Bonjour Madame. Nous vous entendons dans le cadre du rendez-vous régulier prévu par l'article L.1418-1 du code de la santé publique, qui conduit l'Agence de la biomédecine à présenter chaque année son rapport d'activité devant l'OPECST. Le rapport d'activité de l'année 2015 marque la célébration du dixième anniversaire de l'Agence.
Cette audition intervient dans un contexte d'une riche actualité dans les domaines qui vous concernent. Comme vous le savez, la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, a accru les compétences de l'Agence de la biomédecine : d'une part, son article 173 transfère à l'Agence la mise en oeuvre du dispositif de biovigilance sur les organes, tissus, cellules, préparations de thérapie cellulaire et lait maternel à usage thérapeutique ; d'autre part, l'article 192 vise à renforcer le principe du consentement présumé valant pour le régime du prélèvement d'organe, selon lequel le prélèvement d'organe peut être effectué si une personne ne l'a pas refusé de son vivant.
Par ailleurs, certains travaux en cours de l'OPECST touchent aux activités de l'Agence de la biomédecine : l'étude rapportée par MM. Alain Claeys et Jean-Sébastien Vialatte, députés, sur « Les enjeux et les perspectives de l'épigénétique dans le domaine de la santé », adoptée par l'OPECST le 11 octobre 2016 ; l'étude sur « La modification ciblée du génome » menée par Mme Catherine Procaccia, sénateur, et M. Jean-Yves Le Déaut, député, pour laquelle l'Agence de la biomédecine a été auditionnée le 27 octobre 2016.
De plus, l'appel de cent-trente médecins, en mars 2016, concernant l'accès pour toutes les femmes à la PMA témoigne de la vitalité des débats en cours. L'Agence de la biomédecine peut être fière de son bilan et le programme qu'elle annonce pour ces dix prochaines années est riche et souligne son rôle croissant au plan mondial.
Les relations entre l'Agence de la biomédecine et l'OPECST sont très étroites et nous restons à votre disposition pour vos travaux actuels et futurs. Il convient que je vous présente nos résultats concernant l'année 2015 mais je pourrais aussi, par ailleurs, vous faire part d'éléments concernant l'année 2016.
Sur la forme, nous souhaitons faire évoluer notre rapport d'activité pour le rendre plus accessible en le simplifiant. Notre souci d'allègement n'a pas pour but de perdre les données importantes pour les acteurs médicaux et institutionnels ; ces dernières, regroupées au sein du rapport d'activité médicale et scientifique, resteront en ligne sur le site de l'Agence de la biomédecine et seront actualisées régulièrement. Ce changement de présentation marque les dix ans de l'Agence, que nous avons célébrés en mai 2015 lors des journées de l'Agence de la biomédecine, en présence de Mme Marisol Touraine, ministre de la santé. Ces journées ont lieu tous les deux ans.
Nos compétences sont stabilisées autour de quatre grands corps de métiers, le prélèvement et la greffe d'organes et de tissus, le prélèvement et la greffe de cellules souches hématopoïétiques, l'assistance médicale à la procréation et l'embryologie et la génétique humaines. Dit en une formule, notre objet est de soigner l'homme par l'homme.
L'Agence de la biomédecine compte deux cent-soixante personnes et huit cents experts externes avec lesquels nous collaborons étroitement. Notre budget est d'un peu moins de 80 millions d'euros, dont 40 millions servant pour l'intermédiation au titre du Registre France Greffe de Moelle : donc, notre budget effectif s'équilibre autour de 40 millions d'euros, financés par subventions pour un tiers de l'État et pour deux tiers de l'assurance maladie. Nous contribuons à l'effort de maîtrise des dépenses publiques, ce qui nous a conduits à faire des efforts d'efficience pour absorber l'augmentation importante d'activités dont nous nous félicitons tous.
Si je reviens aux faits les plus notables de l'année 2015, en matière de prélèvement et de greffe d'organes, nous constatons une forte augmentation de l'activité : 7 % d'augmentation pour le prélèvement et les greffes, soit 5 700 greffes annuelles, résultat obtenu avec un an d'avance sur l'objectif, soit encore quatre cents greffes supplémentaires en un an. Sur les neuf premiers mois de 2016, la progression se poursuit mais de manière moins importante, et nous constatons une stagnation de la greffe par donneur vivant, qui sera une de nos priorités pour l'année 2017.
Le programme Maastricht 3, c'est-à-dire le prélèvement sur les donneurs décédés après un arrêt circulatoire par arrêt ou limitation des thérapeutiques actives, a donné lieu à une phase pilote sur l'année 2015 très concluante, ce qui nous a conduits à étendre le programme en 2016. Les enjeux éthiques ont été parfaitement intégrés par les équipes et, dans le cadre de ce programme, nous en sommes à quatre-vingts onze greffes rénales, vingt-quatre greffes de foie et une greffe de poumon. Les résultats sont donc très concluants pour un programme commencé en 2014. D'un point de vue qualitatif, les choses sont apaisées et l'étanchéité entre les opérations de fin de vie et celles de prélèvement est respectée.
Sur les autres points notables de l'année 2015, la communication et, notamment celle envers les jeunes, public difficile à capter, était l'une de nos priorités. Nous avons donc expérimenté, en 2015, la diffusion d'un film sur les réseaux sociaux qui a été vu plus de trois millions de fois sur YouTube. Les retours ont été très positifs, ce qui est quelque chose d'intéressant pour nous car il s'agit d'un moyen de diffusion permettant d'atteindre l'ensemble de la société.
Nous sommes attentifs aux enjeux de qualité, de sécurité mais aussi d'équité ; par conséquent, nous étudions des scores nationaux de répartition des greffons pour permettre une meilleure répartition des greffons ; nous avons mis en oeuvre un tel score depuis février 2015 pour le rein et nous sommes en train de travailler sur un score national de répartition des greffons cardiaques qui devrait être mis en place en 2017. Pour une plus grande efficacité du système, nous avons mis en place un programme de télétransmission d'images, ouvert depuis le 18 octobre 2016 pour les organes thoraciques.
Comme lors des années précédentes, l'activité a augmenté pour la greffe de tissu, mais de manière disparate, avec des besoins qui demeurent importants notamment pour les valves cardiaques et les os massifs.
Le sujet de l'assistance médicale à la procréation (AMP) a suscité beaucoup d'attention médiatique et sera probablement l'un des sujets discutés lors du réexamen de la loi de bioéthique en 2018. Concernant les centres AMP, notre préoccupation est de renforcer l'évaluation dans un objectif d'amélioration des pratiques professionnelles. Nous avons procédé en 2015 à des évaluations tentative par tentative, et plus seulement par des données agrégées. Nous voulons aussi développer le don de gamètes, dont celui d'ovocytes ; ainsi, plusieurs actions ont été menées, comme celles concernant les financements. En 2015, nous avons mené une campagne nationale à la radio avec de très bons retours. Le don d'ovocytes augmente régulièrement, bien qu'il soit en deçà de nos besoins. L'année 2016 accompagne la mise en place de l'ouverture de ce don aux donneurs qui n'ont pas encore procréé. La priorité est faite aux dons et nous suivons ce qui a été fait sur le terrain. L'évaluation de ce nouveau dispositif sera très fine car le but est d'élargir le vivier des donneurs et de rajeunir l'âge des donneuses, ce qui est important pour le succès de cette activité médicale.
En ce qui concerne les activités en lien avec la génétique, nous avons travaillé avec le ministère de la Santé sur les financements possibles, puis nous avons complété le site internet pour diffuser davantage d'informations.
Nous avons effectué un grand travail sur la greffe de moelle osseuse, qui a porté ses fruits car, en 2015, nous avons atteint - et même dépassé - l'objectif de 240 000 personnes inscrites sur les listes de dons de moelle osseuse, avec plus de 248 000 donneurs inscrits en fin d'année. Le but est d'avoir des donneurs plus jeunes, de préférence des hommes, et d'une plus grande diversité d'origine.
Pour le sang placentaire, nous continuons à développer les inscriptions des unités. L'objectif des 30 000 unités de sang placentaires stockées a été atteint en décembre 2013, et l'année 2015 fut une année qui a permis de poursuivre cette activité par un financement sous forme d'une Mission d'intérêt général (MIG) au profit des maternités préleveuses.
La recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires humaines commence à déboucher sur des essais cliniques. C'est le cas de celui du professeur Philippe Menasché. Ce sont des recherches qui s'effectuent sur le temps long et qui nécessitent un véritable investissement de la part des équipes.
Parmi les grands chantiers qui occupent l'Agence de la biomédecine cette année, nous avons la mise en oeuvre de la loi de modernisation de notre système de santé. Le décret permettant le transfert à l'Agence de la biovigilance doit entrer en vigueur le 1er décembre 2016. Un autre décret permet l'entrée des associations au conseil d'administration de l'Agence de la biomédecine. Nous sommes très attachés à la mise en place d'une démocratie sanitaire ; deux associations seront représentées dans le conseil d'administration de l'Agence de la biomédecine. Le décret sur les modalités d'expression du refus de prélèvement d'organes, paru pendant l'été 2016, entrera en vigueur le 1er janvier 2017. Une campagne d'information du grand public sera lancée du 19 novembre au 4 décembre 2016 et beaucoup de communications de presse seront alors nécessaires. Nous sommes aidés par l'actualité et la sortie du film « Réparer les vivants », qui parle de ce sujet.
Deux chantiers structurels nous occupent beaucoup. D'abord, le contrat d'objectifs et de performance, dont la version en cours expire à la fin de l'année, et nous sommes en discussion avec nos tutelles pour élaborer le contrat de la période 2017-2021. C'est une véritable feuille de route stratégique pour l'Agence de la biomédecine, avec une clause de revoyure à mi-parcours pour pouvoir prendre en compte la prochaine loi de bioéthique. Le second dossier structurel concerne les plans ministériels en cours de discussion, dont le plan « Greffe 3 » et un plan d'action pour la procréation, qui orienteront toutes les activités futures de l'Agence de la biomédecine et ses partenaires dans les secteurs concernés. Sur la période 2017-2021, nous aurons là encore à prendre en compte les dispositions de la prochaine loi de bioéthique, chantier à venir pour l'Agence de la biomédecine.
Par ailleurs, nous vous invitons aux prochaines journées de l'Agence de la biomédecine en 2017, qui s'intéresseront à l'innovation au service de tous les patients.
Le don d'organes suppose de mobiliser des personnes en bonne santé, pour les amener à penser par anticipation aux besoins des autres. La loi votée répond-elle à vos attentes en ce domaine et vous convient-elle ?
L'intérêt de cette loi est d'avoir remis le don d'organe au coeur de l'agenda. Quand je suis arrivée à l'Agence de la biomédecine, certains nous disaient que le don d'organe était un « marronnier » alors que, pour nous, ce sujet était toujours présent et que la mobilisation de nos concitoyens était importante. La concertation mise en place a permis de faire se rencontrer l'ensemble des acteurs impliqués, les parlementaires, les associations, les professionnels, et a créé un effet d'entrainement très positif, qui a suscité un intérêt de la part des médias et, ainsi, la journée du 22 juin 2016 a eu beaucoup d'échos dans la presse. Avec le film « Réparer les vivants », le sujet est devenu vraiment médiatique.
Le but est que les choses se passent au mieux le 1er janvier 2017. L'amendement adopté a pour effet de renforcer le consentement présumé. Les modalités choisies consistent à faire du registre national des refus l'outil principal, mais non pas unique, de l'information concernant le don d'organes ; l'écrit remis à ses proches ou une position exprimée au cours d'une discussion sont aussi valables, mais les proches devront assurer une retranscription précise de cette expression orale et signer cette retranscription. Il a fallu rénover et renforcer le fonctionnement du registre national des refus pour permettre une inscription en ligne à partir de janvier 2017 en plus des moyens traditionnels comme le courrier simple ; cela permettra de faciliter l'inscription. Nous anticipons un grand nombre d'inscriptions.
Il faudra continuer à travailler sur cette question, à la fois pour évaluer les dispositifs mais aussi pour développer tous les leviers d'action, à l'instar de ce qu'ont fait nos voisins : les professionnels notamment doivent être sensibilisés à cette problématique. Il faudra continuer à améliorer l'organisation pour que les choses soient le plus efficace possible. Nous devrons communiquer pour mieux faire connaître le sujet à nos concitoyens mais aussi lutter contre les inégalités territoriales.
Une étude récente tente d'élucider les déterminants du refus. Les causes des décisions sont multifactorielles. Nos concitoyens doivent comprendre que, au-delà de la dimension personnelle et intime de cette question, chacun doit prendre position et faire en sorte, en outre, que son éventuel refus ne reste pas privé et confidentiel. On a le droit d'être contre, mais il faut le faire savoir.
Concernant les problèmes rencontrés par les transsexuels pour la conservation de leurs ovocytes ou leurs spermatozoïdes, où en êtes-vous ?
Ce sujet-là fut traité avant mon arrivée. Le défenseur des droits a depuis estimé que l'autoconservation, dans ces cas-là, était envisageable. Il y a eu débat mais, aujourd'hui et pour l'instant, nous n'avons plus de remontée de la part des centres d'AMP quant à des difficultés.
Concernant vos statistiques pour le diagnostic préimplantatoire (DPI), avez-vous constaté des évolutions sur un certain nombre de malformations ?
Actuellement, la principale préoccupation sur le DPI est la problématique des délais. La possibilité, pour les couples, d'accéder à ce diagnostic dans des délais raisonnables est une question importante. En conséquence, les modalités de financement ont été revues, puis nous avons travaillé sur l'offre. Aujourd'hui, nous avons quatre centres autorisés et il est prévu qu'un cinquième soit ouvert pour mieux répondre à l'attente des couples. Ces centres emploient des équipes hautement qualifiées, maîtrisant des outils de pointe. Leur création nécessite de multiples avis et suppose un encadrement rigoureux et sérieux.
Au sein du conseil d'orientation, des discussions ont eu lieu sur la procréation assistée et la gestation pour autrui (GPA). Quels étaient les points en discussion, sachant que nous avons eu une discussion sur ce même sujet durant la dernière session de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, sans d'ailleurs que celle-ci ait abouti ?
La problématique de la GPA ne relève pas de la compétence de l'Agence de la biomédecine. Une réflexion antérieure a eu lieu et un avis du conseil d'orientation avait été donné, sur auto-saisine, en 2009. La question qui se posait à l'époque concernait le fait de donner une partie de la compétence à l'Agence de la biomédecine, ce qui n'a pas été fait. Nous avons pour rôle d'éclairer l'ensemble de nos partenaires, dont les parlementaires, mais notre mission première est d'appliquer la loi. La réflexion que nous menons n'intervient que dans le cadre de la loi actuelle ; ainsi, sur l'AMP, le sujet qui nous a beaucoup occupés est celui du respect des bonnes pratiques pour l'ouverture du don de gamètes aux personnes qui n'ont pas encore procréé ; cette réflexion s'inscrivait dans le cadre législatif actuel.
Nous entendons parler de greffes exceptionnelles. Quel est votre sentiment à propos de ces greffes ?
Les greffes de face ou d'avant-bras sont des innovations et l'Agence de la biomédecine soutient ces innovations, qui permettraient d'offrir des soins nouveaux à certains patients concernés. À cet égard, nous sommes une interface entre les équipes médicales et les autres acteurs publics, dont l'Agence nationale de la sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Il s'agit de domaines complexes qui concernent des spécialistes, le coût des interventions mais aussi des rééducations est élevé, mais leur apport sur le plan social pour les patients est important. La France a toujours été pionnière dans ces recherches. Mais il faut trouver des donneurs, car il ne s'agit pas de dons comme les autres, sachant qu'il y a aussi des enjeux de compatibilité, avec des risques de rejet et d'infection. Il faut en outre tenir compte de la pigmentation et de la morphologie. Mais des personnes sont en attente de ces greffes et nous devons leur trouver une solution.
Durant vos journées de 2017, que présenterez-vous ?
Ce sont tous les champs d'actions nouveaux de l'Agence de la biomédecine que nous souhaitons mettre en valeur, qu'il s'agisse des greffes innovantes que nous venons d'évoquer ou du domaine de la génétique qui a évolué rapidement ces derniers temps. Nous devons réfléchir avec toutes les personnes concernées, y compris des philosophes, des anthropologues et des sociologues.
Aujourd'hui, grâce aux séquenceurs, nous avons une grande connaissance du génome et, notamment, d'un certain nombre de gènes qui peuvent conduire à des maladies. Cette connaissance est régulée par la loi, offrant la possibilité de faire des tests prénataux, interdits au stade d'un embryon. Mais nous arrivons à une certaine aberration quand nous interdisons d'avoir une connaissance générale du génome lors d'un DPI, alors qu'avec les tests prénataux, nous avons cette même connaissance dans les trois premiers mois de la grossesse. Avez-vous déjà abordé cette question ou attendez-vous que le Parlement s'en saisisse ?
Nous n'avons pas eu l'occasion de discuter de cette problématique particulière eu égard aux termes de la loi, mais elle fait l'objet de réflexions nourries dans la communauté professionnelle.
Je propose le projet de conclusions suivant pour l'audition publique de l'OPECST qui s'est tenue à l'Assemblée nationale le 14 juin 2016 sur la question du brouillage des communications électroniques.
Cette audition publique a été organisée pour mener une investigation directement en lien avec l'actualité : plusieurs détenus avaient organisé des conférences sur Internet depuis leur cellule, à partir d'un téléphone portable, et il s'agissait de déterminer comment de telles circonstances étaient possibles.
Il pouvait, en effet, sembler étrange que les technologies modernes ne soient pas en mesure de brouiller ce genre de communications ; on pouvait se demander si ce n'était pas simplement une insuffisance de moyens financiers qui empêchait l'administration pénitentiaire de se doter des équipements nécessaires. L'audition publique, en ce cas, aurait eu pour intérêt d'attirer l'attention du Gouvernement sur cette priorité budgétaire de mise à niveau technologique.
De fait, le débat, élargi délibérément à la problématique d'ensemble du brouillage des communications électroniques, pour mieux saisir les tenants et aboutissants technologiques du sujet, a révélé une situation bien plus complexe et bien plus intéressante que le seul problème ponctuel des prisons.
Ainsi, il apparaît que la maîtrise des communications électroniques n'est pas qu'une affaire de technologie, car elle comporte une forte dimension d'adaptation des comportements sociaux. Dans le cas où cette maîtrise dépend effectivement de la technologie, il serait illusoire de compter sur le recours à un appareil opérant comme par magie ; c'est une palette de services d'ingénieries adaptées finement aux particularités du périmètre concerné qu'il faut mettre en oeuvre.
La question du brouillage des téléphones mobiles est une question qui remonte aux premiers temps du déploiement de ce nouveau moyen de communication, vers la fin des années 1990, lorsqu'on s'est aperçu des nuisances que son utilisation abusive créait dans les salles de cours ou d'examen, les transports collectifs et les lieux de spectacle, théâtre ou cinéma.
Face à cette perturbation d'origine technologique, le brouillage est apparu, de prime abord, comme une solution technologique adaptée et l'exploitant de cinéma UGC a été particulièrement actif dans la revendication du droit à l'utilisation des brouilleurs puis dans l'équipement de ses salles. Mais une telle solution présente un défaut fondamental : elle brouille tout dans la zone concernée, et souvent dans la zone environnante, y compris les appels d'urgence en cas d'accident, les communications des responsables (examinateurs, enseignants, contrôleurs ou exploitants), voire les dispositifs artistiques utilisés par l'activité elle-même, comme le théâtre de l'Odéon nous en a fait la remarque.
C'est pourquoi le droit européen (la directive R&TTE de 1995) avait, d'emblée, limité l'utilisation des brouilleurs aux besoins des services de l'État (pour l'ordre public, la défense, la sécurité nationale ou le service public de la justice) et c'est ce cadre qui s'impose aujourd'hui, la dérogation française introduite en 2001 pour les salles de spectacle ayant pris fin au cours de cet été 2016.
Entretemps, les comportements sociaux se sont adaptés pour limiter les usages intempestifs des téléphones mobiles, les annonces de début de spectacles pour couper ces appareils étant, par exemple, complètement entrées dans les moeurs et très efficaces. De ce fait, on tient là un exemple historique d'une adaptation sociale pour faire face à une perturbation d'abord perçue comme potentiellement maîtrisable par la technologie. Cet exemple mérite d'être médité chaque fois qu'il se développe un mouvement social d'appel à des mesures techniques drastiques : par exemple, l'extermination des moustiques par modification génétique pilotée - Gene Drive - pour faire face à l'expansion du virus Zika.
L'adaptation sociale doit être renouvelée en permanence car les salles de cinéma doivent maintenant gérer l'usage intempestif des tablettes créant des halos lumineux dans l'obscurité.
Dans le cas des prisons, on ne peut faire autrement que de s'en remettre à des dispositifs techniques avec le risque de rendre inutilisables les appareils des gardiens surveillants, et de perturber les communications dans le voisinage.
Certains progrès technologiques ont été effectués pour réduire ces effets secondaires. Néanmoins les solutions véritablement opérationnelles relèvent de l'installation d'équipements sur mesure, devant faire l'objet d'évolutions régulières.
Un représentant de Thales a ainsi confirmé la disponibilité, aujourd'hui, grâce au passage de l'analogique au numérique, d'outils assurant un brouillage bien plus ciblé, calé sur la reconnaissance d'une forme d'onde, ou empêchant la propagation dans une direction donnée. Un représentant de l'Agence national des fréquences a indiqué qu'on pouvait toujours recourir à une couverture plus précise d'un périmètre par un pavage avec de nombreux brouilleurs de moindre portée. Par ailleurs, l'administration pénitentiaire a déjà testé avec succès le brouillage par des câbles rayonnants.
Les deux équipements sont complémentaires : les brouilleurs classiques sont plutôt adaptés aux espaces ouverts : cours, ateliers ; les câbles rayonnants permettent de faire barrage aux communications depuis les cellules.
La mise en place d'une cage de Faraday, via l'installation d'un grillage horizontal au-dessus des zones de promenade, s'oppose au droit commun des détenus d'avoir accès à « l'air libre » et n'est donc utilisée que dans les quartiers disciplinaires.
Ce sont donc des combinaisons techniques au cas par cas qu'il convient d'installer pour minimiser les risques de brouillage indésirable. Leur mise en oeuvre est rendue d'autant plus difficile que les bâtiments n'ont pas du tout été conçus pour cela, puisque les deux-tiers des 186 établissements pénitentiaires sont antérieurs aux années 1990.
La difficulté est accrue par la nécessité de respecter des normes sanitaires : un brouillage permanent crée une exposition des personnels aux ondes électromagnétiques ; les signaux de brouillage doivent donc viser l'efficacité, tout en restant limités en puissance.
À la complexité technique s'ajoute un besoin d'évolution technique permanent. Car les détenus utilisent des appareils de dernière génération, 3G, 4G, Wifi, alors que les installations de brouillage ont été initialement prévues pour faire face à l'émergence de la 2G.
Face à ce défi, l'administration pénitentiaire a engagé une discussion avec ses interlocuteurs contractuels des partenariats public-privé pour faire valoir la nécessité d'une montée en gamme technique des équipements de brouillage.
Pour l'avenir, elle a fait le choix de la forme juridique du dialogue compétitif afin d'acheter non plus des équipements, mais des services d'ingénierie qui lui permettront de demeurer au plus près des besoins, du point de vue à la fois de l'architecture des lieux et de l'état de l'art.
Le brouillage des téléphones mobiles est donc, d'un point de vue technique, affaire d'adaptabilité et de souplesse.
Un débat très intéressant a eu lieu autour des possibilités de la technologie IMSI-catcher, qui nous a été présentée par M. Bernard Barbier, membre de l'Académie des technologies et ancien directeur technique de la DGSE. Il s'agit d'un dispositif qui imite le fonctionnement d'une antenne-relais, de manière que les appareils téléphoniques situés à proximité s'y connectent et, à partir de là, qui ouvre la possibilité d'une prise de contrôle, voire d'un blocage. Il permet donc un ciblage parfait des communications indésirables.
Mais la mise en oeuvre de cette solution pose deux problèmes, qui en réduisent la portée : un problème de droit et un problème d'opportunité. Du point de vue du droit, il n'est pas certain que cette technologie puisse être utilisée pour assurer un blocage généralisé des téléphones à des fins indistinctes de « bon ordre » dans le périmètre des établissements pénitentiaires, car la loi du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement permet aux services du renseignement pénitentiaire l'usage de l'Imsi-catching à des fins de prévention des évasions et de maintien du bon ordre « sous le contrôle du procureur de la République territorialement compétent » (nouvel article 727-1 du code de procédure pénale) ainsi que pour des finalités de prévention du terrorisme et de la criminalité organisée sous le contrôle de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), au titre du code de la sécurité intérieure. Cette proximité des usages possibles de l'IMSI-Catching pourrait faire naître un éventuel conflit entre les nouvelles finalités de renseignement de l'administration pénitentiaire et les finalités de sécurisation « du service public de la justice » portées par l'ordonnance du 24 août 2011 (article L.33-3-1 du code des postes et communications électroniques). Du point de vue de l'opportunité, la possibilité de bloquer un téléphone est mise en balance avec l'intérêt d'une écoute ; c'est, en matière de renseignement, aux services saisis, et en matière judiciaire, au procureur de la République (article 706-95 du code de procédure pénale) de l'apprécier et, selon le cas, au juge des libertés et de la détention ou au juge d'instruction d'en décider.
La technologie n'offre donc pas de solution simple pour assurer un brouillage ciblé permettant d'éviter des perturbations secondaires.
Il faut donc combiner les solutions d'ingénierie sur mesure les plus en pointe avec les méthodes les plus élémentaires : la première chose à faire pour empêcher l'utilisation des téléphones portables en prison, c'est d'empêcher l'accès aux téléphones portables eux-mêmes.
À cet égard, les représentants de l'administration pénitentiaire ont mentionné un chiffre étonnant : on saisirait environ 30 000 portables chaque année dans les prisons : 27 500 en 2014, 31 000 en 2015. Ce sont des chiffres qui n'auraient pas d'équivalent dans les autres grandes démocraties où la téléphonie fixe resterait encore très utilisée, alors qu'elle tombe en désuétude dans les prisons françaises. Il n'y a pas encore d'explication connue de ce particularisme français. Selon les termes du représentant de l'administration pénitentiaire : « On sait que les téléphones portables entrent par trois moyens en détention : soit par projection au-dessus des murs d'enceinte, soit par les visiteurs dans les parloirs, soit par la collaboration de certains agents, notamment dans certains établissements où le pouvoir d'achat des détenus est particulièrement élevé. »
Cette audition publique concernait donc un sujet important mais complexe, permettant de découvrir le monde des prisons sous un angle un peu insolite et une administration pénitentiaire qui nous a semblé dynamique et avertie, mais essayant de faire au mieux dans un contexte technique qui n'est pas aussi facile que l'on aurait pu croire de prime abord.
De toutes les informations recueillies, je retiens trois enseignements :
- d'abord, que la société a su s'adapter aux nuisances créées par les téléphones portables. Les brouilleurs ne restent d'actualité que dans les prisons. On pourra mentionner, à l'avenir, cet exemple de la capacité d'adaptation de la société face à l'irruption perturbatrice d'une technologie nouvelle ;
- ensuite, qu'une question soulevée incidemment par l'Agence nationale des fréquences relative à un manque concernant le régime juridique des brouilleurs m'est apparue pertinente. Le droit n'autorise l'utilisation des brouilleurs que « pour les besoins de l'ordre public, de la défense et de la sécurité nationale, ou du service public de la justice » (article L.33-3-1 du code des postes et des communications électroniques) mais, faute d'un texte d'application, ne prévoit pas de cadre d'autorisation pour les acteurs techniques qui prennent en charge l'importation, la commercialisation et l'installation des équipements dûment autorisés. Du coup, il n'existe pas de base juridique pour sanctionner les contrevenants des filières clandestines, qu'il s'agisse d'entreprises nationales ou étrangères ;
- enfin, qu'une interprétation juridique conduisant à l'impossibilité d'utiliser le dispositif IMSI-catcher comme un outil permanent de blocage des communications dans le périmètre bien délimité des prisons me paraîtrait peu cohérente avec les possibilités technologiques d'aujourd'hui.
Il me semble également que nous ne pouvons pas considérer sans réagir l'information relative au très grand nombre de téléphones portables qui pénètrent clandestinement dans les lieux de détention. Mais je soumets cette réaction personnelle à votre avis, mes chers collègues de l'OPECST.
Cette dernière question ne relève pas des compétences de l'OPECST puisqu'elle ne comporte pas, en elle-même, d'enjeu scientifique ou technologique. Néanmoins, il me semble qu'il est de notre rôle d'attirer l'attention de nos collègues concernés des commissions des lois des deux chambres du Parlement sur ce fait surprenant, d'autant que, d'après les informations entendues, certains procédés utilisés pour ces entrées clandestines supposeraient des complicités.
Je propose donc à nos collègues de décider que ces conclusions seront transmises aux présidents des commissions des lois de l'Assemblée nationale et du Sénat. Cette proposition est adoptée à l'unanimité.
La séance est levée à 19 h 20