La commission auditionne M. Giacomo Luciani, professeur à l'Institut des hautes études internationales et du développement de Genève et à l'Institut d'études politiques de Paris, sur les évolutions récentes des marchés de l'énergie et leurs conséquences géopolitiques.
Dire en raccourci que le pétrole gouverne le monde serait sans doute exagérer, mais qu'il en influence la marche est une réalité.
Chaque fois que nous abordons la situation géopolitique dans une région du monde, il n'est pas rare que les ressources en énergie soient l'une des causes d'un conflit et que les liens de dépendance conditionnent la position de tel ou tel État. Quelques exemples dans l'actualité récente: la crise ukrainienne, la situation interne au Venezuela, les équilibres régionaux en Libye ou au Nigéria nous le montrent.
Nous avons donc besoin d'un éclairage d'ensemble, car ce secteur est en plein mouvement avec l'apparition de nouveaux producteurs d'hydrocarbure, dont les Etats-Unis, la hausse considérable de la consommation dans les pays émergents dont certains pays traditionnellement exportateurs, la préoccupation mondiale de limitation des émissions de CO² et l'apparition de nouvelles sources d'énergie renouvelables.
Tous ces phénomènes ont des conséquences politiques, économiques et sociales qui bouleversent les équilibres sur la scène mondiale.
Quels enseignements peut-on tirer de la géopolitique de l'énergie ? Quel panorama peut-on dresser des flux énergétiques ? Quelles dynamiques sont à l'oeuvre dans le domaine ? Quels scénarios peut-on imaginer d'ici dix, vingt ans ?
Nous sommes heureux de vous accueillir car vous êtes sans doute l'un des meilleurs experts mondiaux en ce domaine. Je vous laisse donc le soin de nous présenter vos analyses, puis mes collègues et moi vous poserons quelques questions pour compléter notre information et notamment pour ce qui me concerne sur les conséquences de la montée en puissance des États-Unis comme pays producteur.
J'ai choisi de vous présenter un certain nombre de graphiques et de tableaux pour illustrer mon propos.
Graphique n° 1 : Consommation mondiale par sources d'énergies primaires
La demande et l'offre d'énergie à l'échelle mondiale sont en progression constante, même si on relève une baisse temporaire de la demande en 2009. 80 % des sources d'énergie sont fossiles (pétrole, gaz, charbon), les énergies renouvelables étant encore marginales.
Graphique n° 2 : croissance de la demande d'énergie par région, par usage et par source
BP pronostique une augmentation de la demande, surtout hors de l'ODCE (et une stabilisation dans l'OCDE).
Graphique n° 3 : évolution de la consommation par source d'énergie
ExxonMobil estime que la demande de charbon, qui est forte actuellement, notamment en Asie, cessera d'augmenter à l'avenir, compte tenu de son caractère polluant.
Tableau n° 4 : Evolution de la demande mondiale par source d'énergies primaires selon l'Agence internationale de l'Energie
Graphique n° 5 : Evolution de la demande par source d'énergies primaires dans les pays de OCDE
L'Agence internationale de l'énergie envisage une augmentation sensible des énergies renouvelables, la part des énergies fossiles restant néanmoins dominante en volume. Elle prévoit une baisse de la production de charbon et de pétrole et, à l'inverse, une hausse de la production de gaz et d'énergie nucléaire. La question de la dépendance envers les énergies fossiles reste incontournable. Le même constat peut être effectué pour la demande des pays de l'OCDE. Le graphique montre aussi une progression de la part du nucléaire notamment en Asie.
Graphique n° 6 : Evolution de la consommation par source d'énergie
L'agence américaine de l'énergie partage cette analyse d'une progression du nucléaire et du gaz et d'une stagnation du charbon, en prévoyant pour ce dernier l'hypothèse d'un plafonnement volontaire de son usage par les gouvernements pour réduire les émissions de CO².
Graphique n° 7 : évolution de la production de pétrole de schiste en Amérique du Nord
Ce graphique montre la très forte croissance de la production de pétrole de schiste à compter de 2011. Il est néanmoins difficile d'extrapoler cette tendance pour le futur, la quantité de ressources exploitables étant difficile à évaluer car tributaire des conditions d'extraction et de la nature des formations géologiques. Les experts sont divisés.
Graphique n° 8 : estimation de la production de pétrole aux Etats-Unis et dans le reste du monde (4e trimestre 2013)
Tableau n° 9 : production de pétrole par pays (2013-2014)
Les Etats-Unis produisent 10 % du pétrole mondial, ce qui constitue une production importante, presque équivalente à celle de la Russie ou de l'Arabie Saoudite. La moitié de cette production provient du pétrole de schiste. Entre mars 2013 et mars 2014, les Etats-Unis ont fortement augmenté leur production de pétrole, tout comme l'Arabie Saoudite. On observe également un effondrement de la production de la Libye en raison des troubles politiques.
Graphique n° 10 : évolution mensuelle du prix du pétrole à Atlanta (bleu) et à New-York (rouge) depuis 2009
Graphique n° 11 : évolution annuelle des exportations de produits pétroliers
Un écart se creuse depuis 2011 entre le prix du pétrole de référence aux Etats-Unis et le prix du brent qui s'explique par le fait que le pétrole produit dans le Middle West ne peut être acheminé jusqu'aux raffineries situées sur les côtes, il ne peut qu'être utilisé sur place, ce qui constitue un avantage concurrentiel pour l'économie américaine. En conséquence, les Etats-Unis n'exportent pas de pétrole brut, mais uniquement et en quantité plus importante des produits pétroliers (pétrole raffiné). L'Union européenne est quant à elle très dépendante des importations de diesel des Etats-Unis et de la Russie.
Graphique n° 12 : évolution de la production de pétrole des Etats-Unis par catégorie selon l'Agence internationale de l'Energie
La production américaine de pétrole conventionnel continue à baisser fortement. On s'attend néanmoins à ce que la production globale de pétrole progresse jusqu'aux alentours de 2020 grâce au pétrole de schiste avant que cette dernière source atteigne son plafond (2 à 3 millions de barils de plus qu'aujourd'hui) d'ici 4 à 5 ans, se maintienne à ce niveau une dizaine d'années et baisse ensuite. Cela représente une fenêtre d'opportunité pour l'économie américaine, mais cela ne durera pas « éternellement ».
Graphique n° 13 : évolution de la production de gaz de schiste aux Etats-Unis
Graphique n° 14 : équilibre entre la production et la consommation de gaz en Europe et aux Etats-Unis
Graphique n° 15 : évolution de la production de gaz non conventionnel par pays selon l'Agence internationale de l'énergie
Il convient de noter la croissance importante de la production de gaz de schiste aux Etats-Unis, qui sont de plus en plus autonomes, alors que l'Union européenne, à l'inverse, est de plus en plus dépendante. La production de gaz de schiste progresse également au Canada, en Argentine, en Australie, et en Chine.
Graphique n° 16 : évolution du prix du gaz naturel aux Etats-Unis
La productivité à l'échelle de chaque plateforme de perforation est en train de s'améliorer, ce qui va permettre une baisse des coûts de production et rendre cette source d'énergie plus compétitive. En 2012, le prix du gaz aux Etats-Unis était tombé à 2 USD le MMBTu (british thermal unit), contre 11 USD en Europe, mais est remonté depuis aux alentours de 4/5 USD avec des pics jusqu'à 7 USD en raison d'un hiver particulièrement rigoureux aux Etats-Unis. Ce prix devrait se stabiliser. Cela rend néanmoins difficiles les exportations sur le marché européen en raison du coût du transport et de la liquéfaction (8 USD de surplus). On ne peut donc facilement substituer le gaz américain au gaz russe.
Carte et graphiques n° 17 : dépendance des pays européens du gaz naturel importé de Russie
La dépendance par rapport au gaz russe est très forte pour certains pays d'Europe centrale et orientale (Bulgarie, Roumanie, Ukraine). L'Allemagne diversifie son approvisionnement grâce à la Norvège, de même que la France et l'Italie grâce à l'Algérie. Pour certains pays, il convient de nuancer la dépendance car, même si la Russie assure une grosse partie de leur approvisionnement en gaz, celui-ci ne représente parfois qu'une faible part de leur bilan énergétique (comme pour la Lituanie). La Turquie est dépendante du gaz russe, mais elle a un moyen de pression sur la Russie dans la mesure où celle-ci espérer faire transiter son gaz à destination de l'Europe par le territoire turc si la situation dégénérait en Ukraine.
Tableau n° 18 : quantité de gaz russe importé par les pays européens via l'Ukraine
Ce tableau montre l'importance des exportations de gaz à destination des différents pays européens à travers l'Ukraine. Certaines variations s'expliquent par les capacités de stockage des pays importateurs . Ainsi, en 2012, l'Italie a constitué d'importantes réserves de gaz en raison d'obligations contractuelles et est devenue de ce fait temporairement moins dépendante du gaz transitant par l'Ukraine.
Gazprom a exporté 86 milliards de mètres cubes de gaz à travers l'Ukraine, ce qui a représenté 162 milliards USD de revenus, soit 20 % de ses revenus. 53 % des exportations de gaz vers l'Europe transitent par l'Ukraine. Il convient de souligner que les taxes sur les exportations de gaz représentent seulement 2% des recettes du budget de l'Etat russe, alors que celles sur les exportations de pétrole représentent 50 % des recettes. Pour la Russie, la baisse du prix du pétrole est une menace. Elle a besoin que ce prix soit d'au moins 115 USD le baril pour équilibrer son budget. Or, ce prix, qui est d'actuellement de 108 USD le baril, risque de baisser jusqu'à 90 USD si les négociations avec l'Iran aboutissent, si l'Arabie saoudite poursuit sa politique actuelle de modération et si la situation s'apaise en Libye. L'offre de pétrole est abondante. Un pétrole à 90 USD/baril poserait des problèmes importants à la Russie qui ne pourrait compter durablement sur la dévaluation du rouble sans affecter son économie.
Carte n° 19 : tracé du projet de gazoduc South Stream
Si le transit à travers l'Ukraine n'est plus possible, les solutions envisagées par Gazprom sont d'augmenter le transit à travers le gazoduc « North Stream » (55 milliards de mètres cubes), le gazoduc « Yamal Europe », qui passe par la Biélorussie (33 milliards), et le gazoduc Blue Stream par la Mer noire et la Turquie (16 milliards de mètres cubes). Mais il sera nécessaire de trouver une solution pour acheminer 50 milliards de mètres cubes supplémentaires, d'où le projet de construction d'un gazoduc « South Stream », qui fait l'objet d'un partenariat entre Gazprom EDF, ENI, et une société allemande.
À mon avis, Gazprom et la Russie n'imposeront jamais un embargo sur les exportations de gaz, elles en seraient les premières victimes. Le danger serait que la dégradation de la situation en Ukraine conduise à fermer le gazoduc. Pour l'Europe, il faudrait trouver les 50 milliards de mètres cubes supplémentaires rapidement. Cela serait compliqué, mais cela serait réalisable. La construction de « South Stream » est en revanche importante pour Gazprom qui sera ainsi indépendante de l'Ukraine et plus libre dans ses négociations avec ce pays.
Les États-Unis vont-ils atteindre l'autosuffisance en pétrole et en gaz et dans quel délai ? Cette situation sera-t-elle durable et suffisamment longue ? Auront-ils une capacité d'exportation ?
Pour aborder cette question, il faut élargir la problématique au Canada dont les gisements non conventionnels, les sables bitumineux, en l'espèce, sont beaucoup plus importants que les gisements de pétrole de schiste des Etats-Unis et n'ont pas été exploités de façon importante en raison des investissements nécessaires et de la gestion de questions environnementales. Si on considère les États-Unis isolément, ils n'atteindront peut-être pas l'autosuffisance, mais les Canadiens qui consomment peu et ne peuvent aujourd'hui exporter que vers les États-Unis auraient la capacité de développer les exportations de pétrole et de gaz. Les États-Unis sont donc dans une position très favorables car ils constituent l'unique débouché à l'exportation de la production canadienne et ceci à un faible coût ((le pétrole canadien est vendu 50 USD/ baril aux États-Unis soit la moitié du prix mondial). Mais je m'attends à ce que la situation change et que les Canadiens expriment la volonté d'exporter le pétrole et le gaz vers le reste du monde.
Si j'ai bien compris, les États-Unis ne seraient pas immédiatement en mesure d'exporter eux-mêmes du pétrole et du gaz.
Ils le pourraient s'ils continuent à recevoir le pétrole et le gaz canadien dans les conditions favorables actuelles. Si le Canada ne peut qu'exporter vers les États-Unis, ceux-ci auront la possibilité de vendre le leur à l'extérieur. C'est l'un des enjeux de l'oléoduc Keystone XL et ce qui explique ses difficultés, c'est qu'il permettrait au Canada d'exporter directement leur pétrole vers le reste du monde à partir du golfe du Mexique, ce que les Américains veulent rester les seuls clients. Les Européens devraient s'intéresser aux capacités du Canada, et organiser la possibilité d'importer directement du pétrole et du gaz de ce pays, ce qui n'est pas possible en raison de relations de pouvoir entre les différentes Provinces.
Quelle est la capacité du gazoduc « Northstream » qui permet d'exporter du gaz russe sans passer par l'Ukraine ?
Il permet d'écouler 55 Milliards de m3.
Qu'est-ce qui explique la différence des recettes budgétaires liées au gaz (2% des recettes fiscales russes) et des recettes liées au pétrole (50%) ?
Les marges sont très peu élevées sur le gaz en raison des coûts de production et surtout de transports. Le pétrole est beaucoup plus rentable. La différence entre coûts de production et prix de vente est importante et permet de prélever des taxes à l'exportation. Le gaz est important pour Gazpom, c'est sa principale ressource mais moins pour l'Etat russe.
J'ai des réserves sur « Southstream » c'est un projet très coûteux, on parle de plusieurs milliards USD. Même si Gazprom a des partenaires étrangers (ENI, EDF), c'est en définitive Gazprom qui devra payer, car la Compagnie d'exploitation du gazoduc va demander des financements auprès des banques qui n'accepteront que si Gazprom s'engage à utiliser le gazoduc et pour cela devra payer des redevances importantes de transit.
Il y a un paradoxe. Si la situation en Ukraine se règle, et que le gazoduc ukrainien reste disponible, Gazprom va se trouver dans la situation de ne pas utiliser le gazoduc ukrainien bon marché parce qu'il aura des obligations financières à l'égard de « Southstream ». Si on regarde la carte, « Southstream » implique un passage long sous la mer Noire, or avec l'annexion de la Crimée, la Russie serait capable de faire passer un gazoduc directement de la Crimée à la Roumanie avec un coût de moitié. Pourtant Gazprom continue de pousser le projet « Southstream » car il a signé de contrat de 2Mds USD avec les fournisseurs du gazoduc.
Par quel gazoduc sera acheminé le gaz d'Asie centrale où l'on vient de découvrir d'importants réservoirs de gaz naturel, notamment au Tadjikistan ?
Il est probable qu'il sera exporté vers l'Est pour approvisionner la Chine. Je ne crois pas à la possibilité d'une exportation vers l'Europe sauf s'il transite par le réseau de gazoducs russes. La Russie aurait la possibilité d'acheter du gaz d'Asie centrale et de le revendre en Europe, mais pas avec un nouveau gazoduc.
Le projet « Nabucco » a été abandonné. Qu'en est-il du projet « Southstream » ? Quand sera-t-il opérationnel ?
Nabucco n'est peut-être pas définitivement mort. Dans sa conception initiale, sans doute, mais il reste d'importants gisements de gaz en Azerbaïdjan et, désormais, également au Kurdistan irakien. Cette région est le nouvel enjeu pour la Turquie et pour l'Europe, mais un accord entre le gouvernement autonome et Bagdad est nécessaire pour permettre son exportation.
Si le gaz de schiste n'est pas exportable immédiatement vers l'Europe, cette donnée n'a pas d'influence en terme géopolitique sur le conflit ukrainien. En aura-t-elle dans l'avenir ?
La possibilité d'exportation de gaz des Etats-Unis n'existe pas à l'heure actuelle. Ils pourront peut-être exporter à partir de 2017, mais de façon très limitée et plus probablement vers le Japon et la Chine que vers l'Europe. Les compagnies européennes ont des contrats d'importation de GNL de plusieurs sources notamment du Qatar et d'Algérie qui satisfont largement les besoins européens. La différence du prix d'acquisition du gaz entre l'Asie de l'est et l'Europe est telle qu'aujourd'hui les Qataris proposent aux Européens de diriger le gaz qui ne leur est pas nécessaire vers l'Asie et de partager les bénéfices. Toutefois en cas de pénurie, les Européens exigeront le respect des contrats et le retour des flux.
Y-a-t-il une grande différence de prix entre le gaz russe et le gaz qatari ?
Oui, aujourd'hui le gaz qatari coûte moins cher car les contrats d'approvisionnement en gaz russe sont indexés sur les prix du pétrole, mais surtout il y a une très grande différence de prix d'acquisition entre l'Europe (10 USD) et l'Asie (18 USD au Japon). Compte tenu du différentiel de prix, les Etats-Unis auront tout intérêt à vendre en Asie. Mais si le Japon redémarre ses centrales nucléaires, ce qui semble être la perspective, la demande et donc le prix du gaz en Asie baisseront.
S'agissant du nucléaire, dans votre présentation, on constatait un accroissement de la production. Cela tenait-il compte du redémarrage au Japon ou indépendamment de cela y-a-t-il une véritable perspective de développement du nucléaire notamment en Asie ?
Il n'y a pas de réticence pour le développement du nucléaire en Asie, notamment en Chine (12 centrales en construction), en Corée du Sud (4 centrales en construction) et en Inde, mais aussi dans les pays arabes. Les Emirats ont 4 centrales en construction. La réticence au nucléaire est un problème européen.
L'Europe semble avoir perdu une manche dans la bataille de l'énergie. Où en est la charte européenne de l'énergie ? Comment analysez-vous les politiques des différents pays, y compris en matière d'exploitation du gaz de schiste et les relations avec les différents fournisseurs ? A quelle condition peut-elle mettre en place une telle stratégie commune ?
Y-a-t-il des perspectives d'accords entre les pays riverains de la mer Caspienne ?
À partir des années 90, l'Europe envisageait un partenariat avec la Russie et la Charte européenne a été fondée sur ce partenariat privilégié. Cela n'a pas marché, pour plusieurs raisons. Peut-être au départ par l'interférence des Etats-Unis qui ont eu une interprétation erronée de ce dispositif, mais M. Poutine n'en a pas voulu non plus et la Russie s'en est retirée. Le secrétariat existe encore, mais la Charte n'a plus grand sens avec le retrait de la Russie puis la dégradation des relations avec ce pays.
Le statut de la Caspienne n'a pas évolué. La Russie n'a aucun intérêt à la solution de cette question.
On nous a longtemps expliqué qu'il y aurait une pénurie de pétrole. Or, il n'y a jamais eu autant de produits, en raison de la hausse des prix, qui ont rendu intéressantes de nouvelles explorations et l'exploitation de nouveaux gisements. On a aussi trouvé du gaz en grande quantité et on a équilibré ces deux sources d'approvisionnement. Aujourd'hui, les prévisions ne sont-elles pas trop optimistes ? Il me semble difficile de prévoir les politiques énergétiques des grands pays producteurs. Sera-t-il possible à ces pays de faire des régulations techniques comme le fait aujourd'hui l'Arabie saoudite pour maintenir le cours du pétrole ? Les Etats-Unis pourront-ils se libérer du pétrole du Moyen-Orient ? Pourront-ils influencer le cours mondial du pétrole ? Comment pourraient-ils utiliser le niveau de leur stock stratégique à cette fin ? Enfin, existe-t-il des techniques moins dommageables pour l'environnement que la fracturation hydraulique pour exploiter le gaz de schiste ou des efforts de recherche en ce sens ?
Il n'existe pas d'autre technique que la fracturation hydraulique pour extraire le gaz et le pétrole du schiste, mais elle peut être réalisée de différentes façons, selon la profondeur par exemple, ou en utilisant soit de l'eau, soit d'autres liquides ; les conséquences environnementales sont évidemment très différentes. Les entreprises qui pratiquent ces techniques sont très avares d'informations. Ces techniques font partie de leur avantage compétitif et elles se retranchent derrière le secret commercial. Ce que l'on peut dire, c'est qu'il existe un problème pour l'environnement, mais que l'acceptabilité des dommages dépend beaucoup de la présence ou non d'une population nombreuse. Dans le Dakota du nord dépourvu de population, la production est intense. En Europe, il n'existe pas de région aussi dépourvue de population que le Dakota du Nord ou l'est du Texas.
Je ne pense pas que les Etats-Unis puissent influencer le jeu énergétique mondial. Ils sont un des acteurs, important certes, mais pas le seul. Il y a d'autres acteurs aussi déterminants comme l'Arabie saoudite qui reste incontournable. Aujourd'hui ce pays devrait se réjouir de voir les prix baisser car il a gros différend avec la Russie sur la question de la Syrie. D'ailleurs, il procède progressivement à un ajustement des prix à la baisse. Si la Libye, en raison de son instabilité, n'avait pas cessé d'approvisionner le marché, les prix seraient sans doute aujourd'hui aux alentours de 85 USD le baril. L'Arabie saoudite a augmenté sa production pour pallier ce manque, mais si la Libye revient sur le marché, l'Arabie ne diminuera probablement pas sa production pour maintenir le niveau de prix actuel. Cela posera des problèmes aux Iraniens, aux Russes et d'autres producteurs, alors qu'avec 700 milliards USD de réserves, l'Arabie saoudite est peu sensible à une baisse des prix. Même si le prix d'équilibre pour financer son budget est aux alentours de 90 USD par baril, elle pourra recourir facilement à l'emprunt pour équilibrer pendant plusieurs années. Peu de pays peuvent résister à un prix inférieur à 90 USD.
Donc les Américains ont intérêt à continuer de travailler avec l'Arabie Saoudite !
Les Américains n'ont pas intérêt à maintenir des prix hauts. L'Europe a aussi un rôle à jouer en améliorant ses relations avec les pays du Golfe, notamment avec l'Arabie saoudite.
Elle peut jouer un rôle très important comme plateforme pour les importations de pétrole en provenance d'Azerbaïdjan et du Kurdistan irakien.
Quelles sont les perspectives d'exploitation des gisements de pétrole et de gaz en Méditerranée orientale et notamment au large de Chypre ?
La découverte du gisement au large de Chypre est insuffisante aujourd'hui pour justifier la création d'une petite usine de GNL. Pour l'instant, il y a des espoirs et de nombreuses compagnies explorent, mais les résultats tangibles sont peu importants. Côté israélien, les découvertes sont plus significatives, mais Israël souhaite garder ce gaz pour sa propre consommation. En termes d'importance relative, le gisement du Kurdistan est 20 fois plus important que ce qui a été découvert en Méditerranée orientale. C'est le cas aussi des gisements qui viennent d'être découverts au large du Mozambique. La question est de savoir, vers où il sera-t-il exporté ? Vers l'Asie ou vers l'Europe ?
Je ne pense pas ; l'Inde a une politique désastreuse en matière d'énergie. La moitié de sa consommation de gaz est utilisée pour produire des engrais au prix fort alors qu'elle pourrait importer ces produits du Moyen-Orient. Mais pour des raisons historiques, la production d'engrais est considérée comme stratégique par les Indiens.
La situation de l'Iran est paradoxale. Elle importe du gaz du Turkménistan et elle en exporte vers la Turquie. Il utilise leur gaz pour soutenir la production de pétrole. L'Iran détient les deuxièmes réserves mondiales de gaz mais elle reste un importateur net. La situation pourrait changer dans l'avenir en exportant vers le Pakistan et l'Inde mais cela fait longtemps que ces projets existent. Il existe un contrat d'exportation vers l'Oman. Une tendance modérée est revenue au pouvoir mais l'Iran obéit à des logiques qu'il est souvent difficile de comprendre.
Si vous deviez interroger les plus hauts responsables politiques des Etats-Unis, quelle question leur poseriez-vous ?
Je les interrogerais pour savoir s'ils entendent faire quelque chose pour limiter la consommation des énergies fossiles dans le contexte dans la lutte contre le réchauffement climatique. Paradoxalement, les Etats-Unis ont amélioré leur performance en substituant le gaz au charbon dans leurs centrales, mais l'effet indirect a été une baisse considérable du charbon et aujourd'hui l'Allemagne, qui a fait le plus d'efforts pour développer les énergies renouvelables, produit plus de CO² parce qu'elle développe l'utilisation du charbon pour produire l'électricité nécessaire pour compenser l'abandon du nucléaire. Le choix de l'abandon du nucléaire est purement idéologique car cette énergie reste incontournable pour diminuer les émissions de CO².
Cette audition n'a pas donné lieu à un compte rendu.
La réunion est levée à 18 heures.