Au cours d'une première séance tenue dans la matinée, la commission a procédé à l'examen du rapport d'information de Mme Françoise Férat, sur la place de l'enseignement agricole dans le système éducatif français.
Rappelant, au préalable, qu'elle présentait, depuis 2001, les crédits de l'enseignement agricole dans le projet de loi de finances, Mme Françoise Férat, rapporteur, a indiqué constater le paradoxe suivant :
- d'un côté, la qualité et l'efficacité de l'enseignement agricole sont saluées de façon quasi unanime : il affiche en effet de très bons résultats en termes de réussite scolaire, de poursuite d'études et d'insertion professionnelle des élèves, met en oeuvre une pédagogie concrète qui permet à des jeunes de se « raccrocher » aux études, porte des valeurs humaines ; enfin, l'ancrage territorial de ses établissements fait d'eux des vecteurs d'animation des territoires, sachant que près de la moitié des 850 établissements agricoles sont situés dans des communes de moins de 3.000 habitants ;
- cependant, un climat de malaise gagne peu à peu, ces dernières années, les acteurs et partenaires de l'enseignement agricole ; après avoir connu une phase d'expansion rapide de ses effectifs, au cours de la décennie 1990, ainsi qu'une forte diversification de son offre de formation, l'enseignement agricole apparaît aujourd'hui en panne de projet ; au-delà des préoccupations budgétaires, devenues centrales, il existe un manque de reconnaissance et d'ambition.
En effet, les capacités d'accueil sont plafonnées et les possibilités de développement de l'appareil de formation sont « au point mort », ce qui contraint les établissements à devoir refuser des élèves. De plus, les différentes missions qui contribuent à l'originalité du système de formation sont sacrifiées, laissant craindre la banalisation d'un enseignement qui a longtemps joué, par sa petite dimension et ses spécificités, un rôle d'« avant-garde » pour notre système éducatif.
A cet égard, Mme Françoise Férat, rapporteur, a relayé les craintes d'une « absorption » de l'enseignement agricole par l'éducation nationale, tout en considérant que celles-ci devaient être écartées, dans la mesure où l'éducation nationale n'a jamais revendiqué un système de formation dont elle ne pourrait pas assurer la pérennité dans ses spécificités.
Elle a souligné, ensuite, que la période était charnière pour donner un nouveau souffle à l'enseignement agricole :
- d'une part, la nouvelle architecture budgétaire regroupe, au sein d'une même mission, les programmes de l'enseignement agricole et ceux relevant de l'éducation nationale, incitant ainsi à réaffirmer les complémentarités entre les deux types d'enseignement, tout en consolidant l'apport spécifique de l'enseignement agricole à notre système éducatif ;
- d'autre part, notre contexte agricole et rural connaît des mutations qui placent l'enseignement agricole face à de nouveaux défis de formation.
a indiqué qu'elle avait auditionné, au cours des derniers mois, près de 50 personnalités, et qu'elle était allée à la rencontre d'acteurs de terrain lors de deux déplacements à Dijon et à Toulouse. Elle a entendu, enfin, d'autres personnalités chargées de missions relatives à l'enseignement agricole :
- M. François Grosrichard, ancien journaliste au Monde, chargé par les ministres de l'agriculture et de l'éducation nationale d'une mission sur le thème « Education et ruralité », qui a remis son rapport en juin dernier ;
- la mission chargée, sur la commande du ministre du budget, d'un audit de modernisation sur l'analyse de l'adéquation enseignants-élèves-formations dans l'enseignement technique agricole, dont les conclusions ont été rendues publiques en juin.
Relevant une certaine convergence dans les constats formulés par les uns et les autres, Mme Françoise Férat, rapporteur, a présenté, ensuite, les principales propositions formulées dans son rapport, qui s'articulent autour de trois axes : changer l'image d'un enseignement qui n'est plus seulement « agricole », poursuivre l'adaptation des formations aux besoins des secteurs professionnels, et, enfin, améliorer le pilotage de l'enseignement agricole, pour renforcer la cohérence, l'identité et l'excellence de ce système de formation.
Elle a souligné, tout d'abord, que l'enseignement agricole était méconnu ou mal connu d'une grande partie des jeunes et de l'opinion publique, mais aussi des acteurs de l'orientation et des enseignants de l'éducation nationale. Pour un grand nombre d'entre eux, il reste une voie marginale, réservée aux enfants d'agriculteurs et destinée à former des agriculteurs. Or la réalité est désormais tout autre, puisque seuls 17 % des élèves de l'enseignement agricole sont aujourd'hui issus d'une famille d'agriculteur (contre 40 % il y a 20 ans), et que, par ailleurs, la gamme des formations et des métiers s'est élargie, notamment vers les secteurs de l'aménagement, des travaux paysagers ou des services en milieu rural.
Elle a insisté pour que l'enseignement agricole ne soit plus tenu à l'écart des procédures d'orientation des élèves, en assurant une meilleure coopération avec l'éducation nationale, et pour que les procédures d'affectation soient harmonisées, afin que l'inscription dans un établissement agricole ne soit plus un « parcours du combattant » pour les familles. En outre, les milieux professionnels doivent être mieux associés à l'effort de promotion d'une image plus moderne et attractive des filières et des métiers, en priorité les secteurs souffrant d'un déficit de main-d'oeuvre, comme celui des industries agroalimentaires.
Elle a suggéré, enfin, un changement de dénomination, jugé primordial pour mieux communiquer sur la diversité des formations et des métiers, qui dépassent désormais la seule sphère agricole.
Abordant, ensuite, le deuxième axe de propositions, Mme Françoise Férat, rapporteur, a insisté sur la nécessité de poursuivre l'adaptation des formations, de façon à ce qu'elles restent en phase avec les besoins.
Elle a proposé, tout d'abord, de clarifier et simplifier une offre de formation de plus en plus segmentée, en envisageant, pour certaines filières, une organisation autour d'un « tronc commun » par familles de métiers, complété d'enseignements de spécialisation.
Elle a insisté, ensuite, sur la nécessité de resserrer les liens avec les milieux professionnels, d'adapter l'appareil de formation aux nouveaux défis de l'agriculture et du développement rural, d'identifier les débouchés des filières, et de réguler, en conséquence, les flux d'entrée.
En ce sens, le rattachement de l'enseignement agricole à un ministère « technique » est un atout à valoriser pour qu'il reste réactif par rapport aux besoins et priorités des politiques sectorielles, par exemple en valorisant la contribution des établissements au sein des pôles d'excellence rurale, qui ouvrent des perspectives de débouchés nouveaux, dans des secteurs comme la valorisation du patrimoine rural ou des ressources agricoles.
Enfin, Mme Françoise Férat, rapporteur, a formulé des propositions visant à renforcer le pilotage de l'enseignement agricole et à fédérer les énergies autour d'une ambition renouvelée. Elle s'est félicitée, à cet égard, du lancement, en septembre dernier, de consultations en vue de la révision du 4e schéma prévisionnel national des formations, fixant la « feuille de route » de l'enseignement agricole pour la période 2005-2009.
Elle a insisté, en outre, sur le rôle stratégique de l'échelon régional, renforcé par le double processus de décentralisation et de déconcentration, en vue d'optimiser l'utilisation des moyens et l'évolution des structures, en fonction des besoins constatés au plus près du terrain. Or, ces nouvelles règles du jeu ne sont pas encore bien prises en compte par tous les directeurs régionaux de l'agriculture et de la forêt, qui doivent désormais s'investir, plus qu'auparavant, dans leur rôle d'autorité académique.
Elle a insisté, en outre, sur la nécessité de valoriser les complémentarités entre les différents types d'établissements, publics et privés, relevant de l'enseignement agricole et de l'éducation nationale, en favorisant la mise en place de réseaux. Il s'agit de renforcer la cohérence de l'offre de formation pour dépasser les logiques de concurrence, et de parvenir à une mutualisation des moyens et des compétences.
Constatant, enfin, que les liens entre l'enseignement technique et l'enseignement supérieur agricoles étaient actuellement très insuffisants, elle a suggéré de les renforcer, notamment dans le cadre du développement des licences professionnelles et de la réorganisation du système d'enseignement supérieur agricole en 7 pôles régionaux.
Un débat a suivi l'exposé du rapporteur.
a félicité le rapporteur pour ses travaux et ses propositions, qui posent des problèmes d'actualité tout en ouvrant des perspectives d'avenir. Revenant sur la coupure existant avec l'éducation nationale, en matière d'orientation notamment, il a indiqué que l'autonomie revendiquée par l'enseignement agricole devait conduire à rechercher des formes de coopération entre les deux systèmes, dans le respect de leurs spécificités.
Par ailleurs, il a insisté sur la nécessité de parvenir à une meilleure articulation entre les formations délivrées, parfois dans des disciplines identiques, comme l'agro-alimentaire.
a considéré que la présentation de ce rapport arrivait à un moment opportun, alors que des pôles de compétitivité se mettaient actuellement en place, sur des thématiques agricoles et rurales. En effet, l'enseignement agricole, dans ses formations secondaires et supérieures, devra répondre à ces nouveaux besoins de compétences. Or, il a souligné les difficultés à trouver, sur le terrain, des articulations entre les lycées agricoles et les formations délivrées dans les universités.
Il a partagé, ensuite, les propositions du rapporteur visant à mieux valoriser la diversité des métiers préparés dans les secteurs de la ruralité, de l'alimentation et de la nature, qui peuvent être attractifs pour les jeunes.
a indiqué que le rattachement des services d'orientation à l'éducation nationale était un obstacle à la valorisation des autres systèmes de formation, qui contribuent, comme l'enseignement agricole, à diversifier le paysage éducatif. Aussi bien a-t-il évoqué la question de l'autonomisation du dispositif d'orientation.
s'est interrogé sur les raisons conduisant au paradoxe mis en avant par le rapporteur, selon lequel l'enseignement agricole, longtemps porté par une dynamique d'innovation, se retrouve aujourd'hui en panne de projet.
Enfin, tout en soulignant que de nouvelles perspectives de formation s'ouvraient pour l'enseignement agricole, dans les nouveaux métiers de la ruralité, M. Pierre Martin a regretté que de nombreux jeunes, notamment les enfants d'agriculteurs, entrent dans les lycées agricoles sans véritable projet professionnel.
En réponse à ces intervenants, Mme Françoise Férat, rapporteur, a apporté les précisions suivantes :
- il devient urgent de faire évoluer l'enseignement agricole, pour répondre aux besoins de compétences nouvelles, dans des métiers en développement ; les propositions formulées dans le rapport vont dans ce sens, sans être ni compliquées ni coûteuses à mettre en place ; elles doivent s'appuyer, néanmoins, sur une volonté politique forte ;
- le rapport a également pour objectif d'attirer l'attention des ministres sur les risques liés à un pilotage financier de l'enseignement agricole ; cela contribue, en effet, à donner le sentiment que ce système de formation reste négligé, en dépit de ses réussites, ce qui conduit ses acteurs et partenaires, au fil des années, à une forme de résignation ;
- l'enseignement agricole ne doit pas être seulement perçu comme une voie de « remédiation » pour élèves en difficulté ; cependant, il faut reconnaître qu'il offre une deuxième chance à de nombreux jeunes, en leur proposant un encadrement de qualité, fondé sur des valeurs humaines ;
- la réorganisation de l'offre de formation autour de troncs communs devrait faciliter les choix d'orientation et les changements de spécialisation.
La commission a approuvé, à l'unanimité, les conclusions et les propositions de son rapporteur et en a autorisé la publication sous la forme d'un rapport d'information.
Présidence de M. Jacques Valade, président, puis de M. Jacques Legendre, vice-président. -