Déposé le 17 avril 2018 par : MM. Jacques Bigot, Leconte, Kanner, Mme de la Gontrie, MM. Durain, Sueur, Assouline, Courteau, Mmes Taillé-Polian, Lienemann, Sylvie Robert, les membres du groupe socialiste, républicain.
En application de l’article 44, alinéa 5, du Règlement, le Sénat décide qu’il y a lieu de renvoyer à la commission des lois la proposition de loi portant transposition de la directive (UE) 2016/943 du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2016 sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites (n° 420, 2017-2018).
Cette proposition de loi, qui vise à transférer dans notre droit national la directive relative au secret des affaires, soulève d’importantes questions d’ordre politique, juridique et économique qui justifient une préparation approfondie et donc un renvoi en commission.
En dépit de l’absence de définition consensuelle du secret des affaires, la commission européenne a engagé en 2013 un vaste chantier visant à instituer un arsenal juridique européen en matière de protection du secret des affaires, pour répondre notamment à l’attente de grandes entreprises qui souhaitent bénéficier d’un régime aussi protecteur que celui qui existe aux États-Unis ou en Chine. Après trois ans de travaux, et d’âpres négociations entre le Conseil et le Parlement européen la directive a été définitivement adoptée en juin 2016.
Ce que les institutions européennes ont mis trois années à accomplir, le gouvernement, en déclarant la procédure accélérée, impose au parlement français le réaliser en un mois à peine. En dépit des enjeux très lourds que pose ce texte, il est soumis au Parlement dans des conditions d’extrême rapidité qui ne permettent pas un examen serein et efficace.
A ces conditions d’examen dégradé, on ajoutera le fait que cette transposition s’opère sur initiative parlementaire. Il est très rare qu’une transposition de directive s’opère par une proposition de loi. Si celle-ci a été soumise au Conseil d’État par le Président de l’Assemblée nationale comme le lui permet l’article 39 al.5 de la Constitution.
Par ailleurs, le recours à la proposition de loi pour opérer la transposition signifie que le texte ne bénéficie pas d’une étude d’impact. Les conséquences en matière économique, financière, sociale et environnementale, les coûts et bénéfices attendus, n’ont en conséquence jamais été évalués. Cela pose une vraie difficulté s’agissant d’un texte dont les enjeux sont, par ailleurs, considérables en matière de respect des droits fondamentaux, qu’il s’agisse de la liberté d’informer ou du principe du contradictoire devant les juridictions.
Ce défaut d’évaluation s’illustre également dans l’absence de travail de concertation, au niveau national, avec les associations et les acteurs de la société civile. Il apparait très clairement qu’au regard de leur mobilisation, il n’a été apporté de réponses satisfaisantes à leurs inquiétudes.
Cette précipitation à transposer cette directive est d’autant moins compréhensible que la protection du secret des affaires s’opère aujourd’hui d’ores et déjà au travers de plusieurs dispositifs relevant du droit du travail, du droit pénal, du droit de la propriété intellectuelle, ou de dispositions relatives à la mise en jeu de la responsabilité civile. Le Conseil d’État relève d’ailleurs que l’état actuel du droit français est pour partie déjà conforme à la directive.
Par ailleurs, le texte ne prévoit aucune mesure de coordination entre le nouveau régime de protection du secret des affaires adossé au code de commerce et le droit positif, ce qui alimente les inquiétudes. Le Conseil d’État, encore une fois, attire l’attention du gouvernement et du législateur sur la nécessité de procéder, dans un délai raisonnable, à un état des lieux afin d’assurer la cohérence de l’insertion de ce nouveau régime dans l’ordonnancement juridique, soulignant ainsi qu’à ce stade, la cohérence des dispositifs est absente.
Dans ces conditions, un renvoi de cette proposition de loi à la commission des lois nous parait indispensable. Il ne s’agit pas d’une mesure dilatoire mais de l’expression d’une forte préoccupation des enjeux en présence. La protection des actifs et des savoirs des entreprises appelle une action résolue considérant qu’on évalue à environ 20% le nombre d’entreprises victimes chaque année de vol ou de divulgation d’information à caractère confidentielle. Et cela ne touche pas que des grandes entreprises mais également nos start-ups. Avec la même résolution, nous considérons que la protection légitime du secret des affaires ne peut avoir pour conséquence une remise en cause des droits fondamentaux et notamment de la liberté d’informer. Le texte issu de la commission des lois, pas davantage que le texte initial proposé par l’Assemblée nationale, n’atteint ce point d’équilibre. Or, sans équilibre, il n’y a pas de réforme efficace.
Pour atteindre ce point d’équilibre, ce que nous pensons possible, un temps de travail supplémentaire s’impose. Il permettra d’élaborer une rédaction juridique robuste seule à même d’apaiser les inquiétudes et d’assurer le succès de cette réforme.
NB:La présente rectification porte sur la liste des signataires.
En application de l'article 44, alinéa 5, du Règlement, cette motion est soumise au Sénat avant la discussion des articles.
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