Nous sommes heureux d'accueillir M. Joël Barre, délégué général pour l'armement depuis août dernier.
Monsieur le délégué général, vous avez principalement la responsabilité des opérations d'armement des forces armées. Financées sur le programme 146, premier budget d'investissement de l'État, elles représentent 10,4 milliards d'euros en crédits de paiement et 13,7 milliards d'euros en autorisations d'engagements. Vous avez également la responsabilité des études amont, c'est-à-dire de la recherche, enjeu essentiel pour préparer l'avenir, qui est financée sur le programme 144.
Le Gouvernement affiche un budget 2018 de « remontée en puissance » pour la défense. Les autorisations d'engagements du programme 146 augmentent d'un tiers et des livraisons et des commandes importantes d'équipements sont prévues. Toutefois, nous sommes très préoccupés par l'exécution budgétaire pour 2017, qui a causé la démission du chef d'état-major des armées, le général de Villiers, en juillet dernier. D'abord, où en est le déblocage des 700 millions d'euros de crédits encore gelés sur le programme 146 ? L'année dernière, la DGA était en « cessation de paiement » le 12 octobre : qu'en est-il cette année ?
Ensuite, quel sera l'impact de l'annulation des 850 millions d'euros décidée en juillet dernier ? En report de charges, on parle de 420 millions d'euros pour 2018, avec un reste à payer de 400 millions pour 2019. À l'approche de la préparation de la loi de programmation militaire 2019-2025, ce n'est pas de bon augure. Quels seront les retards de livraisons et surtout les surcoûts liés à ces décalages ? On parle des pods de détection des Rafale Marine, des radars des avions de surveillance, des tourelles des Griffon...
Enfin, quelles garanties a-t-on que les crédits restant au programme 146 ne feront pas à nouveau les frais de la régulation de fin d'année ? Ce programme est la seule réserve disponible pour la défense ; s'il lui faut assumer en propre les surcoûts d'opérations extérieures et intérieures, cela risque de mettre le budget encore plus en danger.
Nous sommes aussi préoccupés par les dispositions du projet de loi de programmation des finances publiques. Les crédits déjà prévus pour la défense en 2019 et 2020 sont-ils à la hauteur des besoins, pour les équipements ? Ces investissements pourront-ils être engagés, alors qu'un objectif annuel de stabilisation des restes à payer de l'État serait introduit par l'article 14 du projet de loi ?
Je vous remercie de me recevoir. La direction générale de l'armement (DGA) a en effet la responsabilité du programme 146 conjointement avec le chef d'état-major des armées et la pleine responsabilité des études amont du programme 144.
Un mot d'abord sur l'exécution budgétaire pour l'année 2017. Le niveau d'engagement prévu au titre du programme 146 d'ici à la fin de l'année est de 12,1 milliards d'euros, montant élevé du fait notamment du lancement de frégates de taille intermédiaire, de la commande, au titre du programme Scorpion, de 319 véhicules blindés multi-rôles (VBMR) lourds Griffon, ainsi que du développement et des vingt premiers exemplaires de l'engin blindé de reconnaissance et de combat (EBRC) Jaguar. Ces engagements couvrent en outre la rénovation des cockpits des avions Awacs, la rénovation des frégates Lafayette ainsi que la commande des satellites Syracuse de quatrième génération.
Les besoins en termes de crédits de paiement pour l'année 2017 sont estimés à 11,4 milliards d'euros, tandis que les ressources disponibles s'établissent, en loi de finances initiale, à 9,3 milliards d'euros, auxquels il faut ajouter 700 millions d'euros toujours gelés.
La gestion de l'année 2017 a aussi été marquée par une annulation de crédits à hauteur de 850 millions d'euros, entièrement supportée par le programme 146. En conséquence, et dans l'hypothèse d'un déblocage complet des crédits gelés, le report de charges à la fin de l'année est estimé à 1,7 milliard d'euros - 2,4 milliards d'euros sinon.
Le niveau d'engagement prévisionnel au titre du programme 144 s'établit à 861 millions d'euros. Ce montant inclut la provision relative à la prochaine phase du programme de démonstrateur de drones de combat franco-britannique FCAS (Future Combat Air System), reportée en début d'année prochaine, selon l'issue des discussions menées avec les Britanniques et des propositions que feront nos partenaires industriels.
Le besoin en crédits de paiement actualisé pour 2017 est de 820 millions d'euros. Tous les crédits de paiement disponibles seront donc consommés d'ici la fin de l'année. 50 millions d'euros ont été consacrés, comme chaque année depuis 2015, au Régime d'appui pour l'innovation duale, destiné aux PME et aux ETI.
Des études ont été lancées dans le domaine de la guerre électronique - qui nécessite, tant dans le domaine aéronautique que dans le domaine naval, des améliorations continues. D'autres études portent sur un radar sol à antenne active, pour renouveler celui qui existe dans nos systèmes sol-air de moyenne portée, ou encore sur les futurs missiles de croisière et missiles antinavires, en coopération avec les Britanniques, qui seront fabriqués par MBDA. Nous avons enfin lancé un certain nombre d'études sur les composants et systèmes optroniques, par exemple des détecteurs infrarouges de nouvelle génération. Parmi les résultats d'études marquantes, citons la nouvelle architecture du système de communication des aéronefs qui participent aux missions de combat, l'évaluation en conditions représentatives de la tenue de situation multi plateforme pour la Marine ou encore les démonstrations faites des capacités de pénétration de têtes militaires polyvalentes pour les missiles de combat terrestres.
La liste des commandes et livraisons réalisées en 2017 est longue : je n'en ferai pas une lecture exhaustive. Les livraisons comprennent trois avions de transport A400M, neuf hélicoptères NH90, cinq hélicoptères Tigre, 379 porteurs polyvalents terrestres pour l'armée de terre, un Rafale neuf et deux Rafales Marine rétrofités au standard F3.
Nous avons également réalisé plusieurs urgences opérations cette année : dans le domaine des véhicules blindés hautement protégés pour les forces spéciales, sur les fusils, les télépointeurs, etc. D'autres sont à lancer d'ici la fin de l'année, en particulier un complément de travaux pour 12 appareils de communication satellite pour avions.
En matière d'exportations, les prises de commandes françaises en 2016 ont atteint 14 milliards d'euros. Deux partenariats stratégiques d'envergure ont étés scellés : avec l'Australie d'une part, qui a choisi la France et Naval Group pour la construction de 12 sous-marins océaniques ; la dynamique a été lancée en 2016, et se traduit cette année par l'arrivée à Cherbourg d'une cinquantaine d'Australiens. Avec la Belgique d'autre part, qui a fait le choix d'acquérir des véhicules développés dans le cadre du programme Scorpion.
La DGA a mis fin à la baisse de ses effectifs, engagée au milieu de la décennie 2010. La prévision d'atterrissage est de 9 710 emplois équivalents temps plein, ce qui correspond à une masse salariale d'environ 750 millions d'euros.
J'en viens au projet de loi de finances pour 2018. Les besoins d'engagement du programme 146 s'établissent à 11,4 milliards d'euros, équivalents à ceux de 2017 ; la ressource en autorisations d'engagement est de 13,7 milliards d'euros. Les principaux engagements prévus sont le lancement des travaux du prochain standard de l'avion Rafale, le standard F4 ; le lancement du missile air-air, successeur du Mica ; la commande des trois derniers avions ravitailleurs MRTT ; la commande du cinquième sous-marin nucléaire d'attaque Barracuda - ce programme en comprenant six, le premier devant être livré en 2020.
Le besoin en crédits de paiement s'élève pour 2018 à 10,7 milliards d'euros hors report de charges entrant, pour des ressources de 10,31 milliards d'euros, dont 10,24 de crédits budgétaires et 67 millions d'euros de recettes extrabudgétaires.
Au titre du programme 144, les ressources représentent 760 millions d'euros en autorisations d'engagement et 723 millions d'euros en crédits de paiement, en cohérence avec le respect d'un flux de paiement de 730 millions d'euros par an en moyenne prévu au titre de l'actuelle loi de programmation militaire. Nous avons exprimé le souhait que le flux prévu par la prochaine loi de programmation soit supérieur à ce niveau, afin de mieux préparer l'avenir et soutenir l'innovation.
En 2018, l'effort de soutien à l'innovation des PME et PMI sera poursuivi à hauteur de 50 millions d'euros, Le Régime d'appui à l'innovation duale sera complété par la mise en place, avec BPI France, d'un fonds d'investissement en capital destiné à soutenir les petites et moyennes entreprises de défense.
En 2018, les études amont porteront en particulier sur la poursuite de l'effort dans le domaine de la cybersécurité, les travaux dans le domaine des missiles et le démonstrateur de drones de combat FCAS, l'évolution de l'architecture des réseaux et le traitement du big data, ainsi que les thèmes majeurs pour les capacités de défense tels que l'optronique, la robotique, ou les munitions pour les futurs systèmes terrestres.
La lancement du premier satellite d'observation optique de nouvelle génération Musis est prévu pour 2018 : il prendra la suite des satellites Helios. Le premier avion léger de surveillance et de reconnaissance sera également livré en 2018. En matière de projection et de mobilité, 2018 verra la livraison de deux avions A400M, de quarante véhicules porteurs polyvalents pour l'armée de terre, de huit hélicoptères NH90, de cinq hélicoptères Tigre, de 8 000 fusils d'assaut, des trois premiers véhicules blindés multi-rôles lourds de type Griffon ainsi que du premier système d'information et de commandement développés au titre du programme Scorpion, de trois Rafale neufs et d'un Rafale Marine F1 rétrofité au standard F3, ainsi que d'un bâtiment multi-missions pour la marine nationale.
En termes d'effectifs, la cible fixée à la DGA pour 2018 est de 9 625 ETPE. Les recrutements prévus seront nécessaires pour renforcer notre activité de cyberdéfense et de cybersécurité, ainsi que notre soutien à l'exportation. Il s'agit d'assurer cette charge nouvelle sans pénaliser nos programmes nationaux de défense, ainsi que de prolonger la tendance consistant à développer notre capacité d'ingénierie - nos effectifs sont désormais composés à 55% d'ingénieurs et de cadres.
En guise de conclusion de mon intervention liminaire, je rappellerai que l'année 2018 sera la dernière exécutée au titre de la présente loi de programmation militaire. Nous sommes déjà en train de préparer la prochaine, pour les années 2019-2025. Ses conditions de démarrage dépendront des conditions d'exécution de la fin d'année 2017 puis de l'année 2018.
Merci, monsieur le délégué général. Les reports de charges vont déstabiliser le programme 146, ce qui est source d'inquiétude. La renégociation des contrats avec l'industrie, dans le passé, a toujours conduit à des surcoûts. Les décalages de livraison doivent eux aussi être financés. Quel est l'impact de ces reports sur la sécurité de nos soldats en opération ? L'essentiel de la hausse du budget est d'avance consommée par les reports de charge, mesures de « resoclage » et décisions qu'il fallait financer, ce qui ne nous rassure pas vraiment. Les problèmes de cessions immobilières, que nous avons évoqués avec le secrétaire général pour l'administration du ministère des armées, nous inquiètent tout autant. Tout cela aura des effets sur la future loi de programmation militaire.
Où en est la réorganisation des processus d'achat ? Nous devons changer de logiciel : jusqu'à une période récente, l'innovation procédait de l'effort de défense, avant d'être appliquée dans le civil. C'est désormais l'inverse : comment capter l'innovation civile et l'adapter à un modèle de défense qui n'a pas vocation à changer aussi vite ?
60 % de nos véhicules blindés engagés en opération sont insuffisamment protégés. Vieux, usés, ils sont en cours de remplacement au titre du programme Scorpion, qui prévoit la livraison de véhicules blindés multi-rôles « Griffon » et d'engins blindés de reconnaissance et de combat « Jaguar ». Notre commission, eu égard à l'urgence, a préconisé une accélération des livraisons. Les entreprises concernées ont dit, l'hiver dernier, pouvoir augmenter leurs capacités de production. Or la livraison des tourelles aux VBMR devrait être différée, pour faire face à l'annulation des crédits... L'accélération du programme Scorpion est-elle remise en cause ?
Le programme européen de drones MALE a été initié en 2015. Les discussions avec nos partenaires allemands sont complexes. Ils n'ont pas les mêmes besoins que nous : eux entendent surveiller leur territoire, tandis que nous sommes engagés à l'extérieur... La DGA croit-elle toujours à ce programme ? Peut-on, pour notre part, continuer d'y croire ? C'est à nos yeux un enjeu de souveraineté.
Le remplacement du Rafale français et de l'Eurofighter Typhoon allemand par un nouveau système de combat aérien européen a été l'une des annonces majeures du Conseil franco-allemand de défense et de sécurité de juillet dernier. Comment cette annonce s'articule-t-elle avec la coopération en matière de combat aérien que nous menons depuis 2014 avec le Royaume-Uni ?
Merci monsieur le délégué général. Notre commission se réjouit de l'augmentation, présentée comme inédite, des crédits affectés à la mission « Défense » en 2018, qui nous rapprochent des 2 milliards d'euros qui seraient nécessaires. Mais nous avons commencé l'année 2017 avec un coup rabot de 850 millions d'euros, supporté totalement par le programme 146. Les commandes sont très nombreuses avez-vous dit, mais comment sont-elles programmées ? Les renégociations des contrats ont-elles été engagées avec l'industrie ? Les reports entraînent toujours des surcoûts, nous le savons : peut-on les évaluer ?
Un des enjeux du projet de loi de finances était de rattraper les lacunes capacitaires, notamment en matière d'équipements. Mais le resoclage des Opex, les reports consécutifs aux annulations de crédits et le financement des mesures arrêtées en 2016 donnent le sentiment d'un budget en trompe-l'oeil : il semble se stabiliser plus qu'augmenter, ce qui est pourtant indispensable... Dans ce contexte, comment faire face aux besoins en équipements conventionnels alors qu'à partir de 2020, nous savons que ce sont les besoins de la dissuasion qui vont exiger de nouveaux crédits ?
M. Michel Boutant, qui a dû repartir précipitamment dans son département, souhaite des précisions sur les satellites de renseignement Musis : seront-ils livrés à l'été 2018 ou opérationnels à cette date ?
J'ai été informé des difficultés de la DGA à faire face aux sollicitations dans un contexte de multiplication des programmes, d'effectifs limités, de délais contraints, sur des projets complexes et techniques. La situation a-t-elle évolué ? Quelles mesures correctives ont été mises en oeuvre ?
La loi de programmation militaire 2014-2019 prévoit 730 millions d'euros en moyenne annuelle pour les études amont. Depuis 2014, nous sommes à 726,8 millions d'euros en intégrant les prévisions 2017 et 2018 : le budget est donc mesuré au plus juste ; mais est-il seulement suffisant pour répondre aux besoins ? Qu'espérer pour la prochaine loi de programmation ? Notre commission, avec le rapport d'information de MM. Raffarin et Reiner sur les moyens de la défense nationale, et à la suite de nombreux experts, a estimé qu'il faudrait 1 milliard d'euros pour faire face aux besoins nouveaux.
La situation de l'Office national de recherche et d'études aérospatiales (Onera) continue de s'améliorer mais demeure fragile. Cet établissement risque-t-il de subir directement ou indirectement l'impact des mesures décidées en 2017 pour tenir compte de l'annulation de 850 millions d'euros ? Quelles mesures sont-elles mises en oeuvre, avec l'appui de la DGA, pour maintenir au meilleur niveau mondial les grandes souffleries de l'Onera ? Nous nous inquiétons du report de l'arbitrage financier de l'État, qui permettrait d'engager en temps utile les travaux de modernisation nécessaires.
Le renouvellement du Famas par le HK416 doit être complété par d'autres acquisitions : système d'aide à la visée et remplacement du fusil de précision FR-F2, notamment. Où en sont ces appels d'offre ? Et où en est le projet de filière de munitions de petit calibre de guerre, parfois appelés « Provinces de France » ?
L'annulation de 850 millions d'euros de crédits de paiement nous a d'abord conduits à prendre des mesures sans impact physique immédiat, à hauteur de 430 millions d'euros, à savoir pour l'essentiel de moindres versements aux organisations internationales auxquelles nous participons, en particulier l'agence de l'Otan chargée du programme NH90 et l'Organisme conjoint de coopération en matière d'armement. Nous avons en outre réévalué les besoins de paiement prévus pour 2017 sur les programmes : ceci nous a permis de réduire les besoins de paiement de 200 millions d'euros. Mais ces décisions sans impact physique se traduisent par un report de charges, mécanique, sur les années suivantes que nous compenserons par une réduction des paiements en 2018, grâce à la renégociation de contrats d'armement et le décalage d'un certain nombre d'opérations. L'absence d'effet sur les soldats engagés sur le terrain a bien sûr été le principal critère de décision.
De quels programmes s'agit-il ? D'abord, nous sommes en train de renégocier avec Dassault les études à réaliser pour le passage au standard F4 du Rafale - réorganisation qui ne devrait pas remettre en cause le lancement du standard à la fin 2018. Nous renégocions ensuite les conditions logistiques entourant l'acquisition des frégates de taille intermédiaire, ce qui ne devrait pas remettre en cause les besoins opérationnels de la Marine, puisque la date de livraison de la première frégate resterait inchangée. Nous allons enfin décaler d'environ six mois de l'arrivée des premiers Mirage 2000D rénovés prévus en 2020, ce qui est cohérent avec le plan de retrait des flottes anciennes.
Le décalage des programmes, de quelques mois seulement, concerne d'abord la commande de radars pour les avions légers de surveillance et de reconnaissance - dont le premier exemplaire arrivera en 2018. La capacité de surveillance et de détection sera assurée dans un premier temps par une boule optronique. Dans l'attente de l'arrivée de la capacité radar sur la flotte patrimoniale d'ALSR, le recours aux ALSR locatifs, équipés de cette capacité et déployés sur les théâtres d'opérations, permettra de pallier ce déficit capacitaire.
Deuxièmement, nous avons été amenés à décaler la livraison de tourelleaux téléopérés pour les engins Griffon. Il s'agit d'un complément d'acquisition programmé dans le cadre de la première étape du programme Scorpion, qui correspond à l'augmentation du nombre de Griffon équipés d'emblée de ces tourelleaux. Nous serons capables d'équiper la moitié des Griffon livrés pour les engager en opération en 2021.
Troisième programme décalé : l'acquisition d'une charge utile « Renseignement électromagnétique » (ROEM) pour le drone Reaper. Nous envisageons dorénavant de mettre en place ces charges utiles ROEM pour 2020 sans mettre en cause nos engagements dans la bande saharo-sahélienne.
Dernier décalage : celui des équipements de détection de départs de missiles nouvelle génération pour le Rafale Marine. Cette mesure était destinée à mettre à niveau les systèmes d'autoprotection des dix premiers Rafale Marine livrés au standard F1, qui sont en cours de rétrofit sur le standard F3.
J'insiste : il n'y a pas d'effet immédiat sur les capacités de nos forces en opération, ni annulation de programmes - seulement des décalages.
S'agissant des 700 millions d'euros qui restent gelés, des discussions sont en cours entre le ministère des armées et Bercy. Sans dégel de tout ou partie de ces crédits, nous sommes à la veille de la cessation de paiement, sensiblement à la même période que l'an passé.
Nous avons en effet demandé, et demandons toujours, une augmentation du budget prévu pour les études amont au titre de la prochaine loi de programmation militaire pour atteindre le milliard d'euros. Nous avons comme vous l'objectif de réaliser des démonstrateurs de technologies innovantes et d'aller chercher les technologies de rupture qui apparaissent dans le domaine civil. Nous en parlerons sans doute en début d'année prochaine.
Oui, nous croyons toujours à l'intérêt du drone MALE. Accompagnant le chef d'état-major des armées sur l'opération Barkhane il y a quelques semaines, j'ai pu mesurer l'intérêt du drone Reaper, mais il nous fait dépendre des Américains puisque ce sont eux qui le font décoller, atterrir, et qui l'entretiennent. Nous devons atteindre un minimum d'autonomie dans ce domaine. Les discussions sont en cours avec les industriels et notre partenaire allemand. Lors du Conseil franco-allemand de défense et sécurité (CFADS) du 13 juillet, l'Allemagne et la France sont convenus de continuer l'étude en cours sur la base d'une architecture bimoteur turbopropulseur. J'espère que le programme pourra être soutenu par la partie capacitaire du fonds européen de défense. Mais toute coopération, par nature, est difficile à conduire.
Un drone MALE surspécifié et donc trop cher aura moins d'acquéreurs potentiels.
Les Espagnols sont intéressés. Il faudra en effet maintenir l'attractivité de ce matériel : plus il sera cher, moins il sera exportable.
Si c'est pour refaire un drone Reaper, le programme n'a pas d'intérêt...
Je serais plus nuancé. La dépendance à l'égard des Américains est le premier problème que nous pose l'achat du Reaper. Nous manquons d'une charge utile ROEM, et nous devons pour l'heure envoyer nos équipages se former aux États-Unis. Nous doter de nos propres drones nous conférera une autonomie stratégique. C'est d'ailleurs l'une des conclusions de la revue stratégique.
Il faudra certes améliorer les performances du drone, mais préserver son rapport efficacité-coût.
Les industriels nous disent en effet être capables d'accélérer la fourniture des véhicules prévus par le programme Scorpion. Cela fera partie des choix à faire dans la prochaine loi de programmation militaire, car c'est d'abord une question d'argent. Accélérer leur livraison imposera d'investir et de veiller à ce que nous puissions, à l'avenir, entretenir cet outil capacitaire.
Il nous faudra aussi évoquer le système de combat aérien du futur, face à des défenses aériennes de plus en plus performantes. Cela suppose un minimum d'études technico-opérationnelles pour étudier les meilleurs systèmes de pénétration de ces milieux non permissifs : cela passe-t-il plutôt par des avions, des drones, ou l'association des deux ? Nous avons proposé à l'armée de l'air et à l'industrie - Dassault au premier chef - de lancer ces études dans notre centre d'analyse technico-opérationnelle de défense à Arcueil, et nous allons proposer aux Allemands de nous rejoindre.
Le FCAS est un outil de développement et de recherche de technologies de rupture qui s'appliqueront de manière quasi-équivalente à un avion ou à un drone.
Le lancement du premier satellite CSO est prévu la fin de l'année 2018. Trois satellites CSO sont prévus ; le deuxième devrait être lancé en 2020 ; le troisième, réalisé grâce à la coopération avec les Allemands, devrait l'être en 2021. Il faut compter quelques mois après le lancement pour qu'un satellite soit pleinement opérationnel.
L'annulation des 850 millions d'euros n'aura pas d'impact sur l'Onera. Sa situation financière est en effet fragile. Un contrat d'objectifs et de performance a été signé le 14 décembre 2016, qui porte sur la période 2017-2021.
La revue stratégique a dressé une cartographie des coopérations industrielles et technologiques sur la base des exigences d'une plus ou moins grande souveraineté. Les munitions de petit calibre ne font pas partie des domaines identifiés comme devant rester souverains. Pour nous doter d'une telle filière, il faudra investir pour la remettre en place - elle a été abandonnée au tournant des années 2000 - et s'assurer de notre capacité à vendre les produits sur un marché international très concurrentiel.
Comme toute organisation, la DGA doit mettre en oeuvre un plan de progrès permanent. Je compte simultanément mener la préparation de la loi de programmation militaire et les chantiers de modernisation de la DGA. L'un d'eux concerne le processus d'acquisition : rigoureux, adapté aux grands programmes, il ne l'est pas forcément pour capter les innovations technologiques qui apparaissent dans le domaine civil. J'ai donc proposé au chef d'état-major des armées de conduire de concert une modernisation de notre processus d'acquisition.
L'Europe semble désarmée. Seule la France possède une armée complète. Les budgets stagnent, les matériels vieillissent, les hommes se fatiguent... Comment avoir l'armée la plus efficace possible ? Quels moyens faut-il mobiliser pour retrouver un niveau conforme à nos attentes ?
Où en est la France en matière de missiles hypersoniques - c'est-à-dire dépassant Mach 5 -, sur lesquels travaillent la Russie, la Chine, les États-Unis ou encore l'Inde ? Disposons-nous de financements suffisants pour ne pas prendre de retard ?
Vous avez fait allusion à la livraison du satellite dernière génération : où en est la coopération européenne en matière de satellites ?
Comment se traduit la priorité accordée à la cyberdéfense dans ce budget ? Vous avez pudiquement parlé de décalages de programmes : affecteront-ils la politique de cyberdéfense ?
L'engagement des forces armées dans les Opex provoque l'usure des matériels, notamment sur les véhicules de l'avant blindé. En 2014, nous disposions de plus de 3 000 de ces véhicules, mais ils n'étaient plus que 2 500 en 2015. Ne risque-t-on pas, au rythme actuel du programme Scorpion, une sous-capacité opérationnelle ?
Ma préoccupation concerne la Marine nationale. Tandis que nous prévoyons d'acquérir un nouveau sous-marin nucléaire d'attaque Barracuda en 2020 et que nos sous-marins, prévus pour durer vingt-ans, en atteignent trente-huit, la Chine met à l'eau tous les quatre ans l'équivalent de toute notre flotte... Nous accumulons du retard par rapport à d'autres pays qui ne cessent de s'armer et de répandre leur présence sur les océans.
Le succès de nos exportations, qu'il faut saluer, met en lumière le succès de notre soutien à l'exportation, qui est essentiellement un effort de formation à destination de nos acheteurs. Le produit en revient aux armées, mais il ne prend pas en compte tous les frais, tel le coût de détention d'un équipement trop âgé maintenu dans nos parcs militaires pour permettre à l'importateur d'obtenir plus vite les équipements nouveaux. Votre prédécesseur considérait que les effectifs étaient insuffisants pour accompagner cette tendance lourde. Le projet de loi de finances vous donne-t-il les moyens, par exemple, de répondre aux nouvelles missions en Inde ou en Australie ? Comment la DGA s'assure-t-elle que cette charge ne pèse pas trop lourd sur nos armées ?
Ma question porte sur les transports stratégiques militaires. Nous n'avons que deux ou trois A400M français en état de marche. Pour le reste, nous louons des Antonov, des Illiouchine, des Boeing, pour 80 % de nos besoins. Trois A400M doivent avoir été livrés en 2017, deux doivent l'être en 2018 : quand seront-ils opérationnels ? Et où en sommes-nous des exportations de ce modèle remarquable qu'est l'A400M ? À ma connaissance, pas bien loin.
J'ai eu l'occasion de participer récemment à l'extension de l'entreprise Eurenco à Bergerac, qui a fait partie il y a une dizaine d'années de l'évolution de la Société nationale des poudres et explosifs, est désormais une filiale de Giat Industries, et fabrique des charges modulaires pour chars et exporte quasiment toute sa production - en Inde, au Moyen et en Extrême-Orient. Pourquoi l'armée française l'utilise-t-elle si peu ?
Monsieur le sénateur Saury, la réponse à votre question sera dans la loi de programmation militaire, qui affichera une augmentation significative du budget de la défense - ce sera la première fois depuis bien longtemps !
Nous sommes convaincus que la pénétration de la deuxième composante nucléaire à moyen terme doit reposer sur un missile hyper véloce. Nous avons lancé des études amont et fait des essais en soufflerie sur le sujet à l'ONERA, et avons proposé de poursuivre ce projet dans le cadre de la loi de programmation militaire.
En matière de satellites d'observation, j'ai évoqué le satellite Musis, qui fait l'objet d'une coopération avec l'Allemagne. La coopération avec l'Allemagne et l'Italie repose depuis une dizaine d'années sur l'échange d'images de satellites optiques français contre les images radar des Italiens et des Allemands. Ceux-ci ont rejoint le programme « Composante spatiale optique » en 2015.
Les annulations de crédits n'ont aucun impact sur les activités de cyberdéfense, qui passent d'abord par un gros effort en ressources humaines : 500 personnes travaillent dans notre centre de Bruz, près de Rennes. La cybersécurité, c'est d'abord de la matière grise. Nous poursuivons nos efforts et veillons à ce que l'industrie française se développe dans ce domaine.
Les annulations n'ont pas remis en cause les capacités opérationnelles essentielles. L'accélération du programme Scorpion est d'abord une question de financement : il faudra donc la traiter en loi de programmation militaire.
Le sous-marin Barracuda a pris un peu de retard. Nous en avons discuté hier avec la ministre et l'ensemble des armées. Cela oblige à prolonger la durée de vie des sous-marins existants. Il n'y a pas de risque de rupture capacitaire dans ce domaine. Le processus conduisant à la décision de prolongation de durée de vie est extrêmement documenté et rigoureux.
La question du soutien aux exportations, dans la configuration qu'on lui connait aujourd'hui, fait l'objet d'une instruction spécifique dans le cadre de la préparation de la loi de programmation militaire. Nous avons ainsi bon espoir d'arriver malgré tout à concilier les exigences du soutien à l'exportation et la conduite des programmes nationaux.
L'A400M a été exporté en Malaisie. Son problème à l'export est dû aux difficultés rencontrées dans son développement, qui ont conduit à mettre en service des standards successifs rejoignant progressivement les exigences opérationnelles maximales ; il est probable que les acheteurs potentiels attendent encore qu'il soit en service avec ses capacités complètes.
Monsieur le sénateur Cazeau, je vous répondrai par écrit.
Nous reviendrons sur les problèmes de disponibilité de l'A400M qui collectionne les pannes... On nous parle de trois fonctionnels sur les onze que nous avons, à telle enseigne que, pour intervenir sur les zones touchées par l'ouragan Irma, nos troupes ont dû emprunter des A400M allemands !
Monsieur le délégué général, nous vous remercions, et vous souhaitons pleine réussite dans vos fonctions.
Nous accueillons ce matin le général Bosser, chef d'état-major de l'armée de Terre pour cette première audition devant une commission assez largement renouvelée.
L'armée de Terre est toujours soumise à une activité intense sur les territoires extérieurs - bande sahélo-saharienne, Levant -, sa priorité étant la lutte contre le terrorisme, domaine dans lequel la coalition a enregistré un certain succès notable depuis quelques jours avec la chute de Raqqa.
Sur le territoire national, l'engagement est également très important. L'armée de Terre est la première armée concernée par l'opération Sentinelle.
Je souhaite aussi saluer votre engagement et celui de vos hommes dans la réponse que vous apportez aux catastrophes naturelles, notamment à la suite du passage de l'ouragan Irma. L'armée de Terre a été une nouvelle fois d'une très grande efficacité dans la réponse qu'elle a apportée au désarroi des populations.
Ceci génère toutefois une usure des hommes et des matériels. L'effort colossal de formation des 11 000 recrues pour porter la force opérationnelle à 77 000 hommes s'y ajoute, avec cette question en toile de fond : les effets positifs de la remontée en puissance des effectifs commencent-t-ils à se faire sentir ? La contrainte dont vous aviez eu l'occasion de nous faire part s'est-elle desserrée ?
Nous souhaiterons par ailleurs vous interroger sur l'évolution de l'opération Sentinelle, qui nous semble un peu « homéopathique ». Ceci va certes permettre à l'armée de Terre de sortir du surrégime, mais le « totem » des 10 000 hommes est toujours là, et l'articulation avec les forces de sécurité intérieure ne nous semble pas repensée en profondeur. Attendez-vous d'autres évolutions ultérieures ? Quel bilan pouvez-vous tirer de ce dispositif, dont nous avons vu l'évolution - j'en parle notamment en tant qu'élu de région parisienne.
Un autre sujet attire notre attention, celui des conditions de vie des personnels. Nous avons pris connaissance, à travers les réseaux sociaux, les associations des familles, d'un certain nombre d'expressions concernant le logement, la restauration, l'habillement, la mobilité, l'accompagnement. Tout ceci doit faire l'objet d'un nouveau plan d'accompagnement des familles et de la condition de vie des militaires, dont la ministre a évoqué les grandes lignes. Quelles sont vos principales attentes à ce sujet ?
Nous sommes entrés hier, avec la revue stratégique, dans la perspective de la préparation de la loi de programmation militaire (LPM). La marge sera étroite. Les besoins sont importants. Quelles seront vos priorités ?
Enfin, quel est votre sentiment concernant le service national universel à ce stade de démarrage de la réflexion ? La ministre des armées m'a assuré hier que le Sénat y serait associé. Comment l'armée de Terre pourra-t-elle y contribuer ? Quels dangers convient-il d'éviter en abordant ce sujet, à la fois passionnant et compliqué ?
Général, vous avez la parole.
Général Jean-Pierre-Bosser. - Merci Monsieur le Président. Je vais être bref pour ce propos liminaire, afin de laisser du temps à vos questions.
Je commencerai par vous donner quelques éléments généraux sur l'armée de Terre et je vous dirai comment je la perçois aujourd'hui. Puis, je partagerai avec vous mon appréciation de situation sur son avenir et mes ambitions à plus long terme.
Tout d'abord, je suis très fier de commander l'armée de Terre française. Je considère aujourd'hui, environ vingt ans après la professionnalisation, qu'elle est arrivée à l'âge de la maturité. Maturité des soldats tout d'abord, qui font preuve de beaucoup de disponibilité. Ils ont encore démontré, avec l'ouragan Irma, leurs capacités à se mobiliser dans des délais très brefs. Ils font preuve également de courage et de discipline dans les missions extérieures, jusque dans l'application des consignes, comme on l'a vu récemment à Marseille.
Maturité des familles ensuite. Elles ont aujourd'hui pris conscience de ce qu'était une armée de Terre professionnelle. Elles apportent un soutien essentiel aux soldats, mais demeurent sous tension. Il faut donc veiller à leur reconnaissance, à leur information et à leur accompagnement. C'est en grande partie l'objet du plan ministériel d'accompagnement des familles et d'amélioration des conditions de vie des militaires qui doit être présenté prochainement.
Maturité sur le plan des valeurs que nous portons. Nous n'en avons pas l'exclusivité, mais nous les vivons aujourd'hui sans complexe. Elles nous sont enviées et sont mises en avant dès lors qu'on imagine des systèmes visant à intégrer et à favoriser le sentiment d'appartenance des Français à la Nation, comme le service national que vous avez évoqué, monsieur le président.
Maturité enfin de nos relations avec nos partenaires. Tous les contacts que j'ai avec mes homologues me confirment que l'armée de Terre est reconnue comme un partenaire de très grande qualité, particulièrement fiable. Je mentionne à cet égard la certification au printemps dernier du corps de réaction rapide-France (CRR-FR), qui témoigne d'un très haut niveau d'exigence, conforme aux normes OTAN les plus dures.
Cette armée de Terre se situe aujourd'hui à un moment charnière, après trois ruptures majeures.
La première rupture touche aux menaces. Pendant vingt ans, l'armée de Terre s'est concentrée sur des menaces que je qualifierais d'hybrides, que l'on connaît par exemple dans la bande sahélo-saharienne. Aujourd'hui nous faisons face à une conflictualité qui se déploie dans tous les domaines et sur tout le spectre des menaces : menaces conventionnelles, pour lesquelles on enregistre une reprise de l'activité, dans le cadre de l'OTAN - s'agissant des mesures de réassurance en Estonie, et demain en Lettonie avec les Allemands -, menaces terroristes que l'on combat à la racine, et enfin menaces irrégulières « du fort au fou », que l'on parle de fous religieux ou de fous tout court. Parallèlement à cette rupture, l'armée de Terre a été engagée massivement sur le territoire national. Le recours aux armées pour la protection du territoire national n'était pas nouveau, mais le déclenchement de l'opération Sentinelle en janvier 2015 a représenté un changement d'échelle et de nature. Il a pour nous un impact majeur sur lequel je reviendrai.
La deuxième rupture porte sur notre organisation. L'armée de Terre a adopté en 2015 un nouveau modèle, « Au Contact ». Ce modèle est aujourd'hui quasiment finalisé, avec douze commandements de niveau divisionnaire - chacun avec un chef, une mission, des ressources et le pilotage de grands métiers comme l'aérocombat, les forces spéciales ou encore l'engagement sur le territoire national. Cette organisation en piliers facilite l'interface et la connexion avec les capacités des autres armées, l'échelon interarmées voire interministériel.
La troisième rupture a trait à la remontée en puissance qu'a connue l'armée de Terre depuis 2015. Il s'agit d'une rupture physique, avec 33 unités élémentaires de plus dans les régiments et la recréation de deux régiments. Mais c'est aussi une rupture intellectuelle et culturelle. Après des années de déconstruction, il a fallu reconstruire. Or, on ne reconstruit pas forcément comme on a déconstruit. Il faut de la volonté, de l'intelligence et de l'innovation.
L'armée de Terre, vous l'avez dit, monsieur le président, doit faire face à un engagement extrêmement intense, qui met les hommes, les matériels et les compétences sous tension. Ces engagements présentent à mon sens trois grandes caractéristiques.
La première est une forme de durcissement des modes d'action de l'adversaire et de diversification des conflictualités auxquelles nous sommes confrontés. Par exemple, nous avons subi une attaque par engin explosif improvisé (IED) par semaine au Mali durant tout le mois d'août. Les attaques auxquelles nous sommes confrontés nous occasionnent des pertes : depuis le début de l'année 2017, 3 morts, plusieurs dizaines de blessés, une vingtaine de véhicules détruits.
Deuxième caractéristique : l'étalement de nos forces qui sont présentes au Sénégal, en Mauritanie, au Niger, au Mali, au Tchad, à Djibouti, ou dans le cadre de l'opération Chammal. Cet étalement est source de tensions sur les structures de de commandement, les systèmes d'information et de communication, ou encore sur les systèmes logistiques.
Enfin, la dernière caractéristique de nos engagements est une prévalence toujours plus marquée du champ des perceptions sur celui des réalités. Les hommes sont très soucieux de la manière dont on perçoit leur engagement. Vous vous souvenez certainement de l'image prise à Saint-Martin, lors de l'ouragan Irma, par un photographe de France Info, Matthieu Mondoloni, dont le cliché représentait un soldat français portant une petite-fille dans ses bras. Les réseaux sociaux avaient accusé les armées de propagande, voire de colonialisme. Il faut que l'on intègre toujours plus ce champ des perceptions et qu'on ne cesse de l'expliquer à nos hommes.
L'armée de Terre est aujourd'hui en phase de rééquilibrage et de stabilisation. Elle doit d'abord retrouver un équilibre dans son niveau d'entrainement. Vous y avez fait allusion : l'armée de Terre va retrouver son niveau de préparation opérationnelle d'avant 2015 au cours de l'été 2018, en qualité et en quantité.
Nous recherchons également un nouvel équilibre dans le maintien en condition opérationnelle de nos équipements. A cette fin, nous avons conçu et nous mettons en oeuvre un projet de maintien en condition opérationnelle du matériel terrestre qui vise à mieux distinguer la maintenance opérationnelle - celle qui, au plus près des forces, a pour but de rendre nos matériels disponibles pour mener l'action - et la maintenance à caractère plus industriel, afin de fournir davantage de potentiel à nos matériels, qu'il s'agisse de maintenance étatique ou privée.
En matière de ressources humaines, nous avons besoin de temps pour revenir à l'équilibre. Pour former un chef de section ou un pilote d'hélicoptère, il faut en effet du temps. Onze mille hommes supplémentaires ont été injectés dans la force opérationnelle terrestre depuis 2015. Il faut maintenant que ces personnes acquièrent de l'expérience et des compétences. Il faut plusieurs années pour former un pilote d'hélicoptère ou un chef de section VBCI, dix à quinze ans pour former un capitaine. Du fait d'un dé-pyramidage et d'une déflation continue, nous avons un fort déficit sur les hauts de pyramide : il manque en volume environ 1 000 officiers et, en qualité, environ 3 000 sous-officiers supérieurs dans l'armée de Terre.
Enfin, il me reste à finaliser le modèle « Au Contact ». C'est un modèle qui donne satisfaction, qui est un bel exemple de déconcentration et de confiance. En 2018, je souhaite y apporter les derniers réglages, notamment dans des domaines comme la cohérence d'ensemble doctrine-formation-entrainement, la renaissance d'une école supérieure de guerre Terre, la définition du rôle et de la place du renseignement de niveau tactique, un sujet dont je me rends compte qu'il a été un peu délaissé, la structuration de l'aguerrissement ou encore une doctrine rénovée dans le domaine de la cynotechnie. Ce sont en apparence de petits domaines, mais qui ont du sens et une haute valeur ajoutée dans le cadre des engagements futurs.
J'en viens maintenant à ma seconde partie, celle concernant ma vision d'avenir pour l'armée de Terre. Elle est assez simple, même si la mise en oeuvre et l'exécution seront plus compliquées.
Le Président de la République a fixé une ambition avec un objectif clair : rester la première armée européenne. Pour l'atteindre, un cadrage financier a été donné, avec un budget de défense annoncé en hausse de 1,8 milliard d'euros en 2018, puis de 1,7 milliard d'euros par an sur la durée du quinquennat, et un objectif d'effort de défense à 2% du PIB en 2025. La question qui nous est posée est finalement de savoir quel chemin nous allons proposer pour atteindre cette ambition avec les moyens qui nous seront alloués : qu'allons-nous proposer pour demeurer à ce degré d'exigence fixé par le Président de la République ?
Pour commencer, la revue stratégique de défense et de sécurité nationale pose un certain nombre de jalons, qu'il faudra suivre.
Premier jalon, la revue stratégique fait le constat d'une mutation de la conflictualité, et exprime la nécessité d'une remontée en puissance de l'outil militaire pour atteindre un modèle complet.
Deuxième jalon, elle entérine une hiérarchisation de nos buts stratégiques et de nos intérêts, en partant du territoire national pour aller jusqu'à la mer de Chine.
Troisième jalon, la revue stratégique de défense et de sécurité nationale insiste sur l'interaction et l'interdépendance des cinq grandes fonctions stratégiques. Aucune d'entre elles ne peut être pensée seule. Par exemple, on constate aujourd'hui qu'il existe un lien fort entre prévention et intervention. Autre exemple, la stratégie de dissuasion est directement liée à notre capacité d'intervention et de protection.
Quatrième jalon, la revue stratégique de défense et de sécurité nationale recommande l'inscription des opérations militaires dans le cadre d'une approche globale, qui doit articuler étroitement sécurité et développement : pressions internationales, modes de gouvernance, interventions, formations, reconstructions. Peu de pays européens ont les mêmes savoir-faire que l'armée de Terre française dans tous ces domaines.
Enfin, cinquième jalon, la revue stratégique de défense et de sécurité nationale affirme une ambition industrielle et technologique forte, dans laquelle l'armée de Terre a toute sa place. Alors qu'elle a souvent été considérée comme une armée peu technologique, elle désire aujourd'hui s'impliquer dans le maintien de l'excellence industrielle française, notamment au travers du programme Scorpion - mais pas seulement.
Il faudra ensuite inscrire notre remontée en puissance dans la prochaine loi de programmation militaire. Les travaux sont en cours, et à ce stade, j'ai déterminé trois objectifs pour cette LPM : un objectif de réparation, un objectif de recapitalisation et un objectif de modernisation.
La réparation consiste à compenser les lacunes de ces quinze ou vingt dernières années. Cela concerne notamment les canons d'artillerie, les moyens de coordination dans la 3e dimension et de défense sol-air, la mobilité terrestre, le transport logistique, les équipements et l'armement individuels (le pistolet automatique de nos soldats date de 1950), ou encore les équipements du génie. Je n'ai plus aujourd'hui, par exemple, que 500 mètres de ponts. Or si l'on veut exister en Europe, il faut peut-être en avoir davantage. Il se trouve que nos amis allemands et anglais ont fait le même choix que nous, donc nous ne pouvons pas nous appuyer sur leur capacité en la matière.
La recapitalisation consiste à restaurer notre modèle usé par plusieurs années de sous-dotation et de sur-engagement afin de revenir à un fonctionnement plus équilibré et soutenable. J'ai ainsi besoin de plus d'infrastructures, de plus de pièces détachées, de plus d'équipements. En quelque sorte, la famille étant plus nombreuse, le budget doit augmenter. Il faut donc recapitaliser l'entreprise pour répondre à l'ambition d'une armée de Terre de 100 000 hommes.
La modernisation, c'est investir dans l'avenir pour faire face aux menaces de demain. Cela passe par le programme Scorpion, mais aussi par la recherche et l'innovation.
Il faut donc que j'arrive à prioriser ces trois objets. Il appartiendra ensuite au CEMA de prioriser les objets de l'ensemble des armées. C'est un exercice extrêmement compliqué, qui demande une connaissance très fine de nos affaires, certains programmes étant longs et incompressibles. Ainsi, la durée de vie d'un sous-marin est de 80 ans, entre les études amont et le jour où on l'envoie à la ferraille. Il va falloir organiser tout cela.
Je termine en disant que, fort de cette analyse qui se poursuit, j'ai demandé à mes états-majors de réfléchir à ce que pourraient être les critères d'une armée de Terre qui soit la première armée européenne. On ne l'a jamais fait. Je vous livre quelques-uns de ces critères à ce stade de nos réflexions.
Le premier critère est de pouvoir bénéficier d'un modèle d'armée complet ou presque complet. C'est un impératif pour agir seul, être capable d'entrer en premier, de durer et d'affronter tout type d'ennemi.
Le deuxième critère consiste à disposer d'une masse. Pour faire un effort sur le territoire national et intervenir sur trois ou quatre théâtres d'opérations, il faut du monde. On ne peut avoir d'ambitions sans effectif. Cette masse est une nécessité également pour avoir un effet d'entrainement vis-à-vis de nos partenaires. On peut aussi comprendre ce critère de masse comme le fait d'être capable de créer des volumes de forces à un moment et en un lieu donnés grâce à une agilité accrue. La masse, c'est une armée de Terre d'au moins 100 000 militaires, soit un petit peu plus que les 97 000 dont on dispose aujourd'hui.
Le troisième critère, qui nous différencie des autres, est celui de l'aguerrissement. Il s'agit de pouvoir disposer de soldats capables de gagner des combats de plus en plus difficiles, dans des milieux de plus en plus complexes. Il s'agit également de notre capacité à durer, à supporter des pertes et à payer le prix du sang. Il n'est pas toujours facile d'évoquer ce sujet avec nos alliés : on peut partager beaucoup de choses dans le domaine de la formation initiale, ou de celle des démineurs. Quand il s'agit d'engager des soldats et de prendre le risque de perdre des vies, le dialogue est souvent plus délicat.
Le quatrième critère consiste à posséder des équipements de quatrième génération. C'est tout l'enjeu du programme Scorpion. Il s'agit de disposer d'engins dotés d'un niveau de protection de haute qualité, d'être capable de pratiquer un combat interarmes infovalorisé, de garder un temps d'avance dans la course à l'innovation.
Enfin, le cinquième critère est celui de la capacité à générer ou à soutenir des coopérations.
Tous ces critères n'ont de sens que si le cadre général de notre action est robuste. Selon moi, pour ce faire, il est nécessaire d'assumer notre spécificité militaire et que la condition des personnels soit à la hauteur de ce qu'on en attend.
Nous poursuivons cette étude. Je pense que l'on pourra ainsi décliner les priorités de la LPM.
Pour conclure, je crois que nous sommes entrés dans une ère avec des perspectives nouvelles. Nous ne faisons pas preuve d'un optimisme béat, mais d'un optimisme de circonstance, parfois empreint de gravité au regard des actions que nous menons sur les théâtres d'opérations extérieures.
Dans le chantier que nous avons ouvert, il est impératif d'établir des priorités, car il ne sera pas possible de tout faire tout de suite et il faut avoir une ambition réaliste. La reconstitution d'un potentiel d'intervention est un préalable, ce qui signifie en d'autres termes, qu'il faut d'abord faire correspondre les moyens aux ambitions, ce qui prendra un peu de temps. C'est ce que nous, militaires, disons depuis une dizaine d'années. La réparation, en elle-même, constitue une première réponse à ce que l'on a pointé du doigt durant de nombreuses années.
La remontée en puissance exige d'opérer un changement culturel majeur. Il s'agit de construire « l'armée de nos besoins », pour paraphraser Paul Reynaud en 1925, et non l'armée de nos habitudes ou de nos rêves. C'est une époque propice aux bâtisseurs.
Je m'y trouve particulièrement bien, et je compte sur le soutien de votre commission pour nous aider dans cette tâche enthousiasmante !
Général, merci pour la clarté de vos propos, votre ambition et votre réalisme.
Vos propos sont toutefois empreints de gravité car, derrière tous ces chiffres, tous ces programmes, on trouve des femmes et des hommes. Or on sait quel tribut l'armée de Terre a déjà payé à la présence de la France sur de nombreux théâtres d'opérations.
La parole est aux rapporteurs pour avis.
Général, je voudrais attirer votre attention sur la disponibilité technique opérationnelle (DTO). Celle des hélicoptères de manoeuvre de l'armée de Terre a augmenté de 15 % par rapport à 2016, mais elle ne permet de remplir que 57 % du contrat opérationnel. Celle des chars Leclerc souffre de l'engagement du personnel en charge de sa maintenance dans l'opération Sentinelle, et celle des chars AMX-10 RC du vieillissement du parc, malgré les efforts de prolongation de sa durée de vie.
Je pourrais également parler des VAB, qui souffrent d'un déficit de régénération, ou des VBCI, voire des actions de rétrofit, qui augmenteront l'encours de l'industriel.
L'augmentation des crédits de 450 millions d'euros dans le budget 2018 sera-t-elle suffisante pour relever le défi ? On a besoin sur le terrain d'un certain niveau de disponibilités. Cela vaut à la fois pour les OPEX, mais aussi pour l'entraînement et la qualification de nos personnels, vous l'avez dit dans votre introduction.
Cette question est essentielle aujourd'hui, mais elle le sera également demain, car l'indisponibilité des matériels est un problème lancinant, peut-être pour quelques années encore.
Général, je souhaiterais vous interroger sur la préparation opérationnelle, qui concerne l'ensemble de la force opérationnelle terrestre, soit 77 000 militaires, et sur la préparation opérationnelle interarmées, qui vise à atteindre le stade opérationnel numéro 2 et concerne 40 000 militaires sur la base du contrat opérationnel.
Il semble que le nombre de journées de préparation opérationnelle ait augmenté. La remontée de la force opérationnelle terrestre devait permettre une reprise progressive des activités mais, dans le même temps, la formation initiale des nouvelles recrues nécessite 50 % de journées de préparation opérationnelle supplémentaires.
Cette proportion est-elle exacte ?
Pourriez-vous nous indiquer les volumes attendus en 2017-2018 ?
Général, vous avez dit que vous étiez fier de commander l'armée de Terre. En mon nom personnel et au nom de notre commission, je tiens à dire que nous sommes également fiers des soldats que vous commandez, que ce soit en opérations intérieures ou en opérations extérieures. On ne le souligne pas suffisamment, et il faut le rappeler.
J'ai eu l'occasion de me rendre à Percy, début août, après l'attentat de Levallois-Perret, les soldats atteints dans cette attaque étant originaires de ma ville. J'y ai retrouvé un certain nombre de vos généraux, et j'ai vécu là-bas des moments particulièrement émouvants.
Nous avons par ailleurs reçu ici même cette année, avec le président Cambon, les blessés et les familles endeuillées de l'armée. J'ai à cette occasion à nouveau vécu des moments particulièrement émouvants. Je voulais en faire part.
Par ailleurs, vous avez une vision assez novatrice et très intéressante à propos de la nécessité de renouveler le matériel plutôt que de faire du rétrofit, qui coûte souvent bien plus cher. Comment envisagez-vous l'accélération du programme Scorpion ? C'est pour nous un sujet d'inquiétudes.
En second lieu, quelles sont vos priorités dans le cadre de la future LPM ?
Général, merci pour vos propos optimistes. L'armée de Terre possède le plus gros bataillon de réservistes du ministère de la défense - 18 751 personnes sur 32 000.
Combien de réservistes emploie-t-elle chaque jour ?
Pour quelles fonctions sont-ils prioritairement utilisés ?
Quel bilan retirez-vous de leur participation à l'opération Sentinelle ?
Le recrutement est-il satisfaisant et permet-il d'augmenter les effectifs, conformément aux objectifs fixés ?
On sait que l'armée de Terre est particulièrement confrontée à la problématique de la fidélisation, notamment s'agissant des militaires du rang, dont certains, dans une proportion assez importante, ne vont pas au terme de leur contrat ou ne souhaitent pas le renouveler.
Quelle réponse l'armée de Terre apporte-t-elle à ce problème, et quelles autres mesures seraient nécessaires pour y remédier ?
Général, on a beaucoup parlé de l'opération Sentinelle. On aimerait ne pas se payer de mots. Pourrait-on prévoir un temps de travail sur la nouvelle organisation, telle que vous la voyez, au service de la sécurité intérieure ?
J'ai par ailleurs constaté que les crédits consacrés à la politique immobilière de l'armée de Terre augmentaient, bien qu'ils aient accumulé un certain retard depuis quelques années. Quels endroits ne bénéficieront-ils pas d'une modernisation ?
Général, pouvez-vous développer la question du renforcement du renseignement tactique, que vous avez abordée ?
Par ailleurs, 67 % des militaires de carrière de l'armée de Terre pourraient envisager de quitter l'institution pour changer d'activité, contre plus de 80 % dans la marine, et 55 % des militaires sous contrat envisagent de rompre celui-ci ou de ne pas le renouveler. Comment l'armée de Terre peut-elle relever le défi de la fidélisation des effectifs ? Souhaitez-vous au contraire un turn over selon les compétences ?
Général, vous avez employé les termes de réparation et de modernisation s'agissant de l'armement. Le projet de loi de finances pour 2018 prévoit la fourniture de 8 000 HK 416 F, fusil considéré d'ores et déjà comme l'arme individuelle du futur.
Quelle est la part consacrée à l'armée de Terre ? À quelle échéance l'ensemble de vos personnels seront-ils dotés de ce nouvel armement ?
Général, il a été fait référence à plusieurs reprises à la question de la disponibilité des matériels et à leur maintenance, les deux étant naturellement corrélés.
Or certains types de matériels, notamment les hélicoptères Puma, qui ont un âge respectable, voient leur disponibilité améliorée par une diminution des visites préventives. Cette maintenance moins soutenue ne fait-elle pas courir un risque à nos hommes ?