La commission auditionne M. Christian Masset, directeur général de la mondialisation, sur le projet de loi de finances pour 2011 (missions Action extérieure de l'Etat et Aide publique au développement).
Nous allons entendre M. Christian Masset, directeur général de la mondialisation, du développement et des partenariats au ministère des affaires étrangères et européennes, nous présenter les trois programmes dont il a la charge : le programme 185 « Diplomatie culturelle et d'influence » de la mission « Action extérieure de l'Etat », le programme 209 « Solidarité à l'égard des pays en développement », de la mission « Aide publique au développement », enfin, le programme 332, consacré à la double présidence française du G8 et du G20.
Conformément au voeu des parlementaires, les crédits des programmes 185 et 209 font l'objet d'une nouvelle présentation : d'une approche géographique, avec le 185 pour le Nord et le 209 pour le Sud, nous passons à une logique stratégique, distinguant mieux l'action culturelle et d'influence d'une part, la solidarité à l'égard des pays en développement d'autre part. Cette distinction, cependant, ne porte pas sur les dépenses de personnels, car les agents agissent fréquemment sur les deux programmes. Nous développons de nouveaux outils, à l'aune de la loi sur l'action extérieure de l'Etat du 27 juillet 2010, en recourant autant que possible à des conventions d'objectifs et de moyens avec les opérateurs, et ce budget est la première application de la nouvelle loi de programmation triennale 2011-2013. Enfin, notre action doit être rapportée aux directives du Premier ministre pour réduire le déficit public : il nous est demandé de réduire nos dépenses de 10 % en trois ans, dont 5 % sur 2011.
Le programme 185 bénéficie du maintien de la rallonge de 20 millions consacrés à la relance de la politique culturelle extérieure, du maintien des bourses étudiantes parce que nous considérons essentiel de bien placer la France dans l'enjeu majeur de la mondialisation de l'enseignement supérieur, de l'accompagnement des nouveaux opérateurs de l'action extérieure de l'Etat et de la sanctuarisation des crédits de l'AEFE pour les trois années à venir. Au total, hors titre II -les dépenses de personnel-, ce programme représente, à périmètre constant, 669 millions, en recul de 1,6 % par rapport à 2010. Les tableaux chiffrés peuvent faire croire à une augmentation du fonctionnement bien supérieure aux interventions : c'est l'effet du transfert vers la subvention pour charge de service public de l'Institut français de crédits auparavant mis en oeuvre par le ministère des affaires étrangères et européennes (administration centrale et postes). L'opérateur redistribuera en fait des crédits aux postes et également aux Alliances françaises.
Le programme 209 s'élève, hors titre II, à 2,2 milliards en AE et à 1,9 milliard en CP. Sur la durée du triennum en CP, l'intégralité des moyens est préservée. Première priorité, l'effort d'aide publique au développement est maintenu, malgré la nécessité de réduire les dépenses publiques. Deuxième priorité, la coopération bilatérale, en redressement de 31 % à 35 % du total, bénéficiera de 68 millions supplémentaires venus de la réduction de notre participation au FED. Troisième priorité, la ligne « dons / projets » progresse fortement : 40 millions d'AE et 75 millions de CP supplémentaires, avec des actions spécifiquement suivies en Afghanistan, au Pakistan et en Haïti. Nous honorons les engagements de la France, notamment ceux pris cette année au G8 de Muskoka pour la santé maternelle et infantile. Enfin, nous maintenons notre soutien aux ONG, avec 45 millions d'AE sur trois ans et une gestion plus proche des ONG.
Le programme 332, enfin, prévoit 80 millions sur deux ans pour la présidence française du G8 et du G20 : 60 millions d'AE et 50 millions de CP en 2011, puis 20 millions de CP en 2012 (auxquels s'ajoutent des ouvertures en LFR 2010 de 20 M€ en AE et 10 M€ en CP). Ces crédits financeront également une série de réunions préparatoires et de rencontres. La France est le premier pays à présider simultanément le G8 et G20, c'est très important au moment où le monde se transforme rapidement, où la conscience de l'interdépendance et la montée d'aspirations nationales vont de pair, où l'on doit trouver un mode de gouvernance multipolaire, avec pour maître-mots la régulation, le développement et l'influence.
Merci pour cette présentation. Je passe la parole à nos deux rapporteurs.
Le document de politique transversale ne nous a toujours pas été transmis et le document-cadre ne nous a été remis qu'hier à 19h22, alors que nous en avions besoin plus tôt pour délibérer : pourquoi un tel retard ?
Je suis très sensible à ce que les crédits de l'APD soient préservés et à ce que la France continue de se placer au deuxième rang mondial. Cependant, nous ne parviendrons pas à honorer notre engagement d'atteindre 0,7 % du PIB, alors que nos voisins britanniques s'y préparent comme l'a souligné le premier ministre britannique lors du dernier sommet de l'ONU sur les OMD. A la suite d'une mission au Mali, nous nous sommes interrogés sur les moyens d'améliorer l'efficacité de l'aide européenne. Nous avons constaté une certaine dispersion, entre l'action des 27 ambassades, et celle de l'Union. Ne pourrait-on pas organiser des actions conjointes ? Nos interlocuteurs n'y sont pas opposés. Ne serait-ce pas plus efficace, à l'heure où nous devons faire des économies ?
Notre contribution au FED diminue, nous avons évalué cette diminution entre 100 et 150 millions, vous nous annoncez 68 millions : la différence est importante ! Qu'en est-il précisément, et comment seront utilisés ces fonds ?
Les actions d'aide au développement peuvent-elles être davantage évaluées ? C'est plus facile pour les actions bilatérales, car les actions multilatérales se déploient souvent à plus long terme et, comme l'a montré l'évaluation du fonds sida, elles entrainent des frais de gestion plus importants. M. le ministre a reconnu que l'exercice était difficile, mais ce n'est pas une raison pour ne rien faire. Il a indiqué également qu'il associerait volontiers le Parlement à un tel exercice : comment voyez-vous les choses ?
Enfin, dans un contexte où l'action s'oriente vers les pays émergents, comment comptez-vous appliquer la priorité aux pays d'Afrique subsaharienne, où les besoins sont criants ?
Nous avons été bien ingrats avec M. le ministre, puisque nous lui avons reproché la transmission tardive du document-cadre. Que dire du document de politique transversale qui n'est toujours pas public ? Pourquoi un tel retard ? Notre travail en a pâti, alors que nous sommes dans notre droit en en demandant la transmission dans les délais.
L'an passé, le ministère annonçait que l'AFD se voyait confier la gestion des crédits aux ONG, le ministère le reprend aujourd'hui : pourquoi ces va-et-vient ?
Sur le réchauffement climatique, alors que le protocole de Kyoto vient à échéance en 2012 et qu'on annonce la mise en place d'un fonds mondial de l'environnement, où en sont les négociations ?
Au G8 de Muskoka, la France s'est engagée à publier la liste de ses engagements, notamment cette de consacrer 0,7 % de son PIB à l'APD : où en est-on de cette publication ?
Le président de la République a réaffirmé la priorité donnée à l'Afrique subsaharienne et aux 14 pays les plus pauvres, mais les chiffres contredisent cette affirmation : nous sommes passés de 219 millions en 2005 à 158 millions en 2009. Comment comptez-vous appliquer cette priorité ?
Quelles sont les actions réalisées en Afghanistan et au Pakistan ? Lesquelles de ces actions sont-elles pérennes, en particulier en cas de retrait de nos troupes en Afghanistan ?
Nous avons remis en temps et en heure notre partie du document de politique transversale, et nous constatons comme vous que sa transmission, au gré des arbitrages interministériels, a pris du retard.
La France s'est engagée à consacrer 0,7 % de son PIB à l'APD : nous sommes parvenus à maintenir nos crédits, malgré la nécessité d'économies budgétaires. Tous nos voisins n'y sont pas parvenus, même s'il nous reste encore à faire pour atteindre notre objectif.
Le Mali est un pays test de la procédure européenne dite de fast track, où les pays de l'Union réalisent des actions conjointes, sous l'égide d'un chef de file. Cette démarche va dans le sens que vous souhaitez, je vous tiendrai informé de ses résultats.
Les programmes du 10ème FED ne sont pas évalués globalement, les engagements sont faits par tranche de cinq ans avec un réajustement chaque année et il faut prendre en compte les négociations avec les pays ACP. Nous voulons aller vers une budgétisation de nos engagements, à partir de 2013, ce qui suppose de remettre à plat l'ensemble des instruments de l'Union, y compris le FED, trop rigides et trop compartimentés.
Pour le Fonds sida, il existe plusieurs organes d'évaluation, comité financier, comité scientifique ; nous avons pris l'initiative d'augmenter notre part de 20 % et obtenu que le fonds en fasse autant ; l'efficacité est certaine, la pandémie est endiguée ; nous allons nous resserrer sur des priorités. Reste à obtenir un siège réservé au lieu de partager le nôtre avec l'Espagne.
Une évaluation globale de notre dispositif a eu lieu avec la RGPP, nous sommes aussi évalués par le Comité d'aide au développement (CAD) dont le président vient de nous délivrer un satisfecit, sa lettre est à votre disposition. Et nous avons dans nos murs- pour un an- une mission de la Cour des comptes.
Le document-cadre fixe la part de l'Afrique subsaharienne à 60 % des interventions, dont 50 % pour les 14 pays les plus pauvres : la priorité sur ces pays est maintenue, nous sommes même au-delà. La diminution de notre contribution au FED rend disponibles 68 millions - nous avons vérifié ce chiffre dans le détail -, nous comptons les utiliser pour l'essentiel dans des projets d'aide bilatéraux en matière de santé et de protection maternelle et infantile, enjeu crucial dans ces pays où la mortalité infantile et maternelle sont très importantes.
La RGPP nous avait conduits l'an passé à confier à l'AFD la ventilation des 45 millions de crédits que nous consacrons chaque année aux ONG. Certaines ONG ont craint que ce changement ne cadre pas avec leurs spécificités. Elles s'en sont ouvertes au ministre et nous avons été conduits à envisager de redéfinir le système en rapatriant la décision au ministère, même si la mise en oeuvre resterait sous la responsabilité de l'AFD.
Sur le réchauffement climatique, notre objectif est de parvenir à un accord global qui soit juridiquement contraignant. Nous n'y parviendrons pas à la conférence de Cancun, qui sait si nous l'aurons au Cap... Si l'accord de Copenhague n'est pas contraignant, des engagements politiques forts ont été pris en annexe, soutenus par 140 pays, qui représentent les neuf dixièmes des émissions de gaz. Des solutions ont été trouvées sur le financement, sur les transferts de technologie : ce sont des progrès. Nous tâchons d'aller plus loin, dans chacun des groupes, en particulier le groupe Forêts : à Cancun, nous espérons l'adoption du principe d'un fonds vert.
A l'échelon européen, le Conseil environnement a réaffirmé son attachement à la reconduction du protocole de Kyoto, moyennant un accord global dont le contenu serait comparable à celui de Copenhague. L'Union veut donc bien aller plus loin, à condition que ses partenaires s'engagent aussi. Les premiers pas pourraient être accomplis à Cancun et poursuivis en Afrique du Sud, au Cap. Sans financements innovants, l'objectif de 100 milliards de dollars par an d'ici 2020 sera difficile à tenir.
Nous poursuivons notre effort en Afghanistan avec 20 millions, qui vont à l'agriculture, à l'électrification rurale, à la santé, à la formation d'instituteurs et à celle d'enseignants de français pour développer la francophonie ainsi qu'à la gouvernance. Nos actions se déroulent dans les vallées de Kapisa et Surobi, en accompagnement de l'action de nos troupes, pour bien montrer que développement et sécurisation vont de pair.
Je n'aborderai que les points que nous n'avons pas évoqués hier avec le ministre. En premier lieu, la place de la France dans la mondialisation de l'enseignement supérieur.
Vous stabilisez les crédits de bourses mais à un niveau qui avait auparavant beaucoup diminué par rapport à la forte relance du temps d'Hubert Védrine ! Je crains que les postes diplomatiques, à cours de crédits d'intervention, continuent malgré les consignes à utiliser cet argent pour autre chose. Et y aura-t-il une triple tutelle sur CampusFrance, avec le ministère de l'Immigration ? Le ministre n'a pas été clair.
La nouvelle organisation de l'Institut français inquiète les Alliances françaises : leurs crédits transitant désormais par l'institut, comment garantir qu'elles les retrouveront bien tous ?
Enfin, si le maintien du moratoire et la cristallisation du montant de la prise en charge (PEL) garantissent une partie des ressources de l'AEFE, cette garantie ne va pas au-delà de 2012. Ensuite, l'agence n'aura pas d'autre alternative que de se tourner vers les familles, en augmentant les droits de scolarité. Le ministre ne m'a pas répondu hier. L'agence a déjà subi des transferts de charges immobilières, je crains qu'on recommence et qu'elle se retrouve avec des bâtiments datant des années 60 qui ne sont plus aux normes. Il faudrait entre 140 et 300 millions en cinq ans...Sans un sou dans le budget, il faudra bien faire payer les familles !
Même cause, mêmes effets pour les pensions civiles des fonctionnaires détachés. On peut réduire leur nombre - mais nous sommes à la limite du nombre d'enseignants titulaires, surtout dans le primaire, au risque de baisse du niveau dans les pays non francophones. La dotation de l'AEFE ne couvre pas le coût des cotisations sociales, l'agence évalue à 24 % les ressources propres à trouver mais elle n'en a pas d'autre que les frais de scolarité : comment éviter qu'ils montent de 50 % en quelques années ? La demande de bourses va « déraper » comme dit le rapport Colot-Joissains.
Quelles seront les modalités de la mise en place de l'Institut français et CampusFrance, en particulier celles de sa tutelle ?
La mondialisation de l'enseignement supérieur est un enjeu essentiel pour le rayonnement et l'influence d'un pays, et la France parvient à maintenir sa troisième place mondiale, qu'elle conforte avec une progression régulière de 220 000 étudiants en 2003 à 270 000 alors que l'Allemagne enregistre un recul. Campus France sera un acteur considérable de diffusion de notre culture, malgré les incompréhensions résultant parfois de la fragmentation entre universités et grandes écoles.
Nous entendons bien stabiliser le nombre de bourses et les postes qui ne s'y conformeraient seront sanctionnés par une diminution des crédits l'année suivante, jusqu'au double du montant...La ressource ne vient pas seulement du budget du MAEE, universités et écoles mènent leurs propres actions. L'important c'est la présence d'une « équipe France ». Campus France sera ainsi le grand opérateur, avec un seul guichet, notamment grâce à la fusion du CNOUS international et d'Egide, ce qui est un énorme progrès.
Le budget de l'AEFE est suffisant pour 2011, mais vous avez raison de dire qu'il faudra trouver des solutions pour 2012 : le maintien des 420 millions cette année est une très bonne nouvelle, cette enveloppe garantit de passer l'année 2011 sans encombre. Au-delà, nous devons trouver un modèle soutenable. L'audit RGPP a souligné l'importance de la place des familles et je ne crois pas injuste de les faire participer, dès lors que des bourses aident celles qui en ont besoin. L'enseignement du français à l'étranger se réforme, il démontre une très grande vitalité et nous continuerons de l'accompagner.
S'agissant de Campus France, le décret est rédigé et l'ambassadeur Pierre Buhler en a été désigné le préfigurateur. Nous pensons comme vous que la triple tutelle n'est pas une bonne solution, ne serait-ce que par souci d'efficacité. Nous l'avons fait savoir et je crois que le Premier ministre le pense aussi. Le rattachement du service international du CNOUS se fera d'ici la fin 2011. Les inspections générales des deux ministères préparent un rapport, la lettre de mission est partie. Nous regardons à être le plus efficace possible.
Par ses rapporteurs ; nous vous envoyons tous les rapports d'évaluation, le programme pour 2011 va vous être transmis, notamment tout ce que nous faisons à partir des indicateurs ; nous sommes prêts à travailler avec un groupe de spécialistes si vous le constituez.