Merci d'avoir répondu à notre invitation. La commission d'enquête sur l'efficacité de la lutte contre le dopage a été constituée à l'initiative du groupe socialiste, en particulier de M. Jean-Jacques Lozach, notre rapporteur.
Une commission d'enquête fait l'objet d'un encadrement juridique strict. Je signale au public présent que toute personne qui troublerait les débats serait exclue sur le champ. Je vous informe en outre qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Patrick Schamasch prête serment.
Je rentre de Saint-Pétersbourg où j'assistais à la réunion de SportAccord et où j'ai défendu ma candidature au poste de président de l'Agence mondiale antidopage. Je suis très flatté d'être auditionné par votre commission. L'efficacité de la lutte contre le dopage est un sujet sérieux. Merci de l'avoir mis à l'ordre du jour.
En 1982, j'étais adjoint au maire de Méribel quand Jean-Claude Killy et Michel Barnier, qui préparaient le dossier de candidature d'Albertville pour les Jeux olympiques (JO), nous ont demandé si nous accepterions d'accueillir le hockey sur glace et le ski alpin. Comme j'étais médecin, on m'a proposé de m'occuper du volet médical et antidopage. Le 17 octobre 1986, Albertville a été choisie. Il a fallu se retrousser les manches. J'ai été nommé directeur médical des JO d'Albertville et membre, ipso facto, de la commission médicale du comité international olympique (CIO), dirigée par le prince Alexandre de Merode, qui fut à l'origine de la création en 1966 de cette commission. Lors des Jeux de Calgary, j'ai apprécié le travail du laboratoire de Montréal et saisi les enjeux de la lutte contre le dopage. J'ai constitué mon équipe en vue des Jeux, autour du Laboratoire de Châtenay-Malabry, dirigé par M. Jean-Pierre Lafarge.
Nous disposions de peu de données à l'époque. Ni les Jeux de Sarajevo, où l'organisation était occulte et la transmission des documents difficile, ni ceux de Calgary n'ont été l'occasion de progrès. Le CIO était en pointe dans la lutte contre le dopage, avec l'appui de quelques fédérations comme la fédération internationale d'athlétisme (IAAF), l'UCI, une des premières à avoir abordé le sujet, la fédération internationale d'aviron (FISA) ou la fédération d'haltérophilie. Elles avaient déjà compris les enjeux et pris des règlements en leur sein.
La commission médicale du CIO s'était constituée en réunissant des membres des fédérations, des comités nationaux olympiques, des associations continentales, des médecins et des scientifiques. Le CIO, à travers cette commission médicale et sa sous-commission dopage et biochimie, gérait des laboratoires hérités de l'IAAF, qui ont établi une première liste des produits et méthodes prohibés. Après les Jeux de Barcelone en 1992, au terme de mon mandat, j'ai rédigé un mémo, que j'ai adressé au prince Alexandre de Merode, et qui est parvenu sur le bureau de M. Juan Antonio Samaranch. Ils m'ont demandé de devenir directeur médical du CIO, poste créé à l'occasion. J'ai accepté et pris mes fonctions en juin 1993. Nous avons cherché à renforcer les moyens du CIO dans la lutte. Jusqu'en 2001, le prince a multiplié les efforts à cette fin, mais ce n'était alors pas une priorité. Visionnaire, il a, dès les années quatre-vingt, eu l'idée d'un laboratoire volant, se déplaçant au gré des compétitions, pour minimiser les coûts. L'idée est restée dans les cartons, en raison des réticences des juristes, qui soulignaient les problèmes de responsabilité. Le CIO a été à la source des tests hors compétition, pratique initiée dès 1983 par la FISA. Il avait aussi eu l'idée d'une commission mixte associant autorités publiques et mouvement sportif, préfiguration de l'agence mondiale antidopage (AMA). Je cite souvent Alexandre de Merode car il a été mon mentor. La commission médicale qu'il présidait, dont Jacques Rogge était vice-président, était très unie et n'a jamais eu peur de rien. Ainsi, en 1988, le prince n'a pas hésité à présenter au président Samaranch les résultats du contrôle positif de Ben Johnson, l'athlète le plus célèbre au monde, aligné sur l'épreuve mythique des Jeux. Les attaques ont fusé, on est allé jusqu'à accuser le responsable de la station de contrôle au stade d'avoir favorisé la présence de personnes étrangères qui auraient pu modifier les échantillons...
La commission médicale a poursuivi parallèlement ses recherches sur l'EPO et l'hormone de croissance, tous deux inscrits sur la liste des produits dopants, mais que nous ne savions pas détecter. Avec l'aide de l'Union européenne, nous avons mis en place en 2000 un programme pour isoler l'hormone de croissance par des méthodes indirectes, mais le procédé reste à perfectionner comme en témoignent quelques problèmes rencontrés récemment avec des skieurs estoniens. Quant à l'EPO, une semaine avant les Jeux de Sydney, la méthode de détection mise au point par le Docteur Lasne et le laboratoire Châtenay-Malabry a été validée, mais les Australiens, jaloux sans doute, ont entretenu la polémique et choisi de combiner la méthode « off », dite de screening, et la méthode Lasne.
Le scandale Festina lors du Tour de France en 1998 a marqué un tournant. Le CIO a perçu les limites de son action. Le mouvement sportif a pris conscience que le concours des pouvoirs publics, titulaires du pouvoir de d'investigation et de police par exemple, était indispensable. En 1999, l'AMA a été créée. Un code a été rédigé, héritier du code médical du CIO et du code antidopage du mouvement olympique. Depuis 2003, l'autorité du CIO en la matière se limite exclusivement aux événements dont il a la responsabilité : les JO d'été et d'hiver et les JO de la jeunesse.
En 2001, l'élection du président Rogge, partisan de la tolérance zéro, marque un nouveau tournant. Il nous a donné les moyens de nos ambitions. La commission médicale a été étoffée. Le mouvement olympique finance pour moitié l'AMA. Le nombre des tests a augmenté, tant hors compétition que pendant les Jeux : nous sommes compétents depuis l'ouverture du village jusqu'à la cérémonie de clôture, partout dans le monde, avec l'aide des agences nationales. Le CIO en a appelé aux fédérations internationales et aux comités olympiques nationaux pour multiplier les contrôles en amont des Jeux, afin d'empêcher les athlètes positifs de participer aux Jeux. Cela valait mieux que d'avoir à les exclure du village olympique comme, à Barcelone, ces deux haltérophiles britanniques, contrôlés positifs au clenbutérol. Je me souviens aussi de Salt Lake City, où des actions répréhensibles des Autrichiens avaient été mises à jour. Et à Turin, il fallut recourir aux carabiniers, pour entrer dans les logements des sportifs, ce que nos officiers de contrôle n'avaient pas le droit de faire : à la suite des carabiniers, ils ont pu rencontrer les athlètes visés et les persuader de se rendre à la station de contrôle de Sestrières.
Lorsque M. Lundqvist a été nommé à la présidence de la commission médicale, il a fait bénéficier le CIO de sa grande expérience au sein de l'IAAF.
Ainsi, depuis que je suis tombé dans la marmite de la lutte antidopage, la soupe a continué à cuire mais un temps de cuisson supplémentaire est nécessaire pour obtenir un velouté parfait. Nous pouvons progresser encore dans l'harmonisation - qui n'est pas l'unification des règles. Le système de localisation doit être maintenu mais mieux expliqué aux sportifs, afin de ne pas apparaître comme une brimade. L'introduction du passeport biologique est susceptible de diminuer cette contrainte. Les programmes de l'AMA et ceux de certaines grandes fédérations sont excellents mais une harmonisation est souhaitable, pour éviter les doublons. Le réseau UNESCO pourrait être mieux utilisé, afin d'éviter la multiplication des réseaux et mieux faire passer les messages.
Cessons la course à la performance et recommençons à nous réjouir du beau mouvement, du beau geste sportif. Chacun est concerné car si dans les meetings, des records ne sont pas battus, nous sommes toujours un peu déçus. Notre devise n'est-elle pas « Citius, altius, fortius », « toujours plus haut, plus fort, plus vite » ?
Il faut enfin mieux cibler l'entourage de l'athlète, à l'heure où le dopage devient de plus en plus sophistiqué. Seuls quelques lampistes maladroits se font prendre dans les mailles des contrôles. Les vieilles substances n'ont pas perdu de leur efficacité et il faut continuer de les traquer, mais cela ne suffit plus.
La multiplication des événements entraîne une surcharge du calendrier, une baisse du temps de récupération et favorise donc le dopage. Nous gagnons bataille après bataille. Que de progrès accomplis depuis les débuts ! En 1966, nous ne détections que 4 à 5 % des substances, contre 97 ou 98 % aujourd'hui. Pourtant les résultats ne sont pas à la hauteur des attentes et des moyens engagés : seuls 1 à 2 % des contrôles sont positifs. Pas de quoi pavoiser. Mais la tricherie fait partie de la nature humaine, depuis Adam qui le premier saisit la pomme interdite... Notre but est simplement d'organiser des événements sportifs propres.
Quels sont les principaux enseignements que vous avez tirés de votre expérience, concernant l'ampleur du dopage et les moyens engagés pour combattre ce fléau ?
Cette expérience a été fabuleuse, une des plus extraordinaires que j'ai vécues comme médecin, dans un milieu que je ne connaissais pas. J'ai quitté mes fonctions, atteint par la limite d'âge, le 31 décembre 2012.
Jusqu'en 2001, nos moyens n'étaient pas à la hauteur de nos ambitions, en dépit des efforts du prince de Merode. L'arrivée de Jacques Rogge en 2001 a tout changé. Nous avons pu mettre en place les dispositifs que nous souhaitions au moment des Jeux, multiplié les tests, notamment hors compétition - même s'il apparaît aujourd'hui que la qualité des contrôles est à privilégier par rapport à la quantité. Nous sommes sur la bonne voie.
Avez-vous la conviction que la majorité des médailles d'or aux Jeux ont été obtenues sans dopage ?
Oui. Je ne partage pas le discours de ceux qui prétendent que tous les sportifs sont dopés. Je ne suis pas naïf. La proportion des dopés est supérieure à celle des contrôles positifs (1 à 2 %) ; sans doute les tricheurs représentent-ils 7 à 8 % des sportifs. Mais j'ai l'intime conviction que la grande majorité des médaillés d'or sont propres.
Comment fonctionne la commission médicale du CIO ? Quelles ont été ses principales initiatives, notamment entre les Jeux de Pékin et de Londres ?
La compétence du CIO est limitée aux Jeux olympiques. Entre les Jeux de Pékin et de Londres, la commission médicale a proposé au président d'augmenter la proportion de tests hors compétition. En compétition seuls les trois premiers d'une épreuve sont contrôlés - cinq à présent, car si une médaille devait être retirée, autant vérifier qu'on ne la donne pas à un autre sportif dopé.
Nous avons considérablement diminué les contrôles aléatoires au profit de tests avant compétition et surtout, ciblés grâce au travail d'intelligence. A Londres, sur les neuf cas positifs détectés, cinq l'ont été grâce au renseignement. Avant ces Jeux nous avions appelé les mouvements olympiques nationaux à tester la majorité des athlètes : en amont, un certain nombre d'athlètes ont été écartés. Au sein du CIO, le rôle d'aiguillon de la commission médicale a été utile.
A Londres, environ 5 000.
Ce ratio donne-t-il une image fidèle de la proportion de sportifs dopés ?
En tout cas nous nous donnons les moyens pour éliminer la tricherie. Le CIO a été la première institution, depuis Pékin, à conserver les échantillons pendant huit ans pour pouvoir éventuellement refaire les tests à mesure des avancées scientifiques. C'est un succès, terni hélas par certaines décisions du Tribunal arbitral du sport.
Avez-vous subi des pressions de certains pays pour limiter les contrôles ou ne pas sanctionner un sportif ?
Jamais. Le CIO a la mainmise sur le contrôle antidopage à l'occasion des Jeux. Il décide du nombre de contrôles, en particulier des tests préalables à la compétition. Nous avons mis en place une task force qui a les pleins pouvoirs en matière de tests.
La lutte antidopage s'apparente à la lutte contre les drogues. Elle ne sera efficace que si elle s'appuie sur un réseau de renseignement, ou d'informateurs. L'AMA doit se doter d'une cellule de renseignement, sur le modèle de l'agence britannique, mais à un niveau mondial. Elle serait chargée de mieux cibler les contrôles en recoupant les informations sur les athlètes. Le dopage constitue la face visible d'un monde interlope qui trouve là, non pas auprès des 15 000 meilleurs mondiaux, mais au niveau intermédiaire, une formidable source de revenus, avec des risques minimes car les sanctions encourues restent bien inférieures à celles qui frappent le trafic de stupéfiants.
Pourquoi les gens se dopent-ils ? Le dopage ne concerne pas seulement le haut niveau, il existe même parmi les cyclistes du dimanche au bois de Boulogne...
En effet. Je ne voulais stigmatiser aucune discipline. Je pratique moi-même le vélo à Longchamp !
Quelles sont les principales modifications que vous souhaiteriez apporter au nouveau code mondial antidopage qui entrera en vigueur en 2015 ?
La rédaction est en cours. Il faut rendre les sanctions plus flexibles. L'unification n'est pas une bonne piste. Une suspension de deux ans n'a pas les mêmes conséquences en équitation, où la carrière peut s'étaler sur plusieurs dizaines d'années - souvenez-vous de ce cavalier japonais à Londres, qui avait soixante ans - et en athlétisme où la pratique de haut niveau se limite à quelques années.
Il faut créer une cellule de renseignement mondiale.
Egalement replaçons les athlètes au coeur du dispositif et écoutons-les. En particulier l'AMA pourrait plus largement associer ceux qui, ayant terminé leur carrière sportive, ont acquis d'autres compétences professionnelles.
En revanche, changer les critères n'est pas une bonne idée. L'amélioration de la performance n'est pas le seul signal. Rien ne prouve que le THG, par exemple, contribue à augmenter les performances. Soyons prudents.
La suppression d'une nouvelle classe de substances incluant le cannabis et la cocaïne n'était basée sur aucune raison valable. La hausse du seuil de 15 à 150 pour le cannabis était une décision politique, non scientifique. On a avancé la nécessité de ne pas incriminer l'inhalation passive...
Les dernières décisions du bureau de l'AMA vont dans le bon sens. Ne cherchons pas à unifier mais harmonisons.
Les pourvoyeurs de produits dopants sont assimilés à des trafiquants de drogue. La peine est accrue si le trafic a lieu en bande organisée ou s'il est destiné à des mineurs. Les sportifs en revanche ne sont passibles d'aucune sanction pénale s'ils ne font pas de trafic.
Si l'on se contente des contrôles lors des épreuves, seuls les petits tricheurs seront attrapés. Plus précisément, les moins futés et les moins riches...
Quelle appréciation portez-vous sur le passeport biologique, sur le profil longitudinal, sur les contrôles inopinés ?
Enfin quid des autorisations d'usage à des fins thérapeutiques (AUT) ?
Le profil longitudinal, le passeport biologique permettent de dresser un profil individuel de performance. Le passeport biologique a servi de base à plusieurs sanctions. Le passeport hématologique existe déjà. Le passeport stéroïdien devrait être opérationnel à la fin de l'année, mais il ne sera sans doute pas utilisé à Sotchi car les Jeux ne constituent pas un lieu d'expérimentation adéquat, comme l'ont montré les difficultés rencontrées à Atlanta avec la haute résolution, les dissensions à Sydney au sujet de l'EPO, ou l'utilisation à Athènes de tests sanguins selon une méthode pas encore totalement validée. Enfin il existe le passeport endocrinien. Le passeport biologique sous toutes ses formes constitue la voie de l'avenir, celle du ciblage.
Concernant les autorisations d'usage à des fins thérapeutiques, j'ai plaidé pour le maintien des gluco-corticostéroïdes sur la liste de produits dopants. Les tricheurs y ont recours. Une certaine souplesse prévaut actuellement mais la frontière est ténue entre une injection articulaire, autorisée, et une injection intra-musculaire. Les agences, les mouvements nationaux, les fédérations doivent faire preuve de vigilance et diffuser des guides de bonnes pratiques concernant les AUT. Il revient aux agences nationales d'être plus sévères sur ce chapitre, puisque ce sont elles qui gèrent les autorisations. Les AUT ne sont parfois qu'un paravent à une consommation de substances prohibées.
Quelle est l'étendue du recours au dopage dans le golf ? S'agit-il d'un sport à risque ? La détection est-elle aisée ?
Je suis à présent directeur médical de la fédération internationale de golf. Cette discipline n'est pas touchée par le dopage, même si Vijay Singh a utilisé un spray à base de corne d'antilope contenant de l'IGF-1, précurseur de l'insuline. Il y a deux semaines, nous avons réuni les représentants des tours professionnels en vue de l'entrée du golf aux JO en 2016. Il s'avère que dans tous les grands tournois, des contrôles antidopage sont déjà pratiqués. Les résultats positifs sont peu nombreux, mais le golf n'est pas à l'abri.
Quels sont les produits dopants susceptibles d'être utilisés dans le golf ?
Les bêta-bloquants. Ils abaissent le rythme cardiaque et limitent donc les tremblements, ce qui peut être une aide précieuse dans le petit jeu, le putting. L'interdiction des belly putters à partir de l'an prochain pourrait accroître les risques.
Comment se présente votre candidature à la présidence de l'AMA ? Affrontez-vous une opposition anglo-saxonne structurée ?
Il n'y a pas vraiment de campagne. La présidence de l'AMA tourne, entre les autorités publiques et le mouvement sportif. Le mouvement sportif décidera bientôt qui il choisit pour le représenter durant les six années à venir. J'ai été approché par certaines fédérations et je me suis lancé. Le vice-président du CIO, Sir Craig Reedie, a également fait part de son intérêt. À Saint-Pétersbourg, à SportAccord, j'ai pris des contacts et expliqué les raisons de ma candidature. Je suis déjà bien occupé. Je ne brigue rien. Ma candidature s'appuie sur mon expérience et la recherche du consensus.
Je suis de nature optimiste.
Quid des anomalies génétiques ? Aux JO de Londres une athlète femme a été identifiée comme homme.
L'article de l'équipe du professeur Charles Sultan n'a pas de fondements. Les auteurs n'avaient aucune connaissance des identités. Ils ne pouvaient savoir s'il s'agissait d'athlètes ayant participé aux Jeux. Certes, des cas sont apparus comme aux championnats du monde d'athlétisme de Berlin, où ils avaient défrayé la chronique. Il m'est difficile de répondre précisément car je suis tenu au devoir de réserve médical. Les problèmes en matière de dimorphisme existent, mais sont très rares. Les années soixante-dix ayant donné lieu à de nombreux abus, à partir de 1992, le caryotype des femmes a été systématiquement analysé. Les athlètes ont demandé l'arrêt de ces tests, arguant que les méthodes n'étaient pas fiables. Depuis, nous avons mis en place un nouveau processus. Il ne s'agit pas de tricherie mais de méconnaissance. Dans un certain nombre de pays, il n'y a pas de détection. Notre intervention est dans l'intérêt des femmes, pour prévenir une cancérisation de ces anomalies sexuelles.
Quel est le rôle du mouvement sportif dans la lutte contre le dopage ? Les fédérations sont-elles juge et partie ? Doivent-elles rester à l'écart ?
Non. Les fédérations ont une connaissance fine de leur sport. Créons plutôt des commissions antidopage indépendantes en leur sein. Retirer aux fédérations leur pouvoir de sanction - pour le donner à qui ? - ne résoudrait rien.
La commission d'enquête sur l'efficacité de la lutte contre le dopage a été constituée à l'initiative du groupe socialiste.
Une commission d'enquête fait l'objet d'un encadrement juridique strict. Je signale au public présent que toute personne qui troublerait les débats serait exclue sur le champ. Je vous informe en outre qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Michel Vion et Mme Marie-Philippe Rousseaux-Blanchi prête serment.
Je vous laisse la parole afin que vous puissiez nous avancer des propositions se rapportant à cette enquête parlementaire. Nous échangerons ensuite sur votre expérience.
Merci pour votre présence.
Je souhaite donner quelques informations sur notre fédération. La FFS regroupe 140 000 licenciés, 17 comités régionaux et 1 100 clubs. 35 à 38 000 de nos licenciés exercent en compétition. Il s'agit d'un nombre important. Nous gérons sept disciplines olympiques et 200 athlètes en équipe de France. Contrairement à d'autres fédérations, nous gérons nos équipes de France à l'année, soit pendant 220 à 230 jours effectifs. Ce point me paraît important car il permet un suivi et un contrôle particuliers. La fédération de ski est l'une des plus pourvoyeuses de médailles dans les compétitions internationales. Nous nous devons d'être bien organisés, sur les plans médicaux et logistiques.
Certaines des disciplines que nous gérons, telles que le ski de fond ou le biathlon, sont des disciplines d'endurance. Le dopage nous concerne donc directement. Une autre de nos particularités tient dans notre affiliation à deux fédérations internationales : la fédération internationale de ski (FIS) et l'union internationale de biathlon (UIB). Nous collaborons régulièrement avec ces deux fédérations dont les règles et le fonctionnement rejoignent les nôtres.
Il convient par ailleurs de noter l'importance du contexte économique. L'économie de la montagne, et du ski en particulier, génère un important chiffre d'affaires et d'emplois. Nous bénéficions de surcroît de l'attention des médias du 15 décembre au 15 février. Être un sport régional et saisonnier comporte des avantages et des inconvénients.
Je passe la parole à Marie-Philippe Rousseaux-Blanchi, médecin fédéral.
Je vous remercie d'accueillir les fédérations lors de ces commissions d'enquêtes.
La fédération française de ski dispose d'une partie purement administrative qui gère les groupes cibles. Au départ, cette gestion reposait entièrement sur le médical mais une gestion administrative nous est apparue nécessaire. Un adjoint du directeur technique national (DTN) gère par ailleurs la lutte contre le dopage, aidé par une assistante chargée des relations avec les fédérations internationales. Le système en place permet d'assister les athlètes dans la gestion de leur localisation et l'utilisation du logiciel ADAMS. Nous relançons également nos athlètes lorsque la fédération internationale attend des données sur leur situation. La liste des avertissements diminue significativement depuis 2010.
Nous travaillons avec deux fédérations internationales et l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD). Chaque entité requiert un groupe cible. Certaines personnes comprennent mal qu'autant de groupes existent. En dehors des contraintes horaires dont les athlètes se plaignent parfois, tout le monde s'accorde sur la pertinence du système ADAMS, impliquant une localisation d'une heure par jour. Les athlètes comprennent cette nécessité. L'adjoint du DTN, associé à l'assistante du bureau médical de la FFS, gère les demandes de contrôles antidopage. Les résultats, confidentiels, sont confiés au bureau médical. Nous ne disposons d'aucune information concernant les contrôles diligentés par les fédérations internationales.
La FIS et l'UIB gèrent les passeports biologiques. Les contrôles diligentés par l'AFLD, les directions régionales et la FFS, sont essentiellement réalisés pendant les championnats de France. Des contrôles urinaires et sanguins demandés par l'AFLD ou les directions régionales de la jeunesse, du sport et de la cohésion sociale peuvent se produire hors compétition. Je pense que les contrôles antidopage dans les compétitions régionales sont une perte de temps. Certains sportifs peuvent être contrôlés positifs au cannabis mais ils n'appartiennent pas au circuit et nous sont inconnus. Cette cellule antidopage forme également les chaperons et explique leur rôle, ainsi que celui des délégués fédéraux.
Le nombre de contrôles antidopage augmente lors des années préolympiques. Depuis 2010, les cas positifs représentent 1 à 2 % des contrôles et relèvent essentiellement d'une consommation de cannabis. Le directeur administratif de la fédération gère les dossiers des cas positifs et organise les convocations des sportifs au sein des commissions disciplinaires antidopage de la fédération. Ces commissions, de première et deuxième instances, ont peu de travail au sein de notre fédération. Cependant, nous estimons que trop de cas sont rejugés par l'AFLD, remettant en question l'intérêt des commissions disciplinaires fédérales.
Il s'agit d'un point important sur lequel je souhaiterais revenir par la suite.
Le deuxième aspect de la lutte antidopage au sein de notre fédération tient dans la prévention. Celle-ci s'organise autour et par le suivi médical. Nos athlètes s'entraînent ensemble tout au long de l'année, principalement dans deux départements. Cette organisation facilite le suivi médical réglementaire organisé par le médecin de la fédération. La surveillance s'appuie sur sept plateaux techniques, dont deux principaux à Albertville et Prémanon, qui regroupent cinq sixièmes des athlètes, et une douzaine de laboratoires d'analyses dont deux essentiels dans ces mêmes villes. L'organisation du suivi se retrouve simplifiée et améliorée par cette structure.
Le logiciel Team Santé et son pendant progiciel nous aident dans cette surveillance médicale réglementaire. Ils permettent d'une part d'obtenir les données statistiques demandées par le ministère dans le cadre de la convention d'objectifs, et d'autre part d'assurer un suivi longitudinal et optimal des athlètes.
Nous disposons au sein de la fédération d'un médecin chargé de la surveillance médicale réglementaire, d'un médecin fédéral, de médecins des structures et de médecins des équipes nationales et des pôles. En discutant avec mes confrères médecins fédéraux, je m'aperçois que nous ressentons moins le besoin de différencier la médecine d'expertise et la médecine du suivi car la proximité permet un suivi médical optimal et une confiance réciproque entre le médecin et l'athlète.
Nous menons un grand chantier dans le cadre de la prévention contre le dopage. Depuis l'année dernière, nous travaillons à un projet de prévention des conduites dopantes. Ce projet prend sa source avec le développement de la consommation de chique au sein des équipes de France et du monde du ski.
Je ne sais si tout le monde sait ce qu'est la chique. Il s'agit de tabac à priser. Depuis une vingtaine d'années, nombre de nos athlètes, y compris parmi nos leaders, en sont utilisateurs.
La chique ne figure pas sur la liste des substances interdites mais elle a des effets relaxants et stimulants. La nicotine fait partie du programme de surveillance de l'Agence mondiale antidopage (AMA) depuis un an pour ces doubles effets. La chique provient des pays scandinaves. Elle entraîne des décharges très importantes de nicotine et entraîne une dépendance majeure sur les athlètes. Ce dernier point nous pousse à agir. Le projet de prévention s'établit entre notre fédération et le rectorat de l'académie de Grenoble.
La consommation de la chique reflète parfaitement la pratique dopante. Nous mettons en place une campagne de prévention à destination de l'ensemble des structures, des équipes aux collèges, en passant par les pôles. Ce chantier devrait s'étaler sur deux ou trois ans. Ces programmes permettent de discuter et de prendre conscience de nos valeurs et de la nécessité de lutter contre le dopage.
Ce programme a fait l'objet d'une importante opération fédérale. Il me semble exemplaire à bien des égards. Nous avons notamment communiqué dans des journaux locaux et des magazines spécialisés afin de prévenir l'entourage des jeunes que le simple fait de mettre du tabac sous sa lèvre était une conduite incorrecte.
Je reviens sur cette chique car vous êtes les premiers intervenants à nous en faire mention. Vous gérez sept disciplines olympiques ; sont-elles toutes touchées par ce phénomène ?
Cette pratique se retrouve essentiellement dans le ski alpin et le biathlon.
Pratiquement toutes nos disciplines sont touchées mais le ski alpin, le ski cross et biathlon sont particulièrement concernés. Nous établissons un lien entre le stress et la consommation. Ces disciplines génèrent plus de stress car elles impliquent de la vitesse ou, dans le cas du biathlon, l'appréhension du tir. Les fondeurs sont moins touchés.
Existe-t-il des similitudes entre la chique et la coca utilisée en altitude ?
Je pense que la coca a des vertus beaucoup plus stimulantes tandis que les athlètes recherchent davantage les effets relaxants de la chique.
La chique vient des pays scandinaves où elle est en vente libre dans tous les magasins de tabac. En France, sa consommation remonte à une vingtaine d'années. D'abord utilisée par les grands athlètes, la chique se répand parmi les jeunes. Nous voulons fermement mettre fin à cette habitude.
Monsieur le président, vous avez été un champion de ski. Avez-vous été personnellement informé sur ces questions liées au dopage ? Avez-vous soupçonné vos concurrents de s'être dopés ?
J'ai été un champion de ski il y a plus de trente ans. Étonnamment, peut-être naïvement, nous ne soupçonnions pas les athlètes. Nous avions toutefois des doutes concernant les athlètes russes. Nous suspections d'autres sport mais pas le nôtre. Nous essayions de tricher mais pas en nous dopant, davantage en imperméabilisant les tissus. Encore une fois, ces pratiques datent de trente ans. Sans remonter aussi loin, j'ai été directeur de la fédération durant une dizaine d'années puis DTN. Dans les années 90, la suspicion était très claire. Lors de championnat du monde de ski nordique en Finlande, je voyais passer des athlètes au cou rouge et bavant, prêts à exploser. Ils remportaient la course avec trois minutes d'avance sur leurs concurrents. En débriefant, nous nous accordions pour dire que nous n'appartenions pas à la même catégorie. Deux mois plus tard, toute l'équipe finlandaise - les athlètes, les dirigeants, les entraîneurs et les médecins - a été disqualifiée.
Sur le terrain les comportements suspects sont facilement détectables. J'ai tendance à ne pas croire un entraîneur qui prétend ne rien déceler.
Vos affirmations remontent aux années 90. Selon vous, ces pratiques existent-elles toujours ? Ce sont-elles amplifiées ?
Mes fonctions ayant évolué, je passe moins de temps sur le terrain. J'ai tout de même l'impression que des défaillances apparaissent chez les athlètes, lesquels peuvent réaliser de bonnes performances un jour et des moins bonnes le lendemain. Il existe encore des écarts, et nous le voyons généralement après coup, mais sur l'ensemble des sports, ces pratiques semblent s'être largement stabilisées.
Comment constituez-vous vos groupes cibles ? Quels moyens financiers y consacrez-vous ?
Les groupes cibles sont constitués par les fédérations internationales et l'AFLD. Le groupe cible de l'Agence française compte dix athlètes, exclusivement en ski nordique. Sept athlètes composent celui de l'UIB. Enfin, le groupe cible de la FIS regroupent quatorze athlètes en ski alpin, neuf en ski nordique, un en freestyle et quatre en snowboard. Ces compositions s'effectuent en fonction du classement mondial des athlètes.
Les groupes cibles répertorient effectivement les meilleurs athlètes de chaque discipline. Les leaders mondiaux subissent très régulièrement des contrôles. Je ne pourrais dire si cette répartition est, ou non, une bonne chose. Martin Fourcade a par exemple été contrôlé près de 25 fois en quatre mois.
Les différentes instances concernées ne consultent pas la FFS pour la définition de ces groupes ?
Les fédérations internationales ne consultent pas mais établissent un règlement clair. Ainsi, les meilleurs athlètes mondiaux de chaque discipline appartiennent à un groupe cible. En ski alpin, les 50 premiers au classement sont concernés. Dans d'autres disciplines telles que le snowboard, les 20 meilleurs le sont.
Je souhaite m'adresser à Mme Rousseaux-Blanchi. Les sportifs boivent peu afin de limiter leurs arrêts mais lors des contrôles antidopage, leurs urines sont très claires. Pourquoi n'est-ce pas l'inverse ?
Les urines des athlètes sont diluées car en arrivant au contrôle antidopage, ils boivent beaucoup afin d'uriner plus vite.
Comment échangez-vous avec les fédérations internationales ou l'AFLD sur les résultats de ces contrôles ?
La présence au sein des fédérations d'une personne en charge d'un dossier précis permet d'optimiser ces échanges. Elle aide également les athlètes dans la gestion de leurs contrôles. À la fin de chaque saison, la FIS nous transmet les résultats du passeport biologique des athlètes du groupe cible. En dehors de ces données, nous ne sommes avertis qu'en cas de contrôle positif.
N'être averti qu'en cas de dopage me semble un gage de transparence. En tant que membre du conseil de la FIS, je ne suis averti qu'en même temps que la FFS.
Les saisons sont relativement courtes dans vos disciplines. Cela laisse une période importante sans compétition et consacrée à l'entraînement. Comment contrôlez-vous les athlètes dans ces moments ? Disposez-vous d'informations sur le lieu et le cadre de leur entraînement ? Des contrôles sont-ils organisés hors compétition ?
Vous n'étiez pas là en début d'audition, monsieur le président, mais j'expliquais que nos athlètes étaient sous notre contrôle durant environ 240 jours par an. Tous les stages sont organisés par la fédération, ne laissant jamais les athlètes livrés à eux-mêmes, comme cela peut-être le cas dans d'autres sports. Ce fonctionnement n'empêche pas toute dérive mais simplifie l'aspect logistique. Je passe la parole à Marie-Philippe pour évoquer le suivi médical réglementaire.
Comme je le disais, nous organisons la surveillance médicale réglementaire, en particulier celle des équipes de France, autour de deux structures. Les athlètes se retrouvent en stage au même endroit, notamment à Albertville, et sont vus régulièrement par les médecins. Ces derniers s'appuient sur les bilans organisés dans le cadre de la surveillance réglementaire. Des contrôles biologiques sont régulièrement organisés avec les préparateurs physiques afin de déterminer s'il n'y a pas de prise de poids importante en quelques mois. Il s'agit d'une surveillance indirecte du dopage mais très efficace. La surveillance biologique organisée dans notre fédération va au-delà de ce que la loi antidopage demande car les préparateurs physiques sont soucieux de l'entraînement des athlètes. Quatre fois par an, nous vérifions que les courbes d'hémoglobine ou de transaminase sont cohérentes au fil du temps. Les médecins des équipes organisent ce suivi, sous mon contrôle. Nous pouvons plus aisément suivre nos athlètes que d'autres fédérations. Je l'ai constaté lors des Jeux olympiques de Londres. En athlétisme, les médecins ne connaissent les athlètes sélectionnés qu'au dernier moment.
Nos athlètes sont suivis par deux médecins au maximum, leur médecin personnel et celui de la fédération.
Docteur, vous nous avez dit que le nombre d'avertissements a diminué depuis 2010. Quelles sont les raisons de cette baisse ? Quelles sont les disciplines les plus concernées ? Mes questions s'appliquent également aux cas impliquant du cannabis. La FIS gère les passeports biologiques ; une coordination ne pourrait-elle pas être mise en place pour améliorer l'efficacité du système ? Enfin, existe-t-il des moyens de prévention dans les sections de sport études ?
La diminution des avertissements s'explique à la fois par la prise de conscience des sportifs et les nombreuses relances de la part de la personne en charge à la fédération. Les mails envoyés aux athlètes sont explicites. Nous insistons également sur les risques inhérents à une prise de produits dopants.
Les rappels sont nombreux pour éviter les manquements aux exigences de localisation. Ce point constitue un réel souci de logistique. Les athlètes insistent sur cette complexité. J'ai lu le rapport de Martin Fourcade, qui demande des moyens techniques afin de se localiser via un téléphone portable ou une tablette numérique.
Connaissez-vous des cas de « no show » ? Comment l'athlète justifie-t-il son absence au contrôle ?
Il arrive que l'athlète oublie de prévenir d'une modification de son emploi du temps. Cette localisation reste compliquée. Martin Fourcade reconnaît la nécessité de ces contrôles mais pointe la lourdeur de la contrainte horaire. Il ne s'agit pas de mauvaise volonté.
Comment pourrait-on rendre les contrôles inopinés plus supportables pour les athlètes ?
Le système s'améliore. En effet, les premières années, les athlètes devaient détailler leur emploi du temps heure par heure. Je rejoins Michel Vion sur le besoin de simplifier la géolocalisation, avec une application sur les téléphones portables.
Alexis Boeuf, l'un de nos meilleurs biathlètes, appartient aux groupes cibles de l'AFLD et de l'UIB. Répondre aux exigences respectives de l'une et l'autre prend du temps. Deux ou trois athlètes ont d'ailleurs été lourdement sanctionnés pour manquement aux règles de localisation. Je pense que nos skieurs ont compris la nécessité de réaliser des efforts.
Je reviens à votre question sur le cannabis, majoritairement impliqué. Nous déplorons deux à trois cas positifs par an au sein de notre fédération. Ils surviennent lors de compétitions régionales, loin du haut niveau, et souvent dans des disciplines dites de « nouvelles glisses », telles que le ski freestyle ou le snowboard. Je ne les attaque pas mais leur relation au cannabis diffère de celle que l'on retrouve dans d'autres disciplines.
Non, les personnes concernées varient. Encore une fois, nous ne connaissons ni la course, ni l'athlète. Nous instruisons ces dossiers. Nous pouvons d'ailleurs évoquer un problème avec l'AFLD. Nous ne rencontrons pas de problème avec cette instance mais nous réalisons le même travail. Conformément à ses statuts, la fédération convoque les commissions de discipline pour statuer sur les cas positifs. Ces athlètes sont souvent des jeunes de 16 à 20 ans pour lesquels nous recherchons des sanctions constructives telles que des peines d'intérêt général. Systématiquement, nous sommes « déjugées » par l'AFLD qui se saisit du dossier et inflige une sanction différente. Il ne s'agit pas d'une critique mais bien d'une constatation. Je plaide dès lors pour une harmonisation des sanctions. Si nous établissons que la décision finale revient à l'AFLD, nous n'avons plus à nous réunir en première instance. Aujourd'hui, nos décisions ne sont pas suivies, ce qui décourage nos bénévoles et engendre une perte de temps, d'argent et d'énergie pour des cas isolés. Je suis ferme sur ce point car je rencontre ces problèmes depuis trois ans que j'occupe ces fonctions. En déterminant que l'AFLD prend seule les décisions, les sanctions sont harmonisées entre les disciplines.
Aujourd'hui, nous voyons que les cas de dopage les plus graves sont suspendus pour deux ans. Ces sanctions ne me semblent plus adaptées. Auparavant, nous arrêtions nos carrières sportives à 26 ans ; aujourd'hui les athlètes poursuivent jusqu'à 35 ans dans les disciplines d'endurances. Deux années dans une carrière de 15 ans me paraissent faibles. Cette remarque n'engage pas ma fédération mais représente mon avis personnel.
Vous proposez d'harmoniser les sanctions, définies par l'AFLD, entre les disciplines. Les autres fédérations sont-elles sur la même ligne ?
Je parle régulièrement avec certains de mes camarades présidents. Pour autant, je ne sais pas si toutes les disciplines trouveront un intérêt à cette uniformisation. Quand un athlète de 17 ans est contrôlé positif au cannabis dans une compétition régionale, nous lui infligeons une sanction pédagogique. Nous ne savons pas s'il atteindra le haut niveau. Nous voulons une peine exemplaire qui serve également son entourage. Plus tard, nous apprenons que l'AFLD le suspend pour quatre mois, de juin à octobre. L'uniformisation doit être intelligente. Nous appliquons la sanction de l'AFLD mais je ne trouve pas cela cohérent. Encore une fois, je ne critique pas le travail de l'agence mais je déplore le temps passé sur ces dossiers.
Coordonnez-vous vos actions de lutte contre le dopage avec les fédérations étrangères de ski ?
Nous parlons de nos actions entre fédérations. En tant que médecins fédéraux, nous sommes tous tournés vers la lutte contre le dopage et reconnaissons l'importance de l'assurance médicale réglementaire en place depuis 1999. Elle constitue notre cheval de bataille. Nous avons été dessaisis par les fédérations internationales de l'organisation des contrôles lors des compétitions. Nous discutons donc peu de ce thème. Nous échangeons cependant sur le passeport biologique ou les taux d'hémoglobines.
Je tiens à rappeler que la FFS a été pionnière pour démontrer que nos athlètes étaient souvent avantagés par le gène de l'hémochromatose. Nous avons pu travailler conjointement avec d'autres fédérations de ski pour démontrer qu'il s'agissait d'un « gène de la performance ». Nous craignions toutefois que le passeport biologique ne prenne pas en compte ces taux naturellement plus élevés. Nous ne sommes pas égaux. Au départ, la FIS acceptait nos dossiers lorsque nous apportions la preuve tangible d'un suivi par un hématologue. La FIS apparaît comme un modèle dans la lutte antidopage, toutefois l'examen de ces dossiers d'hémoglobines relevait non pas d'un comité d'experts, mais d'une personne qui fixait le taux maximum toléré via un calcul aléatoire. Lorsque les valeurs récoltées ont suffi à fiabiliser le calcul et le passeport biologique, ces dossiers ont disparu. Depuis un an que ce fonctionnement existe, nous n'avons rencontré aucun problème chez nos athlètes.
Nous sommes concurrents avec nos voisins donc nous nous observons mutuellement. Il existe cependant, au sein de la FIS et de l'UIB, des commissions médicales dans lesquelles chaque pays est représenté. Nous échangeons mais sur des sujets généraux.
M. Vion vient de répondre partiellement à ma question. Existe-t-il des échanges avec les fédérations étrangères ? Nous voyons que dans certaines disciplines, certains pays sont plus laxistes. Une unité me semble nécessaire.
Je vais répondre politiquement. Nous échangeons dans les réunions générales mais ne partageons pas nos expériences en tant que telles. Nous cherchons à améliorer le système. Cependant, il me semble nécessaire en France de discuter davantage avec d'autres fédérations, notamment du dopage. J'évoque souvent le besoin d'une cellule d'expertise sur le fonctionnement des autres fédérations et leurs systèmes de contrôles. Le système de la FFS fonctionne correctement mais une cellule d'experts nous permettrait de comparer et d'obtenir l'aide nécessaire à notre amélioration. Il ne s'agit pas seulement de dopage. Il existait autrefois une cellule de préparation préolympique mais elle n'existe plus.
Je vous remercie monsieur le président. Vous pouvez, si vous le souhaitez, conclure cette audition.
Je conclurai en remerciant cette commission et en vous remerciant, monsieur le président. Il est intéressant pour nous de donner notre avis, d'expliquer notre fonctionnement et éventuellement, de participer à votre travail. Je pense que beaucoup de personnes sont pleines de bonne volonté et d'idées mais au bout du compte, nous sommes tous dispersés. La France dispose d'une excellente image en termes de lutte contre le dopage. Nous gagnerions à être plus solidaires.
Nous vous remercions sincèrement, docteur, et vous monsieur le président, pour votre venue.
Mes chers collègues, nous accueillons M. Daniel Delegove. La commission d'enquête sur l'efficacité de la lutte contre le dopage a été constituée à l'initiative du groupe socialiste, en particulier de M. Jean-Jacques Lozach, notre rapporteur.
Une commission d'enquête fait l'objet d'un encadrement juridique strict. Je signale au public présent que toute personne qui troublerait les débats serait exclue sur le champ. Je vous informe en outre qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Daniel Delegove prête serment.
Monsieur le président, nous souhaiterions que vous nous fassiez part de votre conception de la lutte contre le dopage. À la suite de votre intervention, Jean-Jacques Lozach, notre rapporteur, ainsi que les membres de la commission vous poseront quelques questions.
Me retrouver devant la représentation nationale m'honore. Je suis conscient de la solennité de cette commission. Le plaisir de m'exprimer devant vous m'a permis de surmonter la surprise de votre demande d'audition.
J'ai acquis une certaine connaissance du dopage dans le cyclisme sur route, au hasard d'une carrière, lors de la présidence de l'affaire Festina en 2000. Je me suis immergé dans les 17 tomes du dossier. Il m'a été demandé d'analyser le rapport de l'Agence américaine antidopage (USADA), à la lumière de mon expérience. Cette lecture n'a pas été fastidieuse. J'ai pu mesurer la continuité des leçons que j'ai tirées de l'affaire Festina et de la décennie qui a suivi.
Les années 90 et 2000 marquent une rupture par rapport à l'ère ancienne de l'histoire de ce sport. Je constate tout d'abord, et je détaillerai ce point par la suite, que nous sommes passés à un nouveau dopage. J'évoquerai ensuite succinctement la connaissance de ce dopage acquise par les instances du cyclisme et l'usage qu'elles en ont fait. Ma troisième série d'observations, plus prospective, portera sur les leçons que nous pouvons tirer des affaires judiciaires et des investigations de l'USADA pour se donner les moyens de lutter contre le dopage.
Connaître la nature du dopage et de ses effets me paraît essentiel. Si le problème reste bénin, il n'est pas utile de s'employer à vouloir le régler. Si le mal devient profond, ce que je crois, il faut le comprendre et rechercher les moyens de le résoudre. Le dopage que j'ai découvert fonctionne selon des programmes complexes, centrés sur le recours à des hormones peptidiques issues du génie génétique qui a artificiellement recréé deux substances, l'EPO et l'hormone de croissance. Le dopage moderne sollicite une dizaine d'autres produits.
Ces programmes débouchent sur ce que le professeur Jean-Paul Escande appelle la « surnaturation » des athlètes. Cette surnaturation a pour effets, outre des risques sanitaires extrêmement sérieux, d'aboutir à une tricherie massive. Lors des vingt dernières années, au moins jusqu'à la fin de l'ère Armstrong, des compétitions ont été entachées de tricheries massives. Rétrospectivement, j'estime que jamais nous n'aurions dû écrire une ligne sur ces compétitions tant elles étaient infestées par la tromperie. Je m'expliquerai plus en détail sur ce point si vous me le demandez.
Une explication erronée laisse penser qu'un dopage généralisé permet de retrouver la hiérarchie des valeurs intrinsèques dans le classement. Je n'en crois rien. Ces programmes ne consistent plus à utiliser de la cortisone ou des amphétamines mais bien des molécules puissantes qui amènent le Professeur Jean-Paul Escande à tenir ces propos : « le dopage moderne consiste en l'utilisation simultanée de molécules surpuissantes à des doses inimaginables, données à des athlètes en plein effort et surentraînés. L'introduction de produits super-dopants tels que l'érythropoïétine, l'hormone de croissance ou les interleukines, autorise une véritable « surnaturation » du corps humain. Nous sommes dans une modification profonde, durable et pérenne du corps humain. Le dopage créé pour la santé, dans l'immédiat, à moyen et à long termes, des dégâts sans doute extrêmement graves. Le degré de probabilité de la réalisation de ces risques n'est pas connu faute de recul mais l'existence de ceux-ci paraît incontestable ».
Au-delà du grave risque sanitaire, les compétions se retrouvent donc complètement faussées par cette surnaturation. Les experts auditionnés lors de l'affaire Festina et ceux qui mesurent la puissance des coureurs cyclistes, comme l'ingénieur Frédéric Portoleau, concluent conjointement que l'avantage ainsi procuré varie de plus 10 à plus 15 %. Je pense que ces mesures bénéficient a minima d'un fond de valeur scientifique. Dans les années 1980, des champions comme Bernard Hinault ou Greg LeMond, développaient des puissances de 370 ou 380 watts, quand ceux des décennies suivantes atteignaient des puissances de 450, dans les mêmes cols et les mêmes conditions. Lorsque nous constatons que les équipiers les plus modestes des vainqueurs dopés pulvérisent les performances des meilleurs coureurs de l'époque, on ne peut croire un seul instant à la sincérité de ces compétitions.
Ma seconde série d'observations porte sur les instances du cyclisme. Ces instances connaissaient-elles l'ampleur du phénomène ? Qu'elles usages ont-elles fait des connaissances acquises ? J'entends par « instances du cyclisme », la fédération française de cyclisme (FFC), l'union cycliste internationale (UCI), la ligue du cyclisme professionnel français. J'inclus également des instances associées, plus ou moins proches, telles que les organisateurs et les grands médias. Je pense qu'au début des années 1990, ces instances avaient acquis la conviction qu'un dopage intensif se généralisait.
Le premier indice, relevé par le Docteur Jean-Pierre Mondenard, se trouve dans la mort, durant leur sommeil, de sept coureurs néerlandais suite à la prise d'EPO. J'imagine que la fédération néerlandaise de cyclisme, notamment son président Hein Verbruggen, s'est émue de ces disparitions survenues à la fin des années 1980. Le second indice apparaît lors du Tour de France 1993 ; des coureurs de diverses équipes ont dû se lever pendant la nuit pour faire des pompes et éviter les conséquences de la viscosité du sang. Dans un tel microcosme, ces faits ne peuvent totalement être ignorés. Le troisième élément qui me donne à penser que les instances du cyclisme connaissaient ces pratiques est qu'elles l'écrivent. Dans une lettre du 22 septembre 1993, l'UCI note ainsi : « Le cyclisme est en ébullition. Depuis l'apparition de l'érythropoïétine, l'EPO est considérée comme substance dopante ». Un mois plus tard, la FFC et la ligue cycliste professionnelle répondent : « Nous sommes parfaitement conscients de la nécessité de lutter énergiquement contre le dopage, surtout quand la substance dopante concernée peut se révéler particulièrement dangereuse pour la santé des coureurs ».
Avec les années, cette connaissance se renforce. Les instances ont sans doute été interpellées par le fait qu'un coureur, 107e en 1991, remporte l'épreuve quatre ans plus tard. Qu'ont-elles dit de ces pratiques aux organisateurs, aux médias, au grand public ou à moi, juge dans l'affaire Festina ? J'ai suggéré que France 2 insère à l'écran un bandeau : « Attention, en raison du développement d'un dopage de grande intensité, nous ne pouvons garantir la sincérité des compétitions ». Je crois que cet avertissement aurait été loyal et conforme aux idées de transparence.
Dans leur courrier respectif, l'UCI et la FFC promettaient de mettre des moyens en oeuvre. Pourtant, dans les années qui ont suivi, les dépenses pour lutter contre le dopage représentent 10 % de celles utilisées pour se doper. Ainsi, entre 1993 et 1999, la seule équipe Festina a notamment dépensé 400 000 euros à ce titre. Entre 1999 et 2005, l'équipe US Postal a pour sa part versé un million d'euros d'honoraires au docteur Michele Ferrari.
Nous avons préféré banaliser le dopage et nous en accommoder. La meilleure illustration de ce que nous acceptions se trouve dans l'instauration d'un taux maximum d'hématocrite de 50. Lorsqu'un coureur dépassait ce taux, il n'était pas considéré comme « dopé » mais placé en arrêt de travail. Je me permets d'ailleurs de vous livrer une nouvelle lecture, celle du docteur Léon Schattenberg, président de la commission de Sécurité et des conditions du sport à l'UCI : « Les excès sont endigués. Nous sommes parvenus à une gestion de l'EPO. L'utilisation abusive de l'EPO doit être éradiquée. Les contrôles de santé ne signifient pas que le dopage soit éradiqué, ni maintenant, ni à l'avenir ». Voilà le défi qu'il lançait à votre commission en 1997.
J'observe encore que ce sport d'élite professionnelle constitue un système économique puissant auquel il ne faut pas toucher. Ces héros modernes ne doivent pas être détruits, pas plus qu'il ne convient de mettre en cause un système économique dans lequel les intérêts de tous les acteurs convergent. J'entends par « acteurs » les coureurs et leur entourage, les sponsors, les grands médias, les annonceurs. Il ne faudrait donc ni écorner ni affronter ce système mais le lyophiliser pour le rendre plus digeste à nos concitoyens.
Je terminerai avec un peu de prospective. Les méthodes en France et à l'étranger diffèrent. Avec les méthodes judiciaires coercitives prévues par le code pénal français telles que la perquisition, les analyses biologiques, la garde à vue ou les audiences, nous sommes arrivés à la conclusion que le dopage se trouvait généralisé. Nous ne pouvons toutefois utiliser ces outils à tout moment. Une information judiciaire a ainsi été déclenchée par la découverte, dans la voiture du soigneur Willy Voet, de substances interdites. Sans cette découverte, une telle affaire n'aurait pu commencer. Au nom de la liberté individuelle, nous ne pouvons en effet ni perquisitionner, ni réaliser des analyses ou géolocaliser des personnes sans preuve. L'USADA a pour sa part utilisé des méthodes qui rappellent celles du système judiciaire anglo-saxon. Dans ces pays, les enquêteurs recherchent « the intelligence ». Ils recueillent des témoignages et protègent les témoins. L'USADA a notamment pu obtenir des noms. Des personnes, menacées par Lance Armstrong par la suite, ont témoigné sans être sanctionnées. Je reproche d'ailleurs aux instances du cyclisme d'avoir pénalisé sportivement chaque personne qui brisait la loi du silence alors que nous devrions plutôt nous inspirer de la technique de l'USADA.
La situation ne s'arrangera pas facilement tant le mal est profond. Je souris quand j'entends que le Tour de France pourrait, par miracle, s'auto-régénérer. L'USADA s'amuse dans son rapport que le « Tour du renouveau » comme Jean-Marie Leblanc l'avait baptisé, a été le premier des six Tours remportés par Lance Armstrong. Ce dernier n'était pas le coureur le plus dopé de l'histoire du cyclisme mais le mieux dopé. À titre personnel, et il ne s'agit pas là d'une préconisation car je ne m'en sens pas l'autorité, je crois qu'il faudrait arrêter les compétitions cyclistes pour un temps, en admettant que nous ne pouvons leur accorder aucun crédit. Nous devons mettre les choses à plat, reconnaître les faits et définir les règles qui permettraient aux compétitions de reprendre. Cette solution, sans doute naïve, m'apparaît comme la seule. Elle n'empêcherait toutefois pas que des dérives se reproduisent par la suite.
Monsieur le président, je vous remercie pour ces propos introductifs, très intéressants. Si vous l'acceptez, nous allons désormais vous poser quelques questions complémentaires.
Ma première s'adresse au magistrat que vous êtes. Estimez-vous que la pénalisation de l'usage de produits dopants puisse être une mesure nécessaire pour lutter contre le dopage ? Pensez-vous que l'introduction en 2008 d'un nouveau délit de trafic de produits dopants aurait permis de lutter plus efficacement contre le dopage ?
La pénalisation à tous crins ne me semble pas être la solution. Lorsque Lance Armstrong et Michele Ferrari ont mis en place leur système, les sanctions existaient. L'USADA parle de « Motoman » pour désigner la personne qui livre les produits dopants sur le Tour de France. Nous parlons bien de trafiquants de drogue. La justice sanctionne ces trafics ; ils n'en restent pas moins un pilier de certaines économies locales.
Nous avons entendu tout et son contraire sur ce sujet. Nous essayons de nous forger l'opinion la plus utile possible. Merci d'avoir répondu comme vous l'avez fait.
Au début de vos propos introductifs vous dites, en comparant l'affaire Festina et l'affaire Armstrong, que nous sommes passés à un nouveau dopage. Nous nous apercevons que les produits utilisés restent sensiblement les mêmes. En quoi ce dopage vous semble-t-il nouveau ?
Mes propos disaient que ces deux décennies représentent un nouveau dopage par rapport à la période ancienne. Ce qui domine en réalité, c'est la continuité. Le dopage sanguin constitue la seule nouveauté. Les coureurs recourent toujours à la testostérone, indécelable. L'utilisation de l'EPO s'est perfectionnée. Michele Ferrari a permis une meilleure utilisation mais également une meilleure dissimulation du dopage.
Vous comparez les méthodes judiciaires françaises et anglo-saxonnes. Pensez-vous que nous aurions pu aller au bout de l'affaire Armstrong avec notre système ?
Je pense que nous aurions pu aller au bout de cette affaire car tout le monde connaissait ces pratiques. Je vois cela comme un cercle concentrique. Dans le cercle le plus large, celui des spectateurs, la connaissance reste parcellaire. Au centre, tous les acteurs savaient et pouvaient déclencher une enquête. Ainsi, j'évoquerai un épisode survenu lors du Tour de France, en 1999. Lors d'une étape, Christophe Bassons a été immobilisé au sein du peloton et Armstrong est venu exercer des brimades à son encontre. Deux jours plus tard, Christophe Bassons a abandonné la course. À ma connaissance, il s'agit du seul coureur qui, bien qu'ayant envisagé le dopage, n'y a pas recouru. Je souhaite lui rendre grâce car il avait semble-t-il une VO2 max très élevée. En début de saison, il devançait des coureurs comme Richard Virenque avant de se retrouver irrémédiablement distancé lorsque les programmes de dopage s'installaient. D'après lui d'ailleurs, un coureur non dopé terminant 80e du Tour de France pourrait gagner si personne ne se dopait.
Pour répondre à votre question, monsieur le rapporteur, tout le monde connaissait ces pratiques mais il faut un élément pour déclencher une enquête. Cet élément peut être une dénonciation mais dans le cas évoqué, personne n'a brisé la loi du silence. Dans l'affaire Festina, un contrôle a permis de lancer l'enquête. Quelle que soit la puissance des moyens d'investigations mis en oeuvre, certains s'emploient à s'y soustraire. L'équipe ONCE s'est ainsi enfuie à travers la montagne afin d'échapper aux contrôles auxquels l'équipe Festina s'est soumise. Il y avait dans cette équipe ONCE, le coureur Johann Brunel, que Lance Armstrong a choisi comme directeur sportif pour gagner ses six Tours de France, et le docteur Luis Garcia del Moral, choisi par Lance Armstrong pour remplacer le docteur Pedro Celaya, jugé trop peu prescripteur de produits dopants.
Les enquêtes sont efficaces, elles peuvent aller loin mais il est possible de s'y soustraire.
Estimez-vous qu'en France nous manquons de coordination entre les services de police, de gendarmerie, de douanes, etc. ?
En tant que juge, je ne suis pas en charge des enquêtes. Cependant, je ne pense pas que le problème vienne de la coordination. Il s'agit davantage d'un manque d'informations qui empêche de démarrer les enquêtes. Nous ne pouvons que connaître l'existence de ce dopage massif mais nous ne disposons pas de moyens nécessaires à l'obtention de résultats sans enquête. Voilà pourquoi les méthodes de l'USADA me semblent plus efficaces. Sans pratiquer une seule analyse ni saisir un seul produit dopant, l'Agence américaine a obtenu des résultats probants.
En arrivez-vous à la conclusion qu'il faudrait en France mettre l'accent non pas sur les contrôles mais sur les enquêtes ?
Il faudrait une incitation plus forte aux confessions. Les journalistes connaissent parfaitement la réalité de ce dopage. Ils n'en disent pourtant que peu à leurs lecteurs. Certains journaux sérieux avancent des suspicions puis, dans la même édition, évoquent l'étape du jour comme si elle le méritait. Les journalistes feraient oeuvre utile en dévoilant cette réalité. Durant 12 ou 15 ans, nous n'aurions pas dû écrire une ligne sur les épreuves ou montrer une seule image de ces compétitions tant la triche était présente. Va-t-on tirer des leçons pour le prochain Tour de France ? Il est possible de mesurer la puissance des sportifs. Je voudrais savoir quelle puissance développaient les derniers vainqueurs des grandes compétitions.
Monsieur le président, je vous ai écouté avec beaucoup d'intérêt. Ce sujet me passionne pour beaucoup de raisons. J'ai en effet été rapporteur de la loi Bambuck et de la loi Buffet.
Je partage votre sentiment sur de nombreux points et je comprends que vous nous parliez du cyclisme puisque vous n'avez été confronté qu'à cet aspect. Je crois malheureusement que le mal que vous venez de décrire concerne beaucoup d'autres disciplines sportives. Je doute par ailleurs des mesures de puissance car l'efficacité des vélos, dès lors qu'ils datent de 1947, de 1976 ou de nos jours, est incomparable. L'état des routes n'est pas non plus le même.
Je m'étonne donc que les experts qui souhaitent mesurer la puissance ne s'intéressent pas au rugby ou au tennis. Les rétrospectives de ces sports montrent en effet clairement l'évolution des performances. Le cyclisme ne doit donc pas être un bouc émissaire. Si nous arrêtons les compétitions cyclistes, nous devrons alors arrêter toutes les compétitions et les mesures devront concerner l'ensemble des disciplines.
Vous avez raison, tout le monde savait mais personne ne disait rien. Cela est vrai dans le cyclisme comme ailleurs. Lorsque je constate que certains coureurs de fond améliorent considérablement leurs performances après avoir réalisé un stage au Kenya ou au Maroc, je m'interroge.
Monsieur le président, je souhaite insister sur ce point car je suis choqué par la mise en accusation du cyclisme.
Je m'apprêtais à vous répondre.
Aucun sport n'a été contrôlé comme le cyclisme. En 1989, lorsque nous avons souhaité mettre en place des contrôles sanguins dans le cadre de la loi Bambuck, nous nous sommes vus opposer un refus car le sang fait partie intégrante de la nature humaine. Au même moment, nous avons demandé à réaliser des perquisitions dans les voitures et les hôtels. Cela nous a été refusé. L'évolution de la situation a permis de mettre en place de nouvelles normes. Le dopage est un mal terrible. J'ai assisté à l'abandon de Christophe Bassons. Personne ne l'a soutenu, ni coureur, ni directeur sportif, ni journaliste.
Si l'argent et la volonté de puissance sont à la base du dopage, nous devons nous inquiéter pour d'autres disciplines. Les coureurs cyclistes gagnent bien peu par rapport aux footballeurs.
Je devine une convergence dans nos approches. Ma connaissance du dopage se limite au cyclisme. J'ai, comme vous, la conviction que tous les sports d'élite sont dans ce cas. Dans les cités grecques, une telle tricherie aurait arrêté les jeux. Notre cité étant mondiale, la situation est plus complexe.
Je souhaiterais revenir sur l'affaire Festina. Un coureur vous confie : « Beaucoup de coureurs voulaient aller chez Festina car c'était la politique du moins pire ». Avez-vous le sentiment qu'il disait la vérité ?
Chez Festina, les recrues ne se voyaient pas proposer de produits illicites durant leur première année. Ils étaient traités avec une certaine précaution afin de les mener doucement vers le dopage. Les coureurs de l'équipe estimaient que le médecin ne prescrivait pas suffisamment et lui avaient attribué le surnom de « docteur Punto », par opposition au docteur Ferrari. Bruno Roussel, que j'ai appris à découvrir au cours de ce procès, est entré dans le dopage à son corps défendant. Il a été reconnu coupable mais ne croyait pas au dopage. À la fin du procès, son avocat m'a indiqué que M. Roussel souhaitait me voir. Il a pleuré sans pouvoir prononcer un mot. Il était libéré et effondré d'avoir participé à ce système. Sa présence limitait la pratique dopante et déplaisait à Richard Virenque ou Pascal Hervé qui estimaient que l'équipe n'allait pas assez loin dans le dopage. Ce dernier admettait accepter toutes les piqûres proposées.
Monsieur le président, considérez-vous que le système d'enquête tel qu'il existe dans notre pays est efficace ?
Je pense avoir répondu. Je ne connais pas les enquêtes administratives réalisées par les autorités publiques en charge du sport. Je ne sais même pas si de telles enquêtes existent. Les enquêtes judiciaires peuvent être efficaces, mais encore faut-il pouvoir les déclencher. Je considère qu'une fois commencées, ces enquêtes font preuve d'efficacité, même si certains acteurs comme l'équipe ONCE font tout pour s'y soustraire.
Estimez-vous que les magistrats soient suffisamment sensibilisés aux questions de dopage ?
Le terme de magistrat regroupe les procureurs et les juges. Je me considère comme un juge et non comme un magistrat. Les procureurs de la République sont certainement très sensibles à ces sujets. Aucun d'eux ne prend ces questions à la légère car les enquêtes judiciaires reposent sur la minutie, laquelle permet de découvrir la réalité de ce dopage.
Monsieur le président, vous faisiez état d'une tricherie massive entraînant une surnaturation du corps humain. Nous touchons là à un problème de santé publique. Nous verrons dans 20 ou 30 ans les effets de ces produits sur notre organisme. Estimez-vous possible la mise en place d'actions de prévention dans les clubs ou dans les cours d'éducation physique et sportive (EPS) ? Par ailleurs, pensez-vous que les sanctions prévues sont adaptées ? M. Vion, président de la fédération française de ski, estime qu'une suspension de deux ans sur une carrière de vingt ans ne suffit pas. Vous le disiez, une solution radicale reviendrait à tout arrêter mais comme l'a souligné M. Néri, cette initiative devrait s'appliquer à tous les sports et dans tous les pays.
Je commencerai par une réponse générique. Vous parlez d'enseignement et effectivement, le dopage ne touche pas que les coureurs cyclistes professionnels. Si je n'avais pas été en charge de l'affaire Festina, je connaîtrais très peu du dopage. La première des réalisations, plus que d'envisager des sanctions, serait de jeter un pavé dans la mare. Jean-Paul Escande résume tout dans la citation que je vous ai lue.
Savez-vous que les coureurs, dans l'enquête que j'ai eue à instruire, prenaient jusqu'à douze substances par jour ? L'EPO facilite la production de globules rouges qui amènent l'oxygène au sang. Leur fabrication nécessite de l'acide folique et du fer. L'encombrement de globules requiert un médicament qui les déforme et facilite leur circulation ainsi qu'un vasodilatateur pour dilater les vaisseaux. Quatre ou cinq produits sont associés simplement pour la prise d'EPO. Chaque produit dopant appelle son antidote. Il m'apparaît nécessaire d'en parler. Avons-nous déjà raconté dans une émission de vulgarisation la réalité du dopage ? Il ne s'agit pas d'une piqûre de temps en temps mais bien de programmes complets. Vous mettez dans un corps humain des substances très actives qui agissent ensemble.
L'inégalité de la tricherie sur les individus est éclatante car toutes les équipes n'ont pas les moyens de se doper selon le programme établi par Michele Ferrari. Par ailleurs, un taux d'hématocrite maximal de 50 ne met pas les athlètes sur un pied d'égalité car tous les coureurs ne partent pas du même taux naturel. En effet, les médicaments que nous prenons ne font pas le même effet à chacun de nous. Par exemple, entre 1992 et 1996, Alex Zülle, alors dans l'équipe ONCE, se dopait à l'EPO mais n'avait jamais recouru à l'hormone de croissance. Parce qu'il voulait absolument gagner le Tour de France, il en a finalement pris mais celle-ci l'a rendu malade. Zülle s'est donc retrouvé désavantagé par rapport à un coureur qui bénéficiait des effets du produit.
Monsieur le premier vice-président, ma dernière question va peut-être vous surprendre mais face aux diverses interprétations que nous connaissons, je reviens sur le fait déclencheur de l'affaire Festina à la frontière belge. Aviez-vous le sentiment à ce moment-là que cette fouille était préméditée ?
Je ne suis pas surpris par cette question mais je vais vous décevoir car je n'ai pas de réponse. Plusieurs anecdotes m'ont été contées. Je doute que le contrôle ait présenté un caractère fortuit. Les douaniers découvrent d'importantes quantités de drogue car ils bénéficient d'un renseignement. Ce renseignement émanait-il de concurrents ? Il faudrait interroger le service des douanes mais je crains qu'ils ne vous répondent pas.
Merci monsieur le président. Nous aurions pu poursuivre cette rencontre mais le temps presse malheureusement. Nous vous remercions pour les propos très utiles tenus devant cette commission d'enquête.
Je sais que votre temps est très compté mais je souhaiterais vous remercier pour votre accueil. J'ai eu le sentiment d'être devant des membres de la représentation nationale qui mettaient à l'aise et souhaitaient aller jusqu'au bout dans leurs investigations. Je me suis permis de vous parler librement. Je ne crois pas que l'on puisse me reprocher d'avoir pratiqué la langue de bois. Je vous remercie très sincèrement de votre accueil.
Je vous remercie encore une fois. J'ai, pour la première fois de ces auditions, omis de vous laisser la possibilité de conclure mais vous l'avez fort opportunément fait.
La commission d'enquête sur l'efficacité de la lutte contre le dopage a été constituée à l'initiative du groupe socialiste, en particulier de M. Jean-Jacques Lozach, notre rapporteur.
Une commission d'enquête fait l'objet d'un encadrement juridique strict. Je signale au public présent que toute personne qui troublerait les débats serait exclue sur le champ. Je vous informe en outre qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Gérard Masson, Frédéric Rusakiewicz et Noël Chevaudonnat prêtent serment.
Je vous remercie de nous recevoir. Travailler avec le Sénat n'est pas une contrainte mais bien un plaisir, d'autant plus que la fédération française handisport traite le problème du dopage depuis longtemps. Il ne s'agit pas pour nous d'une question médicale mais d'une question de fond. Au sein de notre fédération, un vice-président ou un membre du comité directeur a toujours eu pour unique fonction de s'occuper de cette lutte. Vous verrez que dans le monde du handicap, nous n'abordons pas nécessairement ce sujet comme dans le monde dit « normal ».
Si vous le permettez, je vais vous présenter un clip sur notre fédération puis je laisserai la parole au docteur Rusakiewicz.
Un clip est diffusé.
Je prends quelques minutes pour vous détailler le handisport. Il se compose de trois grandes familles : les handicapés physiques, les handicapés visuels, ainsi que les personnes sourdes et malentendantes. Ces dernières ont rejoint le mouvement handisport il y a deux ans. La fédération française du sport adapté gère les déficients intellectuels. Notre fédération compte ainsi 26 à 30 000 adhérents, 4 000 athlètes en compétition et 230 inscrits sur les listes de haut niveau, répartis sur 30 disciplines. Nous sommes une petite fédération mais traitons quinze championnats du monde, quinze championnats d'Europe et des Jeux paralympiques chaque année. En plus des récents Jeux de Londres, nous nous rendrons bientôt à Sofia pour les Jeux ouverts aux personnes sourdes, à Sotchi pour les Jeux paralympiques d'hiver, à Athènes, à nouveau pour les personnes sourdes et à Rio en 2016. Lorsque les Jeux olympiques s'achèvent, nous retournons participer à des Jeux un an plus tard.
En plus de ces compétitions, nous gérons 800 manifestations par an. La partie loisirs reste majoritaire. Notre activité de haut niveau reçoit de plus en plus d'appui des fédérations de valides. Nous sommes gérés par le comité international paralympique (IPC) qui a signé avec le Comité international olympique (CIO) des conventions allant dans ce sens. J'exerce d'ailleurs au CIO au titre de la convention du sport pour tous. Toutes les fédérations olympiques signent des conventions avec nous, dans le tennis et le basket notamment, généralement à destination du haut niveau.
Nous ne sommes pas là pour traiter du handisport mais je souhaitais resituer le problème de notre grande famille. La lutte antidopage ne se limite pas à la compétition de haut niveau. Il s'agit d'une politique générale fédérale demandée par les équipes médicales mais bien distinctes du médical. Le docteur Rusakiewicz nous apporte ses compétences mais le comité directeur gère ces questions.
Je vais vous présenter les détails de la lutte antidopage au sein de notre fédération. Comme le disait M. le président, 26 000 licenciés commencent une activité handisport dans le cadre du loisir, porte d'entrée vers le sport de haut niveau.
La prévention démarre dès la découverte du sport. La lutte contre le dopage dans le mouvement paralympique est grandissante. Lors des Jeux de Londres, un athlète sur trois a été contrôlé, contre un sur six lors des Jeux olympiques de Pékin. Les cas positifs recensés ces dernières années s'avèrent extrêmement faibles au regard du nombre de contrôles effectués. Nous sensibilisons en effet chaque acteur du mouvement et de la fédération à ce problème. Les cas positifs relevés ces quatre dernières années restent donc marginaux et la notion de dopage doit, autant que possible, être relativisée. Nous notons ainsi trois cas positifs en 2008, six en 2011 et quatre en 2012.
Outre des années vierges, il faut retenir, et nous pourrons en parler plus en détail, l'importance du cannabis. Nous relevons également quelques problèmes avec des médicaments utilisés comme stimulants. Les traitements chroniques suivis par nos athlètes imposent une gestion rigoureuse des utilisations à usages thérapeutiques. Ces traitements constituent une spécificité propre à notre fédération. Nous souhaitons proposer à nos athlètes une sensibilisation à l'importance de cette gestion afin qu'ils ne soient pas contrôlés positifs aux corticoïdes ou à d'autres substances prises au quotidien dans le cadre de leur pathologie. Notons également l'utilisation de compléments alimentaires, facilitée par Internet et le marketing grandissant. Certaines substances présentes dans ces compléments, comme l'hydrochlorothiazide, sont considérées comme des agents masquants. L'information à destination des sportifs s'avère dès lors nécessaire.
Je me permets d'insister sur les autorisations à usages thérapeutiques, très présentes au sein de notre fédération. Nos athlètes sont soumis aux mêmes méthodes de contrôle et aux mêmes sanctions que les athlètes valides, et cela à juste titre. Cependant, certaines techniques de prélèvements sont inadaptées. Je pense notamment à la géolocalisation. L'athlète se présente au contrôle, attend qu'une personne vienne lui ouvrir la porte. Ne pouvant entrer dans le bâtiment, le préleveur s'en va et le sportif reçoit un avertissement. De la même manière, certains prélèvements présentent un risque chez les populations myopathes ou hémophiles. Enfin, la technologie du dopage se révèle très rudimentaire.
Nous ne déplorons aucun « vrai cas » tels que nous les retrouvons dans différentes affaires récentes. Un dopage pointu et organisé nécessite des moyens financiers importants que nous ne retrouvons pas nécessaires chez nos athlètes. L'hyperactivité autonome (HRA) fait également partie de nos spécificités. Il s'agit d'une technique propre aux personnes paraplégiques ou tétraplégiques, également appelée « boosting ». Certaines personnes estiment que la HRA constitue une réelle technique de dopage. Un système de dépistage de signes cliniques a été établi dans les grandes compétitions afin de repérer les athlètes susceptibles d'utiliser cette méthode.
Le cannabis se révèle le produit dopant le plus utilisé parmi nos athlètes. Ils le consomment généralement à titre non pas dopant mais festif. Ces pratiques relèvent davantage du culturel pour des personnes ayant vécu dans des centres de rééducation, souvent isolés. Les athlètes s'ennuient et apprennent à fumer comme nous le ferions à l'armée. La consommation de cannabis entre dans leur habitude de vie. Nous avons mis en place des actions. La principale tient dans l'élaboration d'un comité directeur avec un élu, Noël Chevaudonnat, qui s'occupe des questions de dopage et coordonne toutes nos actions. Nous formons tous nos cadres, par l'intermédiaire de conférences, de colloques et de conventions du comité national olympique du sport français (CNOSF) notamment. Nous formons les escortes et les délégués aux contrôles antidopage, lors de stages de regroupements des équipes de France ou lors de journées handisports. La commission médicale se montre également extrêmement disponible pour répondre à toutes les questions des athlètes.
Pour terminer, je vous propose de vous détailler les quelques cas de dopage rencontrés. En 2008, trois personnes ont été contrôlées positif au cannabis. Toutes appartenaient à la même équipe de football pour déficients auditifs. En 2011, six cas se sont avérés positifs. L'un d'eux l'était au déturgylone, un décongestionnant nasal. Un joueur de football en fauteuil, en retard sur son autorisation à usage thérapeutique, a écopé d'un mois de suspension pour un contrôle positif à la prednisone. Dans la même discipline, un athlète a été suspendu deux ans pour consommation de cannabis. Il s'agissait là du cas le plus extrême que nous ayons rencontré. Un joueur de tennis a pour sa part été relaxé car les produits contrôlés entraient dans le cadre d'un traitement oncologique très important. L'instruction d'un haltérophile s'est vue annulée pour vice de procédure. Le dernier cas relève d'une consommation de cannabis par un joueur de tennis. Enfin, nous comptons quatre cas de dopage en 2012. Encore une fois, trois s'avèrent positifs au cannabis et un fait suite à la prise mal renseignée de compléments alimentaires.
Nous répertorions treize cas de dopages en cinq ans, avec des années vierges. Les actions que nous menons semblent porter leurs fruits mais nous restons vigilants. Je tiens enfin à signaler que nous n'avions aucun cas de dopage entre 1980 et 2007.
Merci pour cette présentation complète. Je vais demander au rapporteur de poser les premières questions avant que nos collègues prennent le relais s'ils souhaitent davantage de précisions.
Monsieur le président, messieurs, existent-ils, à votre connaissance, des réseaux de trafiquants dans le handisport ?
Je ne connais qu'un seul réseau : Internet. Nous rencontrons des difficultés grandissantes dans ce domaine. Un de nos athlètes n'a pu participer aux Jeux olympiques à cause d'un complément alimentaire, apparu comme masquant. L'explication ne suffit pas car nous ne maîtrisons pas ces produits. Les rayons de compléments alimentaires ne cessent de s'agrandir dans les enseignes sportives. Même si nous expliquons le danger de ces produits à l'encadrement, lors des assemblées générales ou dans les séminaires, des athlètes se trouvent isolés dans certaines régions et mal informés sur les risques de telles prises. Je ne connais pas d'autres réseaux dans le handisport car nous n'avons pas les moyens financiers d'entrer dans un autre système, en tout cas pour l'instant. Nous travaillons énormément sur ces sujets mais redoutons toujours Internet.
Sur les trente disciplines que regroupe votre fédération, certaines sont-elles plus exposées ?
Nous essayons d'être plus vigilants dans les disciplines proches d'autres fédérations touchées par le dopage. Nous travaillons par exemple avec M. David Lappartient pour le cyclisme. Nous avons également prêté attention à une discipline comme l'haltérophilie sur laquelle pesaient des soupçons dans certains pays, par ailleurs avérés. Nous sommes de même attentifs à l'aspect festif de différentes disciplines telles que le basket. Certains athlètes estiment ainsi que fumer du cannabis après un match n'a aucune incidence. Nous leur démontrons le contraire.
Lorsque j'ai eu mon accident il y a 40 ans, nous nous retrouvions après les matchs pour boire du pastis. Aujourd'hui, les joueurs se réunissent pour fumer. Notre comportement de l'époque n'était pas plus responsable. Nous devons leur expliquer que le cannabis ne leur apporte rien. Comme le disait le docteur Rusakiewicz, dans les centres de rééducation isolés, les personnes se morfondent et fument. Le cannabis ne représente aucun intérêt sportif. Nous essayons de les déshabituer et le sport peut nous y aider.
Quel regard portez-vous sur la lutte contre le dopage dans notre pays et sur la place de l'État, du mouvement sportif, de l'AFLD ou des laboratoires ?
J'estime que le dispositif est complexe, et pas toujours bien compris de nos athlètes. Nous rencontrons également des difficultés. Heureusement, nous pouvons nous appuyer sur Noël Chevaudonnat. La compréhension de ce système nécessite un véritable lexique.
Peut-on trouver des solutions à ce manque de simplicité ? Je serai ravi que votre rapport nous apporte plus de lisibilité. Quoi qu'il en soit, aujourd'hui nous n'avons pas suffisamment d'arguments pour expliquer les risques à nos athlètes. Que va-t-il se passer par la suite si nous n'arrivons pas à faire leur comprendre les dangers du dopage ?
Mes collègues ne semblent pas avoir de questions. Votre présentation nous a apporté beaucoup de réponses. Vous avez démontré l'essentiel de la lutte et détaillé les cas positifs que vous avez rencontrés. Les actions menées vous dispensent de cas lourds.
Nous devons être vigilants car l'argent va arriver dans la fédération handisport, comme dans toutes les autres. Nous serons particulièrement exposés car certaines personnes estiment que leur handicap les excuse. Nous devrons être attentifs pour que nos athlètes restent exemplaires. J'ai hérité d'une fédération très engagée sur ces sujets mais nous ne sommes pas à la merci de voir arriver des cas semblables à ceux d'autres fédérations. Nous avons pour l'instant eu la chance de ne pas avoir de cas difficiles mais ils pourraient se faire jour si nous ne continuons pas à travailler comme nous le faisons.
Je vous remercie de votre écoute.
Merci beaucoup. Il n'est pas de coutume de s'exprimer après la conclusion du président mais je vous laisse la parole si vous le souhaitez.
Nous parlons beaucoup des athlètes mais je pense qu'il faut s'intéresser aux pourvoyeurs, à l'encadrement et au personnel médical qui fournit les athlètes. Les risques d'emprisonnement sont moindres pour un trafic de faux médicaments que pour un trafic de drogue. Pourtant, les médicaments rapportent davantage. Vous, législateurs, êtes les seuls à pouvoir agir sur ce point.
Nous pouvons proposer différents éléments mais les décisions finales reviendront toujours aux magistrats. Alain Néri demande la parole.
La loi prévoit déjà pour les pourvoyeurs une sanction comparable à celle des trafiquants de drogue. Si le pourvoyeur travaille en bande organisée ou fournit des mineurs, la peine est doublée.
Effectivement, mais nos athlètes ne seront protégés que si nous coupons l'approvisionnement.