Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale

Réunion du 29 mai 2008 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • candidat
  • contrôleur
  • contrôleur général
  • prison

La réunion

Source

La commission a procédé à l'audition de M. Jean-Marie Delarue, candidat proposé à la nomination à la fonction de contrôleur général des lieux de privation de liberté.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

a rappelé que le Sénat avait largement contribué à ouvrir la voie d'un contrôle indépendant, d'abord à travers la commission d'enquête qu'il avait créée en 2000 sur les conditions de détention dans les prisons, suivie, l'année suivante, de l'adoption d'une proposition de loi, premier jalon du processus dont la loi du 30 octobre 2007 constituait le point d'aboutissement. Il a rappelé que la commission était, également, à l'origine de la consultation pour avis des commissions parlementaires compétentes dans le processus de nomination du contrôleur général, attendue depuis plusieurs mois.

Il a marqué qu'en conséquence la présente audition avait été organisée sans délai d'autant plus que la révision constitutionnelle en cours faisait planer quelques incertitudes sur la mise en place effective du contrôleur général au regard de la proposition d'instaurer un défenseur des droits des citoyens.

Après avoir retracé la carrière de M. Jean-Marie Delarue, le président Jean-Jacques Hyest a rappelé son audition par la commission, le 2 avril dernier, en sa qualité de président de la Commission de suivi de la détention provisoire, qui lui assurait donc une connaissance du monde pénitentiaire.

Debut de section - Permalien
Jean-Marie Delarue

a marqué le caractère inédit d'un exercice destiné à cerner les pouvoirs de la nouvelle autorité et à recueillir l'avis de la commission parlementaire.

Centrant son exposé sur les trois éléments-clé de la loi du 30 octobre 2007 (périmètre, pouvoirs et procédures), le candidat proposé a, sur le premier point, noté que les gestionnaires des prisons, zones d'attente et établissements psychiatriques ne maîtrisaient les flux, ni à l'entrée, ni à la sortie. Il a souligné la nature privative de liberté de ces lieux, laquelle impliquait, pour tous leurs pensionnaires, présentant des caractéristiques socio-professionnelles communes, une rupture très forte avec leur milieu d'origine.

Il a remarqué qu'après une période de grande déshérence entre 1945 et 1970, s'était fait jour, depuis, une prise de conscience de la condition pénitentiaire, dont il était souhaitable d'assurer la pérennité. Il voyait là la première mission du contrôleur général.

En énonçant différentes mesures positives intervenues ces dernières années (conditions d'incarcération, santé, accueil des familles, évolution de l'administration pénitentiaire), il a regretté que la situation actuelle des prisons françaises les classe dans les derniers rangs européens.

Déplorant les résultats décevants de la politique de réinsertion des prisonniers qui constituait un échec tant pour la sécurité de la population que pour les détenus, il a par ailleurs affirmé qu'une tradition d'opacité pesait encore fortement sur les personnels. Bien que compréhensible, la crainte paralysante du changement par la peur du chaos s'avérait sclérosante.

Abordant la question du surpeuplement des prisons, il l'a illustrée tout d'abord par la question des indigents : ceux-ci sont traditionnellement affectés au service général en contrepartie d'un pécule ; ces postes n'augmentant pas à proportion de la surpopulation, l'indigence croît.

Par ailleurs, le nombre des parloirs accordés à des familles aujourd'hui plus nombreuses ne peut que diminuer mécaniquement pour chaque détenu.

Il a, ensuite, évoqué la variété des situations des locaux de rétention, notant qu'en 2006, 530.000 personnes avaient été placées en garde à vue dans des locaux parfois préoccupants. Il a conclu cet état des lieux en mentionnant les établissements psychiatriques qu'il a indiqué n'avoir pas eu à connaître.

Abordant la question des missions du contrôleur général, fixées par la loi, il a déduit trois principes du caractère « général » de son rôle : tout d'abord, les lieux visités doivent intégrer les locaux « interstitiels », parfois oubliés comme les dépôts des palais de justice ; la charge du contrôleur général est, non de régler tous les cas particuliers, mais d'en tirer des enseignements généraux ; ce contrôle se distingue de la médiation -résolution des cas individuels- ; en conséquence, les délégués du médiateur, installés dans les prisons depuis 2005, continueraient leur travail.

Le contrôleur général devrait discerner les situations posant un problème de nature générale, veiller à la cohérence des institutions intervenant dans son domaine, auxquelles il ne se substituerait pas, et devrait enrichir leur action.

Evoquant les droits fondamentaux et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme depuis 1962, il a considéré que ces droits revêtaient deux aspects : le premier, qui échappait au contrôleur général, concernait le traitement judiciaire des personnes incarcérées ; en revanche, la situation des détenus dans les lieux privatifs de liberté relevait bien de sa compétence (santé, transfèrement, menottage, traitement médical...).

Il a considéré que la mission du contrôleur général serait de dénoncer les abus, les prévenir, remonter aux causes qui les induisent, aiguillonner.

a regretté deux insuffisances de la loi de 2007, la première tenant à l'information du contrôleur général qui devrait pouvoir demander à l'administration la communication préalable des informations sur l'établissement visité, la seconde étant son incompétence en matière de conditions de travail du personnel. Il a redouté, à cet égard, le « syndrome du frère de l'enfant prodigue » chez les personnels de l'administration pénitentiaire et des autres établissements privatifs si l'institution du contrôleur général était comprise par eux comme une déconsidération de leur travail.

Enfin, le candidat proposé a considéré que les méthodes de travail du contrôleur général devaient reposer sur l'établissement de relations de confiance avec l'administration et l'ensemble de ses personnels, les autres corps de contrôle, les associations, les détenus et leur famille. Il a affirmé que le contrôleur général ne devrait pas être un élément de confusion supplémentaire.

Son activité devrait donc atteindre un équilibre difficile entre les exhortations inutiles et l'écho bavard.

Il a rappelé que les crédits alloués au contrôleur général lui permettraient de s'entourer d'une équipe réduite d'une vingtaine de personnes. Il en a approuvé le format en la souhaitant diverse et non spécialisée par catégorie de locaux de détention. Il a souligné la vertu des rassemblements de cultures professionnelles variées, en particulier pour la compréhension des faits.

a affirmé qu'il ne souhaitait pas l'institution de contrôleurs régionaux, le contrôleur général devant disposer d'une vision d'ensemble du domaine.

Abordant la mise en oeuvre de la mission du contrôleur général, il a avancé la diversité des visites qu'il devrait effectuer (programmées, spontanées à partir de signalements, inopinées même s'il ne fallait pas en abuser). Il lui paraissait évident que, dans certaines circonstances, le contrôleur général n'aurait pas sa place (mutineries, déménagements à la suite d'inondation ...).

Evoquant, enfin, le rapport annuel que devrait élaborer le contrôleur général, il a marqué l'importance du document destiné au Parlement fondateur de cette institution sur laquelle les parlementaires porteraient un regard critique. Il a noté que le contrôleur acquerrait une magistrature d'influence par ses écrits.

En conclusion, M. Jean-Marie Delarue a indiqué mesurer l'enjeu de la mise en place de cette nouvelle institution sur le long terme et a considéré que la future loi pénitentiaire devrait faciliter sa tâche.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

a déclaré que le premier contrôleur général déterminerait le développement futur de l'institution et insisté sur l'urgence d'une loi pénitentiaire à condition qu'elle soit ambitieuse.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

s'est interrogé sur la création par le projet de révision constitutionnelle d'un Défenseur des droits des citoyens qu'il ne souhaitait pas voir absorber l'institution du contrôleur général. M. Jean-Jacques Hyest, président, a alors rappelé que le Sénat avait marqué sa volonté de créer un contrôleur général autonome. M. Jean-Pierre Sueur a poursuivi en notant que les dernières modifications de la loi pénale provoquaient l'augmentation de la population pénitentiaire et donc une situation qui resterait insoluble malgré l'achèvement futur du programme de construction en cours. Il a interrogé le candidat proposé sur la question de la sortie de prison.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Borvo Cohen-Seat

Après lui avoir fait part de toute sa confiance, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat a interrogé M. Jean-Marie Delarue sur les rapports du contrôleur général avec le futur Défenseur des droits des citoyens. Elle a également douté de l'adéquation des moyens alloués au contrôleur général à la mission qui lui était dévolue. Elle a demandé, en conséquence, au candidat proposé s'il distinguait des priorités urgentes.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-René Lecerf

a posé la question de l'attribution au contrôleur général d'une mission d'expertise ainsi que d'un rôle de liaison entre les différentes catégories de personnels qui travaillent ensemble mais se parlent peu (comme les personnels pénitentiaires et médicaux).

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Fauchon

a déclaré souscrire à toutes les indications exprimées par le candidat proposé pour la mission de contrôleur général. Il lui a demandé des éclaircissements sur le modèle anglais.

Debut de section - PermalienPhoto de Alima Boumediene-Thiery

a interrogé M. Jean-Marie Delarue sur la conclusion d'un éventuel partenariat avec les diverses associations intervenant dans ce secteur.

Debut de section - Permalien
Jean-Marie Delarue

a apporté les réponses suivantes :

- il est convenu que plusieurs motifs militaient en faveur de la création d'un défenseur des droits des citoyens, comme le foisonnement des organismes administratifs qui posait la question de leur utilité ou la symbolique forte qui s'attacherait à l'extension de ses compétences aux prisonniers. Toutefois, pour le présent, ils ne lui paraissaient pas convaincants. En effet, le contrôleur général avait été institué en 2007 à l'issue d'un débat approfondi, les engagements internationaux de la France militaient en faveur d'un mécanisme de contrôle autonome et la mise en place d'un organisme susceptible de couvrir l'ensemble des Droits de l'Homme, de nature très variée, apparaissait impossible ; enfin, l'état de délabrement des prisons françaises, notamment décrit par le Sénat, requérait un traitement particulier ;

- l'achèvement du programme de construction en cours laisserait un déficit de 6.000 places. Pour lui, le renforcement de la répression pénale devait s'accompagner des moyens correspondants. De même, le renoncement annoncé aux grâces collectives et aux lois d'amnistie conduisait à réexaminer le système d'aménagement des peines ;

- une de ses priorités visait au rapprochement de la vie des prisonniers au plus près de celle des citoyens ordinaires ;

- le rôle d'expertise du contrôleur général, qui devrait centraliser l'ensemble des rapports d'inspection, découlerait du sérieux de ses comptes rendus d'activité ;

- sans se prononcer sur l'ensemble du système anglais, il a toutefois précisé, que, dans ce pays qui connaît un taux d'incarcération très élevé, le contrôleur général s'y distinguait de l'ombudsman ;

- l'établissement, par le contrôleur général, de relations de confiance avec les associations lui paraissait normal, mais en raison de la spécificité de sa mission, il ne devrait pas s'agir de partenariat.

La commission a procédé à la désignation des candidats pour faire partie de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi renforçant les mesures de prévention et de protection des personnes contre les chiens dangereux.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Elle a désigné MM. Jean-Jacques Hyest, Jean-Patrick Courtois, Dominique Braye, René Garrec, Yves Détraigne, Jean-Claude Peyronnet et Mme Eliane Assassi comme membres titulaires et MM. Nicolas Alfonsi, François-Noël Buffet, Jacques Gautier, Jacques Mahéas, François Pillet, Jean-Pierre Sueur et François Zocchetto, comme membres suppléants.

Après l'audition, la commission a débattu de la candidature proposée. Elle a décidé, à l'unanimité, d'émettre un avis favorable à la nomination aux fonctions de contrôleur général des lieux de privation de liberté de M. Jean-Marie Delarue.

La commission a, en outre, exprimé sa volonté unanime de maintenir l'autonomie du contrôleur général et donc de ne pas souscrire, lors du prochain débat sur le projet de révision constitutionnelle, à sa fusion avec le Défenseur des droits des citoyens.