Nous reprenons notre cycle d'auditions après la suspension de nos travaux. Nous nous sommes rendus, les deux rapporteurs et moi-même, à Rabat lundi dernier où nous avons visité l'Institut de formation Mohammed VI qui accueille actuellement une trentaine d'étudiants imams français.
Nous avons le plaisir de recevoir M. Becheri, directeur-adjoint de l'Institut européen des sciences humaines (IESH) de Château-Chinon. Cet institut privé est l'un des seuls établissements de formation des imams en France.
Après votre exposé liminaire, je ne doute pas que les questions des rapporteurs et de mes collègues seront nombreuses.
Merci pour votre invitation.
La formation des imams est un grand enjeu pour l'islam de France. Dans la tradition musulmane, cette responsabilité incombe à l'État. C'est d'ailleurs ce qui se passe dans les pays musulmans. La France étant un État laïc, les musulmans doivent supporter cette lourde et complexe tâche. La communauté musulmane a du mal à s'organiser alors que cette formation demande une grande rigueur. Depuis une trentaine d'années, nous sommes conscients de l'importance de ce sujet. En raison des évènements tragiques qui ont touché notre pays, cette prise de conscience s'est généralisée.
En 1984, la réflexion a été engagée sur la création d'un institut. En 1989, la propriété a été achetée à Saint-Léger-de-Fougeret, dans la Nièvre, près de Château-Chinon. Le 7 juin 1990 est né l'IESH, premier centre de formation des imams en Europe. Le statut juridique est celui d'une association loi 1901. En juillet 1990, le conseil scientifique a été créé. En janvier 1992, la première promotion entamait ses études.
Pourquoi un institut européen ? Parce qu'il souhaite accueillir des étudiants de toute l'Europe. Pourquoi un institut des sciences humaines ? Il s'agissait d'élargir la formation à la philosophie, la psychologie, l'histoire, les langues. Pour l'instant, nous avons un département du Coran où les étudiants apprennent le Coran par coeur, ce qui est indispensable pour diriger les prières dans les mosquées. Il existe également un IUFR avec un département de langue arabe et un département de théologie. Une formation complète dans notre Institut dure sept années. L'imam qui a appris le Coran dirige le culte, mais il ne peut intervenir en matière théologique.
Notre programme de théologie est dispensé sur trois ans et il repose à la fois sur la théologie classique et sur les sciences qui permettent aux étudiants de prendre connaissance du contexte dans lequel ils vont évoluer : le programme théologique est proche de celui des grandes universités du monde musulman, qu'il s'agisse de l'Algérie, de la Tunisie, du Maroc ou même de la Turquie. Ainsi sont acquises les bases de la théologie, c'est ce qu'on appelle le Oussoul, fondement de la compréhension du texte. Les Fatwa permettent de répondre aux cas pratiques, en prenant en compte le contexte de la personne qui pose la question.
Dans ce même programme, diverses disciplines sont dispensées comme le droit, la sociologie, la psychologie, la philosophie et l'histoire afin que les étudiants contextualisent leurs connaissances théologiques.
Nous avons choisi une voie médiane entre une lecture littéraliste, rigoriste, qui voudrait que l'islam soit pratiqué de la même façon dans le monde entier, et une lecture du Coran moins orientée vers le juridique, afin de ne pas tenir compte du droit dans la tradition prophétique. Nous prenons donc en considération le texte, tout en le contextualisant. Quand Dieu impose une norme, il donne également le déterminant de cette norme, qui en permet l'application. La pratique doit donc tenir compte des modalités d'application de la norme. L'Ijtihad - effort intellectuel - permet ainsi l'interprétation du texte. La théologie musulmane prévoit elle-même une contextualisation : il s'agit donc là d'une capacité intrinsèque à s'adapter. Dans le monde musulman, c'est cette lecture qui est privilégiée car, dans la mondialisation actuelle, il est impossible de suivre l'islam comme au temps du prophète. En plus de la modernité qui touche le monde entier, nous devons tenir compte du contexte laïc français.
Je vais maintenant vous présenter le bilan de l'IESH : en vingt ans, 500 étudiants et étudiantes ont terminé leurs études en théologie, qu'il s'agisse des internes ou des étudiants à distance qui suivent les cours virtuels par Internet. Il faut y ajouter 180 étudiants qui n'ont étudié que le Coran. En tout, nous avons donc formé environ 700 étudiants qui peuvent être imams, aumôniers, enseignants, présidents d'associations ou même directeurs d'instituts : quatre ou cinq étudiants ont ainsi créé un institut pour apprendre la religion aux enfants musulmans. 90 % des instituts qui dispensent une formation religieuse ont recours à nos étudiants. La réussite de notre enseignement est donc évidente, et permet de prévenir le radicalisme et l'extrémisme. Des instituts se sont créés en Grande-Bretagne, à Paris, en Grande-Bretagne à nouveau, puis à Frankfort et un institut devrait bientôt voir le jour en Finlande. Même si ces instituts sont administrativement et financièrement indépendants, une fédération des instituts a été créée avec un conseil scientifique commun.
Nous sommes ouverts à tout dialogue et tout échange pour mener à bien la formation des imams. En quête de savoirs, d'améliorations et de conseils, nous avons reçu beaucoup de grands professeurs reconnus, comme Mohammed Arkoun, Gilles Kepel, François Burgat, ou encore le père Michel Lelong. Le 28 mai prochain, notre Institut organisera une journée porte ouverte.
Nous allons améliorer notre capacité d'accueil qui est aujourd'hui limitée à 240 étudiants. À court terme, nous devrions passer à 350 étudiants et à long terme à 550 étudiants.
Nous souhaitons que l'État nous aide : jusqu'à présent, nos étudiants n'ont pas de statut reconnu, ce qui les pénalise. Ils ne peuvent toucher les minima sociaux, étant considérés comme étudiants, mais ils n'ont aucun des droits des étudiants. Nos imams n'ont pas non plus de statut : certains étudiants renoncent à devenir imams à cause de ce flou juridique. Vous devez savoir que ce problème se pose dans de nombreuses mosquées.
Merci.
Quel est le profil de vos étudiants ? Restent-ils sept ans à l'IESH ? Parmi vos étudiants, certains viennent seulement apprendre le Coran. Comment peuvent-ils alors contextualiser ? Ces cours de contextualisation nous semblent fondamentaux. Nous nous sommes rendus à Rabat pour rencontrer les étudiants de l'Institut Mohammed VI, tous nous ont dit que la contextualisation était fondamentale et qu'elle leur avait donné une ouverture d'esprit qu'ils n'avaient pas en arrivant.
D'où viennent vos enseignants ? Sont-ils Français ? Votre établissement est considéré comme proche de l'UOIF, et donc des Frères musulmans. Quels sont vos liens avec ces organisations ?
Vos étudiants assument 60 % des coûts de leur formation : comment la financent-ils, surtout s'ils restent sept ans ? Et vous-même, comment financez-vous les 40 % restants ?
Nos étudiants arrivent avec le bac. Un étudiant en Coran n'est pas un imam à la fin de ses études. Il obtient un certificat attestant qu'il a appris le Coran par coeur. Il peut ainsi diriger la prière, notamment pendant le ramadan. La communauté musulmane sait bien qu'un récitateur de Coran n'est pas un imam. Dans un certain nombre de pays musulmans, il y a une sorte de hiérarchie : l'imam pour les prières, l'imam pour les prêches et l'imam de référence qui délivre les avis théologiques. Malheureusement, tel n'est pas le cas en France. Notre centre forme des étudiants mais ne peut s'assurer de la position qu'ils occuperont par la suite. Ceux qui s'en tiennent au Coran deviennent souvent des enseignants du Coran. Pour nous, l'imam doit maîtriser le Coran - même si l'apprentissage du Coran n'est pas obligatoire - apprendre la langue arabe pour comprendre les textes, et suivre les trois années de théologie.
Nos enseignants sont tous français.
Je suis à l'IESH depuis 22 ans, je siège au conseil d'administration, à l'assemblée générale et au conseil de l'Institut : je n'ai jamais reçu un ordre de l'extérieur, qu'il s'agisse des Frères musulmans ou d'autres. Le conseil scientifique se compose d'une partie de nos professeurs, de grands professeurs enseignant dans d'autres universités comme Denis Gril à Aix-en-Provence et de professeurs reconnus dans les grandes universités du monde musulman.
Sur le plan théologique, nous nous inspirons de tout ce qui a été fait par les différents mouvements réformateurs qui ont voulu moderniser l'islam. Nous n'avons jamais reçu de financement des Frères musulmans.
Un étudiant nourri et logé à l'Institut coûte par an entre 5 500 et 6 000 euros. L'étudiant paye 3 500 euros, le reste est pris en charge par l'Institut. Depuis quatre ans, notre budget de fonctionnement est équilibré grâce aux activités que nous avons développées pendant les 16 semaines de vacances annuelles : nous avons une colonie de vacances et nous dispensons des cours intensifs à l'occasion de séminaires. En outre, les étudiants à distance s'acquittent d'une contribution à l'Institut.
L'islam de France est divers, avec trois grands courants qui viennent du Maroc, de l'Algérie et de la Turquie. L'UOIF, que l'on présente proche des Frères musulmans, ne revendique pas de rattachement à un pays étranger. Ces quatre grands courants se disent favorables à la contextualisation mais ont-ils la même définition de ce concept ? Nous déplorons l'absence de consensus entre ces courants qui parfois se dénigrent entre eux. Serait-il possible de concevoir une formation des imams qui dépasse ces cloisonnements ?
À part l'Alsace-Moselle, je ne connais pas le statut des séminaristes ou des étudiants rabbins mais ils doivent bien bénéficier d'une couverture sociale. Quel pourrait être le statut des apprentis imams ?
Ceux que vous formez se retrouvent-ils majoritairement dans des associations ou des mosquées proches de l'UOIF ?
Une taxe sur le hallal permettrait-elle de financer l'Islam de France ? Nous voudrions que la fondation des oeuvres de l'Islam de France fonctionne mais nous nous heurtons aux divisions de la communauté musulmane. Quelles sont les perspectives ?
La dénomination Institut européen des sciences humaines prête à confusion puisqu'il s'agit d'un centre de formation religieux.
Vous parlez d'une lecture littérale stricte du Coran et de contextualisation : n'y a-t-il pas là une contradiction ?
Dans quelle langue dispensez-vous vos enseignements ?
Combien d'imams formez-vous par an ?
Mme Yonnet, qui a du s'absenter, m'a demandé de poser deux questions : votre Institut est-il reconnu par l'Éducation nationale ? Pourquoi ne pas encourager des imams ouvriers, à l'instar des prêtres ouvriers des années 1960 ?
Je souhaite quant à moi vous poser une question sur le financement de votre enseignement. Recevez-vous des dons de pays étrangers ?
Certes, il y a des mosquées marocaines, algériennes et turques mais je récuse l'idée qu'il y ait des cloisonnements entre elles : il n'y a aucune différence entre une mosquée marocaine et une mosquée algérienne et parfois un imam marocain dirige une mosquée algérienne et inversement. Pour nous, le seul pays auquel nous sommes attachés est la France. Si tous les imams français étaient formés à l'étranger, l'Islam de France serait tué dans l'oeuf. Quand un étudiant me dit qu'il a obtenu une bourse pour étudier en Arabie Saoudite, je lui demande où il veut exercer par la suite. S'il veut rester en France, je lui dis qu'il doit étudier dans notre pays. Nous formons des élèves qui prêchent indistinctement dans toutes les mosquées. Notre Institut est ouvert à tous les jeunes de France et d'Europe. En tant que professeur, je choisi mes exemples dans mon contexte, ce qui facilite la formation des étudiants. Nos élèves sortent de notre formation de théologie avec l'esprit ouvert. Notre programme ne se limite pas à une seule interprétation. Nous avons choisi comme modèle Averroès, grand philosophe du droit comparé. Les divergences sont dues au contexte. Le grand imam Al-Chafii, qui vécut en Irak et en Égypte, fonda deux écoles, chacune avec sa propre interprétation du Coran. Grâce à ces exemples, nos étudiants prennent conscience de la nécessité de la contextualisation.
Je ne peux me prononcer sur le statut de nos étudiants mais nous espérons que notre Institut d'enseignement supérieur sera reconnu par l'éducation nationale. Notre dossier est à l'académie de Dijon et j'espère qu'il sera accepté. Je souhaite la reconnaissance de tous les instituts qui, en France, forment les imams : je pense à l'Institut de la grande mosquée de Paris, à l'IESH de Paris et aussi à ceux qui vont se créer. Tous ces instituts devront se rapprocher pour parvenir à un programme commun. Nous avons accueilli avec joie le diplôme universitaire (DU) sur la laïcité qui nous décharge des matières que nous devions enseigner alors qu'il ne s'agissait pas de notre spécialité.
Le nom de notre Institut prêterait à la confusion ? L'idée, au départ, était de créer un institut de sciences humaines pour inscrire les études religieuses dans des études universitaires reconnues. Pour l'instant, nous sommes une association loi 1901 mais peut-être un jour serons-nous reconnus comme un institut à part entière. L'idée européenne nous semblait essentielle et nous voulions accueillir les étudiants de toute l'Europe.
Notre lecture est finaliste, par opposition à la lecture littéraliste qui estime que le décret divin ne s'explique pas. Le « pourquoi » n'a pas sa place dans cette lecture, mais elle est très minoritaire et il n'y a pas aujourd'hui d'école littéraliste reconnue. En revanche, de grand savants littéralistes sont reconnus, comme l'Andalou Ibn Habîb. À l'opposé, nous prônons la lecture finaliste, mais les motivations peuvent varier, d'où des divergences d'interprétation.
En 20 ans, nous avons formé environ 500 étudiants qui pouvaient devenir imams, mais ils ne le sont pas tous devenus. Certains sont aujourd'hui chercheurs, enseignants, prédicateurs, aumôniers ou imams.
L'arabe est la langue des textes, mais aussi la langue commune de nos étudiants qui viennent de toute l'Europe. À l'heure actuelle, onze nationalités différentes sont représentées. Une première promotion est sortie l'an passé d'un cursus dispensé en français sur une plateforme Internet.
Je n'ai pas bien saisi la question sur les imams ouvriers. Nous avons des imams médecins, ingénieurs, pourquoi pas ouvriers ?
Notre budget de fonctionnement est équilibré. En revanche, pour ce qui est de l'investissement, nous sommes obligés d'avoir recours aux dons. Seuls 10 % des dons que nous avons reçus ont été versés par des oeuvres caritatives d'État, le reste est donné par des personnes physiques qui peuvent être étrangères, notamment des pays du Golfe. La seule condition que nous posons est que ces dons restent désintéressés : nous voulons garder notre totale liberté. Nous avons refusé toute incitation à privilégier tel ou tel auteur ou matière. Seul notre conseil scientifique décide de nos programmes. Nous refusons tous les dons conditionnés. Ce fut notamment le cas lorsque nous avons créé l'Institut : l'Iran voulait imposer ses conditions : nous avons dit non.
Merci pour votre disponibilité et pour toutes ces précisions qui vont alimenter nos travaux attendus pour la fin juin.
M. Aberrahmane Belmadi est responsable de la commission pédagogique de l'Institut Al-Gazali, rattaché à la Grande Mosquée de Paris. Nous avions déjà auditionné un autre représentant de la Grande Mosquée, M. Chems-Eddine Hafiz, il y a quelques semaines. Fondé en 1993, l'institut dispense une formation théologique et des cours d'arabe pour les élèves imams. Après votre intervention liminaire, nous vous interrogerons sur le contenu de la formation, votre public, et vos éventuelles difficultés. Cette audition fait l'objet d'une captation vidéo et est retransmise en direct sur le site internet du Sénat.
Merci de votre invitation. Je suis responsable pédagogique de l'Institut Al-Gazali qui forme des imams et des aumôniers. L'Institut a été fondé en 1993, lorsque M. Pasqua était ministre de l'Intérieur ; il souhaitait créer un institut de formation des imams pour répondre à la soif de savoir des musulmans français. Malgré des hauts et des bas, notre cadre pédagogique s'est largement enrichi. Mme Annick Duchêne, sénatrice des Yvelines, avait visité il y a quelques années notre institut et avait remis un rapport au ministre de l'intérieur.
Nos différentes formations rassemblent 1 375 élèves et étudiants. Les études islamiques arabophones sont un cursus de licence et master de quatre ans, bilingue. Les cours sont prodigués en arabe pour la jurisprudence et la pensée musulmanes. Nous insistons sur le bilinguisme. Durant plusieurs années, nous avons assuré une formation en français sur l'histoire de la France et de ses institutions, la philosophie occidentale, la laïcité et les lois de la République. Désormais, ces cours sont dispensés par l'Université de Paris-Sud avec laquelle nous avons signé, cette année, une convention ; 25 étudiants y participent. Cette formation est obligatoire et a été ouverte à ceux qui ont suivi un an de nos cours. La formation « République et religion - droit et société des religions » est prodiguée dans 14 universités, ce qui permet aux imams d'avoir des connaissances de base sur ces sujets. Ce tronc commun « études islamiques » dure quatre ans - science religieuse en arabe, français et histoire de la philosophie et des institutions - auquel s'ajoute un an de formation pratique et pédagogique, avec un suivi sur le terrain, pour les étudiants souhaitant devenir imams. Cette formation s'adresse aussi aux aumôniers de prison et d'hôpitaux. Aux aumôniers militaires, nous proposons une formation accélérée ; une dizaine d'entre eux en ont bénéficié. Actuellement, 200 étudiants se forment pour être imams, aumôniers ou simplement être diplômés en études islamiques.
Notre département francophone « Civilisations islamiques » compte 180 étudiants pour une formation de deux ans, ouverte aux musulmans et aux non-musulmans. La formation des imams et la formation aux sciences religieuses coûtent 300 euros par an, celle sur les civilisations islamiques 260 euros par an.
Une formation gratuite d'initiation à l'islam, assurée par un professeur bénévole depuis 1986, rassemble 200 étudiants ; plus de 400 femmes de tous âges suivent une formation gratuite et uniquement féminine d'apprentissage et de mémorisation du Coran, ainsi que d'apprentissage des bases de la langue arabe, assurée par une dizaine de professeurs bénévoles. Elle dure de 3 à 5 ans, sans délivrance de diplôme ; une formation intensive de langue arabe est dispensée à 30 étudiants, à plein temps, pour 750 euros par an, tandis qu'une formation bihebdomadaire est dispensée à 400 étudiants pour 450 euros par an. Près de 350 enfants jusqu'à 16 ans apprennent l'arabe durant un à six ans, pour 250 euros par an. Toutes nos formations - hormis celle réservée aux femmes - sont mixtes.
Bien avant la convention avec l'Université de Paris-Sud qui dispensera un diplôme reconnu par le ministère de l'enseignement supérieur - l'Institut Al-Ghazali étant privé - nos étudiants pouvaient parfaire, à l'Institut catholique, leurs connaissances des religions.
Les professeurs des formations gratuites sont bénévoles. Les universitaires assurant des formations régulières sont rémunérés ; ils touchent 1 020 euros par mois grâce au dispositif de l'Elco (Enseignements de langue et de culture d'origine), mis en place en 1982 par convention entre la France, les pays du Maghreb, l'Espagne et le Portugal. Un complément de 900 euros leur est versé par la Grande Mosquée de Paris, celle-ci prenant aussi en charge les locaux, l'administration et toutes les charges de structure. 750 enseignants contractuels enseignent la langue arabe ; ils sont payés 25 euros de l'heure sur le dispositif Elco.
Chaque année, l'Institut forme de 20 à 50 imams, répartis dans les 540 mosquées et salles de prière dépendant de la Grande Mosquée de Paris. C'est insuffisant. L'Algérie envoie donc 170 imams détachés qui restent quatre ans en France, et que la Grande Mosquée répartit entre les différentes mosquées. Ils sont rémunérés 2 800 euros par mois par l'État algérien, qui paie aussi la couverture médicale et le logement. Les autres mosquées sont gérées par des associations cultuelles qui paient un complément aux imams ; elles dépendent d'une fédération qui relève de la Grande Mosquée. Les imams détachés suivent une formation accélérée de mise à niveau durant un mois et demi à deux mois en français, en histoire de France et des institutions, sur la laïcité et les lois républicaines... Nous sommes très attachés au fait que les imams connaissent le contexte dans lequel ils vivent, veillant au respect de l'autre. En tant que vice-président de la Fraternité d'Abraham, je travaille en collaboration avec nos frères chrétiens, juifs et bouddhistes et nous organisons des colloques à la Grande Mosquée. Nous prônons une formation d'apaisement, de sagesse, et de savoir. Nous sommes vigilants sur les dérapages théologiques, et avons créé une formation spécialisée « Correction des concepts » pour démystifier les textes sur lesquels ils se fondent.
Une formation en quatre ans plus une année de pratique, c'est un programme consistant ; cela nous rassure. Les imams que vous formez et placez dans les mosquées de votre obédience trouvent-ils toujours du travail ? Ces mosquées peuvent-elles toujours les payer ? Certains diplômés sans formation pratique complémentaire ne pourraient-ils pas s'improviser imams dans des territoires en dehors de votre ressort ? Certaines mosquées ont recours à des imams qui ne sont pas ou pas assez formés... Selon vous, la contextualisation est très importante ; quelle formation complémentaire donnez-vous aux imams formés en Algérie ?
Certaines de mes questions ont déjà obtenu réponse. Lorsqu'un imam étranger ou français dérape, comment rentre-t-il dans cette formation de correction des concepts ? Avez-vous une commission de déontologie supprimant le diplôme de ceux que vous avez formés et qui ont dérapé ? Dans le cadre de notre travail, nous souhaitons bien comprendre l'Islam de France et l'islam en France. Nous avons visité l'Institut de Rabat avec beaucoup d'intérêt, et constatons aujourd'hui que de très bonnes formations sont prodiguées en France. Que faudrait-il faire pour que tous les imams soient formés en France et ne plus vivre sur ces conventions, aussi amicales et sécurisées soient-elles ?
Pourrait-on créer un règlement intérieur dans les mosquées dépendant de la Mosquée de Paris, selon lequel ne prêcheraient que des imams correctement formés ? Nous sommes préoccupés par ces imams, certes minoritaires, qui prêchent la violence ou l'extrémisme. Ainsi, votre communauté ne serait plus objet de défiance.
Nous assurons des débouchés à tous nos étudiants. Former au maximum 50 étudiants par an ne suffit pas pour répondre aux besoins de 500 mosquées. C'est pour cela que l'Algérie nous détache des imams déjà formés par des instituts algériens, et avec de l'expérience, intègres, et promoteurs d'apaisement.
Les aumôniers sont majoritairement bénévoles ; leur statut pose donc problème, alors que nous sommes dans un État laïc. Essayons de trouver une porte de sortie avec les responsables des prisons et des hôpitaux.
Les étudiants formés avec des idées tordues travaillent dans des mosquées clandestines. Aucun de nos étudiants n'a dérapé, grâce à la formation qui leur est prodiguée : dès le premier jour, nous fixons la trajectoire et faisons le ménage. D'autres imams viennent enrichir leurs connaissances dans notre Institut. Nous avons été contactés par le Canada, l'Allemagne, et la Belgique pour partager notre expertise sur ce programme consistant, qui adapte aux lois de la République les enseignements de sciences religieuses dispensés dans les grandes universités musulmanes d'Al Quaraouiyine à Fès, Ez-Zitouna à Tunis et Al-Azhar au Caire. Nous sommes le seul institut à former spécifiquement les aumôniers.
La « Correction des concepts » est une matière en tant que telle. Nous connaissons bien la pensée salafiste, qui peut aboutir à de nombreux dérapages. Nous prodiguons le savoir pour y faire face. Nous ne croyons pas que les psychologues puissent convaincre un jeune ayant dérapé et qui a été convaincu par la lecture de textes. C'est aux imams des mosquées et aux aumôniers de contre-argumenter par une lecture crédible des textes. Nous sommes fiers de la formation donnée et nous suivons régulièrement nos anciens élèves, comme l'aumônier de la prison d'Alençon où sont concentrés de nombreux extrémistes.
Nous souhaiterions que tous les imams soient formés en France, mais nous manquons de financements. L'État, laïc, ne peut assurer ce financement, et notre institut ne peut payer la formation de tous les imams de France. La formation au Maroc ou en Algérie n'est pas un problème si on vérifie le programme et si on réalise une mise à niveau en français et sur le contexte législatif et historique français.
Qu'est-ce qui empêcherait de rémunérer les aumôniers, qui réalisent un vrai travail en prison ? Que deviennent les imams, une fois formés ? Retournent-ils dans leur pays d'origine ou restent-ils en France ?
Il semble qu'il n'y ait pas de grande différences théologiques entre les quatre grands courants de l'islam en France - algérien, marocain, turc et l'Union des organisations islamiques de France (UOIF) - alors que leurs organisations sont très diverses. Le Conseil français du culte musulman fonctionne par grands ensembles. Ces cloisonnements sont-ils surmontables ou faut-il s'en accommoder ? L'Algérie, le Maroc et la Turquie s'accordent-ils sur le nombre d'imams détachés ? La montée en puissance de votre institut permettrait-elle de limiter qu'on nous impose des imams étrangers ne maitrisant pas nécessairement le français et souvent moins intégrés dans notre société ?
Comment enseignez-vous la laïcité, et comment est-elle comprise ? C'est un concept qui a du mal à s'imposer chez nous, toujours objet de combat.
Nous ne rémunérons pas les aumôniers car les associations complètent déjà les salaires des imams pour 540 mosquées et salles de prière. Nous jouons parfois un rôle d'intermédiaire avec le ministère de l'intérieur. Il faudrait réunir une commission commune avec le ministère de l'intérieur, celui de la justice et les institutions musulmanes pour savoir comment rémunérer les aumôniers qui font un travail remarquable dans les prisons. La plupart des personnes qui ont dérapé sont passées par les prisons. En tant qu'enseignant, j'ai formé 17 aumôniers qui font face à ces jeunes radicalisés, parfois revenus de Syrie ou d'Irak. Sans moyens, ils travaillent uniquement par conviction.
Tous les imams formés par l'Institut Al-Ghazali restent en France ; ceux nés en France suivent la formation arabe intensive, tandis que les étrangers suivent la formation linguistique et d'histoire des institutions.
Nous enseignons le malikisme ; dans une approche historique, les dérapages sont rares.
Je précise ma pensée : les grands courants de l'islam français ont-ils des différences doctrinales fondamentales ?
J'ai des contacts réguliers avec les responsables de l'IESH (Institut européen des sciences humaines) de Château-Chinon. Sans être du même avis sur tout, nous nous accordons sur les fondements, les objectifs et la manière de travailler. Nous intervenons réciproquement dans nos formations et organisons des colloques communs. Les problèmes proviennent des centres non officiels.
La laïcité n'est pas un sujet facile. Nous étudions un texte religieux et sacré. Mais le savoir et la connaissance de la législation musulmane nous aident à comprendre la finalité de la charia et le fait qu'elle n'est pas contradictoire avec les lois de la République. Nous sommes bien loin de couper des mains ou des pieds ! La finalité de la charia est la protection de l'homme dans son intégrité et l'intérêt général. Nos objectifs convergent avec ceux de la Banque mondiale pour assurer l'éducation, les moyens de subsistance, et faire de l'homme une fin et non un moyen. La charia encadre tous les problèmes d'alcool, de toxicomanie, par sa finalité. Nous débattons aussi avec les penseurs littéralistes, mais l'essentiel du problème provient du manque de contrôle d'internet. Notre rôle, c'est de remettre en perspective, pour faire respecter l'histoire et les lois du pays où on se trouve. Nous ouvrons le débat, pour convaincre par le savoir. Nous invitons toujours les acteurs du pour et du contre, et n'avons jamais eu de problèmes. Bien sûr, certains nous traitent parfois de traîtres. Nous donnons une image honorant l'islam, religion de sagesse, de savoir et de respect de l'autre.
Merci de votre présence et de ces précisions ; ces auditions sont essentielles avant la rédaction de notre rapport qui devrait être remis avant la fin du mois de juin.
Je suis très honoré de ces débats qui nous aident aussi à nous remettre en question.
La réunion est levée à 18 h 40