Au cours d'une première séance tenue dans la matinée, la mission a procédé à l'audition de MM. François Carayon, sous-directeur, et Thierry Pellé, chef du bureau des retraites et des régimes spéciaux de la 6e sous-direction de la direction du budget au ministère de l'économie, des finances et de l'industrie.
a indiqué que la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) a souhaité consacrer un rapport à la problématique de la compensation démographique entre les régimes sociaux, ce qui témoigne de l'intérêt qu'elle porte à ce sujet. Le choix de désigner deux corapporteurs, l'un issu de l'opposition, M. Claude Domeizel, l'autre de la majorité sénatoriale, M. Dominique Leclerc, par ailleurs rapporteur pour la branche vieillesse de la commission des affaires sociales, confère une solennité particulière à ce contrôle parlementaire.
a indiqué, à titre liminaire, que ses services se tiennent à l'entière disposition des parlementaires, puis il a exposé successivement l'origine, les grandes lignes et les principales données chiffrées sur les mécanismes de compensation.
Malgré l'esprit de l'ordonnance du 19 octobre 1945, qui reposait sur le principe d'unité de l'assurance vieillesse dans le cadre d'un système de retraite par répartition, le maintien de régimes distincts a finalement été admis dès les premières années d'après-guerre, avec la reconnaissance de la spécificité des régimes spéciaux puis des indépendants.
Le système français d'assurance vieillesse s'est construit progressivement sur une logique de solidarité, dans ses deux dimensions : solidarité entre générations et au sein des régimes, d'une part, solidarité à l'intérieur des régimes eux-mêmes, d'autre part.
Deux systèmes distincts de compensation se superposent aujourd'hui : la compensation généralisée, créée par la loi du 24 décembre 1974, puis la compensation spécifique, appelée généralement « surcompensation », qui a été instituée par la loi de finances pour 1986. Dans les deux cas, il s'agit de mécanismes de rééquilibrage financier entre régimes obligatoires visant à remédier aux inégalités démographiques et aux disparités de capacités contributives.
Ces dispositions trouvent leur origine commune à la fois dans la grande diversité des régimes existants et dans un choix de principe, effectué en 1945, en faveur d'un système de retraite par répartition, qui suppose un minimum de solidarité pour fonctionner. A titre d'illustration, les régimes des exploitants agricoles (606.000 cotisants pour 1,7 million de retraites de droits directs) et des mines (17.000 cotisants pour 217.000 retraites de droits directs, auxquels s'ajoutent 158.000 retraites de droits directs) ne pourraient exister sans bénéficier d'importants transferts financiers, en provenance des autres assurés sociaux.
La solidarité inter-régimes et interprofessionnelle repose sur des critères objectifs. On raisonne en effet sur la base d'un régime fictif unique couvrant l'ensemble de la population. Tous les bénéficiaires sont censés percevoir la même prestation, qualifiée de « prestation de référence ». Les contributions des cotisants sont appréciées par le biais d'un taux de cotisation déterminé de façon à équilibrer le régime. Dans ce cadre fictif, chacun des régimes prélève les cotisations du régime fictif et verse à ses bénéficiaires la prestation de référence. On dégage ainsi un solde de transfert de compensation qui permet d'identifier les différences de situation démographique et d'aboutir à une base de répartition équitable.
a rappelé que la compensation démographique repose sur un système à plusieurs étages entre groupes de régimes de plus en plus homogènes.
La compensation généralisée rassemble les régimes de base comptant un effectif d'actifs cotisants et de retraités de droits directs de soixante-cinq ans et plus, au moins égal à 20.000 personnes. Il est procédé à un calcul en deux temps, d'abord entre les régimes de salariés pour un montant estimé à 2,896 milliards d'euros en 2006, ensuite entre les régimes de salariés et les régimes de non-salariés, pour un montant qui devrait atteindre 5,524 milliards d'euros en 2006. Il a observé, s'agissant de la première étape de calcul, que trois régimes (Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales [CNRACL], régime des fonctionnaires de l'Etat et régime général) assurent à eux seuls l'essentiel des flux au profit du régime des salariés agricoles (81 %) et du régime des mines (11 %). Il en va de même pour les transferts entre les salariés et les non-salariés qui sont financés par le régime général, le régime des fonctionnaires civils de l'Etat, la CNRACL et la Caisse nationale d'assurance vieillesse des professions libérales (CNAVPL).
La compensation spécifique est calculée sur la base d'un périmètre sensiblement différent, dans la mesure où il ne concerne que les régimes spéciaux ayant un effectif supérieur à 5.000 retraités de droits directs, âgés de soixante ans et plus. Ce mécanisme de solidarité, nettement plus accentué que le précédent, est justifié par la plus grande homogénéité des régimes concernés. En 2006, la surcompensation devrait porter au total sur des flux financiers d'un montant de 2,065 milliards d'euros, assurés pour l'essentiel par deux régimes (CNRACL et régime des fonctionnaires de l'Etat) au profit notamment, et là encore, du régime des mines (42 %), de la SNCF et des marins.
a observé toutefois que ce mécanisme a été placé en extinction progressive, sur une période de huit ans, entre 2004 et 2012, conformément à la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites.
Sur la réforme des critères de compensation intervenue à l'automne 2002, il a estimé que la prise en compte des prestations du fonds de solidarité vieillesse (FSV) a permis de s'approcher davantage de la réalité des charges et des ressources effectives des régimes. Il s'agissait d'actualiser le mécanisme conçu en 1974, en tirant les conséquences de la création du FSV, intervenue en 1993. Il a souligné que cette modification technique avait été proposée par le rapport de MM. Yves Ullmo et Louis-Paul Pelé de 2001 et évoquée dans le rapport du Conseil d'orientation des retraites (Cor) de décembre 2001.
Après avoir rappelé qu'il s'exprime devant les parlementaires en sa qualité de fonctionnaire de l'Etat et qu'il n'est évidemment pas en mesure de porter une quelconque appréciation ayant une portée politique, M. François Carayon a estimé, d'un point de vue technique, qu'il convient de tirer des enseignements du rapport Pelé - Normand de 2004, en examinant trois pistes de réflexions mises en avant par ce document :
- en premier lieu, la prise en compte des durées moyennes de cotisation pour le décompte des effectifs de retraités de chaque régime afin d'éviter, comme aujourd'hui, tout à la fois la prise en compte des doubles comptes et l'absence de proportionnalité avec la durée réelle de cotisation ;
- en second lieu, l'intégration dans l'effectif des cotisants des bénéficiaires de l'assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF), dont les cotisations sont prises en charge par la Caisse nationale d'allocations familiales (Cnaf), pour se rapprocher des capacités contributives effectives des régimes ;
- enfin, la consolidation du régime des salariés agricoles avec le régime général pour le calcul des transferts de compensation.
a souligné, en faisant notamment allusion aux travaux du groupe de travail présidé par M. Jean-François Chadelat, qu'au-delà des grands discours sur la compensation, il importe avant tout que les responsables politiques aient une version claire de son mode de fonctionnement, ce qui est loin d'être facile.
Après avoir rappelé que l'article 7 de la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites avait précisément pour objet de renforcer les pouvoirs de la commission de compensation pour améliorer la transparence des processus de compensation démographique, M. Dominique Leclerc, rapporteur, a vivement regretté que le décret d'application nécessaire à l'entrée en vigueur de ces dispositions ne soit toujours pas publié. Il a considéré que la réforme des paramètres de compensation intervenue à l'automne 2002 n'avait pas été transparente, comme l'avait d'ailleurs fait observer à l'époque le président de la commission de compensation, M. Bernard Zuber. Cette mesure, prise discrètement par voie réglementaire, s'est avant tout traduite par un net accroissement des charges du régime général, et corrélativement par une économie substantielle pour le budget de l'Etat.
Il s'est demandé également quel devrait être le coût pour l'Etat de la disparition progressive sur une durée de huit ans, entre 2004 et 2012, de la surcompensation.
Evoquant ensuite le rapport Pelé - Normand de 2004 d'une part, les travaux du groupe de travail présidé par M. Jean-François Chadelat, d'autre part, M. Dominique Leclerc, rapporteur, a estimé que la très grande sensibilité des paramètres de la compensation rend extrêmement difficile toute réforme, même d'envergure modeste. Il a fait part de sa préoccupation à l'égard de la demande insistante des instances du Fonds de financement des prestations sociales des non-salariés agricoles (Ffipsa) tendant à revoir à leur profit les règles de la compensation. Or, les exploitants et les salariés agricoles bénéficient déjà actuellement, au total, de 6 milliards d'euros de transferts provenant des autres régimes : dans ces conditions, on peut se demander si les limites des efforts demandés aux régimes contributeurs ne sont pas atteintes. Au surplus, les autres régimes, à commencer par la Cnav et la CNRACL, ne disposent d'aucune marge de manoeuvre pour satisfaire cette demande dans la mesure où leurs comptes sont d'ores et déjà très fragiles ou même déficitaires.
Après s'être interrogé sur les contours de la notion de solidarité, par ailleurs largement sollicitée, voire librement interprétée par tous les régimes participant à la compensation démographique, il a insisté sur l'importance des données démographiques. Il s'est demandé ainsi quel pourrait être l'avenir à moyen et long termes de la compensation démographique, dans la mesure où, d'ici à vingt ans, tous les régimes enregistreront des déficits importants, ainsi qu'un rapport cotisant - retraité très défavorable.
a souhaité savoir si l'Etat n'est pas parvenu, sur une longue période, à se libérer substantiellement de ses engagements à l'égard des organismes de protection sociale et ce, en revisitant régulièrement à son profit les règles de compensation.
Il s'est demandé par ailleurs si certains de ces régimes peuvent même être qualifiés encore de régimes par répartition, compte tenu de leur structure de financement faisant très majoritairement appel à des transferts financiers provenant de l'extérieur. Il a considéré qu'un régime comme celui des mines a été placé en extinction à la suite d'une décision de politique industrielle et qu'en conséquence, il conviendrait de considérer que la charge des retraites des mineurs relève de la solidarité nationale, et donc soit mise à la charge du budget de l'Etat. Il semblerait ainsi logique que la caisse des mines soit placée en dehors des calculs de compensation.
Faisant référence à un article récent paru dans un grand quotidien, M. Alain Vasselle, président, a souhaité savoir s'il est vraiment concevable que la population adulte de la France compte trois retraités pour un cotisant à l'horizon 2050.
a observé que le calcul des soldes de compensation apparaît de plus en plus artificiel, car il ne tient pas compte des évolutions récentes de l'assurance vieillesse, à commencer par l'adossement des industries électrique et gazière, l'intégration de la caisse des cultes au régime général ou la création du régime social des indépendants. Dans ces conditions, le risque est grand de raisonner sur des données théoriques très éloignées de la réalité.
a confirmé, sur la base des projections du Cor, le caractère inéluctable des tendances démographiques à moyen et long termes affectant la structure de la population française, en infirmant toutefois les chiffres diffusés par la presse auxquels M. Alain Vasselle faisait référence : alors qu'aujourd'hui notre pays ne compte « que » quatre personnes âgées de plus de soixante ans pour dix personnes d'âge actif (entre vingt et soixante ans), ce rapport serait de huit pour dix en 2050. Pour autant, il a estimé que, même dans ce contexte démographique dégradé, les mécanismes de compensation conserveraient leur légitimité, dans la mesure où ils comprennent manifestement une dimension redistributive.
s'est demandé toutefois si les limites de la solidarité inter-régimes ne seront pas inévitablement dépassées à l'avenir, dans la mesure où dès aujourd'hui, les régimes contributeurs sont à la fois peu nombreux et fortement sollicités.
a estimé qu'il appartiendra nécessairement au législateur, en particulier à l'occasion des prochaines clauses de rendez-vous de la réforme des retraites, d'apprécier les limites éventuelles à apporter à la solidarité entre les différentes catégories d'assurés sociaux. Il a par ailleurs observé que des mécanismes de compensation existent non seulement entre les régimes de base, mais aussi à l'intérieur des régimes complémentaires, et notamment entre l'Association générale des institutions de retraite des cadres (Agirc) et l'Association des régimes de retraite complémentaire (Arrco).
a souhaité savoir pourquoi le décret d'application de l'article 7 de la réforme des retraites, tendant à renforcer le pouvoir de la commission de compensation, n'est toujours pas paru et ce, trois ans après la promulgation de la loi.
a indiqué que le processus interministériel d'élaboration de ce texte réglementaire a effectivement pris du retard, et que celui-ci n'est pas imputable au ministère de l'économie et des finances. Cette situation dommageable devrait prochainement prendre fin.
Il a souligné par ailleurs que l'Etat reste l'un des principaux contributeurs, à hauteur de 22 % des montants collectés dans le cadre de la compensation et de 20 % pour la surcompensation. De même, la suppression progressive de la surcompensation se traduira in fine par une dépense supplémentaire de l'ordre de 1,5 milliard d'euros pour l'Etat. Il a ainsi réfuté toute idée de désengagement de la puissance publique. Il a ensuite fait valoir l'intérêt de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), qui a permis la création d'une nouvelle mission, intitulée « Régimes sociaux et de retraite » et consacrée au suivi des grands régimes spéciaux de retraite.
a précisé, à ce propos, qu'il avait adressé en janvier dernier une lettre au ministre du budget, reprenant les demandes de la commission des affaires sociales tendant à améliorer la pertinence des indicateurs choisis. Ce courrier, cosigné par le président Nicolas About, est malheureusement resté sans réponse à ce jour.
a souhaité disposer de ratios détaillés sur la structure des dépenses des différents régimes de retraite, notamment pour apprécier les frais de gestion.
a souligné l'extrême sensibilité des paramètres de compensation et réaffirmé, s'agissant des pensions civiles et militaires de l'Etat, les demandes anciennes de la commission des affaires sociales, visant à créer à terme une véritable caisse de retraite de la fonction publique de l'Etat.
a rappelé que la loi n° 74-1034 du 24 décembre 1974 prévoyait une compensation intégrale de la charge de compensation pour le régime général, par le biais de droits sur les alcools. Il a souhaité savoir quand la Cnam a été privée de cette ressource et si la Cnav bénéficiait aussi d'une ressource de ce type.
a indiqué que ses services effectuent des recherches dans les archives pour répondre à ces interrogations et qu'ils ont demandé des renseignements complémentaires à la direction de la sécurité sociale.
a constaté que la problématique de la compensation apparaît très complexe et nécessitera, pour la Mecss, un travail approfondi, ainsi qu'un effort de présentation pédagogique, qui supposera éventuellement des auditions complémentaires.