Permettez-moi d'abord de vous dire que je suis très heureux de vous retrouver, après cette période estivale, au moment où le Sénat et l'Office vont aborder une période de changement. En effet, à la suite du renouvellement de sa partie sénatoriale au mois d'octobre prochain, l'Office va élire son nouveau bureau, dont on peut déjà dire qu'il sera présidé par un député. Au cours de l'été est paru le dernier rapport de l'Office sur « Les freins réglementaires à l'innovation en matière d'économie d'énergie dans le bâtiment : le besoin d'une thérapie de choc », dont les rapporteurs étaient MM. Jean-Yves Le Déaut et Marcel Deneux. Je crois pouvoir dire que ce rapport a reçu un très bon accueil, notamment - et c'est peut-être le plus important - des milieux spécialisés du bâtiment. J'ai donc le plaisir de féliciter les deux rapporteurs, et peut-être plus particulièrement Marcel Deneux, dont c'était le dernier rapport parlementaire puisqu'il ne se représente pas aux élections sénatoriales. Au-delà de son activité au Sénat, notamment au sein de la commission des Affaires économiques, dont il a été vice-président, Marcel Deneux a contribué à plusieurs rapports de l'Office, toujours avec le même enthousiasme et le souci de précision qui le caractérisent.
Vous avez reçu hier un additif à la convocation ajoutant à l'ordre du jour de la présente réunion les désignations de rapporteurs, à la suite de la saisine de la commission des Affaires sociales de l'Assemblée nationale de juin 2014 sur « Les enjeux et les perspectives de l'épigénétique ». Vous vous souvenez que, lors de la dernière réunion de l'Office tenue avant l'été, ce point était déjà inscrit à l'ordre du jour. Mais il y avait eu, sinon pléthore, du moins quatre candidats rapporteurs, tous députés, aucun sénateur ne s'étant manifesté. J'avais alors souhaité que ceux-ci se mettent d'accord entre eux sur deux noms à soumettre à l'Office. Le premier vice-président a alors pris les choses en main et a organisé avec les candidats une rencontre qui n'a pu avoir lieu qu'hier. Jean-Louis Touraine a retiré sa candidature à cette occasion. Anne-Yvonne Le Dain a fait de même, après une conversation téléphonique avec Jean-Yves Le Déaut. Les seules candidatures restantes sont celles d'Alain Claeys et de Jean-Sébastien Vialatte. À noter qu'il y aurait ainsi un rapporteur de la majorité et un de l'opposition.
Je voulais préciser qu'à l'occasion d'une réunion du Conseil scientifique, nous avions vu qu'il serait intéressant de traiter de la question des biosimilaires qui sont des génériques équivalents de molécules chimiques actuellement commercialisées. Quand un médicament, anticorps monoclonal ou hormone, est fabriqué par génie génétique, la technique utilisée et ses conditions de mise en oeuvre ont une influence. Cette question des biosimilaires est donc une vraie question sur le plan réglementaire. Bien entendu, une saisine de l'Office sera nécessaire, mais nos deux collègues Jean-Louis Touraine et Anne-Yvonne Le Dain sont prêts à traiter de cette question.
J'approuve cette proposition. Je mets donc aux voix les candidatures d'Alain Claeys et Jean-Sébastien Vialatte pour le rapport sur l'épigénétique.
(Il est procédé au vote.)
Ils sont donc tous deux désignés comme rapporteurs. Je félicite les deux candidats pour l'unanimité des votes exprimés en leur faveur.
Nous en venons maintenant au point principal de notre ordre du jour, avec la présentation du projet de rapport de MM. Christian Bataille et Christian Namy sur « L'évaluation du Plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs 2013-2015 ».
Avant de donner la parole aux deux rapporteurs, je souhaiterais simplement rappeler que l'Office a toujours été particulièrement attentif à la filière nucléaire et à son ouverture à la société civile. Ce thème a émaillé nombre de ses rapports, jusqu'à la loi du 28 juin 2006 relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs. C'est cette loi, par son article 6, qui a institué un plan national de gestion de ces matières et déchets, plan mis à jour tous les trois ans et transmis au Parlement, qui en saisit, pour évaluation, l'Office parlementaire. Il s'agit donc d'une saisine législative de l'Office qui se renouvelle à intervalles réguliers.
Le plan national 2013-2015 constitue donc le troisième plan soumis à l'Office, mais il faut noter qu'à la date de parution du rapport que vous allez examiner dans quelques instants, les travaux sur le prochain plan 2016-2018 seront déjà largement entamés, c'est pourquoi vos rapporteurs ont jugé pertinent de simplifier la présente évaluation et sa portée. Bien entendu, ils vous expliqueront pourquoi et dans quelle mesure. Je termine en rappelant que les deux rapporteurs et moi-même sommes particulièrement intéressés par l'objet de ce plan, car le projet de stockage en grande profondeur concerne une région qui nous est chère. Je suppose que la présentation des rapporteurs sera à deux voix. Je leur donne la parole.
Avec Christian Namy, nous allons aujourd'hui vous présenter le rapport d'évaluation du Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs 2013-2015.
Tout d'abord, je voudrais dire quelques mots sur les conditions dans lesquelles s'est déroulée notre étude.
Le PNGMDR 2013-2015 a été transmis au Parlement au début de l'année 2013. La loi du 28 juin 2006 qui est à l'origine de la création de ce plan prévoit, en effet, qu'il fasse l'objet d'une évaluation confiée à notre Office. À cette fin, deux auditions publiques ont été organisées, les 28 février et 21 mars 2013. Avec Christian Namy, nous avons assisté pour partie à ces auditions. C'est quelques mois plus tard, en juin 2013, que nous avons été nommés en tant que rapporteurs pour effectuer cette évaluation. Nous avons bien entendu intégré ces deux auditions à notre étude. Conformément à la démarche de notre Office, nous avons tenu à entendre individuellement les principaux acteurs de la gestion des déchets nucléaires dans notre pays. Cela nous a permis de prendre en compte certaines évolutions, comme le déroulement du débat public organisé sur le projet de stockage. Compte tenu d'un agenda déjà chargé, ces auditions se sont tenues à partir de novembre 2013.
Par ailleurs, nous avions souhaité prendre connaissance de la façon dont ce problème était pris en compte à l'étranger. Nous avions proposé de nous rendre en Hongrie et au Japon. Parmi nos voisins européens, l'exemple de la Hongrie nous a paru intéressant. C'est un petit pays nucléaire, avec une seule centrale d'origine russe, qui a une démarche très structurée pour la gestion de ses déchets radioactifs. Nous aurions également souhaité nous rendre au Japon, qui est confronté au même problème mais à une tout autre échelle et avec d'autres difficultés, liées notamment - tout le monde le sait - à sa géologie. Qui plus est, les conséquences du tremblement de terre et du tsunami de 2011 sur les centrales nucléaires japonaises ont montré que l'éparpillement des combustibles usés est loin d'être une bonne solution, même s'il s'avère incontournable de les laisser refroidir en piscine. Enfin ce pays est en pointe dans la recherche sur les nouvelles technologies du nucléaire. Nous regrettons qu'il ait été impossible d'organiser ce déplacement, rigueur budgétaire oblige. Par un heureux concours de circonstances, dans le cadre d'une étude sur les enjeux internationaux de l'énergie, je me suis rendu aux États-Unis d'Amérique, donc sans frais pour notre Office. J'ai pu rencontrer les interlocuteurs du DOE (Department of Energy - ministère de l'Énergie) pour évoquer la gestion des déchets radioactifs et les deux incidents - un incendie et une contamination radioactive - survenus cette année dans un centre de stockage souterrain destiné aux déchets militaires, le WIPP (Waste Isolation Pilot Plant), au Nouveau Mexique, que j'avais eu l'occasion de visiter il y a quelques années. Le compte rendu de cet entretien est annexé à notre rapport.
Enfin, je voudrais souligner que le rapport, tel que vous l'avez en main aujourd'hui, a un peu évolué - sur la forme mais pas dans le fond - par rapport à celui mis en consultation ces derniers jours. Nous avons aussi un peu retouché les recommandations. Ces ajustements étaient difficiles à éviter avec une remise intervenant si peu de temps après le début d'une session extraordinaire.
Je vais, dans un instant, donner la parole à Christian Namy qui évoquera le Plan national de gestion des matières et déchets radioactif sous l'angle de sa présentation, en tant que document, et des conditions de son élaboration. Je reprendrai ensuite la parole pour parler de l'avancement des travaux sur la séparation-transmutation, l'un des trois axes de recherche définis par la loi de 1991.
Christian Namy parlera ensuite du déroulement du projet de stockage géologique profond Cigéo. Enfin, je terminerai en évoquant la question du débat public qui a concerné ce projet de stockage géologique entre les mois de mai et décembre 2014. Christian Namy, pour terminer, conclura nos propos, mais je lui laisse tout de suite la parole pour évoquer le PNGMDR 2013-2015 et son groupe de travail.
Je vais donc rapidement présenter nos réflexions sur le Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs pour la période 2013-2015, et les conditions de son élaboration. L'instauration de ce plan par la loi de 2006 marque une étape importante dans la progression vers la transparence et la participation du public sur la question de la gestion des déchets radioactifs. Comme vous le savez, les décisions concernant le développement de l'industrie nucléaire étaient, au départ, surtout affaire de spécialistes - ou du moins elles étaient prises dans un cercle restreint où leur influence était décisive - loin des citoyens et de leurs représentants au Parlement. Cette situation est précisément l'une des raisons qui a conduit à la création de notre Office, chargé d'éclairer le Parlement sur des sujets complexes, à connotation scientifique ou technique.
Les travaux de notre Office ont d'ailleurs été décisifs pour imposer la transparence dans le domaine nucléaire, et plus spécifiquement pour la création du plan qui nous intéresse aujourd'hui. À cet égard, je dois bien entendu citer en premier lieu le rapport de 1990 de Christian Bataille sur les déchets radioactifs qui a abouti à la loi de 1991 qui porte son nom. Quelques années plus tard, notre collègue Michèle Rivasi a pour la première fois évoqué dans un rapport l'idée d'un plan national de gestion des déchets radioactifs. En 2005, c'est encore Christian Bataille et notre ancien président Claude Birraux qui proposaient d'instituer un tel plan dans la loi de 2006 sur la gestion des déchets radioactifs. En 2011, une directive européenne a repris cette idée d'un plan national décrivant les modes de gestion de l'ensemble des déchets radioactifs, dont l'élaboration est ainsi devenue une obligation pour tous les Etats membres.
À sa constitution, en 2003, le groupe de travail qui allait devenir celui du PNGMDR constituait, par son caractère pluraliste, une innovation majeure pour la démocratie participative dans notre pays. À ce titre, il a inspiré de nombreuses autres instances, par exemples les groupes de travail du Haut comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire (HCTISN). D'ailleurs, la nomination rapide par le ministère de l'Écologie des nouveaux membres du HCTISN est l'une de nos recommandations. Cet organisme joue un rôle très important pour la transparence sur la sûreté depuis sa création en 2006.
Pour autant, le fonctionnement du groupe de travail du PNGMDR n'est pas exempt d'imperfections. Les participants : les associations, les industriels et l'Andra, nous ont tous fait part des problèmes qu'ils rencontrent. Du côté des associations qui disposent de peu d'effectifs et de moyens, le temps nécessaire à leur participation aux réunions est une réelle difficulté. Mais elles se félicitent tout de même de parvenir, de plus en plus souvent, à faire valoir leurs positions. Quant à l'Andra et aux industriels, ils se sont plaints du nombre croissant d'études qui leur sont demandées dans ce cadre.
Il est certain que l'étendue et la complexité des sujets traités par le groupe de travail du PNGMDR rend l'exercice d'une élaboration réellement pluraliste particulièrement difficile. En pratique, les réunions consistent en une série de présentations d'études techniques suivies d'un court débat au cours duquel les associations donnent leur point de vue. Nous suggérons d'améliorer encore la qualité des échanges en autorisant les associations à demander que, pour un ou deux sujets particulièrement importants, le HCTISN soit saisi d'une étude. Ces sujets seraient alors traités au sein d'un groupe de travail du Haut comité. Les conclusions de celui-ci seraient présentées au groupe de travail du PNGMDR. Nous avons aussi noté qu'il restait quelques réticences à ce que les associations puissent assister aux réunions techniques avec l'Andra et les producteurs, ou accéder aux dossiers de ces réunions. Nous demandons que cet accès soit facilité dans la limite du secret commercial.
Je vais parler à présent du PNGMDR lui-même qui est un document de 170 pages avec trois grandes parties traitant des principes et des objectifs de la gestion des matières et déchets radioactifs, des filières de gestion de déchets existantes et des filières de gestion à mettre en place. Il nous apparaît, de par sa forme et son contenu, tout à fait conforme aux exigences de la loi de 2006. Nous avons été rassurés de constater que les principaux participants au groupe de travail, associations, industriels et administrations, s'accordent à reconnaître l'utilité et l'importance du PNGMDR, même si c'est pour des raisons différentes, les uns (DGEC et Andra) le considérant d'abord comme un outil de gestion et les autres (associations mais aussi EDF) comme un moyen d'information du public.
Le PNGMDR 2013-2015 constitue la troisième édition de ce plan et des progrès très significatifs ont été réalisés sur le fond et sur la forme. Par sa présentation, le dernier rapport est plus facilement accessible pour le commun des mortels que les précédents, c'est d'ailleurs en partie le résultat de recommandations de l'Office. Mais malgré cette lecture facilitée, nous avons constaté que la notoriété du PNGMDR dans le public n'est pas suffisante aujourd'hui. Pour l'améliorer, nous proposons que la DGEC et l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) se rapprochent de l'association des Commissions locales d'information, l'ANCCLI. Il s'agit d'organiser des présentations de ce document mais aussi de recueillir les réactions des membres des Commissions locales d'information (CLI). Une telle démarche permettrait de toucher un public de trois mille personnes réparties sur le territoire et déjà impliquées dans les questions nucléaires. Je vais passer la parole à Christian Bataille qui va traiter de la séparation-transmutation.
La séparation-transmutation étant un sujet très technique et un peu aride, je vais m'efforcer d'être court et dense. Le développement de solutions permettant la séparation et la transmutation des éléments radioactifs à vie longue est le premier des trois axes de recherche définis par la première loi de 1991 sur la gestion des déchets radioactifs, dont j'étais le rapporteur il y a près d'un quart de siècle. C'est un objectif ambitieux : réduire la durée d'activité des éléments à vie longue les plus radiotoxiques : le plutonium et les actinides mineurs (américium, curium et neptunium). Pour cela, il faut d'abord séparer ces différents éléments. Une fois séparés, il faut les transmuter par fission, dans un réacteur conçu à cette fin.
Fin 2012, conformément à la loi, le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) a remis une évaluation des perspectives industrielles de la séparation-transmutation. Ce dossier confirme que les recherches menées nous permettent aujourd'hui de disposer de procédés éprouvés en laboratoire pour séparer les éléments radioactifs à vie longue.
Mais la possibilité de réaliser la séparation à l'échelle industrielle est conditionnée par la viabilité des installations de retraitement des combustibles et de recyclage qui existent aujourd'hui. Ce sont ces installations qu'il faudra modifier le moment venu, pour permettre la séparation. De ce fait, si nous devions abandonner le retraitement des combustibles usés, les résultats des recherches sur la séparation-transmutation ne pourraient pas trouver d'application industrielle.
Il est vrai que le retraitement des combustibles usés tel qu'il existe aujourd'hui présente des limites techniques - on le sait depuis longtemps. Par exemple, il ne permet de recycler qu'une partie de l'uranium et du plutonium récupérés. De plus, la baisse du prix de l'uranium - passé, depuis 2007, de 100 € à 25 € la livre - le rend moins rentable. Mais, il ne faut pas juger de la viabilité économique d'une activité industrielle qui nécessite des investissements lourds, en fonction des variations souvent erratiques du cours d'une matière première. Pour EDF - et pour notre pays - la garantie de l'approvisionnement de ses centrales en combustible constitue une nécessité vitale. Cet outil industriel et les stocks stratégiques de matières associés lui permettraient de faire face à d'éventuelles tensions sur le marché.
De plus, plusieurs pays ont récemment décidé d'investir sur le traitement/recyclage des combustibles usés : la Fédération de Russie, la Chine, qui a signé une lettre d'intention avec Areva, et le Japon, qui annonce enfin la mise en service de son centre de Rokkasho-Myura, après les mises à niveau consécutives au tremblement de terre de 1991. Cette évolution constitue une opportunité pour notre industrie. Elle représente aussi un risque de concurrence accrue sur le marché international. Nous considérons qu'il faut tirer les conséquences de cette situation en renforçant l'effort de recherche sur le cycle du combustible et, tout particulièrement, celui nécessaire à la séparation-transmutation. Il sera, en effet, plus facile et moins coûteux de maintenir l'avance scientifique dont nous bénéficions aujourd'hui que d'essayer de revenir demain dans le peloton de tête, alors que nous ne disposerons plus de chercheurs compétents. C'est déjà un risque que nous courons un peu.
Une fois la séparation réalisée, la transmutation nécessite de disposer d'un réacteur capable de générer un flux de neutrons. Le dossier remis, fin 2012, par le CEA propose de développer un démonstrateur de réacteur à neutrons rapides refroidi au sodium de 600 MWe, baptisé ASTRID, tout en continuant à soutenir plusieurs projets alternatifs. Ainsi, en Hongrie, Christian Namy a rencontré les chercheurs qui travaillent, dans un laboratoire de l'Académie des sciences, sur le projet européen de réacteur à neutrons rapide à caloporteur gaz ALLEGRO, coordonné par le CEA. Ses interlocuteurs lui ont confirmé que l'étude de ce réacteur est encore à un stade très préliminaire.
S'agissant d'un développement devant aboutir - comme le demande la loi - à un réacteur opérationnel vers 2020-2025, le choix du CEA en faveur d'un réacteur refroidi au sodium est motivé par la maturité de cette filière. La Russie exploite depuis plus de trente ans un réacteur de ce type de 550 MWe, le BN-600. Son successeur de 880 MWe vient de diverger. Nous-mêmes avons déjà construit trois réacteurs de ce type. Lorsqu'il a été arrêté en 2009, le réacteur Phénix de 250 MWe était le plus ancien du parc. Il n'en reste pas moins que le sodium est un métal hautement réactif. Il réagit instantanément avec l'eau, de façon exothermique, en produisant de la soude et de l'hydrogène. Nous nous souvenons tous que, en travaux pratiques de physique-chimie, lorsque le professeur dépose un petit morceau de sodium dans l'eau, cela génère une flamme et parfois une explosion.
Pour autant, aucune des filières alternatives n'est exempte de difficultés sur le plan de la sûreté, comme le démontre une étude récemment publiée par l'IRSN et, a contrario le sodium présente aussi des avantages, par exemple son inertie thermique. Pour répondre aux inquiétudes sur cette technologie, dans le dossier remis fin 2012, le CEA propose des avancées notables en matière de sûreté pour ce futur réacteur. Néanmoins l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a adressé au CEA, sur la base d'une étude de l'IRSN et de l'avis de son propre groupe de travail « réacteurs », des demandes complémentaires en matière de dispositions de sûreté.
Nous estimons que le choix du CEA est pertinent, compte tenu des délais fixés, mais approuvons le haut niveau d'exigence de l'ASN et encourageons le CEA à prendre en compte les demandes complémentaires qu'elle a formulées. Le maintien de la sûreté nucléaire implique en effet une constante volonté de progression, a fortiori s'agissant d'un projet de recherche et développement. Je repasse la parole à Christian Namy sur le projet de stockage géologique profond.
La loi de 1991 a créé l'Andra en tant qu'établissement indépendant des producteurs de déchets et lui a confié la mission d'assurer la gestion de l'ensemble des déchets radioactifs et des installations associées. Aussi, jusqu'à la fin 2009, l'Andra a très logiquement géré seule les travaux sur le stockage géologique profond, en respectant les délais fixés et en ne rendant de comptes qu'au Gouvernement et au Parlement.
Mais, en 2010, suite à la divulgation d'une nouvelle estimation de l'Andra sur le coût du projet, nettement plus élevée que la précédente de 2005, les grands producteurs de déchets ont rendu public un projet alternatif à celui de l'Andra et ont mis en doute sa capacité à mener à bien ce projet. Ils ont proposé de s'impliquer dans la maîtrise d'ouvrage, notamment en mettant à disposition leurs compétences internes et leur retour d'expérience sur les grands chantiers. Confrontés à cette situation durant leur évaluation du précédent plan, Christian Bataille et son co-rapporteur Claude Birraux ont exprimé sans détour leur position en adressant aux producteurs un rappel à la loi sur l'indépendance et les missions de l'Andra. Malgré leur avertissement, un an plus tard l'Andra a signé, sous l'égide de la Direction générale de l'énergie et du climat (DGEC), une convention de coopération avec les producteurs. Nous avons dressé un bilan des effets de cette convention, en principe confidentielle mais que nous avons pu consulter.
Nous ne négligeons ni l'apport des producteurs au projet Cigéo, en termes de retour d'expérience et de savoir-faire, ni la légitimité de leurs inquiétudes à l'égard de possibles dérives du coût de ce projet. Mais nous constatons que l'organisation mise en place par la DGEC pour assurer les échanges entre les producteurs et l'Andra n'est pas satisfaisante, puisqu'elle a conduit pour la première fois à des retards importants dans le calendrier du projet. Par ailleurs, nous considérons que l'opacité qui entoure les relations entre l'Andra et les producteurs dans le cadre de cette convention contredit l'esprit de la loi. Si, demain, il devait s'avérer que certains choix ont eu des conséquences néfastes, en termes de sûreté ou de coût, les conditions dans lesquelles ces décisions ont été prises risqueraient de rester mal définies. Une telle situation n'est absolument pas acceptable. Aussi nous demandons à la DGEC d'assurer, à l'avenir, la plus grande transparence possible des échanges entre l'Andra et les producteurs. De plus, nous lui demandons de limiter l'impact de ces échanges sur les délais de réalisation du projet, en bornant le nombre et la durée des réunions.
Mais le manque de transparence porte aussi sur les coûts de ce projet et, plus largement, toutes les charges à long terme de la filière nucléaire. La dernière évaluation du coût de Cigéo date de 2005. Une nouvelle évaluation devait être publiée à la fin de l'année 2013. Nous l'avons demandée, nous ne l'avons toujours pas. Nous demandons à la DGEC de la communiquer avant la fin de cette année. Cette situation ne peut pas perdurer. La loi de 2006 sur la gestion des déchets radioactifs a créé une commission indépendante : la Commission nationale d'évaluation du financement des charges de démantèlement des installations nucléaires de base et de gestion des combustibles usés et des déchets radioactifs (CNEF) chargée de vérifier l'adéquation des provisions constituées par les producteurs de déchets au financement de leurs charges de long terme. Par le passé, l'Office avait rappelé plusieurs fois le Gouvernement à l'ordre concernant l'installation de cette commission qui a publié son premier rapport avec quatre ans de retard. Compte tenu de la nécessité, pour le Parlement mais aussi pour le Gouvernement, de disposer des moyens permettant d'assurer un contrôle plus efficace sur les conditions de financement des charges de long terme des producteurs de déchets radioactifs, nous préconisons de la transformer en une instance indépendante, disposant d'un secrétariat propre et avec une composition adaptée, à l'image de la Commission nationale d'évaluation. Cette CNEF renouvelée serait chargée d'un suivi permanent des charges de long terme de l'industrie nucléaire, ainsi que de l'adéquation des provisions et actifs correspondants.
Un autre point mis en évidence, dans le cadre du débat public de 2013 sur Cigéo, a tout particulièrement retenu notre attention, en raison des risques qu'il induits à court terme. Il s'agit du peu d'attention porté aux conditions d'insertion du futur centre de stockage dans le territoire. Certains impacts du projet Cigéo vont se concrétiser, dès 2015, par la mise en place des premières infrastructures indispensables à l'avancement du projet. Or, il n'existe, à ce jour, aucune structure administrative à même d'accompagner l'implantation du projet Cigéo dans le territoire. Cette situation pourrait se traduire par un manque de coordination entre les acteurs du projet et les acteurs locaux, susceptible de générer retards et insatisfactions. S'agissant d'un projet d'intérêt national, nous demandons au Gouvernement de créer, sans tarder, une « mission Cigéo » chargée d'accompagner l'insertion du projet dans le territoire, directement rattachée au Premier ministre et dirigée par un responsable de haut niveau.
À cet égard, nos collègues députés Christophe Bouillon et Julien Aubert avaient déjà demandé, dans un rapport de 2013 sur la gestion des déchets radioactifs, la création en Meuse et Haute-Marne d'une « zone d'intérêt national » compte tenu de l'importance de ce projet pour l'économie de tout le pays. À ce jour, l'engagement des grands producteurs de déchets (EDF, Areva et le CEA) dans le développement des deux départements impactés par le projet de stockage géologique profond n'est pas à la hauteur des promesses faites lors de l'acceptation de celui-ci. L'absence pendant plus d'une année, de réunion du Comité de Haut Niveau illustre leur démobilisation à l'égard du développement économique local. Le déploiement des premières installations représente une occasion de donner une nouvelle dynamique à l'accompagnement économique du territoire, prévu par la loi. La « mission Cigéo » serait également bien placée pour identifier suffisamment en amont les opportunités, informer les entreprises locales et étudier la meilleure façon d'en tirer parti.
S'agissant de la fiscalité associée au projet, il n'est pas acceptable que les conditions de sa mise en oeuvre ne soient toujours pas définies à ce stade. Nous demandons que le Gouvernement fasse rapidement des propositions précises à ce sujet. La « mission Cigéo » pourrait aussi avoir pour mandat d'assurer le lien avec les deux départements concernés dans ce domaine.
En un mot, cette mission permettrait d'assurer une coordination aujourd'hui inexistante et pourtant indispensable. Qui plus est, sa création constituerait, pour la population comme pour les élus locaux, une preuve de l'attention accordée à ce projet au plus haut niveau de l'État, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Je passe maintenant la parole à Christian Bataille qui va évoquer le déroulement du débat public sur Cigéo et ses suites.
Le débat public sur le projet Cigéo a été organisé de mai à décembre 2013 par la Commission Nationale du Débat Public (CNDP), conformément à ce que prévoyait la loi de 2006. Dans le rapport d'évaluation du précédent plan, je m'étais par avance inquiété, avec Claude Birraux, à la lumière des incidents survenus en 2009 à propos des nanotechnologies, du risque d'empêchement des réunions par un petit nombre d'opposants déterminés. Deux ans et demi plus tard, mes craintes ont malheureusement été pleinement confirmées. Les deux premières réunions qui se sont tenues à Bure et à Bar-le-Duc, en mai et juin 2013, ont été interrompues par quelques dizaines d'adversaires du débat très minoritaires. C'est à juste titre que la CNDP a appelé les pouvoirs publics à « prendre les mesures nécessaires pour assurer la tenue et la sérénité du débat ». Il revient, en effet, au pouvoir exécutif de faire appliquer la loi.
Face à l'impossibilité de tenir les réunions publiques prévues, la CNDP n'est pas restée sans réagir, et nous tenons à saluer ici son action ainsi que celle de la commission particulière du débat public (CPDP) Cigéo. L'organisation de neuf débats contradictoires sur Internet a permis un dialogue interactif entre l'Andra, des experts indépendants et le public. Plus de 9 000 connexions ont été enregistrées, pendant ou après les débats, et quelques 400 questions ont été posées. Ces résultats dépassent largement ceux enregistrés pour des réunions publiques. En matière de nouvelles technologies de communication, la CNDP ne s'est pas limitée à l'organisation de ces neuf débats interactifs. Comme je l'avais préconisé en 2011, elle a également fait appel aux réseaux sociaux. Au vu du compte rendu du débat public sur Cigéo, nous considérons que, malgré les obstacles rencontrés, ce dernier a non seulement bien eu lieu, mais a même atteint ses objectifs, aussi bien sur le plan de l'information des citoyens que du recueil des différentes opinions exprimées sur ce projet.
Nous avons également noté que la CNDP a organisé une conférence de citoyens. Nous considérons que cette formule, qui consiste à réunir une forme de « jury » d'une quinzaine de personnes, contredit le principe du débat public : elle ne contribue pas à informer les citoyens et elle ne leur permet pas non plus d'exprimer leur point de vue. En forçant un peu le trait, il serait possible de considérer que la conférence de citoyens se positionne en tant qu'alternative au référendum, tel qu'il est prévu à l'article 11 de la Constitution, comme une nouvelle forme de démocratie directe, sans les lourdeurs d'une consultation nationale, mais aussi sans la légitimité d'un appel au peuple souverain. Nous considérons que la CNDP ne doit pas utiliser cette formule ambiguë pour des débats de portée nationale qui précédent un rendez-vous législatifs.
Le débat public a pris fin le 15 décembre 2013. Les conclusions du débat ont été publiées en février 2014. En mai 2014, le conseil d'administration de l'Andra - au sein duquel je représente notre Office - a décidé d'apporter des modifications à son projet pour prendre en compte les résultats du débat. Par exemple, il a prévu une phase industrielle pilote au démarrage du centre de stockage géologique, ou encore le raccordement du site au réseau ferré, pour acheminer les colis de déchets par le rail plutôt que par la route. Sur d'autres points, l'Andra rappelle justement la pertinence des dispositions législatives et réglementaires existantes. Ainsi, en matière de maîtrise des risques, conformément à la loi du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire, la délivrance de l'autorisation de création du centre de stockage est soumise, comme pour toute autre installation nucléaire, à une évaluation préalable approfondie par l'Autorité de sûreté nucléaire, autorité administrative indépendante dont la compétence et la rigueur sont internationalement reconnues. L'ASN assurera également un contrôle des conditions de réalisation du stockage et, après son ouverture, de ses conditions d'exploitation.
Toutefois, plusieurs propositions et conclusions du débat public ne relèvent pas directement de l'Andra, mais d'une intervention du Gouvernement ou du Parlement. Nous suggérons donc au Gouvernement de tirer lui aussi les conclusions du débat public, car c'est l'une des conditions de la crédibilité de cette procédure. Je vais passer à présent la parole à Christian Namy qui va conclure.
Au terme de notre évaluation, nous constatons avec satisfaction la poursuite de la progression du travail réalisé par le groupe de travail pluraliste du Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs. Incontestablement, le dernier PNGMDR est plus accessible, mieux structuré que les précédents, alors même qu'il couvre un domaine toujours plus vaste. Nous tenons à saluer ici la qualité de ce document et, bien entendu, l'implication de tous les participants au groupe de travail qui ont contribué à l'élaborer : les représentants des associations, souvent bénévoles, des industriels et des administrations.
S'agissant de la deuxième partie de notre évaluation, nous avons été à la fois rassurés par l'avance prise par nos scientifiques et ingénieurs dans le domaine de la séparation-transmutation et un peu inquiets de constater que les contraintes budgétaires pourraient assez vite nous faire perdre pied face à nos concurrents étrangers. Par ailleurs, nous avons suivi avec beaucoup d'intérêt le déroulement, parfois difficile, du débat public sur Cigéo ainsi que son aboutissement finalement positif. Quant aux difficultés rencontrées récemment par le projet de stockage géologique profond Cigéo, nous ne pouvons que mesurer la pertinence de l'alerte lancée, voici un peu plus de trois ans, dans le cadre du rapport d'évaluation du précédent PNGMDR qui avait été intitulé fort à propos : « Déchets nucléaires, se méfier du paradoxe de la tranquillité ». Puisque cet avertissement ne semble pas avoir été entendu, nos recommandations visent à réinstaurer la transparence nécessaire et à rétablir la confiance des populations en l'engagement de l'État dans ce dossier d'importance nationale.
Nous allons à présent passer aux questions. Je laisse d'abord la parole à notre premier vice-président.
Je voudrais tout d'abord féliciter les rapporteurs pour le travail réalisé et souligner que les questions qu'ils posent sont majeures. C'est vrai qu'il y a eu un échec du débat public et que la conférence de citoyens n'en a été qu'un ersatz. Pour avoir organisé la première conférence de ce type en France, dans le cadre d'une étude de l'Office, je serais moins sévère vis-à-vis de cette procédure que le texte du rapport. Les conférences de citoyens peuvent jouer un rôle mais pas venir en substitution d'une prise de décision démocratique. Elles peuvent permettre de populariser un débat, d'en cerner les termes, mais elles doivent venir en amont, pas en aval d'un débat public.
Je partage l'avis des rapporteurs sur l'entreposage de longue durée, évoqué incidemment dans un récent rapport d'une commission d'enquête. Celui-ci ne constitue pas une solution au problème des déchets radioactifs. En 2006, l'ancienne Commission nationale d'évaluation (CNE) avait été très claire à ce sujet. Elle avait indiqué qu'il faut prendre en compte l'absence de solution acceptable au problème de durabilité des ouvrages d'entreposage et que, sans préjuger de la stabilité des sociétés sur le long terme, un entreposage de longue durée fait peser une lourde charge sur les générations à venir qui devraient assumer le devenir ultime des déchets. Enfin, la CNE rappelait que, après l'entreposage, il s'avérera de toute façon nécessaire de mettre en oeuvre une solution définitive, pour un coût global final supérieur.
Je regrette, comme eux, que les rapporteurs n'aient pas pu se rendre au Japon où ils auraient pu constater que les problèmes les plus difficiles à régler après l'accident de la centrale de Fukushima-Daiichi sont liés à la présence de déchets disséminés dans les piscines et en dehors de celles-ci. De la même façon, en France, plus les déchets seront éparpillés, plus les risques d'accident seront importants. Tous ceux qui ont étudié ce problème s'accordent à dire que l'on ne peut escamoter la question du stockage géologique, l'entreposage n'offrant rien de plus qu'une solution transitoire.
Un autre point concerne l'origine du retard pris par rapport aux échéances fixées par la loi de 2006, l'Andra n'étant pas en mesure de remettre la demande d'autorisation de création avant 2015. Il est vrai qu'un certain nombre d'exploitants n'ont objectivement aucun intérêt à presser le mouvement, dans la mesure où l'aboutissement de ce dossier se traduira par des engagements financiers importants de leur part.
Le calendrier du projet étant aujourd'hui perturbé, je suis personnellement favorable à ce que cette question soit abordée dans la loi sur la transition énergétique, même si ce n'était pas la première fois qu'une date fixée par la loi ne serait pas respectée. Surtout, il faudra définir la réversibilité, prévue par la loi de 2006. Je suis favorable à la définition suivante, élaborée par la Commission nationale d'évaluation (CNE2), plutôt qu'à celle mentionnée dans l'article 35 aperçu dans une version préliminaire du projet de loi :
« La réversibilité est un mode de gestion permettant de garantir aux générations futures la possibilité, à toutes les étapes du processus planifié de stockage, de prendre la décision de poursuivre, de marquer une pause ou de revenir éventuellement à l'étape antérieure. »
Cette durée de cent ans a été fixée en fonction des caractéristiques de l'argile. Si le stockage ouvre - ce qui m'apparaît difficile - en 2025, la période de réversibilité pour les premiers déchets stockés, produits cinquante ans auparavant, sera non de cent mais de cent cinquante ans, ce qui représente une durée conséquente. De plus, la Commission nationale d'évaluation considère que le stockage doit être conçu de façon à permettre une fermeture progressive, permettant d'assurer au mieux la sûreté et la sécurité des travailleurs et de la population.
Par ailleurs, comme l'a indiqué Christian Bataille, un stockage expérimental pourrait être autorisé, pour permettre la validation des modèles théoriques. Indépendamment des positions des uns et des autres sur la question du stockage, une telle solution permettrait de démontrer que ces modèles fonctionnent bien. Cela a été annoncé par l'Andra, mais n'est pas encore validé sur le plan législatif. Si nous ne sommes pas aujourd'hui tous d'accord, il faudra de toute façon, à un moment ou un autre, traiter de cette question.
Comme Christian Bataille, je pense que cela devrait relever d'une décision du Gouvernement, mais j'en doute lorsque j'entends une déclaration évoquant maintenant une solution d'entreposage en sub-surface écartée depuis longtemps. Il y a vingt ans déjà, j'avais adressé un courrier au Président de la République à ce sujet. Ce dossier semble traité par les responsables politiques suivant le principe de la « patate chaude », consistant à laisser aux successeurs le soin de l'instruire. Je le dirai de la même façon en séance plénière. J'espère que nous pourrons trouver un compromis, entre personnes qui ne sont pas forcément du même avis, pour que ce dossier ne soit pas laissé à l'abandon.
Je m'excuse de devoir partir bientôt pour me rendre à une audition de la commission spéciale sur la transition énergétique, dont je suis rapporteur. Je tiens également à féliciter les rapporteurs, même si je suis en désaccord avec eux sur de nombreux points. Leur analyse permet de nourrir le débat.
Sur la conférence de citoyens, au-delà de nos désaccords habituels, je pense que c'est une procédure très novatrice pour organiser des débats avec des citoyens sur des sujets complexes, comportant des enjeux éthiques, puisqu'on ne peut nier le caractère éthique de la question de la gestion des déchets radioactifs. J'étais membre du cabinet de Mme Dominique Voynet à l'époque où, comme l'a rappelé Jean-Yves Le Déaut, il avait été demandé à l'OPECST d'organiser une conférence de citoyens sur les organismes génétiquement modifiés (OGM). J'avais été très heureux que cela puisse se mettre en place. J'ai moi-même organisé, à la ville de Paris, une telle conférence sur la question des ondes électromagnétiques. Je trouve que celle sur les déchets nucléaires a également été assez remarquable. Indépendamment du jugement que l'on porte sur ses conclusions, je trouve qu'une conférence de citoyens permet d'éclairer un sujet. Elle n'est pas forcément représentative, mais elle est l'équivalent d'un jury d'assise, lui aussi constitué d'une douzaine de personnes tirées au sort, également éclairées par un certain nombre d'avis contradictoires. Leur décision pèse d'ailleurs lourd sur la vie des personnes concernées.
C'est vrai, mais il reste une part d'appréciation personnelle sur des faits qui ne sont pas toujours clairement établis. Toujours est-il que je trouve que la conférence de citoyen est un outil très intéressant.
Concernant le rapport, je n'ai évidemment pas eu le temps d'en lire l'intégralité, mais j'ai notamment pu en survoler les titres. Je ne suis pas d'accord avec ce qui est écrit sur la pertinence du retraitement et de la production de MOX. La commission d'enquête a fait la démonstration - c'est d'ailleurs ce qu'indiquent Areva et EDF - que si les combustibles étaient stockés directement plutôt que d'être retraités cela ne coûterait pas plus cher et peut-être même moins cher, tout en évitant beaucoup de transports et d'opérations particulièrement problématiques en termes de sûreté. Vous ne serez pas surpris de ma position, conforme à celle du mouvement écologiste.
Nous pensons aussi que la quatrième génération est un leurre. À cet égard, je rejoins ce qui a été dit sur le fait que toutes les technologies de quatrième génération posent des problèmes de sûreté. Je suis aussi d'accord sur le fait qu'il n'est pas acceptable que le CEA ne veuille pas appliquer les consignes de l'ASN en matière de sûreté pour le projet de réacteur ASTRID. Quand j'ai interrogé l'Administrateur général du CEA en commission d'enquête, il a indiqué être en désaccord avec ce que proposait l'ASN en matière de sûreté. Cela pose problème, car nous sommes tous d'accord ici pour dire que la parole de cette autorité indépendante ne doit pas être remise en cause.
Je suis aussi d'accord sur le fait qu'il faut sécuriser le financement des charges futures, que ce soit pour le démantèlement ou le stockage des déchets radioactif. Il est exclu que les générations futures payent à notre place les conséquences de notre consommation d'électricité. Par conséquent, je partage ce qui est dit sur la CNEF, sa reconduction et son renouvellement. D'ailleurs, la Cour des comptes, dans le rapport qu'elle a rendu à la commission d'enquête, soulignait la nécessité d'écarter les demandes de dérogations des producteurs de déchets.
En revanche, l'affirmation d'un « impératif du stockage en profondeur » représente un point de désaccord. Sur ce point, je ne partage pas l'analyse de Jean-Yves Le Déaut sur la prééminence des dangers des piscines à Fukushima. Cela signifierait qu'il ne faudrait pas non plus de piscine dans les centrales françaises, alors qu'elles sont indispensables pour refroidir les combustibles usés, impossibles à transporter en l'état sur de longue distance. S'il est vrai que les piscines françaises ne sont pas positionnées en hauteur comme le sont les japonaises, elles ne sont pas non plus « bunkérisées », contrairement à ce qui est prévu pour l'EPR, ce qui pose question. Cette question ne se confond pas avec celle du stockage en sub-surface.
Comme il a été fait allusion aux travaux de la commission d'enquête sur les coûts de l'électricité, je me permets de lire la conclusion qui a été adoptée à la majorité par celle-ci sur les déchets radioactifs, comme peut en témoigner Christian Bataille qui était présent :
« [La commission] Regrette de n'avoir pu, dans le calendrier qui était le sien, avoir connaissance des coûts potentiels d'un site d'enfouissement de déchets à Bure. Elle s'interroge sur la persistance d'écarts importants entre les évaluations respectives des différents acteurs et souligne, comme la Cour des comptes, la nécessité d'aboutir rapidement à un coût entériné par les pouvoirs publics. Prend acte de la volonté de l'ANDRA et du Gouvernement, suite au débat public, de conduire une phase pilote préalable d'expérimentation avant toute décision. Rappelle la demande de l'ASN de clarification de l'inventaire et de la nécessité d'évaluation des coûts selon les différents scénarios possibles. Insiste sur le rôle du Parlement dans la définition préalable des conditions de récupérabilité, dans le respect des principes fixés par la loi. Estime que la recherche sur l'entreposage en sub-surface de longue durée devrait être conduite en parallèle. Estime que, comme cela a toujours été le cas concernant les déchets nucléaires, la décision finale devrait revenir au Parlement. Souligne, par ailleurs, l'importance de veiller dans la durée au traitement le plus sécurisé de l'ensemble des matières radioactives présentes sur le territoire, et de leur conditionnement dans le respect des règles fixées par l'ASN. »
Je souhaite apporter une précision : j'étais présent mais je n'ai pas voté ce texte. Je ne partage pas cette analyse et me suis abstenu uniquement pour permettre l'édition du rapport.
Il n'était pas dans mon idée de suggérer cette approbation.
À ce jour, nous ne connaissons ni l'inventaire des déchets à stocker Cigéo, ni son coût. Il faudra pourtant bien déterminer ce dernier, pour provisionner les sommes nécessaires à son financement dans les comptes des producteurs de déchets. À défaut, cela reviendrait à faire payer les générations futures. Nous ne savons pas non plus ce que sera la réversibilité. Je ne suis pas favorable à ce que celle-ci soit définie dans la précipitation, en deux jours, dans un amendement. S'il a été prévu de la définir plus tard, c'est qu'une réflexion préalable, destinée à permettre l'émergence d'un consensus, apparaissait nécessaire. Pour cela, il faudrait, par exemple, pouvoir décider d'aspects techniques sur la base d'un dossier préparé par l'Andra. De plus, nos réunions avec la Commission nationale d'évaluation ont montré qu'il restait de nombreux autres sujets à examiner comme l'hydrogène, les déchets bitumineux, les risques d'incendie, etc. C'est pour cela que, pour ma part, je ne suis pas favorable au vote, dans la précipitation, d'un amendement à la loi sur la transition énergétique. Maintenant, s'il y a une majorité pour voter un texte, je souhaite que celui-ci soit le moins mauvais possible. Mais mon sentiment, c'est qu'il n'y a pas d'urgence, nous pourrions attendre 2015, comme prévu par la loi de 2006.
En ce qui concerne les recommandations, je suis d'accord avec la plupart d'entre elles, à l'exception de la deuxième et de la quatrième, avec une interrogation sur la huitième. Aussi, je vote contre ce rapport, non par défiance vis-à-vis des rapporteurs, mais parce que nous avons un désaccord de fond sur ce sujet et plus largement sur la question nucléaire. Pour autant, je comprends la légitimité de la démarche de ceux qui travaillent depuis de longues années sur ce sujet.
Pour faire suite à l'intervention de Jean-Yves Le Déaut sur un sujet débordant largement le cadre de notre rapport, et avant que Denis Baupin ne parte, je lui concéderai que le renvoi à un rendez-vous parlementaire - toutefois sans échéance précise - tel que prévu par la loi de 2006, est conforme à l'esprit de la loi de 1991 dont j'ai été rapporteur. L'Andra indique qu'elle ne sera pas à même de déposer la demande d'autorisation de création avant 2015, comme prévu par la loi, mais seulement à la fin de l'année 2017. Dans une perspective de très long terme, nous ne sommes pas à deux ans près.
Bien que très sensible à l'argumentation de Jean-Yves Le Déaut, j'ai le sentiment que l'administration veut reprendre la main sur ce dossier, en retirant au Parlement l'initiative qu'il détient depuis vingt-cinq ans. Il s'agit d'un processus parlementaire tout à fait exemplaire : une loi en 1991 avec un premier rendez-vous prévu et tenu en 2006, et un second, une dizaine d'années plus tard, vers 2015-2017. Ce que dit la loi de 2006, c'est que le rendez-vous parlementaire de 2015-2017 porte sur la réversibilité, non sur les divers sujets énumérés par Denis Baupin. La décision de construction du stockage géologique a été prise par la loi de 2006. Il n'y a pas lieu d'y revenir. En revanche, le Parlement a pour mission de définir la réversibilité. Je suis très partagé entre, d'une part, définir la réversibilité à l'emporte-pièce à l'occasion de la loi sur la transition énergétique, avec le risque de faire déraper le débat et tous les débordements qu'il faudra bien constater, et, d'autre part, une décision beaucoup plus sereine prise par le Parlement avec du recul, même si Denis Baupin risque d'y être opposé. Mais au moins nous aurons pu en débattre.
Je voudrais féliciter les deux rapporteurs qui ont rendu un rapport extrêmement intéressant, dont j'ai pu prendre connaissance par une lecture cursive. C'est un document vraiment très pédagogique sur des questions essentielles. Je fais miennes leurs recommandations et j'approuve l'intégralité de leur rapport. Je voudrais prolonger le débat qui s'est instauré il y a un instant. On ne peut remettre en cause un cycle entamé depuis plus de vingt-cinq ans. Tout ce qui se fait aujourd'hui trouve son point de départ dans les principes fixés par la loi 1991, confirmés en 2006. Je dénonce par avance toute tentative, toute déclaration, ou pire toute initiative, qui viserait à revenir sur ce processus dans lequel des majorités successives se sont engagées sans que, à aucun moment, il ne soit contesté. Un certain nombre de questions d'ordres scientifique, technique et financier sont aujourd'hui posées, mais ce n'est pas pour autant qu'il faut remettre en cause la place que l'industrie nucléaire occupe dans notre pays.
S'agissant du débat public, j'ai été intéressé par l'argument développé il y a un instant par Denis Baupin concernant la conférence de citoyens. En fait, cela revenait à dire que c'est un groupe de personnes représentatives de la société qui doit décider. Mais les parlementaires sont précisément ces personnes-là.
En l'occurrence, contrairement à ce qu'indiquait Denis Baupin, ces personnes n'ont pas été tirées au sort, mais ont été désignées par un institut de sondage.
En tout cas, je confirme, les parlementaires sont des personnes représentatives de la société civile qui sont appelées, de par la Constitution, à voter les lois. Il faut donc les respecter. Ce que j'ai appris - même si j'en avais déjà entendu parler - des conditions dans lesquelles le débat public s'est engagé est tout à fait inacceptable. Ce type de blocage semble toucher tous les sujets transverses, même celui-ci dont les éléments sont pourtant depuis longtemps connus. Ces perturbations n'avaient d'autre fin que de permettre à leurs auteurs de se faire connaître un peu plus.
Je voudrais naturellement m'associer à nos collègues pour féliciter les rapporteurs qui ont travaillé dans des conditions difficiles, en particulier sur le plan budgétaire. Cela étant dit, partagez-vous l'opinion entièrement positive de Denis Baupin sur le déroulement de ce débat public ?
Le débat public n'a pu se dérouler suivant les modalités prévues.
Par ailleurs, je trouve l'idée de la « mission Cigéo » très bien ciblée. Sur la question de Cigéo, si je suis d'accord avec Jean-Claude Lenoir pour dire qu'il ne convient pas de remettre en cause un processus commencé voici vingt-cinq ans, force est de constater que les ministres successifs, sans revenir sur les décisions prises, ne veulent pas traiter ce sujet qu'ils ne trouvent pas très porteur.
Faut-il définir la réversibilité un peu rapidement dans la loi sur la transition énergétique ? Cela aurait du moins le mérite de traiter la question. Celle-ci a d'ailleurs été déjà très sérieusement étudiée par la CNE qui nous a proposé une définition que je trouve personnellement assez élaborée. Il faudra bien instruire cette question, puisque la loi de 2006 prévoit de définir la réversibilité, laquelle ne se confond pas avec la récupérabilité, contrairement à ce que semble penser Denis Baupin. En attendant, je trouve que ce rapport répond complètement à la question posée à l'Office et je voterai donc en sa faveur.
Je voudrais revenir sur le retraitement, sur lequel Denis Baupin a dit un certain nombre de contre-vérités. Le retraitement n'est pas mis en oeuvre aux États-Unis d'Amérique, et c'est une catastrophe. Ce pays a la chance d'avoir un immense territoire, mais il croule sous les combustibles usés non retraités. Tout le monde convient que, pour un pays qui développe l'énergie nucléaire à grande échelle, comme la France, le Japon et les États-Unis d'Amérique, le retraitement est un complément indispensable. Mais ce n'est pas une nouveauté. Les écologistes ont toujours été opposés au retraitement et favorables à une dispersion maximale des déchets sur tout le territoire.
Sur la réversibilité, je suis un peu dubitatif. Après avoir visité le laboratoire de recherche de l'Andra, on comprend très bien que dès lors qu'on creuse l'argile, celui-ci se referme. De ce fait, les précautions à prendre pour permettre la récupération des déchets s'avèrent très coûteuses. S'agissant de la phase pilote, il s'agit bien de la mener dans le site de stockage lui-même, pas dans le laboratoire, puisque nous avons eu des assurances sur l'absence de déchets nucléaires dans celui-ci. Je termine en soulignant que la question de l'accompagnement n'avait pas été jusqu'alors relevée.
Sur la réversibilité, ce que dit la CNE, c'est qu'elle se limite à cent ans dans l'argile, alors que dans le granit, comme en Suède, elle peut être plus longue.
Vous avez conclu sur la nécessité de l'intervention du Gouvernement ou du Parlement. Le pire serait que rien ne soit fait. C'est d'ailleurs ce que souhaitent certains de nos collègues ainsi que la ministre. Ne rien dire, c'est être dans une situation de non décision en 2016-2017, et c'est aussi une menace sur l'accompagnement des territoires. Aujourd'hui, il s'avère nécessaire de tenir compte des propositions formulées, de revoir le calendrier et de confirmer que le stockage des déchets radioactifs commence par une phase pilote. Il est vrai qu'en prévoyant de procéder par ordonnance, l'article 35 pouvait apparaître comme un coup de force. Je résumerais la situation dans laquelle nous nous trouvons par la formule : ni coup de force, ni coup d'arrêt. À mon sens, le risque porte aujourd'hui plutôt sur un coup d'arrêt.
Je reste partagé entre, d'une part, la position consistant à déléguer la responsabilité du stockage au Conseil d'État et, d'autre part, l'achèvement du processus législatif commencé il y a un quart de siècle. Nous sommes les derniers témoins de ce que, avec le premier rapport de l'Office sur le sujet de la gestion des déchets radioactifs, le Parlement s'est saisi en 1989 d'un processus sur lequel le Gouvernement avait échoué. La formule administrative et autoritaire qui avait été la sienne depuis le début ne fonctionnait plus. Aussi, je pense qu'il faut veiller à ce que le Parlement continue à jouer son rôle jusqu'à la fin.
S'agissant de la phase pilote, le conseil d'administration de l'Andra en a débattu. La possibilité d'un laboratoire bis ayant été évoquée, je suis intervenu en rappelant que cette phase ne pouvait constituer que la première étape du stockage et non un essai préalable.
Je crains que, en attendant 2017, personne ne veuille finalement s'occuper de cette loi, alors qu'il suffirait d'ajouter un article au projet de loi sur la transition énergétique.
La décision de construction du stockage se trouve déjà dans la loi de 2006. Ce qu'elle dit, c'est uniquement qu'il faudra définir la réversibilité en 2015-2017.
Il ne s'agit pas de remettre en cause la décision prise dans le cadre de la loi de 2006, mais d'indiquer que le stockage commencera par une phase d'essai et de donner une définition de la réversibilité, sans aborder la question technique de la récupérabilité. Le pire, ce serait de laisser filer ce dossier, en confortant ceux qui souhaitent repousser les décisions.
D'autant que l'Andra a jusqu'alors été incapable d'élaborer une demande d'autorisation de création.
À cet égard, les industriels ne sont pas non plus exempts de responsabilité.
Je suis partagé entre le désir d'aller vite et fort et la nécessité que le parlement conserve un ascendant et que le traitement de ce dossier ne retourne pas à la direction du ministère de l'industrie.
Je vais vous demander de vous prononcer sur le rapport.
À la suite de cet échange, le rapport a été approuvé et sa publication autorisée.