer à peser sur les orientations de la lutte contre le dopage. C'est un élément qu'attendent beaucoup de fédérations, qui n'ont pas les moyens de la France en matière internationale et qui attendent que la France fasse entendre sa voix, et continue à exprimer ses positions.
On est par ailleurs dans une situation où les acteurs sont plutôt, vis-à-vis du dopage, dans une situation d'opposition que de partenariat. Pour une fédération, un cas de dopage constitue une menace de sanction lourde et grave. Il s'agit d'un acte qui met la fédération en difficulté. Elle doit se justifier, trouver des arguments. Même si l'athlète est le seul concerné, la fédération doit exprimer des regrets, des remords, éventuellement reconnaître l'absence de contrôle, etc. Le dopage constitue donc une crainte et le contrôle est toujours vécu comme extrêmement négatif. Un climat de tension se crée et beaucoup de fédérations ressentent un certain inconfort, sans même connaître le résultat des contrôles.
Dans le même temps, la découverte de cas positifs permet aux différentes instances, qu'il s'agisse de l'Agence mondiale antidopage (Ama) ou des agences nationales, d'affirmer leur rôle. Une certaine rivalité oppose donc les agences, qui défendent leurs missions, et les fédérations, qui considèrent cette situation comme contraignante, et difficilement acceptable.
Ce climat n'est peut-être pas général, mais existe dans toutes les fédérations. Dans le cyclisme, les rapports ont été extrêmement difficiles durant des années entre les institutions de contrôle et la fédération internationale, et cette situation perdure encore.
En rugby, ce n'est pas le cas de tous les pays, mais le sentiment qu'on ne travaille pas sur les mêmes références existe. La façon d'aborder la lutte antidopage n'est pas partout perçue de la même manière, et certains organismes n'ont pas le sentiment de mener le même combat. Il existe en quelque sorte une distorsion quasiment permanente entre intervenants.
C'est une situation qu'il faut analyser afin d'essayer de travailler ensemble et faire en sorte que le lien entre les fédérations, les clubs et les athlètes soit assuré de manière pérenne, en particulier en matière de communication et de formation. Les agences doivent oeuvrer avec les fédérations pour pouvoir offrir une formation et une communication adaptées à la lutte antidopage.
La fédération internationale de rugby a signé le code mondial antidopage en 2003 ; nous nous sommes, dès le départ, inscrits dans le contrôle antidopage et y avons travaillé de nombreuses années. Notre commission antidopage est aujourd'hui présidée par M. Giancarlo Dondi, ancien président de la fédération italienne de rugby, membre de la commission antidopage au Comité olympique national italien (CONI), qui connaît bien ces dossiers. Nous disposons d'un certain nombre d'outils, dont un site Internet dédié, en trois langues -français, anglais, espagnol- « www.keeprugbyclean.com », que je vous invite à visiter.
Nous réalisons depuis 2003 un certain nombre de contrôles. En 2012, nous en avons effectué 1 542 hors compétition, dont 369 contrôles sanguins, que la fédération internationale pratique depuis de nombreuses années. Nous intervenons sur toutes les grandes compétitions internationales, depuis les seniors, avec la Coupe du Monde de rugby, jusqu'aux plus jeunes, dans le cadre des compétitions des moins de 18, 19 et 20 ans. Nous menons des contrôles permanents dans le cadre du XV et du VII, nos deux disciplines majeures. Notre programme est destiné aux 117 fédérations nationales membres de l'International Rugby Board (IRB). Malheureusement, peu d'entre elles ont eu la possibilité de créer leur système de contrôle national. Seules dix y sont parvenues, tous les gouvernements n'ayant pas la même volonté de soutenir leur fédération !
Vous avez évoqué dans vos propos liminaires une question que j'aurais pu vous poser, mais vous avez commencé à y répondre. Elle concernait la répartition des pouvoirs entre les fédérations internationales et les agences nationales de contrôle antidopage...
Est-il facile, pour une fédération internationale, de lancer des contrôles sur des joueurs très emblématiques ?
Au rugby, cela ne pose aucun problème. La fédération internationale peut intervenir, quel que soit le joueur, la compétition, ou le moment de l'année.
Je suis président depuis 2008 : même dans un passé récent, ayant été membre du conseil de l'IRB depuis une quinzaine d'années, je n'ai jamais eu connaissance d'éléments qui auraient pu intervenir en la matière.
Avez-vous déjà eu connaissance de demandes émanant de certaines nations pour limiter les contrôles antidopage ou pour ne pas sanctionner un sportif ? Estimez-vous difficile d'évoquer la question du dopage dans le rugby ?
Je n'ai pas eu connaissance de telles demandes. Je sais que le débat a eu lieu avant que je n'arrive à la présidence. Lorsque les premiers systèmes se sont mis en place, à l'initiative de la France, certaines fédérations se sont montrées dubitatives, remettant en cause la nécessité et l'efficacité de cette action. Il a fallu donner beaucoup d'explications...
Beaucoup ont vu dans l'Ama une organisation internationale démesurée, en particulier par rapport aux résultats qu'on pouvait en attendre et aux moyens que l'on pouvait y mettre. Certaines fédérations ont émis quelques doutes à ce sujet. Peut-être cela venait-il du fait que la proposition émanait de la France, la fédération internationale étant à 80 % britannique et la France ayant été précurseur dans ce domaine. Certains ont pu ressentir une forme de dépit, mais, dans quelques pays, se posait également un problème de moyens financiers. D'aucuns ont considéré que cela allait coûter beaucoup d'argent, de temps, et de moyens humains.
Nous ne sommes plus dans cette optique. Tous les contrôles sont admis. Nous faisons des compétitions partout dans le monde, aux îles Fidji, Tonga, Samoa, en Afrique du Sud, en Angleterre, en Nouvelle-Zélande, sur tous les continents. Nous sommes également en Asie. La Coupe du Monde 2019 doit avoir lieu au Japon, la Coupe du Monde de rugby à VII à Moscou, en juin. Partout, nous imposons les contrôles antidopage. Il n'existe ni fédérations, ni territoires, ni joueurs interdits.
L'hémisphère sud -Nouvelle-Zélande, Australie, et Afrique du Sud- d'une manière générale, était dubitatif, la proposition émanant de la France. Cependant, nous avons très vite reçu le soutien de l'Angleterre. Comme vous le savez, il existe, en matière de rugby, des rivalités entre le Nord et le Sud, aujourd'hui encore. Le contexte était en outre très européanisé, l'Europe avait l'appui du Comité international olympique (CIO). La mauvaise humeur a été significative durant un certain temps, d'autant qu'en 1995, le rugby est devenu un sport professionnel.
Cette période a été difficile pour certaines fédérations, les joueurs de l'hémisphère sud étant sous contrat avec les fédérations, alors que ceux de l'hémisphère nord étaient sous contrat avec les clubs. Les deux systèmes étaient donc conduits de façon très différente, avec des responsabilités partagées. Dans le Nord, nous avions essayé d'établir des règles en liaison directe avec les clubs, les représentants des ligues et les fédérations nationales, ces différents acteurs nous permettant d'aborder le sujet de façon beaucoup plus organisée et structurée. Cela n'a pas été le cas de l'hémisphère sud. Il a fallu que ces fédérations imposent à leurs joueurs un certain nombre de règles et de pratiques, afin qu'ils puissent effectuer ces contrôles avec efficacité et en toute certitude.
Oui, car nous sommes entrés tout de suite dans les grandes compétitions internationales.
Deux phénomènes ont marqué l'évolution du contrôle antidopage. Le premier concerne l'accélération des compétitions internationales professionnelles, qu'il s'agisse des Coupes du Monde, des Coupes d'Europe, ou des Coupes du Monde des moins de vingt ans ou de dix-huit ans. Toutes les nations s'y rencontrent, sous l'égide de l'IRB. C'est un élément déterminant dans la façon d'aborder les contrôles.
Grâce aux mécanismes que l'IRB a mis en place, l'Ama intervenant dans certaines compétitions, ces contrôles ont revêtu une certaine cohérence. Ceci a permis aux pays du Sud de prendre conscience de leur nécessité.
Le second facteur déterminant a été la circulation des joueurs, qui n'est pas encore totalement stabilisée. En effet, 35 % des joueurs du Championnat de France professionnel sont étrangers. Ils arrivent avec leurs différences et leur culture, et on a craint un moment les dérapages. Cette crainte existe encore aujourd'hui, mais peut-être un peu moins qu'auparavant. Aujourd'hui, les joueurs sont des professionnels formés depuis longtemps. La première génération a pu poser quelques problèmes. On n'a jamais eu d'éléments pour le prouver, mais des rumeurs ont un temps circulé...
C'est aussi le moment où l'on a vu apparaître des produits nouveaux destinés à améliorer les performances et à développer les muscles. Les choses ont été difficiles durant les quatre à cinq premières années.
Vous avez vécu de l'intérieur la mutation qu'a connue le rugby depuis une vingtaine d'années, puisque vous êtes devenu président de la fédération française de rugby en 1991, et avez connu le passage au professionnalisme. Vous a évoqué des calendriers de plus en plus chargés, mais on constate également une arrivée massive de l'argent dans le rugby professionnel. Une véritable évolution morphologique des rugbymen eux-mêmes a eu lieu, ce sport étant quasiment devenu un sport de combat collectif.
Pensez-vous que cet environnement facilite les conduites illicites, comme la prise de produits dopants ? La pression n'est-elle pas aujourd'hui nettement supérieure à ce qu'elle était il y a vingt ans ?
Je ne puis répondre, n'en ayant pas les moyens. Selon moi, on ne peut raisonner globalement et aborder une vision professionnelle à partir de quelques références générales. Chaque pays vit avec son régime professionnel, à son échelle. On compte 120 joueurs professionnels en Nouvelle-Zélande, une petite centaine en Australie, et 140 ou 150 en Afrique du Sud. Le système de ces pays permet un suivi régulier des athlètes, de mesurer la façon dont les joueurs se préparent, travaillent, s'engagent. Il permet aussi de gérer les blessures, les temps des récupérations et les calendriers. En effet, il n'existe pas de compétitions de clubs dans ces pays, ce qui diminue le nombre de matchs. Avant l'arrivée du Super 15, on comptait environ 35 matchs par an. Il y en a davantage aujourd'hui...
Le cas est différent quand on examine des pays comme les îles Fidji, Tonga ou Samoa. L'IRB a investi beaucoup d'argent pour créer des systèmes nationaux de formation et de contrôle. Ce sont des pays extrêmement difficiles et peu stables. Aujourd'hui, les îles Fidji sont sous la domination d'un régime militaire, qui régit jusqu'au sport. Le président de la fédération est un militaire. Ce n'est pas pour autant que les Fidjiens recourent au dopage, mais cela traduit le fait que la société reste refermée sur elle-même. Les traditions jouent leur rôle, les systèmes interagissent les uns avec les autres, et il est très difficile d'agir. Les rencontres étant fort peu nombreuses, le risque de dopage n'est toutefois pas très marqué.
Le danger existe davantage dans l'hémisphère nord, où les compétitions sont extrêmement nombreuses, entre vie des clubs, championnats, Coupes d'Europe, tournois des Six Nations et tournées de juin et de novembre, durant lesquels les calendriers sont très chargés.
Il peut alors être tentant d'utiliser un certain nombre de produits. C'est pourquoi nous avons mis en place des contrôles répétitifs. Nous faisons aujourd'hui plus de contrôles dans l'hémisphère nord que dans l'hémisphère sud, du fait de la multiplicité des compétitions.
Dans le cadre d'un accord que j'avais passé avec Serge Blanco, nous avions pris la liberté d'augmenter le nombre de joueurs sous contrat dans les clubs, afin de leur octroyer des temps de récupération. Nous n'avons pas pu aller jusqu'à limiter le nombre de matchs, impossible à obtenir sans l'accord des clubs. Étant hors code du travail, je n'ai pas pu y parvenir...
N'y a-t-il vraiment aucun moyen de limiter le nombre de matchs. Doit-on en permanence tenir compte de ce que pensent les clubs ? Ce sont eux qui décident ?
La liberté de circulation des travailleurs dans la communauté européenne est lourde et le droit du travail s'applique de manière constante en Europe. On pourrait toutefois agir sur une clause, sur laquelle il faudrait travailler de manière plus précise. Depuis la présidence française de l'Union européenne, en 2009, Bernard Laporte étant à l'époque ministre des sports, on a fait inscrire la spécificité du sport dans le traité européen. Ce terme peut ouvrir des perspectives, à condition de trouver des raisons fondées -santé, sécurité, etc. Peut-être aurait-on la possibilité de fonder juridiquement un règlement plus contraignant dans la façon d'aborder la gestion d'une saison, élément qui nous pénalise pour l'heure considérablement.
Croyez-vous en l'efficacité des contrôles inopinés ? Avez-vous la certitude que, dans l'hémisphère sud, ils ont lieu dans des conditions satisfaisantes, identiques à celles qui ont cours sur le continent européen ?
Je n'ai pas eu de retour négatif concernant les contrôles. Je ne peux pas dire que cela se soit mal passé. Quelques refus sont intervenus en France et en Europe, quelques-uns également dans l'hémisphère sud, mais très peu en pourcentage. Je n'ai donc pas le sentiment que la procédure n'ait pas été respectée.
Je souhaiterais toutefois une coordination plus étroite entre l'Ama et les fédérations internationales en matière de contrôles. Peut-être conviendrait-il de mettre en place des calendriers plus structurés. Cela permettrait aux gens de mieux se connaître, de croire dans les objectifs poursuivis, et assurerait une meilleure présence sur le terrain. Cette démarche favoriserait un climat plus serein...
Que pensez-vous des contrôles inopinés ? Ne doivent-ils pas être améliorés ? Selon nous, ils sont indispensables pour permettre à la lutte contre le dopage d'avancer...
Je crois que les contrôles inopinés sont nécessaires, car ils permettent un meilleur contrôle des athlètes. Il est important de les maintenir. Pour éviter tout malaise, une certaine pédagogie s'impose toutefois. Or, la communication reste basée sur la répression alors qu'on doit plutôt mettre en avant la prévention. Cependant, les médias laissent toujours planer la suspicion. C'est ce à quoi il faut tenter de remédier...
Vous avez dit que, lors de la Coupe du monde de rugby, l'IRB et l'Ama arrivaient chacun avec ses contrôleurs. N'y a-t-il pas une instance de trop ?
En effet, mais je me garderais bien de dire laquelle. On a besoin de tout le monde. Une dizaine de nations seulement disposent de moyens pour travailler correctement. On a donc besoin d'agences nationales. Plus il y en aura, mieux ce sera.
Un important travail reste à faire pour persuader les gouvernements. La France a un rôle à jouer pour les influencer en la matière.
Ne croyez-vous pas que l'Ama, organisme totalement indépendant du mouvement sportif, est suffisant pour procéder à ces contrôles dans ce genre de compétition internationale ?
Ce n'est pas l'avis de tout le monde ! Ce peut aussi être la fédération internationale... Il faut en discuter. Je ne suis pas opposé à la mise en place d'autres systèmes, au contraire, mais il faut avant tout définir une règle de conduite. Il ne sert à rien d'envoyer des contrôleurs là où intervient déjà une autre instance, mais il arrive que les fédérations internationales ne soient même pas informées. Il ne faut donc pas se disperser.
Il serait aujourd'hui très difficile à un joueur de rugby de se doper à l'occasion de la Coupe du Monde, car nous intervenons avant la compétition dans les vingt pays qualifiés. La culture de dopage collectif n'existe pas, comme dans d'autres sports...
Un préparateur physique français, M. Camborde, a été mis en examen en 2011 pour « importation et détention de marchandises prohibées, exercice illégal de la profession de pharmacien, et mise en danger de la vie d'autrui », les enquêteurs ayant découvert chez lui des cachets de Clenbuterol. Or, cette personne entraînait les Argentins pendant la Coupe du Monde de rugby de 2007. N'avez-vous pas le sentiment que, dans certains pays, l'approche est moins volontariste que dans d'autres ?
L'Argentine n'a pas de système suffisamment efficace pour mener une politique de contrôle antidopage ! C'est pourquoi il est nécessaire de mettre en place un plus grand nombre d'agences nationales. 80 % des joueurs de rugby argentins jouent à l'étranger -Angleterre, France, Irlande- ce pays consacrant peu d'argent au secteur professionnel. Les clubs argentins sont des clubs de tradition anglaise, d'une culture différente de la nôtre. Le Gouvernement doit donc nous aider à convaincre ce pays...
Aujourd'hui, la France a un rôle majeur dans la lutte antidopage, ainsi que vous le souligniez fort à propos...
Je suis heureux de constater que vous êtes favorable au contrôle inopiné. On sait que le dopage a beaucoup évolué et s'est considérablement sophistiqué : aujourd'hui, on recourt au « dopage retard » ! Je crois toutefois qu'il ne faut pas se limiter aux sports de haut niveau mais également pratiquer le contrôle inopiné chez les jeunes, de façon préventive, afin de protéger la santé des sportifs.
Si je ne m'abuse, les fédérations sont bien amenées à donner un certain nombre de joueurs retenus en vue de la préparation à la compétition : il doit donc être aisé de les localiser. Si beaucoup de sportifs de l'hémisphère sud jouent maintenant dans l'hémisphère nord, c'est encore plus facile. Les contrôles inopinés coûteront ainsi encore moins cher... Encore faut-il que les fédérations nous aident dans ce domaine ! Estimez-vous un engagement des fédérations internationales nécessaire pour ce faire ?
Par ailleurs, de combien de demandes d'autorisations d'usage thérapeutiques (AUT) êtes-vous saisi annuellement ? Quel est votre sentiment sur cette pratique ? J'ai toujours pensé que, pour faire du sport, il fallait être en bonne santé. Le jour où je ne le suis pas, je suis au repos. Tout ceci est d'ailleurs régi par le code du travail, ainsi que vous l'avez dit !
La Coupe du Monde est en effet bien encadrée. On peut intervenir bien à l'avance. On établit une préliste en juillet ; la compétition a lieu au mois d'octobre. Les organismes doivent toutefois prévoir des systèmes coordonnés, mais les contrôles inopinés me paraissent nécessaires à la bonne marche du dispositif.
Je m'interroge depuis longtemps concernant les AUT. Il est bien ennuyeux de retrouver de plus en plus d'asthmatiques sur les terrains de sport... J'ai interrogé quelques joueurs lorsque j'étais président de la fédération. J'ai eu des réponses, mais ce fait est quelque peu gênant. C'est au médecin de prendre ses responsabilités...
Le facteur médical est de plus en plus présent dans le dopage. Le rôle du médecin, dans un club, est extrêmement important en matière de santé des athlètes. Les dirigeants doivent bien choisir leur praticien.
La fédération est maîtresse du jeu. Or, les règles du rugby ont considérablement évolué. Aujourd'hui, on privilégie le contact. On demande donc aux joueurs une autre morphologie que celle qui existait il y a quelques années. Cette dérive peut être aussi la raison du dopage. La durée de jeu a également augmenté. Ne peut-on revoir les règles dans un esprit de prévention ?
Au rugby, on peut jouer de façon très différente avec les mêmes règles du jeu. Dans l'hémisphère sud, le jeu est moins axé sur le défi physique, le « ruck », le « maul » -actions extrêmement puissantes où l'on fait jouer la masse musculaire à outrance- que sur la course, la circulation du ballon, la continuité des rythmes de jeu. Chaque culture est différente.
Il est donc difficile de peser sur les règles, dans la mesure où elles peuvent permettre une grande circulation du ballon et un très grand mouvement, des scores à 43-38, mais aussi un jeu basé sur la lutte, le combat, le défi, avec des scores extrêmement serrés...
La règle ne peut donc pas gêner le dispositif de jeu. Les joueurs et leur coach l'intègrent en fonction de l'effectif ou du choix stratégique.
En tant que maire de Massy, je m'intéresse également beaucoup au rugby. Vous avez d'ailleurs inauguré la Maison du rugby dans ma commune...
Vous n'avez pas répondu à la question relative au nombre d'AUT...
Ce n'est pas courant. Il faut poser la question à la fédération française. Lorsque j'étais président, ce nombre n'était pas très important. Je n'ai pas d'autre élément pour répondre...
J'ai cru comprendre que l'on recensait assez peu de contrôles dans le rugby. Est-ce assez selon vous, ou faut-il les augmenter ?
Par ailleurs, quel en est le coût ? Présente-t-il un problème financier ? Qui le supporte ? Comment faire pour en augmenter le nombre de contrôles ?
Sur le plan international, nous sommes maîtres de cinq compétitions, mais pas des Six Nations ou des Coupes d'Europe, pas plus que des Tri-Nations, ni des Super 15. Ce sont des organisations locales qui ont la charge du dispositif complet. L'IRB n'est responsable que de la Coupe du Monde à VII, à XV, des moins de 20 ans, masculins et féminins. J'ai bien du mal à faire évoluer cette tradition britannique très marquée. Il faut pour cela deux-tiers des membres...
Nous avons fait un peu plus de 6 000 contrôles durant 2012, et 1 542 hors compétition, dont 359 contrôles sanguins, sans compter les contrôles faits directement par l'Ama, qui constituent un dispositif particulier, initié selon ses propres critères. La pression est très marquée. Les contrôles se font également de façon inopinée.
Avez-vous l'impression qu'il en va de même dans les compétitions que vous ne maîtrisez pas ?
Dans les Six Nations, seuls deux joueurs sont désignés pour un contrôle à la fin du match, un par équipe. Ce n'est peut-être pas suffisant. Peut-être faudrait-il investir davantage... Malheureusement, nous ne sommes pas habilités pour intervenir.
Vous êtes depuis quelques mois président du Comité français du sport international (CFSI). L'une de vos missions est de développer la participation française à des projets stratégiques internationaux.
Ne pensez-vous pas que la lutte antidopage puisse en faire partie, notamment à l'échelon européen, permettant ainsi d'accroître le rayonnement de la France ? Considérez-vous plutôt cela comme une éventuelle difficulté pour l'organisation de grandes compétitions internationales en France ? Nous avons eu un débat sur les Jeux olympiques de 2012 : cela aurait, paraît-il, handicapé la candidature de Paris !
Ce n'est pas la seule raison, même si cela a pu jouer à la marge !
La ministre est aujourd'hui membre de l'Ama ; elle va donc pouvoir peser sur le dispositif. Il faut la soutenir dans son action. Le CFSI va essayer d'avoir avec elle des relations régulières, afin de définir les terrains sur lesquels on peut avancer, en portant un même discours. L'idée est de faire en sorte que le CIO reconnaisse la France comme un acteur de la promotion du sport...
Il ne vous a pas échappé qu'une de nos auditions a soulevé quelque émoi dans le monde du rugby, s'agissant du dopage...
Vous rapprochez-vous davantage de la position de Serge Simon ou de celle de Laurent Bénézech ?
Laurent Bénézech, lorsqu'il était international, a fait quelques déclarations, à l'époque où j'étais président de la fédération. Je l'avais convoqué en lui demandant ce qui se passait... Je n'ai jamais rien pu obtenir de précis !
Cela m'ennuie qu'il tienne à nouveau ces mêmes propos, car cela ne touche pas que l'athlète. C'est également un débat de société. Face à certains articles, qui laissent entendre que tous les sportifs se dopent, le public estime qu'il n'y a qu'à libéraliser cette pratique : pourquoi continuer à exercer des contrôles, alors que les scientifiques auront toujours un coup d'avance ? Laurent doit aller plus loin s'il a vraiment des choses à dire, ou des solutions à proposer ! Je ne trouve pas cela convenable !
Notre commission d'enquête sur l'efficacité de la lutte contre le dopage a été constituée à l'initiative du groupe socialiste, en particulier de M. Jean-Jacques Lozach, notre rapporteur.
Une commission d'enquête fait l'objet d'un encadrement juridique strict. Je signale au public présent que toute personne qui troublerait les débats serait exclue sur le champ. Je vous informe en outre qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Patrice Clerc prête serment.
Je suis actuellement président d'OC Sport, société spécialisée dans l'organisation d'événements dans le domaine de la voile et de l'activité « outdoor ».
J'ai été, d'octobre 2000 à octobre 2008, président-directeur général d'Amaury sport organisation (ASO) ; j'ai commencé ma carrière dans le sport en 1979, avec la fédération française de tennis ; je me suis occupé durant près de 21 ans de Roland Garros, que j'ai dirigé, ainsi que de l'Open de Paris de tennis, que j'ai eu le plaisir de créer.
J'ai préalablement commencé ma carrière professionnelle dans le négoce international de matières premières. Mon changement d'orientation a été dicté par ma passion pour le sport ainsi que par l'intérêt pour les grands événements sportifs, qui m'ont toujours fasciné.
La question de la lutte contre le dopage est essentielle à mes yeux, au même titre que celle contre les dérives dans le sport, qu'il s'agisse de corruption, d'arrangement ou de manipulation de résultats. Outre la dimension propre à la santé des athlètes, la nécessité de lutter contre toute forme de tricherie me semble absolue.
Je me suis souvent demandé à quoi tenait le formidable engouement pour le sport, qui date du milieu des années 1970. On estime souvent que la notion de spectacle, taillée pour la télévision et les nouveaux médias, a été l'une des causes du succès du sport. Deux autres éléments m'apparaissent essentiels : en premier lieu, le sport est l'un des rares langages communs à notre planète ; il permet à des populations de culture, de race, d'origine ou de niveau social différents de pouvoir communiquer à l'unisson. C'est la raison pour laquelle les entreprises s'en sont emparées comme vecteur de communication...
En second lieu, le sport est synonyme d'égalité devant la règle. C'est l'un des rares univers où chacun est égal devant la règle. Au rugby, par exemple, quand le ballon touche la ligne, il est dehors ; quand c'est le cas au football, il est dedans ! Le respect de la règle est une des raisons du succès du sport. A partir du moment où on truque les règles, on porte atteinte à la crédibilité du sport. Dès lors, le sport est en grand danger. Cela devient un gigantesque show, où David ne peut plus jamais vaincre Goliath. C'est peut-être un message d'un autre temps, qui émane d'un ancien, mais la perte de crédibilité est selon moi le plus grand danger qui guette le sport.
Votre déclaration, à titre personnel, me convient parfaitement !
La parole est au rapporteur...
Vous avez pris vos fonctions chez ASO en 2000, succédant à Jean-Claude Killy et à son équipe, suite à un désaccord stratégique. Pouvez-vous en dire plus sur les raisons de son départ ?
Je ne peux que dire ce que j'ai entendu à mon arrivée. J'étais à l'époque, entre autres, en charge de Roland Garros. Je crois qu'il y a eu un désaccord profond entre l'actionnaire, Philippe Amaury, et Jean-Claude Killy et son équipe, sur la manière de conduire le développement d'ASO, ainsi que sur les projets de développement, en particulier à propos de l'épisode du Futuroscope, qui a coïncidé avec mon arrivée. Entre le clash, qui a dû avoir lieu fin 1999, et ma décision d'accepter la proposition du groupe ASO, qui date de mai 2000, la société n'a pas eu de dirigeant. Pour le reste, je ne connais pas les raisons fondamentales du clash...
Du temps a passé depuis ; j'ai donc eu tout loisir d'analyser et de relativiser tout cela. C'est un choix d'entreprise qui s'est produit dans bien d'autres sociétés, notamment de type familial. L'actionnaire y est tout puissant et seul décisionnaire. Dès lors qu'il décide que quelqu'un n'est plus apte à mener une mission qu'il considère comme prioritaire, il faut se soumettre ou se démettre.
A l'époque ASO et l'Union cycliste internationale (UCI) menaient un certain nombre de combats sur des sujets fondamentaux pour l'avenir du vélo, en particulier en matière de lutte contre le dopage. Les mesures qui avaient été prises étaient fondamentales pour la structure de ce sport. Les actionnaires ont décidé qu'il convenait d'arrêter cette lutte. A mes yeux, c'était une erreur, car je pensais qu'elle était pratiquement gagnée et qu'on allait pouvoir reconstruire ce sport sur des bases plus saines. Les actionnaires ont considéré qu'il allait de l'intérêt du sport -et sans doute de celui du groupe- d'arrêter ce combat. Je ne peux que respecter ce choix...
Je pense qu'à l'époque, beaucoup de questions se sont posées sur la scène internationale, tant de la part du CIO que du Comité national olympique et sportif français (CNOSF) ou des autorités en place.
Dès lors que les actionnaires ont décidé de changer de stratégie, mon sort était scellé.
Nous avons eu des versions différentes, lors de nos auditions précédentes, au sujet des informations que détenait l'organisateur à propos de la prise de produits dopants. M. Prud'homme nous a dit qu'il s'occupait uniquement du parcours, de la logistique, de la sécurité, et qu'il n'avait pas de relation avec les coureurs. A l'opposé, un ancien ministre des sports estime qu'il est impossible, quand on vit ensemble durant un mois, de ne pas être parfaitement informé de ce qui se passe le soir -on l'a vu avec Hamilton- dans les villes étapes, concernant la prise de produits dopants.
Comment vous situez-vous par rapport à tout cela ? Que vous reste-t-il de cette période et des informations dont vous disposiez ?
Je n'ai pas eu le loisir de regarder lesdites auditions, mais j'ai lu la déclaration du ministre auquel vous faites allusion.
Cela m'étonne beaucoup qu'un ministre, qui était en exercice il n'y a pas si longtemps, méconnaisse le fait que les pouvoirs de l'organisateur sont limités. Que l'organisateur peut avoir, à un moment ou à un autre, des informations ou des suspicions mais son pouvoir, par rapport à une Fédération de tutelle, est incroyablement limité. Il n'a pas ni pouvoir de contrôle, ni pouvoir de police, ni de pouvoir de sanction, pas plus que sur la sélection des équipes ou des coureurs. Certes, l'organisateur peut essayer de faire quelque chose -c'est ce que j'ai fait durant quatre ans avec quelques succès- mais il ne faut pas méconnaître ses véritables possibilités.
Pour répondre plus précisément à votre question, je me suis astreint à suivre le Tour de France autant que je le pouvais. Outre la passion que je ressens pour tous les grands événements, il me paraissait important de vivre de l'intérieur le fonctionnement de cette incroyable machine. Je suis arrivé chez ASO début octobre 2000, presque le jour où a débuté le procès Festina. J'avais donc envie d'essayer de comprendre ce qui se passait.
Il est inexact de dire que des informations parviennent à l'organisateur. On peut essayer d'en glaner quelques-unes. C'est ce que j'ai essayé de faire lorsque je suis arrivé à mon poste. Le fait d'avoir tenté de mener, à partir de 2003-2004, un combat contre le pouvoir en place, a montré ma détermination à essayer de mieux comprendre et de maîtriser un certain nombre de données. Certes, je me souviens avoir entendu des journalistes ou d'anciens coureurs mettre en doute les performances surhumaines de coureurs... Qui contrôle ce genre d'affirmations ?
Les dernières années, l'Office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique (OCLAESP) s'est livré à des enquêtes, des filatures, des poursuites, a organisé des planques auprès des hôtels. Dans les réunions de débriefing que nous pouvions avoir, les soupçons autour de telle ou telle équipe allaient bon train, mais je n'ai jamais eu, en tant que président-directeur général d'ASO, d'informations précises. C'est par la presse que j'ai appris que Rumsas et Frigo s'étaient fait prendre sur une aire d'autoroute...
Nous avons auditionné beaucoup de personnes de l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD). On nous a confirmé qu'une des difficultés majeures des préleveurs était d'accéder directement à Lance Armstrong pour le contrôler. Il existait toujours un temps de décalage de 20 à 30 minutes qui permettait de masquer le dopage. C'est un fait qui a également été rapporté par l'Agence antidopage américaine (USADA). Ces difficultés faussaient les contrôles.
Lorsque vous étiez en fonction, avez-vous eu connaissance de ces difficultés ? Quelles mesures ont alors été prises ? Il me paraît difficile de concevoir que ces retards n'aient pas bénéficié de complicités !
Je partage assez votre dernière affirmation -mais ce n'est qu'un avis personnel...
Je pense que la Fédération internationale a été relativement en avance par rapport aux autres fédérations s'agissant de la lutte antidopage. Elle a en effet été plus sévèrement atteinte que toute autre, lors du décès de Tom Simpson. Il existe par ailleurs également énormément d'histoires tournant autour du vélo depuis toujours, dont le couronnement impitoyable est sans nul doute l'affaire Festina.
La Fédération internationale a, entre autres, estimé que, pour protéger son sport, il fallait être en mesure de contrôler et de comprendre ce qui se passait. Je n'ai aucune preuve de ce que j'avance, mais il me semble qu'il n'est pas possible, pour une fédération, de lutter contre le dopage dans le sport dont elle a la charge, alors même que l'image de celui-ci peut être sérieusement détériorée. Il me semble que tout le problème vient de là.
Y a-t-il eu des complicités ? Je pense que c'est malheureusement une conséquence probable et possible -bien que je n'ai là non plus aucune preuve- de ce qui se passe quand on confie le pouvoir de contrôle à une fédération internationale, alors que son intérêt est sans doute qu'il n'y ait aucun cas positif. Ceci soulève un autre débat : qui doit réaliser les contrôles et prendre les sanctions ?
Vous vous êtes occupé de Roland Garros. L'AFLD se plaint de ne pas avoir accès à Roland Garros, où les contrôles sont uniquement réalisés par la Fédération internationale. Or, je suis convaincu que si l'AFLD pouvait pénétrer à Roland Garros, le tournoi y gagnerait en crédibilité !
J'ai quitté ce milieu il y a maintenant treize ans, mais je me souviens des premiers contrôles du ministère des sports dans le tennis professionnel en 1988, lors de l'Open de Paris. Cela a failli créer un clash avec l'ATP, alors naissante, créée dans un parking, aux États-Unis, quelques mois auparavant.
Dès 1988, nous avons mis en place à Roland Garros, avec les ministères, des contrôles d'abord aléatoires, puis sur le perdant, convaincu par ce biais de tous les avoirs jusqu'au dernier. Les choses ont progressé bon an, mal an. A l'époque -c'est un avis personnel- je pense qu'on est passé à côté de la vague de l'érythropoïétine (EPO), que l'on ne connaissait pas, pas plus que les autres sports. Les contrôles étaient purement urinaires.
A un certain moment, un accord a été passé avec l'ATP -et peut-être bien avec la Fédération internationale, mais ma mémoire me fait ici défaut- afin que les contrôles soient effectués par une société privée canadienne. On peut toujours soupçonner que les contrôles sont faits davantage pour prévenir les dommages que pourrait causer une annonce publique que pour assurer une réelle transparence. C'est dans la nature humaine...
Il est étonnant de constater que, lors de la Coupe du Monde de football, événement planétaire, où se côtoient des joueurs de toutes origines, pas un seul ne fume de cannabis ! On ne trouve que ce que l'on cherche. Les intérêts sont tels que l'on n'a pas trop intérêt à ce que les choses sortent !
Vous avez évoqué, s'agissant du tennis, certaines pratiques recourant à des produits divers et variés...
A une certaine époque, on ne recherchait pas l'EPO. On ignorait même qu'elle pouvait être utilisée dans tous les sports. J'imagine donc que l'on est passé à côté. Pourquoi, dans les années 1990, des médecins ou des scientifiques n'auraient-ils pas testé l'EPO dans le tennis ? Je me suis souvent posé la question après coup...
Vous avez affirmé qu'il n'y avait pas de contrôles à Roland Garros lorsque vous vous occupiez de tennis, ceux-ci n'étant pas dans l'air du temps. Toutefois, d'autres sports les pratiquaient à l'époque. Pourquoi n'y avait-il pas de contrôles à Roland Garros ? Les joueurs -ou leur entourage- exerçaient-ils des pressions ? Quand on ne cherche pas, on ne risque pas de trouver !
Vous arrivez dans le milieu du cyclisme au moment de l'affaire Festina. Si vous n'en aviez pas connaissance, aviez-vous du moins conscience qu'un dopage important pouvait exister ? L'un de vos prédécesseurs, Jean-Marie Leblanc, a affirmé qu'il n'était pas au courant, mais qu'il subodorait le fait qu'il pouvait exister. Etes-vous dans le même état d'esprit ? Enfin, pensez-vous que le dopage existe également dans le milieu de la voile ?
Je me suis peut-être mal fait comprendre... Les contrôles existent à Roland Garros depuis 1988. Nous avons été les premiers à les réaliser -et les seuls- malgré une forte résistance de l'association des joueurs, et plus forte encore de l'association des joueuses. Nous avons cependant tenu bon, et ces contrôles ont eu lieu jusqu'à mon départ. Il s'agissait de contrôles aléatoires sur les premiers tours et, à partir des seizièmes ou des huitièmes de finales, de contrôles systématiques sur les joueurs, comme du reste dans tous les sports, où avaient lieu des contrôles urinaires. Ceux-ci recherchaient un certain nombre de molécules qui -on ne l'a su qu'après- n'étaient vraisemblablement pas celles utilisées.
Je ne suis pas arrivé chez ASO pendant l'affaire Festina, mais durant le procès, deux ans après. Celui-ci a révélé l'ampleur des dégâts, que tout le monde connaissait. Ma première décision a été de dire publiquement qu'il n'était à mon sens impossible, pour la crédibilité du sport à long terme et, sur le plan purement économique, pour la rentabilité des événements, d'adopter une autre voie que celle de restaurer la crédibilité. Pour ce faire, il n'existait à mes yeux pas d'autre mesure possible que la tolérance zéro. Celle-ci met cependant un certain temps à s'appliquer. Nous n'avions pas de poids sur les instances et cela risquait de provoquer un certain nombre de blessures et de traumatismes.
Je me souviens avoir eu cette conversation avec le président de l'UCI, dont je venais de faire la connaissance. Il me disait que j'étais complètement fou, que je me tirais une balle dans le pied, et me conseillait d'arrêter ! Je pense que c'était une grave erreur, le sport ayant un absolu besoin de retrouver sa crédibilité. Je reste persuadé, aujourd'hui encore, que le cyclisme a toutes les armes en main pour être l'un des tout premiers sports de la planète, au même titre que le football. Si l'on arrive à rendre sa crédibilité à ce sport, je ne vois pas pourquoi les cyclistes ne seraient pas des héros, au même titre que les footballeurs ! C'est dans leur intérêt. C'est ce que j'essayais de leur expliquer, en leur disant qu'ils étaient tous potentiellement bien plus riches qu'ils ne le pensaient, mais qu'il leur fallait être crédibles.
On a tout fait pour reprendre progressivement la main. On dispose des clés d'un sport si l'on maîtrise le calendrier et les participants, qui sont souvent liés au classement. L'UCI n'avait qu'une idée : maîtriser ces deux paramètres. Nous avons pu, grâce à une particularité de la loi française, révoquer un certain nombre de coureurs au motif qu'ils portaient atteinte à l'image de nos événements, grâce au simple fait qu'ASO en était propriétaire. C'est par ce biais qu'on a réussi, à partir de 2003, année après année, à refuser des coureurs juridiquement impliqués dans des affaires de dopage. L'un des points centraux du débat est l'absolue nécessité de disposer d'une instance indépendante pour réaliser les contrôles et appliquer les sanctions, faute de quoi tous les sports vont progressivement perdre leur crédibilité !
Il n'est guère aisé d'aller au milieu de l'océan voir ce qui se passe dans une course en solitaire. Je crois qu'il existe malheureusement des cultures sportives plus ou moins proches du dopage, de la tricherie, de la corruption, de la combine que d'autres. Il me semble que la culture de la voile n'est pas celle-ci.
Le directeur des douanes nous a rapporté qu'à la suite de l'affaire Festina, il avait reçu des consignes pour ne pas que ses services soient trop présents aux étapes du Tour de France. Avez-vous eu connaissance de ces consignes ? Si elles ont existé, de qui pouvaient-elles émaner ?
Je ne vois pas à quoi vous faites allusion. A titre personnel, je me suis élevé à plusieurs reprises contre la mise en scène de certaines interpellations, dont les organisateurs n'étaient même pas au courant. Comme par hasard, les caméras des grandes chaînes étaient en alerte...
Cela m'avait fortement déplu et je l'avais dit à l'époque, en rappelant que personne ne pouvait mettre en doute ma volonté de contribuer à la lutte antidopage, mais que la théâtralisation à des fins d'audience me paraissait totalement déplacée et contre-productive.
Vous avez débuté votre propos en évoquant l'équité sportive et l'égalité devant la règle. Or, plusieurs personnes ont fait valoir devant nous le fait que, durant plusieurs Tour de France, Lance Armstrong avait bénéficié d'une sorte de traitement de faveur : déplacements en hélicoptère, protection physique rapprochée, etc. Tout cela ne nuit-il pas à l'équité sportive ?
Si, sans doute... L'équité n'existe pas : celui qui est petit ne peut jouer deuxième ligne, contrairement à celui qui est grand. Il faut en fait s'approcher de la règle de la plus grande équité.
Lance Armstrong était toujours en tête. Or, ceux qui doivent se soumettre aux obligations en matière de lutte antidopage, d'interviews, etc., y passent un temps tel qu'ils restent bloqués en haut des cols, et ne peuvent redescendre vers les villes étapes par le convoi, accompagné par la gendarmerie, qui se met en place dès l'arrivée. La seule manière d'évacuer les vainqueurs est donc de le faire par hélicoptère.
Je ne pense pas que Lance Armstrong ait, à l'époque, bénéficié de passe-droits pendant les épreuves, les autres vedettes pouvant en effet réclamer le même traitement. Dans une épreuve comme le Tour de France, il faut veiller à ce genre de détail. Il existe même une sorte de grille des hôtels dans laquelle on intègre à la fois la distance par rapport à la ville de départ, le nombre d'étoiles, etc. ; à la fin du Tour de France, toutes les équipes doivent avoir bénéficié du même nombre d'étoiles ! Des entorses à cette pratique peuvent exister, mais je ne pense pas qu'il s'agisse d'une volonté délibérée.
Existe-t-il, selon vous, des disciplines sportives où la culture du dopage se rencontre davantage ? Quels éléments culturels la favorisent-ils ?
C'est là une question extrêmement difficile. Pendant longtemps, j'ai essayé de faire comprendre que le sort que les médias réservaient au vélo était assez injuste, et qu'il en avait largement payé le prix. L'ensemble de la communauté internationale a trouvé dans cette situation son mouton noir. Le vélo a été le bouc émissaire du sport pendant des années. On en tenait un, on ne l'a plus lâché, les autres sports étant trop heureux que la pression se porte en totalité sur le vélo.
Enormément de facteurs entrent en ligne de compte. On prétend souvent que l'argent est le moteur principal du dopage. Je ne le crois pas. Il existe des exemples de dopage dans des sports peu médiatisés, et peu rémunérateurs, comme l'haltérophilie ou le culturisme -si tant est qu'il s'agisse d'un sport.
Je pense que la douleur et l'effort peuvent constituer une des causes du dopage. Toutefois, l'athlète dopé le plus célèbre a été Ben Johnson, alors que le cent mètres constitue pourtant une courte distance...
C'est une question très complexe. Je ne sais ce qui pousse un sportif à se doper. Dans le vélo, je crains qu'à partir des années 1990, les coureurs se soient sentis obligés d'en passer par là ou de changer de profession...
Vous a été, durant deux ans, membre du Conseil de surveillance du Paris Saint-Germain (PSG). Quel regard portez-vous sur le dopage dans le football -s'il existe ? Quelle était la politique en la matière au sein du PSG ?
Je ne vois pas pourquoi le dopage n'existerait pas dans tous les sports, qu'il s'agisse du tir à l'arc, de la luge, du football ou de quelque autre sport que ce soit...
Siéger au Conseil de surveillance du PSG ne signifie pas être au quotidien dans la vie du club, mais d'après mes souvenirs, l'entourage médical des footballeurs est aujourd'hui très sophistiqué. Il en va de même dans beaucoup d'autres sports, comme d'ailleurs le vélo. Le rôle des médecins est sûrement un des sujets sur lequel il faudrait se pencher.
Il me semble que l'entourage médical d'une équipe comme le PSG, lorsque j'étais au Conseil de surveillance, était très présent ; ceci devait normalement éviter que les athlètes fautent. Ce n'est sans doute pas exclu, mais je pense qu'il s'agirait alors d'une démarche de l'entourage médical.
J'ai toujours été très frappé par le fait qu'on parle finalement peu des médecins, des CHU, des équipes de scientifiques, des laboratoires. Ce sont eux qui constituent le point de départ du dopage. Certes, c'est l'athlète qui décide de prendre un produit, mais un coureur cycliste de 22 ou 23 ans, issu d'un milieu rural, ne peut connaître les protocoles les plus sophistiqués. Quelqu'un lui administre forcément ces produits -et il ne les achète sur Internet ! Ces médecins-là devraient être plus activement recherchés et punis.
Je n'imaginais pas un seul instant, il y a maintenant beaucoup plus de trente ans, quand j'ai souhaité rejoindre l'univers du sport, y faire ma vie professionnelle, ni être un jour être amené à me trouver dans cette position.
Je le répète : il s'agit peut-être d'un message passéiste et suranné, mais si le sport ne s'attache pas à retrouver sa crédibilité, il est en grand danger. Il me semble que c'est là la responsabilité du mouvement sportif, dont l'unique objectif doit être de remplir ce rôle, en laissant les aspects économiques aux professionnels, pour se concentrer sur l'avenir et la pérennité de leur discipline !
Notre commission d'enquête sur l'efficacité de la lutte contre le dopage a été constituée à l'initiative du groupe socialiste, en particulier de M. Jean-Jacques Lozach, notre rapporteur.
Une commission d'enquête fait l'objet d'un encadrement juridique strict. Je signale au public présent que toute personne qui troublerait les débats serait exclue sur le champ. Je vous informe en outre qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Philippe Lamoureux et Mme Claire Sibenaler prêtent serment.
Le LEEM (Les entreprises du médicament) représente la quasi-totalité des entreprises pharmaceutiques exerçant sur le territoire national -françaises, étrangères, « big pharmas », PME, dans les domaines de la biotechnologie, des génériques, de l'automédication.
Le médicament est conçu pour soigner, soulager la souffrance, guérir, aider les malades à vivre mieux et plus longtemps. Du point de vue des industriels que je représente, leur utilisation en vue d'améliorer les performances sportives constitue bien évidemment un détournement d'usage.
Or, le détournement de médicaments ou de méthodes thérapeutiques constitue, nous le savons aujourd'hui, une des sources de dopage les plus communes. Les détournements dont les spécialités pharmaceutiques font l'objet sont très vastes et couvrent non seulement les médicaments qui disposent d'une autorisation de mise sur le marché (AMM), mais également des médicaments qui en sont au stade du développement.
Ce détournement constitue un préjudice grave pour notre industrie, dont la recherche se trouve détournée et récupérée par ce que vous me permettrez de qualifier de trafiquants. C'est également -et c'est notre préoccupation principale- une menace directe pour la santé et l'intégrité physique des athlètes. Le LEEM est donc extrêmement attentif, pour des raisons de santé publique, aux actions de lutte contre le dopage. Il serait paradoxal, au moment où l'on parle beaucoup de juste usage du médicament, de bon usage, éclairé, raisonné et responsable, de baisser la garde vis-à-vis du dopage.
Le dopage est partie intégrante de notre politique de responsabilité sociétale des entreprises (RSE). Nous avons été la première organisation syndicale professionnelle nationale à signer une déclaration d'intention de partenariat, dans le cadre de la lutte antidopage, avec le ministère de la santé et l'Agence mondiale antidopage (Ama). Ce partenariat remonte à décembre 2008. Il avait pour objectif de permettre aux autorités de lutte contre le dopage d'avoir connaissance le plus tôt possible des molécules en développement ayant un potentiel d'utilisation pour le dopage, une sorte de signalement précoce, qui visait à permettre à ces autorités de mettre en place le plus en amont possible des tests de dépistage adaptés.
On est effectivement dans une course contre la montre s'agissant du dopage. Dire que les tricheurs ont une molécule d'avance n'est pas inexact. La détection le plus en amont possible du potentiel dopant d'un médicament en développement est donc un point important.
Par ailleurs, ce sujet, aussi bien pour les autorités sportives que pour les laboratoires et les entreprises du médicament, ne pouvait et ne peut toujours pas être traité sur le plan franco-français. Nous avons donc attiré l'attention de nos partenaires sur la nécessité d'élargir cette collaboration, au-delà du simple cadre français. Le sport ne connaît pas de frontières et les détournements d'usage des médicaments s'effectuent également à l'échelle internationale.
Le LEEM a donc souhaité porter ce partenariat à l'échelon mondial et a eu la satisfaction de voir que le partenariat du LEEM avec les autorités françaises et l'Ama a été repris, pratiquement dans les mêmes termes, dans un accord signé en juillet 2010, entre les autorités mondiales et la Fédération internationale des industriels du médicament (IFPMA).
Ce partenariat consiste à :
- faciliter la collaboration volontaire entre les sociétés membres de l'IFPMA et l'Ama, avec l'objectif d'identifier, à un stade précoce, les principes actifs ayant un potentiel dopant ;
- aider à minimiser, durant les essais cliniques, le risque de mésusage de ces médicaments en développement, par exemple en informant les investigateurs sur les risques d'utilisation comme composé dopant ;
- renforcer le transfert d'informations ;
- faciliter le développement de méthodes de détection dans le cadre de la lutte contre le dopage dans le sport grâce à un accord-cadre français et à un accord-cadre international, avec des collaborations relevant de la politique des entreprises.
Un certain nombre de grandes entreprises ont d'ores et déjà signé ces accords de collaboration. Nous savons que d'autres sont en train d'en discuter. Nous croyons en l'efficacité de ce type de coopération, d'autant que nos adhérents sont très demandeurs d'une vigilance renforcée en matière de dopage.
En novembre 2012, le LEEM et les industriels internationaux et français ont participé à un colloque international consacré à l'industrie pharmaceutique et à la lutte contre le dopage, en lien avec le ministère des sports et l'Ama. Cette manifestation était organisée en France, pays qui exerce un véritable leadership dans ce domaine. Cette volonté et cet engagement ne se sont pas démentis dans le temps.
Le travail de sensibilisation autour de cette thématique est permanent. Nous ouvrons nos commissions et notre comité RSE aux autorités du monde du sport, afin de sensibiliser également nos entreprises au phénomène du dopage et au risque de mésusage qui s'y attache.
Cette dynamique est engagée depuis quelque temps et constitue un sujet de préoccupation majeure pour nos entreprises au titre de la santé publique.
Vous avez évoqué le détournement d'usage de médicaments, mais également de méthodes thérapeutiques. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Les transfusions ou les autotransfusions constituent un exemple de détournement de méthodes thérapeutiques...
Quelles sont vos relations avec l'Ama, l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD), le laboratoire de Châtenay-Malabry, etc.
Nous sommes essentiellement en contact avec le ministère des sports et le bureau qui traite du dopage. Des accords ont été signés entre l'Ama, le LEEM et l'IFPMA. Ce sont à peu près les seules relations en cours que nous ayons.
Les entreprises peuvent avoir de leur côté des contacts ponctuels avec ces agences, mais nous ne sommes pas au courant.
Avez-vous eu connaissance de l'existence, en France, de laboratoires clandestins illégaux produisant des substances interdites et notamment dopantes ?
Avez-vous l'impression que les sportifs de haut niveau, au fil des années, jouent de plus en plus aux apprentis sorciers ?
L'imagination des sportifs de haut niveau est sans limite. Une fois encore, la pratique du dopage relève du détournement d'usage des produits. Nos médicaments sont conçus pour soigner et pour guérir, chaque fois que c'est possible, mais on a le sentiment qu'ils sont souvent détournés.
Je ne puis dire si les choses se sont aggravées au fil du temps ou non, mais le détournement d'usage est une réalité que nous constatons. Ainsi que je le disais, on a, dans le cadre d'une loi de renforcement de la sécurité sanitaire de décembre 2011, souhaité lutter contre l'usage hors AMM des produits. C'est une priorité du ministère de la santé et des pouvoirs publics. Peut-être cela va-t-il permettre de détecter un certain nombre de pratiques...
La collaboration entre l'industrie pharmaceutique et les autorités de lutte contre le dopage se heurte-t-elle à certaines difficultés ? Si oui, quelles sont-elles ? La confidentialité des recherches constitue-t-elle un obstacle ? Si c'est le cas, comment y remédier selon vous ?
Il n'existe pas, à ma connaissance, de produits plus contrôlés que les médicaments, en particulier avant leur mise sur le marché, au travers la procédure d'essais qui leur est imposée et l'obligation de fournir des études d'écotoxicité. On travaille aujourd'hui bien plus sur le suivi post-AMM des produits que sur tout autre sujet.
Les entreprises veillent toutefois que l'on n'ajoute pas de la norme à la norme. Le problème vient moins de la confidentialité, bien qu'il existe néanmoins, que de la surabondance de normes, qui peut susciter quelques réticences. Les autorités publiques donnant un certain nombre de garanties en ce domaine, ce n'est pas aujourd'hui un facteur de blocage.
L'argument de la confidentialité des recherches est-il mis en avant pour expliquer d'éventuelles difficultés ?
Je ne le pense pas. Une autre des difficultés vient du fait que très peu de substances sont disponibles lors du développement du médicament. La synthèse du principe actif qui va servir au médicament n'est pas encore réalisée à l'échelle industrielle. Le produit est donc compté pour l'industriel, qui en synthétise un peu pour les études précliniques, un peu pour les études cliniques, sans connaître les besoins exacts de l'Ama en matière de tests. Peut-être conviendrait-il de les identifier...
Comme l'a dit Philippe Lamoureux, il ne faut pas ajouter de la norme à la norme. Les industriels ont l'habitude de travailler avec des organismes publics de recherche. Je ne pense donc pas que le fait de travailler avec l'Ama constitue un obstacle. Il faut savoir à quel moment le faire, mais je pense que si l'Ama va vers les entreprises du médicament, la coopération pourra être fructueuse.
On sait que certains médicaments peuvent être utilisés à des fins de dopage. Suivez-vous ces phénomènes ? Le chiffre d'affaires de ces médicaments permet-il de s'apercevoir que leurs ventes sont bien supérieures au traitement imposé par la maladie ? L'avez-vous déjà observé ? Si c'est le cas, avez-vous alerté l'Ordre des médecins ou l'AFLD ?
Assez logiquement, la réponse est plutôt négative. Les produits utilisés à des fins de dopage sont souvent contrefaits ou copiés. On n'est donc pas là dans un marché légal...
La loi de 2011 renforce l'obligation pour les industriels, en France, de suivre l'utilisation hors AMM de leurs produits. C'est un sujet nouveau et complexe pour nous, sur lequel nous travaillons. Nous avons en effet un problème d'accès à l'information, car il n'est pas facile de savoir si un médicament est détourné de son usage, alors que sa prescription relève de plusieurs dizaines de milliers de prescripteurs. Peut-être faudrait-il, pour certains produits, se rapprocher des données de l'assurance-maladie, mais il ne s'agit ici que de médicaments remboursés, qui possèdent une AMM. Par définition, les médicaments en développement ne possèdent pas d'AMM, et sont produits à très petites doses.
L'hormone de croissance est par exemple assez peu utilisée sur le plan médical, mais se vend assez bien : ne peut-il exister des soupçons sur ce produit ?
Pas à ma connaissance...
Sur ce point précis, il faudrait poser la question aux entreprises. Nous n'avons pas, en tant qu'organisation professionnelle, accès à des données précises sur tel ou tel type de molécule.
Comment vous assurez-vous de l'implication des entreprises adhérentes à votre organisme dans la lutte contre le dopage de l'ensemble ?
Comme je l'ai dit, nous incitons nos entreprises à allers vers un partenariat avec l'Ama. Ceci nécessite une certaine pédagogie, pour les raisons que vous évoquiez fort justement tout à l'heure.
Ce n'est pas une stratégie d'organisation professionnelle mais plutôt une décision volontaire d'entreprises. Nous constatons d'ailleurs dans ce domaine une vraie dynamique. L'enjeu consiste pour nous à les convaincre d'emprunter la voie du partenariat, ce qui est de plus en plus le cas.
Quel est l'engagement des pharmaciens d'officine et des grossistes de répartition ? Ne peut-on établir la traçabilité des médicaments pour avoir une idée de la consommation des médicaments inscrits sur la liste des produits dopants ?
Il faudrait poser la question aux représentants de ce secteur. Toutefois, notre préoccupation concerne plus Internet que les officines.
Le principal point d'entrée de la contrefaçon sur le territoire français provient plutôt d'Internet -même si le phénomène reste marginal. On y trouve beaucoup de produits d'amélioration de la performance, qu'elle soit intellectuelle, sportive, ou sexuelle. Il existe des plates-formes offshore pour les sites étrangers, la réglementation française commençant à s'ouvrir très étroitement à la vente en ligne. Pour bénéficier d'un contrôle sur la distribution, la première chose à faire serait donc de sécuriser ce type d'achats.
Connaissez-vous la proportion de médicaments disponibles sur le marché, dont l'usage est potentiellement dopant ?
Une liste de produits interdits aux sportifs est publiée tous les ans au Journal officiel. Elle est intégrée au Vidal, qui est mis à la disposition de tous les médecins et de tous les pharmaciens. L'information sur ces molécules est donc à la disposition des prescripteurs. La liste concerne le sport humain et le sport animal. J'en dispose ici et puis vous la remettre si cela vous intéresse...
Un organisme comme le vôtre est-il suffisamment associé à la lutte contre le dopage ?
Une organisation professionnelle comme la nôtre a un rôle d'engagement et d'impulsions ; nous sommes chargés de fournir à nos adhérents un certain nombre de « guidelines » et de cadres d'action.
Nous avons également un rôle pédagogique à jouer dans les deux sens. Il importe en effet que nos adhérents soient pleinement conscients des enjeux de la lutte contre le dopage et que les autorités en charge de cette lutte le soient aussi des enjeux qui s'attachent au développement des médicaments et des contraintes auxquelles nos entreprises sont soumises.
Pour améliorer les choses, il faudrait bénéficier d'un dialogue plus fréquent et se parler de façon plus régulière, peut-être dans un cadre plus formel, ces échanges réciproques étant pour l'heure volontaires.
Nous avons réalisé un important travail de pédagogie auprès des industriels. Nous avons réussi à faire remonter le sujet à l'échelon international, afin de toucher globalement les entreprises.
Des outils ont été mis au point pour informer les industriels des intérêts qu'ils ont à protéger la santé des athlètes ainsi que leurs molécules. C'est grâce à ce type de dialogue qu'on y arrive. Comme on le voit dans d'autres secteurs, ce système fonctionne lorsqu'on en parle régulièrement et que tous les interlocuteurs font de même.
Quel regard portez-vous sur les risques de dopage liés aux compléments alimentaires ? Les informations communiquées aux consommateurs sur le caractère dopant de tel ou tel produit vous semblent-elles suffisantes ? Des actions concrètes seraient-elles à mettre en place pour réduire les risques de dopage « par inadvertance » ?
Nous n'avons aucune compétence sur les compléments alimentaires qui, pour la plupart, ne sont pas soumis à la législation du médicament.
Je représente le LEEM : je n'ai pas d'avis personnel.
À qui faudrait-il s'adresser selon vous pour obtenir une réponse à cette question ?
C'est l'Association nationale des industries alimentaires (ANIA) qui est compétente sur ce sujet.
Vous donner un avis personnel risquerait de me lancer sur le terrain marécageux des allégations santé relatives aux compléments alimentaires qui, en matière de réglementation, sont extraordinairement différentes des règles qui s'appliquent aux médicaments.
Quand un médicament arrive sur le marché, il est soumis à une procédure d'essais cliniques extrêmement lourde. Par ailleurs, il n'existe pas de procédure d'AMM pour les compléments alimentaires. Je ne sais donc pas si, scientifiquement, les choses sont aussi bordées que pour les médicaments -mais j'atteins là les limites de ma compétence.
Je ne vous demandais pas de « border » votre réponse, mais de nous donner votre avis. Estimez-vous définitivement que cela ne relève pas de votre compétence ?
Le médicament dispose d'une AMM qui repose sur la qualité du produit, de sa fabrication et la reproductibilité de celle-ci, ainsi que sur la sécurité. De nombreuses études de toxicologie sont pratiquées sur l'animal en matière d'écotoxicologie, et des études sont également menées chez l'homme. Le médicament est l'un des produits les plus réglementés et les plus étudiés qui soient.
Ne pensez-vous pas qu'il pourrait y exister un lien indirect entre des laboratoires fabriquant des médicaments et les entreprises de compléments alimentaires, puisqu'on retrouve dans ces derniers un certain nombre de molécules que l'on peut rattacher, d'une certaine manière, au traitement de telle ou telle « insuffisance »...
J'avoue avoir du mal à suivre le fil de votre pensée ! J'imagine que vous avez une idée très précise. Les entreprises du médicament sont des entreprises pharmaceutiques soumises à une réglementation, et à une autorisation d'établissement. Les choses sont donc extrêmement réglementées.
Je conçois que certains fabricants de complément alimentaires puissent jouer sur l'ambiguïté entre le médicament et le complément alimentaire ou sur les entreprises qui fabriquent des médicaments et celles fabriquant des compléments alimentaires, mais on est dans deux cadres juridiques totalement distincts.
En aucun cas une entreprise du médicament ne peut donc avoir à faire à ces problèmes de compléments alimentaires ?
Certaines entreprises pharmaceutiques peuvent avoir une activité séparée en matière de compléments alimentaires, mais ce sont deux activités distinctes au sein de l'entreprise.
On progresse ! Les entreprises pharmaceutiques peuvent donc avoir une activité parallèle dans le domaine du complément alimentaire. Après avoir dit que ce n'était pas le cas, vous parlez maintenant d'entreprises complémentaires...
Une fois encore, ce sont deux activités, lorsqu'elles existent, totalement séparées, avec des produits ayant des statuts complètement distincts, et dans des établissements différents.
Les usines dans lesquelles sont fabriqués les médicaments sont des établissements pharmaceutiques qui doivent être autorisés par l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). Ils doivent déclarer annuellement ce qu'ils fabriquent et sont inspectés régulièrement, aussi bien par les autorités françaises que par les autorités européennes, voire américaines.
Lors de nos auditions, un éminent professeur de pharmacologie nous a affirmé qu'il existerait, à côté des pratiques de détournement auxquelles vous faisiez référence, une industrie spécifique du dopage, capable de mettre des molécules à la disposition des sportifs, de fabriquer des substances conçues pour échapper au contrôle.
Que pensez-vous de cette affirmation ?
Ce serait une activité clandestine. Il existe de très bons chimistes dans le monde, qui peuvent mettre leur savoir à la disposition de ce genre de pratiques...
Un équivalent du LEEM existe-t-il à l'échelon international et européen ?
Tout d'abord, ce qui relève du code pénal n'entre pas, par définition, dans notre champ de compétence.
Par ailleurs, la Fédération européenne des industries pharmaceutiques (EFPIA), basée à Bruxelles, représente environ quarante à cinquante grands laboratoires internationaux en pointe en matière de recherche. Les « big pharmas » en font partie. Il existe également une Association européenne des médicaments génériques (EGA).
Non, mais une fédération mondiale regroupe l'ensemble des industriels et des associations pharmaceutiques à l'échelle mondiale. Elle couvre une grande partie des entreprises de pays industriels ou émergents. Elle siège à Genève, est en relation avec l'OMS et suit le sujet des relations avec l'Ama.
En novembre dernier, on a pris conscience que des molécules pouvaient être mises à la disposition de certains athlètes avant leur mise sur le marché. Il était difficile de les analyser, puisqu'on ne les connaissait pas. Ne peut-on craindre qu'on ait pu utiliser certains athlètes pour tester leur efficacité ?
Je ne le pense pas. Les études cliniques de développement de médicaments sont extrêmement cadrées. Les critères d'inclusion et de l'exclusion sont très stricts. Tous les essais sont autorisés par les autorités compétentes des différents pays où elles ont lieu. Un comité d'éthique doit en outre donner un avis favorable. Les choses sont donc extrêmement contrôlées. Des vols de produits peuvent toutefois survenir...
Encore faut-il sans rendre compte ! Dans une étude clinique, le patient peut disposer de la boîte de comprimés pour la semaine. Il peut donc exister une incertitude dans ce domaine.
Les essais cliniques se portent plutôt vers des populations standards. L'intérêt de montrer l'efficacité d'un traitement chez une personne en parfaite santé, surentraînée physiquement, qui n'est pas nécessairement représentative de la population que l'on souhaite traiter, ne serait pas pertinent. Les essais cliniques sont totalement réglementés à l'échelle internationale.
L'ANSM est-elle soumise à des obligations particulières en matière de veille et d'information touchant au développement de substances dopantes ?
Cette agence a une compétence générale en matière de pharmacovigilance et de pharmacosurveillance. Elle doit donc remplir des missions de sécurité sanitaire. La lutte contre l'usage détourné des produits en fait partie. En outre, elle s'insère dans un réseau européen d'agences chapeautées par l'Agence européenne du médicament (EMA) basée à Bruxelles. Ces différentes agences nationales travaillent en réseau, avec des périmètres de compétences très approchants. Tout ceci est extrêmement contrôlé.
Cette agence est également compétente en matière d'essais cliniques. Elle en délivre les autorisations administratives et décide du retrait ou de la suspension de ces autorisations en cas de dysfonctionnement. J'imagine que le détournement d'usage en fait partie...
Quelles mesures additionnelles préconiseriez-vous pour améliorer la lutte contre le dopage ?
Pour moi, cela relève de l'information et de la pédagogie auprès du grand public, des écoles, et des entreprises.
Qui serait, selon vous, le plus à même de donner cette information complémentaire ?
On retombe là sur une problématique encore plus générale. La question que vous soulevez pose en réalité un problème sociétal. Il faut en effet aujourd'hui relancer une pédagogie autour des médicaments. En matière de dopage, nous avons vécu ces dernières années des événements extraordinairement douloureux, alors que l'on continue à croire au caractère presque magique du médicament.
Il nous faut expliquer à nos concitoyens que la mise au point d'un médicament nécessite entre huit et douze ans de recherches. L'arrivée d'un médicament sur le marché, la façon dont il est alors surveillé, sa réévaluation et les règles de bon usage qui y sont associées constituent des actions que nous devrions développer, non seulement dans le domaine du dopage, mais de façon générique.
Les entreprises du médicament ne sont pas nécessairement les mieux placées pour ce faire. Ce serait plutôt à la puissance publique d'exercer ce rôle -même si nous pouvons leur apporter notre concours.
L'appréciation du bénéfice-risque s'étant aujourd'hui quelque peu modifiée, je pense qu'il serait temps de rappeler ce qu'est un médicament. Ce serait notamment l'occasion d'expliquer qu'un médicament n'est pas un produit de consommation courante, qu'il a un principe actif mais peut également comporter des effets indésirables. Un véritable travail est à faire sur le juste usage, qui couvre le sujet de l'usage dopant. Cette action doit être menée par les pouvoirs publics, même si nous sommes prêts à y collaborer.
Avez-vous connaissance de signaux d'alerte émis par la Haute autorité de santé (HAS) au sujet de risques de détournements d'usage ou de ventes de produits pouvant paraître suspectes ?
Non. Cela n'entre pas, à mon sens, dans les compétences de la HAS. Cela relève plutôt des autorités de santé publique, en lien avec le système de pharmacosurveillance. Les deux structures compétentes en la matière seraient, selon moi, l'ANSM, dont une commission travaille sur ce sujet, et l'assurance-maladie qui, comme je l'ai dit, détient les données de liquidation. Il faudrait toutefois que ce soit sur une grande échelle. Je doute que ce soit techniquement réaliste...
Pensez-vous, Madame Sibenaler, que l'on puisse rapidement mettre au point un système de détection de l'autotransfusion sanguine ?
Je n'en ai aucune idée !
Avez-vous cependant une idée du délai au terme duquel on pourrait parvenir à mettre quelque chose en place ?
Je n'ai pas les compétences pour vous répondre.