Merci d'avoir répondu à notre invitation. Voulez-vous présenter votre activité ?
Je tiens à vous remercier pour votre invitation. J'ai rédigé pour la commission un papier qui résume mon témoignage et que je vais résumer. Je suis responsable de l'équipe de conseil en notation au sein de CA CIB, la banque d'affaire du groupe Crédit agricole. Je me concentrerai sur les missions réalisées pour les entreprises ; je ne suis pas compétent pour discuter des enjeux réglementaires qui sont gérés directement par la direction financière du groupe.
Comment créons-nous de la valeur pour les entreprises ? En leur apprenant à parler le langage des agences. La notation, c'est d'abord un contrat de confiance, et non une démarche inquisitoriale. Sur le risque de solvabilité, il y a des règles transparentes reposant sur une matrice de crédit. Sur le risque de liquidité, là encore, les règles sont transparentes et ont contribué à éviter que la crise de Lehmann Brothers ait des répercussions trop brutales sur l'activité économique.
Notre valeur ajoutée est de nous assurer de la cohérence des notations : la notation d'une entreprise française doit être cohérente avec celle de son concurrent américain. Nous y avons réussi ; cette évolution doit aussi beaucoup à l'autorégulation des agences de notation.
Il faut aussi vérifier la cohérence des critères : la crise des subprimes l'a montré. Les agences se sont vu imposer un back testing, c'est-à-dire une expérimentation permettant d'ajuster les critères et d'éviter le retour des dérives du passé.
Les agences notent la probabilité de défaut ou de perte. La crise grecque illustre le problème posé par la notion de défaut sélectif : une agence doit-elle décider elle-même quand il y a défaut ? Il faut des contre-pouvoirs. Le Crédit agricole a réussi à mettre au point une méthodologie mondiale des critères. Nous soutenons la proposition de l'Autorité des marchés financiers de créer un forum sur les critères, reposant sur un dialogue factuel. Il est dommage que l'Europe cède, trop souvent, le pas aux États-Unis.
Je parlerai du conseil en notation et les opinions que j'exprimerai n'engageront pas la Société générale. La notation sert à donner aux entreprises accès aux marchés de capitaux. Nous avons des bureaux à Paris, New York et Londres : le benchmarking international est important. Je suis responsable des secteurs français et espagnol ; j'ai travaillé dans l'industrie, puis dans la finance, y compris chez Standard and Poor's.
Vous dites que vous ne faites pas de recherches approfondies, mais privilégiez la confiance. Qu'est-ce qui vous différencie des agences de notation ? Vous avez les mêmes clients. La notation par les agences est devenue quasi obligatoire. Est-ce le volume des cas traités qui vous distingue ?
Je n'ai pas compris à quel moment vous intervenez : avant l'appel d'offres ? Après le choix de l'agence ?
Une notation est une matrice de transition entre cinq et dix ans, d'où la nécessité de construire une relation de confiance entre l'entreprise et l'agence. Notre valeur ajoutée repose sur un travail « en profondeur » en termes de recherche. Le succès « EADS », sur lequel M. Gallois a autorisé le Crédit agricole à communiquer, vous éclairera. Les enjeux étaient importants. EADS était noté BBB+ et Boeing A+. Nous étions au moment de l'affaire Lehmann Brothers, cela pouvait générer un problème d'appel de marges potentiel, avec un risque de liquidités pour EADS sur ses positions de change. Nous nous sommes invités au comité de notation ; nous avons refait le travail que font les agences. Un raisonnement un peu brutal consistait à dire : Boeing a une marge de 10 %, EADS de 1 %, donc une entreprise est rentable, l'autre pas.
Même si les entreprises étaient équivalentes en termes de profil financier, l'argument selon lequel il fallait donner une meilleure note à l'entreprise rentable prévalait. Le travail de notre équipe à consisté à attirer l'attention de l'agence de notation sur des points peu mis en valeur : la vision donnée par Boeing de sa marge comptable est basée sur des comptes aux normes US-GAAP alors qu'EADS élabore ses comptes selon les normes IRFS.
Tout cela impliquait selon nous la nécessité de procéder à des ajustements sur la dette et sur le résultat d'exploitation. Les deux avionneurs font face à des problèmes identiques : ils doivent financer des programmes très lourds, de l'ordre de 10 milliards d'euros pour construire un avion. Airbus inscrit ses charges d'investissement dans son compte de résultat comme des charges effectives, alors que Boeing les inscrit en besoins de fonds de roulement (actifs d'exploitation). Sur ces bases, des ajustements ont été faits pour comparer les deux marges, si bien qu'on a pu obtenir de la part de l'agence que la note d'EADS soit revalorisée.
On le voit, la notation est d'abord un dialogue très technique. Notre métier, c'est d'être les avocats de l'entreprise auprès des agences. Nous essayons de faire en sorte que le jeu soit le plus équilibré possible entre l'entreprise et les agences afin que l'accès à la liquidité de l'économie soit assuré dans les meilleures conditions, en ayant présent à l'esprit que la notation est le passeport du crédit.
Nous ne sommes pas une agence de notation, mais nous aidons les clients dans leurs relations avec les agences.
Cette activité est exercée par des banques, des cabinets de conseil et quelques indépendants. Elle n'est pas liée à un statut particulier.
Je comprends mieux à présent. Quant cette activité est-elle née ? En même temps que les agences ? Conseillez-vous des émetteurs ou des investisseurs ?
Pas nécessairement, mais nous ne nous exprimons ici qu'à ce titre.
Du lobbying analytique. Deux types de missions nous sont confiées : des missions de première notation, pour des clients qui n'ont jamais été notés et sont un peu perdus ; et des missions d'accompagnement, pour des entreprises qui font face à une conjoncture difficile et que nous aidons à trouver de bons arguments analytiques.
Comment apprécie-t-on vos performances ? Les entreprises s'entourent de beaucoup de conseillers, par exemple des conseillers fiscaux dont on apprécie la qualité à l'aune de leur capacité à réduire le taux d'impôt sur les sociétés. Les sociétés du CAC40 ont un taux de 8 % quand il est normalement de 33 %. Mais vous ? Est-ce en fonction de la notation ? Ne risquez-vous pas d'enjoliver la réalité ?
Si la société a le sentiment d'avoir bien présenté ses atouts et justifié ses faiblesses, le conseil en notation peut être jugé performant.
Pas du tout. Nous ne conseillons qu'une minorité d'émetteurs, par exemple quand leurs équipes financières sont surchargées.
Je travaille depuis plus de dix ans pour un grand groupe du CAC40 : les succès partagés engendrent une relation de confiance. Dans le contexte actuel de crise de liquidité, la notation est un métier très technique et il faut éviter que des critères incohérents ne créent des distorsions. La notation est un enjeu important pour l'optimisation du coût de financement, voire de la valeur d'entreprise.
Vous intervenez auprès d'un petit nombre d'entreprises, mais en quoi cela prouve-t-il que vous ne faites pas de window dressing ? Je comprendrais mieux l'argument qui consisterait à dire que de la même manière que de grandes entreprises font appel à des avocats extérieurs tout en ayant des services juridiques importants -par exemple Total pou l'Erika- elles ont recours occasionnellement à un conseil extérieur en notation.
J'en reviens à la Grèce. Comment se fait-il que vous n'ayez pas perçu le risque ?
Notre équipe travaille pour les clients du Crédit agricole, non pour le groupe lui-même.
Je voulais insister sur le fait que le conseil en notation n'est pas obligatoire.
Le conseil n'est pas toujours facturé : il entre parfois dans une relation globale. Et s'il est facturé, c'est par la banque.
L'idée prévaut aujourd'hui qu'il ne faut pas donner de trop larges responsabilités aux agences. Si vous faisiez remonter des informations, ce serait très précieux.
Nous cherchons à apprécier la valeur des critères des agences, mais nous ne travaillons pas sur tous les sujets au sein de la banque.
Un groupe bancaire est aussi un investisseur. Comment faites-vous le partage ?
Nous ne donnons aucune recommandation d'investissement à la banque. La segmentation entre les deux activités est nette.
En somme, votre activité est le bed dressing : vous faites en sorte que les entreprises se couchent aussi confortablement que possible dans les bras des agences...
On peut employer toutes sortes d'images. Nous aidons les entreprises à se financer au mieux auprès des marchés, en obtenant une bonne note.
Quel est le cadre éthique de votre profession ? Si vous vous apercevez qu'une agence surévalue une entreprise, en informez-vous quelqu'un ? Certaines entreprises notées AAA la veille se sont révélées être le lendemain dans une situation catastrophique...
Personnellement, je ne me suis jamais trouvé dans cette situation. Nous avons des règles de déontologie. Ce serait aux équipes de compliance -que j'alerterais- de définir la marche à suivre.
Juridiquement, nos missions se limitent à une assistance et non à du conseil. Le Crédit agricole est un groupe mutualiste au service de ses clients, et notre devoir est de les accompagner y compris dans les moments plus difficiles.
Anticiper le besoin d'adapter la structure financière et la gestion du risque de liquidité par rapport à une éventuelle dégradation est un enjeu essentiel. Nous cherchons à aider l'entreprise à retarder au maximum le risque de dégradation en obtenant que la notation intervienne « à travers le cycle ».
Si une entreprise crée des produits structurés, intervenez-vous pour assurer le succès de l'opération ?
C'est le travail des équipes de titrisation rattachées à la salle des marchés.
Je suis admiratif et dubitatif à la fois... Il faut une grande vertu pour faire votre métier, puisque vous faites à la fois du conseil aux entreprises et des investissements. Or je me méfie de la vertu...
Pour notre part, nous ne faisons que du conseil. Nous aidons les sociétés dans leur dialogue analytique avec des agences de notation.
Je ne sais pas au juste ; il y a dix ou quinze ans en Europe, après les États-Unis.
Le conseil en notation entre dans une relation globale avec les clients. La notation, qui est devenue l'alphabet de la finance, est une préoccupation quotidienne dans une banque. Elle a donc besoin de conseillers spéciaux.
Je ne parlerai pas de vertu, mais de charité laïque... Est-il plus confortable pour vous de conseiller des entreprises comme EADS, financièrement solides ?
J'ai conseillé des sociétés notées B ou AA, des sociétés dont la note se dégradait ou s'améliorait... Tout dépend des relations entre la banque et l'émetteur.
Notre groupe cherche à aider ses clients à faire face au défi de la désintermédiation. Il faut recréer un modèle économique qui assure de la liquidité pour les entreprises comme pour les banques, en redéfinissant le rapport entre obligations et prêts bancaires.
Pour les PME, une petite taille constitue un handicap pour un accès au marché obligataire et pour la notation. Nous avons essayé de creuser ce dossier en favorisant l'accès au marché des placements privés en dollar. Celui-ci repose sur des notations réalisées par les compagnies d'assurance, et non par les grandes agences de notation.
Par provocation, on pourrait dire que votre activité existe en raison de la défaillance des agences de notation.
Les agences de notation ont consenti un réel effort de transparence. Néanmoins, un document de 70 pages détaillant les critères doit être expliqué à l'émetteur ; rien de surprenant à ce qu'il fasse appel à un intermédiaire.
La finance reste une science humaine : les erreurs sont inévitables.
Qu'en est-il du recrutement ? Les banques peuvent avoir intérêt à recruter des anciens des agences de notation. N'existe-t-il pas un grand mercato avec primes à la clef des transferts ?
Il n'y a pas de mercato. J'ai travaillé dans une agence ; pas M. d'Hautefeuille.
Notre métier, au-delà du conseil en notation, est l'ingénierie financière. C'est un défi intellectuel qui attire les analystes des agences, car, dans les agences, ils n'ont pas le droit d'avoir des activités de conseil.
Je suis surpris. Vous avez beaucoup insisté sur la confiance, le côté affectif. Les dirigeants de Moody's et Pitch se retrouvaient tous à Palm Beach. Chacun couvrait l'autre, un système qui ne favorisait pas la rigueur...
Vous avez déploré le poids des agences de notation américaines. Quels seraient vos conseils quant à la création d'une agence de notation européenne ?
En tant qu'avocat des entreprises, comment améliorer le travail des agences de notation qui sont à l'origine de catastrophes ?
Tout l'enjeu est d'assurer un égal accès à la liquidité : notre métier y contribue en assurant une plus grande transparence sur l'attribution par les agences de passeports de crédit. L'institution d'un forum sur les critères comme le propose Jean-Pierre. Jouyet peut aider l'Autorité européenne des marchés financiers à mettre en oeuvre la régulation européenne qui impose aux agences une « expérimentation » (back testing) de leurs critères.
À titre personnel, je considère qu'il faudrait réfléchir sur le sens des notations et l'horizon temporel. À l'automne 2008, les agences de notation ont peiné à comprendre ce qui se passait, ce qui peut se concevoir. À l'autre bout du spectre, le risque systémique est également difficile à appréhender. La notation est surtout fiable à moyen terme. Il est rare que les agences de notation sortent un scoop. En revanche, elles sont des tours d'observation sur le crédit à long terme. Disposant de données sur tous les secteurs, elles pourraient participer aux travaux de recherche des institutions internationale pour le risque systémique sans que leur analyse soit intégrée dans la note. Ce serait une manière de restituer une partie de leur analyse au marché.
Nous ajustons nos travaux à leur méthodologie. Cela dit, le travail est similaire.
Merci de votre venue. Si besoin est, nous nous adresserons à vous avant la publication de notre rapport qui doit intervenir mi-juin.