La commission procède à l'audition de M. Christian Leyrit, candidat désigné aux fonctions de président de la commission nationale du débat public, en application de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 relatives à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution.
Conformément à l'article 13 de la Constitution, nous entendons aujourd'hui M. Christian Leyrit, candidat aux fonctions de président de la Commission nationale du débat public (CNDP). La commission du développement durable de l'Assemblée nationale procédera à son audition plus tard dans l'après-midi. Le dépouillement des votes aura lieu simultanément dans les deux assemblées.
Après avoir exercé plusieurs fonctions au sein du ministère de l'Equipement, dont celle de directeur des routes, vous avez été préfet dans plusieurs départements et régions. Depuis 2010, vous êtes vice-président du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD). Vous nous indiquerez quelle est votre motivation, ainsi que votre feuille de route et l'impulsion que vous souhaitez donner à la Commission nationale du débat public. En particulier, envisagez-vous de renforcer la démarche de consultation publique, notamment sur des options générales de développement durable et d'aménagement du territoire ?
Je suis honoré d'être auditionné par votre commission.
J'ai passé quarante ans au service de l'État et de l'intérêt général. Mon parcours a été marqué par la continuité, mais aussi la diversité et l'alternance entre le terrain et les services centraux. J'ai d'abord été ingénieur de terrain pendant quinze ans, puis conseiller technique, pendant près de deux ans, dans les cabinets des ministres de l'équipement Maurice Faure et Michel Delebarre, en 1988 et 1989, avant d'exercer la fonction de directeur des routes de 1989 à 1999, sous l'autorité de huit ministres successifs. J'ai enfin été préfet pendant onze ans : en Charente-Maritime, dans le Val d'Oise, puis préfet de région, en Corse et en Basse-Normandie. Depuis trois ans je suis vice-président du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD), né de la fusion en 2008 entre le Conseil général des Ponts et Chaussée et l'Inspection générale de l'environnement. Le CGEDD a une mission de conseil au gouvernement, d'évaluation et d'inspection, afin de promouvoir les thématiques du développement durable, en s'appuyant sur des équipes pluridisciplinaires. Ce Conseil comprend aussi l'Autorité environnementale nationale, qui entretient de nombreux contacts avec la CNDP, et l'Autorité pour la qualité des services dans les transports, créée en 2012.
Un fil rouge a guidé ma carrière : l'écoute des citoyens et le dialogue dans l'action, dans le cadre d'une approche pluridisciplinaire et collégiale. Ecoute et dialogue avec les riverains des autoroutes de Seine-Saint-Denis, au début de ma carrière, pour la réalisation de projets d'isolation phonique ; comme, ensuite, pour le plan d'exposition au bruit autour de l'aéroport Charles-de-Gaulle dans le Val-d'Oise ; ou encore, écoute des victimes de la tempête du 27 décembre 1999 en Charente-Maritime. Ecoute et dialogue encore avec les habitants de dix-huit quartiers sensibles du Val-d'Oise, pour dresser concrètement, sur le terrain, un an après la crise des banlieues de 2005, un bilan des mesures prises : j'ai organisé de nombreuses réunions publiques avec les maires, associant tous les chefs des services de l'État, du ministère de l'Equipement jusqu'à celui de l'Éducation nationale, qui bien souvent n'avaient jamais pénétré dans ces quartiers. En Corse également, j'ai conduit des négociations pour régler des conflits dans des entreprises privées lorsque l'ordre public était menacé, en réunissant tous les acteurs jour et nuit à la préfecture pour discuter. J'ai travaillé avec les citoyens, les associations et les élus dans l'élaboration de projets autoroutiers au début des années quatre-vingt dix et joué un rôle actif dans la rédaction de la circulaire Bianco en 1992, une innovation suivie par la loi Barnier de 1995. Ecoute et dialogue enfin pour traiter de nombreuses situations de crise : neige en vallée du Rhône ou en Ile-de-France, catastrophe du Mont-Blanc ou crise laitière en Normandie, plus récemment.
Pluridisciplinarité et collégialité également. J'ai créé, à mon arrivée à la direction des routes, un collège d'experts « Environnement et paysage », regroupant à la fois des paysagistes, des architectes, des urbanistes, des historiens, etc. Sa composition lui a permis de porter une approche nouvelle : les autoroutes sont un sujet trop sérieux pour être confié aux seuls ingénieurs ! J'ai participé à la création du « 1% paysage et développement » et à la conception du viaduc de Millau : j'ai lancé la compétition internationale et présidé le jury en 1995. Ecoute, dialogue et collégialité encore, pour organiser un conseil des ministres en Corse en 1997, ou à l'occasion du 65e anniversaire du débarquement de Normandie marqué par la visite de cinq chefs d'État étrangers, dont le président Obama, même si le désir de participation du public a dû, à cette occasion, être tempéré...
Ces expériences d'ingénieur, de directeur-maître d'ouvrage, de préfet, ou de responsable d'inspection générale m'ont préparé à exercer la présidence de la CNDP qui, depuis sa constitution comme autorité administrative indépendante en 2002, a organisé soixante-trois débats publics, dont trois débats sur des « options générales », concernant les déchets radioactifs, les nanotechnologies,... En 2013 neuf débats sont prévus. Deux sont en cours, concernant le périphérique ouest de Lyon et le projet de Port-la-Nouvelle en Languedoc-Roussillon. Quatre ont trait aux projets d'éoliennes off-shore de Fécamp, Courseulles-sur-Mer, Saint-Nazaire et Saint-Brieuc. Les autres concerneront le projet Cigéo, centre industriel de stockage géologique profond de déchets radioactifs, à Bure, deux projets de canalisation et de transport de gaz naturel entre la Drôme et l'Ain et l'Ain et la Haute-Marne, et, enfin, le projet de grand stade de rugby à Ris-Orangis dans l'Essonne. En outre la CNDP a recommandé cinq concertations à des maîtres d'ouvrage et a désigné des garants pour des projets comme le tram-train de Lille ou la ligne orange du Grand Paris Express.
Ainsi, dix ans après sa création et grâce à l'action de ses dirigeants, la CNDP s'est imposée dans le paysage institutionnel français. Le temps paraît venu de faire un bilan de la participation du public.
Le cadre du débat public a été fixé au Sommet de la Terre de Rio, en 1992 : 27 principes généraux ont été proclamés. L'article 10 de la déclaration souligne que « la meilleure façon de traiter les questions d'environnement est d'assurer la participation de tous les citoyens concernés ». Ce droit à la participation et à l'information résulte à la fois d'une exigence internationale, avec la Convention d'Aarhus de 1998, d'une exigence européenne, depuis la directive de 2003, et nationale, puisque la Charte de l'environnement, en l'occurrence son article 7, a valeur constitutionnelle.
La culture du débat public s'est fortement développée, comme en témoignent l'apparition de nombreux professionnels de la concertation, la multiplication des programmes de recherche, des think tanks comme « Décider ensemble », ou les initiatives de collectivités territoriales comme Paris, la communauté urbaine de Bordeaux ou la région Nord-Pas-de-Calais. Ce n'est pas un hasard si le rapport public du Conseil d'État de 2011 s'est intitulé Consulter autrement, participer effectivement. Il formule des propositions pour parvenir à une « consultation délibérative ». La loyauté et la clarté du débat fondent la légitimité de la décision. Le sociologue Michel Callon montre que ce qui se joue dans ces débats, c'est la reconstitution du lien social à travers la reconnaissance des minorités. Egalement Georges Mercadal, ancien vice-président de la CNDP, explique que le débat n'a pas pour objectif de donner des leçons de rationalité mais de répondre aux interrogations des citoyens. Il ne s'agit pas de renoncer aux méthodes d'évaluation socio-économique mais de les articuler avec le débat public, afin de rendre la meilleure décision.
La réunion est suspendue à 14h30 en raison de l'éloge funèbre en séance publique de René Vestri. Elle reprend à 14h45.
Lors d'une consultation, la CNDP n'a pas pour vocation à donner un avis sur le fond, mais à veiller au respect des positions de chacun. C'est essentiel à une époque où le public nourrit à l'égard des institutions une méfiance, sinon une défiance, voire une révolte, comme des exemples récents le montrent. Le temps n'est plus où Paul Delouvrier pouvait redessiner, à lui seul, la carte de l'aménagement de l'Ile-de-France.
Dix ans après la création de la Commission nationale, il est nécessaire de réévaluer les enjeux. Je le ferai en prenant appui sur l'action de mon prédécesseur, avec une équipe renouvelée. Trois maîtres-mots guideront mon action : rénover, relégitimer, innover.
La CNDP doit affirmer son autorité. Il lui appartient d'articuler démocratie représentative et démocratie participative, processus d'implication et d'intéressement des citoyens à la chose publique, comme le soulignait Pierre Rosanvallon. En s'appuyant sur des chercheurs et des professionnels, elle doit actualiser sa doctrine, diversifier ses méthodes, être visible à l'international, mieux se faire connaître des citoyens. Il reste du travail !
Tout d'abord, en matière de fonctionnement, je souhaite améliorer la formation des nouveaux membres et les associer aux travaux de commissions particulières du débat public (CPDP), renouveler le vivier des présidents de CPDP - en veillant à éviter toute proximité excessive avec l'administration ou les maîtres d'ouvrage -, évaluer le déroulement de chaque débat, élargir les procédés d'expression du public grâce aux outils numériques, développer la concertation « garantie », depuis le débat jusqu'à l'enquête publique, parfois à plusieurs années d'écart. Je souhaite aussi multiplier les coopérations avec des professionnels, des chercheurs, des doctorants.
Ensuite, autre piste, il importe de mener une action volontariste en direction des futurs responsables de l'administration et des futurs maîtres d'ouvrages, issus des différents corps de l'État, des écoles de commerce, des écoles d'ingénieurs ou de l'ENA, afin que leur formation technique soit complétée d'une expertise en matière d'écoute et d'ingénierie sociale.
Enfin, il conviendra d'ouvrir notre Commission vers l'extérieur, en multipliant les contacts avec les collectivités territoriales et en favorisant l'émergence de commissions régionales ; en menant une action volontariste à l'égard des élus, des ONG, des associations professionnelles ou de la société civile ; en étudiant les pratiques des institutions étrangères afin d'améliorer nos méthodes ; en tissant un réseau à l'échelle européenne et mondiale.
A court terme le législateur a confié à la CNDP le soin d'organiser la mise en oeuvre de la loi du 27 décembre 2012 : elle doit désigner une personne qualifiée pour rédiger la synthèse des observations des citoyens sur tous les projets de décision ayant trait à l'environnement. Un décret est en préparation et une expérimentation de dix-huit mois sera lancée en avril. Un autre décret, sur les plans-programmes issus de la loi Grenelle II, est prévu également.
En 2011, le Conseil d'État proposait de confier à la CNDP une compétence générale pour contrôler l'organisation des débats publics à vocation nationale. Il appartiendra au gouvernement et au Parlement d'en décider.
C'est cet engagement de quarante ans que je souhaite poursuivre à la CNDP, pour une cause d'importance : que les citoyens retrouvent une plus grande confiance dans l'État, ses institutions, et ses représentants.
La confiance dans l'Etat est une question centrale.
Je suis convaincu que la CNDP, ou plus exactement l'équipe mandatée par elle, porte une grande responsabilité dans la mobilisation contre le projet d'aéroport de Notre-Dame des Landes. Le rapport qu'elle a livré était d'une vacuité effarante ! Les opposants se sont dit : « il y a un loup »... Toutes leurs questions étaient restées sans réponse.
Le projet d'aéroport n'est pas bon, donc l'affaire n'est pas grave. En revanche, que les bons projets retrouvent une acceptation sociale est un enjeu majeur. Pour cela, le débat public doit être indépendant de l'Etat. Comment l'ancien préfet et directeur des routes que vous êtes pourra-t-il donner le sentiment que la Commission est indépendante ? Serez-vous en mesure de dire à vos anciens collègues : vos chiffres sont tronqués, l'Etat ne joue pas le jeu ?
La culture du débat public se développe en France, avez-vous souligné. Soixante-trois débats tenus depuis dix ans, d'autres prévus prochainement... Vous rappelez que le Conseil d'Etat propose de «consulter autrement » et de donner à la CNDP un champ de compétence générale. En outre, vous insistez sur la nécessité de rénover celle-ci et de l'ouvrir sur l'extérieur. Or, pour tout cela, il faut un homme neuf. Vos éminentes qualités et votre expérience ne sont pas en cause. Mais êtes-vous en mesure d'insuffler de la nouveauté ?
Votre parcours vous qualifie sans nul doute pour traiter ces problématiques. Mais comment entendez-vous marquer l'indépendance de la Commission vis-à-vis de l'administration ? Allez-vous abandonner vos fonctions de vice-président du Conseil général de l'environnement et du développement durable et de chef du corps des ingénieurs des ponts, des eaux et des forêts ? Cet enchaînement de fonctions, sans transition, est-il idéal ? Les défenseurs de l'environnement s'interrogeront... Et comment se fait-il qu'un vice-président ait été nommé avant le président, et qu'il soit issu du cabinet de la ministre de l'égalité des territoires ? Tout cela pose problème !
J'ai été chef du corps des ingénieurs des ponts, des eaux et des forêts pendant un an seulement, après la fusion entre les deux corps, et j'ai cessé d'exercer ces fonctions en novembre 2011.
Les statuts de la CNDP sont clairs : le président est en charge de l'organisation, il n'anime pas de débats publics - à la différence des vice-présidents. Je ne serai jamais président d'une commission particulière chargée d'examiner telle ligne TGV, telle opération de traitement de déchets radioactifs.
Le CGEDD est une institution originale qui rassemble les profils les plus divers : ingénieurs, anciens administrateurs civils, personnalités issues de l'environnement, de la communication, du secteur social, vétérinaires... Cette pluridisciplinarité fait sa force : rares sont les instances qui réunissent autant de matière grise d'origines aussi diverses.
Bien sûr, pour animer les débats, il est capital que les personnes choisies ne soient proches ni de l'administration, ni des maîtres d'ouvrage. On n'imagine pas un ingénieur des ponts, des eaux et des forêts présider une commission chargée d'examiner un projet de ligne TGV ou de cantonnement routier.
J'ai depuis deux ans et demi beaucoup promu la collégialité au CGEDD. En matière de développement durable, il est assez rare qu'une même personne rassemble les compétences environnementale, sociale et économique. Quant à la déontologie, j'ai mis en place, dès mon arrivée, une commission d'évaluation de l'activité du CGEDD, composée de personnalités extérieures comme un ancien président de la Cour des comptes, des universitaires, ainsi que M. Rufenacht ou Mme Idrac...
Je ne me sens pas prisonnier d'un corps ou d'une administration et ma carrière variée en témoigne. J'ai abandonné mon corps d'origine pendant onze ans pour devenir préfet et j'ai sans doute exercé cette fonction différemment de ceux qui ont fait toute leur carrière dans le corps préfectoral. Je crois du reste qu'une plus grande mobilité entre les administrations améliorerait le fonctionnement de l'Etat.
Je suis souvent allé, autre marque d'indépendance, au contact direct des citoyens. Un an après la crise des banlieues, lorsque j'ai organisé des réunions publiques dans les quartiers les plus sensibles du Val d'Oise, les chefs de service que j'y conviais ne venaient pas la mine réjouie ! J'ai procédé de même lors de la tempête du 27 décembre 1999 en Charente-Maritime. J'ai constaté un énorme décalage entre les informations délivrées au plus haut niveau et ce que rapportaient les gens sur le terrain. De façon consciente ou inconsciente, à chaque niveau, on est soucieux de montrer que l'on gère bien les choses... En 1999, je suis allé à la rencontre des habitants, des ostréiculteurs, pour évaluer personnellement la situation.
Ce qui est important, c'est que les présidents des commissions particulières du débat public ne soient pas trop proches de l'administration ou des organismes maîtres d'ouvrage. Quelle serait leur crédibilité sinon ?
J'ai été chef de corps sans l'avoir désiré, simplement pour assurer la continuité. Soit dit en passant, j'éprouve quelques doutes sur l'intérêt des corps administratifs. C'est une notion dépassée. L'association mondiale de la route compte des membres dans 120 pays : j'ai pu constater que bien peu de pays ont une organisation de ce type...
Un homme neuf ? Durant toute ma carrière, j'ai été intéressé par l'innovation, sur les plans technique, institutionnel, comme au niveau de l'organisation. J'ajoute que ma carrière se termine. Aucune considération d'avenir professionnel ne peut donc influencer mes positions : n'est-ce pas une garantie d'indépendance ?
Autre point fondamental : entre le débat public et l'enquête publique, il s'écoule quatre ou cinq ans, parfois plus. Le garant est une bonne chose, mais il faut aller plus loin. Aujourd'hui, c'est le maître d'ouvrage qui peut demander à la CNDP de nommer un garant. Ne serait-il pas nécessaire, pour des projets importants et sensibles, que la CNDP impose au maître d'ouvrage un garant tout au long du projet ? L'information et la participation des citoyens doivent se concevoir dans un continuum.
J'ai beaucoup travaillé à l'époque sur la circulaire Bianco. Nous avions en effet constaté que le débat public intervenait beaucoup trop tardivement, au moment de l'enquête publique : le plus souvent, presque tout était joué. Nous voulions un débat en amont, sur l'opportunité, sur les aspects locaux,...
L'Autorité environnementale, présidée par M. Badré, est l'exemple même d'une autorité fonctionnant de manière collégiale. Son objet est de donner un avis, indépendant du ministère concerné. Depuis qu'elle existe, il n'y a pas eu une critique sur son indépendance. Pourquoi ? Parce qu'elle travaille de manière collégiale, délivrant à la fin de chaque réunion un communiqué de presse.
Si la CNDP est une autorité indépendante, elle doit le montrer, et cette audition devant votre commission y contribue.
Quand à la nomination du vice-président avant celle du président, elle ne dépend pas de moi. J'avais proposé que les trois nominations interviennent simultanément.
Je connais bien la CNDP, notamment pour avoir participé en tant qu'expert au débat sur un tram-train à La Réunion. Cette Commission est importante et nécessaire. A la différence des commissions d'enquête, elle examine les projets très en amont. Elle se caractérise aussi par la collégialité. Enfin, elle associe les trois parties qui, sur un projet, doivent échanger et s'entendre : les experts, les maîtres d'ouvrages et les citoyens, lesquels expriment parfois le point de vue de lobbies non désintéressés, il ne faut pas l'oublier. J'ajoute que la présidence a un rôle à jouer : c'est souvent par la tête qu'une institution fonctionne, bien ou mal...
Par malchance, à chaque fois que j'ai eu affaire à une commission particulière du débat public, elle était présidée par un ancien préfet... Il peut aussi arriver que le président d'une commission particulière soit conseiller d'un grand groupe privé intervenant, par exemple, dans le secteur des transports. S'agissant du vice-président de la CNDP, je m'interrogeais surtout sur l'opportunité de nommer une personne directement issue du cabinet de la ministre !
Quelle que soit les qualités des personnes, ce sont des pratiques sur lesquelles il faut se pencher.
La CNDP pratique une large collégialité, étendue par le Grenelle de l'environnement. Nous comptons 25 membres, parmi lesquels des parlementaires, des fonctionnaires de la Cour des comptes, de la Cour de cassation, du Conseil d'Etat, des représentants d'ONG, des syndicalistes... Un élément capital est la validation initiale du dossier par la CNDP. Combien de dossiers incompréhensibles pour le citoyen ! J'avais suggéré il y a quelques années que le préfet valide le dossier avant l'ouverture de l'enquête publique : certains dossiers sont difficilement lisibles par des ingénieurs, imaginez ce qu'il en est pour les citoyens !
La commission pluraliste de 25 membres a un rôle fondamental, celui de désigner les commissions particulières et leurs présidents, dont dépend la crédibilité de la CNDP. Concernant la déontologie, l'important n'est pas la valeur morale des personnes qui exercent les responsabilités. La question est plutôt : peut-on soupçonner ces personnes de liens pouvant créer des conflits d'intérêt ? Le choix des personnes qui animeront les débats est donc essentiel. Pour ma part, je ne crois pas que ce soit le rôle des experts les plus pointus - ce qui n'interdit pas de les entendre, à la demande du public.
Toute autorité indépendante rend compte de son action et de ses résultats, tant au Gouvernement qu'au Parlement. Si je suis nommé, je serai heureux de revenir devant vous aussi souvent que nécessaire : vous pouvez compter sur mon engagement, mon enthousiasme et ma détermination pour faire en sorte que chaque citoyen se sente plus écouté et associé aux décisions qui le concernent. J'ai souvent perçu, au cours de ma vie professionnelle, ce divorce entre les citoyens et les institutions et suis convaincu que la CNDP peut apporter sa pierre pour combler ce fossé.
La commission procède au vote sur la candidature de M. Christian Leyrit à la présidence de la CNDP.
Voici les résultats du scrutin : sur 13 votants, il y a 8 votes pour, 4 absentions et 1 vote contre.
La commission procède à l'audition de M. Eloi Laurent, auteur du rapport : « Vers l'égalité des territoires ».
Nous avons l'honneur d'accueillir Eloi Laurent, coordinateur du rapport « Vers l'égalité des territoires ». Monsieur le Professeur, puisque c'est l'une de vos qualités, nous sommes particulièrement heureux de vous recevoir dans notre commission. Même si sa création est très récente, je rappelle que l'aménagement du territoire, qui est en lien direct avec le travail que vous avez réalisé, figure parmi ses compétences. La ministre Cécile Duflot vous a commandé ce rapport ; nous avons appris par la presse que vous lui avez remis le 22 février. Nous sommes avides d'en connaître le contenu, puisque c'est un thème qui structure tous les travaux de notre commission, que ce soit sur le désenclavement, les infrastructures, la désertification médicale, le numérique... Je vous laisserai vous présenter vous-même. Vous avez un CV impressionnant, dont je tiens à vous féliciter. Vous avez en outre eu recours à des avis extérieurs, au moyen de contributions, ce qui vous a permis d'obtenir des éclairages différents sur la question. Nous allons entendre la ministre, mais nous souhaitions que vous nous présentiez dès maintenant votre travail et vos commentaires, qui ne seront peut être pas les mêmes.
Je vous remercie beaucoup. Je suis très heureux que la première présentation de ce rapport devant la représentation nationale s'effectue au Sénat, qui est l'assemblée des territoires, après la remise du rapport effectuée en février à Vesoul, en Haute-Saône, et sa présentation aux élus du département et de la région.
Pour me présenter brièvement, je suis économiste mais j'ai aussi une formation en sciences politiques. Je travaille beaucoup sur les questions de développement soutenable et de bien-être. J'enseigne en France et aux États-Unis. Je connais un peu la représentation nationale dans la mesure où j'ai été attaché parlementaire à l'Assemblée dans mes jeunes années. J'ai aussi travaillé au cabinet du Premier ministre il y a dix ans, donc je connais un peu le monde politique.
Après vous avoir exposé l'objectif général du rapport et la commande qui m'a été donnée, je voudrais vous présenter successivement la méthode que j'ai choisie, le plan et la structure du rapport, les nouveautés qui y figurent et enfin les directions politiques qui pourraient être prises de façon concrète pour donner corps à ce rapport.
L'objet de la commande était très vaste : il s'agissait de considérer l'égalité des territoires comme une nouvelle politique publique. J'ai commencé ma réflexion à l'été dernier, et débuté mon travail à proprement parler le 10 octobre. Il s'est donc étendu sur quatre mois, ce qui est extrêmement court. Puisque le Président de la République a souhaité mettre en place une nouvelle politique publique en matière d'égalité des territoires, l'idée était de se poser la question de savoir quelle forme cette nouvelle politique publique pouvait prendre, et ce qui la différenciait de l'aménagement du territoire. Il ne s'agissait donc pas de traiter d'un aspect d'une politique publique, mais d'une politique publique dans son intégralité, ce qui a été très intéressant. Mon premier réflexe a été de me considérer comme incompétent sur la question, et de m'entourer en conséquence de gens compétents, pour mener à bien ce travail. Je ne voulais toutefois pas créer une commission qui se réunit régulièrement et cherche à créer du consensus autour de ses rapporteurs. Je voulais rester dans le cadre d'une mission, et qu'une véritable pluralité de points de vue puisse s'exprimer.
Dans cet objectif, j'ai cherché une double pluralité de points de vue. J'ai souhaité croiser les approches des chercheurs et des responsables politiques. Le territoire se définit comme le contact entre les flux économiques et les frontières politiques. Il y a donc un volet recherche et un volet politique. Cet aspect est fondamental, puisque l'égalité des territoires est une question politique.
J'ai recueilli les contributions d'une multiplicité de chercheurs, issus de différentes disciplines. Je suis économiste, mais contrairement à certains de mes collègues, je ne considère pas l'économie comme une vérité suprême. J'ai ainsi voulu avoir l'avis de géographes, d'urbanistes, de climatologues, de sociologues... Il y a au moins cinq disciplines représentées, pour que l'on puisse avoir des angles d'approche différents, chaque discipline apportant ses propres thématiques. Au total, 37 chercheurs ont été interrogés. Ils ont remis 23 contributions (certaines étant collectives). J'ai tenté de diversifier mes sources, en faisant appel aux meilleurs spécialistes de la question en France ou aux États-Unis, comme Jacques Theys, proche du Prix Nobel, mais aussi à de jeunes chercheurs qui apportent des éléments nouveaux, comme Anne Musson, qui vient tout juste de terminer sa thèse.
J'ai également cherché à croiser les regards, en associant chaque contribution scientifique, de vingt pages maximum, à l'avis d'un responsable politique, sur cinq pages. Le rapport est donc très long (534 pages), mais il n'est pas pour autant indigeste, comme j'ai pu le lire ici ou là : il ne doit pas se lire d'un trait, mais à travers les différentes contributions ; il est parfaitement accessible. S'agissant des avis des 23 personnalités politiques, il me semble que c'est la première fois que l'on réalise un rapport de cette manière, en croisant les regards des chercheurs et des politiques. Je me suis d'ailleurs beaucoup appuyé sur le Sénat, en sollicitant Hervé Maurey sur la santé, et six autres sénateurs, y compris votre Président. Je crois même que le Sénat est l'institution la plus représentée parmi ces contributions, ce qui me semble logique puisqu'elle représente les territoires.
Un dernier point sur la méthode : nous avons créé un site Internet et mis en ligne le rapport dans son intégralité, les contributions étant accessibles directement au moyen de liens Internet, et non seulement sous la forme d'un fichier électronique. Nous y avons également associé le rapport de Thierry Wahl sur les aspects institutionnels de l'égalité des territoires.
J'en viens à la structure du rapport. Il est composé de trois parties. La première dresse un panorama des territoires français aujourd'hui. Afin de les représenter, j'ai retenu les idées de continuité et de rupture. En lisant cet été tous les rapports qui avaient été faits les dix dernières années et même au-delà, j'ai vu que l'urbanisation, qui s'est accélérée depuis vingt ans, est aujourd'hui un fait incontesté. Elle dessine une continuité, que l'on pourrait qualifier de « nouvelle continuité urbaine ». C'est d'ailleurs avec une contribution du géographe Jacques Lévy que débute le rapport. Il y traite de la notion de gradient d'urbanité, c'est-à-dire une urbanité très concentrée dans les centres-villes et qui s'étend en périphérie. La deuxième contribution évoque la première rupture territoriale, qui est la rupture sociale, avec la question de l'emploi. La troisième concerne les espaces ruraux et la question de l'accès aux services publics. La quatrième concerne les outre-mer, puisqu'il s'agit de la très grande périphérie par rapport à ce centre. La première partie part ainsi de l'idée que le territoire français peut être assimilé à une continuité urbaine avec des ruptures, des périphéries. Ce n'est pas bouleversant d'originalité, mais il fallait avoir un constat empirique pour commencer à réfléchir.
La deuxième partie traite des nouvelles inégalités territoriales. Ces dernières sont notamment dessinées par les ruptures évoquées précédemment. On ne peut plus considérer uniquement ces inégalités sous l'angle du revenu. J'en reviens à la contribution de M. Maurey : la santé, par exemple, est une question majeure. C'est une approche nouvelle des inégalités territoriales en France. La façon dont les inégalités de revenus évoluent fait débat. S'accroissent-elles ou se réduisent-elles ? En fait, la réponse dépend de l'échelle considérée (la région, le département, la zone d'emploi, l'îlot, le quartier...), du critère retenu (revenu ou PIB)... Mais au-delà de ce débat, il faut traiter des nouvelles inégalités territoriales, en matière de santé, d'environnement, d'éducation... Il y a également une plus petite partie, empirique, sur l'enjeu que constitue la cartographie. La contribution peut apparaître un peu technique, mais elle est extrêmement intéressante sur la façon de repérer les ruptures fines au niveau des territoires. Le rapport se veut en effet une boîte à outils.
La troisième partie traite des politiques d'égalité des territoires en tant que telles. Elle aborde en premier lieu la question des indicateurs, notamment les nouveaux indicateurs de développement humain et la façon dont ils peuvent être utilisés pour mieux comprendre les inégalités territoriales. Elle aborde ensuite les politiques verticales classiques, du type zonage et péréquation. Je vous renvoie sur ce point à la contribution de Daniel Béhar sur le zonage, de très grande qualité. Cette partie aborde également des approches plus nouvelles, comme l'approche sociale écologique, que j'essaie de développer depuis plusieurs années dans un certain nombre de travaux. Elle consiste à articuler les enjeux sociaux aux enjeux écologiques, faute de quoi il y aura toujours une contradiction irréductible entre les deux et on arrivera jamais à avancer sur les enjeux écologiques. On l'a très bien vu à l'occasion des débats sur la taxe carbone.
Ces trois parties du rapport sont reprises dans son sous-titre : « dynamiques, mesures, politiques ».
J'en viens à ce que je qualifie de nouveau dans le rapport. Tout d'abord, j'essaie de donner un sous-bassement théorique à l'idée d'égalité des territoires, de donner un regard politique à l'aménagement du territoire. Le territoire est toujours aménagé, que ce soit par le marché ou les pouvoirs publics. Je vous avouerai qu'au début, j'étais un peu sceptique sur le concept d'égalité des territoires. Le débat s'est très mal engagé dans le monde de la recherche, dans la mesure où l'on a tenté d'opposer le périurbain et la banlieue, voire d'avoir des approches ethniques de la question, ce qui me semble tout à fait infondé. En fait, c'est un très bon concept, parce qu'il s'agit d'assumer la dimension politique de l'aménagement du territoire, de dire qu'une action politique peut être menée au niveau du territoire. En France, l'action politique est centrée sur l'idée d'égalité, qui intéresse les Français depuis deux siècles. La notion d'égalité des territoires est en fait implicite dans l'approche de Claudius Petit.
Ma question a été la suivante : quelle est la bonne théorie de la justice pour fonder l'égalité des territoires ? Parler d'égalité au niveau des territoires et non des personnes a surpris. Or, ce qui nous intéresse, c'est bien l'égalité entre les personnes et non entre les territoires. Mais ces derniers peuvent être des vecteurs ou des entraves à cette égalité, cela a donc du sens de passer par la question territoriale pour s'interroger sur la question des inégalités entre les personnes. J'ai adopté la théorie des capacités : il faut tenter d'égaliser les capacités entre les personnes, c'est-à-dire la liberté de faire et d'être. Or, elles sont déterminées en grande partie par l'espace occupé par l'individu. Le territoire n'est pas seulement le reflet des inégalités sociales, ce que Henri Lefèvre appelait la projection au sol des inégalités sociales. Le territoire est aussi ce qui va conditionner la dynamique des inégalités sociales, la projection dans le temps. Quand vous êtes durablement piégé dans un territoire, sans mobilité, sans capacité de trouver un emploi, cela agit entièrement sur votre égalité. L'égalité des territoires a parfaitement un sens dès lors que l'on considère qu'elle joue sur les personnes et que l'on vise les capacités des personnes. Ainsi, l'égalité des territoires ne se résume pas à la question de l'opposition entre l'urbain et le périurbain. Il y a bien une théorie de la justice derrière cette idée de l'égalité des territoires.
La deuxième nouveauté consiste à considérer que les inégalités territoriales sont plurielles, et pas seulement d'ordre économique. L'approche strictement économique est dépassée, en économie comme dans les autres sciences sociales. Le développement humain est composé d'au moins trois éléments : le revenu, la santé et l'éducation. Dans les années 1990, les chercheurs ont convaincu les Nations Unies qu'il fallait aller au-delà du PIB et construire un indicateur du développement humain qui met à parité le revenu, l'éducation et la santé. Cette démarche doit être appliquée au niveau des territoires. C'est la raison pour laquelle je voulais des contributions sur les inégalités territoriales d'éducation, l'une sur le secondaire, commentée par Françoise Cartron, l'autre sur le supérieur et la recherche et sur la santé, mais aussi les contributions sur des questions sociales plus larges.
La troisième avancée consiste à considérer les inégalités de façon dynamique. Nous avons souvent un aperçu statique des inégalités au moyen du revenu par habitant. Mais il faut étudier leur dynamique, à travers la question des capacités et du développement humain. Les inégalités de santé d'aujourd'hui auront par exemple des conséquences à plus long terme, dans un horizon de vingt ans, sur les inégalités de revenu. Cette approche donne de la profondeur à la question des inégalités, la profondeur des profondeurs en matière d'inégalité étant bien sûr l'environnement. Il y a un certain nombre de contributions sur le changement climatique et la façon dont il affecte les territoires en termes d'atténuation et d'adaptation et sur les inégalités environnementales, dont on reparle aujourd'hui à l'occasion des débats sur les particules fines. Elles soulignent la nécessité d'avoir une approche sociale écologique.
J'en viens à la question des directions politiques. Elles sortent du cadre de ma mission, et seront déterminées par la ministre et la représentation nationale. Un certain nombre d'étapes ont été prévues. La ministre voudrait organiser des conférences territoriales pour confronter les approches du rapport à ce qui est perçu dans les territoires. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous avons été le présenter à Vesoul. En juin, est prévu un comité interministériel à l'aménagement du territoire qui cadrerait un certain nombre d'éléments pour proposer une loi qui serait présentée au Parlement à l'automne. Il convient dès lors d'envisager rapidement les directions à prendre. Ce n'est pas le rôle du rapport qui est un exercice de pure prospective. Le chercheur doit seulement présenter des options, sachant que plus ces options sont larges, plus le choix est grand pour les politiques. Il y a néanmoins des axes qui se dégagent.
Un premier axe concerne la transition sociale écologique au niveau des territoires, et la manière dont on doit repenser les politiques urbaines et rurales à la lumière de cet enjeu. Cela concerne la transition énergétique, qui va se faire au niveau territorial. L'une des propositions fortes du rapport consiste en la création d'un centre d'analyse et de prévention des inégalités environnementales, qui permettrait de regrouper la recherche qui commence à se développer fortement en France sur ces questions, afin d'informer les pouvoirs publics à tous les niveaux de gouvernance sur ces sujets. Il faut également traiter du changement climatique, et surtout, lier ces approches à la question de la santé, puisqu'il y a un lien direct entre la préoccupation écologique et la préoccupation sanitaire. Sur ce sujet, il y a des avancées très précises qui peuvent parfaitement être intégrées dans une loi.
Le deuxième axe est celui que j'appellerais la dimension verticale de l'égalité des territoires, c'est-à-dire la réforme du zonage et de la péréquation. Il y a deux très bonnes contributions à ce sujet, sur l'enjeu de la transparence de la péréquation, et d'une adaptation du zonage à cette idée des capacités.
La troisième direction, à laquelle je tiens énormément, a donné lieu à un conflit violent, que l'on a laissé s'exprimer au sein du rapport. Il s'agit de la coopération entre les espaces ruraux et les espaces urbains. C'est ce que j'appelle dans l'introduction un pacte de développement partagé. Il y a vraiment un sujet à travailler. Le commentaire du député interrogé sur ce sujet est très négatif. Je trouve cela dommage, car cela ne permet pas le débat. Or, je pense qu'un tel débat doit avoir lieu, et j'espère que ce sera le cas. Je vais d'ailleurs présenter le rapport à la fin du mois à l'Assemblée nationale au groupe d'études sur la ruralité, et j'espère que nous pourrons avoir ce débat sur la coopération entre l'espace rural et l'espace urbain.
Voilà ce que je souhaitais vous dire, sur la méthode, et le plan du rapport, les avancées et les directions qui peuvent être prises.
Je vous félicite pour la qualité de vos travaux. Vous nous fournissez une boite à outils conceptuelle qui ne peut qu'interpeller le Sénat. Dans ce travail intense que vous avez effectué, vous avez eu l'habileté de mêler chercheurs et politiques. J'y vois toutefois une faille importante : vous avez complètement omis le déploiement du numérique sur l'ensemble du territoire, c'est-à-dire le seul élément viable pour corriger les inégalités territoriales, qui sont aujourd'hui cruellement vécues par les élus. Pourquoi cet oubli ?
Je suis aussi surpris que vous ne parliez pas de culture. A moins que vous l'ayez rattachée à l'éducation ? Mais j'ai beaucoup apprécié que vous distinguiez l'égalité des territoires et l'égalité des personnes.
Je suis très intéressé par la méthode que vous avez retenue pour donner un soubassement à cette notion d'égalité des territoires qui me paraissait un peu formelle, mais qui doit inspirer le projet de loi à venir. Sur le plan pratique, j'ai noté que vous êtes favorable à une redéfinition du zonage et à une remise à plat de la péréquation. En Europe, la France est l'un des pays qui parle le plus de péréquation, tout en en faisant le moins en réalité. Les élus locaux le disent depuis des années, mais ne sont pas entendus.
Je ferai deux remarques. Si vous ne parlez pas du désenclavement numérique, il est peut-être encore temps de rectifier le tir. C'est une question importante non seulement pour les territoires ruraux, mais aussi pour certaines zones urbaines sensibles. Par ailleurs, j'ai toujours été surpris qu'en France on engage les phases successives de la décentralisation sans se poser la question de ce que doit faire l'État. Aujourd'hui, celui-ci se trouve coincé entre la construction européenne, qui est une nécessité, et la légitime montée en puissance des collectivités territoriales. On peut choisir d'être libéral, avec un rôle de l'État le plus réduit possible, ce n'est pas mon point de vue. Mais la question de savoir ce que doit faire l'État est importante. Il ne suffit pas de confier aux collectivités territoriales des compétences qu'elles n'ont pas les moyens d'exercer ou qui devraient relever de la solidarité nationale. Une fois que l'on aura défini les rôles respectifs de l'État et des collectivités territoriales, on pourra s'atteler à réduire les inégalités territoriales. Avez-vous pris en compte cette question dans votre rapport, alors que nous nous apprêtons à aborder une nouvelle étape de la décentralisation ?
Je n'aurais qu'une question : comment voyez-vous le financement de cette politique d'égalité des territoires ?
Je me demande comme mes collègues où est passée dans votre rapport la question du numérique. Peut-être l'avez-vous traitée avec l'éducation ? Il s'agit pourtant d'un facteur d'inégalité énorme entre les territoires. Vous parlez également des inégalités de revenus. A cet égard, avez-vous pensé à l'emploi ? Enfin, vous n'avez pas évoqué les inégalités territoriales en matière de transports.
Je vous remercie pour ces critiques pertinentes. Si je comprends bien, vous auriez voulu des expertises supplémentaires. En ce qui concerne le numérique, nous n'en avons pas parlé parce que beaucoup de rapports ont été faits sur le sujet, et qu'une mission a été confiée par le Premier ministre à M. Claudy Lebreton. J'ai voulu éviter d'évoquer les sujets déjà bien traités par ailleurs, comme celui de la politique de la ville et de la ségrégation urbaine. Ce n'est donc pas une erreur fondamentale de ne pas avoir parlé du numérique, c'est un choix. De même, le rapport est assez bref sur l'outre-mer.
La mission confiée à M. Lebreton ne porte que sur les usages du numérique, pas sur les infrastructures ! Or, ces usages ne pourront se développer que si existent les réseaux nécessaires. Je maintiens donc que c'est une erreur fondamentale d'avoir omis le sujet des infrastructures numériques.
C'est l'un des rares sujets sur lequel nous pouvons avoir l'espoir que l'égalité des territoires et l'égalité des personnes se rejoignent !
Le Gouvernement vient de présenter une feuille de route sensée répondre à cet enjeu. Il ne faut pas confondre le rapport et la loi qui en sera issue : n'ayez aucune crainte, le numérique sera bien présent dans le projet de loi sur l'égalité des territoires. Il n'y a pas de risque que ce sujet soit oublié.
Je dois reconnaître que la culture est aussi un manque du rapport, alors qu'il existe de grandes inégalités territoriales dans les aménagements culturels. Je ne peux pas vous donner d'autres explications que le manque de temps et de compétences disponibles. Quatre mois pour rédiger ce rapport, c'est un délai très court.
J'ai aussi un vrai regret en ce qui concerne les transports. J'aurais voulu une contribution sur les transports et la mobilité. Mais les chercheurs que j'ai contactés n'étaient pas disponibles pour nous fournir une contribution.
En revanche, la question de l'emploi est traitée, dès la deuxième contribution du rapport, par Yannick L'Horty. Le sujet des revenus, même si vous ne l'estimez plus très significatif, me paraît encore aujourd'hui pertinent. La nouveauté consiste à mettre aussi en rapport les inégalités de santé, d'éducation et d'environnement.
En ce qui concerne les aspects institutionnels évoqués par M. Teston, ils sont abordés par le président Jean-Pierre Bel dans sa contribution.
Je vous connaissais plus pour vos travaux antérieurs sur l'économie verte. Au mois de décembre dernier, notre commission a organisé un colloque sur le thème « Transformations et représentations sociales des mondes ruraux et périurbains » en partenariat avec l'Inra et l'ENS. Avant de réfléchir aux outils des politiques publiques, il y a un travail à faire sur les représentations. A l'occasion des dernières élections présidentielles, j'ai été frappée par la violence des commentaires sur internet à l'encontre des mondes ruraux et périurbains. Je dois avouer avoir été un peu dubitative sur la notion d'égalité des territoires : n'est-ce pas une béquille de l'égalité républicaine ? Mais vous nous montrez qu'il s'agit bien en fait d'un concept opérationnel pour fonder les politiques publiques. Comme pour les individus, l'égalité entre les territoires doit se fonder sur l'idée que les différences ne doivent pas être facteurs ou prétextes d'inégalités. Vous évoquez aussi les questions de l'environnement et de la sociale-écologie. Les reliez-vous à la question de l'emploi ? Comment la sociale-écologie peut-elle recréer de l'emploi industriel et de proximité, et créer des identités nouvelles pour les territoires ?
Il m'est difficile de m'exprimer sur un rapport que je n'ai pas encore lu. Votre présentation a été intéressante, très intellectuelle dirais-je sans connotation péjorative. J'ai bien noté la différence que vous faites entre l'aménagement du territoire et la politique d'égalité des territoires. Les inégalités entre les territoires ne reposent pas seulement sur les inégalités économiques. Vous avez raison de souligner que c'est l'égalité entre les hommes qui compte. Mais vous n'apportez pas forcément de solutions.
Je suis aussi surpris que vous n'abordiez pas le sujet du numérique. J'ai d'abord pensé que vous l'abordiez de manière transversale, mais j'ai maintenant compris que vous avez fait l'impasse sur ce sujet. C'est un véritable manque, car il s'agit d'une préoccupation première des élus et des citoyens. Le numérique est aussi le moyen le plus efficace pour résorber les inégalités existant par ailleurs. Ainsi, on sait que c'est en zone rurale que le commerce électronique est le plus développé. Votre rapport me laissera un regret sur ce point.
Je vous remercie de m'avoir permis de comprendre ce que signifie l'égalité des territoires, une formule qui m'a longtemps irrité. Je la comprends mieux sous l'angle de l'égalité des personnes qui vivent sur les territoires. Votre rapport est un travail d'ouverture, pas une compilation de solutions. Le plus intéressant est de repérer les dynamiques. Nous avons évoqué celle du numérique. J'en vois deux autres également importantes. D'abord, celle du lien entre le rural et l'urbain, avec ce phénomène nouveau du développement des intercommunalités sur tout le territoire. Nous sommes ici au début d'une ère nouvelle. Ensuite, celle de la construction européenne et de la mondialisation. Vous ne les avez pas évoquées, alors que même nos territoires ruraux s'en trouvent très impactés.
Pourriez-vous nous préciser ce qui vous a surpris dans le problème de la coopération entre les mondes rural et urbain ? Personnellement, je ne suis pas étonné qu'il y ait eu un affrontement, c'est une réalité quotidienne. La ruralité accueille des habitants de plus en plus nombreux provenant des territoires urbains voisins, qui produisent des richesses sur ces territoires voisins, en l'absence de dispositifs de rééquilibrage. C'est un problème essentiel, qui devient depuis quelques années une source d'inégalité désespérante.
Je ne crois pas qu'il y ait de contradiction entre l'égalité républicaine et l'égalité des territoires. Dans l'introduction au rapport, j'ai montré que la Constitution de 1958 reconnaît trois formes d'égalité : entre les citoyens, entre les hommes et les femmes, entre les collectivités territoriales. Une thèse récente montre comment le Conseil Constitutionnel applique ce principe d'égalité entre collectivités territoriales de manière « clandestine » mais néanmoins effective. En revanche, nous ne trouvons pas trace de cette notion en droit européen, qui ne parle que de cohésion territoriale.
Sur l'emploi et l'économie verte, vous ne trouverez rien de suffisamment abouti dans le rapport. Je n'ai pas pu obtenir de contribution sur ce sujet, qui est pourtant une question majeure.
Sur l'aménagement numérique, je comprends maintenant que c'est une lacune fondamentale. Cela dit, je crois qu'il y a un élu qui l'évoque dans sa contribution. Mais j'aurais dû aussi en parler dans mon introduction, en tant qu'outil de correction des inégalités territoriales. Vous semblez trouver que je me suis livré à un exercice trop intellectuel ? C'est pourtant bien une mission de réflexion qui m'a été confiée. Et il y a quand même quatre pages de propositions concrètes, résumées dans mon introduction.
Sur la dimension construction européenne et mondialisation, c'est vrai que ces phénomènes jouent un rôle très important pour la métropolisation, et ne sont pas vraiment abordés dans le rapport. Mais vous trouverez des considérations sur les fonds structurels dans la contribution de Marie-Christine Blandin.
Je finirai sur la question des relations entre le rural et l'urbain. Je n'ai pas été surpris par l'affrontement qui transparaît dans le rapport, mais par la grande hostilité de la réaction de l'élu aux analyses des experts. J'aurais voulu adoucir les angles, et éviter les attaques personnelles. Je n'y suis pas parvenu pour cette contribution, mais je persiste à penser qu'il y avait une possibilité de dialogue.
Je vous remercie pour cette présentation dense et riche, ainsi que d'avoir accepté de bonne grâce de reconnaître que certaines remarques des sénateurs étaient fondées. Je suis convaincu que votre rapport pourra poursuivre une vie fructueuse.
Enfin, la commission procède à l'examen des amendements sur le texte n° 408 (2012-2013), adopté par la commission, sur le projet de loi n° 770 (2011-2012) ratifiant l'ordonnance n° 2012-827 du 28 juin 2012 relative au système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre (période 2013-2020).
Nous avons à émettre un avis sur un seul amendement, présenté par Jean-Etienne Antoinette.
L'amendement proposé par notre collègue vise à inclure les installations de petite dimension dans le champ des exemptions prévues par l'ordonnance. La directive dispose en effet que peuvent être exclus les hôpitaux et les installations de petite dimension. La France n'a retenu que les hôpitaux dans sa transposition du texte. Le Gouvernement, que nous avons interrogé pour connaître la raison de la non-inclusion des installations de petite dimension, estime que la gestion administrative de ces installations serait trop lourde.
J'aurais souhaité que notre collègue puisse retirer son amendement sur la base de cette réponse. En son absence au sein de notre commission, je vous suggère d'émettre un avis défavorable, pour ne pas alourdir et complexifier davantage le dispositif.
La commission émet un avis défavorable sur l'amendement.