Au cours d'une seconde réunion tenue l'après-midi, la commission procède à l'audition de M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, sur les rapports relatifs à la certification des comptes de l'Etat et à l'exécution budgétaire de 2010.
Cette réunion est l'un des temps forts de notre agenda. Je salue la performance de cette certification qui intervient alors que le conseil des ministres n'a pas encore adopté le projet de loi de règlement. Mais cela ne saurait tarder...
Deux documents accompagneront le projet de loi de règlement pour 2010 : l'acte de certification des comptes de l'État de 2010 et le rapport sur les résultats et la gestion budgétaire de l'État. Quant au rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques, que je vous présenterai le 22 juin prochain, il prend en compte l'ensemble des administrations publiques et trace les perspectives d'évolution financière à court et moyen terme.
L'acte de certification et le rapport sur les résultats et la gestion budgétaire de l'État précisent la situation des finances de l'État à fin 2010. Ces deux documents ont été élaborés par la formation interchambres que préside M. Christian Babusiaux. Le travail a été réalisé dans des délais particulièrement contraints, d'autant que si la période complémentaire a été raccourcie, l'administration, elle, ne répond pas plus rapidement ! La Cour n'a disposé de tous les rapports annuels de performances que le 26 avril dernier, du projet de loi de règlement que le 12 mai.
L'acte de certification porte uniquement sur la comptabilité générale de l'État. Son unique objet est d'attester de la régularité, de la sincérité des comptes et de l'image fidèle qu'ils donnent. Le rapport sur les résultats et la gestion budgétaire est plus large, il examine la comptabilité budgétaire qui retrace les dépenses et les recettes, c'est-à-dire les opérations de caisse ; il analyse les trois résultats définis par la Lolf, soumis à l'approbation du Parlement, ainsi que les résultats de la gestion par mission et par programme.
Les deux documents contribuent à éclairer le Parlement lors du vote de la loi de règlement, dont l'adoption n'est pas une simple formalité mais constitue la clef de voûte de la fiabilité des comptes de l'État. C'est une application du principe de transparence - vis-à-vis des citoyens, des contribuables, de leurs représentants au Parlement, des investisseurs qui achètent des titres de dette et sont en droit d'attendre une information claire et fiable. La France est le seul Etat de la zone euro engagé dans une démarche de certification de ses comptes - établis qui plus est selon des principes comptables tenant compte des spécificités du secteur public mais reprenant les catégories du secteur privé. Seuls sont certifiés les comptes des États-Unis, du Canada, de la Grande-Bretagne et de la Nouvelle-Zélande. Nous constituons donc une exception vertueuse dans la zone euro. Dans une conjoncture de tensions financières, le fait qu'un auditeur externe, indépendant, puisse attester de la régularité, de la sincérité et de l'image fidèle des comptes de l'État constitue assurément un atout.
Pour ce qui concerne la comptabilité patrimoniale de l'État, vous aurez à examiner le compte général de l'État, arrêté par le ministre du budget le 17 mai dernier et joint au projet de loi de règlement. Le Parlement est désormais chargé d'approuver ces comptes en droits constatés. Il doit le faire en toute connaissance de cause ; à cette fin, il peut s'appuyer sur la certification délivrée par la Cour.
La forme de la loi de règlement ne tire pas encore toutes les conséquences des évolutions de la comptabilité patrimoniale. Par exemple, le bilan qui figure dans le corps même de l'avant-projet de loi de règlement est incomplet : il ne comprend pas les comptes 2008 et 2009 retraités à fins de comparaison avec 2010, autrement dit les comptes pro forma, à périmètre et méthodes équivalents. Ce n'est pas anecdotique : 2010 est la première année où l'État a établi ces comptes pro forma. La situation nette de l'État, la différence entre ses actifs et ses passifs, s'est alourdie de 200 milliards d'euros entre 2008 et 2010, malgré une augmentation de 70 milliards de son actif net immobilisé. Cette évolution tient à la hausse de la dette financière - 210 milliards d'euros - engendrée par les déficits budgétaires successifs et par le programme d'investissements d'avenir. Autre exemple, le tableau des flux de trésorerie de l'État : il n'est pas prévu explicitement par la Lolf et le Parlement ne l'approuve pas, mais il est l'un des quatre états financiers de l'État, avec le bilan, le compte de résultats et l'annexe aux comptes. Il montre qu'en 2010, le besoin de trésorerie net a été de 146 milliards, couvert non seulement par une augmentation de la dette financière au sens du traité de Maastricht, mais aussi par des moyens de trésorerie. J'attire votre attention sur les informations que le Parlement peut désormais retirer du compte général de l'État, des comptes pro forma et de l'annexe.
La Cour certifie qu'au regard des règles et principes comptables applicables, le compte général de l'État de l'exercice clos le 31 décembre 2010 et arrêté le 17 mai 2011 est régulier et sincère et donne une image fidèle de la situation financière et du patrimoine de l'État, sous sept réserves substantielles. Deux réserves, dont l'une était qualifiée l'an dernier de substantielle, ont été levées ; plusieurs parties de réserves l'ont été également. Nous levons la réserve substantielle relative à la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades), ce qui est le résultat d'un travail conjoint de la Cour, du Gouvernement et du Parlement : depuis la loi organique de 2010, la Cades est bien ancrée dans la sphère de la Sécurité sociale et - très récemment - le Gouvernement a publié les textes réglementaires qui permettront au nouveau conseil d'administration de fonctionner. Si la Cour a été le moteur de cette clarification bienvenue, le Gouvernement et le Parlement en ont été les acteurs principaux. Une des tâches des équipes de certification est, en effet, d'exploiter les travaux législatifs et de vérifier leur traduction dans les comptes.
Cela va au-delà des lois de finances. Ainsi, la loi « Hôpital, patients, santé, territoires » a modifié le statut des établissements publics de santé, désormais établissements publics nationaux, mais l'administration n'en a pas encore tiré les conséquences et les établissements n'apparaissent pas encore dans les comptes de l'État comme des participations. La Cour a pris l'initiative d'examiner les conséquences qui en résultent pour les immobilisations financières de l'État. La Cour a systématiquement vérifié que les incidences du prêt à la Grèce, du fonds européen de stabilisation financière, de la réforme de la taxe professionnelle ou de la réforme des retraites avaient été correctement traduites dans les comptes.
Vous trouverez dans l'acte de certification le détail des levées de réserves totales ou partielles. Elles témoignent de progrès importants réalisés par l'administration avec l'aide de la Cour. L'attention de l'administration a parfois été absorbée par les réformes en cours, réforme de l'administration territoriale, RGPP, réforme des bases de défense et des commissariats... Mais en cinq ans, un chemin important a été parcouru, en bonne intelligence entre la Cour et l'administration. Des difficultés demeurent. Elles se concentrent désormais sur les sept réserves substantielles. La première concerne les conditions de déploiement de Chorus et les difficultés des systèmes d'information. La Cour a synthétisé ses constats dans son rapport public de février dernier. Il faut utiliser à plein toutes les capacités de ce progiciel.
En matière de contrôle et d'audit internes, objet de la réserve n° 2, les améliorations sont demeurées limitées. Une levée partielle de cette réserve pourra être envisagée pour certains ministères ou certains processus. La réserve n°3 est relative aux produits régaliens : le système d'information est essentiellement fondé sur le suivi des mouvements de caisse, alors que, seule, une véritable comptabilité patrimoniale permettrait de comptabiliser en temps réel les engagements réciproques de l'État et des redevables et l'incidence financière réelle de ceux-ci sur l'exercice. La législation fiscale devient plus complexe et changeante, mais l'État ne dispose que d'outils informatiques anciens.
La réserve n° 6 relative aux charges et passifs d'intervention provient d'abord de l'incertitude quant à l'exhaustivité du recensement des charges et des passifs, ensuite des désaccords sur le fonds de compensation de la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA), enfin des contrats de désendettement et de développement. L'État semble tenté de modifier la norme pour réduire le montant des passifs comptabilisés à son bilan. Cela, j'y insiste, mettrait un coup d'arrêt à la dynamique vertueuse enclenchée depuis cinq ans. Ce serait un recul incompréhensible. Une grande partie des provisions pour charges d'intervention sortiraient du bilan de l'État. La comptabilité générale instaurée par la Lolf vise au contraire à retracer, non seulement les encaissements et décaissements, mais aussi les actifs et les passifs de l'État. Les trois autres réserves substantielles formulées par la Cour concernent la fiabilité de certains postes du bilan, toujours insuffisante au terme de ce cinquième exercice.
L'administration a pris des engagements précis. La démarche d'accompagnement dans laquelle s'est engagée la Cour pour l'aider à mettre en oeuvre la réforme comptable a porté des fruits. Depuis le premier exercice de certification, le nombre de réserves est passé de treize à sept. Je vous renvoie aux états financiers pour le détail des progrès nécessaires pour progresser vers une certification sans réserve. Un enjeu majeur est aujourd'hui l'appropriation de Chorus par l'ensemble des services gestionnaires, la réussite de la bascule de la comptabilité générale dans Chorus au 1er janvier 2012 et la fiabilisation rapide des diverses données qui s'y déversent. A défaut, Chorus ne serait qu'un avatar d'Accord et du Palier Lolf ; toutes les dispositions de la Lolf ne pourraient être appliquées. Il convient que l'administration définisse les sujets prioritaires en 2011, de manière à poursuivre la dynamique et faire des comptes de l'État un outil de sa gouvernance.
Le rapport sur les résultats et la gestion budgétaire analyse le résultat budgétaire de l'exercice 2010, le résultat patrimonial, que nous certifions désormais, et le résultat de trésorerie qui montre comment l'État a couvert son besoin de financement. La Cour a également examiné l'exécution budgétaire par mission et programme. Pour l'information des citoyens nous mettrons en ligne, dès l'adoption du projet de loi de règlement par le conseil des ministres, les cinquante-deux notes d'exécution budgétaire et les dix notes consacrées à des programmes précis.
En 2010, le solde budgétaire s'est à nouveau détérioré et l'endettement de l'État s'est aggravé. L'exercice 2010 a été marqué par un nombre inhabituel de lois de finances rectificatives. La trajectoire budgétaire, initialement prévue en redressement, a été aggravée sous l'effet du programme d'investissements d'avenir, des prêts consentis à la Grèce et des ouvertures opérées par deux décrets d'avance ainsi que par la loi de finances rectificative de fin d'année. Le déficit de l'État s'est détérioré de 10,8 milliards d'euros par rapport au niveau déjà exceptionnellement élevé de 2009, pour atteindre 148,8 milliards. La dette de l'État a augmenté de 81 milliards d'euros et le programme d'émission à moyen et long terme, plus de 210 milliards, a été le plus important jamais réalisé. La réduction sensible de l'endettement à court terme - conformément à une recommandation de la Cour - a contribué à mieux cantonner le risque de taux.
La signification du solde est cependant affectée par des éléments particuliers, voire exceptionnels. Les investissements d'avenir ont dégradé de 34,6 milliards d'euros le résultat budgétaire mais n'ont donné lieu qu'à 675 millions de dépenses réelles. Les prêts à la Grèce procèdent de circonstances extérieures ; ils ont certes un impact négatif sur le solde budgétaire mais ils ne manifestent pas un manque de maîtrise. Quant au plan de relance, il a bien sûr un caractère exceptionnel. La suppression de la taxe professionnelle sur l'exercice 2010 a eu un impact de 17,9 milliards d'euros sur le budget général, réduit selon le Gouvernement par le solde positif du compte d'avances aux collectivités territoriales, 10,2 milliards, provenant d'un surplus exceptionnel de recettes de taxe professionnelle sur les exercices antérieurs, recouvrements réels ou recettes d'ordre ayant pour contrepartie des dépenses d'ordre imputées sur le programme « Remboursements et dégrèvements d'impôts locaux ». Cependant, en l'état du système d'information comptable, il est impossible de déterminer la part des recettes réelles et celle des recettes d'ordre. L'administration n'a pas été en mesure de justifier la concordance entre les recettes et les dépenses d'ordre. On ne sait pas non plus déterminer à quel exercice passé se rattachent les ressources de taxe professionnelle. La charge nette ayant pesé sur le budget de l'État au titre de la première année de la réforme est en conséquence incertaine...
L'analyse du résultat patrimonial de l'État, négatif de 112 milliards d'euros, complète l'analyse du solde budgétaire. Des évènements exceptionnels tels que les investissements d'avenir ou les prêts à la Grèce n'ont pas d'impact sur le résultat comptable puisqu'ils ne constituent pas des charges mais possèdent une contrepartie à l'actif du bilan. La dégradation de 12 milliards d'euros par rapport à 2009 confirme néanmoins l'évolution négative de la situation financière de l'État. La hausse des charges nettes n'est pas compensée par une hausse des produits régaliens nets. Ce constat rejoint celui de l'exécution budgétaire.
Le rebond limité des recettes fiscales confirme la nécessité impérieuse de préserver la ressource fiscale. Les recettes fiscales nettes se sont redressées en 2010, après cinq années de baisse. Mais le rebond en sortie de crise a été modeste, la croissance spontanée des recettes limitée et réduite par les mesures nouvelles, abaissement de la TVA dans la restauration et coût de la loi TEPA. La diminution des dépenses fiscales en 2010 est due principalement à la baisse de régime du plan de relance et à la réforme de la taxe professionnelle. Sans ce double effet, on aurait connu une nouvelle augmentation, de 2,5 milliards d'euros.
Avec une hypothèse d'inflation de 1,2 %, la norme de dépenses définie par le Gouvernement correspondait en 2010 à une progression des dépenses de 4,4 milliards d'euros. La règle du « zéro volume » a été respectée... en apparence. La charge de la dette a été moindre que prévu en raison de la faiblesse des taux d'intérêt. Il en a été de même pour les prélèvements sur recettes au profit de l'Union européenne et des collectivités territoriales, hors compensation relais de la réforme de la taxe professionnelle. Si bien qu'ont pu être financés sur la loi de finances rectificative de décembre 2010 les crédits nécessaires à certaines dépenses budgétaires en forte croissance. La bonne surprise sur les taux d'intérêt n'a pas été mise à profit pour réduire le déficit.
Certaines mesures ont en outre été exclues, de façon contestable, du calcul de la norme : ressources affectées pour apurer les dettes à l'égard de la sécurité sociale, recours à des comptes spéciaux pour des opérations qui auraient pu relever du budget général de l'État, non-prise en compte de l'augmentation des dépenses de RSA au motif qu'elle serait compensée par une diminution de la dépense fiscale sur la prime pour l'emploi, non prise en compte des décaissements effectifs pour les investissements d'avenir. En intégrant ces éléments, l'augmentation des dépenses serait de 2,2 % en valeur, non de 1,3 % - et de 0,7 % en volume, compte tenu d'une inflation de 1,5 %. Or, rien ne justifie un traitement dérogatoire pour les investissements. La Cour propose d'ajouter chaque année la consommation de dotations aux dépenses entrant dans le champ de la norme.
La masse salariale de l'État, hors pensions, a progressé moins que la norme : 0,7 % à périmètre constant. Des tensions importantes sont cependant apparues, liées à la surestimation initiale du nombre de départs en retraite. Cette erreur a été corrigée tardivement sous la forme contestable d'un décret d'avance en fin d'exercice. En outre, les versements du budget général au compte d'affectation spéciale « Pensions » ont augmenté de 1,8 % à périmètre courant mais de 5,2 % à périmètre constant. La règle du non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux a été quasiment respectée. Elle a contribué à ralentir la croissance de la masse salariale. Cependant, encore faut-il que les politiques et mesures catégorielles respectent elles aussi l'objectif... Les efforts engagés récemment notamment chez les opérateurs doivent être poursuivis.
L'importance du déficit, le rebond limité des recettes, l'augmentation persistante des dépenses fiscales, le non-respect du zéro volume d'augmentation des dépenses constituent des motifs de préoccupation. Mais le rapport constate aussi les limites que présente encore le système budgétaire et comptable de l'État.
La Cour a audité la concordance des comptabilités et vérifié la fiabilité du tableau de passage du résultat budgétaire au résultat patrimonial. Elle a noté des insuffisances. Le vote des autorisations d'engagement est un acte majeur du Parlement, mais leur suivi n'est pas satisfaisant. Cinq ans après l'entrée en vigueur de la Lolf, le recensement des engagements juridiques de l'État n'est pas exhaustif et ceux-ci ne sont pas soumis dans leur intégralité au vote du Parlement. Ainsi, l'utilisation de ressources non retracées en comptabilité budgétaire pour apurer une partie de la dette à l'égard de la Sécurité sociale a évité d'ouvrir des autorisations budgétaires ; la contribution française à l'Agence spatiale européenne n'a pas fait l'objet d'une budgétisation suffisante en autorisations d'engagement et en crédits de paiement alors que la charge à payer était recensée dans la comptabilité de l'État. Globalement, les cas de ce type représentent 4,7 milliards d'euros.
Le rapport relève aussi le problème de construction du tableau de financement, les limites de la comptabilité d'analyse des coûts, ou encore l'imperfection des systèmes d'information utilisés pour produire les indicateurs de performance. L'articulation entre le pilotage budgétaire et la démarche de performance est trop rarement établie. Les rapports annuels de performance ne rendent pas toujours compte des résultats de la gestion. Les résultats concrets obtenus par les gestionnaires de programmes devraient être mentionnés dans les rapports annuels de performance. Une comptabilité analytique comme outil de pilotage et d'aide à la décision est indispensable. S'agissant des outils de performance, nous avons connu une année de stagnation malgré des progrès ponctuels.
De l'ensemble du rapport se dégage une troisième préoccupation qui concerne le respect des grands principes budgétaires. Certes, le plan de relance répondait à des circonstances exceptionnelles. Certes, les investissements d'avenir peuvent jouer un rôle utile de stimulation dans divers secteurs. Cependant, l'enchaînement des plans brouille la cohérence budgétaire. De nombreuses dépenses s'exécutent hors budget. Un système particulier de performance et de suivi par le Parlement a été mis en place pour les investissements d'avenir mais hors cadre budgétaire, ce qui risque d'affaiblir le principe d'universalité du budget. Le programme d'investissements d'avenir appelle une vigilance particulière. Les crédits ont été transférés à des organismes gestionnaires dans le cadre de conventions signées avec l'État. Leur utilisation sera progressive sur une période de dix ans. Des risques de substitution entre programmes du budget général et les investissements d'avenir ont été identifiés. En outre, les crédits ne financent pas tous de nouveaux projets ; et certains organismes gestionnaires ont été chargés de projets qui n'étaient pas totalement dans leur champ de compétence. L'Agence nationale de la recherche doit impérativement moderniser sa gestion pour être capable de porter le programme d'investissements de 18,9 milliards d'euros qui lui a été délégué. La complexité de certains montages conventionnels est susceptible d'affecter la lisibilité de certaines actions. Les objectifs de plusieurs actions se recoupent, initiatives d'excellence et laboratoires d'excellence par exemple. La cohérence de gestion devra être améliorée.
En outre, en dépit de certaines améliorations, diverses irrégularités ou anomalies ont été relevées en 2010, par exemple dans la répartition des dépenses entre budget général et comptes spéciaux, ou dans la définition de certains comptes spéciaux, non conforme à la Lolf. Ces pratiques de gestion portent atteinte aux principes d'unité et d'universalité budgétaire.
La Cour ne méconnaît pas les efforts réalisés dans la gestion budgétaire, ni les progrès accomplis dans la comptabilité générale. Quelles que soient les imperfections, la France a l'avantage de disposer d'une information riche et précise sur la situation financière de l'État. Néanmoins il faut encore renforcer les mécanismes de maîtrise de la dépense et de préservation des recettes, améliorer les différentes comptabilités de l'État, mieux articuler les dispositifs de performance et la gestion budgétaire.
Ainsi que le montrera le rapport que je vous présenterai en juin prochain, la situation financière de l'État demeure centrale dans la problématique globale de nos finances publiques.
On est certes passé de neuf à sept réserves cette année. Mais on atteint le noyau dur... Vous certifiez les comptes mais indiquez aussi que le système d'information n'est guère opérant. Cela nous plonge dans la perplexité. Vous estimez que les dispositifs ministériels de contrôle et d'audit ne fonctionnent pas bien.
Leur fonctionnement pourrait être perfectionné.
Vous indiquez qu'au 31 décembre 2010, l'actif de l'État était de 891 milliards d'euros, mais vous exprimez des doutes sur l'estimation de l'actif immobilisé, à 758 milliards d'euros. Les réévaluations et intégrations améliorent la situation de 317 milliards d'euros. Cela aussi nous plonge dans la perplexité. En outre, je ne vois nulle mention des engagements hors bilan.
Ils figurent dans l'annexe.
Il serait intéressant de les faire apparaître plus clairement : cela ne trahirait pas l'exigence de sincérité des comptes publics...
Lorsque l'on possède votre immense expertise et votre profonde sagesse, peut-on envisager de ne pas certifier les comptes ?
Nous nous posons chaque année la question ! Rien n'est jamais acquis. Mais nous mesurons chaque fois les conséquences de notre position. La Cour s'est toujours inscrite dans une perspective d'accompagnement.
Du temps du franc, on avait coutume de dire : « moins on en dit, mieux cela vaut »...
Ce n'est pas notre cas. Nous en disons beaucoup !
On craignait que cela ne joue contre la monnaie nationale.
Une autre interrogation me taraude : Chorus fonctionne-t-il ou non ?
Nous souhaitons qu'il fonctionne beaucoup mieux et nous avons fait des recommandations à ce sujet. Le ministre a pris des engagements, qui figurent dans le dernier rapport annuel. S'il n'y avait pas d'améliorations, cependant, le risque serait réel que l'outil ne remplisse pas sa fonction.
Il a pourtant coûté 1,5 milliard d'euros.
Vous exprimez des réserves sur les dispositifs de contrôle et d'audit, soulignez des inerties : quels ministères répondent le mieux ? Pourriez-vous établir un classement ?
Le contrôle interne a fait des progrès dans les ministères de la défense ou de l'agriculture. Mais il y a encore des marges de progression, aux finances, notamment. Nous avons maintenu une réserve substantielle.
Les inspecteurs qui ont vocation à effectuer le contrôle interne sont-ils rigoureux ? Quelle est la qualité du contrôle interne ?
Les services d'inspection ne sont pas toujours en charge de l'audit comptable. Ils n'en ont pas le monopole. Voyez le cas de l'inspection générale des finances, qui ne procède pas à des audits internes. Notre réserve pourrait être levée ministère par ministère, pour créer une émulation. Nous pourrions établir un palmarès !
L'emprunt national pour les investissements d'avenir nous est apparu comme une opération de débudgétisation. La dépense budgétaire a été intégralement imputée sur 2010, mais les décaissements réels par les opérateurs seront très progressifs. Comment avez-vous pu apprécier cela ? Comment jugez-vous le fonctionnement du commissariat général ?
Nous ne l'avons pas audité. Mais je partage votre préoccupation sur le financement des investissements d'avenir. Les rapports annuels de performance devraient retracer les opérations dans le budget et hors budget, afin que les parlementaires disposent d'informations précises. L'ampleur des dépenses à venir dépend du rythme d'exécution : l'effet, chaque année, pourra être compris entre 3,5 et 7 milliards d'euros. Ce n'est pas un montant négligeable, en comparaison des 4 milliards d'euros d'augmentation des dépenses comprises dans le champ de la norme. Si l'on veut respecter le zéro volume d'augmentation, il faudra prendre en considération ces dépenses d'avenir.
Nous avons également fait des observations sur les crédits versés à l'Agence nationale de la recherche. Une adaptation de cet opérateur s'impose pour garantir un suivi satisfaisant des dépenses et des engagements. Il faut une vigilance particulière sur ce point.
Le respect du champ de compétence de chaque institution serait mieux garanti si l'on reproduisait en dernière page du rapport les articles de loi qui énoncent les responsabilités de chacune. Car les interprétations de la certification sont diverses...
L'impact négatif de la réforme de la taxe professionnelle est de 17,9 milliards d'euros. Cette somme est-elle incluse dans le déficit ?
Non car le coût net, comme je l'ai dit, est de 7,7 milliards. J'ai signalé nos interrogations sur les recettes rattachées aux années précédentes.
Oui.
Je veux dire à M. Hervé que les articles relatifs à la Cour sont mentionnés en première page.
Il faudrait les citer in extenso. Le Parlement a ses compétences, la Cour les siennes, nous sommes dans un régime de séparation des pouvoirs.
Nous ne l'oublions pas et nous restons strictement dans notre rôle.
Le président Arthuis partage le même souci : nous souhaitons que la commission des finances exerce totalement sa compétence !
Nos rôles sont parfaitement définis, le 4° de l'article 58 de la Lolf est sans ambiguïté.
Le passif de l'État se montait, si j'en crois le rapport, à 1 648 milliards d'euros fin 2010 ?
Oui, c'est le passif accumulé.
Donc ce sera pire en 2011. C'est inquiétant. Et j'ai l'impression que nous ne faisons que payer des intérêts mais ne remboursons jamais de capital. Je ne vois aucune indication dans le budget de l'État d'un remboursement de dette...
On rembourse en empruntant. C'est la dette perpétuelle dont M. Fourcade a parlé.
Ce n'est pas encore le cas mais la Cour insiste sur un effet de boule de neige à attendre. La situation financière de l'État se dégrade.
Et la canicule ne va pas régler ce problème de boule de neige. Nous y reviendrons dans notre rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques, qui concernera l'ensemble des comptes publics.
Indéniablement, la situation s'est aggravée pour l'État en 2010.
Il faudrait un jour présenter une version consolidée des comptes de l'État et de la sécurité sociale.
C'est ce que nous ferons, en quelque sorte, dans le prochain rapport.
Ma deuxième question est la suivante. Nous nous donnons beaucoup de peine pour examiner et voter un budget, mais le Gouvernement propose parfois des réformes qui ne sont pas financées. La réforme de la taxe professionnelle a coûté 10 milliards d'euros, voire davantage. Lorsqu'il a décidé de réduire l'ISF, le Gouvernement a voulu compenser le manque à gagner par une augmentation des droits de succession, mais il est loin de faire toujours de même. A quoi sert-il donc que nous votions le budget ?
Il est vrai que de nombreuses réformes sont financées par l'emprunt, ce qui finit un jour ou l'autre par se payer.
Et quand un parlementaire propose une mesure qui augmente les charges de l'État, on lui oppose l'article 40 !
La prochaine révision constitutionnelle instituera une irrecevabilité des mesures financières en dehors des lois de finances ou de financement de la sécurité sociale. L'article 40 a entravé l'action du Parlement, mais je me souviens d'un président de la commission des finances de l'Assemblée nationale qui disait que le Gouvernement, non le Parlement, était le principal responsable de l'aggravation du déficit...
Le Parlement vote...
Je voudrais revenir sur les surplus de recettes de taxe professionnelle sur exercices antérieurs. Si j'ai bien compris, l'État ne serait pas capable de dire à quelle année la recette en question doit être affectée. Mais lorsqu'une collectivité - comme la mienne cette année - reçoit un rôle complémentaire, on sait dire à quel exercice antérieur la taxe doit être affectée. Les indications fournies seraient-elles donc fantaisistes ? C'est d'autant plus inquiétant que les recettes complémentaires perçues en 2010 auront un impact sur la détermination de la cotisation à verser au Fonds national de garantie individuelle des ressources (FNGir).
Des informations existent dans les fichiers de base, mais en l'état actuel de nos systèmes d'information, il est impossible de les consolider au niveau de l'État. L'État ne saura vraisemblablement jamais combien a coûté exactement la réforme de la taxe professionnelle. Il faudrait des moyens démesurés pour retrouver l'information dans les 820 fichiers de base.
M. Dallier évoque les émissions de rôles. Or certaines entreprises auto-imputent le plafonnement de la valeur ajoutée. La direction générale des finances publiques comptabilise les émissions de rôle, mais elle ne sait pas ce que les entreprises ont auto-imputé, ou plutôt ces données sont dispersées dans les fichiers de base. Il y a donc une incertitude sur 5,4 milliards d'euros de dépenses d'ordre et de recettes d'ordre du compte d'avances aux collectivités territoriales.
Vous écrivez que la charge supplémentaire nette pour le budget de l'État résultant de la suppression de la taxe professionnelle reste incertaine : le chiffre de 7,7 milliards d'euros n'est qu'une estimation. Le coût de la réforme pourrait-il être encore plus élevé ? J'aurais tendance à le croire.
Que le coût réel soit inférieur à 17,9 milliards, c'est certain, mais de combien ? La Cour n'est pas en mesure de le dire.
L'administration, que nous avons auditionnée, nous a fait savoir que les chiffres transmis par les entreprises étaient très aléatoires.
Je suis rapporteure spéciale du compte d'affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l'État ». Or la Cour émet une réserve substantielle sur la valorisation de ce patrimoine, pour la troisième année consécutive. Elle écrit que « les applications antérieures à Chorus sont toujours utilisées pour recenser et gérer le patrimoine immobilier, ce qui empêche la réalisation d'un objectif essentiel assigné au nouveau progiciel : permettre la constitution d'une base unique de gestion immobilière de l'État ». Quelles sont ces applications ? Si vous utilisez un article défini (« les » applications de Chorus, au lieu de « des »), c'est que vous les connaissez.
Ces résultats sont-ils dus pour l'essentiel à Chorus ? L'an dernier, vous disiez que les chiffres étaient fiables à 90 %, mais que vous vouliez qu'ils le soient à 100 %. Mais on n'y parvient pas : moi-même, j'ai le plus grand mal à faire le départ entre ce qui appartient aux opérateurs ou à l'État proprement dit. Mais je ne dispose pas des moyens de la Cour.
Des applications antérieures à Chorus sont toujours utilisées, malgré leurs insuffisances. Le problème tient au raccordement des systèmes d'information. Nous avons maintenu notre réserve substantielle, en raison des « incertitudes fortes qui pèsent toujours sur le recensement et la valorisation du patrimoine immobilier de l'État ». Cette réserve pourrait être levée si l'État faisait un effort, mais il fait du sur-place.
S'agissant du patrimoine immobilier, beaucoup d'éléments de gestion sont essentiels. Or, dans les modules de Chorus, les gestionnaires ne trouvent pas les données suffisantes pour répondre à leurs besoins. Ils continuent donc à travailler avec des applications antérieures, et saisissent les informations à la fin de l'année : d'où le risque d'erreurs.
Dans l'un des documents que vous nous avez distribués, à propos du bilan de l'État au 31 décembre 2010, il est question des « autres dettes et passifs », d'un montant coquet de 283 milliards d'euros. Qu'est-ce que cela recouvre exactement ?
Il s'agit des charges à payer dont vous trouverez le détail dans l'annexe de la certification des comptes, page 80 : dettes non financières hors trésorerie, provisions pour risques et charges, autres passifs, comptes de régularisation.
Il serait instructif de consacrer une séance, avant la suspension de nos travaux, à examiner ligne par ligne les éléments constituant le patrimoine de l'État. Vous vous demanderez notamment où sont recensés les engagements de retraite.
Ils figurent dans l'annexe au compte, hors bilan. C'est une pratique internationale.
Observez qu'ils s'élèvent à 1 200 milliards d'euros.
Sans doute cherche-t-on à plaire aux agences de notation, mais il serait plus satisfaisant de faire figurer ces engagements dans le passif, ou au moins au pied du tableau des passifs : on se rendrait compte alors que ces passifs excèdent un an de PIB !
Les engagements hors bilan sont énumérés pages 13 et 14 de la synthèse sur la certification des comptes de l'État. Parmi les engagements de retraite, outre les retraites des fonctionnaires, il faut compter celles des fonctionnaires de la Poste et les régimes spéciaux.
Ces informations devraient figurer de façon synthétique au pied du bilan.
C'est lorsqu'on s'est rendu compte de l'importance des engagements hors bilan du Portugal que ce pays fut contraint d'en appeler à l'aide internationale. En France, dans le hors bilan, il faut prendre en compte les partenariats public-privé (PPP), pour des projets d'infrastructures lourdes : j'ai visité à Paris les locaux de l'Insep, dont la rénovation coûtera 30 millions d'euros par an pendant trente ans. Ces données sont-elles compilées par la Cour, et modifient-elles l'équilibre général ?
Non : les PPP n'ont qu'une très faible incidence pour l'État, eu égard aux autres passifs et garanties.
C'est qu'ils sont très faibles.
Elles sont comptabilisées dans l'actif. L'une des innovations de l'année est d'avoir intégré les concessions de force hydraulique - c'est-à-dire les barrages - dans l'actif de l'État, pour un montant de 45 milliards d'euros.
Je reviens sur l'annexe hors bilan. Il est intéressant que vous prévoyiez un besoin de financement futur de 490 milliards d'euros pour les retraites des fonctionnaires de l'État et des militaires, de 110 milliards pour les fonctionnaires de la Poste, de 210 milliards pour les régimes spéciaux, de 63 milliards pour les autres pensions. Tout cela justifie que nous consacrions à nouveau un volet de la loi de règlement aux engagements hors bilan.
Le Gouvernement demande-t-il son avis à la Cour sur le programme de stabilité européen ? Le fera-t-il demain sur les lois-cadres pluriannuelles relatives aux finances publiques ?
Nous exprimons indirectement notre opinion dans le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques. Le Gouvernement ne nous soumet pas le projet de programme avant de l'envoyer à Bruxelles, mais nous pouvons apporter des éclaircissements aux parlementaires dans le cadre de notre mission d'assistance au Parlement.