La réunion est ouverte à 11 h 05.
Nous entendons M. Bernard Roman, candidat proposé aux fonctions de président de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (Arafer), en application de la loi organique et de la loi du 23 juillet 2010 relatives à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, qui imposent que les commissions compétentes en matière de transports de l'Assemblée nationale et du Sénat entendent le candidat. Cette audition est ouverte au public et à la presse. Le vote s'effectuera à bulletins secrets, sans délégation de vote. Le candidat, qui vient d'être auditionné par les députés, ne pourra être nommé si la somme des votes négatifs dans les deux commissions est supérieure aux trois cinquièmes des suffrages exprimés.
Vous êtes député du Nord, membre du groupe socialiste à l'Assemblée nationale, membre de la commission des lois que vous avez présidée de 2000 à 2002, et questeur. Vous êtes avocat au barreau de Lille. Cet attrait pour les questions juridiques est un atout pour présider l'Arafer, autorité qui fait appliquer les textes européens et nationaux sur les transports terrestres afin de garantir la libre concurrence. En revanche, en tant que parlementaire, vos travaux ont peu porté sur les transports.
L'Autorité de régulation des activités ferroviaires (Araf) a été créée en 2009 par la loi relative à l'organisation et à la régulation des transports ferroviaires, dite ORTF. La loi du 4 août 2014 portant réforme ferroviaire a renforcé les pouvoirs et modifié le fonctionnement de l'autorité, tandis que la loi Macron du 6 août 2015 a élargi ses domaines d'intervention au transport par autocar, au contrôle des concessions autoroutières et à la collecte de données relatives aux transports routiers, l'Araf devenant l'Arafer. Celle-ci intervient en amont des décisions en rendant des avis, conformes ou simples, et ex post par le règlement des différends ou en infligeant des sanctions.
L'Arafer a un rôle de gardien de la concurrence, tâche malaisée dans un secteur monopolistique. Elle a rendu un avis négatif sur la tarification du réseau et des gares, contraignant SNCF Réseau et Gares et Connexions à revoir leur copie. En 2015, elle les a obligés à revoir leur tarification dans le cadre de différends avec la région Pays de la Loire et le Syndicat des transports d'Île-de-France (Stif). Plus récemment, elle a rappelé la nécessité de mieux séparer Gares et Connexions de l'opérateur SNCF Mobilités. Elle a demandé à l'établissement public industriel et commercial (Epic) de tête SNCF de renoncer à sa mission de gestion de stations-service. Elle s'est opposée à la nomination d'un candidat proposé par le Gouvernement pour présider SNCF Réseau.
Il est particulièrement nécessaire que le régulateur exerce sa mission en toute indépendance, face à un opérateur historique qui peine à remettre en cause son modèle de fonctionnement et à un État qui peine à accepter et à anticiper l'ouverture à la concurrence.
La priorité, c'est que le président de l'Arafer veuille et puisse être indépendant, comme l'a fait Pierre Cardo. Le Gouvernement peut en effet être soupçonné de vouloir revenir sur cette indépendance, lui qui a déposé à Bruxelles des amendements au paquet ferroviaire afin de limiter les pouvoirs des régulateurs... Avec le président Bizet, nous nous sommes saisis du sujet, car il en va de la survie de notre système ferroviaire !
Jusqu'à présent, vous avez peu travaillé sur les questions de transport. Nous attendons que vous nous rassuriez sur ce point...
Parmi les compétences nouvelles de l'Arafer figure la collecte de données relatives aux transports, où il manque de la transparence. Comment envisagez-vous d'exercer ces responsabilités ?
Merci de votre accueil. C'est avec humilité que je me présente devant vous car votre commission compte les meilleurs spécialistes de ces questions. C'est aussi avec solennité, conscient de l'honneur que me fait le Président de la République en me proposant pour cette fonction qui relève de l'article 13 de la Constitution : le pouvoir de nomination du Président est encadré par votre décision. Solennité aussi car, si je suis nommé à la tête de cette autorité, je serai le garant de son indépendance. Je mesure l'importance stratégique de cette fonction, au regard des enjeux nationaux et européens.
Je suis député depuis 1997, membre depuis dix-neuf ans de la commission des lois, que j'ai présidée durant deux ans. Je suis également questeur de l'Assemblée nationale. Certes, je ne suis pas spécialiste des transports mais je me suis impliqué, dans mes mandats locaux, sur ces dossiers. Comme adjoint au maire de Lille, Pierre Mauroy, et vice-président de la communauté urbaine pendant 25 ans, j'ai négocié avec la SNCF et Réseau ferré de France (RFF) le tracé du TGV Nord et la construction de la gare de Lille TGV et du quartier d'affaires qui la surplombe, Euralille. Comme premier vice-président de la région Nord-Pas-de-Calais, j'ai négocié à trois reprises, avec le président Daniel Percheron, le contrat sur les TER avec la SNCF. Sur la question latente de la tarification des péages, nous avons su innover : nous avons été la seule région à avoir financé des lignes TER-GV prolongeant des lignes TGV. En tant que conseiller général, je me suis aussi occupé, comme nombre d'entre vous, de l'organisation et du financement des transports scolaires.
N'étant pas expert de ces sujets, j'ai beaucoup travaillé depuis dix jours. J'ai refusé de me faire préparer mon intervention, car je souhaite vous convaincre de ma passion à accepter cette mission, aussi importante qu'exaltante, au service de l'État.
Vous avez rappelé le cadre juridique. En 2001, le premier paquet ferroviaire européen a obligé les États membres à se doter d'une autorité de régulation indépendante pour préparer l'ouverture à la concurrence du transport de marchandises. En 2009, la loi ORTF a créé l'Araf. Celle d'août 2014 l'a renforcée, et la loi Macron a élargi les missions de l'Araf, devenue Arafer, au transport interurbain de moins de 100 kilomètres et aux concessions autoroutières. La loi du 30 mai 2016 ratifiant un accord bilatéral franco-britannique sur les conditions d'accès au tunnel sous la Manche conforte encore l'Arafer.
Mais les lois ne sont rien sans les décrets d'application, or certains ne sont toujours pas publiés. Nous attendons toujours les trois contrats stratégiques décennaux avec les trois Epic de la SNCF, notamment SNCF Réseau, sur lequel l'Arafer a un droit de regard. Nous attendons également le décret sur la règle d'or encadrant le financement, hors endettement supplémentaire, des investissements. Je me propose, si vous me nommez, de faire pression auprès du Gouvernement, au nom de l'Arafer, pour que ces décrets sortent sans délais.
Le quatrième paquet ferroviaire, qui vient d'être bouclé à Bruxelles et va être soumis à la ratification par chaque État membre, ouvre le transport de voyageurs à la concurrence à compter du 1er décembre 2020 sur toutes les lignes non concédées, c'est-à-dire les lignes à grande vitesse, et à compter de 2023 sur toutes les lignes concédées. L'objectif est de procéder par appels d'offres à compter de 2024 pour toutes les autorités organisatrices de transports (AOT).
Les missions de l'Arafer ont été accrues, notamment en 2015, sans que ses moyens augmentent. Le président Cardo s'en est plaint à plusieurs reprises. J'y reviendrai.
Le mandat de président de l'Arafer est de six ans. Par courtoisie, j'ai voulu rencontrer Pierre Cardo ; il m'a devancé. Présenter le bilan de l'Arafer, c'est d'abord rendre hommage à l'action de son premier président, Pierre Cardo, qui, à partir d'une coquille vide, a mis en place avec ténacité une structure dotée de services performants et a affirmé son indépendance vis-à-vis des opérateurs, notamment la SNCF, et du Gouvernement. Il a su fédérer le collège de l'Arafer, qui est de grande qualité : toutes les décisions importantes ont été prises à l'unanimité. Si je suis nommé, je m'inscrirai dans les pas de Pierre Cardo.
Parmi les missions historiques de l'Arafer, cela consistera à assurer aux opérateurs autres que la SNCF l'accès au réseau pour le fret ferroviaire et à améliorer le fonctionnement du secteur. Parmi ses outils, les avis conformes et simples, le règlement des différends, l'exercice d'un pouvoir réglementaire supplétif qui provoque parfois quelques démangeaisons dans les cabinets ministériels... L'Arafer régule également le cabotage sur les lignes internationales. Ces missions sont toujours d'actualité.
Les régions, en tant qu'AOT, tendent à prendre le relai des entreprises ferroviaires pour mieux maîtriser les redevances. La mission d'accès au réseau prendra plus d'ampleur avec la poursuite de l'ouverture à la concurrence. La réforme de 2014 a renforcé les pouvoirs de l'Arafer : l'avis conforme a été élargi aux gares, ateliers de maintenance et fournisseurs d'énergie, dont certains sont gérés par SNCF Mobilités, ce qui pose un problème de concurrence déloyale... Il faudra y mettre de l'ordre, dans les pas de Pierre Cardo.
L'Arafer a aussi un rôle nouveau dans le rétablissement de l'équilibre financier du système, qui soulève une immense inquiétude : la dette historique de la SNCF, non maastrichtienne et assumée par les gouvernements depuis trente ans, est de 40 milliards d'euros pour SNCF Réseau et de 13 milliards d'euros pour SNCF Mobilités. On ne peut rester inerte. La règle d'or et la compétence donnée à l'Arafer sur les conditions dans lesquelles SNCF Réseau pourra engager tout chantier de plus de 100 millions d'euros sans rompre l'équilibre budgétaire sont essentielles. Il faut publier le décret !
Troisième mission, le suivi des transports. Un observatoire des marchés, multimodal depuis 2015, fournit des informations synthétisées au législateur et à l'exécutif afin de leur offrir une vision de l'évolution de l'organisation des transports. La loi Macron a imposé la déclaration à l'Arafer des liaisons par autocar de moins de 100 kilomètres. Les régions peuvent saisir l'Arafer des situations de concurrence déloyale avec les services publics de transport. Dans 80 % des cas, sur les 80 demandes, l'Arafer n'a pas estimé qu'il y avait concurrence déloyale avec les TER.
Le suivi du secteur est une mission passionnante qui a démarré au 1er octobre 2015. Les résultats du dernier trimestre 2015 et du premier trimestre 2016 montrent une augmentation de 80 % de la fréquentation sur les lignes d'autocars. Va-t-elle continuer à croître, ou se tasser ? C'est en tout cas un élément de l'offre de transport à prendre en compte.
La loi Macron a chargé l'Arafer d'ouvrir un registre des gares routières. Celles-ci sont régies par une ordonnance de 1945 ; depuis, rien n'a évolué. Il est temps de réorganiser l'égal accès des autocaristes à ces gares.
Dernier secteur, les autoroutes. L'Arafer a une mission de transparence sur la composition des commissions des marchés. Elle a mis son veto sur certaines, où il existait un risque de conflits d'intérêts. À la suite du rapport de l'Autorité de la concurrence sur les bénéfices jugés démentiels des sociétés d'autoroutes - près de 24 % en 2015 ! - un groupe de travail a réuni sénateurs et députés. Certains envisageaient la nationalisation - qui aurait coûté 50 milliards d'euros. Ce travail s'est conclu par un protocole, qui n'a jamais été communiqué aux députés ni, j'imagine, aux sénateurs...
Il faudra corriger cette lacune. L'Arafer a l'obligation et les moyens juridiques, y compris de sanction, pour établir un bilan annuel public des comptes des sociétés autoroutières. Chaque fois qu'un contrat sera modifié, qu'il s'agisse du montant du péage ou de la durée de la concession, l'Arafer donnera un avis.
Malgré ses nouvelles missions, les moyens de l'Autorité sont restés inchangés : ce n'est pas sérieux. Son budget était de 11,1 millions d'euros en 2015, il l'est d'autant en 2016. De même, le nombre d'ETP a été maintenu à 68. Pierre Cardo a légitimement demandé qu'il soit porté à 77. Rendez-vous est pris pour le projet de loi de finances pour 2017. Le Gouvernement propose, le Parlement dispose ! Si je suis nommé, nous aurons l'occasion d'en reparler et je porterai cette demande, déjà adressée par Pierre Cardo au ministère des transports et à Bercy.
Le premier chantier à poursuivre est celui de l'indépendance de l'Arafer. La première autorité indépendante est née d'un émoi parlementaire partagé, en 1974, devant le risque de création d'un fichier informatique généralisé. Un groupe de travail a abouti au projet de loi créant la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL). Sans elle, je ne suis pas sûr que les libertés des Français eussent pu être défendues comme elles l'ont été. Deux sénateurs l'ont présidée, dont Alex Türk. Cette indépendance est au coeur de l'esprit même de l'Arafer.
Deuxième chantier, la poursuite des interactions engagées par Pierre Cardo avec les acteurs européens de la régulation ferroviaire et avec les opérateurs nationaux. Il faudra sans doute aller plus loin, de plus en plus de collectivités s'érigeant en AOT. Les régions souhaitent pouvoir proposer une complémentarité entre covoiturage, autocars et TER. Ce sont des partenaires avec lesquels nous devons échanger. Les interactions devront être poursuivies au niveau européen avec la Commission européenne et IRG-Rail, fédération des 26 régulateurs nationaux.
Troisième chantier, la poursuite de la transparence. L'observatoire, les rapports au Parlement et la publication des décisions constituent un matériau précieux pour permettre au législateur et à l'exécutif de prendre en compte l'évolution des habitudes de transport.
Après ces trois chantiers, trois rendez-vous. D'abord, la poursuite de la mise en place d'une vraie régulation incitative, au regard de difficultés dans l'organisation irrationnelle de la réservation des sillons. Un exemple : le gouvernement français avait passé un accord avec un gros transporteur turc ; le bateau ayant déchargé sa cargaison à Sète, celle-ci est acheminée par rail jusqu'à Dijon, où des travaux, non prévus au moment de la réservation, bloquent le convoi destiné à la région parisienne ! Il faut une meilleure coordination. Ces lacunes expliquent aussi que le fret ferroviaire ait chuté de moitié en dix ans... L'Arafer est là pour tirer le signal d'alarme.
Autres défis : la refonte de la tarification et le suivi de l'exécution du contrat entre l'État et SNCF Réseau, qui fixe sa trajectoire budgétaire sur dix ans.
La refonte des gares est essentielle. Actuellement, elles ont deux propriétaires, SNCF Réseau pour les quais et Gares et Connexions pour les centres commerciaux, et donc deux redevances. L'unicité de gestion est indispensable. L'Arafer a proposé de la confier à une filiale de SNCF Réseau.
Enfin, nous devrons préparer l'achèvement de l'ouverture des marchés à la concurrence. C'est l'État et SNCF Mobilités qui la conduiront ; la mission de l'Arafer sera d'apporter le maximum de transparence aux opérateurs, dont la SNCF. Il faudra des gares en bon état qualitativement, et quantitativement bien situées, un réseau adapté, des conditions claires.
Nous devons mener à bien les nouvelles compétences héritées de la loi Macron : autocars, autoroutes, gares routières. Le renforcement depuis six ans du rôle de l'Arafer, l'affirmation de son indépendance, liée à son succès, témoignent de la nécessité de poursuivre et d'amplifier le travail réalisé. Je m'engage pleinement dans ce défi.
Merci de votre intervention. J'ai apprécié votre hommage à Pierre Cardo qui, partant d'une coquille vide, a fait de l'Arafer un régulateur respecté. Le collège a pris ses décisions à l'unanimité, c'est un bon signe.
Vous êtes un élu - nous préférons cela à un fonctionnaire. Vous êtes un politique, un hiérarque du parti socialiste. Vous êtes questeur de l'Assemblée nationale, vous avez été président de la commission des lois, directeur de cabinet de Pierre Mauroy, premier vice-président de la région Nord-Pas-de-Calais, en charge des finances. Vous êtes manifestement une personnalité de qualité. Vous jouissez d'une image d'homme honnête et rigoureux. C'est bien ! Vous dites avoir beaucoup travaillé ces derniers jours, nous l'avons remarqué au travers de votre exposé. Enfin, vous êtes favorable à l'Europe et représentez plutôt un PS moderne. Jusque-là, tout va bien !
Mais votre candidature fait suite à la nomination de votre collègue député François Brottes à la tête de RTE, au « recasage » du directeur de cabinet de Stéphane Le Foll ; on dit qu'elle viserait à permettre un jeu de chaises musicales en faveur de votre collègue François Lamy, même si vous avez déclaré que vous souhaitiez rester député. Que s'est-il passé entre le 6 et le 16 juillet ?
La droite aussi avait nommé un politique à la tête de l'Arafer, dont acte. Vous êtes un novice, membre non de la commission du développement durable mais de la commission des lois. Votre « recasage » relève-t-il de l'économie circulaire ? Pour autant, là aussi, nous avions fait la même chose en nommant Pierre Cardo... Dont acte.
Quelle est votre approche de la libéralisation du secteur ? Je suis moins optimiste que vous concernant le quatrième paquet ferroviaire, sur lequel j'ai signé un rapport pour la commission des affaires européennes. Si l'article 1er décrète l'ouverture à la concurrence, l'article 2 prévoit six ou sept exceptions. Notre pays, s'il le souhaite, pourra ne pas appliquer l'article 1er ! Dernièrement, le Premier ministre a donné aux régions la liberté de tarification et d'expérimenter, que nous attendions depuis quinze ans. Comment expliquer cette évolution soudaine ? Ce quatrième paquet est fondamental pour le sauvetage du système ferroviaire français. Gares et Connexions n'est pas qu'une simple direction ; le statu quo est inenvisageable étant donné le risque d'atteinte à la concurrence. Quelle est votre position ?
Quelle sera votre indépendance envers un État qui apprécie d'autant plus les régulateurs qu'ils sont de son avis ? Lorsque le régulateur s'oppose, le Gouvernement lui rogne illico les ailes... C'est fondamentalement pervers. Vous qui êtes un « Hollandais » pur jus, saurez-vous tenir tête à un État qui essaierait de limiter vos pouvoirs ? Serez-vous impartial demain en cas d'alternance ?
Comment analysez-vous le système ferroviaire français, avec la dégradation du réseau, les accidents, les problèmes d'entretien, l'endettement ? J'ai apprécié que vous montiez au créneau pour dénoncer la non-communication des contrats autoroutiers et l'absence du décret sur la règle d'or.
Par charité, je ne dirai pas ce que j'ai lu sur Facebook de la part d'un de vos collègues député, spécialiste des transports, qui se disait ravi de ne pas être proposé comme candidat car « il n'aurait pas pesé lourd dans ce calcul politique ». Tout reposera demain sur vos épaules, en matière d'indépendance. Nous serons en vigilance orange, sachez-le !
Je ne serai pas flatteur pour ensuite donner des coups de couteau ! Le régulateur est important, nécessaire, et l'Arafer est un bon exemple d'un régulateur qui a joué son rôle. J'ai apprécié l'hommage que vous avez rendu à Pierre Cardo. Le fait que vous vous inscriviez dans ses pas est une garantie.
Votre exposé est aussi le retour d'expérience d'un élu local qui a été confronté à tous les domaines du transport. Le régulateur est important pour le ferroviaire, pour les autoroutes, pour les autocars - gros succès de la loi Macron. En Grande-Bretagne ou en Allemagne, ceux-ci transportent plus de 10 millions de voyageurs par an, preuve qu'il y a une marge de mobilité et de clientèle.
J'ai apprécié que l'Arafer ne se laisse pas manipuler par les régions et que 80 % des demandes aient été acceptées.
Un député est remplacé par un autre député, non par un haut fonctionnaire : c'est bien. « Je serai garant de l'indépendance de l'Arafer », avez-vous dit. Ce sont des paroles fortes. Nous aiderons l'Arafer à faire pression sur le Gouvernement afin qu'il publie les décrets d'application de la loi ferroviaire, notamment sur la règle d'or et sur les relations avec SNCF Réseau et SNCF Mobilités.
L'Arafer aura un rôle majeur à jouer dans l'ouverture à la concurrence, indispensable pour faire bouger le secteur ferroviaire. Nous n'avons pas réussi, dans la loi, à faire de Gares et Connexions une entité indépendante. Quel est votre avis ?
Il faut mettre de l'ordre dans SNCF Réseau et SNCF Mobilités, être attentifs aux évolutions des régions et à leur souhait d'être plus indépendantes de SNCF Mobilités. L'observatoire des marchés aura un rôle important ; notre rapport sur les autoroutes a montré combien tout cela manquait de transparence...
Votre exposé exhaustif et précis a répondu par avance à bien des questions.
Je rends hommage au travail de Pierre Cardo qui a su mettre en place l'Arafer dans un contexte difficile.
Je termine une mission, à la demande du Premier ministre, sur les grands ports maritimes. On pourrait interroger aussi l'Arafer ! Alors qu'ils sont les mieux placés d'Europe, les grands ports français sont ceux qui réussissent le moins bien... C'est aussi lié aux problèmes d'acheminement. Le fret ferroviaire est en chute libre. Aujourd'hui, 85 % du transport de conteneurs se fait par la route, le reste par fleuve, et, à la marge, par le rail.
L'ouverture à la concurrence est actée pour le fret mais ne fonctionne pas, car tout dépend de la gestion de l'attribution des sillons, que dénoncent les opérateurs autres que la SNCF. Serait-il possible que l'Arafer soit chargée de garantir l'indépendance en la matière ? Sinon, que suggérez-vous pour que cette indépendance soit respectée, aujourd'hui dans le fret et demain dans le transport de voyageurs ?
Je salue l'honnêteté de votre exposé. J'ai vu le conseil d'administration de RFF, où j'ai siégé pendant quatre ans, freiner l'ouverture du marché du fret à la concurrence. Est-on plus ouvert dans les autres pays ?
La SNCF a un souci extrême de la sécurité des trains, à commencer par les TGV. Or l'ouverture amènera nombre de trains venus de l'étranger sur nos voies : que préconiserez-vous pour assurer la même sécurité ?
Attaché au service public, le groupe CRC n'est pas favorable, de manière générale, aux autorités indépendantes. Cela étant dit, la question de la dette est cruciale, puisqu'elle met en jeu le devenir de la SNCF. La France souhaite-t-elle conserver un opérateur performant ? Si tout est fait pour le plomber, la concurrence en profitera. Je ne crois pas qu'en Allemagne, l'opérateur historique ait été malmené à ce point.
Vous avez souligné, à raison, que les parlementaires avaient été négligés : ils n'ont pas reçu communication du protocole sur les autoroutes. On nous a traités comme des enfants, et j'en conserve une certaine amertume. Les sociétés d'autoroutes ont, en exagérant les risques, obtenu un niveau de rentabilité très élevé : tout année supplémentaire accordée en contrepartie de travaux vaut de l'or, et ce sans aucun risque, la progression de la clientèle étant assurée. L'Autorité de la concurrence a souligné le caractère anormal de cette situation. J'aurais souhaité que l'on fît preuve de la même sévérité à l'égard des concessionnaires d'autoroutes que vis-à-vis de la SNCF.
Sur le marché des autocars, les opérateurs ont vendu à perte. Arriverons-nous à une situation de réelle concurrence ?
Indépendance et transparence font partie de l'ADN des autorités administratives indépendantes ; Pierre Cardo a souligné, dans son rapport, qu'il avait eu à établir la doctrine de l'Arafer. Comptez-vous y apporter d'autres éléments, notamment la prise en compte de l'intérêt général ?
Enfin, avez-vous l'intention de développer un observatoire intégré à la structure, comme évoqué par Pierre Cardo ?
Vous avez eu l'honnêteté de dire que vous n'étiez pas, à ce jour, compétent en la matière mais votre expérience d'élu vous permet d'appréhender la complexité de ces dossiers. Vous y apportez un oeil neuf, c'est un atout. Par conséquent, ces considérations n'influenceront pas mon vote.
En revanche, je suis choqué des tentatives du Gouvernement de restreindre l'indépendance de l'Arafer ; le président Maurey et moi-même avons adressé, le 24 mai, un courrier au ministre chargé des transports, resté sans réponse de sa part. Les tentatives du Gouvernement au niveau européen, en conflit d'intérêts manifeste, sont scandaleuses.
En matière d'ouverture à la concurrence, l'Arafer n'est pas le décideur final ; cependant, son avis aura un poids. Aurez-vous la voix tremblante au moment de l'exprimer et de faire évoluer cet acteur essentiel de l'aménagement du territoire ? Ce gouvernement et un syndicat - la CGT, je n'ai pas peur de le nommer - font tout pour freiner l'ouverture. Ce n'est pas ainsi que nous sauverons l'opérateur historique.
Un amendement à la loi Sapin 2 confère à l'Arafer de nouvelles compétences afin d'assurer « un strict parallélisme entre le dispositif prévu pour la passation des marchés publics et celui régissant la passation des marchés par les concessionnaires d'autoroutes privés, sous réserve des adaptations sectorielles nécessaires, notamment en matière de seuil ». Pour cela, l'Arafer pourrait « définir elle-même les informations dont elle doit être destinataire plutôt que ces dernières ne soient fixées par voie réglementaire ». Comment envisagez-vous la mise en oeuvre de cette nouvelle disposition ?
Les propos de Louis Nègre étaient déplacés, irrespectueux vis-à-vis du candidat. M. Nègre joue à Hercule Poirot, faisant une lecture purement politicienne...
Il parle de « recasage » de « hollandais de la première heure »... Je ne lui demande pas s'il est sarkozyste de la première heure ou filloniste tiède !
J'ai été président d'AOT et ai mis en place, à l'échelle de ma communauté d'agglomération, un service de transport avec une centaine de chauffeurs en régie, en complémentarité avec la SNCF. En matière d'interaction entre les différents modes de transport, vous déclarez vous inscrire dans les pas de votre prédécesseur. Je retiens les trois chantiers que vous vous êtes fixés : indépendance, dont je vous donne acte, interaction et transparence. Sans même attendre votre réponse, je vous donne toute ma confiance !
Tout ce que je dis, cher collègue, je le dis en conscience. La parole est libre jusqu'à preuve du contraire, sauf dans les dictatures. Visiblement, vous ne lisez pas la presse ; vous n'avez pas non plus assisté à une audition au Sénat américain !
Ne donnons pas l'impression à M. Roman que nous serions moins sages que les députés !
Vous noterez que nous sommes tous très attachés à l'Arafer. Une proposition de loi limitant le nombre et les attributions des autorités administratives indépendantes a été votée au Sénat ; mais l'Arafer n'était aucunement visée.
Vous avez rappelé que nous n'avions pas eu communication des accords entre l'État et les sociétés d'autoroutes ; j'ai écrit au Premier ministre plusieurs courriers à ce sujet, qui sont restés sans réponse.
Au-delà de la continuité avec l'action de Pierre Cardo, il sera nécessaire d'innover sur les compétences plus récentes de l'Arafer : autocars, données en matière de transport, autoroutes. Lors de son audition, Pierre Cardo a suggéré que la loi Macron ne donnait pas à l'Autorité de pouvoirs de contrôle et d'investigation et de moyens suffisants. Quelle est votre position sur ce sujet ?
La dette - abyssale et toujours en augmentation - de la SNCF nous préoccupe au plus haut point. De quelle manière estimez-vous pouvoir agir ? Tant que le contrat de performance entre l'État et l'opérateur, qui fixera des objectifs d'évolution de la situation financière de l'entreprise, n'est pas signé, il est difficile à l'Arafer de veiller à son respect.
Un rapport du Sénat préconise que le président de l'Arafer soit un politique en fin de carrière... Sans doute parce qu'il aura l'habitude des joutes oratoires ! Je retiendrai donc l'introduction de M. Nègre et la conclusion de M. Bérit-Débat. Les exégèses que vous avez pu lire dans la presse ne correspondent pas aux réalités. Pour moi, en politique, on ne peut pas léguer : tout se gagne.
Avant cette audition, je n'ai souhaité rencontrer ni les parlementaires, ni les membres du collège ou les agents des services de l'Arafer. Par conséquent, les positions que j'exprime sont strictement personnelles.
Mon approche en matière d'ouverture du marché, c'est l'ouverture. Le quatrième paquet est clair : on ne pourra échapper à l'ouverture des lignes non concédées, c'est-à-dire des lignes à grande vitesse, au 1er décembre 2020. Les lignes concédées seront ouvertes en 2023 ; en signant en 2022 un contrat pour quatre ans, on pourra reporter l'échéance à 2026, mais le train de l'ouverture est en marche, nous ne l'arrêterons pas.
J'estime que l'on peut être social-démocrate, européen - dans mon cas, un peu plus que la moyenne de sa formation - et attaché au service du public. Cependant, dès après-demain si vous ne vous opposez pas à ma nomination, je n'exprimerai plus de positions politiques publiques. Ma mission m'impose un devoir de réserve total.
Vous avez raison, monsieur Nègre, de me qualifier de « hollandais pur jus ». Nous sommes des amis de 35 ans. Cela ne m'a pas empêché de monter plusieurs fois à la tribune de l'Assemblée nationale, contre l'avis de mon groupe, pour exprimer un désaccord total avec le Président et le Premier ministre.
J'y viendrai. Dans le monde politique, deux principes me semblent essentiels : respecter les concurrents, et pouvoir se regarder dans la glace tous les matins. Il ne faut pas hésiter à exprimer les désaccords ; et, le cas échéant, en tant que président de l'Arafer, je n'accepterai aucune demande ou pression de la part du Président ou du ministre des transports.
Les gouvernements qui se sont succédé depuis vingt ans partagent la responsabilité d'avoir laissé le réseau se dégrader. Il serait irresponsable de ne pas concentrer tous les moyens humains et financiers sur sa rénovation. Au-delà du drame de Brétigny-sur-Orge, plusieurs accidents n'ont été évités que de justesse. Le coût d'une rénovation globale du réseau est estimé à 30 milliards d'euros ; ce sont 30 000 kilomètres de voies, dont 20 000 à rénover, avec certains sillons très difficiles à fermer en raison de leur forte fréquentation. Pendant dix ans, SNCF Réseau a consacré tous ses moyens d'investissement aux lignes à grande vitesse, au détriment de l'entretien du réseau existant. C'est par conséquent une priorité qui doit être inscrite dans le contrat de performance entre SNCF Réseau et l'État. C'est la position que j'exprimerai. Aucun autre investissement ne saurait être réalisé sur les LGV si cela doit aggraver le déficit de SNCF Réseau.
Les gares françaises ont deux propriétaires : SNCF Réseau pour les quais, et SNCF Mobilités, à travers Gares et Connexions, pour le reste. Ce reste, disons-le, est la partie la plus juteuse. À la clé, deux redevances, et une illisibilité totale du retour sur investissement. Celui qui paie le plus est SNCF Réseau, celui qui reçoit le plus est SNCF Mobilités. De plus, Mobilités sera en position de concurrence déloyale au moment de l'ouverture. Plusieurs solutions sont envisagées pour y remédier : transférer la propriété des gares à un quatrième Epic, à une filiale de SNCF Réseau - solution proposée par Pierre Cardo - ou aux régions. La dernière solution n'est pas praticable : la France compte 3 000 gares - ce qui nous place en deuxième position derrière l'Allemagne, qui en a 6 300 - dont la taille varie considérablement. La proposition de l'Arafer est la bonne, mais il faut aller très vite. En tout cas, SNCF Mobilités ne saurait récupérer la propriété des gares.
L'intermodalité est le grand défi auquel la France n'a pas su répondre. Comment se fait-il que dix fois plus de marchandises, en volume, soient transportées par le fret en Suisse qu'en France ? Pourquoi l'intermodalité totale entre le canal, la mer, le rail, la route et l'air, ne se fait-elle pas ? Un exemple tiré de mon expérience : la base aérienne militaire de Cambrai ferme. Sachant que le canal Seine-Nord passe par Cambrai, que trois autoroutes s'y croisent, il y avait de quoi créer une plateforme quadrimodale idéale. Nous n'y sommes pas parvenus, parce que la perspective d'un aéroport de fret, à laquelle les parlementaires étaient favorables, a suscité une levée de bouclier des habitants - on peut le comprendre - et des élus du territoire. Nous avions beau faire valoir que les avions cargos feraient moins de bruit que les Mirage, nous n'avons convaincu personne.
L'une des causes de la baisse du fret ferroviaire réside dans les conditions de réservation, d'annulation et de réaffectation des sillons. Les opérateurs préfèrent attendre le dernier moment pour obtenir, à un prix beaucoup plus modique, des sillons annulés ; et certains sillons pré-réservés par la SNCF sont abandonnés au dernier moment, et ne sont pas repris. Dans ces conditions d'incertitude, les entreprises préfèrent la route.
Les règles de sécurité s'imposant au matériel roulant et les conditions d'accès au dispositif des opérateurs étrangers sont décrites précisément dans le quatrième paquet, qui comprend également des règles sociales.
L'opérateur historique est une fierté. Nous le conserverons à condition de le laisser opérer sereinement sa mutation, qui ne se fera pas sans les 150 000 hommes et femmes qui y travaillent. Usager fréquent du train, je rencontre les cheminots. Même ceux qui appartiennent à la CGT reconnaissent qu'ils devront accepter des évolutions. Le récent accord, accepté par la CGT, a été décrit comme une capitulation, mais il introduit la polyvalence - des agents travaillaient 20 heures payées 35 - et la possibilité d'accords locaux d'entreprise, dérogatoires des accords nationaux.
Pas seulement. Il convient de faire en sorte, ensemble, que la SNCF demeure un grand opérateur. L'Allemagne a libéralisé son réseau depuis longtemps.
C'est vrai.
J'ai pu prendre connaissance de l'accord entre l'État et les autoroutes. Il limite le taux de rentabilité interne (TRI) des sociétés dans une fourchette de 4 à 7 %. Les agents assermentés de l'Arafer ont le droit de consulter sur place tous les documents comptables. Tous les ans, l'Arafer publiera le TRI de chaque concessionnaire, et vous pourrez convoquer son président quand vous le voudrez. C'est une mission très importante que la loi Macron a conférée à l'Autorité.
L'observatoire existe déjà, et ses publications sont passionnantes. Ayant participé à une AOT en tant que vice-président de région, j'ai contribué au maintien de certaines lignes, pour satisfaire les élus qui le demandaient. Parfois, elles transportaient trente passagers le matin et le soir, et un ou deux pendant la journée... Est-ce bien raisonnable ? Au regard de l'évolution des pratiques de transport, une AOT peut-elle substituer la notion de service du public à celle de service public ? L'observatoire apporte des données susceptibles d'éclairer ces décisions.
En tant que premier syndicat du rail, la CGT peut s'opposer à tout accord. Il est par conséquent nécessaire de discuter avec elle, en mettant tous les éléments sur la table. Je viens de signer un accord avec la CGT sur le personnel de cuisine de l'Assemblée, au terme de négociations très dures. Comme toutes les organisations sociales, elle fait son travail.
Les agents de l'Arafer, grâce à un amendement du Gouvernement à la loi Sapin complétant les dispositions de la loi Macron, ont désormais les mêmes capacités d'investigation que les agents du fisc.
Enfin, il appartient à l'Arafer de formuler des préconisations au Gouvernement à propos de la dette, qui atteint 40 milliards d'euros pour SNCF Réseau et pèse en permanence sur les tarifs. La moitié de ce total est issue des 134 milliards de francs transférés de la SNCF à RFF au moment de sa création. Depuis lors, personne ne s'est soucié de déterminer à qui incombait le remboursement de cette dette non-maastrichtienne ; on se contente de payer les intérêts, qui atteignent 500 à 700 millions d'euros par an. J'estime qu'il serait opportun de proposer un transfert à l'État de la dette historique, même si ma position sur ce point n'est pas entièrement arrêtée. Si la dette historique est reprise par l'État et que SNCF Réseau conserve les 20 milliards restants - en les maintenant à niveau en vertu de la règle d'or - le service de cette dette représentera 500 à 600 millions annuels, soit un montant égal à l'engagement d'économies de SNCF Réseau dans le cadre du futur contrat de plan. Tout se tient... L'Arafer peut apporter de la transparence, donner des éléments de décision.
J'espère vous avoir démontré que j'ai travaillé sur ces questions ; je ferai en sorte, si vous ne vous opposez pas à ma nomination, d'être devenu un véritable spécialiste du sujet lorsque vous m'entendrez à nouveau. Comme disait Virgile, « on se lasse de tout, excepté d'apprendre » !
La commission procède au vote sur la candidature de M. Bernard Roman, proposé aux fonctions de président de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires, en application de l'article 13 de la Constitution.
Voici les résultats du scrutin : 12 votes pour, 7 votes blancs et 3 abstentions.
La réunion est levée à 12 h 40.