Déposé le 8 juillet 2013 par : Mme Aïchi.
Après l'article 2 bis, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
1. Il est inséré dans le Code général des impôts un article 1744 rédigé comme suit :
« L’innocence des personnes pénalement poursuivies sur le fondement de l’article 1741 est établie et l’action publique éteinte à leur égard lorsque la décharge soit des impositions considérées comme éludées par la plainte soit des pénalités prévues par l’article 1729 du CGI qui ont été appliquées à celles-ci, a été prononcée pour un motif autre qu’un vice de procédure, par une juridiction compétente pour statuer sur l’établissement de ces impositions ».
« L’exécution d’une décision juridictionnelle ayant prononcé une condamnation sur le fondement de l’article 1741 du Code général des impôts est suspendue jusqu’à la décision de la Cour de révision, dans les conditions prévues à l’article 622 5°° du Code de procédure pénale et, au plus tard, jusqu’à ce que le juge de l’impôt ait définitivement rejeté les demandes tendant à la décharge des impositions et des pénalités en cause ».
2. L’article 622 du Code de procédure pénale est complété comme suit :
« 5° L’innocence du condamné a été établie dans les circonstances mentionnées à l’article 1744 du Code général des impôt. Dans ce cas, la Cour de révision doit obligatoirement prononcer l’annulation de la condamnation ».
3. Il est inséré dans le Livre des procédures fiscales un article L 202 rédigé comme suit :
« Lorsque l’administration a déposé une plainte sur le fondement de l’article 1741 du Code général des impôt alléguant qu’une imposition a été éludée, la juridiction compétente pour statuer sur l’établissement de cette imposition doit obligatoirement se prononcer sur tous les moyens soulevés au soutien des recours tendant à sa décharge ».
Lorsque l’Administration reproche à un contribuable d’avoir gravement manqué à ses obligations fiscales elle engage deux types d’actions :
- la première tend à l’établissement des impositions éludées et le contentieux correspondant est porté, selon la nature du prélèvement, devant la juridiction administrative ou devant la juridiction judiciaire ne statuant pas dans une formation répressive ;
- la seconde vise à sanctionner les comportements qui caractériseraient une fraude fiscale. Les poursuites sont engagées devant le tribunal correctionnel.
Ces deux procédures sont indépendantes. Il en résulte notamment que les décisions rendues par les juridictions administratives ne s’imposent pas au juge pénal. Il peut donc arriver qu’un contribuable soit condamné sur le plan pénal alors même qu’il aura obtenu du juge de l’impôt le dégrèvement des impôts litigieux.
Une affaire récente illustre ce cas de figure. Le dirigeant de la société Smart City a été condamné à 2 ans de prison ferme par la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence alors que le Tribunal Administratif de Nice avait ordonné la décharge des impositions réclamées à la société et que l’administration n’avait pas fait appel de cette décision.
Saisie de cette affaire la Cour de Cassation a jugé que l’arrêt de la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence n’encourt pas la critique au motif « que les poursuites pénales engagées sur le fondement de l’article 1741 du Code général des Impôts et la procédure administrative tendant à fixer l’assiette et l’étendue des impositions fiscales étant, par leur nature et leur objet, différentes et indépendantes l’une de l’autre, la décision de la juridiction administrative ne saurait avoir, au pénal, l’autorité de la chose jugée» (Cass.crim., 13 juin 2012, n°11-84.092).
Quant à la Commission de révision des condamnations pénales, elle a réaffirmé par une décision du 14 mai 2012, le principe d’indépendance des deux procédures dans une affaire où, après la condamnation pénale, l’administration avait déchargé le contribuable de la pénalité administrative appliquée en cas de manquement délibéré.
S’il est exact que les poursuites pénales et la procédure administrative diffèrent par leur nature et leur objet, ce constat ne peut suffire à justifier qu’un contribuable soit condamné pénalement pour avoir éludé des impôts dont le juge administratif décide qu’ils n’étaient pas dus et cela pour deux raisons :
- Le juge répressif ne peut prononcer une condamnation pour fraude fiscale que si le contribuable a éludé un impôt légalement exigible, même s’il ne chiffre pas exactement son montant. Pour caractériser l’élément matériel de l’infraction, il applique les mêmes textes que le juge administratif et il devrait donc arriver aux mêmes solutions.
- Les sanctions pénales ne devraient frapper que les contribuables dont la faute présente un caractère d’évidence. Il ne peut en être ainsi quand un juge relevant d’un ordre juridictionnel différent donne gain de cause au contribuable.
Si le principe d’indépendance des procédures n’a jusqu’à présent que très rarement abouti à des situations aussi choquantes que celle du dirigeant de la société Smart City, c’est parce que jusqu’à une date récente les poursuites pénales n’étaient engagées que dans des cas où la caractérisation de l’élément matériel de l’infraction ne présentait pas de difficulté particulière (défaut de toute déclaration d’une matière imposable, dissimulation de recettes ou majoration de charges, carrousels de TVA…). Mais depuis quelques années l’administration porte sur le terrain pénal des questions beaucoup plus techniques : il s’agit par exemple du cas des sociétés étrangères dont l’administration considère qu’elles auraient dû souscrire une déclaration de résultats en France au motif qu’elles y auraient un établissement stable (c’est précisément autour de cette question que s’était noué le contentieux dans l’affaire Smart City), ou des personnes physiques dont elle prétend que c’est à tort qu’elles considèrent ne pas avoir dans notre pays une résidence fiscale.
Le projet de loi sur la grande délinquance, s’il est adopté en l’état, multipliera ces situations puisqu’il fait figurer parmi les circonstances aggravantes les cas d’abus de droit dont l’appréciation est particulièrement délicate. Or disons-le sans détours : les compétences en matière fiscale du juge répressif pour des sujets de cette nature ne sont pas à la hauteur d’un procès dans lequel se jouent la réputation et la liberté d’un individu. Dans l’affaire Smart City les analyses fiscales de la Cour d’Appel sont d’une grande indigence. Le juge de l’impôt c’est, le plus souvent, le juge administratif : dans une matière particulièrement technique, lui seul a les compétences pour trancher des débats complexes. Lorsque le juge judiciaire est compétent, c’est dans les matières (enregistrement, ISF) mobilisant le droit privé qu’il applique habituellement et il statue, aux termes d’une procédure contradictoire élaborée qui, dans la plupart des cas, fait défaut au procès pénal fiscal.
Notre proposition reprend et complète l’amendement que Monsieur Gilles Carrez avait présenté en 2012 et qui avait été rejeté au motif qu’un contribuable peut être dégrevé pour des vices de forme étrangers au débat pénal. Aussi, notre proposition se borne à encadrer l’indépendance des procédures dans le seul cas où le contribuable obtient un dégrèvement pour des raisons qui tiennent au fond.
Elle tire les conséquences de la portée pratique de toute décision du juge de l’impôt impliquant que la personne poursuivie ne s’est pas volontairement, et en toute connaissance de cause, soustrait à l’établissement de l’impôt. En effet, lorsque le Juge de l’impôt a prononcé la décharge des impositions ou des pénalités exclusives de bonne foi (manquement délibéré, manœuvre frauduleuse et abus de droit) par une décision même non définitive, il est choquant – au regard des exigences posées par les articles 8 et 16 de la Déclaration de 1789 – que la juridiction répressive puisse caractériser l’élément intentionnel du délit.
En pareil cas, même si une décision de première instance venait à être contredite en appel ou en cassation, une condamnation pénale ne saurait revêtir le caractère d’exemplarité souhaité de la répression de la fraude fiscale.
Aussi, l’intervention d’un tel jugement affirmant que l’impôt n’est pas dû ou que le contribuable est de bonne foi doit-il équivaloir à une déclaration d’innocence des personnes pénalement poursuivies.
Il doit en résulter l’extinction des poursuites à leur égard lorsque la juridiction répressive ne s’est pas encore prononcée ou la révision d’une condamnation déjà intervenue.
Par ailleurs, l’amendement envisage que lorsque l’affaire est pendante à la fois devant le Juge de l’impôt et le Juge répressif, et que celui-ci statue en premier lieu et condamne le contribuable, l’exécution du jugement soit suspendue tant que le Juge de l’impôt ne s’est pas prononcé.
Enfin, dans la mesure où le présent amendement n’envisage que les décisions du Juge de l’impôt statuant sur le fond, il importe que la personne poursuivie et qui conteste non seulement le fond mais aussi la procédure, puisse obtenir du Juge que ce dernier ne se prononce pas exclusivement sur cette dernière. C’est l’objet de la création d’un article L 202 dans le livre des procédures fiscales.
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