Notre commission d'enquête poursuit ses travaux avec l'audition de M. Jean-Jacques Colombi, commissaire divisionnaire et chef de la division des relations internationales de la direction centrale de la police judiciaire au ministère de l'intérieur.
La direction centrale de la police judiciaire, la DCPJ, appartient à la direction générale de la police nationale. Elle concourt à l'exercice des missions de police judiciaire sur l'ensemble du territoire, à la prévention et à la répression des formes spécialisées, organisées ou transnationales de la délinquance et de la criminalité. Elle participe à la lutte antiterroriste et à la coopération policière internationale.
La coopération opérationnelle de police recouvre trois canaux : Interpol, Schengen et Europol. La division des relations internationales de la DCPJ a pour mission de coordonner cette coopération policière. C'est ainsi qu'a été créé en 1995 le bureau SIRENE, chargé de la gestion opérationnelle de la partie nationale du système d'information Schengen - le SIS. L'année suivante a été créée l'unité nationale Europol, correspondant unique d'Europol pour la France, qui comporte également un bureau de liaison situé au siège d'Europol, à La Haye, aux Pays-Bas. C'est d'ailleurs vous qui représentez notre pays au conseil d'administration d'Europol, Monsieur Colombi. La même année, c'est un troisième organisme, l'unité centrale de coopération policière internationale dédiée à la coopération policière Schengen, qui a également été créé.
Nous vous demanderons de nous expliquer comment fonctionne cette complexe organisation administrative.
Avec cette audition, nous poursuivons notre travail d'investigation sous un angle très opérationnel, la DCPJ ayant des interlocuteurs à la fois nationaux et européens. C'est dans ce but que notre commission d'enquête a souhaité vous entendre. En outre, la France a fait l'objet d'une récente évaluation Schengen : comment a-t-elle été conduite ? Sur quels aspects a-t-elle porté ? Comment la DCPJ, et plus particulièrement votre division, y ont-elles contribué ? Quelles sont ses conclusions ?
Nous vous avons adressé un questionnaire qui peut constituer le « fil conducteur » de votre intervention. Je vous propose de vous donner la parole pour un propos liminaire d'une quinzaine de minutes, puis j'inviterai mes collègues, en commençant par notre rapporteur, M. François-Noël Buffet, à vous poser des questions. Cette audition fera l'objet d'un compte rendu publié.
Enfin, je rappelle, pour la forme, qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite, chacun d'entre vous, à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure. ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Jean-Jacques Colombi prête serment.
Je suis ici en qualité de chef de la division des relations internationales - DRI - de la police judiciaire, division que je dirige depuis six ans et qui est chargée de la gestion des canaux de coopération internationale que sont Interpol, Schengen et Europol, ainsi que des échanges qui résultent des décisions issues du traité dit « de Prüm ».
La DRI est un service tourné vers les unités opérationnelles avec lesquelles nous entretenons des liens étroits, afin d'assurer la mise en oeuvre d'échanges d'informations concrets, échanges qui constituent la réalité de la coopération policière internationale et européenne.
S'il m'est possible de vous apporter toute précision utile sur ces matières, ce n'est en revanche pas le cas pour les questions touchant aux visas, à l'asile ou même au rétablissement provisoire des frontières intérieures, qui ne relèvent pas de mes compétences.
La DRI relève directement du directeur central de la police judiciaire. Elle a trois composantes essentielles : la section de coopération opérationnelle de police - la SCCOPOL - qui est en quelque sorte la « salle des machines » de la coopération internationale, le service en charge des actions de coopération européenne et internationale - le SCACEI - qui participe à l'élaboration des stratégies françaises dans le cadre de nos échanges avec Interpol et Europol et, enfin, une section de gestion administrative. Au sein de la DRI, il existe également une représentation permanente du bureau de l'entraide pénale internationale du ministère de la justice, qui nous aide à apporter une réponse optimale et rapide au traitement des dossiers d'extradition ou des mandats d'arrêt européens qui relèvent de la coopération judiciaire. En effet, une grande partie d'entre eux échoit au quotidien aux services chargés de la coopération policière.
C'est la SCCOPOL qui mérite toute votre attention aujourd'hui. Elle a été mise en place en 2000 par Jean-Pierre Chevènement, alors ministre de l'intérieur. Il s'agit du point de contact national unique pour tous les échanges relevant des canaux institutionnels. Nous y enregistrons et traitons l'ensemble des demandes de coopération policière émanant de nos partenaires étrangers, ainsi que les demandes à destination de l'étranger émises par les services de police, de gendarmerie et des douanes.
Elle a également pour mission d'accompagner les services d'enquête, en les aidant à choisir le meilleur canal d'information pour leurs requêtes. La SCCOPOL est un service interministériel. Elle regroupe des fonctionnaires issus de la police, de la gendarmerie et des douanes. Elle travaille vingt-quatre heures sur vingt-quatre et trois cent soixante-cinq jours par an.
L'année dernière, la SCCOPOL a échangé plus de 450 000 messages sur l'ensemble de ces canaux. Le volume des échanges explose, à l'instar de ce qu'enregistrent nos partenaires britanniques et allemands.
La SCCOPOL comprend le bureau central national Interpol, rattaché à la DCPJ depuis 1928, le bureau SIRENE qui assure le traitement des informations résultant de la consultation du système d'information Schengen depuis 1995, l'unité nationale Europol depuis 1996, ainsi que l'unité de coordination des actions dites « Prüm », plus récemment.
Interpol et Europol constituent des outils d'aide à l'enquête : ils nous permettent d'adresser des demandes d'informations à l'étranger, de mettre en place des réunions opérationnelles, de réaliser des transferts d'informations, etc.
Schengen, c'est tout autre chose : Schengen est un outil d'aide au contrôle sur la voie publique. Il s'agit d'un vaste filet tendu au-dessus du territoire des vingt-six pays qui en sont membres, à l'intérieur duquel ces pays ont placé 71 millions de données, dont 830 000 concernent des personnes à surveiller ou à arrêter selon les cas. Par l'intermédiaire des bureaux SIRENE des différents pays, Schengen permet aux États de conduire de nombreux contrôles, qui donnent lieu ensuite à une remontée immédiate de l'information. Les opérateurs du contrôle reçoivent ensuite des indications sur la conduite à tenir, la plus simple et claire possible, car ceux-ci ne disposent souvent que de quelques instants pour réagir, notamment lors des contrôles sur la voie publique.
Le dispositif Prüm a été adopté pour approfondir la coopération policière internationale. S'il était auparavant envisageable d'interroger certains pays pour savoir si des échantillons d'ADN ou des empreintes digitales non identifiés en France pouvaient leur étaient connus, il est désormais possible d'envoyer de manière systématique l'ensemble de ces données non identifiées pour les confronter avec le fichier de données commun à l'ensemble de nos pays partenaires : c'est la grande avancée obtenue grâce au traité de Prüm.
Pour en revenir à la coopération policière Schengen, celle-ci s'exerce pleinement au travers de l'utilisation du système d'information, le SIS, et du travail du bureau SIRENE dont je viens de parler, mais aussi par l'intermédiaire de l'office N.SIS II, lui aussi situé au sein de la DRI. En février 2015, le directeur général de la police nationale a en effet souhaité confier la responsabilité de la mise en place et la direction de cet office à la DCPJ.
Les dispositions européennes prévoient la désignation dans chaque État membre d'un office N.SIS II, qui est responsable du bon fonctionnement et de la sécurité du SIS II national, qui fait en sorte que les autorités compétentes aient accès au SIS II et qui prend les mesures nécessaires pour assurer le respect des dispositions du règlement de 2006 et de la décision de 2007 relatifs au SIS II. L'office N.SIS II est chargé de coordonner l'action de l'ensemble des acteurs concernés par le SIS en France, à savoir les services techniques et informatiques du ministère de l'intérieur, ainsi que les services gestionnaires des fichiers raccordés en alimentation et en consultation.
La DRI représente ainsi la France auprès de nos homologues européens et de l'Agence européenne pour la gestion opérationnelle des systèmes d'information à grande échelle au sein de l'espace de liberté, de sécurité et de justice, l'eu-LISA, en particulier lors des réunions trimestrielles du groupe consultatif sur le SIS II.
L'espace Schengen, qui comprend désormais vingt-six États, consacre le principe de libre circulation des personnes au travers de la suppression des frontières intérieures. Cela étant, ces frontières intérieures peuvent être rétablies temporairement pour des raisons de sécurité. En outre, la suppression de ces frontières a donné lieu à la mise en place de mesures compensatoires, comme le développement de la coopération judiciaire et policière avec la création du système d'information Schengen, fichier commun informatisé, la mise en place de règles communes en matière de conditions d'entrée et de visa pour les courts séjours, le traitement des données en matière de demandes d'asile et le maintien des contrôles volants.
Pour autant, le système Schengen et la coopération policière en Europe résultent aujourd'hui de dispositions autonomes. L'échange d'informations et de renseignements entre États membres relève ainsi de la décision-cadre dite « initiative suédoise », laquelle établit un principe de disponibilité de l'information entre pays partenaires. La SCCOPOL est là encore le point de contact national dans ce domaine.
Depuis l'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam, la coopération, qui se déroulait jusqu'alors dans le cadre de Schengen, a été intégrée dans le cadre de l'Union européenne. Toutefois, les droits d'observation et de poursuite transfrontalières restent en vigueur et sont pleinement utilisés aujourd'hui. Il s'agit d'outils fondamentaux de la coopération policière du quotidien : plusieurs fois par semaine, des enquêteurs français traversent les frontières pour poursuivre des surveillances et des filatures à l'étranger, et réciproquement.
L'élargissement progressif de l'espace Schengen et le nécessaire recours à de nouvelles fonctionnalités ont entraîné le remplacement du SIS par un système de deuxième génération, le SIS II, entré en vigueur le 9 avril 2013. Créé par une décision et deux règlements européens, géré par la Commission européenne et placé sous la responsabilité technique de l'agence eu-LISA, il correspond à une base de données commune.
Pour conclure, je vais vous livrer quelques données chiffrées qui démontrent l'utilité du système d'information Schengen, dont je dis souvent qu'il reste la « Rolls Royce » de la coopération policière, bien qu'il soit beaucoup décrié.
Schengen, c'est 71 millions de données et 830 000 personnes à arrêter ou à surveiller - parmi lesquels 35 600 personnes visées par un mandat d'arrêt européen - contre 170 à 180 000 personnes seulement dans le fichier français des personnes recherchées, le FPR. Les policiers français qui effectuent quotidiennement des contrôles sur la voie publique recherchent donc davantage d'individus figurant dans le SIS II que dans le FPR.
En 2015, 522 mandats d'arrêt européens émis par la France ont été mis à exécution par nos partenaires européens dans le cadre de Schengen. De notre côté, nous avons arrêté 819 personnes pour le compte de nos partenaires, auxquelles on peut ajouter les 60 personnes interpellées à l'extérieur de l'espace Schengen grâce à Interpol. Cela fait donc un peu plus de 1 500 individus tombés dans les rets de la justice internationale, soit près de trois personnes par jour.
En 2015 toujours, nous avons enregistré près de 3 milliards de consultations dans le fichier Schengen en Europe, dont 555 millions de consultations pour notre seul pays. La France a répertorié 12 000 signalements de personnes recherchées à l'étranger. Nos collègues étrangers, quant à eux, nous ont alertés à 7 500 reprises pour des signalements concernant des personnes recherchées en France.
Le fichier Schengen comprend 86 000 personnes recherchées sur le fondement des surveillances exercées dans le cadre de la répression des infractions pénales, dont 44 000 pour la France, et 10 000 individus recherchés pour atteinte à la sûreté de l'État, dont 2 000 pour la France.
Un dernier détail, le fichier Schengen comporte environ 2 650 personnes visées par un mandat d'arrêt européen émis par un magistrat français.
L'objectif de cette commission d'enquête est de parvenir à évaluer le fonctionnement de l'espace Schengen. Dans ce cadre, elle peut soit conclure à la nécessaire suppression de cet espace, ce qui n'est pas l'option que nous privilégions a priori, soit conclure au contraire au nécessaire maintien de cet espace. Dans cette seconde hypothèse, elle entend identifier les carences ou les difficultés de fonctionnement actuelles et proposer des améliorations au dispositif en vigueur.
L'espace Schengen a été mis en place pour gérer le contrôle des entrées et des sorties des personnes, mais aussi pour contribuer à la lutte contre le terrorisme.
À ce stade, la coopération policière vous paraît-elle suffisante ou peut-elle être nettement améliorée ? Quels sont moyens à mettre en oeuvre pour renforcer cet espace de sécurité et de coopération policière à la fois en matière de criminalité « classique » et de terrorisme ?
Comment êtes-vous associés au contrôle des frontières dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, enjeu prioritaire pour chacun d'entre nous ?
Enfin, de quelle façon le système d'information Schengen pourrait-il être amélioré ?
Pour répondre à votre question, la coopération policière en Europe fonctionne bien. Elle n'a même jamais aussi bien fonctionné !
L'amélioration de la coopération policière est un phénomène relativement récent, dans la mesure où cette coopération est née sur une base empirique et très pragmatique à l'époque de TREVI - « Terrorisme, Radicalisme, Extrémisme et Violence internationale ». Ensuite, l'institutionnalisation des processus et l'arrivée de nouveaux outils ont donné un cadre à cette coopération. Dans un premier temps, elle a rigidifié des procédures qui peuvent encore être considérées aujourd'hui comme compliquées pour des non-spécialistes.
En matière de coopération internationale, les enquêteurs disposent d'une boîte à outils. En fonction des situations, ces outils sont plus ou moins adaptés à la situation à laquelle ils sont confrontés. Je ferai une remarque complémentaire : dans le cadre de l'espace Schengen, tous les États partagent des normes juridiques communes, des valeurs communes et un niveau commun de protection des libertés. Cela signifie que l'on travaille de la même manière avec Berlin et avec Châteauroux, mais pas avec Pékin ! C'est un peu différent quand il est question de collaborer avec des pays plus lointains.
La coopération policière n'a jamais aussi bien fonctionné, parce que les outils qui se trouvent à notre disposition sont de plus en plus nombreux. Il n'en demeure pas moins qu'il est bien sûr possible de faire mieux au niveau national et au niveau européen.
Au niveau national, tout d'abord, on considérait que les crimes de dimension internationale étaient l'oeuvre du spectre le plus élevé de la criminalité si bien que, par tradition, seule la DCPJ s'occupait de coopération policière en France. En outre, plutôt que de confier ces outils de coopération à l'ensemble des agents de la direction, on les a confiés à une unité spécialisée, embryon de la DRI actuelle. On le voit, il existe donc une propension culturelle chez les enquêteurs français à ne pas s'approprier les outils de la coopération internationale et à demander aux services idoines, chargés spécifiquement de coopération policière internationale, de régler ces questions.
Or, nous rencontrons aujourd'hui un problème lié au volume des données à traiter. Il est désormais nécessaire que toutes les institutions exerçant le métier de la police judiciaire s'approprient les différents outils de la coopération policière internationale.
Tout à fait. D'ailleurs, la nécessité d'une telle appropriation est insuffisamment présente dans les formations dispensées dans les écoles de police et de gendarmerie. Je n'invente rien, puisque ce problème avait été clairement mis en évidence dans un rapport de l'inspection générale de la police nationale publié il y a quelques années sur la connaissance et les outils de la coopération policière. Cela étant, ce manque concerne davantage la formation initiale que la formation continue des personnels.
Au niveau national, le système d'information Schengen offre un cadre de coopération dans la confiance, qui est irremplaçable aujourd'hui. Les processus sont très clairs, les conduites à tenir sont très simples, la normalisation des échanges par formulaires est parfaitement assimilée par les vingt-six États membres.
En revanche, les limites du système d'information tiennent à l'utilisation que veulent en faire les différents États : certains pays s'efforcent de l'alimenter davantage que d'autres. À cet égard, la France n'est pas le meilleur élève. Par méconnaissance, y compris chez nos magistrats, un grand nombre de mandats d'arrêt émis en France ne sont pas européanisés, ce qui est très dommageable selon moi. En effet, on a aujourd'hui autant de chances de trouver un individu recherché à Stuttgart qu'à Lisbonne ou en Norvège !
Je ne cherche pas à noircir le tableau, mais nous avons un système d'information Schengen au niveau national qui est vieillissant et obsolète par certains aspects. Aussi, il ne nous permet pas de répondre à toutes les prescriptions européennes. Un certain nombre de nouvelles fonctionnalités ne sont pas encore mises en oeuvre : certaines sont envisagées, d'autres sont encore en discussion, bien que la création de l'office N.SIS II en 2015 ait permis de résoudre certaines difficultés et qu'un projet de refonte globale du N.SIS français soit envisagé pour 2018.
En tant que technicien chargé de « piloter » ces outils de coopération, je peux vous assurer que cet objectif implique une volonté politique forte et l'engagement total de notre pays, car l'automatisation de l'échange d'informations en matière de coopération policière constitue une nécessité absolue. Compte tenu du volume des données enregistrées actuellement, il n'est plus possible de traiter les données au hasard. Il convient de mettre en place des outils adaptés à cette situation nouvelle.
Au niveau européen, ensuite, nous avons également constaté des hiatus. Après la vague d'attentats que nous avons malheureusement connus, le ministre de l'intérieur de l'époque s'était fait l'écho à Bruxelles de la nécessité d'un renforcement de la coopération policière. Il avait alors réclamé une meilleure prise en compte des enjeux liés au terrorisme par nos partenaires.
Certains écueils sont inévitables : il est très difficile à vingt-six pays de s'entendre sur des définitions communes : qu'est-ce qu'un combattant étranger, par exemple ?
Nous pouvons faire beaucoup mieux et nous devons faire beaucoup mieux ! Le SIS, par exemple, est un énorme filet de pêche. À mon sens, il serait préférable de ne pas s'en priver et de plutôt tenter d'en resserrer les mailles. En effet, le système Schengen comporte des atouts formidables : une fois qu'un individu est appréhendé, il peut être transféré dans le pays où il est recherché dans des délais très brefs. Le mandat d'arrêt européen est ainsi devenu la pierre angulaire de la coopération judiciaire.
Vous nous avez parfaitement décrit les différents dispositifs de la coopération policière internationale et permis de distinguer les outils d'aide à l'enquête des outils de contrôle sur la voie publique. Je vous remercie pour les chiffres que vous nous avez communiqués, car ils donnent un éclairage très intéressant sur l'ampleur de la base de données Schengen et démontrent l'intérêt du SIS II.
Comment la coopération policière se traduit-elle dans le cadre du système SIS II lorsque nos policiers ou gendarmes interpellent le ressortissant d'un État membre qui est recherché ? Jusqu'où vont les autorités françaises dans ce type de situation, en lien avec les magistrats internationaux ?
Avez-vous pu identifier des États membres qui tireraient un certain avantage du système SIS II sans pour autant pleinement collaborer, en d'autres termes des États qui pourraient améliorer leur contribution au système ? Certains pays sont-ils de moins bons élèves que d'autres ?
Pour répondre à votre seconde question, il ne m'appartient pas de dresser un tableau d'honneur des bons et des mauvais élèves. J'aurai néanmoins tendance à dire que les pays auxquels on pense immédiatement comme pouvant figurer parmi les mauvais élèves putatifs se révèlent souvent être les meilleurs utilisateurs de Schengen. Au plan technique, le travail des bureaux SIRENE de Sofia et de Bucarest est inattaquable. Ces bureaux ont été créés ex nihilo avec des fonds européens et les autorités politiques de ces deux États ont parfaitement compris l'enjeu que la coopération policière représentait pour eux.
Cela étant, il est très facile pour un pays de 4 millions d'habitants, comme la Slovénie par exemple, d'utiliser cet outil de coopération policière de manière extensive. C'est plus difficile pour Rome ou Madrid où l'appareil sécuritaire est plus éclaté. C'est plus difficile aussi dans des États où il existe une concurrence interne en matière policière, même si l'outil est à la disposition de tous.
La France a d'excellents rapports avec tous ses pays frontaliers. La coopération fonctionne tellement bien avec ces États que les relations interpersonnelles que nous avons construites les uns avec les autres au fur et à mesure de nos rencontres au sein des enceintes de coopération permettent parfois de pallier les dysfonctionnements éventuels de l'outil de coopération.
Certaines utilisations du système d'information Schengen varient en fonction des réalités propres à chaque État. Le BKA, l'office fédéral de police criminelle allemand, rencontre parfois des difficultés à recueillir des renseignements auprès des polices de certains Länder, très attachés au respect de leurs compétences propres. C'est donc pour obtenir des informations qu'elle aurait eu du mal à se procurer en interne que la police fédérale allemande fait une utilisation extensive des outils de la coopération policière internationale. Le cas de la France est différent : c'est un pays centralisé, qui dispose d'une plateforme commune et ne rencontre pas ce type de difficultés.
Enfin, l'utilisation des outils de coopération dépend aussi de la sensibilité des affaires à traiter : ce qui est urgent pour un pays ne l'est pas nécessairement pour un autre pays, notamment si l'information circule mal entre les pays.
Pour moi, il n'y a donc pas de mauvais élève à proprement parler. Certains États sont parfois plus irritants que d'autres, mais je suis sûr que c'est ce que certains de nos partenaires peuvent aussi penser de nous.
À mon sens, il faudrait obtenir de l'ensemble des États membres du système Schengen que le SIS II ait la prééminence sur les systèmes d'information nationaux. Jusqu'ici, le SIS a pâti de cette situation. Aujourd'hui, le système d'information Schengen est toujours considéré comme une sorte d'extension du FPR national, alors qu'il faudrait faire du N.SIS II le fondement de l'organisation de notre système d'information national. C'est ainsi que la Norvège, par exemple, a choisi de mettre à bas tout son système d'information pour recréer une infrastructure conforme à ce que préconisait l'eu-LISA. Les Norvégiens ne sont plus confrontés aux hiatus préjudiciables auxquels nous faisons face de temps en temps en raison de la coexistence de deux systèmes d'information national et européen.
Pour répondre à votre première interrogation, il convient de distinguer deux cas, celui d'une personne que l'on cherche à arrêter et celui d'une personne que l'on souhaite surveiller.
En pratique, une patrouille interpelle et contrôle un individu où qu'elle soit. Prenons l'exemple de l'arrestation d'une personne visée par un mandat d'arrêt européen : l'individu est contrôlé en Pologne et est recherché par la France. Le policier polonais va recevoir l'information selon laquelle l'individu contrôlé doit être interpellé. Il va alors immédiatement prendre contact avec le bureau SIRENE de Varsovie, lequel va lui confirmer qu'il faut bien interpeller l'individu et le conduire auprès de la juridiction la plus proche. Le bureau SIRENE de Varsovie va alors envoyer un message au bureau SIRENE de Paris, qui lui confirmera en retour la matérialité de la recherche et lui envoyer le document judiciaire qui permettra à la procédure de suivre son cours. Huit à quinze jours après s'être vu notifier le mandat d'arrêt européen, l'individu arrêté en Pologne se trouvera dans le bureau du magistrat ayant émis le mandat d'arrêt à Paris. Le processus est analogue lorsque l'individu est recherché à l'étranger et arrêté en France.
En cas de surveillance d'une personne, la procédure est similaire. La personne à surveiller peut soit faire l'objet d'un contrôle discret, soit faire l'objet d'un contrôle spécifique, c'est-à-dire d'un contrôle approfondi avec fouille. Ce sont deux procédures bien distinctes. L'intérêt des services de renseignement, pour prendre cet exemple, est bien entendu de procéder à un maximum de contrôles discrets.
Le contrôle discret implique que le contrôleur prenne le plus d'informations possible sans éveiller les soupçons. Ainsi, dans le cadre du contrôle d'un véhicule où se trouvent trois personnes, un individu recherché mais aussi deux personnes inconnues, les policiers tenteront, s'ils sont malins, de connaître l'identité des deux personnes qui ne figurent pas dans leur fichier. Je donne cet exemple parce que c'est ce qui s'est passé pour Salah Abdeslam.
Dans ce type de situations, la patrouille qui interpelle un individu contactera son bureau SIRENE qui, de son côté, enverra un formulaire normalisé au bureau SIRENE du pays émetteur pour lui signaler que l'individu a été contrôlé. Tous les pays ne réagissent pas toujours aussi rapidement. De son côté, la France tient à déclencher cette procédure le plus vite possible, car elle a une interprétation très restrictive de ce dispositif. Aussi envoie-t-elle immédiatement à ses partenaires l'information selon laquelle un contrôle a eu lieu, et ce quelle que soit l'heure du jour ou de la nuit.
Je vous remercie pour la précision des informations que vous nous avez communiquées. Vous venez de nous dire que le système n'avait jamais aussi bien fonctionné, mais qu'il existait encore des marges de progrès. Quels obstacles doit-on faire tomber pour davantage d'efficacité ? Selon vous, peut-on envisager une coopération renforcée entre certains pays à l'intérieur de l'espace Schengen ?
Les magistrats ne sont pas toujours suffisamment formés au risque terroriste, lequel n'a rien à voir avec le grand banditisme d'hier : cette formation indispensable pour les magistrats est-elle suffisante au niveau de la police et de la gendarmerie ? Vous venez de parler de Salah Abdeslam : s'il y avait eu un contrôle plus approfondi, nous aurions pu empêcher certains faits qui se sont produits par la suite.
Le système Galileo fournira bientôt une géolocalisation beaucoup plus précise que le GPS traditionnel, ce qui contribuera à aider la police et la gendarmerie dans leurs missions. Avez-vous connaissance de nouveaux outils technologiques qui leur permettront d'être plus efficaces demain ? Une coopération renforcée a-t-elle été envisagée pour faciliter l'utilisation de ces nouveaux moyens techniques et technologiques ? Police et gendarmerie ont-elles mis en place des mesures pour bénéficier des dernières avancées dans le domaine de la recherche fondamentale ou de la recherche appliquée ?
Faut-il une coopération renforcée entre certains États de la zone Schengen ? Je ne le crois pas, car Schengen est un tout, il n'y a pas de « bons » ni de « mauvais » élèves et, si certains États coopèrent mieux entre eux, c'est pour des raisons historiques - nous coopérons le mieux avec l'Espagne, par exemple, du fait d'un passé commun sur la question basque : nous avons onze officiers de liaison outre-Pyrénées, nous nous connaissons à tous les échelons, les relations sont très fréquentes. L'espace Schengen fonctionne comme un tout, les règles doivent être les mêmes pour tous les États, une coopération renforcée à quelques-uns briserait cette unité en créant des divisions, contre l'esprit de Schengen.
En revanche, nous pouvons faire mieux pour se former, en particulier les policiers et les magistrats, pour s'approprier mieux les outils de la coopération policière et judiciaire, tant les flux de circulation ont augmenté. Dans l'affaire Salah Abdeslam, Schengen a parfaitement fonctionné, puisque les Belges avaient demandé une surveillance discrète : c'est bien ce qui a été fait, et si nos partenaires belges avaient signalé Salah Abdeslam comme un individu dangereux, à arrêter, il aurait évidemment été arrêté ; au passage, c'est une victoire à la Pyrrhus, mais Schengen a permis l'arrestation de deux complices de Salah Abdeslam. Sur le fond, en quarante ans de police judiciaire, j'ai vu bien des cas où nous étions convaincus de tenir un suspect, sans pouvoir cependant le produire devant le procureur - Schengen n'est pas le problème.
Y a-t-il des sujets où la coopération, à l'intérieur de Schengen, soit renforcée ? Oui, c'est le cas en matière de cyber-criminalité, entre les États, Europol et Interpol, les initiatives sont nombreuses, ainsi que les échanges techniques. Il y avait par exemple hier une réunion de travail organisée par Europol avec les Vingt-Huit, sur les techniques spéciales de géolocalisation. L'étape suivante serait de mettre en place un système de balises lisibles par tous, cela faciliterait grandement les filatures transnationales : nous y travaillons. La coopération policière est encadrée par le droit, ce qui n'empêche pas des évolutions.
Vous nous dites que les choses se passent bien, dans l'articulation entre les règles européennes et les domaines régaliens ; voyez-vous, cependant, des points du droit à modifier, pour vous faciliter la tâche ?
Oui, la coopération judiciaire, nécessaire pour toute filature transfrontalière - chez nous, l'autorisation vient du bureau d'entraide pénale -, fonctionne de façon satisfaisante, en particulier dans l'urgence, car les procédures y sont plus rapides que dans les situations ordinaires. Peut-on améliorer le droit ? Probablement, pour plus de rapidité et d'opérationnalité, mais ce n'est pas une demande forte qui remonterait du terrain. L'équipe commune d'enquête reste le nec plus ultra de la coopération, elle est réservée aux affaires les plus importantes. C'était le cas pour le Bataclan, où nous avons convenu qu'Europol ferait l'ensemble de l'analyse criminelle, alors que nous nous en étions chargés pour l'affaire Charlie ; de fait, les assassinats à Charlie relevaient de terroristes ancrés dans le territoire national, alors qu'avec le Bataclan, on était dans un registre d'emblée international, l'enquête devait passer par le big data et embrasser plusieurs pays, Europol a été créée pour ce type d'enquête. Devrait-on faire davantage d'équipes communes d'enquête ? C'est possible, mais il faut bien voir la nécessité d'un intérêt commun et que si les équipes communes ont l'avantage d'une information commune en temps réel, elles présentent aussi des lourdeurs parce qu'il faut avancer d'un même pas alors que les procédures sont parfois bien différentes - en France, nous écrivons tous les actes, ce que ne font pas du tout les Espagnols, par exemple. Faut-il, dès lors, revoir toute notre procédure pénale pour accélérer les enquêtes transnationales et nous rapprocher de certaines règles en usage chez nos voisins ? Je n'en suis pas convaincu.
A-t-on besoin de nouveaux outils ? Je ne le crois pas. En revanche, nous pouvons mieux utiliser ceux dont nous disposons, mieux nous former à les utiliser.
Reste, cependant, que nous recherchons à simplifier certains circuits, nous le faisons à l'échelle européenne, pour que les enquêteurs n'aient pas à multiplier les demandes d'information mais qu'ils puissent n'en faire qu'une, qui soit ensuite relayée dans le temps. Quand un policier dispose d'une information sur un individu, il vérifie s'il est déjà connu des services de police - et si c'est le cas, l'information prend d'emblée plus de valeur. Or, nous ne disposons pas d'un tel outil entre pays européens ; nous y avions travaillé il y a une dizaine d'années lors de la mise en place du casier judiciaire européen, mais la Commission européenne avait repoussé notre projet, considérant que les bases de données entre polices n'étaient pas suffisamment stabilisées, ce qui était effectivement le cas. Nous y travaillons de nouveau, un dispositif va être expérimenté avec l'Allemagne, l'Espagne, l'Irlande, la Finlande et la Hongrie, une enveloppe de 1,5 million d'euros lui a été attribuée.
Je coprésidais, il y a deux ans, une commission d'enquête sur les réseaux djihadistes, nous y entendions déjà ce que vous nous dîtes aujourd'hui... mais entretemps, le terrorisme n'a pas régressé. On nous y disait également que la Cnil était un obstacle à l'échange d'informations, le diriez-vous aussi ? Vous nous dites, ensuite, ne pas avoir besoin de beaucoup de moyens...
Il en faut cependant.
Certes, mais vous semblez dire que l'essentiel est plutôt dans le fait de mettre de l'huile dans les rouages, est-ce le cas ?
On peut toujours mieux faire, mais je mesure le chemin parcouru depuis le temps où j'ai pris mes fonctions.
La Cnil n'est pas un problème en la matière, car le droit européen s'impose au droit français. Ce serait plutôt notre tradition, régalienne, qui fait obstacle, en particulier au principe désormais en vigueur de la disponibilité de l'information. Avant 2011, quand des collègues européens demandaient une information aux services de police français, nous répondions en opportunité et à condition de réciprocité, sauf quand une procédure pénale était ouverte sur notre territoire, auquel cas nous ne transmettions pas d'information. Mais aujourd'hui, quand on détient une information et qu'un collègue de l'espace Schengen me la demande, je suis tenu de la lui transmettre, même s'il n'y a pas de réciprocité. Les choses ont changé, on le voit pour les « fadettes », nous ne passons plus par la demande d'entraide de coopération internationale. Ce sont des habitudes à prendre, je crois que nous y arriverons par capillarité : il suffit qu'un membre d'une équipe ait eu lui-même à demander et qu'il ait obtenu dans les nouvelles conditions une information à des collègues étrangers, pour que le service entier y soit familiarisé. Ces questions pratiques n'ont donc pas grand-chose à voir avec la Cnil.
Faut-il une décision européenne pour qu'un fichier unique voie le jour ? Si c'est le cas, je ne suis pas sûr qu'on l'obtienne...
Effectivement, les chances seraient assez faibles tout de suite. Cependant, la coopération européenne sur la police et la justice progresse par les crises, dans l'urgence. On l'a vu après le Bataclan : Europol ne se serait peut-être pas vue confier une affaire de cette ampleur si les attentats n'avaient pas provoqué un tel choc.
L'interopérabilité des fichiers est un serpent de mer, chacun sait que c'est une nécessité, mais elle demande de surmonter bien des rigidités. Je suis un optimiste, les choses me paraissent progresser car je constate, depuis un an, que le sujet est de plus en plus débattu.
Merci pour la qualité et la précision de vos informations.
La réunion est close à 17h45.