Mes chers collègues, notre commission d'enquête poursuit ses travaux avec l'audition de MM. Pierre-Antoine Molina, directeur général des étrangers en France, Benoît Brocart, directeur de l'immigration, et Raphaël Sodini, directeur de l'asile, au ministère de l'intérieur.
La direction générale des étrangers en France (DGEF) traite de l'ensemble des questions relatives aux ressortissants étrangers. Elle agit dans de nombreux domaines qui couvrent l'intégralité du parcours du migrant. Parmi ses domaines de compétences qui intéressent notre commission d'enquête, je peux plus particulièrement citer la réglementation en matière de visas, les règles générales en matière d'entrée et de séjour en France des ressortissants étrangers, la lutte contre l'immigration irrégulière et la fraude documentaire ou encore l'asile.
La DGEF est constituée de plusieurs directions, dont celle de l'immigration et de l'asile, dont les directeurs respectifs accompagnent M. Molina.
La direction de l'immigration est plus particulièrement chargée de la conception et de la mise en oeuvre des politiques publiques concernant l'entrée et le séjour des ressortissants étrangers et la lutte contre l'immigration irrégulière. Elle participe à la réglementation des visas. Elle contribue à l'élaboration et à la négociation des normes européennes en matière migratoire. Une de ses trois sous-directions élabore, dans un cadre communautaire contraignant, les dispositions relatives aux contrôles aux frontières et à l'éloignement des étrangers en situation irrégulière. Quant à la direction de l'asile, elle est chargée des questions relatives au droit de l'asile et aux bénéficiaires de la protection internationale. Elle participe à la définition de la politique européenne de l'asile, qu'elle met également en oeuvre. Parmi ses attributions, on note notamment la mise en oeuvre et l'application des règlements européens Dublin et Eurodac ainsi que l'admission au séjour des demandeurs d'asile. Ainsi, le directeur de l'asile représente notre pays au conseil d'administration du Bureau européen d'appui en matière d'asile (EASO), dont nous entendrons prochainement un responsable. Sans doute M. Sodini pourra-t-il nous dire comment les choses s'y passent et ce qu'il pense des projets de transformation de l'EASO en une agence européenne de l'asile.
Avec cette audition, nous poursuivons notre travail d'investigation sous un angle très opérationnel, la DGEF ayant des interlocuteurs à la fois nationaux et européens. C'est dans cet objectif que notre commission d'enquête a souhaité vous entendre. En outre, la France a fait l'objet d'une récente évaluation Schengen : comment a-t-elle été conduite ? Sur quels aspects a-t-elle porté ? Comment la DGEF y a-t-elle contribué ? Quelles sont ses conclusions ?
Nous vous avons adressé un questionnaire qui peut constituer le « fil conducteur » de votre intervention. Je vous propose de vous donner la parole pour un propos liminaire d'une quinzaine de minutes, puis j'inviterai mes collègues, en commençant par notre rapporteur, M. François-Noël Buffet, à vous poser des questions. Cette audition fera l'objet d'un compte rendu publié.
Enfin, je rappelle, pour la forme, qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite, chacun d'entre vous, à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure. ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Pierre-Antoine Molina, Benoît Brocart et Raphaël Sodini prêtent serment.
À titre liminaire, je souhaitais vous indiquer que nous finalisons les réponses à votre questionnaire qui requiert un travail de coordination entre plusieurs administrations. MM. Raphaël Sodini et Benoît Brocart, qui m'accompagnent aujourd'hui devant vous, représentent notre ministère aux conseils d'administration respectivement de l'EASO et de Frontex.
Je ne reviendrai pas sur l'historique de la construction de l'espace Schengen qui a été abordé par les personnes que vous avez auditionnées. Notre direction est ainsi concernée par l'application des trois principes fondateurs de l'espace Schengen : la suppression des contrôles aux frontières intérieures, la normalisation et le renforcement des frontières extérieures et la solidarité entre les États membres. Pour mettre en oeuvre ces trois principes, s'est développé l'acquis Schengen, aux nombreux prolongements.
Les débats, lors des négociations de l'accord Schengen de 1985 puis de sa convention d'application en 1990, ont surtout porté à la criminalité transfrontière. À cette époque, la coopération policière devait compenser l'absence de contrôle aux frontières intérieures selon diverses modalités parmi lesquelles la création du système d'information Schengen (SIS).
L'acquis Schengen présente également des prolongements en matière de visas à partir d'une base harmonisée qui permet de vérifier le droit des personnes se présentant à la frontière. Il était alors nécessaire d'harmoniser les conditions de délivrance des visas. En effet, les conditions d'entrée s'avèrent distinctes de celles du séjour, car la plupart des personnes bénéficiant d'un droit d'entrée ne vont pas s'établir dans l'espace Schengen. Plus de 90 % de nos visas sont de court séjour et n'ont pas vocation à donner lieu à une installation durable. En outre, le visa Schengen représente plus de 90 % des visas que nous délivrons en tant qu'État.
L'acquis Schengen s'est développé également dans le domaine de l'asile puisque la Convention de Dublin avait été initialement négociée concomitamment avec la convention d'application des accords de Schengen. Toute défaillance de l'application de l'acquis Schengen dans les contrôles aux frontières ou dans l'accueil des personnes en besoin de protection, par un État membre de l'espace, est alors susceptible de provoquer d'importantes conséquences pour d'autres membres. Nous avons dû faire face à des difficultés de cet ordre depuis la création de l'espace Schengen, sans compter la problématique des mouvements secondaires.
Troisièmement, l'acquis Schengen s'est développé sur la problématique du retour. En effet, la directive retour est de loin postérieure à l'espace Schengen, mais une fois publiée, le lien entre ces deux problématiques a été clairement établi, notamment dans ses considérants où le chevauchement de ces deux espaces de droit est indiqué.
L'acquis Schengen s'est ainsi développé dans ces différentes directions et a donné lieu à un mécanisme de contrôle structuré en 2013 par un règlement communautaire sur la base duquel ont été conduites des évaluations, à l'instar de celles que nous avons connues ces dernières semaines.
Ainsi, l'espace Schengen est juridiquement distinct de la notion de libre circulation des personnes ; le droit de franchir les frontières diffère de la présence de contrôle à ces mêmes frontières. Si la libre circulation des personnes préexistait à l'espace Schengen, l'absence de contrôle permet de la rendre effective, tandis que le rétablissement des contrôles la fragilise.
Enfin, l'acquis Schengen s'est développé d'abord en dehors du cadre juridique de l'Union, avant d'y être intégré. Il forme aujourd'hui la matrice du chapitre 2 du Titre V de la cinquième partie du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.
Sur ces bases, l'acquis Schengen est important et ses applications concrètes concernent à la fois les voyageurs et les services de police qui délivrent des visas Schengen et contrôlent les frontières, ces services étant au quotidien impliqués dans l'application de l'acquis Schengen.
Cependant, cet acquis présente un indéniable inachèvement spécifique à la plupart des politiques européennes, puisque la construction de l'Union est une oeuvre en devenir. Dès lors, certaines faiblesses ont été avivées par les récents événements. En effet, le fonctionnement de l'espace Schengen est mis à l'épreuve par deux défis : d'une part, l'augmentation des flux irréguliers à destination de cet espace - avec un premier pic entre 2010-2011, puis entre 2015-2016 - lance un défi en matière notamment de contrôle de frontières extérieures. Au-delà des insuffisances, cette crise migratoire a également engendré celle de l'asile et pose la question de l'augmentation des mouvements secondaires entre les États membres de l'espace.
Ainsi, un demandeur d'asile pourrait se voir renvoyer d'un État à un autre sans que ne soit examinée sa demande d'asile. Les Accords de Dublin ont vocation à répondre à une telle situation. Cependant, se pose un risque symétrique inverse où le demandeur d'asile pourrait être amené à déposer plusieurs demandes d'asile dans des pays successifs. C'est pourquoi l'un des objectifs de la Convention de Dublin est de garantir à un demandeur d'asile qu'un seul État membre est responsable de sa demande.
Les flux migratoires constituent un deuxième défi à l'espace Schengen quant à la politique de retour. Ainsi, la problématique d'un retour efficace - sur laquelle les parlementaires nous demandent à juste titre des comptes - se diffuse dans l'Union européenne et plusieurs de nos administrations homologues, comme en Allemagne où la sensibilité était moindre sur ses questions, se retrouvent désormais confrontées à ces difficultés qu'il convient de résoudre aux niveaux européen et national.
Les attaques terroristes, consécutives à la situation en Irak et en Syrie, ont également visé l'espace Schengen dans ses différentes composantes. Elles avivent une double difficulté de son fonctionnement : d'une part, la problématique des contrôles aux frontières extérieures et de la lutte contre la fraude documentaire, comme en témoigne le parcours des auteurs des attentats ; d'autre part, la problématique de la coopération policière et des signalements puisque les terroristes de Paris et de Bruxelles étaient des ressortissants de l'Union européenne ayant franchi des frontières intérieures et extérieures avant de perpétrer leurs actes.
Les défaillances, qui ont pu être relevées dans le fonctionnement de l'espace Schengen, ont conduit certains membres à rétablir leurs contrôles aux frontières à l'automne 2015. Cette démarche peut prendre deux formes : le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures peut être justifié sur la base des articles 28 relatif à l'urgence et 25 relatif à des conditions d'ordre public, comme en France, ou être décidés, comme en Allemagne, en Suisse, en Suède, en Norvège et au Danemark, sur recommandation du Conseil de l'Union européenne, suite aux graves défaillances de l'espace Schengen, relevées notamment en Grèce. C'est ainsi qu'au printemps et à l'automne 2016, le Conseil a fait usage de la nouvelle procédure de rétablissement des contrôles aux frontières intérieures intégrée dans le droit à la suite des « printemps arabes ».
Ces difficultés ont appelé une réponse vigoureuse de la part des États membres et des institutions de l'Union. Face à l'urgence de la crise, les contrôles aux frontières extérieures ont été renforcés. Les opérations de Frontex ont été développées : Triton, au large de l'Italie, a connu le triplement de ses moyens en avril 2015, et les opérations Poséidon, puis Rabit, ont été lancées en septembre 2015, lorsque les flux se sont accélérés en Grèce. Une seconde réponse a consisté en la mise en oeuvre de la relocalisation et des hot spots au sujet desquels j'ai pu lire, dans le compte rendu de vos auditions, des appréciations plus ou moins mitigées. De telles mesures ont été mises en oeuvre afin de remédier à un dysfonctionnement lié à un manque de ressources mobilisé par un pays de transit pour contrôler ses frontières extérieures, dès lors que les migrants poursuivaient leur route. L'ancien Président du Conseil italien avait d'ailleurs évoqué ce point de manière très nette entre 2010 et 2011. La relocalisation est une dérogation aux règles de Dublin destinée à contrer certains calculs des pays d'arrivée. Garantir à ces pays qu'ils ne sont pas appelés à assumer une part disproportionnée de l'effort d'accueil implique la contrepartie du renforcement du contrôle aux frontières extérieures.
Si ce premier volet a été mis en place de manière plus modeste que ne le prévoyaient les textes européens, les contrôles aux frontières extérieures ont été sérieusement renforcés et ont changé les choses. Si l'on se replace à l'automne 2015, la très grande majorité des migrants arrivant dans l'espace Schengen, que ce soit par l'Italie ou la Grèce, n'étaient ni enregistrés ni soumis à des contrôles. Aujourd'hui, la mise en oeuvre des hot spots a modifié radicalement cette situation : la quasi-totalité des migrants qui arrivent en Grèce, ainsi que la grande majorité de ceux qui arrivent en Italie, font désormais l'objet de contrôles sécuritaires. En outre, l'accord entre l'Union européenne et la Turquie a permis de renforcer les contrôles aux frontières extérieures.
Au-delà de cette réponse opérationnelle à l'urgence, plusieurs actions structurelles ont été mises en oeuvre : d'une part, suite à une initiative conjointe de MM. Bernard Cazeneuve et Thomas de Maizières, un « paquet frontières » a été présenté par la Commission à la fin de 2015, proposant la révision du code frontières ainsi qu'un nouveau texte visant la transformation de Frontex en agence des garde-côtes et des garde-frontières européens.
Sur la révision du code frontières, un accord a été trouvé entre le Parlement et le Conseil. Cet accord a pour effet de systématiser le contrôle aux frontières extérieures s'exerçant sur les ressortissants de l'Union européenne et met ainsi fin à la différenciation avec les personnes non ressortissantes, qui prévalait jusqu'alors. En effet, les ressortissants de l'Union européenne faisaient l'objet d'une procédure simplifiée où seule la validité des titres était rapidement contrôlée et les fichiers Schengen consultés de manière aléatoire. Désormais, dès l'entrée en vigueur de la révision du code frontières, les États membres auront l'obligation d'opérer un contrôle systématique sur les ressortissants de l'Union européenne, afin notamment de contrer la menace des personnes qui reviennent des théâtres d'opération terroriste.
Le deuxième texte procède à la transformation de Frontex en agence des gardes-frontières et des garde-côtes. Ses moyens opérationnels sont à nouveau renforcés par la création d'une réserve permanente de 1 500 hommes qui peuvent être déployés dans les États membres. Au-delà, Frontex voit son autonomie d'action et ses prérogatives juridiques nettement renforcées. Lui est ainsi attribuée la capacité de conduire des analyses de vulnérabilité des États membres et d'adresser des recommandations, lesquelles, si elles ne sont pas suivies d'effets, impliquent la possibilité de saisir le Conseil de l'Union européenne et de contraindre un État membre à accueillir un déploiement d'experts Frontex sur son territoire.
Au-delà du « paquet frontières », des réponses de plus long terme ont été mises en chantier : le développement du système entrées-sorties visant à développer les contrôles aux frontières extérieures dans le cadre du programme des frontières intelligentes ; le renforcement du SIS, de manière à faciliter son alimentation et son interrogation au plan biométrique ; la constitution d'un groupe à haut niveau sur l'interopérabilité des systèmes d'information suite à la publication par la Commission d'une feuille de route en mars 2016 visant à rendre plus interopérables les bases de données comme le système EURODAC. Cette démarche vise ainsi à rendre disponible un plus grand nombre de données, tant numériques qu'alphanumériques, de les décloisonner et de permettre une utilisation plus aisée dans le cadre de la lutte contre l'immigration irrégulière, en cas d'interpellation ou pour prévenir les infractions. Enfin, elle prévoit l'instauration du système ETIAS, dans lequel les ressortissants de pays tiers, jusqu'alors non soumis à l'obtention d'un visa, devront s'enregistrer et faire l'objet de contrôle préalable avant de pénétrer dans l'Union.
Des réponses structurelles ont également été mises en chantier dans le domaine de l'asile, afin de transformer EASO en véritable agence et de lui confier un rôle quelque peu symétrique de celui de Frontex pour les frontières. Il s'agit ainsi de prévenir les crises et de rendre le système asilaire plus résilient. Dans le même esprit, le « paquet frontières » entend favoriser la convergence entre les systèmes d'asile, de manière à prévenir les mouvements secondaires issus de ces disparités. La révision de Dublin est d'ailleurs intervenue pour rendre ce règlement plus efficace. Enfin, dans le domaine des retours, ce sujet a été abordé à haut niveau par l'Union européenne dans ses relations avec les pays tiers.
Sur un plan très concret, le budget de Frontex a quadruplé pour atteindre plus de 300 millions d'euros en 2017, contre 83 millions d'euros en 2013, tandis que ceux d'EASO et des systèmes d'information de la JAI doublent entre 2016-2017.
Quelles sont les conditions d'un retour à la normale dans l'espace Schengen ? Il s'agit d'abord de concrétiser les mesures adoptées dans le cadre du renforcement des contrôles aux frontières extérieures. Il faut également rendre plus flexible le système face aux crises. C'est d'ailleurs l'objet de la nouvelle révision du code frontières que nous appelons de nos voeux. Celle-ci devrait ainsi favoriser le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures par les États membres lorsque ceux-ci sont confrontés à une menace grave et persistante. Il est ainsi manifeste que certaines règles sont inadaptées, comme celles qui enserrent dans un délai de six mois le rétablissement du contrôle aux frontières intérieures.
Il importe également de clarifier les conditions dans lesquelles les États membres peuvent effectuer des contrôles aux frontières intérieures en dehors des périodes de rétablissement. En zone frontalière, hors période de rétablissement, prévaut une relative incertitude sur ce qu'il est possible de faire. Plusieurs États membres ont d'ailleurs été confrontés à une telle situation. Ainsi, avant même les attentats du 13 novembre 2015, les contrôles de police dans la zone frontalière avec l'Italie avaient été renforcés. Nous avions cherché à exploiter pleinement les marges de manoeuvre que laisse le code frontières. Nous pourrions cependant être plus performants si les limites qui nous sont imparties étaient plus clairement posées.
À plus long terme, le bon fonctionnement de l'espace Schengen implique de chercher à réduire au moins deux sources de déséquilibre. Ainsi, nous sommes dans un espace sans frontières intérieures dans lequel les appareils étatiques opérationnels restent très largement nationaux. La conduite d'activités criminelles tire ainsi parti des discontinuités entre les appareils administratifs, opérationnels et répressifs des États membres. Il faut répondre à cela par une meilleure coopération entre polices. Mais ce n'est pas là le coeur des compétences de la DGEF.
Les systèmes d'informations soulèvent les problèmes de l'interopérabilité et de la couverture des ressortissants de l'Union européenne. Le droit à la libre circulation concerne les mouvements à l'intérieur de l'espace et n'autorise pas à se soustraire aux contrôles à l'entrée de ce territoire. C'est la raison pour laquelle la France a défendu la systématisation des contrôles des ressortissants européens à l'entrée de l'Union européenne. C'est également pourquoi la France estime que les contrôles qui sont effectués, y compris sur les ressortissants européens aux frontières extérieures, devraient être enregistrés. Une telle démarche bénéficierait aux enquêtes, à l'instar de ce qui prévaut pour les ressortissants de pays tiers.
Enfin, la différenciation entre les États des droits de séjour et de circulation représente une autre difficulté structurelle pour l'espace Schengen. Ainsi, les ressortissants européens et ceux des pays tiers n'ont pas les mêmes droits en matière de libre circulation, le droit à la libre circulation n'étant pas absolu. Or, l'absence de contrôle aux frontières intérieures implique de s'assurer du respect des garanties qui accompagnent, tant pour les ressortissants européens que des pays extérieurs, le droit à la libre circulation. Une partie de la réponse tient au contrôle aux frontières intérieures et une autre partie à la nécessité d'obtenir des règles plus convergentes se prêtant moins à l'abus, dans le cadre de l'acquis communautaire.
Nous ne disposons pas à ce stade de la dernière évaluation du système Schengen pour la France. Nous vous en serions gré de nous en communiquer les conclusions. Par ailleurs, nous avons, depuis quelque temps, le sentiment que l'échange d'informations entre les différents États est relativement foisonnant, alors même qu'il serait opportun de le canaliser pour mieux appréhender l'entrée des étrangers extra-communautaires et de contribuer à la lutte contre le terrorisme. Comment percevez-vous son évolution ? Ma troisième question porte sur l'asile en tant que tel : est-il possible que la politique d'asile devienne une politique partagée au sein de l'espace Schengen ? Quelle devrait être l'évolution du rôle de Frontex, au regard de l'application du principe de subsidiarité alors que les pouvoirs de police restent dévolus aux États ? En outre, où en est la mise en oeuvre du PNR dont les principes ont pourtant été votés ? Enfin, l'ambassadeur d'Allemagne, que nous avons auditionné hier après-midi, nous a indiqué qu'à compter du 15 mars prochain, le dispositif exonératoire du Règlement de Dublin ne devrait plus s'appliquer à la Grèce. Cette dernière dispose-t-elle des moyens de l'appliquer ?
L'évaluation Schengen comporte plusieurs volets et implique plusieurs étapes. Les États doivent faire valoir des observations sur les rapports d'évaluation avant que les institutions européennes ne soient sollicitées. Aujourd'hui, nous ne disposons pas encore de l'ensemble des rapports d'évaluation faisant suite aux différentes inspections dont nous avons fait l'objet.
Deux catégories d'informations sont concernées par les échanges d'informations. Je ne m'aventurai pas sur le terrain de la coopération policière et des services de renseignements, pas plus que sur celui du PNR, ceux-ci ne relevant pas de ma direction.
En revanche, le SIS a une vocation mixte : c'est un fichier de police judiciaire et administrative, cette dernière dimension étant renforcée par la réforme du système Schengen qui vise à enregistrer l'ensemble des décisions de retour. En effet, les décisions de retour ou de refus d'entrée qui figurent dans le SIS doivent être motivées par des menaces à l'ordre public. De sorte que, si un étranger est interpellé en situation irrégulière et que nous interrogeons le SIS, nous ne pouvons savoir si cette personne a déjà fait l'objet d'une mesure de retour de la part d'un autre État. Cette lacune que nous avions soulignée est ainsi en passe d'être comblée.
Puisque les disparités provoquent des mouvements secondaires, la convergence des systèmes d'asile nationaux nous paraît souhaitable, à la condition qu'elle soit progressive, en raison de la diversité des organisations et des pratiques nationales. Si la France a une très longue histoire en matière d'asile, en accueillant pendant longtemps le plus grand nombre de demandeurs dans le monde, la majorité des pays membres de l'Union européenne ne reçoit que des flux très limités de demandeurs d'asile. Une transition est ainsi nécessaire pour mettre l'ensemble des pays à niveau.
S'agissant de Frontex, la répartition des compétences est une question de fond pour l'équilibre de l'espace Schengen, dont nous sommes tous titulaires et qui représente un acquis communautarisé. Cependant, l'exercice des contrôles aux frontières extérieures reste de la compétence des États membres. Tout l'enjeu de la révision du règlement Frontex a consisté à renforcer l'européanisation des contrôles aux frontières extérieures, non pas pour que l'Union européenne se substitue aux États membres, mais dans la perspective du déploiement d'une opération Frontex, y compris contre la volonté d'un membre défaillant, afin d'amener celui-ci à prendre davantage ses responsabilités.
Je compléterai le propos de M. Pierre-Antoine Molina sur deux points. Les évaluations Schengen de l'automne dernier ont porté, de notre point de vue, sur la politique de retour, la protection des données, ainsi que sur le champ de la politique des visas, avec un audit des postes consulaires de Hanoï et de Shanghai. Le système de contrôle aux frontières a lui aussi été inspecté, tout comme le système d'information Schengen. Sur l'ensemble de ces points, la transmission des projets de rapport de ces évaluateurs est en cours. Nous sommes invités à nous prononcer sur ces projets dans le cadre d'une procédure contradictoire juste engagée à ce jour.
Le renforcement de Frontex est d'abord conséquent en termes de moyens, avec un budget primitif de plus de 300 millions d'euros, alors qu'il était encore de 89 millions d'euros début 2014. Ce renforcement budgétaire s'accompagne de celui des effectifs qui devraient doubler et atteindre 880 emplois d'ici à 2020. Cet effort budgétaire vise d'abord à augmenter la capacité opérationnelle de l'agence. Ce qui est budgété pour les opérations sur les frontières représente un peu plus de 140 millions d'euros en 2017, auxquels s'ajoutent quelque soixante millions d'euros pour les opérations retour, tandis qu'en 2014, ces dernières n'étaient abondées qu'à hauteur de 8 millions d'euros. Cette augmentation substantielle démontre la volonté de l'Union européenne de se doter d'un outil beaucoup plus puissant que par le passé. Frontex est aussi au service des missions nouvelles rendues possible par son nouveau règlement : l'agence devrait ainsi s'impliquer davantage dans la mise en oeuvre des opérations de retour qui s'avèrent délicates aux niveaux juridiques et logistiques. Les évaluations de la vulnérabilité de chacun des États, qui étaient jusqu'alors pluriannuelles - la France étant évaluée en 2009 puis en 2016 -, vont devenir permanentes, via la mise en oeuvre d'indicateurs. La gestion et la maîtrise des frontières vont ainsi être contrôlées par Frontex de manière quasi-continue, avec la possibilité ensuite de tirer les conséquences qui s'imposent, au regard des nouvelles procédures permises par le règlement Frontex. Ainsi, au vue d'une évaluation révélant les difficultés à gérer une frontière extérieure, sera-t-il permis de demander à l'État concerné de prendre les mesures de rétablissement d'une situation normale et, en l'absence d'action suffisante de cet État, de préparer une intervention mise en oeuvre, sans sa demande expresse le cas échéant. À défaut d'effet suffisant de son intervention, il serait alors possible de mettre en oeuvre la procédure prévue à l'article 29 permettant, en cas de difficultés systémiques, le rétablissement du contrôle aux frontières intérieures des autres États. Cette évolution, significative en termes de moyens et de missions, marque un progrès conséquent.
La politique de l'asile est-elle partagée équitablement ? Deux règlements et trois directives européens régissent cette politique, avec des mécanismes de contrôle suivis par la Commission. Cette politique n'est donc pas la moindre des politiques européanisées. Ces cinq textes devraient d'ailleurs être refondus et complétés par deux nouveaux textes, comme celui sur l'EASO, qui sont aujourd'hui en débat.
La convergence des systèmes d'asile est réelle et le mouvement est plutôt rapide tout en prenant en compte la diversité initiale des systèmes européens. Si l'on évoque le partage des demandeurs d'asile, en termes de burden sharing, comment faire en sorte que cette répartition soit plus directive et ainsi garantir l'efficacité du règlement de Dublin, tout en évitant que certains États assument une charge déraisonnable, en raison de leur position géographique les amenant à capter l'essentiel des demandeurs d'asile ? Cette question fait aujourd'hui l'objet d'un débat nourri dans lequel la Commission européenne a fait une proposition très audacieuse.
La Grèce a été écartée du système de Dublin du fait de la défaillance systémique de son système d'asile. Depuis la crise migratoire, et grâce au soutien de l'EASO et à la volonté de ses autorités nationales, le système d'asile grec est devenu plus performant, ce qui rend possible la reprise des transferts Dublin vers la Grèce qui n'est plus en défaillance systémique. La position des autorités françaises demeure prudente, eu égard à la charge que représente, pour Athènes, la gestion de la crise migratoire. À cet égard, une mission, à laquelle participaient des membres de ma direction, a audité le système asilaire grec et a conclu à la nécessité que la maîtrise des transferts aille de pair avec un soutien accru de l'Union européenne et de la France.
Un consulat de France a-t-il accès au fichier SIS lorsqu'il examine une demande de visa ? Si le droit d'accès à ce fichier SIS relève de la Commission nationale informatique et libertés (CNIL), qu'en est-il du fichier Visa Information System (VIS) ? Sur la question de l'asile, il importe, me semble-t-il, de séparer l'instruction de la demande par l'État compétent de l'absence de liberté de celui qui a obtenu une protection de circuler dans l'espace Schengen. Sur ce second aspect des choses, les droits au sein de l'Union européenne sont-ils harmonisés ? S'il s'agit de déterminer si la personne ayant droit à une protection peut systématiquement bénéficier du droit de liberté d'installation et de circulation à l'égal de n'importe quel citoyen européen, on a déjà franchi une étape. Cette question de l'harmonisation des droits est importante. En effet, elle recoupe celle d'identifier qui prend la charge de l'instruction de la demande d'asile et implique l'éventualité de son pilotage et de son financement par l'Union européenne. Enfin, comment la France va-t-elle devoir gérer ses territoires d'outremer qui ne relèvent pas de l'espace Schengen, alors que la gouvernance de ce dernier connaît actuellement une profonde évolution ?
Si Frontex est habilitée à organiser des retours, cette démarche est-elle conduite uniquement à la demande du pays d'accueil ou peut-elle relever de sa propre autorité ? Par ailleurs, l'ambassadeur d'Allemagne nous a indiqué que la réserve ne bénéficiait pas des mêmes prérogatives que celles des services de police des pays où elle est déployée. Quelle est la position de la France sur cette question et faut-il faire évoluer les prérogatives des agents de Frontex ? En outre, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a indiqué que la France avait examiné 85 000 demandes d'asile en 2016, avec une évolution des pays d'origine des personnes, en particulier du Soudan et de l'Albanie, cette dernière était pourtant considérée comme un pays sûr. Quelle position votre direction prend-elle par rapport à cette évolution ? Enfin, je partage le point de vue selon lequel la Grèce n'est manifestement pas en capacité de répondre aux exigences des accords de Dublin.
Lorsque nos consulats sont saisis d'une demande de visa, ils ont accès au SIS sur un mode indirect. Ils peuvent en effet savoir si la personne demandeuse figure dans le SIS, mais doivent saisir d'autres services pour connaître le motif de ce signalement.
S'agissant du VIS, un démembrement national - le NVIS est placé sous le contrôle de la CNIL. On dispose ainsi en France de deux bases de données : le NVIS, utilisé pour la délivrance de visas Schengen de court séjour, et le système VISABIO pour les visas français hors Schengen. Ces deux bases de données sont très importantes pour le contrôle aux frontières et sur le territoire car elles permettent d'identifier une personne à partir de ses empreintes digitales. En cas d'interpellation, il nous est possible de constater, à partir de la base VISABIO, que l'identité déclarée par la personne interpellée, si elle y figure, n'est pas celle sur le fondement de laquelle elle a demandé un visa et que, par exemple, sa date de naissance diffère, ce qui permet notamment de constater que cette personne n'est pas mineure. Cependant, parmi les étrangers en situation irrégulière interpellés sur notre territoire, seule une minorité s'avère porteuse d'une demande de visa.
La consultation du VIS est obligatoire lors du contrôle aux frontières, pour les étrangers soumis à l'obligation d'un visa pour entrer sur le territoire. Lorsqu'une interpellation se déroule sur le territoire, le service interpellateur peut, par le biais de l'interface CHEOPS, accéder aux informations contenues dans le VIS ou VISABIO. Il me paraît que ces consultations sont soumises au contrôle de la CNIL.
J'ai le cas d'un citoyen français dont on soupçonne qu'il est dans le fichier VIS, mais il est impossible de le vérifier, faute d'un droit d'accès contrôlé par la CNIL.
Je vais vérifier ce point, mais je ne comprends pas pourquoi un ressortissant français serait enregistré dans le VIS. Pourquoi la CNIL ne pourrait alors exercer le contrôle du droit d'accès ? Quelle peut alors être l'autorité compétente ? Si vous me le permettez, Monsieur le Sénateur, nous poursuivrons plus avant l'examen de ce cas d'espèce et reviendrons vers vous.
L'application du Règlement de Dublin ne préjuge pas des règles relatives à l'attribution de la protection et au droit qui s'y rattache. Il s'agit de désigner le pays responsable de l'examen de la demande d'asile, bien en amont de la protection. C'est la raison pour laquelle l'application du Règlement Dublin ne préjuge pas du besoin de protection, car il s'applique aux pays offrant des garanties procédurales suffisantes. D'ailleurs, il m'arrive parfois d'éprouver une certaine forme d'incompréhension face à certaines sensibilités se faisant jour dans l'opinion quant à l'application de ce règlement. Le fait de dire que l'examen d'une demande d'asile doit être conduit par un autre État membre ne porte pas une atteinte analogue à celle du retour au pays d'origine.
S'agissant du droit à la libre circulation des réfugiés, il n'y a pas de reconnaissance mutuelle immédiate du statut de réfugié accordé par un État membre dans les autres États membres. Ainsi, une personne qui se voit accorder le statut de réfugié ou une protection subsidiaire dans un État membre dispose de la possibilité de circuler à l'intérieur de l'espace Schengen pour des séjours de moins de trois mois. Cette personne ne disposera d'un droit de libre circulation analogue à celui des ressortissants européens qu'à l'issue de cinq ans du bénéfice de sa protection.
L'acquis Schengen ne s'applique pas aux outremer, voire aux territoires qui sont des régions ultrapériphériques soumises à des règles particulières. Ainsi, lorsqu'un ressortissant de pays tiers veut se rendre en outremer où l'acquis Schengen ne s'applique pas, il lui faut un visa spécifique. Mais je ne vois pas comment les évolutions actuelles pourraient impliquer une déconnection plus importante encore vis-à-vis des territoires d'outremer.
Sur la situation de l'outremer et sa relative autonomie par rapport au système Schengen, en termes de contrôle et de délivrance des visas, il faut néanmoins noter la mise en oeuvre de la biométrie qui reste un élément de sécurisation et de contrôle indispensable. Ensuite, les situations varient selon les territoires en question et les pays d'origine des ressortissants qui aspirent à y rentrer. Pour preuve, on a souhaité alléger les procédures des ressortissants indiens et chinois à destination de la Réunion ou de la Polynésie, alors qu'a contrario, ces mêmes ressortissants, pour leurs déplacements en métropole, sont soumis à des obligations de visa sans exception possible.
Dans le système antérieur, Frontex intervenait en qualité de re-financeur d'opérations intégralement organisées par les États membres, dans la limite de ses moyens. Avec le nouveau règlement et les nouveaux moyens financiers et humains dont elle dispose, l'agence se voit dotée d'une capacité à opérer elle-même ce type d'opérations en cas de nécessité. Il lui est ainsi possible d'affréter des moyens de transports et de fournir des personnels pour mettre en oeuvre l'opération de retour. Pour autant, il ne s'agit pas d'une autonomie totale, mais l'agence met ses capacités renforcées au service des États qui éprouvent le besoin de telles opérations. En d'autres termes, on ne reconnaît pas à Frontex la possibilité de décider de l'éloignement d'un ressortissant étranger vers un pays tiers. En ce qui concerne l'évolution des pouvoirs reconnus aux agents intervenant sous son égide, plusieurs évolutions sont à souligner. Contrairement aux systèmes précédents et suite aux difficultés éprouvées en Grèce, les agents de Frontex vont pouvoir accéder aux bases nationales de l'État hôte de l'opération qui les accueillent. Le règlement de Frontex, dans la limite de ce qu'acceptent les systèmes juridiques nationaux concernés, accorde aux experts Frontex une capacité autonome pour les contrôles et les escortes, hors supervision d'un officier local. Pour autant, il importe de mettre en oeuvre ces nouvelles prérogatives en tenant compte des législations et de la souveraineté des États hôtes. Ainsi, en France, une telle habilitation ne permettrait pas d'aller au-delà d'un contrôle de première ligne, au risque de heurter la souveraineté nationale.
Vous avez distingué les demandes d'asile des personnes en besoin de protection et les migrants dits économiques. Comment s'organisent ces obligations de retour ? Quelle est la proportion d'obligation de retour qui est exécutée et au vu de l'évolution des missions de Frontex, quelles sont les perspectives d'ores et déjà déterminées, à l'échelle nationale et de l'Union européenne, pour améliorer la mise en oeuvre de ces obligations de retour ou d'éloignement du territoire français ?
Au terme de l'examen d'une demande d'asile, soit une protection en qualité de réfugié ou une protection subsidiaire est accordée, soit la personne est déboutée. Celle-ci n'a pas, en principe, de droit au séjour, sauf si elle est malade ou si l'éloignement porterait une atteinte manifeste à son droit à mener une vie familiale normale. En dehors de ces cas, un demandeur d'asile débouté a vocation à quitter le territoire. C'est là un objectif pour les autorités nationales et l'évolution du débat dans les différents pays de l'Union va en ce sens, compte tenu du nombre de personnes déboutées proportionnel aux flux migratoires enregistrés ces dernières années. Ainsi, plusieurs dizaines de milliers de personnes, au terme de l'examen de leur demande d'asile en Allemagne, ont vocation à quitter conjointement ce pays et le territoire de l'Union. J'insiste sur ce point : lorsqu'une décision de retour à la frontière est prise par un État membre, son exécution implique de quitter l'Union. Dans la plupart des cas, le retour est effectué de manière contrainte, faute de la coopération des personnes déboutées, ce qui pose la question de leur privation de liberté sous le contrôle précis du juge. La coopération avec le pays de retour pose aussi problème, puisque la plupart des personnes faisant l'objet de ces mesures de retour ne disposent pas des documents leur permettant d'être réadmises par leur pays d'origine. Il faut donc demander à ceux-ci de les documenter via la délivrance d'un laissez-passer consulaire. Votre rapporteur avait relevé que le taux d'exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF) n'excédait pas 20 %. Cet indicateur me paraît toutefois devoir être considéré avec prudence, en raison de sa sensibilité au nombre de décisions prises par les préfectures et non aux activités opérationnelles des services de lutte contre l'immigration irrégulière. La grande majorité de ces OQTF est ainsi décidée, non à l'issue d'une interpellation, mais à la suite du refus d'une demande de titre de séjour d'une personne qui, conformément à la directive retour, doit faire l'objet d'une mesure de retour. En l'absence de localisation des personnes concernées, il est pratiquement difficile de la mettre en oeuvre. Un autre élément me conduit à relativiser la portée de cet indicateur : une OQTF peut être conduite de manière contrainte, aidée ou spontanée, ce qui n'a pas la même signification.
L'amélioration de l'exécution des OQTF représente un effort constant demandé à la fois au service des préfectures et aux services opérationnels, ce qui implique une meilleure sécurisation juridique des procédures, de façon à éviter que les mesures d'éloignement ne soient annulées ou privées d'effet devant les juridictions. Cette démarche nous a également conduits à améliorer la coopération avec les États tiers de manière à obtenir davantage de laissez-passer consulaires. Cette action est, du reste, relayée au niveau européen, avec des réussites contrastées, comme en témoigne le dernier épisode avec les autorités maliennes. Mais nous ne nous résignons pas.
Je vous remercie pour vos informations. Quel bilan tirez-vous, un an après, du rétablissement du contrôle aux frontières destiné à lutter contre le terrorisme ? Cette démarche a-t-elle produit des effets sur le nombre de demandes traitées par les services de l'immigration et par les services de l'asile ? À ce sujet, lors du débat sur le droit d'asile, le raccourcissement du délai est apparu comme un objectif, de manière à favoriser le retour dans le pays d'origine des personnes déboutées. En effet, après un certain temps passé sur le territoire national, il est plus difficile d'assurer la reconduite à la frontière, et ce, davantage encore, lorsqu'est invoqué le droit à une vie familiale normale. Depuis le vote de la loi, ce délai a-t-il été raccourci et a-t-il permis d'améliorer le taux de reconduite à la frontière ? Enfin, d'importants flux d'immigration passent par Mayotte et la Guyane et quelle est ainsi la proportion des reconduites à la frontière dans ces deux départements ?
Le rétablissement du contrôle à la frontière a eu une efficacité certaine, mais non totale. Ainsi, il s'est élevé à 85 millions de contrôles en 2016 et a conduit, d'après les chiffres de la police aux frontières, à 63 000 décisions de non-admission, contre 15 000 en 2015 et 11 000 en 2014. Un tel taux peut certes s'expliquer par la pression migratoire aux frontières, notamment dans des départements comme les Alpes-Maritimes, mais il souligne également que le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures a donné à nos forces la possibilité juridique des contrôles en continu. En effet, en dehors des périodes de rétablissement du contrôle des frontières intérieures, nous n'avons pas la possibilité de le faire et l'article 78-2 du code de procédure pénale nous interdit de conduire des contrôles durant plus de six heures au même endroit dans la zone frontalière.
Cette explosion des mesures de non-admission a induit un effet balancier sur les mesures d'éloignement, en raison de la substitution des publics concernés. Ainsi, dans les Alpes-Maritimes, avant le rétablissement du contrôle aux frontières intérieures, une interpellation soit au péage à la Turbie, soit dans une gare des Alpes-Maritimes, pouvait donner lieu soit à une non-admission ou à un éloignement. Le rétablissement du contrôle aux frontières intérieures a conduit à l'augmentation du nombre de non-admissions, entraînant, ipso facto, une baisse des éloignements. Le fait de projeter une plus grande partie des ressources, comme vous l'a exposé M. David Skuli lors de son audition, a entraîné une certaine forme de raréfaction des forces destinées à lutter contre l'immigration irrégulière dans la profondeur du territoire.
Les instructions sont de prendre, dès la notification du rejet définitif d'une demande d'asile, une mesure de retour. La réforme de l'asile nous permet de mieux mailler ces différentes étapes de la procédure d'asile, puisque la mise en place du système d'information de l'asile devrait permettre aux préfectures de prendre connaissance, en temps réel, des décisions de rejet prises par l'OFPRA et la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) et ainsi de prendre, le cas échéant, des mesures de retour.
À Mayotte, avec 17 000 éloignements forcés décidés en 2016, contre 13 000 en 2015, l'intensification de la lutte contre l'immigration irrégulière se poursuit. Ce département est soumis à une pression migratoire extrêmement forte en provenance des Comores. En Guyane, 6 500 éloignements ont été mis en oeuvre, visant principalement des ressortissants haïtiens.
85 000 demandes d'asile ont été enregistrées par l'OFPRA. Cette évolution reflète cependant assez mal celles enregistrées en préfecture, qui ont connu une hausse de l'ordre de 20 %. Cette différence s'explique par la hausse des procédures Dublin en raison de l'afflux de demandeurs d'asile essentiellement déboutés de leur demande dans d'autres pays de l'Union européenne qui tentent une deuxième chance en France. Sur ces 85 000 demandes, les cinq premiers pays concernent respectivement l'Afghanistan, le Soudan, Haïti - en Guyane -, l'Albanie et la Syrie. Si l'on prend en compte les demandes familiales, l'Albanie devient le premier pays. La demande albanaise a ainsi augmenté plus brutalement depuis le dernier semestre 2016 et s'est concentrée sur les départements de l'Est de la France, impliquant notamment la constitution de campements et la nécessité de trouver des hébergements rapidement. L'OFPRA s'est engagée à traiter les demandes des ressortissants albanais dans un délai inférieur à deux mois, en les mutualisant à l'ensemble de ses sections. La CNDA, à la suite de la réforme de l'asile, intervient en juge unique dans un délai d'un à deux mois, ce qui permet de traiter la demande albanaise, délais de recours compris, à quatre mois.
Les délais de traitement de la demande d'asile doivent faire face à un afflux de l'ordre de 80 000 dossiers en 2015 et 2016. Les effectifs supplémentaires de l'OFRA et la réorganisation de la CNDA ont permis une baisse tendancielle de la demande qui n'est cependant pas à la hauteur des espérances des parlementaires, lors du vote de la loi sur l'asile, en raison de la hausse des demandes. Le délai moyen est encore de six mois à l'OFPRA et non de trois mois comme le parlement en avait convenu. Si la demande se stabilise en 2017, ce qui est une perspective raisonnable, les effectifs supplémentaires accordés à l'OFPRA depuis ces deux dernières années doivent lui permettre de tenir un tel délai d'ici à la fin de l'année 2017. La réalisation d'un tel objectif s'avère cependant tributaire de l'afflux de demandeurs d'asile sur lequel nous n'avons que peu de prise.
En effet, des efforts considérables ont été consacrés au renforcement des capacités de traitement de l'OFPRA, qui a connu une augmentation de ses effectifs de l'ordre de 70 %, et de la CNDA. Ces nouveaux effectifs ont ainsi permis de contenir cet afflux de demandes et de prévenir la dégradation des délais d'examen. Depuis la fin de l'année dernière, les flux sortants de l'OFPRA ont rééquilibré les flux d'entrants. La réorganisation de l'OFPRA, dont les effets se font sentir au bout d'une année, devrait ainsi conduire à une réduction des délais à la fin du premier semestre 2017.
À Mayotte, le principal problème est que près de 60 % des accouchements réalisés dans les maternités impliquent des personnes comoriennes dont les enfants sont appelés, à terme, à devenir français. Il nous faut avoir en tête ce problème. Les centres d'accueil et d'orientation ont été alimentés par le démantèlement de la « jungle » de Calais. Or, l'application des accords de Dublin suscite une certaine inquiétude chez les migrants dont la situation s'est améliorée. Leur grande crainte est ainsi de retourner dans leur premier pays d'arrivée où le traitement de leur demande d'asile, ainsi que leurs conditions d'hébergement diffèrent. Un dispositif dérogatoire est-il en cours d'élaboration afin d'éviter que ces personnes ne soient renvoyées dans leur premier pays d'entrée ?
Vous nous avez également indiqué qu'à partir d'un certain nombre d'outils à votre disposition, il vous est possible de retrouver l'état civil d'un certain nombre de migrants, voire d'obtenir leur date de naissance. Or, il se trouve qu'une grande partie des jeunes qui arrivent dans nos départements cherche à se faire passer pour mineur et ainsi à se faire prendre en charge par les départements, de telles demandes représentant, pour le seul département d'Ille-et-Vilaine, près de 90 % des demandes.
Or, les départements ne disposent pas des moyens de déterminer l'âge approximatif de ces personnes. Ce sont là des dépenses infondées pour les départements, puisque la plupart de ces personnes sont majeures.
À Mayotte, l'essentiel des activités médicales se déroule à l'hôpital, en raison de la faiblesse de la médecine de ville et ambulatoire et en raison des modalités de remboursement des soins. La suractivité de la maternité de Mayotte n'est pas simplement le fait de la population migrante comorienne dont la motivation de venir y accoucher peut répondre à diverses préoccupations, y compris d'ordre sanitaire. Les personnes qui naissent à Mayotte ne reçoivent pas ipso facto la nationalité française ; encore faut-il qu'elles demeurent en France avant que leurs parents, à l'âge de treize ans, ou qu'elles-mêmes, dès l'âge de seize ans, ne la demandent.
Sur les centres d'accueil et d'orientation (CAO), les instructions de l'application du règlement Dublin, qui ont été publiées, précisent que les personnes accueillies en CAO ne se voient pas infliger d'exécutions contraintes vers d'autres pays. L'application volontaire est en revanche recherchée. Ainsi, certaines personnes ont préféré rejoindre le premier pays où elles avaient déposé initialement des demandes d'asile et peuvent bénéficier d'une prise en charge, comme en Norvège, en Allemagne ou encore aux Pays-Bas.
Le VIS et VISABIO représentent un élément important de l'identification des personnes. Cependant, puisque les personnes dont vous parlez n'ont jamais déposé de demande de visa, on ne peut les retrouver sur ces différentes bases. Par ailleurs, des circulaires et des textes de loi permettent de vérifier si les personnes sont majeures, avec une prise en compte de différents indices, à l'issue notamment des tests osseux. Par ailleurs, s'agissant des sources dont pourraient bénéficier les conseils départementaux, une circulaire permet aux services de police de communiquer les informations requises.
Je vous remercie, Messieurs, de votre participation à cette audition fort intéressante.
La réunion est close à 16 h 40.