Mission d'information organisation, place et financement de l'Islam en France

Réunion du 17 mars 2016 à 13h30

Résumé de la réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Corinne Feret

Nous accueillons aujourd'hui M. Makhlouf Mamèche, président de la Fédération nationale de l'enseignement privé musulman (Fnem) et son conseiller, M. Michel Soussan. Si la fédération, créée en 2014, est récente, la question de l'enseignement privé musulman n'est pas nouvelle dans le débat public. Elle a pris corps avec la création à Lille d'un lycée puis d'un collège Averroès dont, monsieur Mamèche, vous avez rejoint l'équipe de direction. Vous êtes également vice-président de l'Union des organisations islamiques de France (UOIF) en charge de l'enseignement privé.

Nous mesurons bien que l'enseignement privé musulman n'est pas une modalité directe du culte, mais notre mission a souhaité recueillir votre point de vue, ce type d'enseignement étant en lien direct avec le développement de la pratique de l'Islam en France.

Sur la base de vos propres observations, pourriez-vous nous faire part des attentes de la communauté musulmane en matière d'enseignement privé, peut-être en comparaison avec le modèle de l'enseignement catholique ou protestant ? Assiste-t-on en France à une montée en puissance des établissements scolaires confessionnels ? Quel contrôle l'État exerce-t-il sur ces établissements ? Enfin, quel contenu relatif à la pratique de l'Islam - l'enseignement coranique par exemple - y est-il dispensé ? Selon vous, à quel mode de vie un musulman doit-il se conformer dans la société française ?

Debut de section - Permalien
Makhlouf Mamèche, président de la Fédération nationale de l'enseignement privé musulman (FNEM)

Merci de cette invitation. L'enseignement privé musulman en France s'inscrit pleinement dans le paysage éducatif français, en respectant les programmes d'enseignement - y compris les établissements hors contrat - et les valeurs de la République. Apparu au début des années 2000, il répond à un réel besoin scolaire et à une demande grandissante. C'est un levier de développement pour l'enseignement privé, en rien un repli identitaire ou un refuge.

Les établissements privés musulmans sont des lieux d'éducation et d'enseignement pour réussir sa scolarité et non apprendre par coeur le Coran. Ils s'inscrivent dans un paysage franco-français et représentent un endroit idéal pour transmettre les valeurs de l'Islam, en parfaite harmonie avec celles de la République : le vivre ensemble, le respect d'autrui, la paix, l'amour, pour lutter contre toutes les formes de radicalisme et d'extrémisme.

L'enseignement privé n'a pas pour but de remplacer l'enseignement public mais d'offrir le choix aux parents d'élèves de profiter de cette valeur ajoutée qu'est le caractère propre de nos établissements. La création de ces établissements n'est en aucun cas un signe d'échec de l'intégration. C'est au contraire un signe de réussite puisque les musulmans intègrent le système éducatif français, au même titre que les catholiques, les protestants, les juifs ou les laïcs, en tant que composante de la société.

En mars 2014, les établissements Averroès à Lille, Al Kindi à Lyon, Ibn Khaldoun à Marseille, La Plume à Grenoble et Éducation et Savoir à Vitry-sur-Seine se sont unis en fédération nationale, à l'instar des établissements catholiques ou juifs, avec pour perspective l'organisation et la structuration de l'enseignement privé musulman. Cette fédération, qui mutualise les expériences, est l'interlocuteur privilégié des pouvoirs publics. Constituée de soixante établissements privés - surtout des écoles primaires - dont six sous contrat, elle accompagne et coordonne les porteurs de projet, puisque des nouveaux établissements sont créés chaque année.

Les cinq premières années de son existence, c'est-à-dire la période d'observation, un établissement est hors contrat ; il ne reçoit pas de subvention publique. Les porteurs de projet, que je salue, assument eux-mêmes le budget de leur établissement, mus par le courage. Ce financement intégral n'est pas une mince affaire.

Au bout de cinq ans, il est possible de signer un contrat. Seul le lycée Averroès est sous contrat total. Pour les cinq autres concernés, le contrat est partiel. Ainsi, deux établissements ont signé l'an dernier un contrat pour une seule classe. Le groupe scolaire Al Kindi à Lyon a signé son premier contrat en 2011 ; chaque année, une classe est ajoutée. À ce rythme-là, s'il compte vingt classes, il faudra attendre vingt ans pour que tout l'établissement soit sous contrat...

J'attends un geste politique fort du Gouvernement, du ministère de l'éducation nationale, pour rattraper ce retard. Le contrat d'association est le meilleur moyen de contrôler non seulement les finances mais aussi la pédagogie. Un vrai dialogue doit s'installer pour voir où sont les problèmes.

La formation du personnel représente également un grand chantier. Les autres branches de l'enseignement privé ont leurs centres de formation des maîtres - nous avons ce déficit.

Quand une école musulmane ouvre, on pense qu'il y a un problème de repli identitaire, de communautarisme et on met des bâtons dans les roues en pointant la communauté musulmane. Je vous invite à ouvrir un dialogue franc avec les porteurs de ces projets, vous serez étonnés de voir à quel point ils défendent les valeurs de la République. Il est faux de parler d'islamisme ou de repli.

J'ai visité nombre d'établissements, été invité à nombre de rencontres. L'objectif de l'ouverture d'un établissement privé musulman n'est pas d'en accroître le nombre mais de répondre à un réel besoin scolaire et d'assurer la qualité de l'enseignement. En outre, ces établissements doivent être ouverts à tous, y compris bien sûr les non-musulmans, comme les autres.

À l'enseignement de qualité, s'ajoute un caractère propre : outre l'éthique musulmane, matière facultative, on essaie de transmettre les valeurs de cette grande religion. Le programme est celui de l'éducation nationale - les établissements sous contrat reçoivent des inspecteurs de l'académie. La langue arabe, langue vivante comme le sont l'espagnol ou l'anglais, est enseignée, comme partout ailleurs. On enseigne aussi l'éthique et la religion musulmane comme on fait le catéchisme dans les établissements catholiques ou l'enseignement de la Torah pour les juifs. Nous essayons de transmettre nos valeurs d'amour, de respect d'autrui.

Nos établissements sont ouverts à tous les contrôles qui existent. Les portes sont ouvertes, et je demande l'instauration d'un vrai dialogue. La meilleure façon de les contrôler est encore de les faire passer sous contrat.

Nous avons tout à gagner à donner à l'enseignement privé musulman les moyens de réussir.

Debut de section - Permalien
Michel Soussan, conseiller

J'ai fait toute ma carrière dans l'éducation nationale. Avant mon dernier poste en tant que directeur de l'académie de Paris, je suis passé par des académies à forte implantation de l'enseignement privé catholique, je pense à la Bretagne - et bien sûr l'Orne, Madame le rapporteur. J'y ai beaucoup connu l'enseignement privé sous contrat. Lorsque j'ai pris ma retraite, j'ai été appelé par le président de l'association Averroès, qui m'a demandé si je pouvais être le coach du directeur, qui était alors dépourvu de tout supérieur. C'est ainsi que je me suis attaché à cet établissement, dont je suis devenu conseiller pédagogique. En fait, j'exerce cette fonction aussi bien en direction des enseignants que des élèves et des parents d'élèves. Je m'y suis extrêmement impliqué jusqu'à ce que le président du conseil départemental du Nord m'appelle à ses côtés sur les questions d'éducation. Je suis donc un peu moins présent à Averroès. Mais j'invite les sénateurs à venir en visite.

La Fnem a élaboré une charte des principes fondateurs de l'enseignement privé musulman de France, à laquelle les établissements membres doivent souscrire. J'en suis garant. Je suis un militant laïc qui ne pratique aucune religion, et je souhaite montrer qu'un établissement confessionnel peut défendre constamment les valeurs de notre pays. Le lycée Averroès accueille des enfants non musulmans.

Le problème de l'enseignement musulman est politique. Nous avons besoin d'une volonté politique. Notre lettre du 4 janvier à la ministre de l'éducation nationale, qui demandait des moyens, est restée sans réponse. Alors que la Fnem regroupe 5 000 élèves dans une soixantaine d'établissements, qu'une quinzaine ouvre, que six peuvent passer sous contrat, nous n'avons pas réussi à savoir quelle serait la dotation attribuée pour la rentrée prochaine.

Le budget de l'État accorde aux établissements privés les moyens de fonctionner dès l'adoption de la loi de finances. L'enseignement catholique connaît sa dotation au mois de décembre. Les autres établissements qui dépendent de la réserve, c'est-à-dire de ce qui sera distribué ensuite - selon des critères inconnus -, ne connaissent leur dotation que tardivement. Cette année, la réserve comprend soixante-dix contrats. Alors que nous souhaitons être informés en temps utile, comme l'enseignement catholique, on ne nous informe pas.

Le passage sous contrat classe par classe est excessivement lent. Il aurait fallu vingt ans pour Averroès et ses vingt classes. À l'époque, le préfet Daniel Canepa avait obtenu ce passage en une fois.

Ce système conduire aussi à des situations paradoxales. Ainsi, le groupe scolaire Al Kindi compte deux classes de troisième, dont une seule est sous contrat. Dans ce cas, pour le brevet, les élèves passent trois épreuves, outre le contrôle continu. Hors contrat, les élèves passent toutes les épreuves. Que fait-on, avec ces deux classes ? Comment répartir les élèves ?

Le lycée Averroès n'est pas coranique. La religion n'est pas une matière. Il n'existe que l'éthique musulmane, qui n'est pas obligatoire. Les élèves sont en majorité musulmans, mais ils ne le sont pas tous. À l'entrée en sixième ou en seconde, des parents non musulmans demandent s'ils peuvent inscrire leurs enfants. Oui ! La seule contrariété étant que nous avons quatre fois plus de demandes que de places.

À la différence de ce que j'ai connu dans l'enseignement public, et contrairement à ce qu'affirme l'inspecteur général Jean-Pierre Obin, il n'existe pas de cas d'extrémisme ni de radicalisation. Nous avons seulement signalé une jeune fille à la cellule nationale de prévention de la radicalisation après avoir interrogé quelques élèves venus nous dire qu'elle écoutait des émissions sur internet toute la nuit. Contrairement à ce que dit avec méchanceté et malveillance un professeur de philosophie, il n'y a jamais eu d'antisémitisme au lycée Averroès. Moi qui suis juif d'origine, je serais parti si j'en avais senti le moindre relent. Nous avons fait venir un rabbin et projetons d'emmener les enfants à Auschwitz et Birkenau. Nous cultivons avec beaucoup de force le dialogue interreligieux, et comme notre président de conseil départemental Jean-René Lecerf, nous sommes très partisans de l'enseignement du fait religieux.

Le lycée Averroès est un établissement exemplaire. Les inspecteurs venus nous contrôler nous ont dit que nous étions le seul établissement de l'académie à appliquer avec autant de rigueur le nouvel enseignement moral et civique. Nous avons des anciens élèves étudiants en médecine, ingénieurs... L'honneur de cet établissement est d'être un modèle. Il est beaucoup sollicité par d'autres qui souhaiteraient l'imiter. Je dis parfois que c'est la seule institution musulmane française qui ait vraiment réussi.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Merci pour ce vibrant plaidoyer. Je vois que M. Soussan a gardé toute son énergie.

Comment et par qui le financement de la construction et de la mise en place des établissements est-il assuré ? Comment et par qui s'effectue le choix et le paiement des enseignants ? Quel est leur statut ?

J'ai bien compris la rupture d'égalité entre les classes sous contrat et les autres, et votre plaidoirie pour un enseignement religieux. J'ai compris que certains élèves n'étaient pas musulmans. J'en déduis que le voile n'y est pas obligatoire : merci de me le confirmer.

Ces questions techniques sont extrêmement importantes pour ne pas créer la suspicion. Mieux les choses sont dites, plus nous serons à même d'être efficaces.

Debut de section - Permalien
Makhlouf Mamèche, président de la Fédération nationale de l'enseignement privé musulman (FNEM)

Certains établissements sont nés au sein d'une mosquée, dans des salles de cours destinées à l'apprentissage de la langue arabe ou à l'école coranique. D'autres gestionnaires d'écoles louent ou achètent un bâtiment dédié à l'enseignement.

Les enseignants relèvent du droit privé, comme dans tout le secteur hors contrat. Le contrat de travail est signé entre le professeur et l'organisme gestionnaire de l'établissement.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Plus précisément, l'argent provient-il d'une collecte ?

Debut de section - Permalien
Makhlouf Mamèche, président de la Fédération nationale de l'enseignement privé musulman (FNEM)

Le financement des établissements coûte cher. C'est un grand sacrifice. On organise des soirées caritatives pour financer tel ou tel projet, on organise des collectes dans les mosquées. Le financement provient aussi de l'étranger, même si c'est très difficile. Il existe des fondations, surtout dans les pays du Golfe, qui aident à financer la mise en place d'établissements privés musulmans - l'achat du bâtiment par exemple, mais pas le fonctionnement - tels que la Banque islamique de développement, basée à Djeddah, la fondation Qatar Charity, le Croissant rouge et d'autres organismes au Koweït, aux Émirats arabes unis. Il faut préparer un dossier qui passe dans différents circuits.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Soyez à l'aise. Ces structures, dès lors que l'État ne les finance pas, doivent trouver l'argent quelque-part. Cette question est tout à fait légitime. N'y voyez pas d'arrière-pensée.

Debut de section - Permalien
Makhlouf Mamèche, président de la Fédération nationale de l'enseignement privé musulman (FNEM)

L'émir du Qatar a donné à la Sorbonne deux ou trois millions d'euros cette année. Personne n'en parle. Mais si un établissement privé musulman reçoit un ou deux millions d'euros, il y a débat. Recevoir de l'argent de l'étranger n'est pas interdit. Par contre, si un don est conditionné, nous le refusons de la manière la plus claire.

Debut de section - Permalien
Michel Soussan, conseiller

Le président de l'association Averroès a dit que le premier des contrats d'association était celui qu'il avait conclu avec les parents d'élèves, qui contribuent par leurs dons ou en acquittant les frais de scolarité. Les familles et la communauté musulmane autour de la grande mosquée de Lille sont aussi très présentes.

Une fois, nous avons été contactés par une fondation du Golfe qui proposait d'acheter nos locaux pour nous les louer. Nous avons décliné. Averroès reste extrêmement soucieux de garder son indépendance, surtout vis-à-vis de pays preneurs de sa notoriété.

Debut de section - Permalien
Makhlouf Mamèche, président de la Fédération nationale de l'enseignement privé musulman (FNEM)

Dans les établissements privés musulmans, le voile n'est ni obligatoire ni interdit. Les filles peuvent venir voilées ou non. Les inspecteurs d'académie jugent parfois utile de mentionner dans leur rapport que certains professeurs ou certaines élèves sont voilées. Précisent-ils de la même manière que le directeur d'un établissement catholique porte une croix ? On focalise sur le foulard.

Debut de section - PermalienPhoto de Josette Durrieu

Dans les écoles musulmanes, on enseigne la langue arabe et la religion, en plus du programme de l'Éducation nationale. Y aurait-il d'autres demandes de la part des parents qui inscrivent leurs enfants dans ces établissements ?

Le financement de votre établissement est assuré par des porteurs de projets. Vous nous avez rassurés en nous assurant que l'argent en provenance de l'étranger ne pouvait pas être conditionné. La question est légitime en cette période.

Comment gérez-vous la mixité ? Le problème se pose déjà de manière très compliquée à l'école publique laïque, notamment au sujet de la participation des jeunes filles au cours de gymnastique, alors qu'en est-il chez vous ?

Vous n'avez noté aucun cas de radicalisation. Faites-vous de la prévention ? Certains cours traitent-ils ce problème ?

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Karoutchi

J'aurais été très étonné si vous étiez venus nous dire que vous représentiez une difficulté pour la République. J'ai toujours été favorable au développement d'un enseignement privé à côté de l'enseignement laïc, qu'il soit catholique, juif ou musulman. Certaines familles sont attachées aux valeurs religieuses, ce qui est tout à fait normal. En revanche, le financement peut poser problème. Si beaucoup d'établissements privés catholiques ou juifs sont sous contrat d'association, c'est simplement que leur création est ancienne. Le passage sous contrat s'effectue de manière progressive et demande du temps. Je suis certain que dans dix ans, il y aura beaucoup d'établissements privés musulmans sous contrat. Tant mieux, car c'est la meilleure garantie d'un contrôle régulier par les inspecteurs.

Les établissements privés musulmans ont parfaitement le droit d'être financés de l'extérieur. Cependant, l'objectif de notre mission d'information est de déterminer précisément pourquoi le financement de ces établissements ou des mosquées vient essentiellement de l'extérieur. Dans notre monde imparfait, il est légitime de se demander si les fondations ou les pays étrangers qui financent massivement l'Islam de France le font en toute neutralité. Avez-vous fait des propositions au ministère pour développer des solutions de financement reposant sur les familles en fonction de leur capacité contributive ? Je le répète depuis le début de nos travaux, je suis pour un Islam de France totalement intégré et accepté. Il ne pourra pas se mettre en place sans une révolution dans son organisation. La rupture avec le financement étranger en fera partie.

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

Qu'en est-il de la mixité et du suivi des enseignements par tous les élèves ? A Woippy, en Moselle, la moitié de la population est de confession ou de culture musulmane, dans certains établissements, ça représente les trois-quarts des élèves scolarisés. Il est arrivé que certains enseignements scientifiques soient contestés au nom d'une interprétation littéraliste du Coran, comme certains protestants contestent les thèses évolutionnistes aux États Unis.... Le problème se pose aussi parfois pour la pratique du sport par les filles. Comment gérez-vous ce type de situation ?

Dans les établissements catholiques, les filles de confession musulmane sont autorisées à porter le voile. D'où les inscriptions en hausse après le vote de la loi interdisant le port de signes religieux ostentatoires à l'école.

La population musulmane vit souvent dans des quartiers défavorisés où la carte scolaire est plus difficile qu'ailleurs. En choisissant de scolariser leur enfant dans un établissement privé, les parents échappent à ce déterminisme social et éducatif. Le lycée Averroès est aussi exemplaire que son nom le laisse entendre. Comment les parents réagissent-ils ? Vous poussent-ils parfois à en faire plus ?

Il y a une vraie réticence de la part de l'État face au développement de l'enseignement musulman, à la fois au nom d'une laïcité négative et par crainte de l'Islam. Il y a beaucoup de non-dits dans cette affaire. Quel rôle joue-t-elle dans l'absence de financement public ? Et quelle est la part des restrictions budgétaires ?

Je suis pour la construction d'un Islam de France, et je trouve contradictoire l'interdiction de financement des établissements musulmans par des fonds publics. Étant d'un département concordataire, je suis le seul maire à avoir construit une mosquée municipale. Compte tenu des moyens souvent limités de nos concitoyens musulmans, sans ces fonds, il n'y a pas d'autre recours que de faire appel à des financements étrangers pour édifier des bâtiments. Or, lorsque ce type de financement a une influence sur le fonctionnement des établissements, cela devient dangereux. Pour couper ce lien de dépendance financière, il faudrait remettre en vigueur la fondation des oeuvres de l'Islam de France. Malheureusement, elle ne fonctionne pas. Faut-il envisager qu'elle soit financièrement alimentée par le circuit halal ? À cela s'ajoute l'éclatement des musulmans de France qui rend la situation difficile, car même si on avait l'argent, comment le répartir ?

Debut de section - Permalien
Michel Soussan, conseiller

Au lycée Averroès, l'enseignement est obligatoire et neutre. Tous les enseignements du programme de l'Éducation nationale doivent être dispensés. Je me suis souvent insurgé contre les parents qui s'y opposaient. On a déjà eu des questions de ce type, par exemple avec des enfants Témoins de Jéhovah, mais notre position est constante : s'ils ne veulent pas suivre le programme, il faut que les parents choisissent un autre établissement. Les inspecteurs viennent souvent nous voir : ils n'ont jamais constaté de manquement.

Nous accueillons beaucoup plus d'élèves non voilées que d'élèves voilées. Certaines enseignantes sont voilées, d'autres non. Certains élèves sont de confession musulmane, d'autres non. Le mélange est total.

La mixité reste un sujet sensible. Nous n'acceptons pas les exigences de certains parents qui souhaiteraient que leur fille ne soient pas assise à côté d'un garçon. Les cours d'EPS sont mixtes, sauf lorsque la discipline sportive ne s'y prête pas. Bien sûr, je ne peux parler qu'au nom de mon établissement. On a refusé de nous recevoir à l'école Arc-en-ciel de Roubaix, sous prétexte que l'établissement n'accueillait pas les hommes. Il y a des cas extrêmes.

Debut de section - Permalien
Makhlouf Mamèche, président de la Fédération nationale de l'enseignement privé musulman (FNEM)

Les parents scolarisent leurs enfants dans des établissements musulmans pour des raisons de proximité ou pour conserver la possibilité d'y porter le voile. La réussite scolaire est également une motivation importante, car les parents sont très conscients de l'enjeu que cela représente pour l'avenir de leurs enfants, ce qui n'était pas le cas il y a quelques années. La communauté musulmane accorde beaucoup d'importance à l'éducation. La réussite scolaire est un défi à relever. Le lycée Averroès a été classé premier lycée de France en 2013, il était quinzième l'an dernier. Les parents font la queue pour y inscrire leurs enfants, parfois au prix de lourds sacrifices, car on recense 60 % de boursiers parmi nos élèves.

Je suis d'accord avec vous : l'Islam en France doit céder la place à l'Islam de France. Je participerai, le 21 mars prochain, à l'instance de dialogue avec le culte musulman qui se réunit une fois par an. On n'y règlera certainement pas tous les problèmes. Les États étrangers interviennent sans cesse dans l'Islam de France, parce qu'on leur en donne l'occasion. Le Conseil français du culte musulman (CFCM) est dans l'incapacité d'organiser le financement de nos établissements, il faut bien que les fonds viennent d'ailleurs. Le jour où nous réussirons à être indépendants financièrement, ce sera l'avènement de l'Islam de France. Comment trouver la solution ? On accumule du retard tant pour les lieux de culte que pour les établissements d'enseignement privé. Les instances étrangères perçoivent nos faiblesses et en profitent. Je rêve, inch' Allah, d'une indépendance totale. Les musulmans sont parfaitement capables d'assumer leurs responsabilités. Il faudrait ouvrir un vrai dialogue avec les pouvoirs publics pour trouver des solutions.

Imaginez que les frères Kouachi soient passés par un établissement privé musulman : cela aurait été catastrophique pour notre image. Heureusement, à l'époque, ce type d'établissement n'existait pas encore. Le plus ancien date de 1947, à la Réunion et de 2001 en métropole, avec la Réussite à Aubervilliers ou la Plume à Grenoble. Pour éviter ce genre de dérive, il faut prendre l'initiative dès le début et ne pas laisser le désordre s'installer. La société est éclatée. Les établissements privés musulmans scolarisent 5 000 élèves, qui sont aussi de futurs citoyens et des enfants de la République. Ils ont droit à un enseignement de qualité. La République a le devoir de les prendre en charge, que ce soit hors contrat ou sous contrat.

Debut de section - Permalien
Michel Soussan, conseiller

Le monde musulman est une victime collatérale du débat sur la laïcité. Il est pris entre les feux d'une laïcité apaisée et d'une laïcité que l'on pourrait presque qualifier d'intégriste. Le ministère oscille entre sa volonté politique de nous aider et sa réticence à ranimer un débat difficile en France.

Debut de section - Permalien
Makhlouf Mamèche, président de la Fédération nationale de l'enseignement privé musulman (FNEM)

Je conclurai en citant un manuel d'histoire pour classe de cinquième dans sa partie consacrée à la présentation du fait religieux. Vous pouvez consulter cet ouvrage : à la rubrique « djihad », question épineuse s'il en est, on trouve en guise de définition un verset directement tiré du Coran : « Combattez ceux qui ne croient pas en Dieu ». Aucune explication n'est donnée sur la situation précise dans laquelle il a été révélé à l'époque du Prophète. Cela me choque, en tant que musulman, car on construit ainsi une vision guerrière de l'Islam, et on la transmet telle quelle à des enfants de douze ans. Sans compter que le manuel multiplie les erreurs de référence. Les auteurs sont incompétents et irresponsables. Il faudrait que les musulmans participent à la rédaction des manuels scolaires, au moins sur ce chapitre.

Debut de section - Permalien
Makhlouf Mamèche, président de la Fédération nationale de l'enseignement privé musulman (FNEM)

C'est un manuel scolaire de cinquième chez Hachette Éducation. Il y en a beaucoup d'autres, bien pires parfois.

Debut de section - PermalienPhoto de Corinne Feret

Je vous remercie de ces informations précieuses pour la compréhension d'enjeux complexes.

La réunion est close à 14h45