Notre commission d'enquête poursuit ses travaux par l'audition de M. Rémy Heitz, directeur des affaires criminelles et des grâces, qui est accompagné par Mme Béatrice Bossard, sous-directrice de la justice pénale générale et par Mme Marie-Céline Lawrysz, chef du bureau de la police judiciaire.
Notre commission d'enquête a pu constater, au cours de ses travaux, que les difficultés que les forces de l'ordre rencontrent dans la mise en oeuvre de la procédure pénale, sous la direction du parquet, entrent pour une part non négligeable dans le malaise qu'elles expriment actuellement. Nous avons déjà entendu à ce sujet MM. Beaume et Natali, les auteurs du rapport consacré à la réforme de la procédure pénale au sein des chantiers de la justice.
Certaines des pistes qu'ils nous ont présentées nous ont paru intéressantes mais nous ne sommes pas sûrs qu'elles soient suffisantes pour engager le changement nécessaire. Les membres de la commission d'enquête souhaiteront donc vous interroger pour approfondir ce sujet.
Cette audition est ouverte à la presse. Elle fera l'objet d'un compte rendu publié. Un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Rémy Heitz, Mme Béatrice Bossard et Mme Marie-Céline Lawrysz prêtent serment.
Cette audition a lieu le jour de l'hommage au lieutenant-colonel Arnaud Beltrame et de la marche en hommage à Mireille Knoll. Notre commission d'enquête a été instituée à la suite des suicides qui ont frappé la police et la gendarmerie. L'expression de colère parmi les forces de l'ordre a surpris presque tout le monde. J'avoue pourtant que nous n'en avons pas été surpris, vu les difficultés auxquelles sont confrontés les gendarmes et les policiers dans l'exercice de leurs missions, avec des exigences de plus en plus lourdes, tant de la part des citoyens que de l'État, dans un contexte de menace terroriste élevé, avec des moyens qui ont été sans cesse réduits depuis des années. Nous avons pu mesurer sur le terrain l'étendue de ces difficultés. Nos forces de l'ordre doivent faire face à un risque d'agression physique élevé car certaines franges populations sont très violentes. Les agents ont le sentiment de ne pas être soutenus ni par le pouvoir politique, ni par leur hiérarchie, ni par la justice et les magistrats. Il n'est pas étonnant dès lors que beaucoup se posent la question de savoir si la prise de risque qu'implique leur métier en vaut la peine.
Cette situation soulève aussi la question du fonctionnement de toute la chaine pénale. Au moment où l'on demande aux policiers et aux gendarmes de renouer avec le contact avec la population, on constate qu'ils doivent passer les deux tiers de leur temps en actes de procédures. Il n'en va pas de même dans les autre pays. Libérer le temps des policiers devient impératif. Pour cela il importe de simplifier le code de procédure pénale. Le gouvernement a dévoilé les grands axes de la réforme de la Justice. Il est notamment prévu de « simplifier les régimes procéduraux et les seuils prévus dans le code de procédure pénale pour rendre les enquêtes plus efficaces ». Pourriez-vous nous détailler le contenu de cette proposition et ses conséquences directes pour les enquêteurs ? Comment comptez-vous alléger la charge procédurale qui pèse sur les agents ?
MM. Jacques Beaume et Frank Natali ont fait des propositions, dans le cadre des chantiers de la justice, qui étaient en retrait par rapport aux attentes des forces de l'ordre et qui n'ont, semble-t-il, pas toutes été reprises par le ministère. L'oralisation de certains actes ne serait pas possible sans porter atteintes aux droits de la défense. Qu'en pensez-vous ? Les agents passent une grande partie de leur temps à transcrire des actes de procédure. Cette transcription ne serait pourtant pas nécessaire si l'on utilisait la vidéo. Cette proposition n'a pas été reprise par le ministère. Il y avait là une immense attente des forces de l'ordre qui semble en passe d'être déçue.
Que pensez-vous aussi d'une extension des pouvoirs de police judiciaire des agents de police municipale ? Parmi les charges indues dénoncées par les policiers, il y a les actes de procédure liés à leur intervention lors de certaines interventions réalisées par la police municipale, par exemple en cas de constatation d'une infraction passible d'une contravention mais non d'une amende forfaitaire. Ainsi pour verbaliser des jeunes faisant du tapage nocturne, il faut demander aux policiers nationaux d'entendre les parents des enfants. C'est le type de procédure que les policiers municipaux pourraient réaliser. Les syndicats des policiers nationaux, auparavant très hostiles à cette réforme, conviennent aussi désormais qu'il serait possible d'augmenter les prérogatives des polices municipales dans le code la route : il conviendrait de formaliser dans la loi que tout agent qui met en oeuvre une prérogative de politique judiciaire le fait sous autorité du procureur et de l'officier de police judiciaire compétent. Cela se passe déjà comme cela dans la pratique. Cela déchargerait les policiers de charges indues, tout en revalorisant les missions des policiers municipaux qui ont parfois le sentiment de souffrir d'un manque de considération.
Depuis ma prise de fonction en août dernier, nous avons beaucoup travaillé sur la simplification de la procédure pénale. La garde des Sceaux a lancé une vaste consultation, dont les chefs de file étaient MM. Jacques Beaume et Frank Natali. Nous avons fait une synthèse de ces travaux et rédigé un projet de loi de réforme de la Justice. Celui-ci est en cours d'examen par le Conseil d'État et sera transmis bientôt au Parlement. Le volet pénal représente la moitié de ce texte. Nous avons entendu les policiers, les gendarmes, les magistrats. Nous faisons le même constat que vous, celui d'un certain découragement des enquêteurs devant l'accumulation des contraintes et des formalités procédurales. Chacun doit pouvoir se concentrer sur son coeur de métier sans être accaparé par des tâches indues. Le mot « confiance » est revenu souvent. Les enquêteurs souhaitent améliorer la relation de confiance au sein de la chaine pénale afin que les relations deviennent plus fluides, moins complexes. Les parquets nous ont aussi fait état d'un manque d'attractivité car les permanences constituent une lourde contrainte. Nous avons lancé une réflexion à ce sujet.
Il nous était donc demandé d'améliorer les conditions de travail de chacun, ce qui n'était pas simple car le temps qui nous était imparti était limité. Beaucoup plaidaient pour une réécriture totale du code de procédure pénale, qui date de 1958, qui est devenu peu lisible et dont la structure est complexe. Les techniques d'enquête ont évolué pour suivre l'évolution de la délinquance. Notre réglementation a suivi, par accumulation de strates successives, et la norme s'est ajoutée à la norme.
Il était inconcevable dans un délai aussi court de réécrire le code de procédure pénale. Nous avons travaillé sur la base des propositions du rapport de MM. Beaume et Natali, dont nous avons repris les deux-tiers, ou des propositions des juridictions...
Selon les gendarmes, vous n'auriez repris que 10% de leurs propositions !
On a repris beaucoup plus que cela. La concertation avec le ministère de l'Intérieur a été excellente. Nous avons travaillé main dans la main avec les policiers et les gendarmes. On a aussi constaté que beaucoup de mesures de simplification avaient déjà été prises mais qu'elles n'étaient pas encore appliquées, comme, par exemple, les mesures simplifiant la restitution procédurale des gardes à vue de la loi du 3 juin 2016.
C'est plus largement dû à un problème général d'inflation des normes. Il faut du temps pour appliquer une nouvelle loi. Il faut aussi adapter les logiciels. On constate aussi des aspirations paradoxales : l'aspiration au changement cohabite avec un certain conservatisme car chacun est habitué à certaines procédures. Le projet de loi sur la réforme de la Justice constitue une boîte à outils qui comporte beaucoup de mesures pour simplifier le travail des magistrats et des enquêteurs à tous les stades de la procédure. Nous avons voulu harmoniser les régimes procéduraux et les seuils. Les seuils ne sont en effet pas les mêmes pour tous les actes d'enquête. La géolocalisation, par exemple, est possible pour les atteintes aux personnes quand la peine encourue est de trois ans, mais elle n'est possible, en cas d'atteinte aux biens, que si la peine encourue est de cinq ans. C'est compliqué pour les enquêteurs ! Nous avons un seuil unique de trois ans, alors que MM. Beaume et Natali proposaient cinq ans. Toute une série de possibilités seront ainsi offertes aux magistrats comme aux enquêteurs avec ce seuil unique. Il est vrai que cela accroit parfois les exigences : ainsi les interceptions téléphoniques qui étaient possibles si la peine encourue était de deux ans le seront désormais à partir de trois ans. Nous avons voulu en effet rédiger un texte équilibré qui renforce la protection des libertés. Toutefois, si l'interception est diligentée sur la ligne d'une personne victime d'appels malveillants, ce seuil ne joue pas.
Ce texte donne aux officiers de police judiciaire et aux agents de police judiciaire plus de liberté. Ils pourront ainsi adresser directement des réquisitions aux organismes publics, sans autorisation du parquet, si cela n'entraine pas de coûts trop importants des frais de justice. L'autorisation du parquet, qui était systématiquement accordée dans les faits, visait à contenir les frais de justice. Les enquêteurs n'auront plus à demander toute une série d'autorisations. L'excès de formalisme nuit aux garanties essentielles car cela détourne les policiers et les procureurs de l'enquête et du contrôle de l'enquête. Un enquêteur n'aura plus à demander une autorisation pour sortir de son ressort. Un avis au parquet suffira. De même, le médecin légiste pourra effectuer des prélèvements lors d'une autopsie sans la présence d'un officier de police judiciaire. Les agents de police judiciaire pourront réaliser des dépistages d'alcoolémie au bord de la route sans la présence d'un officier de police judiciaire. Une prise de sang la présence pourra être effectuée en présence d'une infirmière, la présence d'un médecin ne sera plus obligatoire. Je ne cite que quelques exemples. Ce texte n'est pas le grand-soir de la politique pénale mais comporte une série de mesures qui simplifieront la vie des enquêteurs, des magistrats et des parquets.
Toutefois la voie est étroite car le formalisme est souvent justifié par la protection des libertés fondamentales. Ainsi il est difficile de modifier le régime de la garde à vue car celui-ci est largement défini par des directives européennes, que nous n'avons pas surtransposées, contrairement à ce que l'on entend parfois. Ainsi la présence d'un avocat lors de la garde à vue est prévue par une directive européenne et nous ne pouvons revenir sur ce point. Ces limites expliquent un peu la frustration des policiers et des gendarmes qui auraient aimé que l'on aille plus loin.
Ils sont épuisés par la transcription systématique de nombreuses pages de procédure. Cela pose la question de l'oralisation des procédures.
Nous avons tenu compte des possibilités ouvertes par les nouvelles technologies. Il sera ainsi possible de déposer une plainte en ligne. Nous réfléchissons avec le ministère de l'Intérieur à un projet de procédure pénale numérique unique avec une dématérialisation dès l'origine des procédures permettant de transférer les actes entre tous les acteurs beaucoup plus facilement. L'oralisation est une fausse bonne idée. Les actes d'une procédure pénale sont destinés à circuler au gré de l'enquête entre les enquêteurs, le parquet, les magistrats. Comment exploiter des documents audiovisuels ?
Un clic suffit pour les envoyer en effet, mais comment les magistrats ou les enquêteurs pourront-ils retrouver une phrase ou une donnée ? Actuellement avec les moteurs de recherche c'est très simple dans des documents numériques. À l'inverse, il est très difficile d'exploiter une procédure oralisée. Les policiers et les gendarmes l'ont reconnu, tout comme d'ailleurs M. Beaume ou M. Jacquet, procureur à Rennes, qui défendaient cette idée. Les actes d'une procédure sont en effet destinés à être lus, sous quelque format que ce soit. Le projet de procédure numérique prévoit une procédure avec des pièces jointes numérisées : ainsi une audition filmée pourra être transmise par un simple lien hypertexte. De même, certaines phases de procédure pourront sans doute être oralisées par la suite : ainsi, pour les notifications de droits en garde à vue, un renvoi dans le procès-verbal à la bande audiovisuelle semble suffisant. En revanche les documents de fond ne peuvent être exploités que par écrit.
Ne serait-il pas possible de décider de la transcription éventuelle à un stade ultérieure de l'enquête, en fonction de l'intérêt des éléments ? Les policiers considèrent que 80 % de ce qu'ils rédigent dans les procédures n'est pas lu, ou du moins suivi d'effet !
Ayant exercé en juridiction longtemps, je sais que ce n'est pas le cas. Même si certains procès-verbaux sont standardisés, le magistrat est obligé de lire les pièces du dossier attentivement s'il veut le comprendre.
Oui. D'autres mesures de simplification concernent aussi les magistrats du siège ou du parquet. Le texte prévoit aussi une expérimentation d'un tribunal criminel départemental qui devrait permettre de juger les affaires en assises plus rapidement. L'idée est bien de rendre la procédure pénale plus fluide et plus efficace. Le pouvoir des enquêteurs pour l'exécution des mandats de recherche ou des ordres de comparution du parquet sera accru.
L'augmentation des pouvoirs des polices municipales est un sujet récurrent. Sur ce point, je souhaite que les procureurs soient bien associés à la répartition des compétences telle qu'elle s'effectue à travers les conventions locales. On pourra ainsi prévoir les missions que la police municipale pourra effectuer en matière de police judiciaire et fixer les limites de son intervention.
Aujourd'hui, la dépénalisation des infractions au stationnement va entraîner une moindre mobilisation des policiers municipaux qui dégagera une marge de progression. Il sera possible de leur conférer des prérogatives supplémentaires, à condition de veiller à ce que le niveau de recrutement et de formation soit harmonisé vers le haut. Il a déjà augmenté, et les policiers municipaux peuvent valablement intervenir sur certaines infractions.
Reste une question à traiter en lien avec la forfaitisation, de plus en plus répandue, et de l'utilisation qu'ils pourront faire de ces nouveaux outils. Il reste des progrès à accomplir.
Nous avons la volonté de réformer et de simplifier, dans le respect de nos engagements et des principes constitutionnels, afin d'envoyer un message positif aux forces de sécurité intérieure, car nous souffrons que des policiers et des gendarmes, dans une moindre mesure, fuient le travail de police judiciaire et tendent à préférer les filières administratives ou de maintien de l'ordre.
La crise des vocations des officiers de police judiciaire touche la police, plus que la gendarmerie, sans même parler des OPJ qui rendent leurs habilitations à l'Office Central pour la Répression du Trafic Illicite des Stupéfiants (OCRTIS) !
Ce problème est très spécifique.
Certes, mais il faudrait sans doute enfin établir une doctrine entre le parquet et la police, qui survive au changement de magistrat.
Nous avons créé un groupe de travail à la Chancellerie pour réfléchir aux questions relatives aux livraisons surveillées et au statut des informateurs, qui n'est pas clair dans nos textes. Ce type d'affaires doit être mieux suivi par la justice.
Notre texte prévoit aussi une simplification de l'enquête sous pseudonyme, menée par des cyberpatrouilleurs sur internet, chargés de dévoiler des comportements infractionnistes, tels que de la pédopornographie ou du trafic de stupéfiants. Nous avons clarifié ce régime, ainsi que les techniques spéciales d'enquêtes : IMSI-catcher, captation de données informatiques, sonorisation et captation d'images. Ces trois techniques obéissent aujourd'hui toutes à des régimes différents, nous avons commencé à harmoniser les délais et les procédures.
Je suis universitaire et je dirigeais il y a peu l'Institut d'études judiciaires, qui prépare aux concours de commissaire et de magistrat. J'ai constaté un curieux phénomène : nous avions devant nous des étudiants très désireux de passer ces concours pour travailler dans le judiciaire. Pourtant, quelques années après, quand nous les retrouvons, ils souhaitaient s'orienter vers des voies plus tranquilles. Les métiers du judiciaire sont lourds, disent-ils, et nous sommes ciblés, alors que d'autres secteurs plus calmes sont aussi avantageux en termes de carrière.
Comment expliquer un tel changement entre vingt-cinq et trente ans ? Ne peut-on pas envisager de valoriser dans le déroulement de carrière les métiers de terrain par rapport aux affectations plus tranquilles ? Cela aurait un effet incitatif envers des jeunes gens qui avaient la vocation du judiciaire.
S'agissant des plaintes en ligne, j'ai été adjointe à la sécurité de Tourcoing. Les citoyens venaient me voir pour me raconter ce qu'ils avaient enduré. Les plaintes en ligne sont nécessaires, mais qu'en est-il alors de la nécessaire dimension humaine ? Il est important également d'écouter les gens pour entendre ce qu'ils ont subi.
Vous avez parlé de deux ans, trois ans ou cinq ans en matière de captation et de géolocalisation, de quoi s'agissait-il ?
La possibilité de recourir à ces techniques durant l'enquête dépend de la peine encourue.
Vous avez évoqué la possibilité d'utiliser la police municipale dans le temps libéré par les nouvelles dispositions de contrôle du stationnement. Les policiers municipaux peuvent observer le terrain et faire remonter des informations, ils ont parfois noué le contact sur le terrain et peuvent donc effectuer un peu de collecte de renseignement. Quelle perspective d'évolution de leurs missions envisagez-vous ? Il faut garder à l'esprit l'hétérogénéité qui règne au sein du corps des polices municipales.
S'agissant, d'abord, de la crise des vocations dans les métiers du judiciaire, nous en faisons également le constat que vous, madame la sénatrice, et nous la déplorons. Beaucoup de policiers et de gendarmes se détournent de la voie judiciaire. Les policiers ont accès à des fonctions très diverses et les unités de maintien de l'ordre recrutent beaucoup. Les magistrats disposent de moins d'options, mais ce mouvement se produit entre le parquet et le siège.
Il est difficile d'avancer une seule explication à ce phénomène, mais les conditions de travail jouent un rôle. Le travail judiciaire impose beaucoup d'obligations et d'astreintes, le travail se fait dans une course permanente contre le temps, avec des durées encadrées, des délais de flagrance, par exemple, etc. Nous allons préparer des adaptations sur ces différents points. Ces contraintes créent, à la longue, de la fatigue et du découragement.
D'autres facteurs entrent en jeu : la pression médiatique, la critique facile dans les médias, le niveau d'exigence des citoyens, des victimes comme des auteurs, qui demandent des actes. Nous recevons nous-mêmes des courriers qui nous donnent le sentiment que nous ne faisons jamais assez bien. Il en va de même dans les parquets.
Peut-on envisager que ces éléments soient pris en compte dans l'évolution des carrières ?
J'aimerais qu'il en soit ainsi, mais, s'agissant des forces de sécurité intérieure, je ne suis pas habilité à vous répondre, car cela ne relève pas de ma compétence.
En ce qui concerne les magistrats, le sujet est sur la table, une mission a été confiée à l'inspection sur l'attractivité. Les magistrats sortant de l'école sont affectés au parquet ou au siège, et les incertitudes pesant sur le statut de magistrat du parquet jouent un rôle important. Les jeunes magistrats qui ont le choix préfèrent parfois être rejoindre rapidement le siège, qui, malgré une charge de travail importante, leur offre plus de confort en termes d'organisation et de possibilité de conciliation avec leur vie personnelle. Ces changements d'affectation des jeunes magistrats du parquet après quatre ou cinq ans nous posent une difficulté réelle. Comme président du tribunal de grande instance de Bobigny, j'ai ainsi accueilli chaque année une cohorte de jeunes parquetiers, ce qui est une source d'incompréhension avec la police et la gendarmerie, car ces magistrats ne maîtrisent pas toujours les codes nécessaires pour établir une relation de confiance avec la police. L'ENM et les chefs de juridiction doivent travailler à aplanir ce choc des cultures.
Les jeunes commissaires de police se retrouvent également dans des positions très difficiles, il est curieux d'en parler plus pour les magistrats que pour les policiers !
Ressentez-vous également que la question des officiers de police judiciaire se pose de manière plus aiguë dans la police que dans la gendarmerie ? Des parquetiers nous disent qu'ils regrettent d'être contraints, parfois, de mener des enquêtes à la place des officiers de police judiciaire et de gérer en direct les agents de police judiciaire, alors que les officiers sont accaparés par d'autres tâches.
Sur cette question, la différence entre police et gendarmerie est réelle. La pression est forte sur la police, parce que les problématiques urbaines sont sans doute plus prégnantes aujourd'hui. La fonction de police judiciaire est valorisée dans la gendarmerie, et attire les gendarmes, en raison, par exemple, des efforts menés en matière de police technique et scientifique, avec le développement du plateau de Cergy et la réussite de grandes enquêtes grâce à la persévérance des gendarmes et à la mobilisation de nouveaux moyens. Les unités de police sont également très performantes et très mobilisées.
Nous devons mener une réflexion afin de valoriser et de fidéliser les effectifs dans ces filières. Les grandes juridictions de la région parisienne, par exemple, souffrent d'un turn-over très élevé.
Pour éviter de devoir accorder des congés spéciaux ou des disponibilités aux jeunes magistrats, nous sommes conduits à faire droit à des demandes de mutation au bout de deux ans au lieu de trois, ce qui provoque une certaine instabilité qui nuit à l'instauration de la confiance.
magistrats du ministère public ont en effet parfois le sentiment de faire le travail des commissaires, cela apparaît dans les rapports qui remontent vers la direction. Nous avons tous été des magistrats du ministère public et nous l'avons nous-mêmes constaté.
Les réformes successives de la police nationale ont pu conduire à confier à la hiérarchie intermédiaire des missions de pilotage, de gouvernance, de gestion des ressources humaines, et les évolutions de carrière ont conduit des commandants fonctionnels expérimentés et très compétents vers le renseignement.
Dans les commissariats, des jeunes policiers sortant de l'école ont donc pu manquer d'un encadrement intermédiaire direct. De ce fait, leurs interlocuteurs privilégiés sont les substituts du procureur, grâce, en particulier, à la permanence téléphonique. Ces derniers sont donc mis sous pression et cela les conduit à une forme de découragement.
Nous avons échangé à ce sujet avec la Direction générale de la police nationale comme avec la Direction générale de la gendarmerie nationale et des efforts ont été faits avec, par exemple, le renforcement du rôle des directeurs départementaux adjoints de la sécurité publique. Ces mesures ont été très récemment mises en oeuvre, dans la police comme dans la gendarmerie. C'est un enjeu important.
S'agissant des plaintes en ligne, le maintien d'une relation humaine est nécessaire. En la matière, le système de pré-plainte fonctionne bien, il est suivi d'un renvoi vers le service qui accueillera le plaignant en lui fixant un rendez-vous afin d'éviter une longue attente. Nous apprenons en marchant, nous commençons à créer des brigades numériques, afin de nous adapter à ces nouveaux modes.
Grâce à ces techniques, des victimes qui ne portaient pas plainte pour certains faits de vol, par exemple, parce qu'elles n'en avaient pas vraiment le temps, pourront le faire depuis leur domicile, le soir. Cela permettra d'éclairer le chiffre noir de la délinquance méconnue.
Monsieur Capo-Canellas, s'agissant des polices municipales, il existe des marges de progrès, mais il faut mettre en place un échange au plan local entre le procureur, le directeur départemental de la sécurité publique et les polices municipales afin d'articuler les interventions des différents acteurs. Il est également nécessaire de réfléchir à leur champ de compétence. Nous avançons vers la subsidiarité dans une logique de coproduction de la sécurité.
De même, beaucoup de sociétés privées interviennent, pour des missions de surveillance en particulier. Nous devons veiller à articuler le rôle de chacun, en étant attentifs au niveau de formation et aux missions, car on ne peut pas déléguer à n'importe qui des actes attentatoires aux libertés.
En quoi ce projet de loi renforcera-t-il l'attractivité des métiers d'enquêteur ? Qu'est-ce qui changera concrètement en ce qui concerne les gardes à vue ? Ces textes permettront-ils à eux seuls de permettre aux forces de l'ordre de retrouver confiance ?
Concernant la garde à vue, les marges d'évolution sont très limitées, compte tenu de nos engagements conventionnels. Nous avons prévu d'accorder au procureur la possibilité de dispenser l'OPJ de présentation de la personne pour obtenir une prolongation de garde à vue, car cela introduit une coupure perturbante dans les investigations, notamment pour ce qui concerne des gardes à vue longues. Il ne s'agit pas d'une révolution, mais cette mesure répond à une demande, et sera incluse dans le projet de loi de programmation pour la justice.
Cela contribuera à renforcer l'attractivité des carrières judiciaires, mais d'autres avancées seront également nécessaires concernant le confort de vie, la pression subie, etc. La seule procédure pénale ne suffira pas à répondre à cette question, mais constituera un pan d'un plan global de renforcement de l'attractivité et d'amélioration de la relation de confiance entre enquêteurs et magistrats, laquelle doit être au coeur de l'enquête. Nous devons la retrouver au sein de toute la communauté judiciaire, y compris avec les avocats. Elle doit unir tous les acteurs de la chaîne pénale.
La réunion est close à 17 h 15.