Conjointement avec la délégation pour l'Union européenne, la commission a procédé à l'audition de M. Peter Medgyessy, ancien Premier ministre de Hongrie, ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire.
Accueillant M. Peter Medgyessy, M. Robert Del Picchia, président, a rappelé qu'après une carrière dans l'administration des finances, il avait alterné des expériences ministérielles et une carrière dans le secteur de la banque et des assurances, avant de devenir Premier ministre de 2002 à 2004. Il a indiqué que depuis 2004, M. Medgyessy menait, pour le compte du Gouvernement hongrois, des missions internationales, en qualité d'ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la République hongroise.
Il a indiqué que l'audition porterait d'abord sur la Hongrie dans l'Europe, l'évolution actuelle de l'Union européenne, le bilan de l'élargissement et l'avenir de la construction européenne, avant d'évoquer la situation intérieure de la Hongrie, après la crise politique que le pays a récemment traversée.
a commencé par saluer l'occasion offerte à un homme politique d'Europe centrale de s'exprimer devant des parlementaires français.
Il a marqué son intérêt pour la situation politique française et la perspective de l'élection d'un président de la République né après la seconde guerre mondiale, ce qu'il a considéré comme un signe de changement, non seulement de génération, mais encore de mentalité, important pour la France, mais aussi pour l'Europe. Il a exprimé le souhait que la France retrouve un rôle moteur en Europe. La France est attendue dans un rôle d'animateur de la « nouvelle Europe », expression qui ne doit pas être mal interprétée et qui signifie une Europe capable de répondre aux nouveaux défis qui se posent à elle.
Evoquant le rôle et la mission de l'Europe dans le monde, M. Peter Medgyessy a considéré que le besoin d'une Europe forte dans l'équilibre mondial était une évidence, dans l'intérêt des Européens, mais aussi dans l'intérêt du monde. Or, l'Europe est affaiblie face aux autres pôles. Alors que les Etats-Unis font montre de flexibilité, de mobilité et de dynamisme, notamment dans les secteurs de la recherche, de la technologie et de la formation et que l'Asie allie une forte croissance à de faibles coûts salariaux, l'Europe souffre d'une insuffisance de compétitivité, de performance et de dynamisme pour conserver sa position dans le monde. M. Peter Medgyessy a noté que les Européens étaient fiers de leurs valeurs, mais que les valeurs européennes étaient à la fois une force d'intégration et une source de repli sur soi. L'art de la politique est d'équilibrer ces deux tendances.
Evoquant ensuite l'élargissement de l'Union européenne, M. Peter Medgyessy a souligné que si l'Europe s'était montrée volontariste dans le processus d'élargissement, elle avait fait montre d'une certaine timidité dans l'approfondissement et qu'elle avait besoin d'un nouvel élan. Il a considéré que l'élargissement était une réussite et que si l'Europe avait perdu le charme d'être « un club restreint et élégant », elle s'était dotée en contrepartie d'une plus grande volonté de réussite, d'un dynamisme économique accru et d'une capacité renforcée à accepter des changements profonds. La croissance économique des nouveaux entrants, plus de deux fois et demie supérieure à celle des Etats membres de l'Union européenne à quinze, a également ouvert des potentialités aux Etats membres. Les nouveaux entrants ont présenté des opportunités d'investissement sûres et rentables dans un contexte d'augmentation de la concurrence.
a observé que la libre circulation des travailleurs, bien qu'elle ne soit pas encore effective, était très discutée. Il a souligné que si elle représentait un risque pour les pays récepteurs de main d'oeuvre, elle était également un danger pour les nouveaux pays membres qui assistent au départ de leurs salariés les mieux formés, alors que l'éducation est un investissement important. Relevant que les délocalisations nourrissaient également les craintes des adversaires de l'élargissement, il a rappelé que ce phénomène, observé dès le début des années 1990, n'était pas directement lié à l'élargissement et qu'il devait susciter non pas la peur, mais le courage de favoriser une politique d'investissement, de recherche et d'augmentation de la valeur ajoutée. Il a indiqué que la Hongrie rencontrait également cette difficulté, dans la mesure où l'augmentation des salaires a conduit les investisseurs à rechercher des opportunités en Chine, en Inde ou en Roumanie. La réaction hongroise a été de stimuler la valeur ajoutée et d'augmenter les investissements dans la recherche et le développement. Le phénomène des délocalisations est inévitable, il appelle une réaction intelligente. Evoquant la crainte de flux massifs d'immigrants, il a souligné que leur nombre avait été relativement limité et que l'Europe s'enrichissait par la diversité des cultures. Il a considéré que toutes les potentialités de l'élargissement n'avaient pas encore été exploitées.
Abordant la question de l'avenir de l'Europe, M. Peter Medgyessy a indiqué qu'il privilégiait une double approche, pragmatique, à court terme, et visionnaire à long terme, l'urgence commandant de séparer ces deux approches. Il a estimé que l'Europe souffrait d'un manque de vision politique et qu'à cet égard le traité constitutionnel n'avait pas été porteur d'une véritable vision à long terme. Les élites politiques étaient tenues d'analyser les causes profondes du rejet du traité et d'en tirer les leçons. Il a souhaité que, dans un premier temps, l'Europe puisse se doter d'un cadre de fonctionnement pour 27 pays. Evoquant le projet de déclaration de Berlin, à l'occasion du cinquantenaire des traités de Rome, il a souhaité qu'elle ne se limite pas à une déclaration solennelle reprenant les succès de l'Union européenne, mais qu'elle évoque également les questions à résoudre et ne donne pas le sentiment que des changements profonds ne sont pas nécessaires. Il a considéré que l'opinion publique n'était pas hostile à l'Europe et qu'elle percevait tout son intérêt face aux défis de la mondialisation.
Affirmant sa préférence pour une Union européenne de type confédéral et, éventuellement, à terme plus lointain, fédéral, il a indiqué qu'il était favorable à la responsabilité du président de la commission devant le Parlement européen, à sa nomination par le Parlement européen, et au droit pour le président de choisir les membres de la commission. Il a par ailleurs souhaité la limitation du nombre de commissaires, qui doit conduire à accepter que des pays n'aient pas de représentant à la Commission. Une commission restreinte permettrait également de réduire la bureaucratie européenne, qui manque de flexibilité et dont la taille ralentit le processus de décision. Il a insisté sur la nécessité d'un processus de décision à la majorité. Il a estimé qu'il fallait conserver les politiques tout en améliorant la capacité de décision pour la réforme des mécanismes institutionnels qui étaient d'égale importance et difficilement dissociables. Il a plaidé pour la mise en oeuvre d'une politique étrangère commune, d'une force militaire sous direction européenne qui soit plus forte et plus importante et pour l'augmentation de la compétitivité économique.
Evoquant l'importance des coopérations renforcées, il a insisté sur le fait qu'elles devaient être fondées sur des critères clairs, à l'exemple de l'euro, et rester ouvertes et flexibles. Ces coopérations permettent d'accélérer l'intégration des pays membres qui y participent et sont un stimulant pour les Etats restés en dehors.
S'agissant des Etats d'Europe de l'Est, M. Peter Medgyessy a souligné qu'ils avaient atteint une nouvelle étape de leur développement et que leurs objectifs d'instauration d'une démocratie parlementaire, d'une économie de marché et de l'intégration euro-atlantique étaient désormais réalisés. Les sacrifices consentis en contrepartie ont été considérables. Les différences entre anciens et nouveaux Etats membres étaient plus importantes que lors des élargissements précédents, mais la générosité de l'Union européenne, dans une conjoncture très défavorable, a été moindre et elle a fait preuve d'une solidarité « modérée ». Une certaine lassitude s'est manifestée après l'adhésion chez les nouveaux Etats membres et s'est traduite par une montée du nationalisme, du populisme et de l'euro-scepticisme. La déception est venue d'un trop grand décalage entre les attentes des populations et les réalités, alors que les élites politiques n'ont pas été suffisamment claires sur l'après-élargissement. La déception a également été causée par le comportement des anciens Etats membres et le rejet du traité constitutionnel, considéré comme choquant. Les Etats d'Europe centrale sont placés devant de grands défis, le plus difficile étant celui de la modernisation, qui nourrit une tentation de repli nationaliste. La Hongrie a clairement fait le choix de la modernisation et a réalisé des réformes redistributrices importantes dans les domaines de la santé, des retraites, de l'administration publique ou encore de l'éducation. Ces changements touchent l'ensemble des groupes sociaux dans leurs conditions de vie et rencontrent une forte opposition. Trois éléments ont interféré en Hongrie : les réformes, les restrictions budgétaires et un discours inadapté de la part de l'actuel Premier ministre. Exprimant ses réserves sur la forme, M. Peter Medgyessy a marqué son accord avec le contenu de ce discours, dont la sincérité a choqué, mais qui marquait la nécessité d'introduire des réformes. Tout en comprenant que l'opposition ait exploité cette occasion, il a regretté qu'elle n'ait pas privilégié le débat au sein du Parlement au lieu d'inviter à manifester dans la rue et de donner l'occasion à des groupes extrémistes de scander des slogans nationalistes. Il a indiqué que la situation actuelle était calme et que des réformes substantielles avaient été adoptées par le Parlement pour réduire les dépenses budgétaires et augmenter les impôts. Tant la commission européenne que les analystes des banques internationales ont noté des premiers résultats encourageants. La Hongrie a beaucoup appris de cet épisode qui n'était pas une crise du système, mais témoignait d'un besoin d'adaptation de toute l'Europe. Les investissements étrangers n'ont pas fait défaut dans les années récentes en dépit des difficultés et la Hongrie accueille chaque année 4 à 5 milliards d'euros d'investissements directs étrangers.
a souligné en conclusion la fierté des Hongrois de vivre dans une démocratie, tout en constatant que la mise en place d'institutions démocratiques capables de résoudre efficacement des conflits demanderait du temps.
Un débat s'est instauré au terme de cet exposé.
a salué le magistral état des lieux de l'Union européenne, établi par M. Peter Medgyessy. Il s'est associé à la volonté exprimée que la France retrouve un rôle moteur et d'animateur au sein de la nouvelle Europe, c'est-à-dire, celle à 27 membres, et non celle évoquée par l'ancien secrétaire à la défense des Etats-Unis. Il a constaté que l'élargissement de l'Europe constituait en réalité une réunification, analogue à celle qui était intervenue en Allemagne en 1991.
Il a indiqué qu'il partageait les analyses de M. Medgyessy sur la double approche pragmatique et visionnaire, mais a constaté que nous n'avions ni l'une, ni l'autre aujourd'hui. Il a distingué l'Europe de l'Union européenne en indiquant que le non français était adressé à l'Union européenne et, non à l'Europe, qui fait l'objet d'un très large consensus.
Puis il a interrogé M. Peter Medgyessy sur la place de la Turquie dans l'Union européenne, les perspectives d'intégration des pays balkaniques, les modalités souhaitables à retenir pour établir les coopérations renforcées indispensables au sein d'une union à 27 membres et sur la place que devraient occuper les Parlements nationaux dans le système institutionnel européen.
a rappelé que la Hongrie avait, un temps, espéré rejoindre la zone euro dès 2008, et que les difficultés budgétaires exposées par M. Medgyessy avaient différé ce projet à l'année 2013. Il a souhaité recueillir l'avis de l'ancien Premier ministre sur le rôle, les objectifs et les modes de décision de la Banque centrale européenne (BCE).
s'est interrogé sur la pertinence d'un recours aux coopérations renforcées pour approfondir la coopération européenne, exprimant la crainte que cette formule ne soit peu opérationnelle, et d'une mise en forme laborieuse. Il a rappelé que les membres de l'Union européenne se partageaient entre deux visions globales, les uns aspirant à une « Europe-puissance », les autres à une simple « Europe-espace ». Il a souhaité la réunion du cercle de ceux qui sont partisans de l'Europe-puissance. Il a fait état de ses réserves face à l'accroissement des ressources fiscales pour résorber le déficit budgétaire, rappelant que des pays tels que le Canada étaient parvenus à cette résorption par une politique inverse de réduction de la dépense publique.
a approuvé les remarques de M. Medgyessy sur le poids de la concurrence asiatique en matière de délocalisation des activités industrielles, et a déploré que la concurrence en matière de salaires, qui s'est instaurée au sein de l'Union européenne, ait conduit à la fuite de la main d'oeuvre qualifiée hors de Hongrie. A partir de ce double constat, il a souhaité connaître les espoirs mis par M. Medgyessy dans la construction européenne, notamment sous l'angle économique et social.
s'est interrogé sur la position qu'adopterait le Royaume-Uni face à la solution institutionnelle recommandée par M. Medgyessy et consistant en la rédaction d'un nouveau traité. Il a souligné qu'il s'agissait d'une redistribution des rôles entre la Commission et le Conseil. L'équilibre des pouvoirs ainsi esquissé ne conduirait-il pas à des conflits de légitimité entre le Conseil, représentant des Etats, protecteurs naturels du principe de subsidiarité et donc favorables à des décisions prises à la majorité qualifiée, et une Commission élue par le Parlement européen ?
En réponse, M. Peter Medgyessy a apporté les éléments suivants :
- une exigence de sincérité s'impose aux décideurs européens envers la Turquie, dont la fierté nationale est froissée par une succession de déclarations contradictoires et évasives. L'expression directe de la réalité de la situation prévalant au sein de l'Union européenne conduit à différer l'intégration de la Turquie. Les faux fuyants actuels ne font qu'envenimer les rapports entre l'Union européenne et ce pays ;
- la question des Balkans est tout autre. Du point de vue technique, la Croatie à d'ores et déjà rempli tous les critères nécessaires à l'adhésion, à égalité avec les deux nouveaux entrants que sont la Roumanie et la Bulgarie. Son éventuelle intégration dépend donc d'un choix politique. Les autres pays balkaniques en sont loin, et leur intégration ne peut être envisagée dans un proche avenir. Il est toutefois important de leur donner une perspective ;
- les coopérations renforcées constituent l'outil le mieux adapté pour avancer au sein d'une union à vingt-sept membres, dont les capacités d'intégration respectives sont inégales. Ce mode d'action présente l'avantage d'être flexible et de s'ajuster aux attentes des pays volontaires ; il convient naturellement de les cibler sur des secteurs prioritaires, et non de les multiplier. En revanche, la constitution de « cercles » constitués suivant le degré d'avancement des pays constitue la pire des solutions. Même une Europe à plusieurs vitesses lui serait préférable ;
- dans une perspective d'établissement à long terme d'une confédération européenne, il est indispensable de préserver les compétences des Parlements nationaux. Seule, une éventuelle fédération européenne, qui n'est envisageable qu'à très long terme, pourrait justifier la réduction de leurs pouvoirs ;
- l'indépendance de la Banque centrale européenne est indispensable pour constituer un contrepoids technique face aux autorités politiques ;
- la situation passée de la Hongrie, marquée par un déficit budgétaire de près de 10 % du PIB, exigeait une croissance des ressources fiscales qui, seule, permettait l'obtention de résultats immédiats pour redresser les comptes. La baisse des dépenses publiques, qui l'a accompagnée, ne peut en effet produire ses effets qu'à moyen terme ;
- l'élargissement de l'Union européenne découle d'une décision politique, mais les Etats membres doivent se confronter à la concurrence économique mondiale, en renforçant leurs avantages comparatifs en matière d'éducation, de recherche et de qualité de services. Toute tentative protectionniste serait vouée à l'échec.
- la démarche pertinente à adopter en matière institutionnelle doit être pragmatique et aboutir à un texte qui permette un bon fonctionnement des institutions européennes. Ce résultat obtenu, il sera alors possible d'approfondir la construction européenne ;
- la question se pose de savoir comment gagner le Royaume-Uni au renforcement de l'Union européenne ; les conséquences des changements politiques, qui se dessinent outre-Manche, sont préoccupantes ;
- dans la perspective à long terme d'une construction confédérale, il conviendrait de renforcer le rôle de la commission et de ne confier au Conseil que des décisions réellement déterminantes.