Madame l'ambassadrice, mes chers collègues, nous continuons ce matin avec vous les auditions consacrées à notre travail sur les femmes, victimes de la traite des êtres humains.
J'ai l'honneur aujourd'hui de remplacer Mme Chantal Jouanno, notre présidente, qui vous prie d'excuser son absence que, pour ma part, je regrette, car j'apprécie beaucoup sa manière de présider.
Je rappelle que le 22 septembre 2015, nous avons échangé avec Mme Vassiliadou, coordinatrice européenne pour la traite des êtres humains ; puis le 29 octobre nous avons entendu Mme Michelle Ramis, ambassadrice chargée de la criminalité organisée au sein du Ministère des Affaires étrangères et du développement international (MAEDI).
Ces auditions ont mis en évidence la nécessité d'une approche internationale de la traite des êtres humains. D'ailleurs, le 17 décembre prochain, l'Organisation internationale du travail (OIT) et la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) organisent au Sénat un colloque dédié à la mobilisation internationale contre l'esclavage moderne. Il semblerait que pour l'instant, seul le Niger ait ratifié le protocole sur le travail forcé, dont l'entrée en vigueur se fera dès la deuxième ratification. Aussi la France peut-elle exercer une certaine influence en ratifiant rapidement ce texte.
Afin de compléter les informations déjà recueillies par notre délégation sur les moyens d'action de la France face à ce phénomène mondial qu'est la traite dont sont victimes les femmes, nous accueillons ce matin Mme Patrizianna Sparacino-Thiellay, ambassadrice pour les droits de l'Homme.
Madame l'ambassadrice, vous occupez ces fonctions depuis le 24 juillet 2013, après avoir été la conseillère diplomatique et juridique de la ministre des Droits des femmes.
Cette dernière responsabilité vous a d'ailleurs notamment amenée à contribuer à l'organisation de la conférence internationale sur la traite des êtres humains à Bruxelles, en septembre 2013.
Nous sommes heureux de vous accueillir pour vous entendre sur ce sujet et, de manière plus générale si vous le souhaitez, sur la question des violences faites aux femmes.
Pouvez-vous tout d'abord rappeler vos missions, en indiquant comment s'articule votre rôle avec celui de l'ambassadrice chargée de la lutte contre le crime organisé, que nous avons auditionnée le 29 octobre ?
Je vous donne donc la parole, puis nous vous poserons des questions.
Merci de votre invitation à cette audition. J'ai à titre personnel pour les droits des femmes un intérêt particulier, que j'ai pu développer dans mes nouvelles fonctions dans la mesure où le droit des femmes constitue clairement une priorité pour la diplomatie française en matière de droits de l'Homme.
Les fonctions qui sont les miennes depuis deux ans ont été créées en 2000, afin de donner davantage de visibilité et de cohérence à notre diplomatie en matière de droits de l'Homme. La lutte contre la traite figure au rang des priorités de notre diplomatie, car c'est l'une des violations les plus graves des droits de l'Homme et la négation même de la dignité humaine. En outre, ce phénomène touche les populations les plus vulnérables, en particulier les femmes et les enfants, qui subissent par conséquent une sorte de double peine. La traite fait ainsi partie des nombreuses violences exercées à l'encontre des femmes et des filles. Enfin, il convient de considérer aussi l'impact que la problématique de la traite peut avoir sur la France, particulièrement concernée par la traite aux fins d'exploitation sexuelle.
Michèle Ramis, que vous avez auditionnée, représente le ministère des affaires étrangères sur ce sujet, notamment dans les instances multilatérales ; j'interviens dans ces enceintes plus largement sur les droits de l'Homme et suis, plus indirectement, amenée à traiter de ce sujet au travers notamment de la problématique des violences faites aux femmes et aux filles. Je porte la voix de la France en coordination avec elle. Nous avons d'ailleurs mené plusieurs initiatives conjointes ; je pense notamment à une tribune commune et à deux séminaires internationaux organisés à Paris sur les violences faites aux femmes, à l'occasion du 25 novembre.
Tant de femmes victimes de violences terribles n'osent pas parler ! Ce constat exige que nous parvenions à de meilleurs résultats. Merci de ce que vous faites pour atteindre ce but.
Je crois que vous avez évoqué la question des instruments internationaux avec Michèle Ramis. La France a milité pour qu'ils existent. Nous continuons à plaider pour qu'ils deviennent réellement universels et qu'ils soient effectivement mis en oeuvre. Il convient également de s'interroger sur la façon d'améliorer le cadre juridique existant, qui est souvent construit par touches successives dans les enceintes multilatérales.
Je suis sénateur des Français établis hors de France et je rentre de Dakar où mes interlocutrices étaient très intéressées par nos travaux. Les femmes sont souvent confrontées à de grandes difficultés, partout dans le monde.
J'interviens dans le champ des droits de l'Homme depuis une vingtaine d'années ; je constate malheureusement que les droits des femmes reculent et qu'il existe dans les enceintes des Nations unies une pression pour remettre en cause leurs acquis. Il s'agit d'un mouvement de fond bien réel, contre lequel nous devons rester mobilisés et vigilants, car il ne se limite pas à quelques groupes de pays : on observe une série de revendications relativistes liées à la religion et à la tradition, y compris au sein du bloc occidental. Sans une vigilance accrue, les droits des femmes pourraient se voir progressivement « grignotés ».
Pas dans la diplomatie, qui peut s'appuyer sur des personnels convaincus et actifs dans ce domaine, même si chez certains jeunes diplomates, on peut parfois observer que cette tendance de fond relativiste n'est pas suffisamment questionnée. D'ailleurs, cela est vrai chez les jeunes tout court, car la sensibilisation aux droits de l'Homme doit de nos jours faire l'objet d'une attention accrue.
Les jeunes femmes, quant à elles, pensent que ces droits leurs sont définitivement acquis et n'ont pas à être défendus, jusqu'à ce qu'elles soient confrontées à la réalité de la vie professionnelle, qui leur montre que c'est une longue lutte...
Les épouses d'ambassadeurs sont-elles actives, à votre connaissance, dans le domaine de la défense des droits des femmes ?
Oui, elles le sont d'autant plus naturellement que ce sont de plus en plus souvent des femmes diplômées, qui exercent une activité professionnelle et ont conscience du risque qu'elles ont pris en quittant leur emploi pour accompagner leur conjoint en poste. Par ailleurs, étant donné que de plus en plus de femmes sont nommées ambassadrices, la question du sort de leurs conjoints est évoquée systématiquement. Hommes et femmes ont donc un intérêt commun pour que cette problématique fasse l'objet d'une attention soutenue au sein du corps diplomatique.
Les outils juridiques relatifs aux droits de l'Homme permettent-ils utilement de compléter l'arsenal juridique spécifique à la lutte contre la traite des êtres humains ? Comment percevez-vous la position de la France par rapport à celle de ses partenaires au sein de l'ONU en matière de traite ? Je vous pose la même question par rapport à la position des partenaires européens.
Pour ce qui concerne l'action de la France, nous prônons une approche globale afin d'appréhender de façon cohérente tous les problèmes posés par la traite des êtres humains : prévention, répression, accompagnement des victimes.
Or, les instruments internationaux adoptés depuis la fin du dix-neuvième siècle visaient un seul de ces aspects. Puis la convention des Nations unies de 1949 sur la répression de la traite et la prostitution a consolidé les textes préexistants. Malheureusement, cette convention ne compte qu'un nombre limité d'États parties et, d'ailleurs, tous les États membres de l'Union européenne n'y ont pas adhéré !
La convention de Palerme de 2000, dont le protocole additionnel concerne tant les femmes que les enfants, constitue un outil plus efficace. Elle a représenté un progrès car pour la première fois est proposée une définition précise de la traite des êtres humains, ainsi qu'un instrument répressif et de protection des victimes.
Aux Nations unies, des rapporteurs spéciaux ont été désignés pour les sujets de la traite, de la vente et de la prostitution des enfants ainsi que de l'esclavage moderne. L'Assemblée générale de l'ONU a également adopté un Plan mondial contre la traite en 2000, montrant ainsi un engagement bien réel de la communauté internationale dans la lutte contre ce fléau. Bien que n'étant pas un instrument contraignant, ce plan a constitué une étape importante, car il a permis la mise en place d'un fonds d'indemnisation pour financer l'assistance aux victimes. En effet, il était nécessaire de pouvoir garantir à celles-ci une assistance financière, juridique, sanitaire et sociale.
Vous évoquez le soutien financier des victimes : est-ce déjà réalisé ou simplement un voeu ?
Nous avons d'ores et déjà des actions de soutien aux victimes conduites dans un cadre bilatéral. En revanche, je n'ai pas, à mon niveau, d'indications de ce qui est fait dans le cadre du fonds multilatéral ; je pourrai vous faire parvenir les informations utiles.
Que se passet-il lorsqu'un engagement n'est pas tenu ? Des vérifications sont-elle mises en oeuvre ? Peuvent-elles déboucher sur des sanctions ?
C'est une question fondamentale que vous posez. Les conventions ont une portée juridique contraignante mais elles doivent être appliquées par leurs signataires pour produire des effets. C'est pourquoi elles prévoient généralement un mécanisme de suivi qui oblige les États à rendre compte périodiquement de leur mise en oeuvre, ce qui constitue un moyen de pression et une incitation forte pour les pays à s'acquitter de leurs obligations. Les rapporteurs spéciaux, que je mentionnais, peuvent en outre produire de façon indépendante des rapports sur la façon dont les conventions sont réellement appliquées. J'ajoute que la société civile est présente dans les comités conventionnels, ce qui permet de maintenir la pression sur les États.
La France participe de manière très active à ce suivi, dans le cadre du Conseil des droits de l'Homme, du Comité des droits de l'enfant ou du Comité contre la torture, par exemple en procédant à une évaluation très précise de la mise en oeuvre des conventions par les pays et en faisant une série de recommandations. Le ministère des affaires étrangères assure la coordination de la position française dans le cadre de ces processus de suivi. De même, il coordonne la rédaction des rapports de la France devant ces comités conventionnels, devant lesquels le gouvernement français doit aussi rendre périodiquement des comptes.
Si des sanctions ne sont pas formellement prévues dans le cadre des comités conventionnels, elles existent de manière indirecte au niveau politique, car aucun pays n'aime être montré du doigt.
Au-delà de la pression politique, d'autres formes d'incitations existent, telles que les sanctions financières. Ainsi, dans le cadre de l'Union européenne, en vertu de « clauses de droits de l'Homme », une aide à la coopération accordée à un État tiers peut être remise en cause en cas de constat de violations flagrantes des droits de l'Homme. Même s'ils sont lourds à mettre en oeuvre, de tels mécanismes sont des instruments de pression très importants.
Quelles sont les principales difficultés rencontrées en matière de lutte contre la traite ? Quelles sont, de votre point de vue, les priorités que nous devrions rappeler ?
Je voudrais aussi évoquer la crise des migrants en Europe, qui a nécessairement un impact sur la traite des femmes, compte tenu de la situation de détresse et de vulnérabilité dans laquelle se trouvent ces personnes. La dynamique européenne concerne avant tout l'accueil des migrants, mais pensez-vous qu'il conviendrait d'être particulièrement vigilant pour que les réseaux de traite n'exploitent pas les populations concernées ?
Pouvez-vous nous parler de Frontex, l'Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l'Union européenne?
Tout d'abord en termes de positionnement de la France, nous entendons rester en situation de « leader » sur la question des femmes, et plus particulièrement en ce qui concerne la lutte contre toutes les formes de violences faites aux femmes, dont la traite fait partie. Nous ne sommes pas les seuls ; l'action extérieure de l'Union européenne en la matière est très active.
On observe toutefois une ligne de fracture sur la question de la traite à des fins d'exploitation sexuelle. Ainsi la convention de 1949 évoquée précédemment est-elle soutenue par seulement 18 des 28 pays membres de l'Union européenne, en raison d'une approche fondamentalement différente de la prostitution entre « abolitionnistes » et « réglementaristes ».
Ceci explique que si l'Union est très en pointe sur la traite des êtres humains, elle s'est relativement peu exprimée sur la question de la prostitution. Sans prendre parti en aucune manière, puisque vous m'interrogez sur les expériences conduites par d'autres pays, je voudrais mentionner le cas de la Suède. J'avais accompagné la ministre des droits des femmes en Suède, au début de la réflexion sur le système prostitutionnel qui a conduit à la rédaction d'une proposition de loi sur le sujet. Dans ce pays, le choix de la pénalisation des clients a été fait en 1999. Après dix années de mise en oeuvre, la Suède estimait que cette législation avait eu des conséquences significatives sur la « demande » et qu'elle avait entrainé un déplacement des réseaux criminels vers d'autres pays. Cette loi a eu un impact social puisque 70 % de la population adhérait à l'instrument juridique. La mentalité des jeunes avait considérablement évolué grâce à cette mesure. C'est donc un exemple de réalisation concrète dans ce domaine. Je sais que le choix suédois est discuté et ne fait pas l'unanimité, mais la réalité du déplacement des réseaux criminels a contraint les pays voisins à s'interroger à leur tour sur la question de la prostitution. C'est un exemple qui nourrit de ce fait la réflexion sur ce sujet.
Je vous remercie de toutes ces informations que vous venez d'apporter à la délégation.
Quelles seraient, selon vous, les recommandations que la délégation aux droits des femmes pourrait proposer dans le rapport d'information qu'elle consacrera au thème des femmes, victimes de la traite des êtres humains ?
Une première proposition serait à mon sens de continuer à promouvoir l'universalisation des instruments internationaux existants en veillant à ce qu'intervienne une rapide ratification des conventions par les États, au-delà de leur simple adhésion, afin que ces États deviennent effectivement parties aux conventions et bien sûr, en veillant aussi à leur mise en oeuvre effective.
Des mécanismes de suivi des conventions devraient aussi être promus. L'un des piliers essentiels de la lutte contre la traite, la convention de Palerme et son protocole additionnel spécifiquement consacré à la traite des êtres humains, notamment des femmes et des enfants, ne prévoit pas à ce stade de mécanisme de suivi de l'application de ces textes par les États.
Les contraintes budgétaires qui s'imposent actuellement aux États réduisent par ailleurs de manière significative les moyens des administrations, notamment du ministère des affaires étrangères, ce qui obère notre capacité de suivi, d'influence et d'action. Or, dans le contexte actuel, tout particulièrement de risque de mise en cause des droits des femmes au niveau international, il est important de conserver les moyens humains et financiers consacrés à la défense des droits de l'Homme en général et en particulier à la lutte contre toutes les violences faites aux femmes, dont la traite fait partie.
C'est un fait général, mais qui concerne plus particulièrement notre pays, car la vocation d'action de notre ministère des affaires étrangères est universelle et généraliste. La réduction des moyens, qui concerne tant l'administration centrale du ministère que le réseau diplomatique, pèse d'autant plus sur notre capacité d'influence et d'action alors même que nous devrions être encore plus mobilisés et vigilants pour empêcher la tentation de « grignotage » des droits existants.
D'autres pays sont-ils concernés par cette réduction de leur capacité d'action ?
Tous les pays européens sont concernés, mais certains de nos partenaires ont choisi de concentrer leurs moyens sur quelques priorités, alors que la France veille encore maintenant, compte tenu de cette vocation universelle que je mentionnais à l'instant, à traiter de tous les sujets.
Certains pays s'attachent à des thématiques catégorielles, par exemple les droits des femmes et des enfants, ou encore la lutte contre la peine de mort, et acceptent de facto de n'être plus moteurs sur les autres thématiques.
Quels sont ces droits que l'on « grignote », pour reprendre le terme que vous avez utilisé ?
La diminution de la capacité d'assurer un suivi dans tous les domaines résulte-t-elle simplement de moyens humains en nombre insuffisant ou est-ce un choix politique ? Quelle est sa motivation ?
Le « grignotage des droits » est une tendance que l'on constate aujourd'hui dans les enceintes multilatérales ; il prend la forme d'une mobilisation contre le consensus international sur les droits de l'Homme qui, selon certains États, aurait été imposé par les pays occidentaux à l'issue du second conflit mondial. C'est une évolution contre laquelle nous luttons et qui est portée par un courant conservateur prévalant dans certains pays. Si nous avons, jusqu'à présent, préservé les instruments internationaux existants de cette volonté évidente de certains États de faire prévaloir une conception restreinte des droits de l'Homme, cela suppose une attention de tous les instants.
Dispose-t-on de données chiffrées sur la réduction des financements que vous évoquiez ? Cette réduction est-elle significative ?
Je pourrai vous adresser ultérieurement les données correspondantes
On peut sentir les effets dans certains secteurs. La France dispose d'un dispositif particulièrement efficace pour traiter des questions communautaires. Ce dispositif s'appuie sur une structure interministérielle qui coordonne les positions françaises dans les instances européennes, ce qui permet une grande réactivité.
Or, depuis 20 ans, les moyens humains consacrés par les ministères à ces questions se sont sensiblement réduits. Compte tenu du volant d'activité très important des instances communautaires, il y a risque que l'on ne soit plus en mesure de suivre ce rythme, d'être force de proposition voire de réaction contre des textes qui pourraient poser problème.
Si des contraintes budgétaires majeures imposent une politique de réduction des financements, il faut cependant garder à l'esprit qu'à terme, cela pourrait avoir des conséquences sur notre capacité d'influence sur la scène internationale.
Pour revenir à la question portant sur le lien entre la crise migratoire et la traite des êtres humains, les instruments juridiques internationaux opèrent une distinction - sans doute un peu artificielle - entre, d'une part, la traite des êtres humains, qui obéit à une logique d'exploitation contre la volonté des individus, contraints et forcés, à des fins d'exploitation économique ou sexuelle, et d'autre part, le trafic des migrants qui, bien que tout aussi scandaleux dans ses effets, suppose une démarche des migrants, qui s'adressent aux trafiquants pour franchir les frontières.
Dans les effets, les trafics criminels, très lucratifs, bien souvent mis en oeuvre par les mêmes réseaux, doivent être réprimés de la même manière. Les instruments juridiques, certes, ne sont pas les mêmes, les dispositifs internationaux de lutte contre le trafic d'êtres humains ne traitant pas en général de la lutte contre le trafic des migrants.
La crise migratoire actuelle et l'augmentation exponentielle du nombre de migrants convergeant vers l'Europe, certains au titre de demandeurs d'asile, d'autres pour des raisons économiques, exacerbent l'activité des réseaux criminels. L'Union européenne a toujours affiché une volonté de lutter contre les réseaux de trafic de migrants, mais les instruments et les structures mises en place il y a quelques années pour lutter contre ces trafics doivent recevoir des moyens suffisants dans ce nouveau contexte.
L'Union européenne a annoncé des mesures supplémentaires, tout d'abord pour traiter l'urgence humanitaire et accueillir les migrants dans de bonnes conditions, mais aussi, dans une logique de prévention, pour dissuader les candidats de se risquer à un long et dangereux périple vers l'Europe et pour renforcer la répression de ces trafics.
L'agence FRONTEX a essentiellement une mission d'amélioration de la coordination des actions des pays européens dans la surveillance des frontières. Elle réalise aussi des actions de surveillance en mer, qui se soldent souvent par des sauvetages d'embarcations en danger, l'essentiel de ses zones de surveillance étant situées au large des côtes du Maghreb, grecques ou turques. Dans ce contexte, des interpellations de trafiquants, souvent des « seconds couteaux », sont réalisées.
Dans le cadre de son action internationale, la France met en place des dispositifs de coopération avec les pays de départ ou de transit des migrants. Pour lutter contre le trafic des êtres humains, nous avons développé un dispositif pilote de coopération régionale afin d'améliorer la coordination des politiques de suivi et de répression des trafics. Ces mesures s'adressent à des pays des Balkans et d'Europe centrale, un attaché de coopération régional étant chargé de la mise en place de ces collaborations bilatérales.
Pour tarir le flux des migrants, il faut favoriser le développement économique des pays d'origine et oeuvrer pour la pacification des zones de conflits.
- Présidence de Mme Hélène Conway-Mouret, vice-présidente -
Je vous remercie pour tous ces éléments d'information.
J'ai tout récemment reçu du ministère de l'intérieur des informations chiffrées qui font état du démantèlement de 200 filières et du fait que 3 000 personnes affiliées à des réseaux mafieux ont été appréhendées. Ces données montrent le bon fonctionnement de la coopération entreprise avec les pays concernés. Deux nouvelles lois vont aussi permettre d'améliorer l'accueil des migrants en France. La première concerne le séjour des étrangers en France. La seconde permettra de réduire considérablement l'attente de ceux qui sont en France aux fins d'asile en s'alignant sur les délais de prise en charge des autres pays européens, soit environ neuf mois, à comparer aux deux années actuellement nécessaires.
Les 20 000 nouvelles places d'accueil et les 250 nouveaux agents affectés à l'OFPRA ont pour objectif de répondre à une demande qui ne peut que croître à l'avenir, si l'on considère que le conflit en Syrie perdure, que le dérèglement climatique engendrera des déplacés en nombre, et que l'on constate un flux croissant de migrants en provenance d'Irak, d'Iran ou d'Afghanistan.
La réponse européenne à ces grands mouvements de population est incroyablement lente : six à dix mois sont nécessaires pour mettre en place une mesure destinée à envoyer un signal fort à ceux qui sont tentés de venir se réfugier en Europe, quelles qu'en soient les raisons. Si les réponses apportées par la France vont dans le bon sens, la nécessité d'une réponse globale au niveau européen s'impose, alors que la crise migratoire s'exacerbe, avec son lot de drames humanitaires.
Le ministre de l'Intérieur m'a indiqué que deux approches opposées coexistent à cet égard.
Pour certains, Calais devrait devenir le centre des réfugiés sur le sol français, alors même que les Anglais ne souhaitent pas ouvrir à nouveau leur frontière. Or il faut une grande cohérence dans les signaux qui sont envoyés. Ne nous le cachons pas : la solidarité peut aussi aggraver le problème...
Selon l'autre approche, c'est un rejet total des migrants et leur expulsion qui doivent être privilégiés.
La problématique des migrants n'est pas qu'un simple enjeu de politique intérieure. Elle concerne l'Europe des 28.
Les États européens sont incapables de se coordonner dans ce domaine, ou alors ils le font en réaction à l'afflux des migrants, mais jamais dans une logique de prévention.
Vous avez fort justement distingué les trafics qui répondent à une demande des migrants de ceux qui, organisés par des réseaux mafieux, tirent depuis de longues années des ressources importantes du trafic des êtres humains. Les migrants sans papiers constituent pour ces réseaux mafieux des proies d'autant plus faciles qu'ils n'ont pas à les acheminer sur le territoire européen, puisqu'ils y sont déjà.
Auriez-vous des éléments sur l'exploitation de ces migrants, économique ou sexuelle ? Ou est-ce encore trop tôt pour effectuer une analyse précise de cette exploitation ?
Le ministère des affaires étrangères ne dispose pas d'information permettant de répondre à cette question, mais les interpellations de membres de réseaux mafieux et les poursuites judiciaires qui seront conduites permettront sans doute de disposer d'éléments sur l'évolution de l'exploitation économique ou sexuelle des migrants.
D'après les statistiques disponibles, on constate depuis 2010 une tendance à la décroissance du trafic à des fins d'exploitation sexuelle, lequel représente actuellement environ 50% des activités criminelles, alors qu'il culminait à 70 % il y a une décennie encore. En revanche, on note une recrudescence de l'exploitation à des fins économiques et, en particulier, du travail forcé et des formes contemporaines d'esclavage. J'ignore s'il s'agit là d'une réorientation des réseaux mafieux vers des sources lucratives moins contraintes, en raison de victimes facilement disponibles et exploitables, mais force est de constater que l'offre de prostitution est aussi de plus en plus réprimée.
Je ne suis pas sûre que cela réponde à votre interrogation.
Même si c'est encore trop tôt pour disposer d'éléments chiffrés, il faut alerter les associations qui travaillent au contact des victimes.
Dans un autre domaine, je suspecte que le phénomène des mariages forcés, contre lequel je me suis efforcée de prendre des mesures lorsque j'étais au gouvernement, se développe actuellement. Il faut impérativement prendre des mesures pour le désamorcer, avant que ses victimes se comptent par milliers.
La diminution de l'exploitation sexuelle peut être mise au crédit des mesures mises en oeuvre contre la prostitution.
Une prise de conscience de ces phénomènes est nécessaire pour combattre les autres formes d'exploitation.
La volonté de la communauté internationale de travailler sur la problématique du travail forcé est manifeste : le protocole relatif à la convention n° 29 de l'Organisation internationale du travail sur le travail forcé a pour objectif de renforcer les moyens de répression. Le projet de loi autorisant sa ratification sera soumis prochainement au vote du Parlement français. Ces engagements internationaux doivent cependant, avant de produire leurs effets, être ratifiés par une masse critique d'États pour que l'on puisse en percevoir le bénéfice.
Je vous remercie. Je voudrais préciser que ce matin, beaucoup de nos collègues habituellement présents aux auditions de la délégation n'ont pas pu être présents avec nous en raison de réunions organisées simultanément, notamment à la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, et auxquelles ils sont tenus d'assister. Je tenais donc à excuser leur absence.
La réunion est close à 9 heures 45.