Au cours d'une première réunion tenue dans la matinée, la commission examine le rapport et les amendements sur la proposition de résolution européenne n° 590 (2009-2010) présentée au nom de la commission des affaires européennes par M. Jean Bizet sur le marché du lait.
La crise du lait, particulièrement violente, intervenue à partir de la mi-2008 et qui a pris toute son ampleur en 2009, a été le baromètre de la crise agricole.
Connaissant une situation inédite dans un secteur traditionnellement stable, la filière laitière constitue le symbole des bouleversements liés à l'exposition plus forte de l'agriculture aux marchés, intervenue dans le cadre des réformes successives de la politique agricole commune (PAC).
La commission des Affaires européennes du Sénat avait analysé dès juin 2009 l'évolution des prix du lait dans les États membres de l'Union européenne, faisant apparaître, derrière les spécificités nationales, une tendance commune et le besoin d'une nouvelle visibilité et d'une cohérence de la politique européenne.
Votre commission de l'Économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire, pour sa part, a mis en évidence le besoin d'une nouvelle régulation à la fois européenne et nationale du marché du lait, suite à l'avis rendu sur la demande de son président, Jean-Paul Émorine, par l'Autorité de la concurrence, sur la situation du marché du lait.
Au-delà de la crise conjoncturelle, la perspective de la fin des quotas laitiers au 1er avril 2015, avec relèvement progressif de ceux-ci chaque année jusqu'en 2015, décidée dans le cadre du bilan de santé de la PAC, a en effet profondément bouleversé le secteur et changé fortement ses perspectives.
Devant l'ampleur prise par la crise laitière au niveau européen, Mme Fischer Boel, alors commissaire européen chargé de l'Agriculture et du développement rural, a annoncé, le 5 octobre 2009, la création d'un groupe d'experts de haut niveau (GHN) ayant pour mission de faire des propositions pour ce secteur.
Rendu le 15 juin 2010, le rapport du GHN constitue la base de discussions en vue d'une proposition législative de la commission attendue à la fin 2010.
La commission des Affaires européennes a souhaité réagir rapidement après la sortie de ce rapport, afin de s'inscrire dans le débat qui s'ouvre sur la réforme de la PAC après 2013, à travers une proposition de résolution européenne.
Cette initiative s'appuie sur plusieurs auditions déjà menées par le groupe de travail commun à la commission de l'Économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire, et à la commission des Affaires européennes sur la PAC, constitué en mai 2010.
Si les conclusions du GHN vont dans le bon sens, celui d'une régulation européenne qui, il y a peu, paraissait encore incongrue, les pistes ouvertes devront se traduire par des dispositifs consistants et ambitieux dans le futur texte législatif européen.
La crise agricole a fait prendre conscience qu'un changement de cap était nécessaire pour la PAC. Sans revenir sur les acquis du passé et défendre une vision administrée de la PAC, car la France se trouverait vraisemblablement isolée à Bruxelles pour la défendre, il convient de faire évoluer les outils de cette politique de manière à rechercher une plus grande stabilité des marchés.
Le défi de la réforme de la PAC passe donc d'abord par le lait.
Sans revenir sur les conclusions du GHN présentés lors d'une réunion commune de la commission des Affaires européennes et de notre commission, je salue le travail de la Commission des Affaires européennes, dont je partage largement les conclusions, sous réserve des observations suivantes :
Si la survie à long terme des producteurs de lait dépend de la compétitivité des exploitations, dans un marché mondial où les prix sont déterminés par la loi de l'offre et de la demande, il convient de prendre en compte l'élevage dans toute sa diversité.
En particulier, la PAC ne saurait oublier l'élevage dans les zones de montagne ou les zones défavorisées, dans lesquelles aucune autre activité n'est possible. Une aide spécifique doit être apportée aux exploitations laitières dans ces zones, car elles contribuent positivement à l'aménagement du territoire rural et à l'entretien des espaces. Une réflexion pourrait s'engager à cet égard concernant des mesures spécifiques de régulation - quota spécifique - dans les zones de montagne ou défavorisées.
Au demeurant, les petites exploitations laitières peuvent être compétitives, dès lors qu'elles s'intègrent dans des filières de qualité comme le fromage sous appellation d'origine contrôlée (AOC), comme l'Abondance ou le Comté, ou encore dans des filières à forte valeur ajoutée comme le lait biologique.
Le bon fonctionnement de la filière laitière dépend de la transparence des indications de prix données à ses acteurs, d'où les recommandations du GHN en la matière. Cependant, la transparence ne doit pas s'entendre uniquement par rapport au prix. Il est nécessaire que la transparence s'étende à la connaissance de la répartition de la valeur ajoutée à tous les stades de la filière, de la production à la distribution, en passant par la transformation.
C'est au demeurant l'orientation prise par la France dans le projet de loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche avec la mise en place d'un Observatoire des prix mais aussi des marges des produits alimentaires.
Enfin, je comprends la logique de modulation des DPU soutenue par la proposition de résolution mais j'estime qu'une étude approfondie doit être faite afin de bien mesurer les conséquences d'une telle modulation, qu'il s'agisse d'une modulation en fonction de la situation des marchés, ou d'une modulation en fonction du degré d'organisation économique à laquelle consent un producteur.
En effet, les DPU constituent un soutien indifférencié au revenu des exploitants, sensés compenser le différentiel de compétitivité entre l'Europe et les pays tiers. Le mécanisme des DPU a remplacé les aides couplées à la production pour permettre à la PAC d'être compatible avec les règles de l'OMC. Toute modulation devra être examinée au regard de la boîte verte (aides autorisées sans limite) ou de la boîte bleue (aides tolérées) de l'OMC.
En outre, la mise en réserve de crédits destinés à la PAC au sein du budget communautaire est risquée : la tentation pourrait être grande, pour financer d'autres priorités de l'Union européenne que les priorités agricoles, de réaffecter les crédits de la PAC ainsi mis en réserve.
C'est pourquoi, la formulation prudente de la commission des Affaires européennes constitue simplement une invitation à la réflexion sur la mise en oeuvre de mécanismes de modulation, mais en aucun cas un engagement soutenant cette orientation. Il faut l'évaluer avant de décider d'une position à Bruxelles sur ce point. Je tiens à réaffirmer que les productions agricoles, notamment la production laitière, peuvent connaitre des fluctuations liées à de multiples facteurs notamment l'aléa climatique. Il est donc important d'être en capacité de pouvoir stocker des produits afin de répondre aux situations de pénurie et donc à l'emballement des prix, facteur de désorganisation pour l'agriculture.
Si je partage l'essentiel des remarques qui viennent d'être formulées, j'ai toutefois souhaité, avec les collègues de mon groupe, proposer un certain nombre d'amendements. Certains d'entre eux sont des amendements d'appel destinés à attirer l'attention du Gouvernement pour que celui-ci sensibilise nos partenaires européens à nos préoccupations, car nous savons pertinemment, que sur ce sujet, il n'y a pas l'unanimité des vingt sept Etats membres. D'autres amendements s'inscrivent, quant à eux, dans le prolongement des débats relatifs à la loi de modernisation de l'agriculture. Sur ce point, les observations du GHN vont dans le bon sens, malgré quelques restrictions que nous avons déjà émises lors du vote de la loi.
Je partage globalement les propos de notre collègue puisqu'en effet, le rapport du GHN est d'essence très libérale et consacre en réalité les mécanismes de marché, ce qui n'est pas acceptable. Je suis inquiet de l'impact, sur les producteurs, des contrats écrits proposés par les grands acheteurs qui pourront toujours s'approvisionner hors de France et peser ainsi sur les prix au niveau national. Je reste donc persuadé que la priorité devrait être donnée à la production nationale sur la base d'un volume donné et d'un prix défini. S'agissant du pouvoir de négociation des producteurs face aux acheteurs, malgré les avancées contenues dans cette proposition de résolution, notamment à travers le seuil de regroupement des producteurs, j'ai des doutes quant à l'évolution des rapports de force sur le terrain. Je ne crois pas non plus à l'efficacité des marchés à terme pour réduire la volatilité des prix et je redoute même l'inverse. S'agissant de l'étiquetage, je suis convaincu que la question de l'éventuelle imitation d'un produit laitier pourra être aisément résolue, et je crois que la mention des lieux de production aura un impact plus significatif pour la consommation intérieure, l'effet étant moins évident au niveau international. En définitive, je rappelle que notre groupe est défavorable à cette proposition de résolution qui risque finalement de mettre fin aux quotas et faire payer les agriculteurs une deuxième fois. En effet, l'instauration des quotas au milieu des années 1980 a eu pour conséquence de contraindre les petites exploitations à cesser leurs productions laitières et on constate aujourd'hui que le cheptel laitier diminue. Et de nouveau, les agriculteurs vont devoir payer une deuxième fois car la suppression des quotas aura pour effet d'exacerber la concurrence.
Avec mes collègues, nous avons souhaité proposer plusieurs amendements rédactionnels afin de préciser le dispositif de la proposition de résolution ainsi que des amendements de fond destinés à donner plus d'ambitions au texte qui nous est soumis. Si je remarque que les principes que nous défendons sont malheureusement loin de faire consensus auprès des vingt-sept États membres, il ne faut pas pour autant se résigner et laisser le champ politique disparaître progressivement au profit du marché. En clair, c'est la garantie d'un revenu décent pour les agricultures que l'on va remettre en cause en revenant sur la politique d'intervention de l'Union européenne. C'est pourquoi, en l'état, nous voterons contre ce texte, car il nous pourrait essentiel d'y réaffirmer les objectifs fondamentaux de la politique agricole commune dont on s'éloigne dangereusement.
J'ai pris bonne note de l'ensemble des observations qui ont été formulées mais je constate, de mon coté, que le rapport du GHN va dans le bon sens. Cette proposition de résolution, que nous avons essayé d'amender positivement s'inscrit dans cette logique et doit nous permettre de convaincre nos partenaires européens. Si je m'inscris en faux contre l'idée des quotas nationaux, qui est incompatible avec la politique agricole commune, il me paraît important d'obtenir une augmentation des volumes de production dans les zones de montagne, qui sont nombreuses en France, ainsi que dans les zones défavorisées. Le regroupement des producteurs, sur la base des quantités laitières européennes, est également un point très positif. Je suis par ailleurs très favorable à l'étiquetage sur le lieu de production, à condition qu'il soit visible pour le consommateur. A cet égard, il me paraît inconcevable de qualifier un produit comme laitier s'il n'est pas issu d'un animal.
Nous partageons, en réalité, tous les mêmes préoccupations, à savoir conserver une capacité de production laitière en France et préserver cette production dans les régions de montagne où le coût de la collecte est important. A cet égard, il convient d'éviter la concentration et tout mettre en oeuvre pour préserver la production laitière dans les zones défavorisées. Enfin, l'étiquetage doit être défendu, à un moment où l'information et la communication jouent un rôle fondamental dans les comportements de consommation de nos concitoyens.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
Je soumets maintenant au vote l'ensemble de la proposition de résolution ainsi modifiée.
Notre abstention s'explique par notre opposition à la philosophie trop libérale qui est sous-tendue par ce texte.
Je tiens à saluer le travail de notre rapporteur qui examine la problématique du lait depuis plusieurs mois, et je souligne que le groupe UMP soutient cette proposition de résolution.
Notre groupe votera contre ce texte, qui s'inscrit dans le cadre d'une agriculture complètement intégrée au marché.
Je reste préoccupé par les positions idéologiques de la Commission européenne. Nous allons vers une victoire totale des mécanismes de marché dans le monde agricole : l'exemple des marchés à terme, ou celui du système assurantiel préféré à la garantie des prix, l'illustrent, c'est pourquoi nous voterons contre ce texte.
Puis la proposition de résolution est adoptée dans la rédaction de la commission, le groupe socialiste s'abstenant, les verts ainsi que le groupe communiste votant contre.
- Présidence commune de M. Jean-Paul Emorine, président, M. Jean Arthuis, président de la commission des finances, M. Jean-Claude Carle, vice-président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, et M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes -