Commission des affaires économiques

Réunion du 29 octobre 2014 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • chinois
  • tourisme
  • touriste

La réunion

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La commission entend M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangère et du développement international, sur la politique de son ministère dans la perspective de l'examen du projet de loi de finances pour 2015.

La réunion est ouverte à 16 h 15.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Lenoir

En tant qu'élu de Basse-Normandie, je suis heureux d'accueillir ici un élu de Haute-Normandie. Nous avons toujours eu d'excellentes relations de voisins et les autres régions ne vont pas tarder à s'en rendre compte ! Vous êtes, Monsieur le ministre des affaires étrangères et du développement international, le premier ministre que notre commission reçoit depuis le renouvellement sénatorial. Nous souhaitons vous entendre sur la diplomatie économique. Grâce à votre position de numéro deux au sein du Gouvernement, vous pesez sur la définition des politiques transversales indispensables pour renforcer le commerce extérieur, l'attractivité économique de la France et le tourisme. Quelles sont les priorités que vous défendez ?

Debut de section - Permalien
Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international

Si j'ai souhaité élargir le périmètre du ministère des Affaires étrangères au commerce extérieur et au tourisme, c'est que dans le monde ouvert qui est le nôtre, une politique étrangère efficace est indissociable d'un rayonnement économique fort. Avec l'accord du Président de la République et du Premier ministre, j'ai transformé le ministère des affaires étrangères en ministère de l'action extérieure de l'État. Les préfets dirigent l'action de l'État sur le territoire national ; à l'étranger, la même tâche revient aux ambassadeurs. Qu'il s'agisse d'économie, de commerce ou d'éducation, la diplomatie est une seule et même chose. Une diplomatie qui exclurait l'économique se bornerait à être une « diplomatie Ferrero » - je n'ai rien contre cette marque de chocolat dont une usine se trouve au Grand-Quevilly... On parle beaucoup du déficit des finances publiques. Pour avoir exercé la fonction, je sais que lorsqu'un Premier ministre décide de dépenser 98 plutôt que 100, sa décision produit ses effets, même désagréables. Agir sur le commerce extérieur est plus difficile. En 2000, j'étais ministre de l'économie et des finances. À mon retour au Gouvernement en 2012, la compétitivité des entreprises avait chuté de manière considérable. C'est aujourd'hui le principal problème de la France, il explique la politique générale mise en place par le Gouvernement - crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE), pacte de responsabilité... Une action spécifique est nécessaire pour soutenir notre commerce extérieur. Trop peu d'entreprises moyennes exportent. Le ratio par rapport à l'Allemagne est de 1 pour 4. Il est vrai que nous n'avons pas misé sur les bons pays. La prolifération des organismes -Ubifrance et l'Agence française pour les investissements internationaux (Afii), par exemple - nuit aussi à l'efficacité d'une action de l'Etat. Certes, l'administration ne remplacera pas les entreprises, mais elle peut les aider. Beaucoup d'ambassadeurs font déjà de la diplomatie économique. Je souhaite que cela devienne leur priorité.

Le tourisme est une mine d'or extraordinaire pour la France. Nous devons l'exploiter davantage. Les économistes diraient que notre pays dispose d'un avantage comparatif en matière de tourisme, car c'est le plus beau pays du monde. Dans le classement des destinations qui font rêver, la France est au premier rang - sur 193 pays. Mais certains de nos concurrents sont très bons, comme l'Italie et l'Espagne, qui nous talonnent. Et nous avons aussi des points faibles et des défauts, la qualité de l'accueil, par exemple. Le Premier ministre m'a confié le secteur du tourisme. On compte 1 milliard de touristes à travers le monde chaque année. Dans 15 ans, ils seront 2 milliards. Nous devons nous organiser pour y faire face. Tel était par exemple le but des Assises du tourisme qui ont montré l'enthousiasme des professionnels du secteur. Matthias Fekl travaille avec eux et le constate en permanence. L'évolution de la nomenclature budgétaire suit les nouveaux rattachements de compétences. Atout France est ainsi désormais intégré dans mon budget.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Lenoir

Merci, monsieur le ministre, pour cet exposé concis. Je participais ce matin au comité stratégique parlementaire à l'invitation de Matthias Fekl. On y a beaucoup parlé des traités transatlantiques entre l'Europe, les États-Unis et le Canada. Même chose au Salon international de l'agro-alimentaire (Sial), à Villepinte, la semaine dernière. Qu'en est-il de la ratification attendue par les parlements nationaux en Europe et au Canada ? Les provinces canadiennes auront-elles à délibérer et à prendre position sur le contenu du traité ? L'accord conclu entre le Canada et l'Union européenne n'est pas encore formalisé. Des points restent à discuter, des entraves demeurent, concernant en particulier l'accès aux marchés publics ou la circulation des cadres des entreprises européennes qui se rendent au Canada. Dans le cas des États-Unis, le problème vient de l'empilement des barrières administratives et sanitaires qui bloquent nos exportations de viande et de produits dérivés du lait, fromages au lait cru notamment. Un amendement a été adopté qui donne à Ubifrance le statut d'agence française pour le développement international. Vous avez mis en place un Conseil de promotion du tourisme, qui s'est réuni pour la première fois en septembre. En quoi se distingue-t-il d'Atout France et de Destination France ? Qu'en attendez-vous ?

Debut de section - Permalien
Laurent Fabius, ministre

Le traité transatlantique devra faire l'objet d'une double ratification par le parlement européen et par les parlements nationaux. Un voyage est prévu au Canada, en fin de semaine, où j'accompagne le président de la République. Ce sera l'occasion de faire le point sur ce traité. L'ISDS (investor-state dispute settlement) continue de poser problème. Le circuit de contestation passe-t-il par les Etats ou les entreprises peuvent-elles attaquer les États ? Je crois que cet accord avec le Canada est bon pour nous. L'erreur a été de considérer que l'ISDS devait faire jurisprudence pour l'accord avec les États-Unis, car la législation commerciale du Canada n'est pas celle des États-Unis, les volumes d'échanges non plus. Deux questions doivent être résolues pour rendre possible un accord avec les États-Unis, celle des nombreuses barrières non tarifaires et celle des marchés publics. Je ne suis ni pour ni contre un traité avec les Américains : tout dépendra de son contenu. En France, 85 % des marchés publics sont ouverts, contre 25 % aux États-Unis. Il faudra, bien sûr, protéger nos appellations. Sur ce point comme sur l'ISDS, nous attendrons des propositions claires avant de décider quoi que ce soit.

Ubifrance et l'Afii doivent fusionner au 1er janvier prochain, avant de s'ouvrir à la Sopexa dans un second temps. Il faut procéder par étapes pour les regrouper, mais nous ne pouvions pas conserver trois structures. La formule la plus souple est la meilleure. Les Assises du tourisme ont été un rendez-vous satisfaisant pour les professionnels du tourisme. Si bien que nous avons prévu d'en organiser chaque année pour faire le point sur les difficultés, les avancées. Nous commencerons dès la fin de l'année prochaine. Le Conseil de promotion du tourisme rassemble aussi bien des sénateurs - M. Luc Carvounas y siège - que des professionnels du tourisme, comme M. Bazin, patron d'Accor, des restaurateurs, des responsables syndicaux, etc. Il est animé par Philippe Faure. Cinq ou six sujets sont passés en revue, tels que gastronomie et oenologie, la formation, le rôle de l'Internet, destinations et marques, hôtellerie et tourisme d'affaires, ou bien encore l'accueil. Un rapport de synthèse sera publié en début d'année prochaine.

Si l'on veut développer le tourisme, il faut délivrer plus de visas. La situation s'est beaucoup améliorée : en Chine, par exemple, 56 % de visas supplémentaires par rapport à l'an dernier. D'ici quinze à vingt ans, il y aura 500 millions de touristes chinois. Pour l'instant, nous en accueillons 1,5 million, sachant qu'un Chinois dépense 1 600 euros en moyenne lors de son séjour en France. Nous avons besoin de recruter des agents pour traiter les demandes de visas : cela est délicat quand la tendance est à la réduction de l'emploi public. J'ai obtenu ce matin du Secrétaire d'État au budget, Christian Eckert, la mise en place d'une procédure spéciale pour garantir un certain nombre d'emplois dont une partie bénéficiera à Atout France. C'est une agence peu dotée, si on la compare à ses homologues espagnole ou italienne.

Nous avons lancé une opération « Goût de France » ou « Good France » : le 19 mars prochain, dans le monde entier, 1 500 restaurants serviront de la cuisine française. Tous nos ambassadeurs en poste convieront ce jour-là à dîner les notables locaux. L'opération est parrainée par Alain Ducasse. Au même moment se déroulera un repas à Versailles : les ambassadeurs du monde entier en poste à Paris seront invités à déguster notre cuisine. La gastronomie est un ambassadeur extraordinaire pour la France. Talleyrand, dans une note conservée au Quai d'Orsay, suppliait son ministre de lui envoyer « moins d'instructions et plus de casseroles ».

Debut de section - PermalienPhoto de Élisabeth Lamure

Les entreprises françaises confrontées à la concurrence chinoise nous indiquent souvent que le pouvoir d'influence du gouvernement chinois est une arme redoutable sur les marchés mondiaux. Comptez-vous exercer le même genre d'influence, en soutenant les sociétés françaises qui exportent ?

Debut de section - PermalienPhoto de Élisabeth Lamure

Comment doivent-elles s'y prendre pour demander votre aide ?

L'examen budgétaire prévoit d'attribuer 109 millions d'euros à l'Afii et à Ubifrance. Ces agences sont placées sous la gouvernance d'Emmanuel Macron, ministre de l'économie. S'agit-il d'une anomalie ou l'intendance n'a-t-elle pas suivi ? Au-delà de la fusion de ces deux agences, pour qu'un guichet unique des acteurs du commerce extérieur existe, il faudrait également regrouper la Coface, Sopexa et les chambres de commerce. Quel regard portez-vous sur ce projet de regroupement ?

De 1980 à 2000, nous avons parié sur l'Asie-Pacifique comme zone d'avenir. Le XXIème siècle sera africain, nous dit-on à présent. Les Chinois sont déjà très présents sur ce continent. Quelle stratégie envisagez-vous en Afrique ? Un pays comme l'Algérie, qui a besoin d'infrastructures et qui dispose de moyens financiers, pourrait-il servir de base aux entreprises françaises ? Enfin, certaines petites entreprises reçoivent des aides pour exporter à l'étranger. Leurs produits ont du succès, mais elles n'ont pas les financements suffisants pour élargir la fabrication ou la diffusion. Comment pérenniser le soutien dont elles disposent ?

Debut de section - Permalien
Laurent Fabius, ministre

Mon travail, je n'ai pas honte de le dire, s'apparente beaucoup à celui d'un VRP. Quand je vais en Algérie - un voyage est prévu la semaine prochaine - j'emmène avec moi des entrepreneurs, comme le patron d'Airbus Helicopter. Je parlerai commerce avec M. Bouteflika ou son premier ministre. C'est ainsi que tout le monde fait ! Cela ne suffit pas bien sûr, encore faut-il que les produits soient de qualité et compétitifs en prix. Mais cela surprendrait si nous ne soutenions pas nos entreprises. Le travail de nos ambassadeurs est également de vendre des hélicoptères, des trains ou des produits pharmaceutiques. C'est inscrit dans leur lettre de mission.

En revanche, lorsque deux grandes entreprises françaises sont en concurrence, pour un marché en Chine par exemple, aucune ne le remporte, car le gouvernement chinois pense que le gouvernement français n'en soutient aucune.

Nous avons beaucoup fait cette année en Chine, pour le cinquantième anniversaire de nos relations diplomatiques. Notre déficit commercial avec ce pays s'élève à 27 milliards d'euros -hors Hong-Kong, avec qui nous avons un excédent de 4 milliards d'euros - mais les Chinois nous ont attribué la conception de l'aéroport et du musée national de Pékin.

Le rattachement des organismes aux ministères, au lendemain des changements de périmètres, n'est pas encore totalement cartésien. Les dotations d'Atout France figurent déjà le budget de mon ministère. L'année prochaine, tout sera rattaché au budget du ministère des affaires étrangères. C'est une question d'intendance sans intérêt.

Il faudra faire converger les structures. Je sais qu'il y a encore certaines réticences à travailler ensemble chez Ubifrance, les CCI, et les autres. Vous le voyez bien dans vos régions et vos départements. Mais l'objectif doit être le guichet unique. À Shanghai, un bon exemple de cette coopération est donné par le French tech hub - dénomination un peu prétentieuse au demeurant. Les CCI participent à cette maison de la France. Créée à l'initiative de la région Rhône-Alpes, elle traite désormais d'oenologie, de culture, d'affaires économiques.... L'objectif est de faire en sorte que chaque entreprise sache à qui s'adresser. À nous de faire fonctionner le back-office. Les circuits ont été simplifiés, mais il reste des marges de progression.

Nous nous sommes tournés vers l'Asie et le Pacifique, dites-vous. Très insuffisamment ! Le ministère des affaires étrangères a sa part de responsabilité. Jusqu'à une date récente, nous n'avions pas plus d'agents en Chine qu'en Belgique hors Bruxelles... Il y a un rééquilibrage à faire. Notre spécialisation géographique et sectorielle, comme disent les spécialistes, n'est pas idéale. Nous devons être présents à la fois en Asie-Pacifique et en Afrique ; nous n'avons pas à choisir l'un ou l'autre. Les Chinois eux-mêmes sont très présents en Afrique. Il faut aller chercher la croissance là où elle se trouve. Nous nous y employons : regardez ce qui se fait dans un certain nombre de secteurs ; nous avons défini six familles de produits, et défendons notre production partout.

Il faut simultanément favoriser l'investissement étranger en France. Lorsque je dis à mes interlocuteurs que la France est la meilleure plateforme pour s'implanter ensuite en Afrique ou au Moyen-Orient, l'argument fait mouche. La Chine est active en Afrique, mais ce n'est pas son milieu naturel. Nous avons des liens privilégiés avec l'Afrique francophone, mais aussi avec l'Afrique anglophone, arabophone et lusophone. J'étais lundi au Nigéria : ce pays comptera à la fin du siècle, selon l'ONU, 950 millions d'habitants, ce qui en fera le troisième pays au monde derrière l'Inde et la Chine. Aujourd'hui c'est Boko Haram qui attire notre attention, mais le Nigéria est aussi un immense producteur de pétrole. Nous devons y être présents.

S'agissant du soutien à l'exportation, nous avons des progrès à faire. Les financements sont là, mais les mécanismes sont trop compliqués. Les chefs d'entreprise s'y perdent. Participer à un salon ou une foire ne suffit pas, il faut une présence durable sur place, pour tisser un réseau. Nos entrepreneurs ont peut-être aussi une part de responsabilité, lorsqu'ils estiment à tort le défi trop difficile à relever. C'est pourtant là qu'ils trouveront des marges. Les Allemands, les Italiens savent le faire mieux que nous. Les grands groupes se débrouilleront toujours ; pas les PME. C'est pourquoi Emmanuel Macron et moi-même travaillons à l'amélioration du crédit export.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Lasserre

Avec MM. Louis Nègre et Luc Carvounas, nous avons produit il y a six mois un rapport sur ces enjeux. J'ai présidé le groupe d'études du tourisme et des loisirs du Sénat. Vos initiatives nous intéressent vivement. Laissez-moi vous présenter les grandes lignes de notre réflexion.

Les atouts de la France sont reconnus, mais prenons garde à ne pas nous reposer sur nos lauriers. Nous ne battrons jamais nos concurrents sur leurs points forts : nous n'aurons jamais le soleil espagnol ni les prix de Saint-Domingue. Le destin touristique d'un pays est fondé sur ses avantages concurrentiels. Nous en avons beaucoup, et ils correspondent au goût des nouvelles clientèles touristiques : la culture culinaire par exemple. Voilà ce qu'il faut cibler. L'obsolescence des installations est un objet de préoccupation, surtout compte tenu des capacités actuelles d'investissement. Elle touche différemment les secteurs. L'hôtellerie est bien sûr particulièrement concernée. Nous suscitons un fort intérêt de la part des pays émergents. Je le vois dans le pays basque, qui attire la nouvelle clientèle russe. Prêtons attention à leurs attentes. Pour entretenir l'intérêt de ces nouvelles clientèles, il faut des moyens. Or le budget d'Atout France est de moitié inférieur au budget touristique de la Catalogne...

La nouvelle économie numérique est un autre souci, car elle déséquilibre certains métiers. Le site de réservation Booking est en passe de rendre captive une énorme clientèle, grâce à une grande sophistication technique. Soyons attentifs à ces pratiques.

Nous approuvons totalement l'idée de promouvoir des destinations phares, à condition d'imaginer comment tirer parti de leur rayonnement pour développer le tourisme dans leurs territoires alentour. Le tourisme est un facteur d'aménagement rural. Articulons par conséquent cette politique à la réforme territoriale, car les choses sont liées. Du reste, il faudra redéfinir le rôle, les compétences et les responsabilités des différents acteurs du secteur. Celui-ci est truffé d'organisations qui commencent à dater un peu, comme les comités régionaux et départementaux du tourisme, et les compétences font parfois doublon avec celles des structures nationales.

En matière de tourisme, les choses bougent très vite et rien n'est définitivement acquis. Soyons fiers d'être la première destination mondiale en nombre de visiteurs, et tâchons de pérenniser cette situation.

Debut de section - Permalien
Laurent Fabius, ministre

Je suis à 150 % d'accord avec votre analyse. Bien que nouveau dans ce domaine, je sens les choses comme vous. Nous avons des atouts, mais nous ne sommes pas les seuls. L'Espagne attire 25 % de touristes en moins, mais engrange 20 % de revenus de plus...

Je dirais que notre avantage comparatif réside dans la diversité de ce que nous avons à offrir. Si tous les touristes se concentraient à Paris pour voir la Joconde, la malheureuse n'y résisterait pas, et nous nous priverions de toutes les beautés que compte le reste de la France. Récemment, je me suis rendu à Marseille pour la première fois depuis un long moment : c'est un lieu sublime ! Je parcours 40 000 kilomètre par mois, et je peux vous assurer que peu de sites dans le monde sont aussi beaux. Marseille - pour ne prendre que cet exemple, mais je pourrais en trouver dans tous les départements que vous représentez - devrait accueillir bien plus de touristes qu'elle ne le fait actuellement. Jouons la carte de la diversité.

La diversité, cela s'organise. L'accueil est décisif, surtout dans les gares et les aéroports. C'est le premier et le dernier contact avec le pays visité. Lorsqu'aucun panneau ne souhaite aux visiteurs la bienvenue dans leur langue, que les couloirs d'aéroport qu'ils empruntent sont tristes, qu'il leur faut patienter interminablement aux douanes, que l'autoroute est embouteillée et les rues d'une saleté repoussante, alors il faut s'émerveiller que 83 millions de touristes internationaux nous rendent visite ! On nous dit les meilleurs au monde : nous ne le sommes pas. Faisons en sorte que la bonne image de la France à l'étranger devienne réalité.

Les clientèles ont changé, c'est vrai. J'ai échangé récemment avec Jack Ma, fondateur d'Alibaba, site chinois de e-commerce qui reçoit chaque jour 100 millions de connexions. Il vient d'être introduit à la bourse de New York, faisant de son président l'homme le plus riche de Chine. Il a lancé il y a deux semaines à peine Alitrip, nouveau site de e-tourisme, signe que les Chinois ne se déplacent plus en groupe, et sont désormais demandeurs de prestations individualisées. Nous devrons être capables de répondre à leurs attentes.

L'obsolescence des équipements est un vrai problème. Nous regardons les choses avec la Caisse des dépôts et consignations pour y remédier. Certaines stations de ski, en particulier, construites dans les années soixante-dix, ont vieilli. Il faut se mettre au niveau de ce que les clients attendent.

Le budget d'Atout France n'est pas négligeable. Certes, dans la situation où sont les finances publiques, on ne fait pas de miracles. Nous essaierons de l'aider.

Nous avons tous désormais le réflexe de naviguer sur les sites de Booking ou d'Expedia pour réserver un hôtel. Auparavant, ces sites prélevaient 5 % de commission ; désormais celle-ci atteint plutôt 20 % ou 25 %, parfois jusqu'à 50 %. Il faudrait qu'un gros industriel français se lance sur ce marché, sans trop amputer les ressources des professionnels du secteur. Cela demande des fonds. Accor a son propre système ; la SNCF a essayé, sans succès. Je vois dans le rachat de Lafourchette par Tripadvisor une forme de confiscation de valeur ; nous devons réagir.

Oui, il convient de mettre l'accent sur les destinations phares. Des placards publicitaires défraîchis vantant, à New York, des localités françaises dont nous-mêmes n'avons jamais entendu parler, cela ne peut pas marcher. Churchill disait pendant la guerre : « nous ne nous battons pas seulement pour la France, nous nous battons également pour le champagne ! » ; il faut faire de nos destinations des marques reconnues. Nous avons besoin de vaisseaux amiraux - pas de bulldozers. La diplomatie est essentielle. Nous avons fait le choix de confier le « chef de filât » du tourisme à la région, mais elle travaillera en liaison avec les comités locaux. Nous avons déjà reçu un certain nombre de propositions de contrats de destination. Atout France fera le choix ; une première liste sera publiée le 4 novembre.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Lenoir

Vous me rassurez sur ce dernier point : le Perche, région spécifique - Alain ne disait-il pas « je suis Percheron, c'est à dire autre que Normand » ? - n'avait pas de nouvelle de son contrat de destination.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard César

J'ai l'honneur de représenter le Sénat au conseil d'administration d'Ubifrance. Vous n'avez pas abordé la question des volontaires internationaux en entreprise (VIE). Ces VIE, 6 000 ou 7 000 selon les années, sont les porte-drapeaux de nos exportations et soutiennent l'action des PME. Je fais mienne votre définition des ambassadeurs : ce sont les chefs de l'action économique de la France à l'étranger.

Une précision sur le rôle des régions dans l'aide à l'exportation. En réalité, tout le monde participe : les régions, les départements, les chambres de commerce... Compte tenu de la baisse des moyens des CCI, comment feront celles-ci pour remplir leur mission ? Donner le leadership à Ubifrance est un geste important. Les Italiens, les Espagnols, les Allemands, sont bien mieux organisés, nous le voyons à la disposition des stands dans les salons à l'étranger : les leurs forment des ensembles soudés, les nôtres sont dispersés.

Debut de section - Permalien
Laurent Fabius, ministre

Les VIE sont essentiels. Ce sont des jeunes dynamiques, qui souvent s'installent dans le pays où ils ont commencé à travailler. Ils rencontrent parfois des problèmes, néanmoins, lorsque le pays d'accueil voit en eux des concurrents de ses ressortissants sur le marché de l'emploi.

Il faut en effet réorienter le travail des missions économiques et des ambassades. Internet fournit des analyses macroéconomiques aussi pertinentes ; nous avons moins besoin de telles études que d'un appui aux entreprises à l'étranger et à l'investissement étranger en France.

Il faudra regrouper nos forces autour des chefs de file que seront les régions. Ce n'est peut-être pas dans la tradition française, mais c'est la seule façon pour nous de devenir plus efficaces, avec les moyens que nous avons. Les efforts des régions sont divers : certaines font beaucoup, d'autres moins. Par-dessus tout, évitons les doublons et les chevauchements de compétences.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Dubois

Vous avez dit qu'un touriste chinois dépensait en moyenne 1 600 euros en France, et souligné le gisement énorme que constituait le nombre de touristes chinois. Êtes-vous favorable à l'ouverture des magasins le dimanche, du moins s'agissant des zones touristiques ? Où en est ce dossier ?

Debut de section - Permalien
Laurent Fabius, ministre

Concernant les touristes chinois, nous avons pris des mesures pratiques. Depuis le 29 janvier 2013, les visas sont délivrés en 48 heures. Mon homologue allemand a reconnu que nous leur avions ainsi damé le pion... Résultat : leur nombre a progressé de 56 %. Il faudra faire pareil avec les touristes indiens.

S'agissant de l'ouverture de commerces le dimanche, nous parlons bien sûr des zones touristiques. Il y a quelques années, on se disait que le pouvoir d'achat n'était pas extensible et que l'ouverture des magasins le dimanche se traduirait seulement par un déplacement de la consommation d'un jour à l'autre. La situation a changé. Les touristes qui trouvent les magasins fermés le dimanche ne reviennent pas le lundi. Du reste, les tours opérateurs prévoient que le dimanche se passe en Angleterre, pour le shopping. On observe aussi que les achats sur Internet connaissent un pic le dimanche. Ce sont des évolutions dont on doit tenir compte. L'essentiel est que le travail le dimanche soit strictement encadré, qu'il repose sur le volontariat des salariés et s'accompagne de primes. Le patron des Galeries Lafayette se dit prêt à recruter immédiatement 600 personnes et à payer double les volontaires ! La loi sur l'activité économique et la croissance que prépare Emmanuel Macron comprendra des dispositions sur cette question. Le travail le dimanche ou le soir devra faire l'objet d'une compensation et respecter la règle du volontariat. Les petits commerçants qui étaient déjà ouverts dans ces zones seront exonérés de l'obligation de compensation qui pourrait déséquilibrer leurs résultats. A ce stade des arbitrages, seules les entreprises de plus de 11 salariés seraient concernées par l'obligation.

Cette possibilité doit être également donnée aux commerces situés dans les grandes gares, qui ne bénéficient pas du régime applicable dans les aéroports. Cela peut représenter quelques milliers d'emplois. Dans le même ordre d'idées, je me bats pour améliorer l'accueil des voyageurs dans la gare du Nord, qui en accueille 700 000 par jour et nous relie à Londres par l'Eurostar. La comparaison entre la gare Saint-Pancras et la gare du Nord n'est pas à notre avantage... Sur ce sujet, j'ai besoin de votre aide ! Encourageons le patron de la SNCF et la maire de Paris à faire bouger les choses.

Debut de section - PermalienPhoto de Roland Courteau

En 2013, notre déficit commercial sera moins élevé qu'en 2012 et moins encore qu'en 2011. Certains de nos fleurons, comme l'aéronautique, l'industrie pharmaceutique, la viticulture, se portent bien à l'étranger. Mais ce n'est pas le cas de notre tissu de PME : 15 000 exportateurs ont disparu depuis 2000, soit 1 300 par an... Que fait-on contre cela ?

Parmi les touristes étrangers, 45 % feraient le choix de la France pour sa gastronomie et ses vins. Or l'oenotourisme est sous-exploité, de même que les 39 biens français inscrits au patrimoine mondial de l'Unesco. Les gares et les aéroports doivent jouer davantage le rôle de points d'accueil et d'orientation des visiteurs.

Debut de section - Permalien
Laurent Fabius, ministre

Je vous rejoins sur la gastronomie. Il faut également des capacités d'accueil. Un gros travail reste à faire. Florence Cathiard, propriétaire des Sources de Caudalie, a été élue présidente du Conseil supérieur de l'oenotourisme. Il y a là une perspective extraordinaire : allons-y !

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Rome

Je vous félicite pour les orientations fortes que vous avez données. J'ai bien noté les améliorations attendues de la fusion Afii-Ubifrance. Comment attirer davantage d'investissements étrangers en France ? Qu'attendez-vous de la mobilisation importante réalisée autour de la Conférence sur le climat de 2015 - ou Cop 21 - qui se tiendra à Paris ?

Debut de section - PermalienPhoto de Franck Montaugé

Je partage pleinement vos orientations. Nombre d'entreprises situées dans les territoires ruraux veulent développer des partenariats à l'étranger. Dans le Gers, l'union de coopératives viticoles Plaimont, qui regroupe plus de mille viticulteurs, est en joint-venture avec une grande entreprise chinoise. Comment envisagez-vous l'implication de la région dans ce domaine ? Les prochains projets de contrats de plan État-région intègreront-ils des dispositifs d'intervention et de soutien spécifiques ? Plus globalement, quelles dispositions seraient susceptibles d'accroître l'activité dans les zones rurales - et pas seulement dans les métropoles - et d'y attirer des investissements directs étrangers, de sorte que le tourisme bénéficie à l'ensemble du territoire ? Quelles sont vos pistes de réflexions : dispositifs fiscaux, accompagnement spécifique, zones franches de coopération internationale...?

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Bailly

La position française et européenne dans la crise ukrainienne a mis un certain nombre de nos productions agricoles dans une situation très inquiétante. Si l'embargo perdure, ce sera une catastrophe. Les conséquences de ces décisions, dans une conjoncture économique difficile, ont-elles été seulement mesurées ? Interbev, Coop de France s'inquiètent également du traité en cours de négociation avec les États-Unis. Faisons très attention à ne pas déstabiliser nos secteurs de production, d'autant que tout le monde prédit une grande crise en 2015.

Nous partageons vos orientations en matière de tourisme. Mais n'oubliez pas, au cours de vos réunions interministérielles, que le tourisme rural ne peut se développer si les services et les équipements disparaissent de ces territoires : je pense aux médecins, aux pharmaciens, sans parler du haut débit.

Nous avons la chance de disposer d'un beau pavillon en bois pour l'exposition universelle qui se tiendra à Milan en 2015. Dans l'attente de cet événement, ne faudrait-il pas miser beaucoup sur notre gastronomie ?

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Labbé

Quelqu'un a dit que le XXIème siècle serait spirituel ou ne serait pas. C'est profondément juste. Mais le XXIème siècle sera surtout africain, compte tenu de l'âge moyen du continent ; à la condition toutefois que nous aidions les Africains à relever les défis du développement, de la santé et de l'éducation. Les percevoir comme des cibles commerciales serait dramatique.

Le plaisir culinaire est un atout extraordinaire de notre pays, c'est vrai. Mais attention aux dérives. Nous avons tenté de les prévenir par la mention du « fait maison » pour la restauration, mais le décret d'application a été très décevant. Nous reviendrons à la charge pour promouvoir, dans la restauration, la véritable cuisine faite maison, à partir de produits bruts, frais, et si possibles locaux, toutes caractéristiques créatrices d'emplois de proximité.

Debut de section - Permalien
Laurent Fabius, ministre

S'agissant du label « fait maison », nous allons laisser reposer les choses, pour les reprendre l'année prochaine. Nous avons dû naviguer entre de trop nombreux intérêts contradictoires. Il faudra en effet revenir à l'idée initiale : promouvoir ce qui est véritablement fait maison.

L'exposition universelle est une formidable occasion. Son thème est en effet « nourrir la planète, énergie pour la vie » : j'ai bien l'intention d'en faire une plateforme de promotion. Nous allons en outre déposer notre candidature pour l'exposition universelle de 2025. C'est une manière de se projeter dans l'avenir. Les Chinois ont applaudi à cette annonce. Quel autre pays que le nôtre est capable d'obtenir la même année deux prix Nobel - l'un en économie, l'autre en littérature - et la médaille Fields ?

Quant aux sanctions prises contre l'Ukraine, elles nous pénalisent bien sûr tout autant que ceux à qui nous les destinons. Mais pouvions-nous laisser les Russes annexer la Crimée sans réagir ? Souhaitons que la diplomatie apaise des tensions qui restent vives.

Peut-être faudrait-il prendre des mesures fiscales pour encourager l'investissement dans les zones rurales. Nous n'en sommes pas encore là.

Nous devons, bien sûr, jouer la carte des investissements étrangers. La Chine a beaucoup d'argent à placer dans le monde. Les Chinois ont des salaires bien supérieurs à ceux d'autres pays d'Asie, le Vietnam, par exemple. Les cadres des entreprises chinoises n'ont rien à envier aux Américains. Les investisseurs cherchent désormais une Chine pour la Chine. Les mesures de politique générale favorisant le développement des investissements étrangers en France sont bonnes. Cependant, il nous faut rester prudents - je rappelle que si le déficit commercial a reculé, c'est surtout parce que l'activité et la croissance, donc les importations ont diminué en France - et continuer à aller chercher ces investissements. C'est le rôle dévolu à l'Afii.

La Cop 21 est une formidable plateforme pour les technologies innovantes développées autour du climat. Nous sommes excellents dans ce domaine et nous devons faire connaître nos atouts, en montrant que la technologie française est la meilleure du monde. Il est prévu que 25 000 délégués officiels et 50 000 personnes au total participent à l'événement. On se désole souvent du manque de performance de la France. Nous sommes pourtant meilleurs que les autres dans les secteurs d'avenir, comme la santé, la ville durable ou le tourisme.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Lenoir

Merci, Monsieur le ministre, pour cet échange vivant. Je sais par expérience que les représentants de la France à l'étranger font preuve d'un engagement et d'une motivation extraordinaires.

Debut de section - Permalien
Laurent Fabius, ministre

Le Président Mitterrand disait à juste titre qu'il ne faut pas « prendre toutes les mouches qui volent pour des idées ». On dit souvent que les Français partent à l'étranger pour fuir une fiscalité trop lourde. Certes, l'évasion fiscale existe. Cependant, la présence des Français à l'étranger est une force extraordinaire. Par ailleurs, nous avons beaucoup moins de candidats à l'exil que dans d'autres pays. Ne restons pas calfeutrés. Les Français de l'étranger sont pour nous des ambassadeurs formidables. Nous devons les encourager.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Lenoir

Vous savez les relations commerciales tendues qui existent entre les représentants de la grande distribution et les industries agroalimentaires. La délégation que je conduisais, la semaine dernière, au Sial de Villepinte a constaté une vraie dégradation dans ces relations. MM. Macron et Le Foll ont également tenu une réunion sur le sujet. Pour garantir un plus grand respect des industriels et des producteurs dans les négociations commerciales avec la grande distribution, le Gouvernement envisage de saisir l'Autorité de la concurrence. Le Sénat ne peut rester à l'écart de cette démarche. Je vous propose d'exercer notre droit de saisine en posant deux questions : la concentration des centrales d'achat contribue-t-elle à déséquilibrer le jeu du marché ? Comment limiter la concentration des achats de la grande distribution dans le secteur de l'agro-alimentaire ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Lenoir

Nous avons quelques idées mais il serait prématuré de les exprimer.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Lasserre

C'est un thème très porteur pour notre commission, et passionnant. Poursuivez dans cette voie.

Debut de section - PermalienPhoto de Élisabeth Lamure

Un courrier ne suffit pas ; des mesures législatives sont nécessaires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Lenoir

Le président de l'Autorité de la concurrence dressera un bilan et fera des propositions pour corriger les dysfonctionnements.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Noëlle Lienemann

Notre saisine ne fera-t-elle pas doublon avec celle du Gouvernement ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Lenoir

Au contraire. J'ai informé le Gouvernement de mon intention.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Noëlle Lienemann

Les centrales d'achat servent à l'optimisation fiscale. Je souhaite que nous posions aussi la question de leur localisation et de leur contribution au développement économique et aux recettes fiscales de notre pays. Une partie d'entre elles ont leur siège en Suisse, même dans l'agro-alimentaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Bailly

Une certaine inquiétude se manifeste quant aux quotas qui découleront certainement de l'accord avec les États-Unis. Il y a aussi l'Ukraine. C'est un thème d'actualité qu'il est urgent de traiter.

Debut de section - PermalienPhoto de Roland Courteau

Nous sommes d'accord sur le principe.

Il en est ainsi décidé.

La réunion est levée à 17 h 45.