Commission des affaires européennes

Réunion du 17 novembre 2011 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • flux
  • frontière
  • frontières intérieures
  • intérieure
  • migratoire
  • schengen

La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Tasca

Cette proposition de règlement tend à modifier les règles communes relatives à la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures dans des circonstances exceptionnelles.

Elle est l'un des éléments d'un « paquet » sur la gouvernance de Schengen, que la Commission européenne a présenté, le 16 septembre 2011, en réponse aux demandes du Conseil européen du 24 juin 2011. Ce paquet comprend deux autres textes :

- une communication intitulée « Gouvernance de Schengen - Renforcer l'espace sans contrôle aux frontières intérieures », qui souligne l'importance de la libre circulation, propose de confier la gouvernance de Schengen à l'Union européenne et fait valoir la nécessité d'aller plus loin que les règles actuelles en reconnaissant que de simples lignes directrices pour la mise en oeuvre de ces règles ne seraient pas suffisantes ;

- une proposition de règlement portant création d'un mécanisme d'évaluation et de suivi destiné à contrôler l'application de l'acquis de Schengen, qui renforcerait le rôle de la Commission européenne dans l'évaluation ;

I/ Quel est le contexte ?

1/ Le fonctionnement de l'espace Schengen

L'espace Schengen est un espace de libre circulation dans lequel les États signataires ont aboli toutes leurs frontières intérieures pour une frontière extérieure unique où sont effectués les contrôles d'entrée selon des procédures identiques. Des règles et des procédures communes sont appliquées en particulier dans le domaine des visas pour séjours de courte durée.

Afin de garantir la sécurité au sein de l'espace Schengen, la coopération et la coordination entre les services de police et les autorités judiciaires ont été renforcées. La coopération Schengen a été intégrée au cadre juridique de l'Union européenne par le traité d'Amsterdam en 1997. L'espace Schengen regroupe vingt-six Etats, dont 22 Etats membres de l'Union. Chypre ayant demandé un délai supplémentaire, la Bulgarie et la Roumanie sont les derniers nouveaux Etats membres à faire l'objet d'une procédure d'évaluation en vue de leur entrée dans l'espace Schengen.

L'agence FRONTEX est chargée de coordonner la coopération opérationnelle entre les États membres en matière de gestion des frontières extérieures de l'espace Schengen. En novembre 2010, l'opération dite RABIT (Rapid Border Intervention Teams) a permis de déployer en Grèce près de 200 gardes frontières provenant de l'ensemble des Etats membres. Une récente réforme tend à renforcer les capacités opérationnelles de FRONTEX et à développer ses possibilités d'assistance effective aux Etats membres.

Debut de section - Permalien
mécanisme d'évaluation

L'esprit de Schengen veut qu'un Etat membre assume la responsabilité du contrôle de ses frontières extérieures pour le compte de l'ensemble des autres Etats membres. C'est pourquoi la confiance mutuelle est essentielle. C'est aussi pour cette raison que le mécanisme d'évaluation mis en place doit être réellement efficace. Dans sa nouvelle proposition, la Commission européenne propose que son rôle soit renforcé, que des visites inopinées soient possibles, qu'il y ait des évaluations thématiques et régionales. Ce renforcement de la dimension communautaire de l'évaluation me semble indispensable. Il faut souligner que ces évaluations sont effectuées par la méthode dite de « comitologie » qui associe experts et Etats concernés.

Notre commission a elle-même pris toute la mesure des enjeux attachés à un bon fonctionnement de l'espace Schengen. Elle a créé un groupe de suivi des accords de Schengen, commun avec notre homologue de l'Assemblée nationale, dont Richard Yung et Jean-René Lecerf sont les co-rapporteurs.

2/ L'argument des récentes migrations en provenance de Tunisie à l'appui des demandes de révision du « code frontières Schengen ».

Dès l'origine, une clause de sauvegarde a été prévue dans les accords de Schengen, permettant aux Etats de rétablir les contrôles à leurs frontières dans deux situations.

Le règlement établissant le « code frontières Schengen » prévoit en premier lieu la possibilité de réintroduire de façon urgente et exceptionnelle des contrôles aux frontières intérieures dans les « cas de menace grave pour l'ordre public ou la sécurité intérieure. » Cette possibilité relève de l'initiative d'un Etat membre et sa durée est limitée à une période maximale de trente jours (ou à la durée prévisible de la menace grave si elle est supérieure à trente jours).

En second lieu, dans les cas d'évènements prévisibles, tel un sommet international, comme le G20, ou une manifestation sportive ou culturelle de grande dimension, l'information préalable des Etats membres et de la Commission est requise dès que possible. Une procédure de consultation est alors engagée. La Commission peut émettre un avis.

Debut de section - Permalien
moins de trente jours

Lorsque la menace se prolonge au-delà de cette durée, l'Etat membre peut maintenir les contrôles pour des périodes renouvelables ne dépassant pas trente jours. La Commission indique qu'il y a eu 26 cas de réintroduction des contrôles depuis 2006, tous pour une durée de moins de trente jours et en général pour une durée bien plus courte ne dépassant pas cinq jours.

La prolongation par l'Etat-membre des contrôles aux frontières intérieures requiert une information des Etats membres et de la Commission. Le Parlement européen est informé « dès que possible ». Un rapport est transmis après la levée des contrôles au Parlement, au Conseil et à la Commission.

Debut de section - Permalien
manque de solidarité

La décision des autorités italiennes de délivrer aux Tunisiens arrivés clandestinement en Italie entre les mois de janvier et d'avril 2011 des titres de séjour provisoires d'une durée de six mois, pour raisons humanitaires, a soulevé une polémique artificielle ou, pour le moins disproportionnée, sur la possibilité, pour les titulaires du titre de séjour, de circuler librement dans l'espace Schengen ainsi que sur le manque de solidarité intra-européenne en matière de gestion des flux migratoires.

Par une lettre conjointe en date du 26 avril 2011, le président de la République Française et le président du Conseil des ministres italien ont saisi la Commission européenne, demandant plusieurs aménagements des règles applicables à l'espace Schengen (code frontières Schengen) incluant la possibilité, en cas de difficultés exceptionnelles dans la gestion des frontières extérieures communes, de rétablir temporairement les contrôles aux frontières intérieures. Le Conseil européen des 23 et 24 juin 2011 a appelé la Commission européenne à présenter des propositions législatives avant la fin septembre.

II/ Quels changements propose la Commission européenne ?

Dans le prolongement de la communautarisation de la convention de Schengen par le traité d'Amsterdam en 1997, la Commission européenne entend « européaniser » la procédure de réintroduction des contrôles aux frontières intérieures, y compris dans les cas actuellement prévus de menace grave pour l'ordre public et la sécurité intérieure. Ainsi, il appartiendrait à la Commission européenne, dans le cadre de la « comitologie » qui permet d'associer les Etats membres, de décider la réintroduction du contrôle aux frontières et sa prolongation éventuelle.

La décision de réintroduction des contrôles pourrait être prise, pour une durée de trente jours maximum (ou pour la durée prévisible de la menace si elle est plus longue) renouvelable dans la limite de six mois.

Dans les cas de manquements graves persistants dans la gestion des frontières extérieures, et dans la mesure où ces manquements représentent une menace grave pour l'ordre public ou la sécurité intérieure au niveau de l'Union ou à l'échelon national, la Commission européenne, à l'issue d'un processus d'évaluation qu'elle conduirait et de la mise en oeuvre d'un plan d'action dans le cadre du règlement sur le nouveau mécanisme d'évaluation Schengen, pourrait réintroduire pour une période de six mois les contrôles aux frontières intérieures. Un rapport serait établi tous les six mois par la Commission sur la mise en oeuvre du plan d'action et l'Etat membre concerné transmettrait un rapport après trois mois. Faute de progrès significatifs, la réintroduction des contrôles aux frontières intérieures pourrait être prolongée pour une durée de six mois dans la limite de trois prolongations.

La préoccupation sur ce point porte plus particulièrement sur la frontière gréco-turque où, selon les précisions qui m'ont été données par le Gouvernement, on estime qu'il y aurait chaque jour 1 200 passages irréguliers. L'entrée de la Bulgarie et de la Roumanie dans l'espace Schengen assurerait une continuité territoriale qui rendrait d'autant plus sensibles les défaillances des contrôles sur cette portion de la frontière extérieure.

III/ Quelle appréciation porter sur ce texte ?

1/ Nous devons prioritairement réaffirmer notre attachement au principe de la libre circulation et aux acquis de Schengen

Je crois d'abord indispensable de réaffirmer notre attachement au principe de la libre circulation et aux acquis de Schengen qui sont des réalisations majeures de la construction européenne. L'espace Schengen a su faciliter au quotidien la vie des citoyens européens et des ressortissants étrangers en leur conférant une liberté de circulation au sein d'un espace sans frontières regroupant aujourd'hui 26 Etats. C'était le tout premier axe de la proposition de résolution du groupe socialiste, défendue ici-même par Richard Yung en juin dernier. Comme l'a souligné le Parlement européen dans une résolution du 7 juillet 2011 : « la liberté de circulation est devenue l'un des piliers de la citoyenneté européenne et l'un des fondements de l'Union européenne en tant qu'espace de liberté, de sécurité et de justice. »

Debut de section - Permalien
mauvais coup

Dès lors, les rétablissements de contrôles aux frontières intérieures peuvent constituer une brèche très sérieuse dans le principe de liberté de circulation. Dans le contexte actuel où l'Europe est attaquée sur ses fondamentaux et menacée par un défaut de solidarité entre Etats, remettre en cause l'acquis Schengen constituerait un mauvais coup supplémentaire à la construction européenne et un très mauvais signal lancé aux eurosceptiques. C'est l'analyse que disent partager la plupart des acteurs du dossier.

2/ Refuser l'assimilation des flux migratoires à une menace grave pour l'ordre public

La faculté de permettre un rétablissement temporaire des contrôles aux frontières intérieures couvrirait aussi bien une situation de défaillance grave et persistante d'un Etat membre dans la gestion de ses frontières extérieures que celle d'une pression migratoire soudaine et forte dans laquelle un Etat membre, volontairement ou non, ne respecte plus ses obligations.

Dans sa résolution du 7 juillet 2011, le Parlement européen avait estimé que les conditions concernant la réintroduction des contrôles aux frontières intérieures étaient déjà clairement énoncées dans le « code frontières Schengen ». Il avait souligné que l'afflux de migrants et de demandeurs d'asile aux frontières extérieures ne pouvait en aucun cas être considéré comme une raison supplémentaire pour réintroduire des contrôles aux frontières. Tel était aussi le sens de la proposition de résolution du groupe socialiste, ici au Sénat, qui voyait dans « la réintroduction de contrôles temporaires aux frontières intérieures en cas de pression migratoire illégale forte, imprévue mais non extraordinaire » une remise en cause de l'acquis Schengen et par là même de la liberté de circulation et s'opposait en conséquence « à toute modification de l'acquis Schengen tendant à l'élargissement des clauses dites de sauvegarde ».

L'élargissement des clauses de sauvegarde aux cas de pression migratoire forte et inattendue, par assimilation aux critères existants de menace grave pour l'ordre public et la sécurité intérieure, est tout à fait inacceptable. De cela aussi la plupart des acteurs du dossier (Conseil, Commission et Parlement européen) semblent convenir.

Je note que le gouvernement français, pourtant demandeur de l'élargissement des clauses de sauvegarde aux cas de pression migratoire conteste aujourd'hui l'assimilation opérée notamment dans le considérant n° 5 de la proposition de règlement. A l'occasion d'un débat en séance publique à l'Assemblée nationale, le mardi 8 novembre 2011, le ministre des Affaires européennes, Jean Leonetti, a contesté « le choix de la Commission [visant] à regrouper au sein de la même procédure et sous l'angle exclusif des menaces à l'ordre public ou à la sécurité intérieure l'ensemble des situations justifiant la réintroduction temporaire des contrôles aux frontières intérieures » et dénoncé l' « amalgame » opéré par la Commission entre ces menaces et des situations d'augmentation forte et soudaine de ressortissants de pays tiers en situation irrégulière.

Debut de section - Permalien
migrants afghans

D'autant que, comme l'ont admis les représentants des ministères auditionnés par le groupe de suivi des accords de Schengen, le cas d'afflux massif de migrants est une notion qui est elle-même difficile à définir. La notion est suffisamment floue pour permettre des interprétations contradictoires. Ainsi s'agissant de la venue de migrants afghans, une proposition de résolution du groupe socialiste présentée par Louis Mermaz avait souhaité que la France, conformément à l'article 5, paragraphe 1, de la directive 2001/55/CE sur la protection temporaire, puisse transmettre à la Commission européenne une demande en vue de proposer au Conseil d'adopter à la majorité qualifiée une décision constatant la nécessité de déclencher l'octroi de la protection temporaire aux réfugiés afghans en provenance d'Afghanistan et du Pakistan. Cette proposition de résolution a été rejetée en séance publique lors de son examen le 10 février 2010, le Gouvernement ayant argué qu'il ne s'agissait pas en l'espèce d'un afflux massif de nature à permettre le déclenchement de la procédure de protection temporaire. Il y a donc asymétrie dans l'appréciation du caractère « massif » d'un afflux de migrants.

Entre la France et l'Italie, en l'absence de contrôle systématique, il n'y a pas eu d'évaluation précise des mouvements migratoires récents. C'est à la suite des contrôles effectués dans la bande des 20 km le long de la frontière italienne, que 3 200 personnes ont été renvoyées vers l'Italie qui les a réadmises sans difficulté. Au total, on estime à 34 000 le nombre de Tunisiens arrivés en Italie depuis le 1er janvier 2011. De l'avis même des autorités françaises ceux-ci n'ont aucunement porté atteinte à l'ordre public ou à la sécurité intérieure. A la suite de l'accord italo-tunisien du 5 avril 2011, la Tunisie a réadmis tout nouvel immigrant arrivé illégalement après le 5 avril.

La situation a donc pu être réglée dans le cadre des règles en vigueur de Schengen.

3/ Réaffirmer le caractère indispensable d'une politique communautaire de l'immigration

On n'avancera pas sur la gouvernance de Schengen et l'amélioration des dispositifs existants sans affirmer une politique communautaire ambitieuse de l'immigration. Cette politique ne peut se résumer aux contrôles des frontières et à la lutte contre l'immigration irrégulière. Nous avons en particulier besoin d'une véritable politique européenne de l'asile dont la mise en place apparaît malheureusement très laborieuse. Toutefois, selon Mme Malmström, commissaire européenne en charge des affaires intérieures, un texte est en cours d'élaboration et devrait aboutir d'ici fin 2012. Il faut aussi inscrire la démarche européenne dans le cadre d'un véritable partenariat avec les pays d'origine de l'immigration.

4/ Traiter au niveau communautaire les cas de défaillance grave et persistante d'un Etat membre dans le contrôle des frontières extérieures

En toute hypothèse, la prise en compte des cas de défaillance grave et persistante d'un Etat membre dans le contrôle des frontières extérieures pour permettre le rétablissement temporaire de contrôles aux frontières intérieures représente une menace importante pour la libre circulation et pour la préservation des acquis de Schengen.

C'est pourquoi il me paraît nécessaire que, dans un tel cas, la décision puisse être prise par la Commission, à la suite d'une évaluation et de la mise en oeuvre d'un plan d'action qui n'aurait pas donné les résultats escomptés.

Ce choix répond à une logique juridique, celle de la communautarisation des accords Schengen par le traité d'Amsterdam qui consacre la Commission comme gardienne du principe de liberté de circulation. Au demeurant, on ne saurait confier à un Etat déjà défaillant dans le contrôle de ses frontières extérieures la responsabilité de décider unilatéralement le rétablissement de ses frontières intérieures.

Cependant, ce pouvoir de contrôle de la Commission européenne ne peut être dissocié de progrès significatifs dans la définition et la mise en oeuvre d'une véritable politique européenne de l'immigration, notamment en matière d'asile.

5/ Trouver un juste équilibre entre initiative des Etats et intervention de la Commission

Debut de section - Permalien
menace terroriste

La proposition de la Commission a aussi pour effet de modifier les règles actuelles en matière d'ordre public en s'attribuant le pouvoir de décision, dans tous les cas pour les évènements prévisibles, et après cinq jours pour les cas exigeant une action immédiate. Dans un communiqué conjoint, en date du 13 septembre, les ministres de l'Intérieur allemand, espagnol et français ont critiqué ce transfert de responsabilité pour des cas qui jusqu'à présent ont relevé de la souveraineté des Etats membres par exemple ceux d'une menace terroriste ou la protection d'un évènement politique ou sportif majeur. Pour les ministres, « c'est aux Etats membres de maintenir l'ordre public et d'assurer la sécurité intérieure ».

Dans une résolution européenne portant avis motivé sur la conformité au principe de subsidiarité, au titre de l'article 88-6 de la Constitution, qu'elle a adoptée le 8 novembre 2011, l'Assemblée nationale a considéré, pour les mêmes raisons, que « la décision de réintroduction du contrôle aux frontières intérieures ne peut être communautarisée dans les conditions prévues par la proposition de règlement sans qu'il ne soit porté atteinte au respect du principe de subsidiarité. »

Dans sa proposition de résolution sur la révision de l'acquis Schengen, le groupe socialiste jugeait « indispensable [...] le renforcement de la gouvernance de Schengen dans le sens de sa communautarisation ». C'est pourquoi la proposition demandait plus particulièrement aux Etats membres d'accepter la communautarisation du système d'évaluation Schengen.

Toutefois, sans abandonner la poursuite de cet objectif d'une meilleure gouvernance de Schengen, il nous appartient, s'agissant des cas classiques risquant d'affecter l'ordre public ou la sécurité intérieure, de définir des procédures qui n'entravent pas la capacité d'initiative des Etats de réintroduire les contrôles aux frontières intérieures.

Cela paraît nécessaire dans un souci de réactivité et d'efficacité. Mais, il apparaît aussi utile de confier un rôle accru à la Commission européenne. Dans ce but, il conviendrait, à mon sens, de renforcer l'information de la Commission et de veiller à ce qu'elle cette information lui soit communiquée de manière précoce.

Il resterait à l'avenir à se demander si, dans un espace au sein duquel les interdépendances se renforcent, il ne faudrait pas envisager d'aller plus loin afin de conférer à la Commission européenne une responsabilité accrue, au moins au stade de la prolongation des contrôles aux frontières intérieures.

6/ Un dialogue à poursuivre entre la France et la Commission européenne

La proposition de la Commission européenne fait l'objet de nombreuses critiques, parfois très contradictoires selon les parties et de l'opposition de la plupart des Etats membres.

Un compromis doit à l'évidence être recherché entre le dispositif actuel et la proposition de la Commission. Celle-ci réduit excessivement la marge d'initiative des Etats. Le compromis devrait intervenir sur les délais et les obligations d'information dans les cas considérés comme classiques

Rappelons déjà que la Commission n'était pas demandeuse de cette réforme, jugeant, à juste raison, que les clauses de sauvegarde actuelles permettent de faire face à l'essentiel des situations, y compris par exemple dans le cas d'un afflux de migrants via l'Italie.

La France n'a du reste pas fermé sa frontière avec l'Italie. Le Ministre des Affaires européennes précisait, le 8 novembre 2011, à l'Assemblée nationale : «on l'a vu ce printemps à Vintimille, une augmentation inattendue et massive des mouvements secondaires de ressortissants de pays tiers en situation irrégulière sur le territoire français n'a pas obligatoirement de conséquences en termes de sécurité et d'ordre public ».

La préservation de l'acquis Schengen aurait dès lors dû nous conduire à nous en tenir là. C'était sans compter sur l'insistance de la France et de l'Italie à réclamer une réforme. On peut regretter que la Commission y ait cédé. On peut regretter qu'elle soit allée au-delà des révisions souhaitées. Le gouvernement français lui-même conteste l'amalgame opéré entre menace à l'ordre public et pression migratoire et redoute la communautarisation de la procédure. En tout état de cause, au-delà même de l'invocation du principe de subsidiarité, on est encore loin d'un accord des diverses instances européennes. Notre Haute Assemblée doit rester attentive à l'évolution de ce dossier qui confronte des approches politiques différentes et même des analyses juridiques divergentes, y compris entre les services juridiques de la Commission et du Conseil. La France fait ainsi les frais d'une demande de réforme improvisée.

Debut de section - PermalienPhoto de Richard Yung

Je souscris entièrement à ce rapport. Les flux migratoires récents entre l'Italie et la France n'ont été qu'un prétexte pour demander une réforme des règles de fonctionnement de Schengen. Le gouvernement italien s'est retrouvé un peu seul pour faire face à une crise difficile. Il n'a pas bénéficié du soutien de la France alors que les deux pays auraient dû gérer ensemble cette situation. Je constate que les flux en provenance de Tunisie se sont taris d'eux-mêmes comme ce fut le cas pour ceux venant de Libye ou, il y a quelques années, pour les mouvements migratoires de Marocains en direction de l'Espagne.

Ce cas spécifique me paraît bien illustrer les problèmes posés par la politique de Schengen. La Commission européenne est garante des résultats de cette politique. Je regrette pour ma part qu'il existe une pléthore de consulats des Etats membres qui font exactement le même travail pour délivrer des visas Schengen. Il serait préférable de constituer des bureaux communs sous l'autorité de la commission européenne. Malheureusement, les Etats membres s'y opposent. Il n'y a pas de volonté politique dans ce sens.

Je soutiens entièrement la proposition de résolution européenne qui nous a été présentée. Il conviendra par ailleurs d'intégrer dans les politiques d'immigration la jurisprudence de la Cour de justice européenne. Ces questions doivent être traitées au niveau communautaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Richard

Ce rapport très complet permet de distinguer trois situations. La défaillance du système de contrôle des frontières extérieures par un Etat membre justifie que les décisions soient prises au niveau communautaire dans un souci de cohésion, cette situation ayant un impact sur tous les Etats membres. Ce que propose la Commission européenne est donc sur ce point un progrès.

Par ailleurs, le rétablissement temporaire du contrôle aux frontières intérieures pour un événement prévisible ou en cas de menace immédiate pour l'ordre public, est une responsabilité qui relève de chaque Etat membre sous le contrôle du juge et dans le cadre d'un dialogue avec les autres Etats membres.

Enfin, concernant les flux migratoires, il serait à mon sens abusif et pas opérationnel de considérer par principe qu'il s'agit d'une menace pour l'ordre public ou la sécurité intérieure. Pour autant, il me semble difficile de dire que ces flux ne constituent jamais une menace pour l'ordre public ou la sécurité intérieure. Je suggère donc de modifier la proposition de résolution afin d'indiquer que seraient inacceptables les modifications du code frontières de Schengen « qui assimileraient, par nature » les flux migratoires à une telle menace.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Billout

Ce rapport est bien argumenté et délivre des analyses que je partage. La refonte des règles de Schengen intervient dans un contexte d'une Europe en difficulté. La crise de la zone euro conduit à la mise en oeuvre de politiques de forte austérité qui auront deux conséquences : d'une part, l'efficacité des contrôles aux frontières extérieures risquent d'être mis en cause par la réduction des personnels qui sont affectés à cette mission ; d'autre part, la relance des mouvements migratoires est inévitable, en particulier entre Etats membres de l'Union européenne. Lors de notre récent déplacement en Croatie, j'ai notamment relevé des inquiétudes exprimées sur le risque de flux migratoires vers ce pays en provenance de Bulgarie et de Roumanie.

Ce n'est certes pas le meilleur moment pour porter atteinte à la libre circulation. Le seul événement qui vient justifier la refonte des règles en vigueur c'est l'afflux récent de migrants sur l'île de Lampedusa. Or, je rappelle que cet afflux a été limité et sans commune mesure avec la situation qu'a connue la Tunisie, laquelle a accueilli des centaines de milliers de réfugiés venant de Libye dans un contexte pourtant difficile pour elle. Cette comparaison me paraît rendre dérisoire la réaction disproportionnée de l'Union européenne.

En Italie, les difficultés sont nées de la concentration des migrants à Lampedusa. Mais cette situation a pu être bien gérée notamment en répartissant les personnes concernées dans les différentes régions italiennes.

Cette refonte des règles de Schengen poursuit une visée électoraliste dans un contexte préoccupant de montée des nationalismes en Europe. Lors des auditions du groupe de suivi des accords de Schengen, le directeur de la police de l'air et des frontières s'est déclaré sceptique sur la possibilité de rétablir des contrôles aux frontières intérieures. Cela ne serait possible que sur une portion limitée de ces frontières avec le soutien des douanes et sur une période courte. Il y aurait des disparités inévitables, de nombreux postes de contrôle aux frontières ayant été supprimés.

Je suis aussi inquiet de la dérive vers un déficit de démocratie dans l'Union européenne. La Commission s'arroge de plus en plus de pouvoirs au détriment du Conseil et du Parlement européen, même si il peut y avoir parfois des ambivalences. Je crois qu'il faut être attentif à cette évolution.

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Patient

Je souhaiterais avoir des précisions sur les possibilités de circulation d'une personne qui a accédé à l'espace Schengen. Qu'en est-il de l'Outre-mer ?

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Tasca

J'approuve pleinement l'idée de bureaux européens communs pour la délivrance des visas Schengen.

Il y a effectivement trois situations qui doivent être distinguées. Mais je veux souligner que les règles actuelles permettent d'ores et déjà de répondre à une situation dans laquelle des flux migratoires auraient un impact sur l'ordre public et la sécurité intérieure.

Il est exact que, dans le contexte actuel de crise économique et financière, de nouveaux flux migratoires apparaissent inéluctables.

Les mécanismes actuels de décision sont très lourds et exigent beaucoup de temps. Il faut donc être d'autant plus vigilant sur le respect des compétences de chacun.

L'accès de l'espace Schengen permet en principe la libre circulation au sein de cet espace mais sous certaines conditions qui sont prévues par le code frontières.

Debut de section - PermalienPhoto de Simon Sutour

Je suggère que la situation de l'Outre-mer fasse l'objet d'un examen spécifique afin de répondre aux interrogations de notre collègue Georges Patient.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Humbert

Je remercie notre rapporteur. La rédaction du deuxième alinéa de la proposition de résolution, qui juge « inacceptable » toute assimilation d'un flux migratoire à un problème d'ordre public, me paraît néanmoins un peu forte. Le groupe UMP propose un amendement qui souligne que la modification du code frontières de Schengen doit garantir le respect des hommes et des femmes concernés.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Tasca

Il est vrai que le terme « inacceptable » peut paraître trop marqué. Je vais proposer une nouvelle rédaction de cet alinéa qui prendra en compte votre préoccupation et celle exprimée par Alain Richard.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Paul Emorine

Je souhaite que, dans le troisième alinéa, nous affirmions plus nettement notre volonté que les cas de manquements graves et persistants d'un État membre dans les contrôles aux frontières extérieures fassent l'objet d'une réponse communautaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Delebarre

Je ne crois pas que l'Europe soit armée pour répondre à de nouvelles exigences portant sur le contrôle aux frontières intérieures.

A l'issue du débat, et après les interventions de MM. Alain Richard et Richard Yung, la commission des affaires européennes a adopté, à l'unanimité, la proposition de résolution européenne dans le texte suivant :

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (CE) n° 562/2006 afin d'établir des règles communes relatives à la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures dans des circonstances exceptionnelles (texte E 6612) ;

Rappelle son attachement au principe de libre circulation et à l'espace sans frontière de Schengen, qui est l'une des réalisations les plus concrètes de l'Union européenne ;

Juge qu'une modification du code frontières de Schengen ne peut se fonder sur une assimilation automatique des flux migratoires à une menace grave contre l'ordre public et la sécurité intérieure, et doit garantir le respect des hommes et des femmes concernés ;

Considère que les réponses à la situation créée par des manquements graves persistants d'un État membre dans les contrôles aux frontières extérieures doivent être apportées au niveau communautaire ;

Souligne que ces réponses ne peuvent être dissociées de progrès significatifs dans la définition et la mise en oeuvre de véritables politiques européennes de l'immigration et de l'asile, s'inscrivant dans un partenariat avec les pays d'origine et de transit ;

Estime préférable de ne pas modifier les règles en vigueur concernant la réintroduction à titre exceptionnel et temporaire des contrôles aux frontières intérieures dans les cas qui, comme la protection d'un évènement politique ou sportif majeur, ont jusqu'à présent relevé de la responsabilité des États membres sans créer de difficultés ;

Considère que, dans ces cas, l'obligation d'information de la Commission européenne par les États membres devrait être renforcée et mise en oeuvre de manière plus précoce.

Debut de section - PermalienPhoto de Simon Sutour

A quelques semaines de la signature du traité d'adhésion de la Croatie à l'Union européenne, prévue le 9 décembre prochain, notre commission a souhaité faire un ultime point sur la situation d'un Etat qui a retrouvé sa souveraineté il y a moins de vingt ans et qui deviendra le 28e membre de l'Union le 1er juillet 2013, si le processus se déroule comme prévu, en particulier pour la ratification dans chaque Etat membre.

La vocation européenne de la Croatie a été officiellement établie lors du Conseil européen de Zagreb en 2000 et régulièrement rappelée depuis : le principe de son adhésion à l'Union européenne est donc acquis depuis plus de dix ans et cette décennie écoulée a permis à la Croatie de confirmer sa capacité à remplir l'ensemble des critères exigés par l'Union.

En 2001, la Croatie a signé un accord de stabilisation et d'association avec l'Union européenne, accord entré en vigueur le 1er janvier 2005. En 2003, la Croatie s'est portée candidate ; en 2004, le Conseil européen lui en a octroyé le statut. En 2005, les négociations se sont ouvertes pour se terminer le 30 juin 2011.

La mission de notre commission à Zagreb les 14 et 15 novembre derniers a permis de vérifier que la Croatie était prête pour son entrée dans l'Union européenne. En outre, notre délégation a pu prendre la mesure de l'excellente stabilité institutionnelle de ce jeune Etat puisque notre visite a coïncidé avec l'ouverture de la campagne des élections législatives prévues le 4 décembre prochain. A cette occasion, notre commission a pu remarquer que la vie institutionnelle et le débat politique suivaient un cours démocratique des plus normaux. Les pouvoirs en place comme ceux susceptibles de les remplacer ont reçu la délégation avec la même cordialité et le même intérêt. Apparemment, la Croatie s'apprêterait à connaître à nouveau l'alternance et à confirmer ainsi que le bipartisme pourrait devenir une caractéristique de la démocratie croate. Nous avons été impressionnés par la qualité de nos interlocuteurs qui, pour la plupart, s'exprimaient en français.

Nous avons saisi l'occasion de cette mission pour manifester à l'ensemble des pouvoirs et de la classe politique croates notre entier soutien à l'entrée de la Croatie dans l'Union. Je crois que nous sommes tous d'accord pour reconnaître l'importance et la difficulté des réformes qui ont été menées à bien depuis plus de dix ans. C'est la raison pour laquelle notre proposition de résolution estime que l'adhésion de la Croatie n'appelle plus de réserve.

En outre, aujourd'hui, à la veille de son entrée dans l'Union, la Croatie est suffisamment sûre de sa souveraineté retrouvée pour oeuvrer avec efficacité à la stabilité de la région.

Nous avons pu constater lors de sa mission que les conditions politiques et les conditions économiques pour une entrée réussie dans l'Union étaient réunies.

1. Les conditions politiques de l'adhésion sont remplies

Le consensus en faveur de l'objectif européen

La Croatie a montré une très grande capacité à mobiliser l'ensemble de ses forces vives pour atteindre l'objectif européen et la politique étrangère croate, quel que fût le parti au pouvoir, n'a pas varié depuis presque vingt ans.

Dans le mois qui suivra la signature du traité, la Croatie devra organiser un référendum qui est prévu pour le début de février 2012 et dont l'issue n'est pas douteuse. Cependant, si le consensus de la classe politique est resté le même, l'opinion publique a évolué. Même si elle reste majoritairement favorable à l'adhésion, le « oui » tourne désormais autour de 58 % au lieu de 80 % au début des négociations.

Les bénéfices d'un consensus social reposant sur une grande stabilité politique

La Croatie jouit d'une grande stabilité politique grâce à une Constitution déjà vieille de vingt ans, inspirée de celle de la Ve République française. Un équilibre a été trouvé entre présidentialisme et parlementarisme, et cet équilibre s'est renforcé par l'alternance politique et la cohabitation. Actuellement, la Croatie expérimente pour la deuxième fois la cohabitation : le Président de la République, Ivo Josipovic, que nous avons rencontré, est social démocrate (SDP), tandis que le Premier ministre, Jadranka Kosor est conservateur (HDZ).

La coopération avec le TPIY : nécessité fait loi

La coopération du gouvernement croate avec le TPIY a un temps été jugée insuffisante mais, depuis l'arrestation du Général Gotovina, ce reproche n'est plus fondé même si une certaine méfiance réciproque a eu pour effet de retarder l'ouverture du chapitre 23 sur la justice et les droits fondamentaux. La sévérité avec laquelle le Général Gotovina a été jugé en 2011 a marqué les esprits et soulevé l'indignation de l'opinion publique croate qui tient sa guerre de libération pour une guerre juste.

La réconciliation régionale est en bonne voie

Le souvenir de la guerre de libération reste vivace et, pourtant, la Croatie oeuvre à la réconciliation régionale et plus particulièrement à la normalisation de ses relations avec la Serbie. Le président croate s'est rendu en Serbie et le président serbe s'est rendu en Croatie, et même à Vukovar, ville martyre et point de passage obligé pour les délégations étrangères. Là, le président serbe Tadic a reconnu les crimes commis par l'armée serbe.

De même, le président croate Josipovic a exprimé ses regrets pour la brutalité des réactions croates en Bosnie-Herzégovine.

La Croatie, forte de son expérience des négociations d'adhésion, se propose de servir de guide et de partenaire aux autres pays candidats des Balkans. Son entrée dans l'Union européenne est perçue comme un gage de stabilité dans la région. Nos interlocuteurs nous ont rappelé que la Croatie avait dépensé 8 millions d'euros pour diffuser l'acquis communautaire dans les Balkans.

Minorités, réfugiés et déplacés : des solutions efficaces

On ne reviendra pas sur la « mosaïque des peuples » propre aux Balkans. La Croatie jouit d'un territoire et d'une population homogène à 98 %, mais elle n'échappe pas totalement à son destin balkanique et elle compte sur son territoire des minorités auxquelles elle a accordé des droits importants. En outre, la Croatie a accepté de réintégrer la minorité serbe qui avait fui après la guerre.

Par une loi constitutionnelle de 2002 sur les droits des minorités nationales, la Croatie a su créer un climat de confiance au sein de ses frontières pour ses minorités serbe, bosniaque, italienne, hongroise, albanaise et slovène.

2. Les conditions économiques de l'adhésion sont en voie d'être remplies malgré la crise

Une économie de marché viable selon la Commission européenne

La Croatie compte 4,5 millions d'habitants dont le revenu moyen atteint seulement 65 % de la moyenne de l'Union, mais la Croatie est, avec la Slovénie, la région la plus avancée des Balkans et son PIB représente le double de celui de la Roumanie. Il convient de rappeler que le taux de chômage reste élevé (14,1 %) et que le taux d'activité est faible (56,5 %) même si la Croatie est un moteur économique régional.

La monnaie, la « kuna », créée en 1994, est stable. La note souveraine de la Croatie est BBB- ; l'endettement s'élève à 100 % du PIB dont 40 % pour la dette publique. Interrogés sur l'inquiétude soulevée par l'actuelle crise financière de l'Union européenne, nos interlocuteurs ont insisté sur le fait qu'ils entraient dans l'Union européenne mais pas dans la zone euro.

Il est intéressant de noter que si la Croatie sait qu'elle sera bénéficiaire net des fonds européens, elle sait aussi qu'elle rejoint un club où elle ne sera pas la plus défavorisée, ce qui implique à moyen terme qu'elle puisse devenir contributeur net.

La Croatie n'échappe pas à la récession, mais elle poursuit des réformes

La Croatie subit la récession depuis un an et demi, mais elle ne renonce pas aux réformes structurelles nécessaires à l'assainissement de ses finances publiques.

La Croatie est handicapée par un important secteur public (dont les chantiers navals), qui est en difficulté et qui génère des pertes. Cependant, l'actuel gouvernement a lancé 30 grands projets d'investissement à hauteur de 13 milliards d'euros destinés à moderniser l'appareil productif croate.

Malgré un tissu industriel limité (environ 20 % du PIB), la Croatie a de grands atouts qui tiennent à une remarquable situation géographique, à une population homogène, à une agriculture diversifiée, à un bon réseau de petites et moyennes entreprises, à un bon système éducatif et à un potentiel touristique très enviable (10 millions de touristes en 2010).

La question agricole

La Commission européenne s'est inquiétée des particularités du secteur agricole croate. En effet, l'agriculture croate reste aux mains de nombreux petits agriculteurs privés dont les exploitations sont modestes et morcelées. Ce modèle, classique et majoritaire en Europe il y a cinquante ans, existe chez la plupart des nouveaux membres de l'Union et en particulier en Pologne. La question se pose effectivement de savoir si, au nom du modèle dominant en Europe, il faut procéder en Croatie à des réformes structurelles susceptibles de déstabiliser le tissu social ou, au contraire, maintenir une agriculture familiale, diversifiée et de qualité.

3. Ce que les négociations d'adhésion ont mis en relief

La Croatie a conclu l'ensemble des chapitres de négociation, mais il n'est pas indifférent que les chapitres les plus difficiles, c'est-à-dire le chapitre 8 (concurrence) et le chapitre 23 (justice et droits fondamentaux), n'aient été conclus qu'à la fin du processus.

La concurrence

On rappellera que le chapitre 8 vise à garantir une concurrence juste entre Etats membres et, qu'à ce titre, il implique la restructuration des chantiers navals croates afin de mettre un terme à toute subvention publique de la part de l'Etat croate. La Croatie a longtemps retardé cette réforme politiquement sensible d'un secteur économique stratégique. Il est question de plusieurs milliers d'emplois. La Croatie doit maintenant mettre en oeuvre les plans de restructuration sur lesquels elle s'est engagée.

La justice et les droits fondamentaux

Ce point était pour l'Union le plus sensible car les récentes expériences roumaine et bulgare avaient conduit à renforcer les précautions du côté européen. C'est ainsi qu'il a été exigé des autorités croates - parfois sans ménagement diplomatique - des efforts très intenses en matière de réforme de la justice aussi bien dans le domaine du recrutement, de la formation que de l'indépendance des juges. Ont été passés au crible la réduction des arriérés judiciaires, le jugement des crimes de guerre, la lutte anti-corruption, le relogement des réfugiés, le traitement des minorités et le respect des droits fondamentaux. La Croatie devra poursuivre ses efforts et soutenir activement la réforme judiciaire et la lutte anti-corruption jusqu'à son entrée dans l'Union tout en fournissant des rapports convaincants des progrès accomplis.

C'est dans cet esprit que la France a proposé un mécanisme de suivi de la Croatie jusqu'à l'adhésion, plus particulièrement pour les chapitres 8 et 23 ainsi que le chapitre 24 (justice, liberté, sécurité). En cas de nécessité, le Conseil pourra prendre des mesures appropriées sur proposition de la Commission. Ces clauses de monitoring sont insérées dans le traité d'adhésion.

La lutte contre la corruption

La corruption est apparue au cours des négociations comme un problème majeur et une priorité pour le gouvernement croate.

Toutefois, l'action énergique du gouvernement croate a été saluée, car il a apporté une attention particulière au cadre juridique et institutionnel de la lutte contre la corruption. Une bonne coopération s'est installée entre la justice croate et les agences internationales. Il convient de poursuivre le renforcement des capacités administratives des services de lutte contre la corruption, en particulier celles de l'Office contre la corruption et le crime organisé (USKOK). Un effort supplémentaire devra aussi être consenti pour corriger les insuffisances de la transparence dans les domaines des dépenses publiques comme dans celui du financement de la vie politique.

La réforme de la justice

On ne peut que se réjouir des efforts importants mis en oeuvre pour accélérer la réforme du système judiciaire, réduire le nombre d'affaires en souffrance et rationaliser le système judiciaire par l'agrandissement des tribunaux et la spécialisation des juges.

La Croatie a créé une école des professions judiciaires et renforcé l'indépendance dans la nomination aux fonctions judiciaires.

Nos interlocuteurs ont souligné que la réforme judiciaire était celle dont ils étaient les plus fiers, tout en reconnaissant qu'elle ne porterait tous ses fruits qu'à moyen terme.

La nécessité de réduire le rôle de l'Etat dans l'économie

La Croatie a été invitée par Bruxelles à rationaliser son secteur public et à poursuivre l'assainissement des finances publiques en réduisant les dépenses publiques et en réformant le secteur de la santé.

La rigidité du marché du travail a été soulignée lors des négociations et la Croatie s'est engagée à lever les obstacles qui s'opposeraient encore à sa fluidité.

L'aptitude à remplir les obligations découlant de l'adhésion

Nos interlocuteurs se sont dits pleinement conscients que la signature du traité d'adhésion marquait une première étape mais qu'il convenait de poursuivre les réformes engagées.

La Croatie a prouvé qu'elle était prête à assumer les obligations découlant de son adhésion à l'Union européenne grâce à un bon degré d'harmonisation avec l'acquis communautaire dans la plupart des secteurs ; elle devra cependant accorder une attention particulière aux capacités administratives nécessaires à la bonne mise en oeuvre du corpus législatif communautaire.

Notre mission en Croatie nous a convaincus que la Croatie devait entrer dans l'Union et que nous devions manifester notre approbation. C'est pourquoi je vous propose d'adopter la proposition de résolution qui vous a été distribuée. Le traité sera signé le 9 décembre ; en ce qui concerne le Sénat, il nous a semblé sage de signaler notre approbation dès maintenant.

La commission a ensuite examiné la proposition de résolution.

A la suite d'un large débat, auquel ont pris part Mmes Catherine Tasca, Colette Mélot et Catherine Morin-Desailly et MM. Alain Richard et Jean-Paul Emorine, des modifications rédactionnelles ont été apportées à la proposition de résolution.

Ainsi, le 8e paragraphe est devenu « estime que l'entrée de la Croatie dans l'Union européenne est un encouragement pour les autres pays des Balkans occidentaux à poursuivre leur engagement en faveur de la stabilité régionale ». Au 9e paragraphe, le mot « population » a été changé au profit de l'expression « peuples et nations ». Le 10e paragraphe est désormais rédigé ainsi : « souhaite que la France soit parmi les premiers Etats membres à mener à terme la procédure de ratification du traité d'adhésion et adresse, par une approbation rapide, un message d'encouragement à la Croatie ». Le 11e paragraphe met à jour la date de la signature, qui a été avancée au 9 décembre.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Richard

Avant que nous nous prononcions, je voudrais souligner que le service du Quai d'Orsay chargé des ratifications est sinistré, ce qui entraîne de longs délais. Je considère qu'il faudrait attirer l'attention de tous sur ce problème.

Debut de section - PermalienPhoto de Simon Sutour

Je propose que nous fassions un courrier au ministre d'Etat pour le charger de remercier notre chancellerie à Zagreb et lui transmettre la proposition de résolution.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Tasca

Pouvez-vous nous dire en quelle langue se sont tenus les entretiens à Zagreb ?

Debut de section - PermalienPhoto de Simon Sutour

Ils se sont déroulés en français la plupart du temps.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Tasca

Je me réjouis que la francophonie se porte bien.

Debut de section - PermalienPhoto de Simon Sutour

La Croatie a un poste d'observateur à la francophonie.

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

Je précise que le problème en Croatie n'est pas la langue. Le problème, c'est le passif qui existe avec la France à cause de la position de la France au moment de la guerre.

Debut de section - PermalienPhoto de Simon Sutour

Je remarque que beaucoup de responsables politiques croates sont des femmes.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Morin-Desailly

Mais le pourcentage de femmes croates dans la vie publique est dans la moyenne européenne (25 %).

Debut de section - PermalienPhoto de Colette Mélot

Qu'en est-il des relations avec la Slovénie qui est membre de l'Union européenne depuis 2004 et de la zone euro depuis 2007 ? Vos interlocuteurs ont-ils fait allusion aux relations croato-slovènes ?

Debut de section - PermalienPhoto de Simon Sutour

Le problème a été abordé et nous avons été accusés de laisser la Slovénie faire pression impunément. Nous avons été informés du délicat problème de la Baie de Piran. Cependant, la Slovénie a déjà un accès aux eaux internationales. Les deux pays ont accepté une procédure arbitrale. Il faut donc attendre l'arbitrage.

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

Il y a aussi des « terres irrédentes » entre la Slovénie et l'Italie !

Debut de section - PermalienPhoto de Simon Sutour

Que chacun se rassure : il y a un million de touristes slovènes en Croatie chaque été.

A l'issue de ce débat, la commission des affaires européennes a adopté, à l'unanimité la proposition de résolution européenne dans le texte suivant :

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu l'avis de la Commission du 12 octobre 2011 (COM 2011 667 final) concernant la demande d'adhésion à l'Union européenne présentée par la République de Croatie,

Vu le rapport d'information n° 610 (2010 - 2011) de MM. Jacques Blanc et Didier Boulaud au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées,

Considérant que les négociations d'adhésion de la Croatie ont été conclues avec succès le 30 juin 2011 et que la Croatie a été invitée à poursuivre son effort de réforme jusqu'au jour de son entrée dans l'Union européenne, le 1er juillet 2013 ;

Considérant qu'à l'initiative de la France et de l'Allemagne, un mécanisme de suivi a été mis en place pour s'assurer que le processus de réforme se poursuivra dans les meilleures conditions jusqu'au 1er juillet 2013 et que ce mécanisme constitue la garantie que le calendrier sera respecté ;

Considérant que la Croatie a prouvé qu'elle soutenait l'objectif majeur de l'Union européenne, à savoir - comme l'indique le préambule du traité sur l'Union européenne - une union sans cesse plus étroite entre les peuples de l'Europe ;

Estime qu'aujourd'hui, la Croatie répond aux critères politiques nécessaires à l'adhésion et qu'elle pourra satisfaire aux critères économiques d'ici la date retenue pour son adhésion, à savoir le 1er juillet 2013 ;

Estime que l'entrée de la Croatie dans l'Union européenne est un encouragement pour les autres pays des Balkans occidentaux à poursuivre leur engagement en faveur de la stabilité régionale ;

Félicite la Croatie pour son engagement dans la nécessaire réconciliation des peuples et nations ayant pris part au conflit issu de l'éclatement de la fédération yougoslave ;

Souhaite que la France soit parmi les premiers Etats membres à mener à terme la procédure de ratification du traité d'adhésion, et adresse, par une approbation rapide, un message d'encouragement à la Croatie ;

Invite en conséquence le Gouvernement à déposer le projet de loi autorisant la ratification du traité d'adhésion rapidement après la signature de celui-ci prévue le 9 décembre 2011.

Debut de section - PermalienPhoto de Simon Sutour

Je voulais dire un mot du déblocage de la situation sur le Programme européen d'aide alimentaire aux plus démunis.

Comme vous le savez, le programme européen d'aide alimentaire, inscrit dans les crédits de la PAC, a été mis en place en 1986-1987 pour distribuer les surplus agricoles aux associations caritatives.

Cependant, la fin de ces surplus agricoles a transformé la nature du programme, qui est devenu un programme d'achat sur les marchés de produits alimentaires. Cette transformation a été censurée par la Cour de Justice.

La Commission européenne a déposé une nouvelle proposition pour régulariser la situation, mais six pays (Allemagne ; Danemark ; Pays-Bas ; République tchèque ; Royaume-Uni ; Suède) ont contesté le maintien de ce programme au sein de la PAC et formé une minorité de blocage.

A la suite de longues négociations entre l'Allemagne et la France, les deux pays sont parvenus à un accord, ce qui a entraîné la fin de la minorité de blocage. Cet accord prévoit la poursuite du programme à son niveau passé (500 millions d'euros par an) jusqu'au 31 décembre 2013.

Cet accord franco-allemand a été présenté au Conseil du 14 novembre parmi les « points divers » de la réunion, ce qui ne constitue donc pas une décision formelle du Conseil dans son ensemble. Le Conseil a seulement constaté l'existence de l'accord franco-allemand et de la fin de la minorité de blocage.

Un nouveau projet de règlement tenant compte de cet accord doit être rédigé par la Commission et adopté formellement par le Conseil. L'adoption du texte pourrait intervenir avant la fin de l'année 2011, au plus tard en janvier 2012. Le Parlement européen doit également adopter le texte car nous sommes en régime de codécision.

Pour la période suivant le 31 décembre 2013, l'accord franco-allemand ne se prononce pas. La Commission européenne a déjà esquissé des pistes (programme intégré au FSE), mais pour l'instant il n'y a aucune garantie de poursuite du programme après 2013.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Lorrain

Les sénateurs UMP de la commission se réjouissent de cet accord, qui assure la continuité du programme pour les deux prochaines années. Nous saluons le travail du ministre Bruno Le Maire qui s'est beaucoup impliqué pour parvenir à ce résultat. Nous regrettons en revanche que la Commission européenne n'ait toujours pas répondu au texte que notre commission lui avait adressé dans le cadre de la « procédure Barroso », en juin dernier, après un vote unanime. Nous souhaitons que notre commission réfléchisse aux moyens de pérenniser le programme au-delà de 2013.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernadette Bourzai

J'avais personnellement alerté notre commission lorsque le PEAD avait commencé à paraître en danger. Nous pouvons tous nous réjouir aujourd'hui de la prolongation du programme. Il faut effectivement réfléchir à la suite. La Cour de justice était fondée à dire que les distributions après achats sur les marchés manquaient de base juridique. Il faut trouver une solution pérenne pour ce programme qui est indispensable et qui représente un euro par habitant de l'Union. Si nous ne pouvons pas conserver ce type de programme, à quoi bon parler de solidarité entre Européens ?

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Richard

Il ne sera pas facile de trouver une solution satisfaisante. Je ne suis pas sûr que les traités donnent une base appropriée. La PAC est de compétence communautaire, mais l'aide sociale est une compétence nationale. La vocation du FSE n'est pas le soutien aux actions caritatives.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Lorrain

Au-delà des règles, il y a des valeurs européennes, dont la solidarité, qui doivent inspirer l'action.