Au cours de ces dernières semaines, le débat autour du projet de réorganisation de l'hôpital de l'Hôtel-Dieu a pris de l'ampleur. Comme vous le savez, la fermeture du service des urgences était programmée à compter du 4 novembre prochain. Le ministre des affaires sociales et de la santé a annoncé hier le report de cette échéance et le décalage du projet de réorganisation, qui n'est cependant pas remis en cause dans son principe.
Il me semble que ce dossier est assez emblématique des problèmes soulevés par les restructurations hospitalières, compte tenu du rôle joué par les services d'urgences, particulièrement dans une zone urbaine telle que celle du centre de Paris.
J'ai donc souhaité que nous puissions entendre ce matin des représentants des personnels de l'Hôtel-Dieu puis, dans un second temps, les représentants de la direction de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP).
Nous recevons donc pour cette première heure les représentants des organisations syndicales :
- pour la CGT, M. Alain Carini et Mmes Graziella Raso et Rosemay Rousseau-Saxemard ;
- pour Sud-Santé, M. Stéphane Roux.
Ils sont accompagnés du docteur Gérald Kierzek, médecin urgentiste, dont vous savez qu'il a été démis lundi de ses responsabilités au sein du service d'accueil des urgences de l'Hôtel-Dieu.
Je vous passe la parole afin que vous nous exposiez votre point de vue sur le projet de réorganisation.
Je souhaite présenter une chronologie des faits avant d'expliquer pourquoi nous sommes opposés au projet de la direction. La première annonce brutale a été faite le 4 mars 2011 par communiqué de presse par Mme Faugère, directrice générale de l'AP-HP. La décision de transférer tous les services de l'Hôtel-Dieu est vécue comme un choc par les 1 600 agents.
Nous avons demandé un rapport d'expertise sur les « conséquences des restructurations sur les effectifs, les conditions de travail et la santé du personnel ». Il nous a été remis le 29 avril 2011. Cette expertise précise entre autre que l'incertitude augmente les risques psycho-sociaux.
Nous avons déposé quatre avis de danger grave et imminent (DGI) devant le Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Le premier dépôt date du 2 novembre 2011 sur les risques psycho-sociaux encourus par l'ensemble du personnel de l'hôpital. Il y a ensuite deux courriers en 2012 et 2013 de Mme Rambaud, inspectrice du travail, qui demandait une amélioration du dialogue social. Le deuxième dépôt d'un DGI date du 29 octobre 2012. Il porte sur l'aggravation des risques psycho-sociaux encourus par l'ensemble du personnel de l'hôpital. Il y a eu ensuite l'annonce brutale du 14 mai par communiqué de presse par Mme Faugère de la fermeture des urgences le 4 novembre 2013. Annonce très mal vécue par les 890 agents. Le troisième dépôt d'un DGI le 9 juin 2013 portait encore sur l'aggravation des risques psycho-sociaux encourus par l'ensemble du personnel de l'hôpital. Enfin nous avons déposé un quatrième DGI le 9 juillet sur l'aggravation des risques psycho-sociaux encourus par l'ensemble du personnel de l'hôpital suite à la décision de démettre le docteur Gérald Kierzek de ses fonctions de responsable du service mobile d'urgence et de réanimation (Smur) de l'Hôtel-Dieu, qui a été vécu comme un choc.
La décision floue de Mme Touraine, le 10 juillet 2013, même si nous la considérons comme un premier signe d'écoute, risque elle aussi d'aggraver les risques psycho-sociaux, puisque le problème des transferts des services restant n'est pas abordé, laissant les agents dans l'incertitude une fois encore.
Le rapport et les recommandations d'une deuxième expertise sur l'organisation du travail d'un service de l'hôpital du 17 juin 2013 corroborent la première.
La médecine du travail a fait en CHSCT, fin 2012 et début 2013, une déclaration soulignant que, vis-à-vis du retentissement des restructurations sur l'état de santé psychique et physique des personnels, nous ne sommes actuellement plus dans la prévention primaire (éviter l'apparition de la maladie), mais dans la prévention secondaire (éviter l'aggravation de la maladie détectée à son début), voire la prévention tertiaire (éviter le passage à la chronicité ou les récidives - je précise qu'à ce titre, j'ai dans l'établissement des personnels qui ont pour quelques-uns d'entre eux déjà subi des restructurations dans d'autres hôpitaux).
En somme, il y a eu quatre DGI, deux courriers de l'inspection du travail, une déclaration de la médecine du travail et deux expertises allant dans le même sens pour dénoncer une situation de maltraitance à agents.
Nous avons contesté la méthode d'annonce de la directrice générale de l'AP-HP vis-à-vis du personnel, la mise en place d'une charte d'accompagnement des mobilités qui n'a été qu'un document non appliqué pendant des mois, tout ceci occasionnant des risques psycho-sociaux. Mais la précipitation avec laquelle la direction générale de l'AP-HP et la direction du groupe hospitalier continuent à fermer les services est insupportable pour le personnel et ses représentants.
A ceci s'ajoute le manque de transparence, le manque permanent de documents concernant les transferts de services pour permettre aux élus et mandatés de remplir au mieux leur mission.
Les projets ont été rejetés à l'unanimité par les organisations syndicales présentes au CHSCT et au comité technique d'établissement (CTE). Plusieurs refus de vote sont également intervenus à l'unanimité aussi. Mais la direction, une fois l'avis obtenu, même si celui-ci est négatif, se satisfait et met en place le projet rejeté.
Nous n'avons eu que des réponses évasives à toutes nos questions. Des bruits courent sur la fermeture de la psychiatrie, du Smur, de la salle Cusco fonctionnant avec les urgences médico-judiciaires.
Le professeur Fagon, auteur du projet de la direction générale, vient prendre les mesures de certaines salles devant les agents sur leur lieu de travail, ce qui accentue les risques psycho-sociaux.
L'obligation de positionnement imposée aux agents dans un délai inférieur à un mois pose de nombreux problèmes familiaux liés aux transports supplémentaires, à la crèche, à la garde d'enfants, au changement d'organisation familiale, sans oublier que nos collègues doivent se lever plus tôt et réveiller leur bébé à des heures anormales...
Par exemple, lors des travaux de la crèche de l'Hôtel-Dieu, une infirmière habitant Amiens n'a pu déposer son enfant à la crèche de Cochin et revenir à l'Hôtel-Dieu car elle n'avait pas de train lui permettant d'arriver à l'heure à son poste de travail. Elle a dû trouver une garde d'enfant.
Nous n'avons eu de cesse de demander à la direction de mieux informer les agents et les représentants du personnel des différentes décisions, mais à chaque fois que la direction a organisé des réunions d'information, l'absence de réponses concrètes aux questions posées n'a fait qu'amplifier le mal-être et la souffrance du personnel, pouvant le pousser, à cause du stress et du burn out à une éventuelle faute professionnelle et par conséquent à une sanction.
Lors d'un CHSCT sur les risques psycho-sociaux, à la question d'un représentant du personnel sur ce qu'est le kit d'accompagnement, le directeur du groupe hospitalier lui répond « le taser ». Dans un contexte difficile de restructuration, il est inutile de vous dire la réaction des représentants du personnel. Nous avons l'enregistrement de la séance.
Les médecins du travail sont sollicités constamment par les agents à cause de ce mal-être, mais aussi les représentants du personnel.
Je peux vous dire aujourd'hui que s'il n'y a eu aucun suicide à l'Hôtel-Dieu, c'est bien grâce à la présence des médecins du travail d'une part, et des représentants du personnel d'autre part. Un membre du CHSCT a même déclaré en instance qu'il était tellement mal qu'il envisageait « de se mettre une balle ». Cela a ému l'ensemble des représentants du personnel, mais aucunement le directeur.
Quand la ministre parle de « dégradation du climat », je viens de vous citer des exemples concrets et vécus.
Concernant le projet de la direction générale, nous le contestons avec la plus grande fermeté, car nous restons dans le flou.
Vendredi dernier, le président de la CME est venu prendre la température dans le service d'ophtalmologie qui est le seul service ayant des urgences ouvertes 24 h sur 24 en Ile-de-France. Nous nous sommes invités.
A la question d'une infirmière : la maison médicalisée pourra-t-elle fonctionner avec des médecins de ville laissant leur cabinet pour venir travailler 24 heures à l'Hôtel-Dieu ? Le président de la CME lui a répondu : « si ça ne marche pas, on fermera ! ». Donc on a bien compris que le projet n'est qu'un prétexte pour fermer notre Hôtel-Dieu. Pour en faire quoi, nous nous posons la question : un palace comme à Lyon et à Marseille ?
L'Hôtel-Dieu est à la croisée des chemins puisque desservi par toutes les lignes de trains, de RER et de métro. Il est au centre de quartiers parisiens les plus fréquentés comme les îles de la Cité et Saint-Louis, le quartier latin et ses facultés, le Louvre, Beaubourg, le Marais et ses musées, la Bastille. La cathédrale Notre-Dame voit, par exemple, 13 millions de visiteurs par année.
Nous signalons aussi les tentatives de répression sur les représentants syndicaux.
Pour finir, nous, CHSCT et syndicat CGT de l'Hôtel-Dieu, sommes en appel sur les risques psycho-sociaux. En première instance, la défense de l'AP-HP s'est appuyée sur un vide juridique concernant la fonction publique hospitalière (FPH) pour que le TGI se déclare incompétent à juger cette affaire. Nous notons qu'une jurisprudence existe pour le secteur privé (Renault et la Fnac), mais que le secteur public n'a pas les mêmes droits.
Dr Gérald Kierzek, médecin urgentiste à l'AP-HP. - Comme vous le savez, j'ai été démis de mes fonctions au sein des urgences de l'Hôtel-Dieu lundi. La direction de l'AP-HP fait porter la responsabilité de cette décision sur mon seul chef de service, le motif invoqué étant le défaut d'implication dans le projet de service. Je tiens cependant à signaler que j'ai été convoqué par le directeur la semaine dernière pour me voir rappeler mon obligation de réserve. J'établis un lien entre les deux événements.
Je tiens également à souligner que, contrairement à ce qu'affirment MM. Jean-Marie Le Guen et Jean-Yves Fagon, le préfigurateur médical qui se comporte d'ailleurs comme chef de pôle du nouveau projet hospitalier, les locaux, que vous avez pu visiter, sont neufs et ont été rénovés il y a moins de cinq ans. Le rapport Pateron d'avril 2011, confirmé par l'ARS en novembre 2011, posait un certain nombre de conditions pour que l'Hôtel-Dieu continue de fonctionner. Elles sont toutes réunies.
L'idée de la CME et de la direction générale selon laquelle l'absence de service de réanimation rendrait impossible le maintien d'un service d'urgences est fausse. Si tel était le cas, il faudrait fermer la moitié des services d'urgences en France puisqu'il existe 677 structures d'urgences pour moins de 380 structures de réanimation. Dans les services d'urgences non directement adossés à un service de réanimation, c'est le service mobile d'urgence et de réanimation (Smur) qui évacue, si nécessaire, les patients vers un service de réanimation. Je rappelle au demeurant que c'est la direction générale elle-même qui a décidé la fermeture du service de réanimation de l'Hôtel-Dieu.
L'argument selon lequel les autres services d'urgences parisiens pourraient accueillir les patients que nous prenons en charge aujourd'hui apparaît tout aussi fallacieux. Chaque année, l'Hôtel-Dieu accueille 120 000 urgences, dont 45 000 de nature médico-chirurgicale, 45 000 de caractère médico-judiciaire et 30 000 de type ophtalmologique. Afin de poursuivre la prise en charge des patients après leur passage aux urgences, l'hôpital est en outre pourvu de 17 lits de psychiatrie et 45 lits de médecine interne. Il est le seul établissement des neuf premiers arrondissements de Paris. A cet égard, tout report est rendu particulièrement périlleux par la situation de complète saturation dont souffrent les autres services d'urgences parisiens.
A titre d'exemple, il n'est pas rare que de nombreuses ambulances ou véhicules de pompiers, qui bénéficient pourtant d'un accueil dédié, fassent la queue devant l'hôpital Lariboisière pour pouvoir déposer leurs malades, sans pouvoir pendant ce temps porter secours à la population qui le nécessiterait. Le 20 juin dernier, les patients conduits aux urgences de cet hôpital, dont le taux de saturation était supérieur à 200 %, devaient attendre en moyenne huit heures avant d'être pris en charge. Le taux de saturation atteignait 127 % à l'Hôtel-Dieu au même moment. Cette situation a bien sûr un impact sur les personnels paramédicaux et médicaux. En témoignent les cinq démissions de médecins intervenues avant l'été à l'hôpital Lariboisière.
De plus, que ferions-nous si nous nous retrouvions face à une crise sanitaire d'importance ?
Dans un ultimatum adressé à la ministre des affaires sociales et de la santé, les urgentistes ont déjà indiqué qu'à compter du 15 octobre, ils ne se chargeraient plus de chercher de lits d'aval mais en laisseraient la responsabilité à l'administration. Derrière la question de la fermeture des urgences de l'Hôtel-Dieu, se profile en effet celle des lits dont la suppression accroîtrait encore davantage les difficultés des autres urgences parisiennes.
La tarification à l'activité (T2A) génère un climat de concurrence entre les chefs de service pour le recrutement des médecins. Dans ces conditions, les chefs de service ne dénoncent la situation qu'officieusement, par des messages électroniques que nous nous échangeons. L'un d'entre eux écrit par exemple que « la situation est démoralisante au possible. Pour information, notre activité aux urgences a augmenté de manière très significative au cours des trois derniers mois avec des équipes qui sont épuisées. Nos hôpitaux étant désormais trop petits pour offrir l'aval d'hospitalisation à ce flux de patients aux urgences, nous alimentons de fait les cliniques privées ».
Ces dernières accueilleront plutôt des patients moins poly-pathologiques et disposant d'une bonne assurance complémentaire, le restant continuant à s'adresser aux hôpitaux. Les patients âgés poly-pathologiques courront le risque de mourir sur les brancards.
En effet, augmenter l'attente dans les services d'urgences tue. La littérature scientifique internationale le prouve. En 2012, les surcharges dans les services d'urgence ont accru la mortalité de 12 %.
Les études montrent par ailleurs que les économies que l'on pourrait tirer d'un détournement de flux des services d'urgence vers d'autres structures comme les maisons médicales sont faibles : 2 % à 4 % d'économies sous l'hypothèse - irréalisable - d'une diminution de moitié des flux de malades accueillis.
Le volet principal du projet de l'AP-HP, qui prévoit une restructuration en hôpital universitaire de santé publique - hôpital « debout », c'est-à-dire sans lits - est la réinstallation de son siège. Entre 130 et 160 millions d'euros provenant de la vente de l'actuel siège seraient réinjectés à cette fin dans l'Hôtel-Dieu. Le deuxième volet est relatif à la santé publique, seule spécialité médicale qui ne soigne pas directement le malade. Les soins ne viennent qu'en troisième position.
Naturellement, dans le cadre d'une stratégie du projet latéral, la direction présente ce dernier volet comme étant l'élément principal du projet, ce qui n'est pas le cas, les 160 millions d'euros n'étant pas, en pratique, destinés à soigner les malades. Le rapport du professeur Jean-Yves Fagon prévoit un projet « innovant » permettant des « consultations sans rendez-vous », avec « zéro attente », et conçu en particulier pour les personnes âgées autonomes. Or, dans une société vieillissante comme la nôtre, le problème est surtout la prise en charge des malades âgés dépendants couchés...
La fermeture de l'Hôtel-Dieu a commencé au mois de mars dernier avec le transfert du service de pneumologie et il est prévu qu'elle se termine courant 2014 avec le transfert du service de psychiatrie à la Pitié-Salpêtrière. Ne serait maintenue que l'unité Cusco, c'est-à-dire l'hôpital carcéral.
Les urgentistes ne sont pas les seuls à dénoncer ce projet. Le professeur de diabétologie André Grimaldi affirme qu'il relève davantage d'un « assemblage disparate que d'un réel projet médical » et qu'il est basé sur un « slogan promotionnel (...) sans lendemain ».
L'Union syndicale des médecins des centres de santé (USMCS), qui représente des médecins dont les soins de premier recours sont la spécialité, a également dit son opposition au projet.
Les signataires de l'appel de l'Hôtel-Dieu, qui représentent de multiples spécialités médicales, soulignent qu'il ne correspond ni aux besoins des patients, ni à la réalité médicale, ni même à une organisation pertinente de l'accès aux soins. Ils dénoncent un projet qui ne sert que de prétexte au transfert coûteux du siège administratif de l'AP-HP.
Le collège de médecine générale regrette quant à lui l'absence de prise en compte du rôle pivot du médecin généraliste, l'absence de modèle économique et l'absence de définition du territoire et de la population dans un contexte d'affaiblissement de l'offre hospitalière publique locale dont l'AP-HP devrait être le garant.
Le projet de l'Assistance publique pose également une question de sécurité intérieure. On nous dit que les urgences médico-judiciaires vont pouvoir rester. Mais celles-ci sont indissociables des urgences médico-chirurgicales car les patients gardés à vue ont besoin à la fois du constat par le légiste et du soin. L'unité de lieu est un atout. A l'inverse, la dissociation aurait des conséquences tant du point de vue de la sécurité que des finances puisque les services de police seraient obligés d'accompagner les patients en garde à vue dans les autres hôpitaux parisiens. Les syndicats de police ont évalué à l'équivalent de deux commissariats de police les effectifs qui seraient nécessaires pour faire la navette entre l'Hôtel-Dieu et les divers hôpitaux. Compte tenu de la saturation des établissements, les droits des patients gardés à vue en matière de confidentialité ou de sécurité des soins ne seraient pas forcément respectés.
A cela, s'ajoute une difficulté d'ordre éthique : comment la direction peut-elle affirmer que l'Hôtel-Dieu ne satisfait pas à toutes les obligations de sécurité et justifier dans le même temps que les patients de l'unité carcérale continueront à y être pris en charge ? Y aurait-il deux catégories de malades ?
Nous proposons une restructuration cohérente au double plan médical et financier. Nous observons une réduction globale du nombre de lits de l'assistance publique. Les lits deviennent spécialisés tandis que disparaissent les lits généralistes. Or le vieillissement démographique, conjugué aux effets de la T2A et au phénomène de sélection des patients, commanderait à l'AP-HP d'assurer une mission d'accueil généraliste.
Nous pensons qu'il faut valoriser l'existant : l'Hôtel-Dieu est pourvu d'infrastructures neuves et d'un circuit court qui permet d'effectuer des consultations rapides en toute sécurité. Les lits du service de psychiatrie sont complètement rénovés.
L'hôpital disposait également d'un dispositif d'urgences cancérologiques innovant permettant aux médecins généralistes un peu débordés d'adresser directement leurs patients à un urgentiste et à un cancérologue pour que ceux-ci les prennent éventuellement en charge, le cas échéant dans le cadre d'un circuit rapide.
Le service d'ophtalmologie est le premier service de France du point de vue de la prise en charge ambulatoire.
Nous devons par ailleurs développer une polyclinique médicale avec des consultations spécialisées et ultraspécialisées en optimisant le centre de diagnostic qui existe déjà. Cette polyclinique ne devrait pas être remplacée par des consultations spécialisées ambulatoires comme le prévoit le projet du professeur Fagon. Au contraire, ces deux types de services doivent coexister.
Au-delà de ce qui existe déjà, de nouvelles activités pourraient être déployées dans le cadre d'un projet sanitaire ambitieux : médecine gériatrique, chirurgie ambulatoire, offre dans le domaine de la naissance, avec une maison de naissance ou une maternité de niveau 1.
Au total, l'offre de soins doit être complémentaire de la médecine de ville et non prendre la place de cette dernière.
L'annonce par la ministre des affaires sociales et de la santé d'un recul de la date de fermeture constitue une incertitude supplémentaire qui pourrait bien être vécue comme une maltraitance de plus. Il est d'ailleurs difficile de traiter aujourd'hui avec les mêmes interlocuteurs que ceux qui nous ont malmenés pendant des années.
Mes développements ont porté sur la situation actuelle mais imaginons ce qui se passerait en cas d'attentat ! L'Hôtel-Dieu n'est pas implanté sur n'importe quel site : l'endroit voit passer 13 millions de touristes chaque année, 750 000 voyageurs par jour sous terre et 400 000 habitants sur le périmètre des neuf premiers arrondissements. A titre de comparaison, la ville de Boston, où a récemment été perpétré un attentat, compte 625 000 habitants pour 11 services d'urgences contre 2,2 millions d'habitants pour douze services d'urgences à Paris. Nous avons donc 3,5 fois plus d'habitants, et un grand nombre de touristes, mais un nombre quasiment identique de services d'urgences... Or, si à Boston les conséquences de l'attentat ont pu être relativement limitées, c'est grâce à l'existence d'un équipement médical de centre-ville extrêmement important et performant.
Si nous voulions vraiment réduire le temps d'attente aux urgences, il faudrait réaliser un plan quinquennal, voire décennal, sur l'ensemble de l'offre de soins d'urgence à Paris. A l'opposé, la fermeture pure et simple à une date donnée d'un service d'urgences sans considération des autres services existants ne pourra qu'aggraver la situation.
Les personnels comme les patients sont peinés par la situation actuelle. Nous sommes confrontés à un enfumage complet puisque le budget en jeu dans l'actuel projet servira certainement à alimenter d'autres projets dont on ne nous parle aucunement pour l'instant.
Comme cela a déjà été dit, les reports des patients vers les urgences de l'hôpital Cochin sont un leurre puisque les capacités d'accueil de cet établissement ont atteint leurs limites.
S'agissant du personnel administratif, des conventions ont été signées avec la ville de Paris, prête à accueillir des personnels de l'Assistance publique qui cherche à s'en séparer dans le cadre de reclassements. Or non seulement tout le personnel est important dans un hôpital, mais le déroulement de carrière d'un agent de l'AP-HP n'est pas le même que celui d'un agent municipal. L'assistance publique est là pour soigner le patient : nous avons à coeur de remplir cette mission et non pas de faire des économies.
J'ai visité l'Hôtel-Dieu la semaine dernière et ai pu me rendre compte à cette occasion du très bon état des lieux. Au regard de l'importance de la population qui gravite autour de cet établissement, on ne comprend pas les raisons pour lesquelles la fermeture du service d'urgences a été décidée.
Monsieur Roux, vous avez laissé entendre que le projet de l'AP-HP permettrait à celle-ci de réaliser des économies. Ce n'est pourtant pas ce que les arguments exposés par ailleurs semblent indiquer : la vente rapporterait effectivement 160 millions d'euros mais il faut penser aux frais engendrés par toute la réorganisation administrative, le déplacement de tout le service d'ophtalmologie vers l'hôpital Cochin avec une nouvelle installation qui coûterait, si mon souvenir est exact, environ 30 millions d'euros, et les autres aménagements rendus nécessaires pour pouvoir rendre le même service ailleurs. Je n'ai pas vu l'intérêt économique du projet.
La seule chose qui semble ressortir est la volonté de la direction de s'installer dans un lieu agréable. Au total, il faut insister sur la réduction de l'offre de soins qui semble se profiler.
L'existence d'une mobilisation syndicale et politique, quelles que soient les sensibilités, a permis de faire bouger les lignes. Lorsque nous avons visité le service d'urgences de l'Hôtel-Dieu la semaine dernière, nous nous sommes rendu compte que l'argument de la vétusté des locaux ne correspondait pas à la réalité. On tire un trait sur les millions d'euros qui ont été investis : il faut le faire savoir.
Je partage l'idée selon laquelle nous devons tirer bénéfice des évènements actuels pour remettre à plat la situation de l'ensemble des services d'urgences de Paris. Avec la loi HPST et la T2A, nous nous trouvons dans une logique politique qui ne date pas d'aujourd'hui et qui a entraîné l'asphyxie de la santé publique. Ce même état d'esprit prévaut actuellement lorsqu'on répond aux temps d'attente inacceptables dans les services d'urgences par la fermeture de certains d'entre eux... C'est absurde !
Un projet alternatif existe. Il est fondé du point de vue à la fois économique et sanitaire. Un travail doit être réalisé pour déboucher sur un projet collectif qui soit porté par le Gouvernement et la direction de l'AP-HP.
Je tiens à souligner que si cette dernière a sa part de responsabilité dans la maltraitance dont vous êtes les victimes, les responsables politiques doivent également intervenir pour mettre un coup d'arrêt à la restructuration envisagée.
Enfin, j'ai été frappée par la modernité du service de pharmacologie à l'Hôtel-Dieu. Cette unité fabrique des médicaments distribués dans toute la France, ce dont tous les hôpitaux ne peuvent pas se prévaloir. Il s'agit d'un acquis qu'il faut préserver.
Il est peu vraisemblable que l'AP-HP ait réfléchi seule sur les questions d'organisation sanitaire à Paris. Ce point a certainement été intégré dans la réflexion d'ensemble menée par l'ARS. Je souhaiterais d'autant plus connaître la position arrêtée par celle-ci que je travaille avec mon collègue Alain Milon sur une évaluation des ARS et que nous recevrons en septembre Claude Evin, le directeur général de l'ARS d'Ile-de-France.
Je ne partage pas l'opinion de mon collègue Jean Desessard qui affirme que le projet porté par l'AP-HP a pour seul but de régler la question du siège. Il existe une vision d'ensemble sur la prise en charge des urgences dans la région francilienne, avec la prise en compte des spécificités parisiennes.
Le professeur Fagon va sans doute nous expliquer pourquoi nous en sommes venus à sacrifier un établissement parisien pour privilégier un hôpital debout.
Vous avez indiqué que votre projet alternatif n'est pas substituable au projet de l'AP-HP. Je pense effectivement que nous pourrons résoudre la crise dans le cadre d'une complémentarité entre les deux ambitions.
Cela permettra aussi de répondre à une partie du malaise des personnels que toute situation de ce type génère nécessairement.
Nous tenons à souligner le danger du projet l'AP-HP, qui n'est pas un projet de soins et qui engendre la réalisation de rocades qui mettent de façon récurrente en péril non seulement les services de l'Hôtel-Dieu mais aussi ceux de l'ensemble des autres établissements.
Le nombre d'urgences qu'il nous a été proposé de prendre en charge à Cochin a subi des baisses régulières au cours des derniers mois : entre 12 000 et 15 000 en avril, puis entre 10 000 à 12 000 en juin. Sans travaux, l'hôpital de Cochin ne pourra très probablement pas absorber 12 000 urgences de plus. Le projet de la direction générale n'est pas chiffré ou étayé. Nous avons fait le compte des urgences absorbables : aujourd'hui, il reste 5 000 urgences dans leurs comptes habilités qui ne seraient pas absorbées, ce qui est très grave.
D'emblée, il faudrait 1 million d'euros pour réaliser les travaux qui permettraient de régler les problèmes de saturation des autres urgences parisiennes. Le dispositif de résorption n'est pas au point puisqu'on nous parle aujourd'hui de reports vers l'hôpital Tenon...
Il existe actuellement quatre-vingt opérations de restructuration au sein de l'AP-HP. Ces projets sont avant tout des projets de démantèlement, de fusion et de fermeture de lits. Dans les faits, ils visent à réduire autant que possible la voilure pour dégager les activités rentables vers le privé.
Je rappelle le contexte dans lequel nous nous trouvons : le ministère a lancé un plan d'amélioration de l'accessibilité aux soins et de réduction de la saturation des urgences qui s'est traduit par les instructions de la direction générale de l'offre de soins (DGOS) en date du 27 juin 2013. Avec son projet actuel, l'AP-HP entre en contradiction avec ces orientations.
Je suis membre du conseil de surveillance de l'AP-HP et suis en mesure de vous dire qu'aucune des questions que nous avons posées sur la faisabilité financière et sociale du projet n'a trouvé de réponse. Les avis que nous avons pu donner ont été ignorés.
Cela fait plus de deux ans que nous alertons sur la situation actuelle. Notre projet alternatif a été méprisé par la direction générale de l'assistance publique et l'ARS. Nous ne sommes pourtant pas dans une posture d'opposition. Nous faisons des propositions en pensant que le projet devrait être collectif. Il faut introduire un moratoire et se réunir tous autour d'une table pour réfléchir à toutes les interrogations qui subsistent.
La stratégie de recherche d'économies laisse délibérément les personnels dans une sorte d'errance. Ils subissent une pression managériale insupportable.
Le projet proposé est une opération immobilière : on découvrira dans quelque temps une cession immobilière d'envergure destinée à libérer des surfaces pour les vendre mais pas forcément au prix du marché.
Il faut un débat collectif sur le devenir du premier CHU de France au sujet de la formation, de la recherche ou encore de la cession de médicaments qui ne sont pas soumis aux impératifs des laboratoires pharmaceutiques.
Ne démantelons pas l'AP-HP qui constitue un contre-pouvoir de service public au coeur de Paris !
Merci aux uns et aux autres pour vos interventions qui nous ont permis de prendre la mesure des souffrances éprouvées par les personnels que vous représentez.
Nous continuons nos travaux en recevant Mme Mireille Faugère, directrice générale de l'AP-HP, le professeur Loïc Capron, président de la commission médicale d'établissement et le professeur Jean-Yves Fagon, préfigurateur du volet soins de l'hôpital universitaire de santé publique.
Madame, messieurs, nous venons d'entendre les représentants des personnels qui ont fait valoir le rôle particulier joué par le service des urgences de l'Hôtel-Dieu et la place de l'établissement dans le dispositif de soins au centre de Paris.
Nous souhaitons bien entendu que vous nous précisiez les objectifs et les modalités du projet, mais nous souhaitons également pouvoir mesurer en quoi celui-ci peut impacter l'accès à des soins de qualité et de proximité pour les patients qui fréquentaient cet établissement.
Avant d'évoquer le projet de réorganisation de l'Hôtel-Dieu, je souhaiterais revenir quelques instants sur l'histoire de cet hôpital et sur la position particulière qu'il occupe au sein des trente-huit établissements composant l'AP-HP.
L'Hôtel-Dieu est historiquement le premier hôpital de l'assistance publique. Chacun y est très attaché pour des raisons tenant à l'histoire comme à sa position géographique au coeur de Paris et de l'Ile de France.
Dans le cadre du plan stratégique de l'AP-HP établi il y a deux ans, nous avons prévu une évolution sensible du rôle de l'Hôtel-Dieu. L'âge et la vétusté de l'établissement imposaient en effet de prendre des décisions rapides concernant la sécurité des bâtiments afin de pouvoir obtenir le renouvellement des autorisations d'exercer une médecine de qualité en leur sein.
J'ai par conséquent été amenée à définir un projet d'avenir pour cet établissement en tenant compte de l'évolution de l'organisation de la médecine autour des pôles de médecine ambulatoires et de médecine conventionnelle à Paris.
J'ai proposé de concentrer les services d'hospitalisation conventionnelle, impliquant des lits, de la chirurgie et des interventions lourdes, à Cochin et dans les hôpitaux gériatriques alentours et de repositionner l'Hôtel-Dieu sur la médecine ambulatoire.
Je souhaite rappeler que trois options s'offraient à moi dans le cadre de cette réorganisation. La première consistait à envisager une reconduction à l'identique, impliquant le maintien de l'hospitalisation conventionnelle au sein de l'établissement. Il est apparu que cela impliquait non seulement des investissements importants - à hauteur de 250 millions d'euros - mais surtout ne répondait pas au besoin de l'offre de soins au coeur de Paris.
La deuxième solution consistait à fermer l'Hôtel-Dieu en considérant que la réorganisation de l'offre de soins permettait de satisfaire l'ensemble des besoins. J'ai écarté cette hypothèse, pourtant retenue à Lyon ou à Marseille, pour les raisons historiques précédemment évoquées et pour permettre le nécessaire accompagnement du projet par les personnels et par les autres parties prenantes tels que la ville de Paris et les ministères de tutelle.
J'ai donc retenu l'idée de conforter l'Hôtel-Dieu dans son rôle d'hôpital. Il s'agit de fonder l'hôpital du 21ème siècle répondant aux nouveaux besoins de santé publique en matière de consultation sans rendez-vous et de consultation de spécialités tout en nécessitant des investissements de sécurité moins élevés qu'en cas de maintien de services conventionnels.
L'établissement proposera trois innovations essentielles : il se concentrera sur les populations précaires, il permettra d'expérimenter des nouvelles modalités de prise en charge en amont des urgences avec des consultations 24 heures sur 24 adossées à un plateau technique performant et développera un projet ambitieux de santé publique universitaire dont Jean-Yves Fagon est le préfigurateur.
Il s'agit d'un choix ambitieux et novateur de santé publique, d'organisation des soins et de complémentarité entre l'offre de l'Hôtel-Dieu et l'offre des hôpitaux situés aux alentours.
Je voudrais préciser les deux déterminants du projet d'hôpital universitaire de santé publique.
Le premier déterminant repose sur l'état de l'offre de soins en Ile-de-France et dans Paris intra-muros. Chacun sait que 50 % des médecins généralistes et 75 % des spécialistes pratiquent des dépassements d'honoraires et que, pour certaines spécialités, il n'existe plus d'accès à des praticiens au tarif opposable de la sécurité sociale. Il s'agit donc de proposer au centre de Paris une offre accessible à tous.
Le second déterminant repose sur la nécessaire évolution de l'AP-HP, structure exceptionnelle qui demeure le 4ème producteur mondial de recherche biomédicale. Dans la mesure où il paraît désormais préférable que les patients soient à leur domicile plutôt que dans un lit d'hôpital, le projet de réforme de l'Hôtel-Dieu est un projet reposant sur la médecine ambulatoire et se déclinant en plusieurs volets.
Il comporte d'abord un aspect premier recours via la mise en place d'un service d'accueil sans rendez-vous 24 heures sur 24 appelé à prendre le relai du service d'accueil des urgences (SAU) actuel. Ce service sera assuré par vingt et un des médecins travaillant actuellement au SAU de Cochin et de l'Hôtel-Dieu ainsi que par des médecins généralistes. Nous travaillons encore avec ces derniers afin d'organiser efficacement cet interface entre médecine hospitalière et médecine de ville.
Ce nouveau service d'accueil sans rendez-vous sera d'abord orienté vers les jeunes de quinze à vingt ans dont la situation sanitaire est absolument catastrophique. Il sera également destiné aux personnes de plus de soixante-cinq ans afin d'aider celles-ci à mieux vieillir en s'attaquant aux différents facteurs susceptibles de diminuer les risques de pathologie et de traumatisme. Il sera enfin orienté vers des populations vulnérables telles que les populations précaires et les handicapés.
Tout ceci sera mis en oeuvre en complémentarité avec établissements de santé voisins et avec les médecins libéraux afin de garantir l'accès au système de santé à des populations qui en sont aujourd'hui exclues.
Le second volet concerne le développement et la diversification des consultations spécialisées à l'Hôtel-Dieu afin de proposer ce type de services au centre de Paris à des personnes qui n'y ont pas accès.
Le troisième volet touche le dépistage et la prévention par le biais des vaccinations et de l'éducation thérapeutique. L'actualité, à cet égard, est venue souligner l'utilité d'un centre d'éducation thérapeutique permettant de sensibiliser les patients au bon usage des médicaments.
Le quatrième volet repose sur le maintien d'un plateau technique important avec notamment un service de radiologie. Il s'agit de couvrir les champs de l'urgence, de la médecine spécialisée et les missions de dépistage. Ce plateau se composera également d'un laboratoire plus développé que le centre de prélèvement actuel.
Enfin, quelques secteurs importants pour l'équilibre du compte de résultat du projet et répondant spécifiquement aux besoins de la population parisienne seront mis en place. Je pense à un centre dentaire, un centre d'ophtalmologie ainsi qu'un centre de podologie qui permettront d'améliorer les conditions de vie et de réduire le risque de maladies des Parisiens.
D'autres activités sont par ailleurs appelées à demeurer sur le site à l'image de l'unité médico-judiciaire, très sollicitée depuis quelques semaines, de l'espace santé-jeune prenant en charge les patients en rupture et des consultations VIH, historiquement réalisées à l'Hôtel-Dieu. Certaines activités souhaitent même rejoindre le projet, ce qui est très encourageant. Il s'agit plus précisément des centres médico-psychologiques des troisième et quatrième arrondissements, qui aspirent à s'adosser à une structure de prise en charge somatique plus classique, mais également le centre Primo Levi, dont l'équipe prend en charge les syndromes post-traumatiques des personnes torturées.
Ce projet propose ainsi une cohérence d'ensemble associant nos partenaires de l'Assistance publique mais également des partenaires plus inhabituels comme les centres de santé parisiens et les médecins libéraux. Il initie de ce fait pour la première fois la mise en place d'un parcours de soins et devrait accélérer la prise en charge des patients par le système hospitalier universitaire.
J'ai soixante-trois ans et je suis un spécialiste de médecine interne, expression désignant la médecine générale hospitalière. Comme les sénateurs, je suis un élu d'élus. J'ai en effet été élu en janvier 2012 par les différentes catégories de médecins de l'AP-HP pour être leur porte-parole. C'est à ce titre que je participe à cette audition.
Je suis entré à l'Hôtel-Dieu en 1969 en tant que stagiaire des hôpitaux. J'ai connu cet hôpital au sommet de sa gloire lorsque j'y ai été externe puis interne. Les médecins se disputaient pour y être affectés. Je l'ai retrouvé en plein déclin en tant que chef de service de 1995 à 2003. J'en suis parti soulagé pour rejoindre l'hôpital européen Georges Pompidou compte tenu des conditions de travail et de la manière inacceptable dont j'accueillais les patients.
J'ai réalisé depuis lors que, pour maintenir cet hôpital à flôt, il fallait y consacrer énormément d'argent. J'en ai d'abord conclu que cet établissement n'était plus adaptable à l'exercice moderne de la médecine hospitalière.
Les médecins des hôpitaux souhaitent une restructuration permettant de continuer à soigner non pas en réduisant la voilure mais en ajustant celle-ci afin de profiter des vents porteurs. C'est là le rôle de la commission médicale d'établissement (CME).
Le premier jugement de la commission se prononçait en faveur de la fermeture pure et simple de l'établissement. Bien que la directrice générale nous ait présenté les différentes options, il nous semblait trop coûteux d'envisager sa restructuration.
Après réflexion et discussions, la CME est revenue sur cette position en adoptant une motion acceptant une restructuration de l'Hôtel-Dieu sous deux conditions : la neutralité budgétaire du projet et le droit de regard de la commission sur toutes les décisions prises par la direction générale. Cette motion ouvrait la porte à la définition d'un projet créatif et original.
Parmi les originalités du projet, qui n'a pas encore été formellement adopté par la CME, il y en a une que nous soutenons sans ambiguïté : il s'agit de la fermeture des urgences et de leur remplacement par un lieu de consultation sans rendez-vous et 24 heures sur 24 au centre de Paris.
Il s'agit là d'un moyen d'alléger l'amont des urgences qui, à Paris, est actuellement une vraie catastrophe. Contrairement aux urgentistes, je suis personnellement convaincu que cette initiative sera couronnée de succès.
Il s'agit aussi de développer les relations entre médecine de ville et médecine hospitalière. Cette consultation, en faisant cohabiter des hospitaliers et des généralistes, pourrait constituer une première ouverture sérieuse concernant une coopération ville-hôpital que tout le monde appelle de ses voeux mais que personne n'a osé réellement expérimenter.
En tout état de cause, cette réforme se fera sous l'oeil vigilant de la CME. L'article 5 de la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires confie d'ailleurs au président élu des médecins de l'assistance publique « l'amélioration continue de la qualité et de la sécurité des soins ainsi que des conditions d'accueil et de prise en charge des usagers ».
A l'image de la communauté que je suis chargé de représenter, je suis loin d'être acquis à l'ensemble du projet d'hôpital universitaire de santé publique défendu par la direction générale. Mais il existe pour l'heure quelques motifs de satisfaction qui nous conduisent à porter un regard intéressé sur celui-ci.
Existe-t-il d'autres projets de réorganisation d'hôpitaux axés sur une spécialisation, à l'image de ce que vous prévoyez à l'Hôtel-Dieu autour des soins ambulatoires ? En quoi le service de consultations sans rendez-vous se distinguera-t-il du service des urgences ? S'adressera-t-il en partie aux mêmes patients ? Où seront dirigés les cas nécessitant réellement une prise en charge urgente ? Vous avez cité les étudiants parmi les populations « cibles » visées par votre projet. Dans le rapport sur la sécurité sociale et la santé des étudiants que nous avions présenté, avec Ronan Kerdraon, au nom de la commission, nous avions souligné les lacunes de la politique de santé publique en direction des étudiants. Allez-vous mettre l'accent sur la gynécologie ou la vaccination ? Travaillerez-vous avec les services universitaires de médecine préventive et de promotion de la santé (Sumpps) ?
Je ne conteste pas l'intérêt d'un projet de centre pluridisciplinaire en tant que tel, mais je trouve inquiétant que vous assumiez la fermeture du service d'accueil des urgences, alors que chacun connaît la saturation de l'ensemble des urgences à Paris et les temps d'attente déjà inacceptables qui en résultent pour les patients. Je vois là une contradiction évidente. Par ailleurs, j'ai pu constater, lors d'une visite à l'Hôtel-Dieu, que des locaux récemment remis à neufs demeurent inutilisés. N'y a-t-il pas, là aussi, un manque de cohérence dans les décisions prises ? Je m'interroge sur le sort réservé, dans votre projet, aux personnes âgées atteintes de pathologies multiples, à la psychiatrie, aux réponses aux situations de crise sanitaire. Pourquoi maintenir les urgences médico-judiciaires et fermer les urgences médico-chirurgicales ? Faudra-t-il que la police escorte les patients en garde à vue vers d'autres hôpitaux où ils seront pris en charge ? Il serait sage de mettre à profit le moratoire décidé par la ministre de la santé pour conduire un réel débat sur l'avenir de l'Hôtel-Dieu et trouver des solutions répondant à l'intérêt des patients et aux préoccupations des personnels. Enfin, je souhaite que le docteur Kierzec soit réintégré dans ses fonctions. La sanction qui le frappe est injuste, alors qu'il défend un projet prenant en compte l'intérêt des usagers.
Je suis moi aussi étonné de cette sanction, qui a suivi la présentation du fonctionnement des urgences et des récents travaux de rénovation que le docteur Kierzec avait réalisés pour les parlementaires, répondant en cela à leur souci d'information. Je souhaiterais disposer d'informations plus précises sur les incidences financières des différentes options possibles pour l'Hôtel-Dieu, à savoir la vente de l'ensemble immobilier et la réinstallation des activités sur d'autres sites, une modernisation permettant le maintien des activités actuelles et le projet de transformation présenté par la direction.
L'agence régionale de santé (ARS) est compétente en matière de planification sanitaire. Je suppose qu'elle a suivi de près le projet de réorganisation et que celui-ci s'insère dans une vision d'ensemble de l'offre hospitalière, notamment en termes de services d'urgences. Pouvez-vous nous éclairer sur ce point ? Je suis plutôt séduit par ce projet, qui va dans le sens du développement des soins ambulatoires et qui apporte une réponse à une situation locale caractérisée par la fréquence des dépassements d'honoraires. Mais peut-on totalement se passer de lits hospitaliers dans la structure telle que vous la projetez ? Par ailleurs, sur les passages actuels aux urgences de l'Hôtel-Dieu, au nombre de 120 000 par an semble-t-il, combien pourraient relever de la consultation 24 heures sur 24 ? Comment pourrez-vous répartir sans difficulté les autres cas sur d'autres établissements déjà largement saturés ? Enfin, on nous a signalé un déficit de confiance entre les personnels et la direction autour de ce projet. A-t-on fait tout ce que l'on pouvait pour éviter ce climat détérioré ?
Je partage nombre d'interrogations qui viennent d'être exprimées. Je constate en outre que les missions du futur hôpital universitaire de santé publique ne semblent pas encore précisément définies, puisque la CME n'a pas encore statué. S'agissant du projet alternatif que nous a exposé le docteur Kierzc, il ne me semble pas totalement opposé à celui de la direction, avec lequel pourraient même apparaître des complémentarités.
Le projet d'hôpital universitaire de santé publique, dans lequel s'insère la réorganisation de l'Hôtel-Dieu, est le fruit d'une démarche engagée au printemps 2011. Des groupes de travail très ouverts, comprenant aussi bien des personnels de l'AP-HP que des personnes extérieures, ont été mis en place et ont remis leurs rapports à l'été 2012. Avec le président de la CME, nous avons ensuite désigné deux préfigurateurs médicaux, les professeurs Fagon et Lombrail, qui ont remis leur rapport de préfiguration en mars 2013. Au cours de ce processus continu, de nombreux documents ont été produits et soumis à la concertation et à la discussion. Bien entendu, un tel projet de transformation ne peut s'envisager sans l'information et l'aval de l'ARS. Celle-ci a été d'autant plus impliquée qu'en matière de services d'urgences, l'autorisation réglementaire de l'ARS est indispensable.
A ceux qui évoquent un déficit de confiance, je répondrai que rien n'est jamais parfait mais que nous avons conduit beaucoup de réunions et débattu au sein de multiples instances. Au demeurant, au cours de ce processus, notre projet a connu des évolutions sensibles, tout comme d'ailleurs le projet alternatif qui vous a été présenté.
Je vous rejoins, madame la présidente, pour considérer qu'il existe nombre de points communs entre les deux projets : le maintien d'un plateau technique en radiologie, le maintien de l'unité médico-judiciaire, le développement des soins ambulatoires, l'accent mis sur la santé des jeunes. Mais il y a aussi de réelles divergences, sur le service d'accueil aux urgences et sur la chirurgie, dont je dis clairement qu'elle est aujourd'hui soumise à un encadrement, en termes de normes applicables aux bâtiments, qui n'est plus compatible avec les caractéristiques du site de l'Hôtel-Dieu. C'est pourquoi nous avons choisi de créer un grand centre de chirurgie ambulatoire à l'hôpital Cochin. A ce propos, il faut souligner que tous les hôpitaux sont en cours de transformation pour évoluer de la chirurgie traditionnelle à une part plus importante de chirurgie ambulatoire.
Le projet alternatif envisage l'installation d'une maternité de type 1 à l'Hôtel-Dieu. Nous n'en voyons pas la nécessité, dès lors que plusieurs maternités ont été rénovées sur d'autres sites de l'AP-HP.
A terme, l'activité d'ophtalmologie rejoindra aussi l'hôpital Cochin, au sein du grand centre médical et chirurgical que nous prévoyons.
S'agissant des personnes âgées, nous souhaitons axer les activités de l'Hôtel-Dieu sur la prévention et l'amont de l'hospitalisation.
L'offre de soins, telle que nous l'envisageons sur le site de l'Hôtel-Dieu, répond à nos yeux aux besoins de santé du territoire.
Plusieurs d'entre vous ont mentionné les investissements réalisés ces dernières années à l'Hôtel-Dieu. C'est justement dans ces locaux rénovés que nous installerons les nouveaux services.
S'agissant des urgences, le professeur Fagon vous apportera les précisions nécessaires. Précisons que le service d'accueil des urgences ne traite qu'un tiers des 120 000 passages qui ont été mentionnés. Les deux autres tiers relèvent des urgences ophtalmologiques et de l'unité médico-judiciaire, cette dernière étant souvent à tort assimilée à un service d'urgences alors qu'une grande partie des patients accueillis ne relèvent en rien d'une prise en charge urgente.
Puisque vous m'avez interpellée sur la situation du docteur Kierzec, je précise que c'est son chef de service qui a estimé devoir le relever de ses responsabilités, considérant qu'il ne les assumait plus de manière satisfaisante.
En ce qui concerne le bouclage financier du projet, je voudrais rappeler que la première motion de la CME concluait à la fermeture pure et simple de l'Hôtel-Dieu. J'ai pour ma part défendu la pérennité de cet hôpital dans le cadre d'un engagement fort dans une politique de santé publique et d'éducation thérapeutique. La CME l'a accepté à condition qu'une telle transformation s'effectue à coût constant. C'est pour satisfaire cette exigence que nous avons décidé la vente du siège administratif. Celle-ci n'est donc en rien à l'origine du projet de transformation. Elle est en revanche la condition de la pérennité d'une activité hospitalière sur le site de l'Hôtel-Dieu.
Pr Jean-Yves Fagon, préfigurateur du volet soins de l'hôpital universitaire de santé publique. - Vous nous avez interrogés sur les conditions d'hospitalisation des patients qui s'adresseront au centre de consultations. Nous estimons qu'entre 3 % et 6 % des consultations spécialisées entraîneront un besoin d'hospitalisation. Celle-ci sera effectuée au sein des services hospitalo-universitaires de l'AP-HP sur lesquels nous nous appuierons pour mettre en place ces consultations qui en constitueront une activité avancée.
Sur la médecine étudiante, je confirme que la gynécologie entre bien dans nos priorités, qui portent également sur les soins dentaires et la médecine générale. Le centre de vaccination sera bien entendu ouvert aux étudiants.
S'agissant du service d'accueil des urgences de l'Hôtel-Dieu, 10 % à 12 % seulement des patients qu'il accueille nécessitent une hospitalisation ultérieure. Dans les services d'urgence des autres hôpitaux de l'AP-HP, le taux est systématiquement supérieur à 20 % et peut dépasser 25 %. Seule une minorité de patients se présente d'elle-même aux urgences de l'Hôtel-Dieu. Dans la grande majorité des cas, le patient est amené par les pompiers ou le Samu. Dès lors, ces patients seront réorientés vers d'autres sites. Mais sur un plan plus général, je réfute l'argument de la saturation des urgences qui nous est opposé. Oui, le système actuel n'est pas satisfaisant, mais c'est justement parce qu'il fonctionne mal qu'il faut lui trouver une alternative.
L'ensemble des moyens humains et matériels du service d'accueil des urgences de l'Hôtel-Dieu sera redéployé sur quatre autres hôpitaux parisiens. Les aménagements sont en cours pour recevoir les personnels correspondant et augmenter les capacités en lits. Il n'y a donc aucune réduction des moyens affectés aux services d'urgence sur Paris. Notre projet prévoit en outre une offre supplémentaire et entièrement nouvelle sur le site de l'Hôtel-Dieu.
Aux urgences, le patient ne paye pas. Devra-t-il le faire au service de consultations ?
Pr Jean-Yves Fagon. - Il n'y aura aucun changement de ce point de vue.
Pr Loïc Capron, président de la commission médicale d'établissement de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris. - Je considère qu'un CHU se doit absolument d'assurer une offre de soins de qualité. L'appréciation de la CME sur le calendrier du projet est exclusivement guidée par l'exigence de qualité et de sécurité des soins. De ce point de vue, la date du 4 novembre retenue pour la fermeture du service d'accueil des urgences nous paraissait pertinente. Cette date est désormais décalée, sans délai précis, mais j'éprouve une réelle stupeur à l'idée que l'échéance des élections municipales puisse entrer en ligne de compte.
Le projet alternatif qui est évoqué me laisse perplexe. Il n'adosse pas les urgences à un hôpital de niveau hospitalo-universitaire. Nous ne pouvons brader ce qui distingue un CHU. En outre, ce projet n'est pas chiffré. A mon sens, l'investissement serait de 250 à 300 millions d'euros, montant auquel était estimée la remise à niveau de l'Hôtel-Dieu. Enfin, le site est immense, il couvre 75 000 m². Or les activités mentionnées dans le projet alternatif n'en occuperaient que la moitié. Que ferait-on de l'autre moitié, sinon d'y installer les services administratifs, comme le prévoit le projet qui a été retenu ?
En ce qui concerne le docteur Kierzec, son chef de service lui reproche de s'être écarté du projet de service, ce qui est difficilement acceptable. Je reçois demain les deux intéressés.
Pour ma part, je crois que cette question n'a pas à être évoquée ici. Il existe des procédures et des instances pour régler ce type de situation.
Je suis particulièrement attachée à la démocratie sanitaire. Sur ce plan, beaucoup reste à faire et il est nécessaire d'innover. Les projets de restructuration hospitalière doivent être beaucoup plus largement discutés.
Pr Jean-Yves Fagon. - La démocratie sanitaire n'en est effectivement qu'à ses balbutiements. Je tiens à souligner que depuis le lancement de la préfiguration de l'hôpital universitaire de santé publique, deux représentants des usagers participent à l'ensemble de nos travaux, quels que soient les sujets abordés. C'est un apport très positif, dont nous mesurons toute l'importance.
Nous avons évoqué le projet alternatif. Je réfute l'idée selon laquelle il y aurait un projet des personnels face à un projet de la direction. Le projet que nous avons élaboré a associé un grand nombre de personnels de toutes les catégories. Il est lui aussi porté par des personnels.
Au-delà de ce qui sépare les deux projets, je perçois une volonté commune de défendre le service public hospitalier. J'espère que cette volonté commune permettra d'aboutir à un projet partagé.