Nous accueillons M. Jean-René Brunetière, ancien directeur général de l'Agence du médicament, pour l'auditionner sur la période 1997-1999. Nous le remercions d'avoir répondu à notre invitation. Je vous rappelle que cette audition est ouverte à la presse et fait l'objet d'un enregistrement audiovisuel en vue de sa diffusion sur le site Internet du Sénat et sur Public Sénat.
En application de l'article L. 4113-13 du code de la santé publique, je dois vous demander de nous faire connaître, si vous en avez, vos liens avec des entreprises produisant ou exploitant des produits de santé ou des organismes de conseil intervenant sur ces produits.
Vous ne m'étonnez pas. Souhaitez-vous nous faire part de propos liminaires ?
Je me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions. Mon seul propos liminaire sera ma compassion pour les victimes de cette affaire que nous n'avons pas su protéger.
Nous avons deux catégories de questions à vous poser. L'une concerne le problème du Mediator afin d'obtenir quelques éclaircissements sur les dysfonctionnements constatés, l'autre l'évaluation, le contrôle et la politique du médicament que nous avons mis en place par l'intermédiaire de la législation actuelle.
Le rapport de l'inspection générale des affaires sociales (Igas), dans sa conclusion, souligne que « le système de notification des cas par les professionnels de santé aurait pu permettre le retrait du Mediator dès 1999 si le principe de précaution s'était appliqué ». Quelle est votre appréciation sur cette affirmation ? Disposiez-vous à l'époque d'un certain nombre d'éléments qui vous auraient permis d'envisager une procédure de retrait du marché de ce médicament ?
En outre, vous avez été destinataire d'une dépêche AFP concernant une étude de l'union régionale des caisses d'assurance maladie (Urcam) de Bourgogne sur le fait que le Mediator était utilisé à des fins amaigrissantes, préconisant son reclassement dans le groupe des amphétamines. Pouvez-vous nous dire la suite que vous avez donnée à cette demande ?
Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, concernant la première question, je dois préciser que j'ai été directeur général de l'Agence du médicament de novembre 1997 au 8 mars 1999. Le premier cas de valvulopathie attribué au Mediator a fait l'objet d'un signalement qui est parvenu au centre de pharmacovigilance régional de Besançon en février 1999. Je n'en ai pas eu connaissance personnellement.
Je vous arrête, Monsieur. Vous faites allusion aux hypertensions artérielles pulmonaires ou aux valvulopathies imputables au seul Mediator ?
Or, dans la période pendant laquelle vous étiez directeur de l'Agence, vous avez sans aucun doute eu connaissance de cas où le Mediator était associé aux fenfluramines et avait provoqué un certain nombre d'hypertensions artérielles pulmonaires. Tel est l'objet du « rapport Bechtel » qui émanait du Centre régional de pharmacovigilance de Franche-Comté en 1998 et qui, je pense, a été communiqué à la commission nationale de pharmacovigilance. Je souhaitais apporter cette précision.
Il convient de rappeler l'existence de plusieurs étages de décision : le comité technique de pharmacovigilance, la commission nationale de pharmacovigilance, la commission d'autorisation de mise sur le marché (AMM) et le directeur général. A ma connaissance, il ne m'est jamais parvenu de signalement d'effets indésirables graves imputables au Mediator.
Vous avez raison ; ces effets indésirables n'ont jamais été imputés au seul Mediator.
Les soupçons que nous avions sur le Mediator provenaient essentiellement de sa parenté chimique avec les autres amphétamines qui avaient été retirées du marché ou restreintes entre 1995 et 1997, soit avant mon arrivée à l'Agence.
Excusez-moi de revenir sur cette question, mais j'ai sous les yeux l'enquête officielle présentée au comité technique de pharmacovigilance du 17 décembre 1998 alors que vous étiez encore directeur de cette agence. Il fait état de onze cas d'hypertension pulmonaire dans lesquels le Mediator était à chaque fois mis en cause parmi d'autres médicaments. Par conséquent, je pense que vous avez eu des remontées.
Lorsque la commission nationale de pharmacovigilance ou le comité technique se réunissaient, n'aviez-vous pas un représentant qui y siègeait ? N'étiez-vous pas informé ?
Je ne suis pas médecin. Dès lors, chacun prenait ses responsabilités. A un moment donné, les commissions scientifiques de l'Agence se réunissaient, prenaient une position et proposaient à ma signature une décision, qu'il s'agisse d'une autorisation, d'un retrait ou autre. Je n'avais pas qualité pour leur indiquer qu'elles se trompaient sur tel ou tel point.
Cependant, je posais des questions lorsque quelque chose m'étonnait. Dix ans après, mes souvenirs sont vagues. Néanmoins, je me souviens de m'être étonné du fait qu'il existait des cas d'hypertension pulmonaire artérielle en France et de valvulopathie aux Etats-Unis liés aux fenfluramines, médicaments qui avaient été retirés du marché. On m'a alors expliqué que ces médicaments n'avaient pas été prescrits dans les mêmes stratégies thérapeutiques. Je me suis donc contenté de cette explication. S'agissant du Mediator, nous nous attentions davantage à des hypertensions artérielles pulmonaires qu'à des valvulopathies. J'ai cru comprendre que ces hypertensions artérielles pulmonaires n'avaient, durant mes fonctions à l'Agence, jamais encore pu être imputées par les scientifiques directement au Mediator. Ce dernier était sous surveillance étroite à titre officieux depuis 1995 et à titre officiel depuis mai 1998 - l'enquête officielle avait été déclenchée sous mon mandat - au titre de soupçons. Or, comme l'a souligné le rapport de l'Igas, il est très difficile de procéder au retrait d'un médicament sur des soupçons. Malheureusement, seuls des incidents graves permettent de le retirer immédiatement du marché.
A la même époque, nous avons connu un exemple de ce type avec le Tasmar qui était un antiparkinsonien du laboratoire Roche. Ce médicament était parfaitement efficace. Or, trois cas d'hépatites fulminantes ont été recensés dans le monde. Par conséquent, le médicament fut retiré du marché en quarante-huit heures. Le Mediator a survécu plus longtemps car nous n'avions que des soupçons. En l'absence d'incident grave, nous ne pouvions pas le retirer du marché. Le débat d'experts a permis la survie du Mediator.
J'avais patronné la mise sous enquête - je ne saurais pas dire si c'était sous ma signature ou sous délégation de signature - donc j'étais au courant.
La mise sous enquête officielle a été décidée en mai 1998 mais l'enquête officieuse date de 1995.
C'est exact.
Le premier signalement de valvulopathie est parvenu quelques jours avant mon départ de l'Agence. Je n'ai pas le souvenir qu'il m'ait été communiqué. Si tel avait été le cas, je n'aurais manifestement pas eu le temps d'intervenir car il a été notifié le 16 février ; or j'ai quitté l'Agence le 8 mars.
C'est oui.
Pour répondre à l'autre question, la lettre de l'Urcam de Bourgogne a été publiée dans Le Figaro du 10 décembre. C'est ainsi que je l'ai découverte ou plutôt redécouverte.
Cela signifie-t-il qu'au moment où elle a été publiée, vous n'en aviez pas connaissance ?
Je n'ai pas de souvenir précis de tous les épisodes lorsque j'étais directeur général de l'Agence du médicament.
J'ai fait publier dans Le Figaro un droit de réponse. J'ai alors pris un avocat. Je pense que vous disposez d'une copie de mon droit de réponse.
Cette lettre soulève trois problèmes : les effets indésirables du Mediator, le service médical rendu et son classement parmi les amphétamines.
L'autre problème était celui du mésusage lié au remboursement.
Comme vous pouvez le lire sur la copie de la lettre originale, j'ai adressé copie de la lettre aux deux directions compétentes, à savoir la direction de l'évaluation sous l'autorité du professeur Alexandre et la direction des études et de l'information pharmaco-économiques sous l'autorité du docteur Florette qui étaient respectivement en charge, pour le premier, de l'AMM et de la pharmacovigilance, et pour le second, du bon usage du médicament et du secrétariat de la commission de la transparence.
Les deux directions ont eu des échanges dont il est fait état dans le rapport de l'Igas. Ces échanges portent notamment sur les chiffres de vente car une surveillance de ces chiffres a été lancée simultanément avec l'enquête de pharmacovigilance. J'avais demandé aux deux directions de préparer conjointement une réponse à ma signature. En effet, « RMS » sur le document signifie « réponse à ma signature ». Le rapport de l'Igas m'a appris - je ne pense pas qu'une copie de l'échange entre les deux directions m'ait été communiquée - que la direction qui surveillait les ventes n'avait pas constaté d'augmentation significative des ventes au moment du retrait du Pondéral et de l'Isoméride. La direction de l'évaluation craignait alors un report de prescription lors du retrait du marché de l'Isoméride et du Pondéral.
Je vous rappelle que cela ne s'est pas vérifié par la suite. Nous avons au contraire observé une augmentation considérable des ventes du benfluorex à la suite du retrait de l'Isoméride. Cela prouve bien que le benfluorex était également prescrit comme coupe-faim, contrairement à ce que l'on veut nous faire admettre.
C'est exact. Nous avions manifestement une prescription en dehors de l'AMM, connue de l'Agence depuis 1997. A ce titre, la lettre de l'assurance maladie qui m'a été adressée ne faisait que confirmer les informations que nous avions à notre disposition depuis plus d'un an et qui avaient motivé le déclenchement de la surveillance des ventes. Je ne sais pas pour quelle raison la communication entre les deux directions fait état - ce que j'ai appris par le rapport de l'Igas - d'une absence d'augmentation significative des ventes. Toutefois, nous pouvions sans doute chiffrer à 20 % ou 30 % la prescription hors AMM du Mediator comme coupe-faim amaigrissant.
J'avais le sentiment que nous étions à l'affut en ce qui concerne la pharmacovigilance. S'agissant de la prescription hors AMM, je l'avais signalée à la direction compétente. En revanche - et je m'en veux encore -, je n'ai pas prêté particulièrement attention à la question du classement du médicament. Lorsqu'on se réfère aux deux passages que j'ai soulignés sur l'original, les traits un peu épais sont de ma plume. J'écrivais d'une encre brune reconnaissable.
Vous voyez que je n'ai pas souligné la fin sur le classement dans les amphétamines. En effet, j'étais très préoccupé des effets indésirables que nous aurions pu détecter lors de l'enquête de pharmacovigilance. J'étais également préoccupé de la prescription hors AMM. Cependant le classement du médicament ne m'alertait pas, n'étant ni médecin ni pharmacien.
Le rapport de l'Igas fait état d'un projet de réponse à cette lettre. Je ne saurais pas dire aujourd'hui si nous avons effectivement répondu ou non, mais le projet de réponse fait état de la manière dont l'Agence considérait les choses. Premièrement, ce médicament était sous surveillance du point de vue de la pharmacovigilance. Deuxièmement, le classement du médicament parmi les médicaments du diabète et de l'hyperlipidémie ne le répertoriait pas comme une amphétamine. En revanche, sa parenté avec les amphétamines justifiait notre vigilance. En effet, selon moi, ce médicament ne devait pas être assimilé à l'Isoméride et au Pondéral mais était un parent dont il fallait déterminer le degré de cousinage. Tel était mon état d'esprit à l'époque.
Est-ce que vous aviez connaissance du fait que ce médicament avait été retiré des préparations magistrales en 1995 ? Cela attestait sa nature chimique et son assimilation à un coupe-faim.
Je n'en ai pas le souvenir. La mémoire transforme les choses. Les explications qu'on m'avait données à cette époque m'avaient semblé convaincantes.
Je fais essentiellement référence à la direction de l'évaluation, c'est-à-dire le professeur Alexandre en qui j'avais toute confiance d'un point de vue scientifique. C'était une sommité mondiale ; il était à la fois président du comité européen et directeur de l'évaluation à l'Agence. Dès lors, il était extrêmement respecté dans le milieu. Par conséquent c'était ma référence scientifique. D'ailleurs, il avait parfois l'honnêteté de dire : « sur ce point-là, je ne sais pas ».
A l'Agence du médicament, la sortie des deux médicaments du marché - ce n'était pas encore un retrait définitif - était considérée comme un haut fait. Mon prédécesseur avait rencontré de grandes difficultés y compris des menaces ; vous êtes au courant de cela.
Quand j'ai pris sa succession, mon prédécesseur apparaissait comme le mythe fondateur de l'Agence, ayant eu le courage d'avoir affronté un laboratoire français. Selon moi, le ménage était fait. Je considérais que le Mediator n'avait pas été retiré du marché car il n'était pas apparenté aux deux autres médicaments. Or, cette idée s'est révélée largement fausse par la suite.
Alors que ce médicament était placé sous surveillance pour sa parenté avec les fenfluramines et qu'une enquête officielle avait été mise en place le 11 mai 1998 sur ses effets indésirables, pourquoi n'avoir pas envisagé l'application du principe de précaution ou au moins de prudence ? La convergence de ces différents signaux d'alerte ne devait-elle pas conduire à ne pas attendre le résultat des études en cours ?
D'une certaine manière, nous pouvons largement regretter qu'à cette époque-là, le droit était presque davantage un droit du commerce et de l'industrie qu'un droit de la santé publique. En effet, ces questions étaient traitées à la commission européenne par la direction de l'industrie et non par la direction de la santé. Dès lors, pour interdire un produit, il fallait apporter - l'Agence avait d'ailleurs perdu un procès contre Servier pour une restriction d'indication d'un médicament juste avant mon arrivée - des preuves suffisantes pour que le tribunal n'annule pas la décision. Or, les scientifiques qui m'entouraient disaient que nous ne disposions pas de preuves suffisantes. Nous ne pouvions pas à l'époque retirer un médicament du marché sur des présomptions non prouvées.
Vous avez été directeur général de l'Agence. Qu'avez-vous mis en oeuvre pour améliorer la politique du médicament ? Que regrettez-vous de ne pas avoir mis en oeuvre ? Finalement, quel est le bon profil du directeur général d'une agence du médicament ? Vous dîtes que vous n'êtes pas médecin. Doit-on recentraliser l'Agence ou la garder telle quelle ? Quel doit être le champ des responsabilités du directeur général, notamment au regard des avis qui lui sont transmis par la voie de l'expertise ?
L'Agence constitue un grand progrès par rapport à l'ancien système de direction de la pharmacie car elle a permis de doter le nouveau système de moyens que l'ancien n'aurait pas pu acquérir ainsi que de recruter des personnes de qualité. Rappelons le contexte : l'industrie pharmaceutique était omniprésente et très riche tandis que le service public ne l'était pas. Par conséquent, le recrutement à l'Agence s'avérait difficile. En effet, nous n'offrions pas des salaires comparables à ceux de l'industrie pharmaceutique. Grâce à l'aura du professeur Alexandre, nous recrutions de nombreux jeunes pharmaciens prometteurs qui restaient quelques années à l'Agence mais avec la perspective de se faire embaucher un jour par un laboratoire. Les laboratoires « tournaient autour » de l'Agence pour recruter de nouvelles personnes.
Il m'arrivait tout de même de recevoir des représentants de l'industrie pharmaceutique.
J'emploie la même métaphore que vous pour évoquer l'influence des laboratoires sur l'Agence.
Il faudra que nous parlions des questions de conflits d'intérêts que ces aspects soulèvent.
Par ailleurs, je pense que l'expertise interne de l'Agence était de qualité même si je n'ai pas toutes les qualités pour en juger. Elle était doublée d'une expertise externe assez importante.
Toutefois, la séparation de l'AMM, du remboursement et de la transparence était peut-être source de difficultés.
Je ne suis pas sûr que l'existence de plusieurs systèmes est une bonne chose. Dans d'autres pays, lorsqu'un médicament est mis sur le marché, on considère qu'il a fait ses preuves et doit donc être remboursé le cas échéant. D'ailleurs, la dilution des responsabilités a été néfaste dans l'affaire du Mediator.
A l'époque, les dysfonctionnements concernaient la formation continue des médecins, l'influence des laboratoires sur la prescription et le défaut de moralisation de la visite médicale. Je n'ai pas la preuve que, dans le secret des cabinets, la prescription hors AMM n'ait pas été évoquée lors des visites médicales. La pression de l'industrie pharmaceutique était vraiment très forte.
En outre, le financement de l'Agence était public avec une participation majoritaire de l'Etat, de l'ordre de 50 % du fait des salaires. Je passais mon temps à répéter aux directeurs de l'industrie pharmaceutique que les taxes ne leur revenaient pas mais correspondaient à un prélèvement de l'Etat. Néanmoins, l'augmentation progressive du financement par les taxes prélevées sur l'industrie pharmaceutique ne me semblait pas aller dans le sens de l'indépendance de l'Agence et m'inquiétait déjà.
Vous nous dîtes que le système de l'Agence du médicament est préférable à une direction car elle bénéficie de plus de moyens. Or, si ces moyens avaient été mis directement au service de la puissance publique au sein de l'administration centrale, quelle aurait été la différence ?
Le système d'agence avait été largement mis en place par l'Angleterre avant d'être véhiculé dans toute l'Europe. Cependant, nous nous apercevons que l'expertise de l'Agence peut être sujette à l'erreur. Si ces moyens avaient été mis au sein d'une administration centrale, qu'est-ce que cela aurait changé ?
Cela n'aurait rien changé. Je fonctionnais comme un directeur d'administration centrale. J'étais en liaison constante avec le cabinet du ministre. Le ministre M. Bernard Kouchner nous réunissait tous les quinze jours autour des questions de sécurité sanitaire. Dès lors, je ne me comportais pas comme un électron libre au sein d'une agence voguant seule. Ce statut d'agence était un artifice administratif pour régler des problèmes financiers et administratifs. Je me considérais comme entièrement dévoué au Gouvernement. Dans la pratique, les décisions importantes étaient évidemment prises sous l'égide du ministre.
Si nous conservons le système de l'Agence du médicament, compte tenu de l'évolution du droit vers un droit de la santé publique, quel doit être aujourd'hui le champ de responsabilités du directeur général d'une agence du médicament au regard des avis qui lui sont transmis par la voie de l'expertise ? Par ailleurs, êtes-vous d'accord avec la proposition du rapport Debré-Even de transformer l'agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) en une agence du médicament ?
Je prenais les décisions directement et non par délégation. En effet, la loi m'octroyait une délégation directe pour prendre les décisions d'AMM, de retrait, etc.
Le directeur général de l'Agence du médicament avait-il les mêmes prérogatives que celui de l'Afssaps qui remplacera l'Agence du médicament ? Prenait-il les décisions au nom de l'Etat ?
C'est exact. Cela n'a pas changé. Il prenait les décisions directement et non par délégation. Je trouvais ce système convenable car les responsabilités étaient clairement définies. C'est pourquoi je réponds aujourd'hui devant vous de mes responsabilités.
S'agissant des propositions qui m'étaient transmises par les commissions scientifiques, je n'étais pas lié par la totalité d'entre elles. Je pouvais demander que ces propositions soient revues. Néanmoins, je n'allais pas dire à des commissions scientifiques : « Vous vous trompez tous ; j'ai raison ». Cependant, sur certains points importants, je demandais des explications et des compléments d'information. J'ai une culture scientifique générale et des connaissances en statistiques. Dès lors, l'épidémiologie ne m'était pas étrangère. Par conséquent, je faisais une dernière relecture des propositions.
Sur le point de savoir si le poste de directeur général doit être confié à un médecin, je suis mal placé pour donner une réponse absolue. De mon point de vue, ce n'est pas nécessaire. Mon successeur a été un médecin.
Oui ; dernièrement il a été occupé par un conseiller d'Etat... Je ne suis pas du tout sûr que le fait que le directeur général de l'Agence soit un médecin donne une garantie particulière. En effet, lors de l'accident nucléaire de Tchernobyl, nous revoyons les images du professeur Pèlerin qui était bien médecin. Par conséquent, tout le monde peut se tromper. En revanche, l'organisation de la délibération collective et de la collecte du savoir importe davantage.
Je pense que tous les systèmes sont défendables à condition que le directeur général de l'Agence soit un organisateur.
Vous ne nous avez toujours pas répondu sur la question du champ de responsabilités du directeur général d'une agence du médicament au regard des avis qui lui sont transmis par la voie de l'expertise.
Il endosse la décision. C'est lui qui signe donc il a la pleine responsabilité. Je trouve que c'est une bonne chose. Je n'aurais pas accepté le poste si je n'avais pas approuvé ce système. Je savais la portée de mon engagement. Il est préférable que les responsabilités ne soient pas diluées mais confiées à une personne.
Je vous poserai une dernière question pour ma part. Faut-il donner à la commission de pharmacovigilance un pouvoir de décision et pas seulement une compétence à donner des avis ?
Je répugne un peu à donner à une commission un pouvoir de décision. Dans l'affaire du Mediator, la question n'a été que très rarement portée à la connaissance de la commission nationale de pharmacovigilance. Dix-sept réunions du comité technique ont été organisées selon le rapport de l'Igas mais leurs conclusions ne sont jamais parvenues à la commission d'AMM. La question d'un hiatus possible entre l'avis de la commission et un décideur n'a pas pu être posée puisque les conclusions de la commission n'ont pas été portées à la connaissance du décideur.
Je pense que la structure « avis scientifique et décision par un responsable public » n'est pas une mauvaise formule.
Je voudrais revenir sur la lettre du 21 septembre 1998 que vous ont adressée ces trois médecins-conseils nationaux de l'assurance maladie. Cette lettre de la caisse de Bourgogne a donné lieu à un reportage dans la région et à une dépêche de l'AFP qui est arrivée sur le bureau d'un des conseillers du ministre, à savoir Gilles Duhamel.
Gilles Duhamel vous aurait transmis cette dépêche avec un mot. Je voudrais savoir si vous l'avez reçue et ce qui en a résulté.
Je voyais Gilles Duhamel au moins une fois par semaine et quelquefois plus lorsque nous avions des affaires importantes à traiter. Je suppose qu'il a dû me donner la dépêche lors de l'une de ses visites et que nous en avons parlé. Je n'en ai pas gardé le souvenir mais j'imagine que nous avons évoqué la question du Mediator et que je lui ai dit ce que l'Agence était en train de faire. Il m'a sans doute dit qu'il fallait faire attention. Cette dépêche doit dater de l'été 1998. La lettre des médecins m'est parvenue ultérieurement, en septembre 1998.
Ni Gilles Duhamel ni vous-même n'aviez alors pensé à alerter le comité technique de pharmacovigilance (CTPV) ou la commission nationale de pharmacovigilance (CNPV) ?
Ils ont été alertés puisque c'était le principe même de l'enquête de pharmacovigilance. Le CTPV et le CNPV devaient ainsi être alertés sur les dangers potentiels du médicament même si à l'époque, nous cherchions plutôt les hypertensions artérielles pulmonaires que les valvulopathies. Lorsque j'ai reçu cette lettre, j'avais le sentiment que les filets étaient en place et je l'ai donc vérifié. Je suppose que c'est dans ce sens que les choses ont été évoquées avec Gilles Duhamel.
Dans le rapport de l'enquête officielle pour laquelle avait été mandaté le comité régional de pharmacovigilance de Besançon, il est fait état de ces onze cas d'hypertension artérielle pulmonaire qui impliquent le Mediator. Or, il n'est fait aucune référence au problème soulevé par la caisse primaire d'assurance maladie (Cpam) de Dijon. Cela signifie que tout est cloisonné. Or, il me semble qu'il s'agissait d'une occasion de citer ce rapport et d'envisager des mesures. On dirait que l'alerte de la caisse de Bourgogne n'a pas été suivie d'effets. Si une réponse a été donnée, nous n'en trouvons pas la trace. Il est vrai que les archives ne sont pas conservées au-delà de cinq ans. Nous avons interrogé M. Hubert Allemand qui ne se souvient pas avoir reçu de réponse.
C'est à la fois déprimant et inquiétant. Il semble que l'Agence n'ait pas réagi ; qu'elle ne s'est pas montrée proactive. Cela est arrivé de nombreuses fois par la suite à propos du Mediator. Nos interlocuteurs sont à chaque fois incapables de répondre. Soit ils n'ont rien vu, soit ils ne savaient pas, ou encore ils ne pouvaient pas... Aujourd'hui, je m'aperçois que nous en sommes réduits au même point.
Monsieur le Président, je m'exprime peut-être mal mais nous avions le sentiment que l'Agence avait déjà mis en place les éléments de réponse à ce que soulevaient ces médecins, grâce à l'enquête de pharmacovigilance, la surveillance des chiffres de vente, l'observatoire de la prescription, etc. Cette lettre, à l'époque où elle est écrite, ne constituait pas une alerte à proprement parler. Elle soulevait des problèmes que nous connaissions déjà à l'époque et dont nous avions le sentiment - à tort ou à raison - qu'ils étaient placés sous surveillance active. J'en apporte pour preuve les nombreuses réunions du comité technique de pharmacovigilance qui traitaient du cas du Mediator. Il n'a malheureusement pas fait remonter les informations à la commission nationale de pharmacovigilance, à la commission d'AMM et au directeur général.
Non ; je ne me vante pas de ne pas avoir répondu à la lettre.
Concernant le mésusage que vous reconnaissez, quelle mesure l'Agence a-t-elle prise ? Elle aurait pu adresser une lettre aux médecins. Cela s'est déjà produit. J'ai lu dans les annexes du rapport que le professeur Alexandre avait quelquefois envoyé des lettres aux médecins pour les alerter sur tel ou tel médicament, notamment lorsqu'il s'agissait de réduire la prescription des fenfluramines - avant votre arrivée. En outre, l'Agence aurait pu envoyer un courrier au laboratoire pour s'assurer que les visiteurs médicaux transmettent les indications contenues sur le résumé des caractéristiques du produit. Vous êtes bien d'accord avec moi : l'Agence du médicament n'a eu aucune réaction.
Il n'y a pas eu de réaction propre au Mediator. L'Agence a eu une réaction importante et générale au sujet des surprescriptions. C'est à cette époque que nous avons mis en place l'observatoire de la prescription, confié au professeur Bouvenot. En effet, la prescription hors AMN n'était pas l'exclusivité du Mediator. Nous avions une inquiétude générale sur la quantité de médicaments prescrits qui n'a pas cessé. Je suis prêt à assumer les responsabilités de l'Agence. Néanmoins, chaque médecin est responsable de ses prescriptions notamment lorsqu'il effectue des prescriptions hors AMM. L'Agence n'avait qu'un pouvoir d'observation et de recommandation que nous avons essayé de mettre en oeuvre en créant l'observatoire et en diffusant des documents sur les bonnes pratiques.
Il est vrai que le Mediator était l'objet, comme de nombreux autres médicaments, de prescriptions hors AMM et de surprescriptions que nous traitions de manière globale et non médicament par médicament. D'ailleurs, dans le cadre du Mediator, je ne pense pas que l'Agence aurait eu le pouvoir de réduire les prescriptions. Le médecin qui prescrit hors AMM sait ce qu'il fait.
C'est la liberté de prescription ; vous avez tout à fait raison. Cependant, je pense qu'il est du devoir d'une agence qui a aussi la mission d'informer les médecins, compte tenu de l'enquête, de les alerter sur la surprescription hors AMM. En outre, il était peut-être possible d'alerter les laboratoires Servier sur ces pratiques.
Cela aurait pu être fait ; vous avez sans doute raison.
Vous avez dit qu'en l'état du droit à cette époque, il n'était pas possible de retirer un médicament seulement sur des soupçons ; il fallait des incidents graves donc des preuves. Aujourd'hui, en l'état du droit, sans preuve mais sur la base d'une convergence de soupçons, l'Agence a-t-elle le droit de retirer un médicament ?
Madame la sénatrice, je ne suis pas compétent pour répondre de manière détaillée à cette question, ayant quitté le secteur depuis longtemps. Je n'ai pas suivi suffisamment l'évolution du droit.
Aviez-vous connaissance à votre époque d'autres médicaments y compris génériques sur lesquels un certain nombre de soupçons se sont portés mais ont été tus pour des raisons idéologiques, environnementales, économiques ou autres ?
Les arguments économiques n'intervenaient pas dans mes décisions. En revanche, nous placions toujours nos décisions dans un contexte de santé publique. A l'époque, nous traitions la question du vaccin contre l'hépatite B qui avait des soupçons d'effets indésirables graves. Par ailleurs, les bienfaits pour la santé publique étaient indéniables. Nous cherchions à équilibrer les deux aspects. Nous défendions le seul intérêt de la santé publique.
J'ai découvert ce matin une nouvelle catégorie de produits dits PTA, c'est-à-dire les produits thérapeutiques annexes. Bénéficient-ils du même type de contrôle ? Comment sont-ils encadrés ? Ces médicaments sont largement utilisés dans un certain type d'indications. Ils affectent directement le corps de la femme. Avez-vous eu connaissance de ces produits à l'époque où vous étiez directeur général de l'Agence ?
Je n'en ai pas connaissance. Mes souvenirs ne sont pas suffisants pour répondre à votre question.
Je crois que Monsieur Brunetière a quitté la santé depuis un certain temps pour se consacrer à l'environnement. Je vous remercie d'avoir répondu à nos questions.
Nous sommes très heureux d'accueillir M. Lucien Abenhaïm que nous auditionnerons en tant que responsable de la fameuse étude International primary pulmonary hypertension (IPPHS) et pour les fonctions de directeur général de la santé qu'il a exercées entre 1999 et 2003. Cette audition est ouverte à la presse et fait l'objet d'un enregistrement audiovisuel en vue de sa diffusion sur le site Internet du Sénat et sur Public Sénat.
En application de l'article L. 4113-13 du code de la santé publique, je vous demande de nous faire connaître, si vous en avez, vos liens avec des entreprises produisant ou exploitant des produits de santé ou des organismes de conseil intervenant sur ces produits. Cette disposition de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades ne peut être appliquée que depuis 2007.
Merci monsieur le Président. Madame la sénatrice et monsieur le sénateur, je vous remercie de m'avoir invité à m'exprimer aujourd'hui. C'est un sujet qui me tient à coeur et sur lequel je travaille depuis plus de vingt ans. Je me plie bien volontiers à la déclaration des conflits d'intérêts d'autant que j'étais en fonction lorsque la loi a été promulguée. En outre cette question des conflits d'intérêts est devenue mondiale à la suite de l'étude IPPHS. En effet c'est à la suite d'un éditorial frelaté, écrit par des personnes sous contrat avec les firmes pharmaceutiques à l'encontre de mon étude, que l'ensemble des revues médicales ont établi une politique de déclaration des conflits d'intérêts.
Aujourd'hui je suis résident britannique. J'exerce des activités de directeur scientifique d'un bureau d'études que j'ai fondé dans le domaine de la pharmaco-épidémiologie ainsi que des risques environnementaux et professionnels. Ces études sont essentiellement financées par des firmes pour la plupart pharmaceutiques dont je peux vous fournir la liste.
Je vous affirme très clairement que je ne reçois aucun financement de la part de Servier depuis 1996 ni de la firme Wyeth-Ayerst. Ces financements ont été arrêtés suite aux désaccords que nous avons eus au sujet de l'étude IPPHS. La firme Wyeth-Ayerst avait commercialisé le Redux qui est la copie du Mediator. Pour tout vous dire, Wyeth-Ayerst s'est joint à un groupe pharmaceutique avec lequel nous étions en contrat, nous avons immédiatement mis fin à ce contrat.
Vous nous remettrez la liste des firmes pharmaceutiques avec lesquelles vous êtes en contrat.
Je travaille avec AstraZeneca, GSK, Johnsen, Merck, Novartis, Roche, Sanofi-Aventis et un consortium de petits laboratoires essentiellement français producteurs d'anti-arthrosiques. Je vous fournirai la liste complète par courrier électronique.
Je suis également professeur honoraire à la London School of Hygiene and Tropical Medicine qui est l'école de santé publique de l'université de Londres.
J'ai mené ma carrière dans le domaine des risques professionnels et environnementaux puis des risques des médicaments qui représentent l'essentiel de ma carrière. En tant que médecin épidémiologiste, je m'intéresse aux problèmes de santé lorsqu'ils se manifestent en grand nombre. J'ai notamment travaillé sur les conséquences de l'utilisation de l'« agent orange » par les Américains au Vietnam.
Comme vous avez eu l'amabilité de le rappeler, j'ai mené l'étude IPPHS sur l'hypertension artérielle pulmonaire (HTAP). Cette pathologie avait déjà fait l'objet auparavant d'une épidémie à la suite de l'utilisation d'un anorexigène, l'aminorex. Lorsqu'un certain nombre de cas d'HTAP sont survenus en France, on m'a demandé d'étudier la question d'un point de vue épidémiologique.
Il s'agit des laboratoires Servier. J'ai également eu quelques échanges avec la commission nationale de pharmacovigilance en France et un certain nombre d'experts français. Je vivais alors au Canada où je dirigeais le programme de pharmaco-épidémiologie que j'avais créé en 1988.
Lorsque j'ai été contacté par la firme en tant que consultant, je lui ai indiqué dans une note qu'il existait selon moi une forte plausibilité de l'existence d'un lien entre ces produits et l'hypertension artérielle pulmonaire (HTAP). A l'époque nous n'avions recensé que sept cas. Nous avons lancé une étude internationale qui a été menée à la fin de l'année 1992 dans quatre pays : la France, la Belgique, l'Angleterre et les Pays-Bas. Elle était essentiellement financée par les laboratoires Servier. Elle était également financée par l'Institut d'hygiène et d'épidémiologie de Belgique et avait le soutien du Conseil de recherche médicale du Canada, ce qui en assurait l'indépendance. L'ensemble des travaux ont été menés sans la présence des laboratoires Servier et sans aucun échange avec eux sur les résultats sinon la veille des présentations dans les différentes commissions.
Cette étude avait été lancée à la suite d'une alerte initiée par l'équipe des professeurs Simmoneau et Duroux qui faisaient d'ailleurs partie du conseil scientifique de notre étude. Ces deux professeurs avaient rapporté un certain nombre de cas de pharmacovigilance. La méthodologie de cas-témoins consiste à collecter des cas et des témoins indépendamment de l'exposition et de vérifier les pourcentages d'exposition des cas et des témoins aux différents produits.
Les professeurs Bégaud et Weitzenblum faisaient partie de notre conseil scientifique. Cependant nos cas étaient triés par une équipe de trois Américains (les professeurs Rich, McGoon - qui a découvert les valvulopathies par la suite - Long Wayburn) et un Canadien. Nous avons remis un premier rapport intermédiaire en avril 1994.
Pourquoi vos cas étaient-ils sélectionnés exclusivement par des Américains ?
Nous pensions qu'il était important que les personnes qui sélectionnaient nos cas ne puissent pas être liées à celles qui avaient fait le diagnostic. Il fallait que l'expertise soit menée par des personnes susceptibles de rejeter un cas. Il en allait de l'indépendance de l'évaluation.
En outre, je vivais au Canada.
Tous les cas ont ensuite été revus par le comité scientifique dont les experts français. Les experts des quatre pays ont tous signé un accord sur le fait que les cas mentionnés étaient retenus. Nous avons rapporté cette étude en France à la commission nationale de pharmacovigilance en 1994 ainsi qu'à l'Agence du médicament qui avait été créée entretemps. Ce premier rapport faisait état d'une augmentation d'un risque associé aux fenfluramines bien qu'il s'agissait d'un rapport intermédiaire portant sur la moitié des cas. En mars 1995, nous avons rendu notre rapport final portant sur les produits spécifiques, que sont les spécialités pharmaceutiques dans lequel nous avons indiqué sans ambiguïté l'existence d'une relation causale entre l'exposition aux anorexigènes (notamment les fenfluramines) et l'HTAP.
Je tiens à souligner qu'il est assez rare qu'une étude épidémiologique conclue à la causalité sans estimer devoir mener d'autres études par la suite. Par ailleurs, il est assez rare qu'une étude financée par une firme pharmaceutique conclue à la responsabilité du produit dans une maladie mortelle sans ambiguïté.
Cela n'arrive qu'une fois. L'équipe qui a réalisé cette découverte a peu de chances de retrouver un contrat avec cette firme dans les mois qui suivent.
Dans ce cas précis, nous avons eu des relations parfaitement cordiales avec la firme en France. Elle a financé la publicité des résultats de l'étude lors d'un congrès international à Montréal ayant réuni 750 participants et nous a permis de financer la poursuite de l'étude pour pouvoir explorer d'autres sujets.
Nous avions remarqué que les patients nous avaient rapporté avoir pris assez souvent des préparations que l'on ne pouvait pas attribuer à des coupe-faim particuliers car ils nous disaient qu'il s'agissait de préparations pour maigrir. Ils nous disaient « j'ai pris des plantes ». Grâce au deuxième financement, nous avons pu retourner chez les pharmaciens de ces patients. Nous avons ainsi pu vérifier que ces préparations magistrales comprenaient très souvent de la fenfluramine. A la suite de la découverte de la présence de fenfluramine dans les préparations magistrales, j'ai écrit au directeur de l'évaluation de l'Agence du médicament le 11 octobre 1995 pour l'alerter sur les préparations magistrales. Je pense que cette lettre a joué un rôle très important dans l'arrêté du 25 octobre 1995 indiquant que tous les anorexigènes et amphétaminiques étaient interdits dans les préparations magistrales, notamment le benfluorex.
Pourriez-vous nous procurer cette lettre dont nous n'avions pas connaissance ? Le rôle qu'elle a joué dans la décision est intéressant à évaluer. Il importe de savoir si vous êtes intervenu avant ou après que la bataille ait été livrée.
Je vous la ferai parvenir. Je subodore que cette lettre a joué un rôle important puisque j'ai remarqué dans le rapport de l'Igas la conjonction entre les dates du 11 et du 25 octobre 1995.
Nous avions supposé le rôle des préparations magistrales dans notre rapport de 1995 mais nous n'en avions pas la preuve. C'est par l'analyse du contenu de ces préparations que nous en avons eu la preuve par la suite.
Après cette période, j'étais convaincu comme beaucoup que la question des anorexigènes était réglée pour l'essentiel, puisqu'une décision de limitation de la prescription des anorexigènes à l'hôpital avait été prise en Europe et en France. On m'avait indiqué une chute de 99 % des prescriptions.
Cela m'a beaucoup étonné. J'ai découvert récemment que la décision européenne n'avait pas pour but de limiter à trois mois la prescription mais de permettre une prescription au long cours des fenfluramines, et non des autres amphétaminiques.
Nous croyions avoir réalisé une étude exemplaire à nos yeux. Or une réunion de la Food and Drug Administration (FDA) en septembre 1995 nous a appris qu'il existait une tentative d'introduction du Redux aux Etats-Unis qui est la forme américaine de l'Isoméride. Compte tenu de notre étude et de notre témoignage à la FDA, nous pensions pourtant que ce produit ne serait jamais accepté. Lors du premier débat à la FDA, j'avais d'ailleurs présenté oralement les résultats, y compris concernant les préparations magistrales. Le premier vote avait été négatif. Or il a été cassé par la FDA. Un deuxième vote a abouti à la mise sur le marché du produit avec une prescription au long cours et une publicité directe auprès du public. Cela nous a choqués. Par conséquent, nous avons fait des déclarations auprès des médias et des différentes sociétés. Nous avons cherché à mobiliser la FDA américaine et des firmes en leur exposant qu'il s'agissait d'un risque particulièrement inacceptable. C'est à ce moment-là que nos rapports avec la firme Servier ont commencé à se dégrader très fortement. Notre deuxième étude en cours sur les problèmes liés à l'insuffisance veineuse a été arrêtée d'un commun accord.
Sauf erreur de ma part, cette étude a été rapportée dans ma note au rapport de l'Igas. J'avais fait une étude peu de temps auparavant sur une base de données anglaise au sujet des antidiabétiques dont le Diamicron.
Vous n'en aviez pas profité pour tester le Mediator qui est aussi un antidiabétique des laboratoires Servier ; c'est dommage.
L'étude a été menée en Angleterre où je ne crois pas que le Mediator ait été utilisé.
Pour Servier, le Mediator n'était pas un anorexigène mais un antidiabétique. Il est vrai qu'il n'était pas utilisé en Angleterre.
Décidément les occasions manquées ont été beaucoup trop nombreuses.
Je suis d'accord avec vous ; il y en a eu beaucoup trop.
Je reviendrai sur ce point par la suite.
A l'époque, cette étude portait sur les hypoglycémies. Je ne savais pas si le Mediator avait une indication d'antidiabétique à l'époque.
En France, théoriquement il n'aurait pas dû avoir l'indication d'antidiabétique. Or en pratique, il l'avait puisque cette indication a été maintenue en dépit des avis défavorables de la commission d'autorisation de mise sur le marché (AMM), de 1987 en particulier, ce qui est énigmatique.
C'est même choquant.
L'étude sur l'insuffisance veineuse avait été subventionnée mais nous n'avons plus reçu aucun fonds après cette date. Nous n'avons jamais réalisé l'étude de l'essai pharmaco-économique sur le Daflon. En revanche, l'étude menée précédemment sur les hypoglycémiants a été présentée devant le Conseil québécois de pharmacologie qui est l'équivalent de la commission de la transparence, sans donner lieu à aucune décision.
Le Mediator n'était pas non plus commercialisé au Canada.
Il est dommage que ce laboratoire ne vous ait pas demandé cette enquête pour la France. Il aurait alors fallu inclure le Mediator.
Sachez que cette étude portait sur les hypoglycémies et non sur les valvulopathies ni les HTAP.
Le Mediator était considéré comme un antidiabétique en France. Nous aurions alors pu étudier s'il était aussi efficace que le Diamicron par exemple, puisqu'il a été comparé à la Metformine.
Souhaitez-vous plus de détails sur les hypoglycémiants ?
Poursuivez votre intervention sur les Etats-Unis en particulier. Vous en étiez au deuxième vote venu contredire le premier. Que s'est-il passé ensuite ?
Merci.
Je pense que le produit a été mis sur le marché aux Etats-Unis en mai 1996 environ. Cela avait amené la plupart des observateurs à croire qu'il existait d'autres médicaments coupe-faim sur le marché américain dont l'équivalent du Pondéral qui s'appelait Pondimin et des génériques de ce produit (fenfluramines), ainsi que d'autres amphétaminiques dont la phentermine. Une publicité extraordinaire a commencé pour une combinaison de fenfluramine-phentermine appelée Fen-Phen. Nous avons ainsi connu en quelques mois une forte épidémie de consommation de fenfluramine et de phentermine. Par ailleurs, dix-huit millions de prescriptions de Redux ont été faites. Plusieurs millions de personnes ont donc été exposées à ces produits aux Etats-Unis pendant plusieurs mois alors que nous publions notre article (en août 1996) indiquant que les anorexigènes étaient la cause de HTAP, notamment les fenfluramines.
Cette publication a été accompagnée d'un éditorial frelaté, c'est-à-dire rédigé par des personnes qui étaient en contrat avec des firmes. Nous avons dénoncé très fortement cette situation. Dès lors la publicité sur ces médicaments était due davantage à l'éditorial. Entre notre passage à la FDA et la publication, nous avions rencontré beaucoup de scepticisme de la part de la majorité des intervenants, qui disaient : « Comment la FDA peut-elle se tromper ? » Heureusement je n'étais pas seul. J'avais le soutien d'une douzaine de centres nord-américains dont les plus grands. L'éditorial frelaté a donc entraîné une énorme suspicion. Il a beaucoup plus fait parler de lui que notre étude.
Jusqu'en 1997, c'est-à-dire jusqu'au retrait des fenfluramines, on parlait beaucoup de notre étude et des risques ainsi que des manipulations qui pouvaient avoir lieu autour de la décision de la FDA puisque personne ne comprenait le renversement à une voix du vote américain. Nous avons demandé le lancement d'une deuxième étude aux Etats-Unis sur l'HTAP. Or nous avons obtenu une fin de non-recevoir de la part des firmes pharmaceutiques - y compris la FDA pendant un certain temps. Par conséquent j'ai utilisé les fonds restants de l'étude IPPHS pour lancer cette deuxième étude appelée SNAP de surveillance nord-américaine de l'hypertension artérielle pulmonaire primitive. Cette étude, qui a mobilisé l'ensemble de la communauté américaine, a été attachée à ma note au rapport de l'Igas mais n'a pas été publiée avec le rapport. La conclusion de cette étude était la suivante : « l'importance de l'association avec l'HTAP, l'accroissement de l'association avec l'accroissement de la durée de l'utilisation et la spécificité des fenfluramines sont cohérentes avec les études précédentes [IPPHS] indiquant que les fenfluramines sont reliées de façon causale à l'HTAP ». Les résultats préliminaires furent disponibles dès 1997. La communauté et les avocats américains - dont certains attendaient même les patients à la sortie des hôpitaux - se sont fortement mobilisés, y compris la Mayo Clinic - où le professeur McGoon avait découvert les valvulopathies.
Le professeur Connolly était le chirurgien. Cependant c'est le professeur McGoon qui a fait le lien entre les fenfluramines et les valvulopathies chez ces patientes. L'une des patientes souffrait également d'HTAP. C'est ainsi qu'il a fait le lien avec Redux.
En septembre 1997, les fenfluramines ont été retirées mondialement du marché. Je pensais à nouveau, à tort, que la question était réglée. Pendant toute l'année 1997, nous avons subi des pressions considérables, certaines pour lesquelles je témoignerai sous serment en temps et en lieu. Certaines sont déjà apparues dans la presse. Heureusement je n'étais pas seul à traiter le sujet donc cela n'a pas eu un impact très important sur moi.
Jusqu'à ce que fin 2008 j'apprenne l'existence de cas d'hypertension artérielle pulmonaire primitive en France et un cas de valvulopathie associés au Mediator, je n'avais pas entendu parler de cette situation.
Je suis arrivé à la direction générale de la santé (DGS) en août 1999. On ne m'a alors pas parlé du Mediator. Durant mon séjour à la DGS, on ne retrouve aucune mention à mon endroit sur le Mediator de la part d'aucune instance. D'ailleurs, cette question n'a jamais été abordée par la commission nationale de pharmacovigilance durant cette période. Elle n'a jamais été à l'ordre du jour des comités techniques de pharmacovigilance, et seulement abordée quatre fois en questions diverses ou en tour de table en deux lignes. Elle n'a pas donc pas été abordée une seule fois pendant la période qui a suivi ma nomination surprise à la DGS.
En juillet 1999, une commission de pharmacovigilance s'est réunie. On m'a contacté pour prendre la DGS pendant que j'étais au Canada.
Je fais référence au cabinet de Mme Aubry. Le rapport de l'Igas fait mention d'une réunion de la commission de pharmacovigilance en juillet 1999 au cours de laquelle le Mediator a été abordé. J'ai été nommé en août 1999. Or personne n'a évoqué cette question devant moi. C'est pourquoi je parle de nomination surprise.
Je pense que cette nomination a constitué une mauvaise surprise pour beaucoup de monde car j'étais particulièrement mobilisé contre les anorexigènes depuis plusieurs années. Je pense d'ailleurs que c'est peut-être la raison pour laquelle on n'a pas du tout entendu parler du Mediator après ma nomination. C'est mon interprétation des faits.
Pendant que vous étiez à la DGS, il est vrai qu'aucune commission nationale de pharmacovigilance n'a abordé le problème du benfluorex. Nous pouvons le déplorer car en 1999 les alertes étaient suffisamment graves pour qu'on puisse prendre des mesures conservatoires de retrait du produit. Or cela n'a pas été le cas.
Dès lors que vous avez été nommé quatre ans après la publication de vos études, comment se fait-il que vous n'ayez pas provoqué le débat sur le Mediator ?
Je ne comprends pas non plus. Votre question est parfaitement légitime. Comment se fait-il que l'expert que j'étais, connaissant parfaitement les questions d'HTAP, ait pu rester quatre ans à la DGS sans que le Mediator ne soit retiré du marché ?
Je vous rappelle que l'étude IPPHS a été menée en France avec une trentaine de centres français et des experts français, en lien direct avec l'agence française du médicament.
Pour répondre à votre question, à l'époque je ne savais pas que le Mediator était un anorexigène, qu'il s'agissait du benfluorex. Je n'ai pas pensé une seule seconde qu'un pays comme la France puisse avoir laissé sur le marché une fenfluramine, produit mortel, avec la publicité extraordinaire qu'avait eu le retrait mondial des fenfluramines. J'avais été nommé « scientifique de l'année 1997 » par Radio Canada en reconnaissance du travail que nous avions mené. Je pense que la France ne pouvait pas avoir laissé des fenfluramines sur le marché, et je pense que je n'étais pas le seul, puisque des centaines d'experts semblent avoir laissé cette question perdurer.
En 2008, lorsque je reçois en tant que relecteur pour European respiratory journal la publication intitulée « Fenfluramine like » (produit apparenté à la fenfluramine) écrite par les docteurs Simmoneau et Frachon, j'ai alors recommandé sa publication. Cela a donc été pour moi un coup de tonnerre d'apprendre qu'il existait encore en France un produit à base de fenfluramine. C'est à ce moment que j'en ai entendu parler.
Vous savez, monsieur le professeur, qu'il existe encore des amphétamines masquées sur le marché français.
J'espère qu'il n'est pas utilisé comme anorexigène aujourd'hui.
Je me souviens avoir écrit une note pour déconseiller son remboursement lorsque j'étais à la DGS.
Vous dites que vous ne saviez pas que le Mediator était du benfluorex. Estimez-vous avoir été abusé par votre entourage ? Si oui, par qui et pourquoi ?
J'espère que personne à la DGS ne savait alors que le Mediator était un anorexigène.
Monsieur le professeur, je vous arrête ; le problème avait été signalé dès 1998 à l'Agence du médicament par les trois médecins conseils de l'assurance maladie. Ils avaient indiqué que le Mediator n'était pas prescrit comme antihyperglycémique mais comme coupe-faim. Que vous ne le sachiez pas à l'époque, pourquoi pas. Cela a peut-être été étouffé par la suite. Toutefois, cela a donné lieu à des publications dans la presse et à des émissions télévisées. Comme je le déplorais lors de l'audition de M. Brunetière, l'Agence du médicament n'avait pris aucune décision.
Je ne crois pas que quiconque ait pu avoir conscience de ce problème sans m'en informer car cela aurait été volontaire. Le problème tient au fait que la DGS siège à la commission nationale de pharmacovigilance et au comité technique de pharmacovigilance. Or le problème du Mediator n'a jamais fait l'objet d'une alerte ou d'une urgence quelconque durant ces quatre années. A la lecture des comptes rendus des réunions, je ne pense pas que les agents de la DGS aient été mis dans la situation d'alerter.
A l'évidence, j'ai été abusé par Servier qui ne m'a pas indiqué au moment de l'étude qu'il avait un autre produit à base de fenfluramine commercialisé en France. Une étude épidémiologique est menée comme une enquête criminelle. Quand on suspecte un produit de pouvoir créer des problèmes, on présente le produit à des témoins mêlé à d'autres produits, pour qu'on ne puisse pas nous accuser d'avoir pointé du doigt le produit. Dans le cadre de l'étude IPPHS, nous avons interrogé les patients de chaque pays sur vingt et une classes de médicaments, comptant cent cinq médicaments au total, dont le Mediator qui faisait partie en France de la classe des hypolipémiants à une époque (1989 à 1992) où il y avait très peu de produits dans cette classe. Mais parmi nos cas, il n'y avait que deux utilisateurs d'hypolipémiants. Nous n'étions pas dans un dispositif d'étude qui aurait pu, sur la base des données dont nous disposions, mettre en évidence le Mediator. Cependant je pense que ce n'est pas par hasard si l'on ne nous a pas signalé l'existence du Mediator au cours de cette période.
Comment les cas que vous avez examinés dans votre étude IPPHS étaient-ils répartis en France ?
Comment avez-vous travaillé avec les centres nationaux de pharmacovigilance ? Les cas qui ont été relevés sur mandat de la commission nationale de la pharmacovigilance et du comité régional de Besançon, ont-ils été intégrés dans l'étude IPPHS ?
Nous avions contacté 220 centres de traitement de l'HTAP en Europe.
Aujourd'hui notre étude et celle que j'ai menée aux Etats-Unis sont les seules preuves dont nous disposons quant au lien des fenfluramines avec l'HTAP. Les résultats de mon étude s'appliquent au benfluorex et les victimes du benfluorex s'appuieront sur cette étude et celle que j'ai réalisée ensuite car, aujourd'hui, elles apportent la preuve de son rôle comme principe actif causant les HTAP.
Vous voulez dire que les deux études pharmaco-épidémiologiques sur le benfluorex s'inspirent de la méthodologie que vous avez utilisée pour les fenfluramines ?
Pas tout à fait, ces études qui ont été faites portaient sur les valvulopathies. Or je parle de l'HTAP, un peu oubliée. Aujourd'hui les victimes éventuelles du benfluorex qui souffrent d'HTAP pourront s'appuyer sur mes études de l'époque, en l'absence d'études récentes.
Il me semble que les études pharmaco-épidémiologiques qui ont été menées, l'une par Mme Hill et l'autre par M. Weil, portaient non seulement sur les valvulopathies et aussi sur les hypertensions artérielles pulmonaires primitives. Dans les deux cas, il y a souvent hospitalisation et, hélas, décès.
Je crois qu'elles ne portaient que sur les valvulopathies. Du point de vue de la méthodologie, les études de causalité sont différentes des études d'évaluation du risque. Mes études sont des études de causalité différentes des études d'évaluation et d'augmentation du risque. Elles seront utiles aux victimes. En matière de politique de santé publique, les études de Mme Hill, de M. Weil et de Mme Frachon étaient suffisantes pour décider du retrait du produit : un cas et, en termes de précaution, peut-être même que zéro cas suffirait dès lors que le bénéfice était considéré comme nul. Nous avons donc collecté les cas en France et dans d'autres pays.
Vous avez donc court-circuité les centres régionaux de pharmacovigilance (CRPV) ?
Ce n'est pas la même méthodologie. Il y avait deux enquêtes parallèles : celle du CRPV de Besançon, qui collecte des cas exposés aux fenfluramines et plus généralement les coupe-faim, et notre étude cas témoins épidémiologiques de causalité qui n'a pas comme objectif de collecter tous les cas, mais des cas certains de la maladie et, parmi eux, de voir la proportion exposée aux fenfluramines.
Avez-vous pris en compte les cas qui ont été détectés par les centres régionaux de pharmacovigilance détectés notamment le CRPV de Besançon ?
Nous n'avons pu prendre en compte qu'une partie de ces cas car certains centres les ont déclarés au CRPV de Besançon et n'ont pas voulu participer à notre étude. De plus notre enquête porte sur la période postérieure à 1992 alors que l'enquête de la commission nationale de pharmacovigilance (CNPV) porte sur des cas qui peuvent avoir été diagnostiqués bien avant.
Par ailleurs, comme je l'ai découvert dans le rapport de l'Igas, en juillet 1995, a eu lieu une enquête sur le Mediator et l'HTAP qui aurait découvert quelque dix cas dont il est dit qu'ils faisaient partie de l'enquête de pharmacovigilance du CRPV de Besançon présentée à la CNPV le 28 avril 1995 alors que nous présentions notre enquête. Je peux vous dire que cette dizaine de cas associés au Mediator n'a pas été vue le 28 avril. J'ai ici l'enquête du CRPV de Besançon. Il y a un seul cas que je retrouve dans leur tableau et, d'ailleurs, pas avec les HTAP, mais concernant un décès. Quarante et quelque cas sont présentés avec les amphétamines, mais en aucun cas le nom Mediator n'est présenté dans l'enquête du CRPV de Besançon en avril 1995.
Monsieur le professeur, je vais vous apporter un démenti. Il s'agit certes non pas de la réunion du CNPV du 28 avril 1995, mais de celle du 10 mai 1994, dont le compte rendu ne figure d'ailleurs pas dans les annexes de l'Igas, au cours de laquelle vous avez présenté un rapport intermédiaire sur votre étude.
Au cours de cette réunion, le centre régional de pharmacovigilance de Besançon vous a présenté un rapport faisant suite au rapport présenté en juin 1993 devant la commission nationale de pharmacovigilance qui concernait les effets indésirables de l'Isoméride recueillis par l'ensemble des centres régionaux de pharmacovigilance entre novembre 1985 et le 1er décembre 1992. Certains de ces cas se retrouvent forcément dans votre étude. Ce rapport signale dans ses annexes un certain nombre de cas d'HTAP. Pour quatre cas, il était mentionné expressément que ces personnes avaient pris du Mediator.
C'est dommage car vous auriez appris que certains malades qui prenaient de la fenfluramine prenaient aussi du Mediator. Les patients sont identifiés par des numéros pour respecter leur anonymat. Je pourrai vous communiquer ce rapport.
Donc aucun cas ne pouvait faire partie de notre étude. Notre étude a commencé en décembre 1992 pour les cas collectés et diagnostiqués après.
Si vous aviez eu connaissance de ce rapport et l'aviez lu, vous auriez découvert que des patients exposés aux fenfluramines prenaient aussi du Mediator.
Pourquoi ne m'a-t-on pas demandé de prendre en compte le Mediator dans mon étude puisqu'il s'agissait d'un sujet de préoccupation ?
Pourquoi ces cas ne sont-ils pas rapportés dans le rapport subséquent de 1995 du centre régional de Besançon, qui fait l'ensemble des cas précédents et, dans son enquête sur l'Isoméride de 1995, ne signale qu'un seul cas ?
Ces enquêtes ne m'ont jamais été remises car je réalisais une enquête indépendante.
Nous poserons ces questions à M. Imbs qui était le président de cette commission.
Il s'agissait là encore d'une occasion de prendre connaissance du lien entre le Mediator et les fenfluramines, puisqu'il était prescrit en même temps qu'eux, peut-être comme antidiabétique. J'utilise ce mot car le professeur Alexandre dit encore aujourd'hui que le Mediator n'est pas un anorexigène mais un hypoglycémiant mal étudié.
Qu'il s'agisse d'un anorexigène ou non, si c'est une fenfluramine, ce dont plus personne ne doute vraiment aujourd'hui et qu'il n'y a pas des métabolites contrariant son action, il demeure une cause définitive de l'HTAP, que j'ai fait inscrire par l'OMS. Il reste à savoir si l'effet antidiabétique ou hypotriglycéridémiant justifiait ce risque. J'en doute fortement. Un produit qui crée une pathologie probablement mortelle, pouvant l'être ou entraînant un traitement à vie, lorsqu'on le laisse sur le marché, c'est qu'il remplit un besoin médical non satisfait, et je ne crois pas qu'on avait d'autres options que le Mediator.
La seule raison pour laquelle vous pouvez conserver sur le marché un produit connu comme ayant des risques mortels reproductibles, c'est lorsqu'il s'agit du seul traitement connu pour la maladie en question. Or ce n'est pas le cas du Mediator.
Manifestement la prescription simultanée d'une fenfluramine et du Mediator aboutissait à l'augmentation de la dose de fenfluramine, car cela aboutit à la production de norfenfluramides qui est leur métabolite commun.
Il est possible que ce rapport ait été présenté devant moi. On l'avait pour d'autres produites : car on me l'a demandé pour le Prozac et les autres amphétaminiques, car il y avait le précédent de l'animorex. Cependant personne ne m'a demandé d'analyser si le Mediator présentait un risque. J'étais alors au Canada. J'ignorais que le Mediator faisait partie de cette famille de médicaments.
C'est un problème vraiment franco-français à part quelques pays méditerranéens. Encore une occasion ratée ! Nous essaierons d'éclaircir cette énième énigme avec les principaux protagonistes. Nous auditionnons M. Iimbs, alors président de la CNPV.
A la question de M. Le Menn, vous avez répondu avoir confiance en les agents de la DGS. Vous nous avez raconté le revirement brutal de la FDA. Nous avons connu un cas similaire en France avec l'Afssaps le 24 avril 2000 puisque l'agence a refusé une demande d'AMM comme antidiabétique de premier rang. Un recours a été rejeté le 11 septembre 2000. Or en juin 2001, l'AMM devient un adjuvant du régime du diabète à surcharge pondérale, comme le voulait Servier. Des agents de la DGS surveillent-ils des comportements étonnants de ce type ?
Je signale à Mme Blandin que la DGS est membre de droit de la commission d'AMM.
A la différence du Redux, nous n'avions aucun moyen en 2000 de savoir que le Mediator était lui-même à l'origine d'HTAP.
Les agents de la DGS n'avaient aucun moyen de savoir que ce médicament était une fenfluramine créant des HTAP et des valvulopathies.
Il est visible qu'une pression des laboratoires a fait changer d'avis les experts.
N'ayant pas assisté à cette réunion, je ne peux pas savoir ce qui a eu lieu. Suite à l'affaire du sang contaminé, la DGS a été privée, à mon avis à juste titre, de ses moyens d'intervention sur l'autorisation de mise sur le marché, sauf en situation d'urgence. Ils ne se prononcent pas comme experts, dans un processus qui doit être indépendant du pouvoir politique et de l'administration. Je continue de penser que l'indépendance de l'autorisation de mise sur le marché de la DGS et du politique est un bon système.
Il nous a été dit par les laboratoires Servier que « lorsqu'on administre la fenfluramine ou la dexfenfluramine (composé parent), elles représentent environ 60 % des composés circulants, les 40 % autres circulants étant la norfenfluramine. Si vous prenez du benfluorex, ce dernier ne circule pas au niveau plasmatique en tant que tel mais est métabolisé en trois ou quatre métaboliques circulants. La norfenfluramine ne représente alors que 10 % des composés circulants. Par conséquent la différence majeure tient au fait que le benfluorex ne donne pas naissance à de la fenfluramine. Dès lors la fenfluramine et la norfenfluramine sont tous deux porteurs de l'activité pharmacologique, alors que pour le benfluorex la norfenfluramine ne représente qu'environ 10 % de l'exposition plasmatique de l'ensemble des métaboliques, qui sont d'une autre nature. » Etes-vous d'accord avec cette déclaration ?
Je ne suis pas pharmacologue. Toutefois je me méfie des pourcentages : sur combien de milligrammes portent-ils ? Je crois avoir vu que dans le cas de l'Isoméride, on parle de 30 % de 30 à 40 mg, et pour le Mediator de 10 % de 150 mg, c'est-à-dire au total la même quantité dans le sang, auquel cas l'argument est spécieux. Je vous invite à interroger le professeur Bégaud, qui est un excellent pharmacologue.
J'aurais tendance à être d'accord avec vous. Nous lui poserons évidemment la question.
En France, votre étude IPPHS a eu pour effet de restreindre considérablement la prescription des fenfluramines, la vente du produit en France ayant été pratiquement divisée par dix. Cependant ce médicament n'a pas été retiré du marché. Or aux Etats-Unis, le médicament a été mis sur le marché en dépit de votre étude. Je ne comprends pas pourquoi un pays comme la France n'a pas retiré ce médicament du marché malgré les nombreux cas d'HTAP signalés. Or lorsque ce médicament est retiré du marché aux Etats-Unis, après n'avoir été prescrit que pendant un an, il est retiré trois jours après en France.
L'Isoméride était toutefois majoritairement prescrit en France. Pourquoi a-t-il fallu que les Etats-Unis retirent ce médicament du marché pour que la France agisse de même ?
On entendait beaucoup dire à l'époque qu'il y avait un bénéfice de ce produit. L'HTAP est une maladie rare : elle survient chez deux personnes sur 500 000 et, dans notre étude, nous montrions que, sous fenfluramine, le risque pouvait être de 1 sur 10 000 ou 1 sur 20 000. Tandis que les valvulopathies sur lesquelles les produits ont été retirés en septembre 1997 avaient des pourcentages rapportés entre 1 % et 30 % parmi les personnes qui les prenaient. Donc, c'était considéré comme un phénomène très rare, comme le choc anaphylactique dans la pénicilline, imprévisible comparable à des réactions immunologiques compensées par des « bénéfices » en termes d'obésité. A l'époque, de savants calculs ont été effectués aux Etats-Unis et, en France, de grands experts, dont certains encore actifs, affirmaient que le bénéfice dans le traitement de l'obésité compensait le risque de la maladie mortelle qu'était l'HTAP, très rare, tandis que pour les valvulopathies, ce modèle ne fonctionnais plus du tout puisqu'on parlait de 1 % à 30 % des personnes. Même s'il a été démontré ensuite que le chiffre de 30 % était faux, la proportion de 1 % était déjà trop élevée, alors qu'il y avait des millions d'utilisateurs.
Personnellement, je n'étais pas convaincu de l'argument de la rareté de l'événement. J'ai alerté la FDA sur le risque qui pouvait être plus important que le bénéfice. On peut perdre du poids pour de mauvaises raisons, y compris quand on est malade. Or à l'époque nous n'étions pas entendus ; les Etats-Unis vivaient les débuts de l'épidémie d'obésité, ce qui créait une grande peur. Pour notre part, nous sentions que, avant les valvulopathies, les choses commençaient à sentir le « roussi » pour le produit. Dans la surveillance que nous menions, des cas apparaissaient : pour le premier cas, la firme a été condamnée à 1 milliard de dollars d'indemnisation de la victime, notamment avec des dommages punitifs du fait des pressions que nous avions subies. Il y a eu un règlement hors cour.
Tout le monde avait peur d'une épidémie d'hypertension artérielle pulmonaire primitive semblable à celle qui avait eu lieu en Suisse. Mon maître, Paul Montastruc de Toulouse, disait toujours que « si vous voulez savoir si un produit a des effets secondaires, regardez la bourse ».
Les valvulopathies auraient dû porter le coup de grâce, y compris au benfluorex.
Par conséquent, vous pensez qu'on aurait dû suspendre le produit dès 1995, plutôt que de restreindre les prescriptions ?
Je n'étais pas décideur mais expert à l'époque. Pour conserver notre crédibilité, nous devions nous prononcer sur la science et non sur la décision.
En 1995 même, le rapport bénéfice-risque ne me semblait pas évident.
Vous avez mentionné le cas d'un patient souffrant à la fois de valvulopathie et d'HTAP. Peut-on en conclure que les fenfluramines permettent de montrer un lien de causalité pour les deux maladies ?
A mon sens, il ne fait aucun doute que les fenfluramines sont la cause des deux maladies. Les valvulopathies présentent des membranes blanches qui sont typiques de la fabrication de sérotonines. La causalité est encore plus claire qu'avec les HTAP, car on a quasiment une signature moléculaire.
Si le benfluorex produit vraiment de la fenfluramine dans les mêmes quantités, nous n'avons pas à nous poser la question. C'est au moins une question de précaution en matière de santé publique. J'ai déjà pris l'argument des études sur le tabac, dont les premières ont été faites aux Etats-Unis sur du tabac blond, mais elles s'appliquaient aussi aux Gitanes et aux Gauloises. Nous n'avons pas besoin d'avoir exactement la même molécule pour savoir si le risque existe ou non.
Lorsque vous êtes arrivé à la DGS, pour vous, il n'y avait aucune fenfluramine sur le marché ?
C'est ce que je croyais et ce que l'on a bien essayé de faire croire à tout le monde. Croyez-vous que si j'avais su que des fenfluramines étaient commercialisées en France, j'aurais publié en 2000 l'étude SNAP dans un article indiquant que les fenfluramines créent une maladie mortelle tout en étant à la DGS ? Il faudrait être sacrément inconsistant ou inconscient.
Comment améliorer la réactivité du processus décisionnel en cas d'effets secondaires graves ? Comment améliorer le dispositif de pharmacovigilance et la politique du médicament ? Je viens de découvrir une nouvelle catégorie de produits, les produits thérapeutiques annexes (PTA), qui ne sont pas sans créer des problèmes.
Comment faire en sorte que nos concitoyens retrouvent confiance dans le médicament, dont nous avons aussi besoin ?
Le rapport Debré-Even vient de sortir. Pour la pharmacovigilance, je suis d'accord avec deux réserves. Il faut peut-être séparer la pharmacovigilance de l'AMM, dans une organisation empruntant aux méthodes épidémiologiques les plus avancées.
Il faut être un peu en avant des masses, et pas derrière. En outre, je suis d'accord avec le fait que les commissions sont pléthoriques et pas décisionnelles. Je suis plutôt pour un système d'administration forte, avec un certain nombre d'experts nommés pour un temps limité et des commissions volantes, sujet par sujet, pour qu'il n'y ait pas de conflits d'intérêts.
Des personnes sans aucun lien d'intérêts, en les réunissant quatre ou cinq à la fois, pendant un mois sur un problème particulier, c'est possible. Si vous avez vingt personnes réunies tout le temps, c'est trop facile de savoir où sont les conflits d'intérêts.
Cependant je ne suis pas d'accord sur le fait que seuls les médecins, surtout professeurs d'université, peuvent gérer ce type d'organisation. Je ne pense pas qu'ils constituent une garantie unique et suffisante. J'ai appris à la DGS que l'administration publique peut être de très haut niveau même sans être formée de médecins, du moment qu'elle fait travailler des experts. Je trouve enfin que le rapport ne développe pas assez l'aspect européen.
Faut-il réformer le système français de pharmacovigilance ou suffit-il de transposer la directive européenne en la matière du 15 décembre 2010 ?
Sur la pharmacovigilance, après avoir eu de l'avance, la France a pris du retard en Europe ; il faut amener son système de pharmacovigilance au niveau européen.
La France a négligé de façon considérable la pharmaco-épidémiologie. Or c'est l'une des causes du problème.
Nous avons tout de même accompli des progrès en la matière. Deux études ont été réalisées, et une autre est en cours sur l'Avandia. La base de données dont nous disposons avec l'assurance maladie nous permettra de mener des enquêtes pharmaco-épidémiologiques pour peut-être détecter rapidement des effets indésirables.
La base de l'assurance maladie est une source extrêmement importante, permettant d'établir des évolutions de risque. Il faut aussi mener des études de terrain de type pharmaco-épidémiologique pour établir les liens de causalité.
Il faut se garder de penser que l'assurance-maladie puisse offrir la base unique d'évaluation du problème.
S'agissant de la pharmaco-épidémiologie et du lien de causalité, avez-vous le sentiment - comme cela nous a été dit lors de l'étude sur le Vioxx - qu'il faille modifier la norme à partir de laquelle un médicament est mis sur le marché ? Il nous a été expliqué que c'est une norme pasteurienne, alors que les médicaments mis sur le marché s'appliquent à des maladies chroniques. Faut-il changer la norme ?
La France doit se battre aux plans européen et international pour faire en sorte que les évaluations des produits mis sur le marché soient considérablement renforcées, avec des acceptations temporaires, et tiennent compte des conditions réelles d'utilisation, et remettent ensuite en question l'AMM. Pour prendre l'exemple du Vioxx, j'ai refusé - et la France a été la seule à agir ainsi - de rembourser le Vioxx pendant un an et demi après les autres pays, avant de mettre en place un système d'évaluation et de prescription du produit, ce qui a contribué en France que les problèmes n'aient pas été les mêmes qu'ailleurs. Même quand un produit a fait l'objet d'une autorisation de mise sur le marché, la France a encore les moyens d'agir, sur les conditions d'utilisation et de prescription à travers sa politique de remboursement. Et cela a été fait depuis plusieurs années entre le comité économique des produits de santé (Ceps) et la DGS.
Au mois de novembre 2010, j'ai organisé un colloque international à Londres où les grandes agences européennes étaient représentées. Toutes ont mis en avant les atouts du système français sur l'accessibilité au médicament et son remboursement. Par exemple, on survit mieux au cancer en France. La méthodologie française n'est pas que mauvaise ! La France est un des rares pays ou l'on peut prendre immédiatement une décision sur soixante millions de personnes.
La mise sur le marché d'un médicament doit être conditionnée à l'évaluation de son bénéfice et de ses risques réels, ce qui est déjà un peu le cas en France avec la politique de remboursement.
Pour ma part, je pense qu'il vaut mieux faire un examen pré-AMM et ne mettre sur le marché que des médicaments présentant un progrès thérapeutique. Entre 1999 et 2003, à l'Agence européenne du médicament, on a ainsi mis sur le marché des médicaments qui avaient subi des essais comparatifs pour plus de la moitié des produits. Je pense que nous devons nous orienter dans cette voie même si nous pouvons sans doute faire mieux.
Je vous remercie infiniment d'avoir répondu à nos questions.
Nous poursuivons cette audition avec M. le Professeur émérite Jean-Pierre Bader, ancien président du comité national de pharmacovigilance et de la commission du contrôle de la publicité. Je vous rappelle que cette audition est ouverte à la presse et fait l'objet d'une diffusion audiovisuelle sur le site Internet du Sénat et sur Public Sénat.
Je vous demanderai de nous faire connaître, si vous en avez, vos liens avec des entreprises produisant ou exploitant des produits de santé ou des organismes de conseil intervenant sur ces produits.
J'ai souhaité vous auditionner car j'ai été très intéressé par votre rapport de 1995, et notamment les questions de mésusage du médicament et du rôle des visiteurs médicaux. Ce rapport est resté d'une grande actualité. Nous serions très heureux de connaître votre appréciation sur l'affaire du Mediator. Vous avez la parole.
Je suis resté au cabinet de M. Poniatowski pendant plus d'un an avant de rejoindre le cabinet de Mme Weil. J'étais alors chef de service à Henri Mondor à Créteil. J'assistais à de nombreux congrès de gastro-entérologie. Je me suis fait un jour ridiculiser par un Américain de la Food and Drug Administration (FDA) qui m'a dit : « Vos dictionnaires de médicaments français sont un sujet de plaisanterie pour nous. » J'en ai parlé à Mme Weil qui m'a demandé de m'occuper immédiatement de ce problème. J'ai alors convoqué le responsable du Vidal. Les fiches des médicaments étaient jusqu'alors éditées dans le Vidal sans avoir été relues au préalable. Quinze jours après, j'apprenais qu'il avait vendu sa maison d'édition.
Cela date de 1977-1978. J'ai mis en place une commission qu'on a appelée la « commission Alexandre ».
On l'appelait plus précisément la commission de révision des dictionnaires du médicament qui comptait une vingtaine de collaborateurs et qui ne concernait pas que le Vidal. La commission de contrôle de la publicité est née au moment du deuxième passage de Mme Weil. J'étais président de la commission du contrôle de la publicité et du bon usage du médicament, et j'ai fait ajouter ces derniers mots au nom de la commission.
Le travail réalisé a été extraordinaire. Le climat a été complètement changé puisque les fiches étaient contrôlées par l'administration avant d'être publiées. Je me suis étranglé il y a quelques jours lorsque j'ai lu, dans le rapport Debré-Even : « Il y aurait un livre à écrire sur les erreurs, les mensonges et les dissimulations du Vidal noyés dans des détails sans intérêt et dont la fiche du Mediator est un exemple éclatant ». Mon conflit d'intérêts avec le Vidal, dont j'ai été un moment membre du conseil d'administration, fut extrêmement productif.
Le Vidal n'est pas en cause puisqu'il ne fait que retranscrire les fiches transmises par l'Agence du médicament. Toutefois, je m'étonne qu'il ne soit pas une seule fois fait mention des effets indésirables du Mediator de type cardio-vasculaire. Je trouve cela anormal.
Monsieur Autain, j'ai la réponse à vos questions. Je dispose d'un graphique des événements qui se sont produits entre la mise sur le marché du Mediator (visa de 1974 et commercialisation en 1976) et son retrait.
Dès 1979, la « commission Alexandre » a presque complètement raboté la mission d'efficacité du produit avec des motifs très précis. Le médicament a perdu son indication « athérosclérose » et vu son indication « diabète et hypertriglycémie » réduite à « options ou propos aidants ». En 1987, la commission d'autorisation de mise sur le marché (AMM) supprime l'indication « diabète » mais cela n'a pas été appliqué ! En 1999, la commission de transparence dit que c'est un SMR insuffisant. Rien ne se passe. Il faut donc attendre 2007 pour lire : « Les résultats de votre étude [étude Moulin] semblent montrer une efficacité sur l'hémoglobine qui est intéressée sur cette maladie. Néanmoins à ce jour aucune conclusion définitive ne peut porter sur cette efficacité. Toutefois, dans l'attente des réponses complémentaires et des résultats de l'inspection, aucun motif de protection de la santé publique ne s'oppose à ce que l'indication soit maintenue. »
En 2009, le produit est retiré du marché.
Jusqu'à présent, je n'ai abordé que l'efficacité de ce médicament et non la question de sa dangerosité qui n'a pas été évoquée initialement, sauf en Belgique. L'Isoméride a constitué une alerte très forte à la fin des années 1990 en raison de la parenté des molécules. Ensuite nous aurons connaissance des rapports Garattini en 1998 en Italie, Ribera en Espagne en 1999, Montastruc en 2007, puis Frachon et Iung en 2009.
Vous pouvez constatez un décalage entre le travail réalisé par la commission du contrôle de la publicité et la « commission Alexandre » dans les années quatre-vingt et les problèmes de dangerosité qui n'apparaissent qu'en 1998-1999 pour s'étaler entre 2004 et 2009.
Ce produit ne servait à rien mais on l'avait laissé sur le marché.
En 1999, nous avons connu deux alertes : la valvulopathie cardiaque de Marseille signalée par le docteur Chiche et l'hypertension artérielle signalée par les docteurs Simmoneau et Humbert du groupe hospitalier de Béclère.
Je déplore que ces signaux n'aient pas modifié le contenu du résumé des caractéristiques du produit (RCP) de l'année suivante concernant les effets indésirables du Mediator.
Or, il aurait fallu savoir que l'on prescrivait de la norfenfluramine en prescrivant du Mediator, ce qui n'apparaissait pas non plus dans le RCP. L'identité du produit a été masquée.
La volonté du laboratoire est évidente ! Le Mediator a été créé après le Pondéral. Certains même de mes amis se sont laissé influencer par le fait que ce médicament avait des effets métaboliques que n'avaient pas les autres anorexigènes.
Lors d'une conférence débat que vous avez donnée en février 1982 devant l'Association des cadres de l'industrie pharmaceutique (Acip), vous avez déploré le délai d'un an entre la constatation des dangers d'un médicament (en l'occurrence, la thalidomide) et son retrait du marché. Le dispositif actuel vous paraît-il plus réactif, une fois les effets indésirables constatés ?
Je ne peux pas dire que je suis satisfait de la manière dont on a traité ce médicament. Je cherche désespérément pourquoi il en a été ainsi.
Quel est le système de contrôle à mettre en place pour améliorer le dispositif ?
Il a fallu trente-cinq ans pour se rendre compte que ce produit avait une efficacité nulle. En outre, sa dangerosité aurait dû émerger dès la dangerosité connue de l'Isoméride, au plus tard à la fin des années quatre-vingt-dix.
J'ai appris que le premier cas d'hypertension artérielle pulmonaire (HTAP) lié au Mediator, en association avec d'autres médicaments, date de 1988.
Il est certain que le problème de la dangerosité a été masqué. Il n'est pas suffisant d'identifier les responsables. Le professeur Alexandre est aujourd'hui cité par les médias comme le grand responsable. Il a été mon élève. Je ne comprends pas.
Il a persisté à dire que le Mediator n'était pas un anorexigène mais un « antidiabétique mal étudié ».
Je ne comprends pas. Je pense que l'explication est collective. Dans un éditorial de 1992 de la revue Prescrire, peu suspecte de sympathie pour l'industrie pharmaceutique, les années 1976-1981 sont présentées comme l'âge d'or du médicament, à la période où j'étais aux affaires ! Il y a ensuite eu une dégradation, avant que la création d'une agence ne soit vue comme la solution miracle. Mais il n'y a pas eu plus d'affaires réglées.
Les raisons tiennent aussi aux personnalités. Jean Weber était un homme rigoureux : avec lui, le travail ne se discutait pas.
Les décisions ont ensuite éclaté, avec la place croissante de la procédure européenne. Il y a eu une certaine perte d'efficacité du système.
La sécurité sanitaire est-elle une mission régalienne qui devrait relever d'une administration centrale, et non d'une agence ?
Dans ses cinq premières années, l'Agence du médicament a bien fonctionné. Or lorsqu'elle fonctionne dans le cadre d'un ministère, il est impossible de recruter. Jean Weber et moi avons été les premiers à réclamer la création d'une plus grande structure permettant de recruter du personnel, comme aux Etats-Unis. Cet agrandissement a peut-être évolué vers le gigantisme ; nous sommes peut-être allés trop loin, puisque les structures décisionnelles ont éclaté. Mais seule une agence donne une certaine liberté, dans un système hiérarchisé.
La hiérarchie des décisions doit être vraiment équilibrée.
Comment appréciez-vous le rôle des « lanceurs d'alerte » et de revues indépendantes comme Prescrire qui, selon certains observateurs, ont suppléé les organismes de pharmacovigilance ? Faut-il leur conférer un statut ?
Je ne crois pas que le lanceur d'alerte puisse être le patient. Le malade n'est pas capable de juger de la corrélation entre un symptôme et un médicament. Sur la liste des soixante-dix sept médicaments sous surveillance, comment peut-il juger ? Cette liste était une maladresse totale.
Je suis d'accord avec vous. Toutefois, concernant la notification d'effets indésirables, pensez-vous que le patient puisse jouer un rôle ?
Je le pense, dès lors qu'un médicament est annoncé comme dangereux. Or, dans ce cas, on le retire du marché.
Jusqu'à présent, les patients n'avaient pas le droit de faire des notifications auprès de l'Afssaps ou du centre régional de pharmacovigilance. Or, ils auront bientôt ce droit en vertu de la législation européenne.
Je suis plutôt conservateur. Je pense qu'il appartiendrait plutôt au médecin de lancer l'alerte.
Je ne pense pas que le patient soit un bon vecteur de l'alerte. Le lanceur d'alerte peut être le médecin généraliste mais cela prend du temps et il n'est pas toujours assez informé. En revanche, je pense que le médecin spécialiste a un rôle fondamental à jouer.
Pour ma part, j'ai géré une alerte, celle du bismuth, à la fin des années soixante-dix et j'ai dû faire périr un grand nombre de laboratoires qui ne produisaient que cela. Les neurologues ont vu apparaître les encéphalopathies, l'alerte étant venue de l'étranger, comme toujours. Je suis persuadé que le problème était dans le surdosage, mais nous n'avons pas fait dans le détail et le bismuth a été interdit.
Le spécialiste a une analyse plus fine que le généraliste. Il convient de généraliser la politique d'alerte. Je pense que tout le monde a sa part de culpabilité dans l'affaire du Mediator. Il y a eu une défaillance à toutes les étapes, outre le rôle d'un laboratoire sur lequel je ne reviendrai pas.
Je suis à l'origine de la création des départements de pharmacologie clinique et hospitalière qu'on pourrait relancer. Je pense qu'ils ne sont pas encore opérationnels.
Comment réagissez-vous aux propositions du rapport Debré-Even concernant la pharmacovigilance, à savoir la création d'une Agence nationale de pharmacovigilance ?
Je ne veux pas parler de ce rapport car je me suis étranglé en le lisant.
Ce rapport comporte beaucoup de vérités sur le comportement des laboratoires ou le financement de la presse médicale, mais aussi de nombreuses contre-vérités, parmi lesquelles celle que je vous ai citée sur le Vidal. Je pense que ce rapport sème la zizanie. Il ne nous facilite pas la tâche.
Aujourd'hui nous disposons de plans de gestion des risques qui nous permettent de mieux surveiller les médicaments nouveaux. De quels outils dispose-t-on pour les médicaments plus anciens ? A partir de quel niveau d'alerte un médicament doit-il être mis sous surveillance ? Par exemple, aujourd'hui l'Aspegic serait-il mis sur le marché ?
Il faut faire la balance de l'efficacité et de la dangerosité. Le retrait doit être immédiat et massif pour un produit à efficacité faible ou nulle, pour lequel on dispose d'autres thérapeutiques.
Il faut réfléchir à l'organisation des alertes. Il faut persuader les généralistes de s'intéresser à ce problème et les rémunérer à cet effet. Cependant je pense que les spécialistes seront toujours les détecteurs les plus précis.
Oui, pour le bismuth, il s'agissait des neurologues et pour la thalidomide des pédiatres.
Aujourd'hui, les retraits se font sur des études de cas individuels, plus difficiles à rassembler. Il faut démontrer le lien d'imputabilité. Comment remettre en cause cette distorsion ? Par une place accrue des études de cohorte dans le dispositif de pharmacovigilance par exemple ?
Il y a d'abord eu l'identification d'un cas d'hypertension artérielle et d'un cas de valvulopathie. C'était des cas isolés avant que les études épidémiologiques ne donnent des chiffres élevés. Les études scientifiques doivent nécessairement être raffinées. Je me moque de savoir combien de morts ce produit a entraîné car je considère qu'un produit aux bénéfices marginaux doit être arrêté dès lors qu'il provoque la mort de deux personnes.
Nous assistons à une véritable guerre des chiffres qui me met un peu mal à l'aise.
Vous savez que le RU 486 a provoqué des décès. Dès lors, pensez-vous que nous aurions dû le retirer du marché ? Existe-t-il certains médicaments pour lesquels les risques sont tus ?
Je découvre aujourd'hui la nouvelle catégorie des produits thérapeutiques annexes (PTA) qui servent à mettre en place la politique de fécondation in vitro. Ils peuvent avoir un certain nombre de conséquences.
Concernant le RU 486, je pense qu'il y a un risque. En revanche je n'ai pas de compétences particulières pour répondre aux autres questions.
Il faut prendre des décisions de bon sens. A l'heure actuelle, on a fait un tel charivari autour de ce dossier que les nouveaux documents ne font pas avancer l'affaire.
J'ai connu Robert Debré qui a créé les centres hospitaliers universitaires (CHU). Cette fantastique réforme a bouleversé la médecine française. Cette réforme s'est construite dans le plus grand secret avant de faire l'objet d'ordonnances. Or j'ai l'impression qu'aujourd'hui, on fait d'abord éclater les problèmes.
C'est la démocratie directe, c'est moderne !
Dans votre rapport, j'ai lu des choses très intéressantes sur les visiteurs médicaux et les études de phase IV. Je souhaiterais vous interroger à ces deux sujets. A votre avis, est-ce que la situation a beaucoup changé depuis 1995 ?
Théoriquement, le visiteur médical peut aider. D'ailleurs la Sécurité sociale a créé son propre réseau de visiteurs. L'expérience de mon père me rappelle que le médecin généraliste est très solitaire. Le médecin a besoin d'un support. Cependant, il est vrai que l'aide apportée par les laboratoires est très orientée vers la vente de leurs produits, ce qui ne pose pas de problème lorsqu'ils sont efficaces. Mais ce sont surtout les produits ayant un bénéfice marginal qui sont encouragés.
M. Bouvenot, président de la commission de la transparence de la Haute Autorité de santé, dit que les médicaments qui apportent une innovation majeure chaque année se comptent sur les doigts d'une main.
C'est totalement vrai.
Le rapport Debré-Even dit la vérité sur un point : nous constatons en France une forte efflorescence des produits à bénéfice marginal.
Pensez-vous qu'une information qui émane d'un laboratoire est forcément promotionnelle ?
Ce n'est pas forcément vrai. Toutefois, ils sont rémunérés sur le coefficient des ventes dans leur département.
Dans ces conditions, pouvons-nous imaginer que certains visiteurs médicaux de Servier aient présenté le Mediator comme un coupe-faim après le retrait de l'Isoméride.
Monsieur le Président, vous êtes-vous demandé à quoi était due l'efflorescence de prescriptions hors autorisations de mise sur le marché (AMM) ? Elle tient à la véritable indication de ce médicament.
Nous avons tout de même diminué le nombre de visiteurs médicaux.
S'agissant des essais de phase IV, qui sont souvent confiés aux généralistes, estimez-vous qu'ils sont utiles et scientifiquement crédibles ?
Je les appellerais plutôt des essais post-commercialisation. A partir des essais qui ont précédé l'AMM, nous ne connaissons pas la totalité des effets que peut produire le médicament. Ces essais ne peuvent pas être conduits pour tous les médicaments car ils sont très longs et très coûteux.
Quelle connaissance avons-nous de l'ensemble de ces essais ? Elle est presque nulle. Votre avis sur la question a-t-il changé ?
Vous ne pensez donc pas que ces essais ont pour but d'obéir à des impératifs de politique commerciale.
Nous espérons que nos propositions seront reprises.
Nous vous donnons rendez-vous fin juin ou début juillet pour la publication de ce rapport.