Nous poursuivons nos auditions sur le thème « La vie chère outre-mer : une fatalité ? » en accueillant M. Henri Havard, sous-directeur des droits indirects, accompagné de Mme Sandrine Le Gall, chef du bureau « fiscalité, transports et politiques communautaires », et de Mme Laurence Jaclard, chargée des relations institutionnelles.
La vie chère outre-mer, une fatalité ? » Question complexe ! Ma réponse écrite rappellera notamment l'ensemble de l'histoire de l'octroi de mer depuis le droit de poids. Avant de détailler les chiffres, je vous propose de resituer la question posée au regard du périmètre de ce qu'est la « vie chère ». Évidemment, la DGDDI regarde cette question sous le prisme particulier de la fiscalité, il s'agit des droits d'accises qui touchent les produits de consommation : alcool, tabac, carburants. Ces questions trouvent des répercussions dans l'actualité immédiate, notamment à La Réunion et à Mayotte. Les problématiques fiscales ne sont pas minces au regard de la question de la vie chère mais ne la recouvrent pas toute entière.
De nombreux facteurs contribuent à des écarts de prix entre l'outre-mer et la métropole. Il y a les écarts structurels tenant à la géographie, à l'étroitesse des marchés, aux circuits logistiques, aux intermédiaires, aux frais de transports, aux frais portuaires et, nous semble-t-il à la lumière d'avis plus autorisés que ceux de la DGDDI, à une concurrence insuffisante sur les marchés de gros et de détail induisant un niveau élevé de marges.
Sans revenir trop en arrière, un mot tout de même sur l'avis de l'Autorité de la concurrence sur l'importation et la distribution dans les DOM, dans la période consécutive à la crise de 2009. La mission sénatoriale de cette époque avait déjà étudié la question de l'octroi de mer. L'exigence de transparence sur les prix nous paraît une excellente chose.
Outre la concurrence, un autre phénomène joue, qui concerne tous les marchés : la hausse du prix des matières premières. Très clairement, dans la détermination du prix, notamment sur des produits de très grande consommation comme les carburants, il y a un effet prix lié au cours du brut.
Selon l'Insee, la hausse des prix dans les départements et collectivités d'outre-mer (DCOM) n'est que de 2,1 %. Ce chiffre est très loin de la réalité perçue par les consommateurs dans un certain nombre de secteurs. Cet écart accroît la nécessité de la réflexion que vous entreprenez. Ces 2,1 % s'expliquent essentiellement par la stabilisation des prix des produits manufacturés qui compense assez nettement la hausse des prix de l'énergie. Je vous renverrai sur ce point aux travaux de mes collègues de l'Insee.
De fait, il nous semble que la fiscalité que gère la douane pèse d'un poids relatif sur le prix de base. Elle n'est que l'un des éléments de la hausse des prix, non son seul déterminant. Voilà le message important que nous venons vous délivrer.
Second point de mon propos sur la fiscalité douanière elle-même. D'abord, la fiscalité vise à percevoir des recettes mais elle vise aussi, parfois, d'autres objectifs : environnement, santé publique, modification des comportements... Pour 2011, le total des perceptions douanières en outre-mer a été de 2,349 milliards d'euros : 1,48 milliard d'euros pour l'octroi de mer, 460 millions d'euros pour la taxe sur les carburants (TSC), 383 millions d'euros pour la TVA, 221 millions d'euros pour les droits sur le tabac, 61 millions d'euros pour les droits de douane, 48 millions d'euros pour les droits sur les alcools et 125 millions d'euros de droits divers (taxe d'embarquement, etc.).
Pour les besoins des travaux de votre délégation, nous avons calculé ce qui revient à l'ensemble des collectivités territoriales d'outre-mer : pour 2011, 1,7 milliard d'euros, soit 74 % des recettes, ce qui n'est pas négligeable. Donc les trois quarts des produits perçus par la douane en 2011 reviennent aux collectivités d'outre-mer. Cela pose la question de l'alternative qui pourrait être trouvée, sans compromettre les recettes des collectivités ?
L'octroi de mer, sujet emblématique, est un outil de stratégie économique, ayant vocation à compenser les handicaps des DOM. Il est imparfait, certes, frappe les biens, non les services, avec un système d'écarts de taxation complexe à comprendre, mais il sert l'objectif de développement et me paraît indispensable au financement des activités des collectivités territoriales. La fiscalité, dans ce cas, sert à la fois à procurer des recettes et d'outil de politique économique dans les mains des collectivités territoriales d'outre-mer.
Sur le caractère inflationniste de l'octroi de mer, je note que l'Autorité de la concurrence estime dans son rapport de 2009 que les frais d'approche et l'octroi de mer en particulier ne suffisent pas à expliquer l'intégralité des écarts de prix. Nous nous sommes livrés à un petit travail, que je peux reproduire sur tous les produits pour lesquels vous m'en ferez la demande. À La Réunion, l'importation de tongs est un exemple concret et éloquent. Le prix est de 60 centimes d'euros à l'arrivée à la douane pour une paire de tongs. À cette assiette s'applique un taux de 6,5 % d'octroi de mer et de 8,5 % de TVA, soit 8 cents de taxes. On arrive à un prix de 70 cents, alors qu'elles sont vendues dans le commerce de détail au minimum 10 euros... Ce qui se passe entre ces deux moments n'est très clairement pas imputable à la fiscalité... Le taux de 15 % de fiscalité, au total, est élevé, mais il porte sur la valeur d'importation, et non sur le prix de vente !
Je pourrais multiplier les exemples pour montrer que la fiscalité, certes, participe au prix, mais dans une proportion relativement modérée qui, par surcroît, procure des recettes aux collectivités pour se financer et financer des stratégies économiques et sociales.
Le rendement n'est pas la seule préoccupation. La fiscalité sur les tabacs, qui représente 221 millions d'euros de recettes pour les quatre départements de La Réunion, de Martinique, de Guadeloupe et de Guyane, poursuit un autre but - de santé publique - et le taux en est fixé par les collectivités.
Je prends d'autres exemples : les taux réduits sur les rhums d'outre-mer sont-ils justifiés ? N'est-ce pas une niche fiscale puisque, outre le contingent rhumier outre-mer, le taux réduit s'applique à la mise à la consommation ? Mais il y a là une autre visée, économique, de protection d'une production locale, sachant que 20 000 emplois environs sont en jeu.
Nous réfléchissons à des pistes alternatives s'agissant de l'évolution de l'octroi de mer. En effet, le système actuel est autorisé par la Commission européenne jusqu'en 2014. Le gouvernement plaide pour que cette autorisation soit prolongée, dans la ligne des préconisations du rapport de la mission commune d'information sur la situation des DOM, car elle permet d'apporter un soutien aux économies domiennes. Par exemple, il ne me paraît pas incongru que la taxation des autres alcools que le rhum soit relativement élevée.
L'écart entre le ressenti et la réalité m'amène à poser la question : quel est le pouvoir d'achat réel sur le panier de la vie courante ? A priori, le différentiel moyen des prix n'est pas très important mais sur certains produits, notamment ceux de première nécessité, l'écart est très substantiel.
Sur ce même point, je pense qu'il faut crever l'abcès. On doit nous éclairer sur cette histoire de ressenti. À La Réunion, on parle de 50 % d'écart entre les prix de métropole et d'outre-mer. Le document de l'Insee mentionne un panier de consommation locale moins cher en Guyane, en Martinique, en Guadeloupe, par rapport au panier national ! Et si on prend le panier métropolitain, on tombe sur d'autres chiffres. Comment éclaircir la situation ? Certaines associations ou la DGCCRF, parviennent à un résultat très différent en matière d'écart des prix. Il faut sortir le plus rapidement possible de cette confusion qui risque de produire de gros effets pervers sur le terrain.
Parler de prix « ressentis » me paraît dangereux, je ne sais pas faire ça. On a des experts, des organismes, qui doivent pouvoir mettre en place des procédures incontestables.
Je comprends et partage une partie de vos interrogations ; il y a une difficulté d'ordre méthodologique qui mérite qu'on s'y arrête. Je crois que les travaux entrepris sur les prix des produits de première nécessité, par l'observatoire des prix de La Réunion notamment, sont d'excellents instruments de mesure ; ils mesurent l'écart au fil du temps sur les produits achetés couramment par les ménages. La méthode statistique ajoute des produits manufacturés qu'on achète à fréquence moins grande que les produits alimentaires et qui donc pèsent moins dans le ressenti de hausse des prix. Ça tombe sous le sens. Mais il y a un vrai sujet sur le marché des carburants, où la structure des marges est connue puisqu'un décret administre les prix. Nous devrions être en mesure d'objectiver la situation sur ce que sont les niveaux de prix réels pour les populations.
Ensuite, se pose la question de ce à quoi on compare ces prix. Au pouvoir d'achat moyen ? Au revenu moyen ? Aux bas salaires ? Il ne m'appartient pas d'y répondre, mais c'est une question importante.
Tout ce qui contribue à la transparence pour les consommateurs est une bonne chose. Les États généraux de l'outre-mer - où nous avons participé à un certain nombre d'ateliers - ont évoqué la suppression de l'octroi de mer, « cet impôt d'un autre temps ». Le fait que le coût du fret rentre dans l'assiette d'imposition de l'octroi de mer externe fait débat. Certains économistes affirment par ailleurs que l'octroi de mer masque des surmarges, comme je l'ai montré avec l'exemple des tongs. Il est clair cependant que l'étroitesse des marchés, le manque de concurrence dans la distribution, compliquent aussi la donne.
Concernant les impacts fiscaux sur les prix, je le répète, pour un certain nombre de taux, ce sont les collectivités qui décident : je songe à la taxe spéciale sur les carburants par exemple, qui participe au renchérissement du prix, et dont le taux est fixé par le conseil régional. Une politique de transparence sur les taux pratiqués et leurs conséquences serait utile. Sur les carburants et produits pétroliers, l'État ne perçoit aucune fiscalité dans les DOM.
Outre la question des écarts de prix, a-t-on au moins une vision claire de la répartition des revenus dans ces territoires ? Le prix est aussi le résultat de la demande, donc le niveau des revenus n'est pas indifférent au niveau des prix. Quid de la rémunération des fonctionnaires en outre-mer ?
Notre administration ne dispose pas de la ventilation en déciles des revenus mais mes collègues de Bercy doivent en disposer. Il est certain que des facteurs de revenus pèsent sur les prix.
Le 2,1 % de l'Insee ne tient pas debout, il n'y a qu'à aller dans un DOM pour s'en rendre compte concrètement. Il serait intéressant de voir quel est le prix d'une paire de tong en métropole ?
Deuxièmement, où en est votre réflexion sur l'inclusion des coûts du fret dans l'assiette de l'octroi de mer ?
Enfin, où en est-on sur la réflexion concernant une fiscalité de substitution ?
S'agissant de l'assiette de l'octroi de mer, nos réflexions sont contraintes par les positions de la Commission européenne. Elle n'est pas fermée mais veille à ce que la règle soit respectée. Il y a un débat au sein même des directions européennes : les DG taxation et union douanière ont un oeil favorable sur ce mécanisme, mais la DG concurrence y voit une taxe d'effet équivalent à un droit de douane à proscrire. Les discussions sont en bonne voie et les échanges fructueux.
Notre volonté est en tout cas de respecter scrupuleusement la réglementation européenne afin de ne pas mettre en péril cette recette. Il n'est pas inutile, notamment, que certaines délibérations rétroactives prises par les conseils régionaux soient signalées à l'attention des préfets, pour exercer un contrôle de légalité. Il ne faut pas que l'on puisse dire que la France ne respecte pas la réglementation européenne.
Votre question de la substitution est une vaste question. Quel impôt dégagerait un produit d'environ 1 milliard d'euros, sur une assiette large ? À ma connaissance, il n'y en a qu'un, c'est la TVA. Mais cela poserait la question de l'inclusion des services dans l'assiette. Ça serait théoriquement cohérent, mais l'inclusion des services dans l'assiette posera la question du transfert de l'économie informelle à l'économie formelle. Il faudra généraliser le système de facturation : est-il opportun d'imposer de nouvelles contraintes aux très petites entreprises, parfois informelles ? La fiscalité actuelle, perçue une seule fois en amont, est simple et efficace ; aucune marchandise n'y échappe, sauf si elle entre en pure contrebande ; et cette fiscalité laisse le cycle économique se dérouler en aval sans intervention.
Sans compter qu'une substitution par la TVA retirerait de leur pouvoir fiscal aux collectivités.
L'octroi de mer, dites-vous, n'est pas déterminant. Tout de même, il frappe à l'importation du produit. Est-ce que cela ne favorise pas l'inflation dans la mesure où les frais de stockage sont inclus dans l'assiette, ce qui impacte les prix des produits ?
C'est difficile à dire...
Je vais faire un parallèle avec la TVA à l'importation. Il n'est pas anormal qu'elle porte aussi sur les coûts directement liés à l'importation, notamment le coût de location du conteneur. Sinon, cette prestation annexe, associée à l'importation, échappe à toute taxation. Notre souci est aussi d'avoir le système le plus simple et le plus fluide possible. Actuellement, le système des frais accessoires, s'agissant de la TVA à l'importation, est parfaitement accepté par les opérateurs.
L'État pourrait mettre en place une baisse de TVA avec un engagement de baisse des prix, mais on sait que les résultats sont extrêmement difficiles à contrôler...
Dans le contrôle des prix des carburants à La Réunion, on peut suivre précisément la contribution de chacun. Les collectivités ont pris leur part, les pétroliers aussi. Mais cela est possible du fait du caractère administré des prix des carburants. Dans les autres secteurs, comment mesurer l'effet réel d'une baisse de TVA ? Rentrer dans un gigantesque système de prix administrés produit par produit me semble difficile.
Enfin, combien de centimes sont liés aux frais accessoires ? Assez peu, j'en suis certain.
La question de l'énergie est essentielle outre-mer et pourtant les prix des carburants sont administrés depuis le décret de 1988. Le patron s'appelle l'État et il y a pourtant de sérieux dysfonctionnements.
Dans certains domaines, comme les produits d'entretien, les prix à l'importation, chez moi, sont doublés voire triplés pour le client final.
Dans mon exemple, sur les tongs, cela va de 1 à 15 !
Moi, je suis un républicain. Réguler, réguler, voilà le maître-mot.
Lorsque je reçois la facture des médicaments que j'importe pour mon officine, la douane l'a vue avant moi. Disposant de ces pièces-là, comment peut-on encore ignorer le niveau réel des prix à chaque stade ?
Le rapport de juillet 2009 de M. Éric Doligé a constitué une avancée, poursuivons-la ! Comparons les prix d'importation et les prix de vente au détail.
Oui ou non nos services de l'État ont matière à dire : il achète X euros à la centrale d'achat, d'Europe ou d'ailleurs, et voilà combien il vend ? Les tongs - les « savates » on appelle ça chez nous - sont vendues jusqu'à 20 à 30 euros : cela ne relève-t-il pas de l'excès ? Elles viennent de Chine et le prix à la douane est de 60 centimes. Regardons quelle est la part de nos importations venant d'Asie, en particulier.
Je veux du concret et je demande aux services de l'État, qui savent ce qui est importé, quels sont les prix d'importation et les pays d'origine. L'État dispose des moyens de la transparence.
Nous avons trois portes d'entrée en Guyane : le Port de Degrad-Des-Cannes et les frontières avec le Brésil et le Surinam. Y a-t-il des différences de prix selon la porte d'entrée ?
On va regarder, si vous avez un produit en particulier auquel vous pensez.
Il serait intéressant pour nous de savoir si les collectivités territoriales suivent une stratégie de développement en fixant les taux d'octroi de mer.
Nous disposerons dans deux mois des travaux d'un cabinet sur ce sujet, mené dans la suite des travaux du conseil interministériel de l'outre-mer.
Pour répondre à M. Michel Vergoz, oui, la provenance des produits est connue pour chacun des départements d'outre-mer ; mais les marges pratiquées, non. Je rappelle qu'en dehors du carburant, les prix sont libres depuis l'ordonnance de 1986. Il n'entre donc pas dans nos missions de contrôler les prix, même si la direction de la concurrence surveille les marges.
Michel Vergoz vous a interpellé sur la composition du panier : nous n'avons pu obtenir d'information de la DGCCRF. Il nous faudrait pourtant en connaître précisément la composition pour mesurer l'impact de l'octroi de mer sur le coût de la vie.
La réponse est donc : oui, les douanes connaissent les prix d'achat des marchandises et leurs provenances. Mais pouvez-vous nous donner un pourcentage de marchandises qui proviennent plutôt d'Asie que d'Europe ?
Je vous fournirai ces données, pays par pays ou continent par continent.
S'agissant de la composition du panier, c'est en effet une question clé. Un accord n'a-t-il pas été signé sur les prix de onze produits de première nécessité ? Je peux regarder sur ces produits ce que sont les effets de l'octroi de mer. Mais seul l'observatoire des prix peut vous dire quel est le panier-type.
Je faisais allusion au panier de l'Insee. Il y a tellement de paniers ! Il y a même des chariots !
Il doit bien exister un ordinateur capable de nous donner des pourcentages de provenance.
Les importations sont enregistrées, on connaît donc les provenances, que l'on peut vous fournir par agrégats, produits alimentaires, textile, etc.
Les services de l'État ne contrôlent plus les prix, dites-vous. Mais ils restent en mesure de donner une photographie. La crise de la vie chère a été très grave : l'État ne peut renoncer à un rôle d'analyste, pour fixer sa stratégie.
Sur le niveau des prix, nous avons beaucoup travaillé sur le rapport de l'Autorité de la concurrence, qui s'est livrée à une analyse très fine sur les produits de consommation courante. Depuis 2009, les choses ont sans doute un peu évolué, mais les développements tels que celui sur le coût du fret maritime restent d'actualité.
Nous attendons votre réponse écrite au questionnaire et vous remercions d'être venus.
Délégué général de la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution (FCD), je suis accompagné aujourd'hui par M. Claude Risac, directeur des relations extérieures du groupe Casino, mais également trésorier et, surtout, responsable des questions relatives à l'outre-mer au sein de la FCD.
La FCD représente le commerce à dominante alimentaire sur l'ensemble du territoire, avec la plupart des grandes enseignes, à l'exception d'Intermarché et Leclerc. Nous représentons également quelques enseignes non alimentaires, comme Décathlon, Darty, Boulanger ou Go Sport.
Outre-mer, la situation est spécifique : les entreprises de distribution sont des franchisées des grands groupes, et ne sont donc pas adhérentes directes de la FCD, même s'il arrive, comme à La Réunion, qu'existe une fédération locale, qui reste cependant autonome.
Nous sommes compétents sur toutes les questions économiques, juridiques, fiscales ou sociales. C'est ainsi que nous négocions la convention collective qui s'applique aux 750 000 salariés du secteur. Notre chiffre d'affaires, de 180 milliards d'euros, fait de nous l'une des branches professionnelles les plus importantes. Notre secteur est celui qui recrute le plus de jeunes, souvent faiblement qualifiés. À La Réunion, nous sommes, comme dans beaucoup d'autres territoires, le principal employeur privé.
Le commerce représente une part importante du secteur marchand outre-mer : nos adhérents emploient plus de 15 000 salariés dans les cinq départements d'outre-mer (DOM). Avec la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française, on atteint environ 20 000 emplois directs, avec les mêmes caractéristiques qu'en métropole : un emploi féminin (61 % de femmes), jeune (la moitié des salariés a moins de 35 ans) et très majoritairement en contrats à durée indéterminée (89 % du total).
Nous sommes un partenaire très important de l'économie locale : 20 à 30 % des achats des surfaces alimentaires sont locaux, pour environ 1 milliard d'euros. À La Réunion, les enseignes de la Fédération locale distribuent entre 65 et 90 % des productions locales de certaines filières (boeuf, oeufs, volaille...).
J'ai suivi, vécu, étudié le cortège des crises de ces dernières années. La première des sources documentées est l'INSEE, autrement plus fiable que les relevés ponctuels. Les prix à la consommation sont beaucoup plus élevés qu'en métropole, - jusqu'à 50 % a-t-on dit. Mais il faut prendre en compte la structure comparée des paniers métropolitains et ultramarins : alors, l'écart est de 22 % pour la Guyane, de 14 % en Martinique, 11 % à La Réunion et 9 % pour la Guadeloupe. Les écarts de prix ont également été étudiés en 2009 par l'Autorité de la concurrence qui s'appuyait sur les données fournies par la DGCCRF : les prix sont liés à l'étroitesse des marchés, aux coûts d'approche, à la cherté du fret et aux frais de stockage.
Il faut cependant nuancer : ainsi, La Réunion dispose d'une industrie alimentaire propre, mais le développement endogène reste un objectif à atteindre dans les autres DOM.
La fiscalité spécifique pèse aussi : l'octroi de mer est un obstacle au jeu concurrentiel, même s'il a sa légitimité. Il encourage les politiques de prix élevés et n'incite pas à l'amélioration de la compétitivité.
Troisième document utile, celui de la DGCCRF à l'occasion de la crise de Mayotte à l'automne 2011, sur le poulet et la viande. M. Stanislas Martin conclut que les distributeurs travaillent à marge nette proche de zéro, voire à marge négative sur la viande de boeuf : voilà qui contredit l'intuition...
Les marges commerciales - la marge brute, pas le résultat net avant charge - de la distribution sont-elles plus élevées outre-mer ? Elles atteignent 20 à 25 % à La Réunion, 25 à 26 % aux Antilles, pour une moyenne de 23 à 24 % en métropole, selon l'Autorité de la concurrence. S'agissant des marges économiques, c'est-à-dire l'excédent brut d'exploitation rapporté à la valeur ajoutée, elles atteignent 14 % en Guadeloupe, 21 % en Martinique, 24 % à La Réunion, contre 27 % en métropole en 2007. Quant aux résultats nets, il faudra attendre le rapport de l'Observatoire des prix et des marges, institué par la loi de modernisation de l'économie.
Dans les DOM, il existe une véritable concurrence, contrairement à ce qu'on peut penser. Ainsi, à la Martinique, le premier distributeur ne détient que 17 % de parts de marché. Dans la plupart des DOM, les cinq grandes enseignes nationales sont présentes.
Les employeurs ont ainsi une fonction sociale, ce qui participe aux coûts d'exploitation : on emploie plus de monde - environ 40 % - outre-mer qu'en métropole.
Reste que les ultramarins sont pénalisés par des prix plus hauts : tout le monde ne bénéficie pas des « sursalaires ». On pourrait assouplir la réglementation relative à l'implantation des grandes et moyennes surfaces, pour renforcer la concurrence et la baisse des prix, tout en favorisant la production locale. La densité commerciale est plus faible en outre-mer qu'en métropole. Il faudrait favoriser la structuration et le développement de filières de production locale (coopératives, interprofessions...) : à La Réunion, la distribution s'est ainsi impliquée dans la constitution d'une filière de salaison, d'élevage. Il n'en va pas de même aux Antilles, ces industries ne se sont pas développées autant. La distribution est pourtant prête à jouer le jeu de la production locale. Il n'est pas normal qu'à Mayotte n'existe pas de « filière poulet ». Nous sommes prêts à accompagner sa création. Il y a d'autres problématiques : ainsi, aux Antilles, les pêcheurs préfèrent souvent vendre eux-mêmes leurs produits plutôt que passer par la grande distribution. Il y a aussi le problème des oeufs aux Antilles...
Mais elle est insuffisante : à partir d'une certaine heure, ils manquent sur les rayons. En fait, en matière de maraîchage notamment, les producteurs sont très individualistes : ils doivent s'organiser ! La distribution ne demande que cela.
Quelques autres propositions : nous sommes pour le renforcement des observatoires des prix locaux. Ils doivent se servir de l'expérience de l'observatoire des prix et des marges en métropole. Ce sont des outils de transparence indispensables. Les modalités d'application de l'octroi de mer doivent être révisées, même si nous sommes conscients de son importance pour les collectivités : il porte sur le produit et sur le fret, si bien que les effets de la moindre hausse du prix du pétrole sont démultipliés sur le prix au détail.
Il faut diversifier l'approvisionnement en allégeant la réglementation sur les normes des produits importés, ouvrir des moyens de communication avec l'environnement régional pour faciliter les échanges : je pense notamment à l'océan Indien, où les territoires français et non français pourraient se spécialiser et échanger de façon complémentaire.
Quelques exemples de prix : dans le prix d'un kilogramme de pâtes à la Martinique, 53 % correspond au prix d'achat, 9 % au transport, 14 % à l'octroi de mer, 8 % au stockage et à la livraison, 14 % à la marge commerciale du distributeur et 2 % à la TVA. Il en va de même pour le beurre de marque à La Réunion : 0,15 € pour le prix de départ, 0,36 € après le fret, 0,51 € de prix de revient en magasin qui devient 0,57 € pour le prix de vente au public.
Se pose, ne l'oublions pas, la question du mode de vie. L'outre-mer est riche de certains produits d'exception - je pense notamment aux poissons. L'idée qu'on doit consommer exactement les mêmes choses en outre-mer, idée dont nous sommes collectivement responsables, n'est pas bonne. Faut-il importer, parfois en avion, des confiseries produites en métropole, parce que les enfants en réclament ? Une question de modèle de production et de consommation se pose donc également.
Les groupes affiliés à la FCD ont-ils fait des tentatives pour produire localement ? 40 % de salariés de plus qu'en métropole, dites-vous. Pouvez-vous préciser ces chiffres ? Tenez-vous compte, dans la fixation des prix, du pouvoir d'achat local ? Avez-vous, géographiquement, repéré quels produits pourraient être achetés dans les zones régionales concernées pour abaisser les prix au public ? On a constaté que les importateurs-grossistes prenaient parfois des marges confortables et que certains maillons de la chaîne cumulent parfois les fonctions et donc les marges afférentes.
Oui, le métier d'agent existe pour certaines grandes marques, c'est un héritage de l'histoire. Les enseignes ont considéré que les DOM représentaient un métier spécifique : elles ont donc des agents sur place, qui prélèvent leur « dîme ». C'est une pratique ancienne, mais les contrats d'exclusivité ont tendance à reculer. L'objectif n'est pas de maquiller les marges : c'est seulement un héritage de l'histoire.
Les productions locales ? Intermarché fait un travail remarquable en matière de pêche. Les distributeurs ne sont pas des industriels, mais ils doivent être présents dans les filières : ils ne peuvent pas se désintéresser de la production locale.
Le pouvoir d'achat ? C'est l'affaire de chaque enseigne. La part de l'alimentaire est légèrement plus importante outre-mer qu'en métropole. Je m'étonne d'ailleurs que, quand il y a des mouvements sociaux, cela porte toujours sur l'alimentation, jamais sur la téléphonie ou l'automobile...
Parce que manger est une nécessité !
M. Doligé a évoqué l'approvisionnement régional. Pourquoi ne fait-on pas en sorte, par exemple, que la Guyane s'approvisionne en boeuf brésilien ? Les normes européennes jouent très certainement un rôle.
En effet. Il y a également des exemples en matière de fruits et légumes. On avance souvent l'argument de la traçabilité, mais il ne faut pas caricaturer. Le Brésil a développé des contrôles sur ses agriculteurs qui valent largement ceux de l'Union européenne.
Pas toujours, à cause de l'étroitesse du marché : les usines tournent en sous-capacité. Il faudrait organiser un marché aux dimensions régionales.
Pour les fruits, les prix sont assez voisins de ceux pratiqués en métropole.
Je précise : les produits élaborés sur place ne sont pas forcément moins chers, mais ils créent des emplois.
Puissiez-vous dire vrai ! Mais si la production de poulet à La Réunion se délocalisait à Madagascar ? Il faut voir les choses globalement.
Intermarché, avec la pêche, ne joue pas pour les DOM, mais pour lui seul : il cherche la plus-value à son seul profit. Le bon sens serait pourtant de travailler la main dans la main. Nous avons une zone économique exclusive, riche en poisson, mais personne ne vient nous tendre la main : les bateaux restent au large...
La FCD n'inclut pas les DOM, puisqu'on y fonctionne par franchises. Mais les franchisés ne bénéficient-ils pas de votre centrale d'achat ? Autrement dit, tout est bien sous le même toit... Quel développement pour les filières locales ? Quel pourcentage de produits locaux les franchisés vendent-ils ?
Les filières locales représentent, à La Réunion, 30 % de ce qui est vendu dans les magasins de mon groupe. C'est moins ailleurs, soit 20 à 30 %. Il y a une génération d'entrepreneurs à La Réunion qui a développé une industrie, que l'on retrouve moins sur d'autres territoires.
Ailes de poulet et viande, produits essentiels, combien coûtent-ils à Mayotte ? Quelle est la composition de la marge ?
M. Martin estime que, sur la viande, la marge du distributeur est proche de zéro ; le travail sur la carcasse est accompli par le distributeur, ce qui n'est pas le cas en métropole. Je vous fournirai des chiffres précis.