Notre commission d'enquête a exprimé le souhait d'entendre les ambassadeurs de plusieurs États membres de l'Union européenne confrontés aux conséquences de la crise migratoire. M. György Károlyi, ambassadeur de Hongrie en France, est le premier d'entre eux.
La Méditerranée centrale a longtemps accaparé les esprits et les débats, mais les Balkans représentent une voie d'accès privilégiée vers l'Allemagne et la Suède. La Hongrie, troisième pays de transit, est très exposée. Son gouvernement a pris des décisions controversées - l'érection d'un mur en a été le symbole.
Naturellement, il intéresse notre commission d'enquête d'en connaître le contexte et les conséquences. D'autant plus que la Hongrie n'est pas isolée et que son point de vue est en partie partagé par d'autres, en particulier au sein du groupe de Visegrad.
Schengen s'appuie sur deux piliers : la libre circulation et le contrôle effectif des frontières extérieures. L'un ne doit pas aller sans l'autre. Quelles réflexions vous inspire cette situation ? Vous pourrez également nous indiquer la position de votre pays dans les négociations au Conseil sur les mesures préconisées, et pour certaines d'entre elles déjà entrées en application, pour améliorer le fonctionnement de l'espace Schengen. Nous vous avons adressé un questionnaire qui peut constituer le fil conducteur de votre intervention.
C'est un grand honneur de venir m'exprimer devant vous sur un sujet qui fait la une de l'actualité. Même si par les temps qui courent cela tient plus du voeu pieux ou de l'incantation, je voudrais vous souhaiter une bonne année. Que 2017 soit aussi favorable que possible à ceux qui exercent une fonction politique, car la qualité de ce qu'ils pourront faire en dépend.
La position de la Hongrie au sujet de l'espace Schengen n'a jamais varié. Nous considérons ce système comme un grand acquis de la construction européenne. Nous tenons à ce qu'il soit maintenu et à ce que ses règles de fonctionnement soient appliquées. Pour qu'il en soit ainsi, nous avons déposé sur le bureau de la Commission européenne, en mars 2016, notre plan « Schengen 2.0 », qui adapte le dispositif au contexte actuel. Défense des frontières extérieures par les pays membres, avec éventuellement l'aide de l'agence européenne de protection des frontières ; processus d'identification par enregistrement biométrique de toute personne qui franchit les frontières extérieures de l'Union ; correction de la politique migratoire européenne, avec la restauration intégrale du système de Dublin, y compris en Grèce ; mise en place de centres d'accueil fermés et protégés en dehors du territoire de l'Union européenne pour diligenter les procédures de demandes d'accueil ; conclusion d'accords de réadmission et de retour avec les pays d'origine et de transit des migrants ; renvoi des migrants illégaux dans leurs pays d'origine ou de transit sûrs ; conditionnalité du respect de la politique migratoire de l'Union pour bénéficier des politiques d'aide au développement et d'octroi de visas ; assistance aux pays situés sur les routes migratoires, et sur ce point nous sommes particulièrement attachés à ce que les pays des Balkans occidentaux, notamment la Macédoine et la Serbie, bénéficient le plus rapidement possible d'un élargissement de l'Union ; création d'une liste européenne commune de pays sûrs, pour prendre en compte le fait que les demandeurs d'asile ne sont plus directement menacés après avoir traversé un certain nombre de pays tiers sûrs ; accueil des migrants sur la base du volontariat, car il faut maintenir dans la compétence souveraine des États membres les réponses au défi démographique du marché de l'emploi, conformément à l'article 5, paragraphe 2 du Traité sur l'Union européenne. Tels sont les dix points sur lesquels nous estimons qu'il faut intervenir, si nous voulons que le système Schengen continue de fonctionner.
Depuis l'adhésion de la Hongrie à l'espace Schengen en 2007, ce sont les services de police qui sont chargés de la surveillance de nos frontières. Ils sont assistés par le service des douanes qui dépend du ministère de l'Économie, et par le service migratoire qui dépend du ministère de l'Immigration et de la Nationalité, l'équivalent de votre Office français de protection des réfugiés et apatrides. Une loi de septembre 2015 a autorisé le déploiement de l'armée. Au printemps 2016, un corps de garde-frontières supplétif composé de volontaires a été progressivement mis en place pour prêter main forte aux forces publiques. La totalité du dispositif est placé sous la responsabilité des services de police et du ministère de l'Intérieur.
Le premier problème auquel la Hongrie est confrontée dans la mise en oeuvre des règles de l'espace Schengen tient au fait qu'en passant nos frontières, les migrants pénètrent une seconde fois dans cet espace. Entre la Grèce et la Hongrie, les migrants traversent des pays qui ne sont pas membres de l'Union, passant ainsi de Schengen en Schengen. La Hongrie subit les répercussions du non-respect de ses obligations par un État doté d'une frontière extérieure, à savoir la Grèce.
La Hongrie doit aussi faire face à l'abus qui caractérise la plupart des demandes d'asile. Chacun sait que les migrants n'ont pas pour but de s'installer en Hongrie ou en Grèce, mais qu'ils y font une demande d'asile afin d'obtenir leur placement en centre d'accueil ouvert pour pouvoir poursuivre leur route clandestinement vers l'Allemagne, la Suède ou le Royaume-Uni.
En 2015, on a recensé 391 000 entrées illégales en Hongrie, dont 186 000 par la Serbie et 205 000 par la Croatie. En 2016, ces chiffres ont radicalement diminué, avec 18 000 entrées illégales, dont 17 500 par la Serbie. En ce qui concerne les demandeurs d'asile, ils étaient 177 000 en 2015, provenant d'abord de Syrie, puis d'Afghanistan, du Kosovo, du Pakistan et d'Irak. Cette répartition change en 2016, puisque les demandeurs d'asile sont désormais essentiellement afghans et pakistanais. En 2015, la Hongrie a accepté 508 demandes d'asile et 414, en 2016. Cependant, à peine le migrant a-t-il déposé sa demande d'asile en Hongrie qu'il quitte le pays pour disparaître dans un autre, de sorte que l'administration doit clôturer 90 % des demandes pour cause de disparition de l'intéressé. L'argument statistique selon lequel la Hongrie ne donnerait son aval qu'à un nombre infime de demandes d'asile n'est donc pas recevable.
Aujourd'hui, la Hongrie n'est plus un lieu de passage. Les statistiques ne recensent que quelques dizaines de migrants appréhendés par jour, et les passages illégaux ont pratiquement disparu. Depuis le 5 juillet 2016, près de 6 700 migrants ont été reconduits à la frontière - de même que dans les Alpes-maritimes on reconduit en Italie les migrants qui ont été interpellés en France - et 8 200 entrées illégales ont été physiquement empêchées.
La Serbie n'applique que très partiellement l'accord qu'elle a signé en 2007 avec l'Union européenne, puisqu'elle n'accepte de reprendre sur son territoire que les Turcs, les Albanais et les Macédoniens pourvus de documents d'identité, mais refuse les Afghans, les Syriens, et les Somaliens qui représentent l'essentiel des migrants illégaux.
Face à la crise migratoire, la Hongrie a développé un triptyque de mesures matérielles, humaines et juridiques. Elle a érigé une clôture de sécurité sur la ligne verte que constitue le linéaire de la frontière avec la Serbie. Elle a déployé des forces publiques, des forces armées et des corps complémentaires sur la frontière, avec l'appui d'autres pays, qu'il s'agisse de l'Autriche, ou bien de la Pologne, de la Slovaquie et de la Tchéquie. Des garde-frontières hongrois interviennent également plus en aval, aux frontières macédonienne, grecque et bulgare. Grâce à cette collaboration bilatérale, la frontière n'est pas uniquement une barrière physique ; elle se double d'un contrôle humain. Enfin, la Hongrie a aménagé sa législation, en adoptant en septembre 2015 une loi autorisant la création de zones de transit sur le linéaire de la frontière avec la Serbie, dans un contexte de crise liée à une immigration massive.
Nous saluons les propositions de la Commission européenne des 7 et 8 décembre derniers visant au retour de la Grèce dans le système de Dublin. Loin de jeter la pierre à la Grèce, la Hongrie est parfaitement consciente des difficultés auxquelles ce pays doit faire face. Nous n'en regrettons pas moins que les propositions de la Commission européenne ne prennent pas effet avant le 15 mars, car tout retard est un prétexte de plus pour maintenir les contrôles aux frontières intérieures que nous condamnons. Dans l'ensemble que constitue Schengen, le contrôle des frontières extérieures est le corollaire de l'absence de contrôle aux frontières intérieures. Prolonger les contrôles aux frontières intérieures, c'est prendre le risque de voir le système se déliter. Mieux vaut les réduire et les supprimer dès que possible.
En ce qui concerne le règlement de Dublin, nous avons indiqué à plusieurs reprises que nous ne pouvions pas accepter le retour en Hongrie de migrants passés par la Grèce, et cela quand bien même ils auraient été enregistrés pour la première fois à la frontière hongroise. La responsabilité incombe au pays où les migrants ont fait leur première entrée. En application de ce principe, nous nous chargeons de raccompagner dans leur pays d'origine les Kosovars ou les Albanais que l'Allemagne nous renvoie, car ils ont franchi la frontière de l'Europe en pénétrant en Hongrie. En revanche, c'est à la Grèce de se charger des migrants qui ont franchi ses frontières en provenance du Moyen Orient, et cela même s'ils n'ont pas été enregistrés en 2015. Nous ne pouvons pas être rendus responsables de la défaillance d'un autre pays.
Parmi les migrants que l'on vous renvoie, combien sont passés par la Grèce ?
Pratiquement la totalité. C'est surtout au début de l'année 2015 que les Kosovars et les Albanais quittaient leurs pays. Le problème est derrière nous. Désormais, 99 % des migrants viennent du Moyen Orient et sont d'abord passés par la Grèce. C'est une évidence géographique.
La solidarité est un grand mot qui nous engage tous. Elle ne peut être ni uniforme, ni imposée. La répartition des charges par la fameuse relocalisation n'est pas une solution. D'une part, elle génère un pull factor évident. D'autre part, le système est incapable d'empêcher les mouvements secondaires. Aide à l'installation ou protection, rien n'empêchera un migrant de reprendre sa route vers la destination qu'il s'est initialement fixée. Le principe clef qui définit la position de la Hongrie, c'est de privilégier l'élimination du problème à sa source plutôt que sa gestion à l'arrivée. Avant de réformer le système de Dublin, il faut appliquer pleinement la convention de Schengen, c'est-à-dire traiter les carences actuelles du dispositif, cibler les racines du problème extérieures à l'Europe, ne pas provoquer de pull factor et distinguer les catégories de migrants, réfugiés, illégaux ou légaux.
L'Autriche a rétabli à sept reprises les contrôles à sa frontière intérieure avec la Hongrie. Nous le regrettons beaucoup car l'engorgement ainsi provoqué a porté préjudice à la circulation des biens et des personnes. La Hongrie est au coeur de l'Europe, au croisement d'un réseau routier considérable. Des contrôles aux frontières intérieures de l'espace Schengen nuiraient à l'activité économique de l'Europe. D'où notre souhait de les supprimer le plus rapidement possible.
Nous sommes convaincus que la décision du Conseil européen du 11 novembre 2016, qui prolonge le contrôle temporaire des frontières intérieures par cinq États membres, n'apporte pas de solution valable au problème et ne peut conduire qu'à la lente déliquescence de tout le système Schengen. D'autant que cette mesure ne semble pas non plus satisfaire au principe de proportionnalité. Le contrôle des frontières intérieures doit être strictement limité à la gestion des dangers graves menaçant la sécurité intérieure d'un pays sans faire inutilement obstacle à la liberté de circulation.
La Hongrie considère qu'il est essentiel de régler le problème de l'immigration illégale massive sur le territoire de l'Union si l'on veut éviter d'importer en Europe des défis qui ne sont pas les siens. Les tensions internes que nous connaissons le montrent déjà, qu'il s'agisse du rétablissement temporaire des contrôles aux frontières intérieures ou de la mise en application imparfaite de l'acquis de Schengen qui interdit au système de Dublin de traiter de manière appropriée la charge administrative à laquelle il faut faire face. Malgré le projet « Back to Dublin » de la Commission européenne, l'absence de la Grèce dans le système continue de se faire sentir : ceux qui ont franchi la frontière grecque pour leur première entrée sur le territoire européen ne peuvent toujours pas y être renvoyés.
La création d'un nouveau système ne peut pas reposer sur le non-respect des règles existantes. Le système de Dublin ne peut pas se réformer sur la conservation des anomalies et des insuffisances en cours. Que ceux qui méritent protection se voient reconnaître ce droit le plus rapidement possible, que ceux qui ne sont pas éligibles puissent quitter le territoire de l'Union le plus rapidement possible, ou mieux encore que leur entrée sur le territoire de l'Union puisse ne pas avoir lieu, tels sont nos objectifs. C'est pourquoi un système de défense approprié doit être mis en place pour faire obstacle à l'entrée sur le territoire de l'Union de ceux qui ont l'intention d'y pénétrer illégalement. Nous plaidons pour un régime du droit d'asile européen, suffisamment solide pour mettre fin à la pression migratoire illégale qui touche l'Europe. Arrêter les flux dirigés vers l'Europe, reprendre le contrôle des frontières extérieures, éliminer ou tout au moins traiter les causes profondes de la migration, telle est la feuille de route de la politique à mettre en place.
Pour cela, les procédures relatives aux demandes d'asile doivent être traitées dans des centres appropriés, situés en dehors du territoire de l'Union européenne : les hot spots extérieurs. Seuls les migrants qui sont éligibles à la protection doivent être autorisés à les quitter et à poursuivre leur route.
La Hongrie est disposée à soutenir le Conseil européen dans un compromis de bon sens sur la réforme du système de Dublin, c'est-à-dire sur la base de solutions viables dans la pratique, ce que le système de relocalisation actuelle de toute évidence n'est pas. Oublions le juridisme improductif des solutions qui ne fonctionnent pas. Tournons-nous avec pragmatisme vers celles qui apporteront des résultats concrets.
Vous affirmez que l'espace Schengen doit être préservé et renforcé afin que la libre circulation y soit assurée normalement. Selon vous, l'Europe est-elle en capacité d'avoir une politique migratoire commune ?
Oui, bien évidemment. Notre position est très claire sur la définition de cette politique commune : éliminer le problème à sa source plutôt que de nous préoccuper de le gérer. Au lieu de renvoyer les migrants illégaux dans leurs pays d'origine, il serait tellement plus simple de leur éviter un aller-retour inutile en veillant à ce qu'ils ne puissent pas entrer sur le territoire européen.
Chaque pays a sa place dans notre Europe à vingt-huit. Une mesure prise au niveau national n'est pas forcément contradictoire avec une politique commune. La Hongrie a une frontière Schengen. D'autres pays n'en ont pas. L'Autriche ou la Tchéquie, totalement enclavées dans l'espace Schengen, n'exercent évidemment pas les mêmes responsabilités que la Hongrie. Une mesure prise au niveau national peut parfaitement s'intégrer à la politique migratoire commune. Dans une équipe de football, l'avant-centre est chargé de marquer les buts, ce qui n'est pas le cas de l'arrière ou du gardien. Ils font pourtant tous partie de la même équipe. Il suffit de reconnaître la spécificité des responsabilités qui incombent à chacun pour effacer toute contradiction. Nous souhaitons que la politique migratoire européenne aille dans le sens que nous préconisons. Les idées que nous avançons commencent à faire leur chemin.
Dans le football d'aujourd'hui, tout le monde attaque et tout le monde défend...
Mais le but est marqué par un seul joueur, pas par les onze à la fois.
Que pensez-vous des pays qui vendent des permis de séjour, parmi lesquels la Hongrie ?
Vous nous dites que la Hongrie n'est pas prête à remplir ses obligations au titre du règlement de Dublin, car elle n'est pas responsable des négligences de la Grèce. Si tous les pays suivaient ce raisonnement, il n'y aurait pas de demandeurs d'asile en Autriche ou en Tchéquie, et seuls les pays avec une frontière extérieure seraient confrontés au problème. Autrement dit, la politique d'asile européenne serait sous-traitée aux pays qui ont une frontière extérieure. Est-ce là la position que vous défendez ?
Y a-t-il en Hongrie des demandeurs d'asile privés de liberté ? Quelles sont les conditions de vie dans les centres de rétention ? Quelle est la position de la Hongrie sur la candidature de la Bulgarie et de la Roumanie pour entrer dans l'espace Schengen ? La Grèce serait moins isolée. Vous proposez d'éliminer le problème plutôt que de le gérer. Pensez-vous qu'en sous-traitant le « sale boulot » aux pays qui se trouvent de l'autre côté des frontières de la zone Schengen, l'Union européenne sera en mesure d'entretenir des relations apaisées avec ses voisins ?
Vous avez insisté sur la nécessité de contrôler la migration aux frontières de Schengen. Une agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes est en train de se mettre en place, ce qui est une nouveauté, car jusqu'à présent, l'Europe ne s'était jamais engagée sur les politiques régaliennes des États. Certains États membres de l'Union disposent de marines et de garde-côtes efficaces. Et pourtant, l'Europe se dote de moyens pour mieux contrôler le flux des migrations. Quelle est la position de la Hongrie au sujet de cette politique qui se développe au niveau européen ? Y est-elle favorable ou considère-t-elle qu'il revient aux États membres frontaliers de la Méditerranée d'assurer la sécurité aux frontières ?
Nous sommes toujours favorables au développement des politiques européennes. Cependant, il faut établir une distinction nette entre ce qui dépend des États souverains et ce qui doit relever d'une force commune gérée par l'Union européenne, en l'occurrence Frontex. La force publique est l'attribut souverain des États. Par conséquent, ce sont les États qui disposent des moyens physiques pour appliquer la politique européenne. Encore une fois, il n'y a pas de contradiction dans l'intervention de la marine nationale pour appliquer une politique européenne.
En revanche, il faut définir clairement la nature des missions dévolues aux patrouilles de marine. Lors d'un colloque sur la politique migratoire, organisé ici-même, au mois d'octobre dernier, un contre-amiral de la marine française nous expliquait que les rafiots des migrants recueillis en pleine mer étaient acheminés en Italie, car le droit de la mer oblige à considérer ces gens comme des rescapés et pas comme des migrants. Nous nous faisons ainsi les complices des passeurs. Il faudrait mettre en place un système juridique qui favorise l'inverse, en ramenant ces gens à leur point de départ.
La très grande majorité des migrants ne sont pas éligibles au droit d'asile. À quoi bon les acheminer en Europe pour les renvoyer après ? On nous dit qu'un million de migrants attendent en Afrique du Nord de pouvoir venir en Europe. Il faut à tout prix les empêcher de partir. Il est indispensable de construire un système juridique européen pour faire échec aux circuits imaginés par les passeurs. La politique européenne doit se greffer sur les moyens des États.
Tous les pays pratiquent les permis de séjour sous des formes variées. Ces permis sont accordés à des gens bien identifiés qui ne présentent pas de problème particulier. En Hongrie, ce système fonctionne pour l'instant. Nous sommes en train d'examiner son éventuel abandon. Beaucoup de pays pratiquent le même système avec des incitations qui peuvent varier : achat immobilier, achat de titres d'État, etc. Rien ne singularise la Hongrie.
Je ne vois pas comment il pourrait y avoir des migrants privés de liberté en Hongrie pour la bonne raison qu'il n'y en a pratiquement plus. On ne recense pas plus de 500 personnes dans les centres d'accueil en Hongrie, qu'ils soient ouverts ou fermés. Les migrants dont la demande d'asile a été acceptée ont poursuivi leur route vers d'autres pays ou se sont installés et ont trouvé un travail en Hongrie. Ceux qui n'ont pas souhaité attendre l'instruction de leur demande sont partis en Autriche, en Allemagne, en Suède ou ailleurs. Les privations de liberté ne visent que ceux qui ont commis des infractions. Rien d'étonnant à cela. Les délinquants sont sanctionnés dans tous les pays du monde.
Nous souhaitons que la Roumanie et la Bulgarie rejoignent la zone Schengen dès que possible. Cela dépend d'une part d'eux et évidemment des institutions européennes. Nous soutenons également un élargissement rapide de l'Union à des pays comme la Serbie ou la Macédoine pour assurer une jonction physique avec la Grèce.
En ce qui concerne Dublin, il faut garder à l'esprit que les migrants ne souhaitent pas s'installer en Hongrie ou en Grèce, mais visent l'Allemagne, la Suède ou le Royaume-Uni comme destination finale. Les autres pays ne sont que des points de passage. À quoi bon renvoyer en Grèce, en Hongrie ou dans d'autres pays des gens qui n'ont aucune intention d'y rester ? On ne peut pas faire fi des intentions des migrants. Ils ont payé des fortunes et risqué leur vie pour entrer en Europe avec un objectif précis : l'Allemagne, la Suède ou le Royaume-Uni.
La plupart des migrants qui arrivent en Hongrie transitent par la Serbie. Y a-t-il des passages par la Roumanie ?
La Roumanie tient sa frontière, y compris avec la Serbie. Il n'y a aucun passage.
C'est un cas particulier. Les mouvements sont extrêmement marginaux. Quelques Ukrainiens entrent en Hongrie, mais il n'y a pas de circuit organisé.
Je vous remercie pour la qualité de votre présentation et pour la perfection impressionnante de votre français. Vos propos relativisent les difficultés que l'on croit avoir en France au sujet du droit d'asile. C'est sans commune mesure avec la situation que vous connaissez en Hongrie, même si votre pays n'est qu'un point de passage.
Les enjeux sont humanitaires, mais relèvent aussi de la géopolitique, avec notamment la question de l'élargissement de l'Union européenne. Vous nous dites qu'il faut empêcher les migrants de partir. J'ajoute qu'il faut surtout les empêcher d'avoir envie de partir, ce qui implique de s'interroger sur le rôle de l'Europe. Considérez-vous que l'Europe consacre suffisamment de moyens à l'aide au développement, ou ne doit-elle pas jouer un rôle beaucoup plus important en la matière, compte tenu de sa richesse et de son histoire ? Certains migrants fuient leur pays pour sauver leur peau. Cela pose le problème de la construction d'une Europe de la défense. Actuellement, de jeunes français risquent leur vie pour arrêter Daech, au Mali ou en Irak. Comment la Hongrie considère-t-elle la mise en oeuvre d'une Europe de la défense qui impliquerait une participation financière et physique de tous les États membres ?
Bien évidemment, l'Europe doit faire en sorte d'empêcher les gens d'avoir envie de quitter leur pays. La migration n'est pas une fatalité. Certains nous disent que les gens bougent, car c'est dans l'air du temps. Je ne le crois pas. Les gens bougent parce qu'ils y sont obligés et pas forcément pour de bonnes raisons. La migration en elle-même n'est pas un état normal. Les gens doivent pouvoir trouver leur bonheur là où ils sont nés et où ils ont leurs racines et leurs appuis. Le développement de l'Afrique est la clef pour éviter la migration. On nous dit que l'Europe est un nain militaire et un géant économique. Il lui revient de mettre sa puissance économique au service de l'aide au développement. Elle le fait déjà ; elle devrait sans doute le faire plus, en prenant ses responsabilités, notamment dans la création d'emplois en Afrique. C'est ainsi qu'on empêchera les gens d'avoir envie de partir. L'Europe a les moyens de cette politique, pour peu que la volonté existe.
Quant à la défense, la Hongrie a été l'un des premiers pays à lancer l'idée d'une armée européenne. Utopie ou lubie ? L'avenir le dira. C'est en tout cas l'orientation que nous souhaitons imprimer à la politique de l'Union, dans le respect total de notre attachement à l'Otan et aux armées nationales. Entre les deux, entre l'artillerie lourde et l'artillerie fine, il manque un échelon : celui d'une force européenne.
Nous savons que la France est en première ligne dans la défense de l'Europe, car depuis le Brexit, elle est devenue la grande puissance militaire de l'Union. La Hongrie a donné suite à toutes les demandes d'aide de la France pour participer à l'effort commun au titre de l'article 42-7 du Traité sur l'Union européenne. Nous avons déployé un contingent au Mali, un autre en Irak, soit environ 1 000 hommes qui participent à l'effort militaire. Il faut absolument que l'Union européenne développe une force de défense à la mesure de ses ambitions politiques et de sa dimension économique. Reste à définir comment.
Vous avez mis en doute l'utilité du déploiement d'une flotte de l'Union européenne au large de la Libye pour faire la chasse aux trafiquants. Il est vrai que ces navires sont surtout là pour sauver les malheureux que les trafiquants ont laissés sur les bateaux, relayant ainsi l'action de ces derniers. Mais comment installer des hot spots dans des États faillis, comme en Libye, ou des pays qui renâclent, comme la Tunisie ? Quant à ceux qui acceptent, ils imposent de lourdes exigences : la Turquie a pour ainsi dire rançonné l'Union européenne en échange de la mise en place des hot spots.
Votre discours m'inspire des inquiétudes quant à la philosophie même de l'Union européenne. D'abord, vous faites valoir, à l'appui de l'intégration de la Roumanie et de la Bulgarie dans l'espace Schengen, que ces États joueraient le rôle de zones tampons. C'est un peu mince... Schengen, c'est une véritable politique commune, non des mesures pour régler des problèmes ponctuels.
Plus gênant, vous demandez que la Hongrie puisse mettre en oeuvre, au sein de l'Europe, des dispositifs qui lui seront propres. Dans un contexte de fort scepticisme des populations vis-à-vis de l'Union européenne, un tel éclatement des politiques européennes, où chaque pays prendrait des initiatives sans discussion ni consensus, me semble porteur de danger. Nous avons besoin d'une Europe plus unie et intégrée, pas d'une Europe dispersée.
Certes, le gouvernement libyen ne contrôle pas l'ensemble du pays ; mais si l'on a conclu un accord avec la Turquie qui, pour le moment, est respecté, je ne vois pas pourquoi il serait impossible de l'obtenir auprès d'autres pays, avec la bonne volonté et la pression nécessaires. Ce ne sera pas facile, mais en partant perdants, nous n'y arriverons certainement pas. La Tunisie, la Libye et l'Égypte peuvent se montrer ouvertes à une collaboration avec l'Union européenne, pourvu que la négociation se déroule conformément aux usages internationaux. Il ne s'agit pas de leur forcer la main, mais de trouver un accord win-win avec ces pays qui sont également affectés par le problème.
Quant à notre position sur la Bulgarie et la Roumanie, je ne saisis pas le sens de votre question. Contrairement à ce qu'une certaine presse voudrait faire croire, la Hongrie ne fait pas cavalier seul. Nous avons une approche constructive ; comme De Gaulle, qui écrivait dans ses Mémoires : « Toute ma vie, je me suis fait une certaine idée de la France », nous avons notre idée de l'Europe que nous souhaitons faire partager, par la discussion, à nos partenaires. Ni notre gouvernement, ni notre population ne souhaitent en sortir. Nous nous y trouvons très bien. Mais nous estimons avoir le droit de faire valoir, comme d'autres, notre opinion. Je ne vois aucune distanciation vis-à-vis de l'Europe dans la politique menée par notre pays ; c'est pourquoi j'ai du mal à comprendre votre question.
Je vous remercie de vous être exprimé dans notre langue que vous maîtrisez admirablement.
Notre commission d'enquête poursuit ses travaux avec l'audition de M. Philippe Setton, directeur de l'Union européenne au ministère des affaires étrangères et du développement international, accompagné de la directrice adjointe, Mme Laurence Auer, et de Mme Florence Lévy, adjointe au chef de service des politiques internes et des questions institutionnelles. Cette direction est notamment chargée du suivi de la définition et de l'application des politiques communautaires, en liaison avec le Secrétariat général des affaires européennes (SGAE), que nous auditionnerons la semaine prochaine, des questions juridiques et institutionnelles liées à la mise en oeuvre des traités et des relations avec les institutions communautaires.
Notre commission d'enquête a souhaité que vous lui présentiez l'historique et le fonctionnement de l'espace Schengen, ainsi que les récentes initiatives législatives visant à pallier les lacunes qu'ont mises en évidence les événements récents - la crise migratoire et la menace terroriste en particulier - et les perspectives de cet espace de libre circulation. Naturellement, nous sommes aussi intéressés par vos témoignages qui relateraient votre expérience sur le terrain.
Nous vous avons adressé un questionnaire qui peut constituer le fil conducteur de votre intervention. Après votre propos liminaire, j'inviterai mes collègues, en commençant par notre rapporteur, François-Noël Buffet, à vous poser des questions.
Cette audition est ouverte à la presse et sera diffusée en direct sur le site Internet du Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié.
Enfin, je rappelle, pour la forme, qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite, chacun d'entre vous, à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Philippe Setton, Mme Laurence Auer et Mme Florence Lévy prêtent serment.
Schengen met en oeuvre l'une des quatre libertés fondamentales de l'Union européenne : la liberté de circulation des personnes. C'est l'une de ses réalisations les plus concrètes, et l'une de celles auxquelles les citoyens sont le plus attachés. Chaque année, 1,25 milliard d'Européens se déplacent au sein de l'espace Schengen. Jean Pisani-Ferry a évoqué devant vous, hier, le coût du non-Schengen ; en mars 2016, la Commission européenne, dans sa communication intitulée « Revenir à l'esprit de Schengen », estimait que « la réintroduction totale des contrôles aux frontières au sein de l'espace Schengen occasionnerait des coûts directs immédiats de 5 à 18 milliards d'euros par an ».
Dès l'origine, la liberté de circulation a emporté deux conséquences liées dans l'esprit des concepteurs : la suppression des contrôles aux frontières intérieures à l'espace Schengen et la mise en oeuvre des mesures dites compensatoires prévoyant notamment une harmonisation des modalités de surveillance des frontières extérieures, la mise en oeuvre d'un visa Schengen uniforme pour les séjours de courte durée, les prémices d'une coopération judiciaire et transfrontalière et enfin la création du système d'information Schengen (SIS). De plus, le traité de Schengen prévoyait d'emblée la possibilité d'un rétablissement des contrôles aux frontières nationales en cas de menace grave pour l'ordre public ou la sécurité intérieure d'un État membre.
Initialement négocié dans un cadre intergouvernemental et en dehors des traités européens, Schengen a progressivement été intégré dans l'ordre juridique de l'Union européenne à partir du traité d'Amsterdam de 1999, à travers les dispositions réglant le visa de court séjour, l'asile - la Convention de Dublin instaurant le principe de responsabilité du pays de première entrée - et la coopération policière.
Dernière manifestation de sa forte résonance politique, l'extension progressive de l'espace Schengen depuis le traité de 1985 signé par cinq États membres. Aujourd'hui, Schengen est considéré comme un élément d'intégration, voire d'appartenance à la famille européenne. C'est particulièrement vrai pour les deux derniers arrivés dans l'Union européenne, la Roumanie et la Bulgarie. L'espace Schengen compte 22 États membres, soit les 28 membres de l'Union européenne moins le Royaume-Uni et l'Irlande, la Bulgarie, la Roumanie, la Croatie - qui a engagé le processus d'adhésion l'année dernière - et Chypre en raison de la division de l'île. S'y ajoutent l'Islande, la Norvège, la Suisse et le Liechtenstein qui ont le statut d'États associés.
L'espace Schengen a connu trois périodes de forte tension : des arrivées massives en provenance d'Afrique occidentale en 2004 et 2005 - la « crise des cayucos » -, les « printemps arabes » en 2011 et enfin la crise des réfugiés de 2014-2015, où les flux de personnes ont explosé sur les routes des Balkans, de la Méditerranée orientale et de la Méditerranée centrale. Cette dernière crise a mis en lumière des difficultés dont certaines dépassent le cadre du fonctionnement de Schengen : la mise en oeuvre du règlement de Dublin, mais aussi les sensibilités nationales sur les sujets migratoires et les difficultés de mise en oeuvre d'une solidarité effective entre États membres.
La crise a aussi mis en évidence la complexité objective du contrôle des frontières extérieures - près de 50 000 kilomètres, dont 80 % en zone maritime -, un manque de moyens, une contribution inégale, en volume et en qualité, des États membres de Schengen aux bases de données, une consultation aléatoire de ces bases en fonction des réglementations nationales et enfin les problèmes d'interopérabilité entre les bases de données.
Ces tensions ont conduit à une remise en chantier des règles de fonctionnement de l'espace Schengen. À la suite des « printemps arabes », l'article 29 du code frontières Schengen a été modifié pour autoriser le rétablissement du contrôle aux frontières intérieures en cas de circonstances exceptionnelles mettant en péril le fonctionnement global de l'espace du fait de « manquements graves dans l'exécution du contrôle aux frontières extérieures ». C'est sur cette base que le Conseil a autorisé, en mai puis en novembre 2016, cinq États membres à rétablir provisoirement ce contrôle au vu des manquements constatés en Grèce. Deuxième modification, la révision des procédures d'évaluation en 2013, donnant à la Commission la possibilité d'effectuer des contrôles programmés mais aussi inopinés, et lui attribuant un rôle accru, alors que le système précédent reposait sur l'évaluation par les pairs. Ces dispositions sont en application depuis 2015.
Face à la crise des réfugiés, la France et l'Allemagne ont obtenu la création en octobre d'un corps européen de garde-frontières et de garde-côtes, avec une montée en charge à compter de ce début d'année. La France s'est engagée à contribuer à la réserve d'intervention rapide à hauteur de 170 garde-frontières et garde-côtes sur un effectif total de 1 500. La deuxième modification, partiellement acquise, est celle du code frontières Schengen pour organiser le contrôle systématique aux frontières extérieures en entrée comme en sortie, y compris sur les citoyens européens. Elle a fait l'objet d'un accord politique entre le Conseil et le Parlement européen en décembre et attend sa validation formelle par ce dernier. Au cours des discussions, la France a obtenu la consultation obligatoire des bases de données européennes - le SIS, mais aussi le fichier Interpol - en plus de la consultation des bases nationales.
La Commission européenne a également proposé, en avril 2016, l'établissement d'un système entrée/sortie pour améliorer l'efficacité des contrôles, mais aussi identifier ceux qui abuseraient de leur droit de séjour régulier dans l'Union ; cet instrument sera utilisé pour surveiller les flux, mais aussi dans le cadre de la lutte anti-terroriste. En novembre, elle a proposé la création d'un système européen d'autorisation et d'information de voyages, sur le modèle de l'ESTA existant aux États-Unis, permettant d'évaluer le risque migratoire et sécuritaire présenté par une personne exemptée de visa avant son entrée dans l'espace Schengen. Enfin, le 16 décembre, la Commission a présenté un ensemble de textes réglementaires pour améliorer l'utilisation du SIS dans le champ de la coopération policière et judiciaire en matière pénale, faciliter le recours à celui-ci dans les contrôles aux frontières et autoriser sa consultation pour le retour de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier. Ces propositions, dont les autorités françaises approuvent les orientations, seront examinées dans les prochaines semaines.
Le risque migratoire et sécuritaire renvoie également à d'autres instruments et initiatives, notamment les efforts en direction des pays tiers d'origine et de transit. Lors du sommet de La Valette, en novembre 2015, la création d'un fonds fiduciaire a été décidée. Des partenariats ont été mis en oeuvre, dans le cadre de paquets migratoires, avec cinq pays d'Afrique considérés comme prioritaires. Mme Federica Mogherini a présenté le 15 décembre au Conseil européen une évaluation de ce dispositif, faisant apparaître des progrès au Niger mais des résultats plus mitigés ailleurs.
Enfin, différentes initiatives législatives dans le cadre de la lutte contre le terrorisme sont à signaler, en particulier l'adoption définitive du Passenger Name Record (PNR) qui doit être mis en oeuvre d'ici à 2018 par les États membres.
Il y a un dispositif d'évaluation associé au contrôle des frontières. La France a-t-elle été évaluée ? Des différences ont-elles été constatées dans la mise en oeuvre des règles dans les États membres, et quels moyens sont mis en oeuvre pour y remédier ? Quels sont les critères d'adhésion à l'espace Schengen ? À l'heure où deux pays souhaitent nous rejoindre, il est utile de les connaître.
La mise en oeuvre par la Grèce des obligations découlant du code frontières Schengen a-t-elle évolué ? L'usage commun des bases de données et l'échange d'informations sont le seul moyen d'assurer la pertinence du fonctionnement de cet espace. Les points de faiblesse sont-ils clairement identifiés et quelles démarches sont engagées pour y remédier ?
Les États candidats à l'adhésion doivent se soumettre à une évaluation conduite par la Commission européenne ; ils doivent en particulier administrer la preuve de leur capacité à assumer la responsabilité du contrôle aux frontières extérieures pour le compte des autres États et à délivrer les visas uniformes de court séjour ; montrer leur capacité à coopérer efficacement avec les autres États de l'espace Schengen, notamment à travers la capacité technique à se connecter au système d'information sur les visas (VIS) et à exploiter les bases de données ; enfin, disposer des moyens humains et techniques du contrôle aux frontières terrestres, mais aussi aériennes et maritimes. Sur la base du respect de ces critères, le Conseil est invité, par une décision à l'unanimité, à approuver l'adhésion.
Les difficultés rencontrées lors des « printemps arabes », en particulier à Vintimille, à la frontière franco-italienne, avaient conduit à un renforcement des procédures d'évaluation adopté par le Conseil européen en octobre 2013. La procédure règle le choix des pays à contrôler, l'envoi de questionnaires, les contrôles sur pièces et sur place et, enfin, la possibilité de diligenter des missions inopinées. Sur cette base, la Commission européenne peut proposer des actions pour remédier aux dysfonctionnements qui sont notifiées à l'État concerné. Un suivi régulier est assuré à la fois par la Commission et le Conseil. Entrée en vigueur en 2015, cette nouvelle procédure semble plus efficace que la précédente : l'identification des dysfonctionnements, notamment dans le contrôle des frontières extérieures, était plus difficile dans le cadre d'une évaluation par les pairs.
La France a été évaluée en 2009, puis en 2016. Le rapport final de cette dernière évaluation, qui a notamment porté sur Calais, le contrôle des frontières extérieures et la délivrance de visas, devrait nous être communiqué dans les prochaines semaines.
Depuis que le contrôle des frontières nationales a été reporté sur les frontières extérieures, la collaboration policière et judiciaire et celle des services de renseignement sont devenues fondamentales. Quelles sont les contributions respectives des États membres au SIS ? La France a-t-elle formulé des propositions pour améliorer ce système aujourd'hui au coeur des discussions ?
Le mécanisme d'évaluation prévoit des rapports réguliers de la Commission européenne. Le dernier en date porte sur le second semestre 2015. La Commission y soulignait une double difficulté : une contribution inégale des États membres aux bases de données et une consultation inégale de ces bases par les services autorisés à y accéder lors des opérations de contrôle aux frontières extérieures. C'est sur la base de ces constats que la Commission a présenté en décembre dernier ses propositions pour la réforme du SIS. Elle appelle à une interopérabilité accrue entre les différentes bases de données et une consultation plus systématique de celles-ci : SIS, VIS et bases Interpol, notamment le fichier des documents d'identité volés ou égarés.
Le nombre d'Albanais demandant l'asile en France ne se réduit pas, ce qui assombrit les perspectives européennes de ce pays. Où en est l'établissement d'une liste des pays sûrs au niveau européen ?
Si l'intégration de la zone Schengen est renforcée, la France ne connaîtra-t-elle pas des difficultés, une partie de son territoire - l'outremer - étant située hors de la zone ?
La Convention de Dublin a acté le principe selon lequel chaque pays possédant une frontière extérieure de l'espace Schengen est responsable du contrôle de celle-ci. Avec la crise de 2015, une surveillance et une évaluation communes ont été mises en place : c'est le nouveau mandat de Frontex, très rapidement mis en oeuvre ; mais l'Italie et la Grèce enregistrent désormais presque tous les réfugiés dans la base de données Eurodac. Mais si aucune réforme du système d'asile, avec notamment des propositions de relocalisation, ne vient compléter ces mesures, ces deux pays se trouveront rapidement embolisés. Pour le moment, la réforme boite.
Il est vrai que les règles et procédures d'asile font l'objet d'un détournement par des ressortissants albanais. C'est un sujet de préoccupation pour les autorités françaises, et surtout pour le ministère de l'intérieur, qui demandent régulièrement aux autorités albanaises d'assumer leurs obligations et d'améliorer le contrôle des départs. Ces éléments pèsent dans la question du maintien du régime d'exemption de visa pour ce pays ou de l'éventuelle application de la clause de sauvegarde.
J'avoue n'être pas en mesure de vous répondre sur les territoires outremer, et notamment les entrées de ressortissants français installés hors zone Schengen.
Nos autorités restent attachées au principe de la responsabilité du pays de première entrée, principe fondateur du système d'asile, destiné à éviter les mouvements secondaires et le shopping de l'asile. Elles tiennent aussi à ce que les contrôles et instructions soient faits aux frontières. Les récentes difficultés de certains pays de première entrée ne doivent pas remettre en cause ce principe, mais autorisent des mesures d'assistance - pour la Grèce, une assistance financière, technique via les agences européennes, et humanitaire. Notre réponse consiste à aider ces pays à renforcer leur propre organisation.
La Cour de Justice de l'Union européenne a jugé, en 2011, que les conditions normales de traitement des demandeurs d'asile n'étaient pas satisfaites en Grèce, à l'aune des capacités techniques et du respect des droits fondamentaux. La crise des réfugiés ayant mis en lumière un manque de moyens, nous avons fait en sorte de les renforcer. Les équipes d'instruction des demandes d'asile ont par exemple été doublées ; c'est pourquoi la Commission européenne a proposé d'autoriser le renvoi des demandeurs d'asile en Grèce à partir du mois de mars - avec les précautions qui s'imposent compte tenu de la fragilité du système grec et de la nécessité de ne pas affaiblir les acquis. La Commission a reconnu les progrès des autorités grecques dans la maîtrise des flux. Cela montre la pertinence de la priorité donnée au renforcement des moyens des pays de première entrée.
Madame Auer, vous avez récemment été en poste en Macédoine, point névralgique de l'afflux de réfugiés situé hors espace Schengen. Pouvez-vous nous faire part de votre expérience ?
J'y ai en effet été en poste jusqu'à l'été dernier. Entre mai et octobre 2015, jusqu'à 7 à 10 000 personnes ont franchi tous les jours la frontière entre la Grèce et l'ancienne République yougoslave de Macédoine. Il n'y avait, à l'époque, ni agence Frontex, ni moyens, ni mécanisme d'information.
Depuis, la situation s'est considérablement améliorée. Toutes les semaines, un document publié par la Commission et alimenté par les États membres - notamment les autorités grecques, retrace précisément les flux dans le cadre de la crise migratoire. Dès le début de cette crise, en mai 2015, les différentes ambassades de France concernées ont mis en place un circuit d'information, alimenté semaine après semaine et parfois jour après jour, pour prévenir un blocage à la frontière et mettre en place les mesures humanitaires nécessaires, le flux entre la Turquie, la Grèce et les Balkans étant trop important pour être géré par les autorités policières.
L'ancienne République yougoslave de Macédoine se situe en dehors de l'espace Schengen. Avec la Commission européenne et l'aide bilatérale de plusieurs États membres, des contrôles ont été mis en place à la frontière, assortis d'un dispositif financier et d'un appel à la coopération policière pour la sécurisation de la frontière. En août 2015, la frontière ne pouvant plus être contenue, les pays en amont ont pris des décisions unilatérales, actées par la suite par le Conseil européen.
Il convient de distinguer la situation post-attentats de novembre et le pic de la crise migratoire. Pour la résorber, l'Union européenne a négocié un accord avec la Turquie, avec des moyens financiers à la clé ; les pays des Balkans ont eux aussi reçu une aide, à travers des fonds de pré-adhésion, pour la lutte contre l'immigration clandestine et les passeurs et pour l'accueil humanitaire ; des ordinateurs et des policiers ont été mis à disposition pour l'enregistrement des migrants. Il était impossible de contrôler l'identité et la nationalité de ces derniers, qui passaient la frontière munis d'un simple document tamponné. La phase aiguë de la crise a pris fin en septembre 2015 avec la fermeture de leurs frontières par l'Autriche et la Hongrie. La route des Balkans n'a pas été rouverte et appelle toujours notre vigilance : en 2016, 123 000 franchissements illégaux de la Méditerranée orientale ont été dénombrés. La situation s'est améliorée en Grèce, comme notre directeur l'a rappelé ; mais elle reste difficile au sud de l'Italie.
La clause de sauvegarde sur les visas, après un accord politique intervenu entre le Conseil et le Parlement, est en cours de validation. Pour lutter contre les effets d'aubaine évoqués par M. Leconte, les ambassades ont appliqué strictement les conditions Schengen, quant aux conditions d'entrée. Les contrôles policiers ont été renforcés en concertation avec les États qui participaient à la surveillance, pour éviter que des ressortissants kosovars ou albanais n'utilisent la route des Balkans pour présenter des demandes d'asile, notamment en Suède et en Allemagne où des communautés sont établies.
Notre commission se donne pour but d'évaluer le fonctionnement du système, déterminer s'il a été amélioré à la faveur de la crise migratoire et faire la part du conjoncturel et du structurel pour travailler sur un dispositif pérenne. C'est pourquoi je me permets, avec l'accord de notre président, de vous demander des données plus précises pour alimenter nos travaux.
J'étais à Skopje pour le compte de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) il y a quelques semaines. Si le dispositif a été amélioré, il reste quelques trous dans la raquette, notamment au niveau des aéroports et en direction de l'Espagne.