Nous avons le plaisir de recevoir aujourd'hui Didier Migaud en tant que président du Conseil des prélèvements obligatoires (CPO). Le CPO a publié, en septembre dernier, un rapport intitulé « la fiscalité environnementale au défi de l'urgence climatique ». Cette audition revêt pour notre commission une importance particulière à la veille de l'examen du projet de loi de finances pour 2020, d'autant plus que, dans une période récente, les enjeux de la fiscalité environnementale ont changé d'échelle. Comme vous le savez, mes chers collègues, le Sénat a été à l'initiative du gel de la taxe carbone adopté en loi de finances pour 2019, au cours d'un mouvement social d'ampleur. Un certain nombre de nos concitoyens ont vu dans l'augmentation des prix des carburants et des taxes associées une atteinte à leur pouvoir d'achat, en l'absence d'alternative pour leurs déplacements, notamment en zone rurale, avec un fort sentiment d'inéquité fiscale.
Des solutions restent cependant à trouver pour répondre aux objectifs de notre pays en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre : la France s'est engagée à les diminuer de 40 % en 2030 par rapport à 1990 et à atteindre la neutralité carbone en 2050. Le premier rapport du Haut Conseil pour le climat, publié en juin dernier, souligne que notre rythme de réduction des émissions est actuellement deux fois trop lent pour nous permettre d'atteindre ces objectifs. Le rapport du CPO formule plusieurs propositions sur l'avenir de cette taxe carbone, mais également sur le recours à d'autres instruments comme la réglementation ou les subventions.
C'est avec grand plaisir que je viens devant votre commission en ma qualité de président du CPO afin de vous présenter le rapport que nous avons récemment publié sur la fiscalité environnementale au défi de l'urgence climatique.
Pour cette présentation, je suis accompagné de M. Patrick Lefas, président de chambre, de Mme Catherine Périn, conseiller maître qui était secrétaire générale du CPO à la date de publication du rapport, de M. Antoine Fouilleron, conseiller référendaire et de M. Florian Bosser, auditeur, rapporteurs généraux.
Ce rapport s'appuie sur cinq rapports particuliers thématiques qui ont permis d'étayer nos analyses : le premier dresse le panorama de la fiscalité environnementale ; le deuxième analyse le cadre et les contraintes juridiques ; le troisième présente les expériences étrangères et procède à des comparaisons internationales ; enfin, deux rapports particuliers établis par une équipe de rapporteurs émanant de la direction générale du Trésor, de la Cour des comptes, de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) et du ministère de la transition écologique et solidaire, analysent les effets macro-économiques et micro-économiques de la fiscalité du carbone. Ces rapports sont disponibles en ligne, ils n'engagent pas le CPO, mais peuvent contribuer à la bonne compréhension de notre rapport.
Après un premier rapport du Conseil des impôts publié en 2005, le CPO a souhaité revenir sur le thème de la fiscalité environnementale en 2019. En quinze ans, cette fiscalité a profondément évolué et les enjeux qui sont liés sont devenus plus aigus, tant au regard de sa contribution à l'atteinte des objectifs environnementaux que de son acceptabilité par les contribuables.
Les membres du CPO ont fait le choix de ce thème en septembre 2018, avant que ne débute la contestation de la hausse de la composante carbone prévue en 2019. La loi de finances pour 2018 avait retenu un quasi-doublement de la valeur de la tonne de carbone entre 2018 et 2022 pour atteindre 86,20 euros en 2022. Cette augmentation a été gelée en loi de finances pour 2019. Constatant que les ambitions environnementales, en particulier climatiques, de la France sont de plus en plus hautes, le CPO a souhaité apprécier la pertinence de l'instrument fiscal pour les atteindre. Cette question est d'une grande actualité tant budgétaire qu'économique et internationale ; elle est aussi d'une grande sensibilité dans le débat public. Pour conduire cette réflexion, nous nous sommes appuyés sur des travaux de simulation inédits des effets macroéconomiques de la fiscalité énergétique, en particulier de la fiscalité carbone, sur les ménages et les entreprises, et des effets microéconomiques sur les ménages. Nous avons mobilisé à cet effet des modèles conçus respectivement par l'ADEME et l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et par le Commissariat général de l'environnement et du développement durable (CGEDD). C'est la première fois que le CPO mène ses propres travaux de simulation à partir de modèles de l'administration et il a ainsi pu, en toute indépendance, maîtriser l'ensemble des scénarios et paramètres de calcul et tester les orientations qu'il suggère.
Nous avons porté une attention toute particulière à la question du consentement à l'impôt et aux conditions d'acceptation de l'impôt. Le thème de la fiscalité environnementale et de la fiscalité carbone a suscité, ces derniers mois, de nombreux débats, souvent passionnés ; et je ne doute pas que la fiscalité carbone fera encore l'objet de nombreux débats au Parlement, naturellement dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances, mais également dans le cadre de la convention citoyenne pour le climat dont les travaux vont bientôt débuter. L'ambition du rapport du CPO est de contribuer, dans le cadre et les limites des missions qui sont les siennes, à éclairer de manière indépendante le débat public et citoyen et les décideurs publics et privés sur la question de l'avenir de la fiscalité environnementale face au défi climatique.
Je dresserai tout d'abord le panorama de la fiscalité environnementale, en mettant l'accent sur la fiscalité énergétique. La fiscalité environnementale est généralement définie comme l'ensemble des mesures fiscales ayant un impact sur l'environnement. Cette définition est celle de la comptabilité nationale, elle est utilisée pour les comparaisons internationales et ne se limite pas aux seuls instruments ayant une vocation comportementale directe. En 2018, selon cette définition, la fiscalité environnementale comportait 46 instruments fiscaux dont le rendement s'élevait à 56 milliards d'euros, soit 2,4 % du PIB et 4,9 % des prélèvements obligatoires. Cet ensemble agrège des dispositifs fiscaux hétérogènes dont la finalité environnementale n'est pas toujours explicite. En intégrant les dépenses fiscales environnementales et certains autres instruments fiscaux, l'enjeu fiscal lié à l'environnement peut être évalué à 87 milliards d'euros, soit 3,7 points de PIB. La France a longtemps été en deçà de la moyenne européenne ; avec le développement de la composante carbone introduite dans la fiscalité sur les énergies fossiles en 2014, la France se situe désormais dans la moyenne européenne.
La fiscalité sur l'énergie représente 83 % de la fiscalité environnementale. En son sein, la fiscalité sur les énergies fossiles pèse 34 milliards d'euros, dont 32 milliards pour la seule taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE). Le CP0 a choisi de centrer ses travaux sur la fiscalité sur les énergies fossiles, notamment sur la fiscalité du carbone. Ces dernières concentrent en effet les principaux enjeux budgétaires, mais aussi de politique publique climatique et d'acceptabilité pour les contribuables. C'est également la fiscalité du carbone qui a connu la gestation la plus difficile puisqu'elle n'a pu être créée qu'en 2014, après les tentatives avortées de 2000 et de 2009 censurées par le Conseil constitutionnel.
Si la fiscalité énergétique a été construite historiquement dans une optique de rendement, ses finalités ont évolué depuis deux décennies pour intégrer des objectifs environnementaux et comportementaux. Le renforcement continu des objectifs climatiques de la France a en effet conduit à mobiliser de façon croissante la fiscalité pour inciter les agents économiques à modifier leurs comportements de production ou de consommation. Or, depuis la signature du protocole de Kyoto en 1997, les négociations climatiques internationales ont visé à réduire les émissions de gaz à effet de serre au moyen notamment d'une meilleure tarification du carbone ; la France a beaucoup oeuvré pour l'adoption de l'accord de Paris sur le climat du 12 décembre 2015.
Au niveau européen, les paquets Énergie et Climat ont fixé un objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre d'au moins 40 % en 2030 par rapport à 1990. Au niveau national, la France a transposé dans la loi les engagements qu'elle a pris aux niveaux international et européen : la loi du 17 août 2015 de transition énergétique pour la croissance verte fixe en droit interne l'objectif ambitieux de réduction de 40 % des émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2030 par rapport à 1990 et de division par quatre de celles-ci en 2050. Ces objectifs viennent d'être renforcés dans le cadre du projet de loi relatif à l'énergie et au climat, avec l'ambition d'atteindre la neutralité carbone à l'horizon de 2050. Or l'atteinte de ces objectifs suppose d'accélérer le rythme de réduction des émissions dans les années à venir, comme le rappelait, en juin dernier, le premier rapport du Haut Conseil pour le climat : le rythme actuel est deux fois trop faible au regard des cibles retenues.
Pour y parvenir, les pouvoirs publics disposent de plusieurs instruments. Le système d'échange de quotas d'émissions de gaz à effet de serre pour les plus gros émetteurs permet de donner un prix au carbone ; il s'applique dans trente et un pays de l'Espace économique européen ; n'étant pas un instrument fiscal, il ne relevait pas du champ d'analyse du CPO. L'autre grand instrument complémentaire du marché de quotas, c'est la fiscalité carbone.
Le rapport du CPO constate en premier lieu que la fiscalité carbone est un instrument efficace en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Les simulations qui ont été conduites confirment les conclusions des travaux académiques et les résultats des comparaisons internationales. Ainsi, en fonction des hypothèses retenues, la reprise d'une trajectoire d'augmentation de la fiscalité carbone permettrait de réduire les émissions carbonées de 5 à 18 % en 2030 par rapport à 2019. Cependant, si la fiscalité carbone est efficace pour réduire les émissions sur le territoire national, elle a aussi pour effet de stimuler les importations de produits carbonés et des fuites de carbone par la perte de compétitivité-prix des entreprises françaises sur le marché national. Ainsi, la baisse de l'empreinte carbone de la France serait beaucoup moins forte du fait des importations : il est donc essentiel de ne pas limiter l'analyse des effets de la fiscalité carbone aux seules émissions sur le territoire national, mais d'envisager aussi ses conséquences sur notre balance commerciale et nos importations de produits.
En deuxième lieu, le rapport constate que les effets macro-économiques de l'augmentation de la fiscalité carbone sont limités, de l'ordre de quelques dixièmes de points de PIB. Ils peuvent être positifs en fonction des modalités de réutilisation des recettes supplémentaires collectées, soit par la baisse d'autres prélèvements obligatoires, soit par le financement de mécanismes de compensation. Toutefois, les simulations montrent aussi que la fiscalité carbone peut avoir pour effet de dégrader légèrement la balance commerciale.
En troisième lieu, le rapport constate que les effets de la fiscalité carbone pour les ménages sont hétérogènes. Contrairement aux idées reçues, la facture énergétique des ménages est globalement stable sur longue période et sa variation ne s'explique que très peu par la fiscalité : à titre d'exemple, la part des taxes dans le prix à la pompe du gazole était de 72 % en 1995 et de 59 % aujourd'hui ; pour l'essence sans plomb 95, la part des taxes est passée de 80 % en 1995 à 63 % aujourd'hui.
Le CPO a cherché à mener une analyse approfondie des impacts de la fiscalité carbone sur les ménages. Plusieurs types de situations sont apparues : d'abord en fonction du niveau de consommation de produits énergétiques fossiles, qui résulte essentiellement de la diversité des pratiques de déplacement en voiture particulière ; ensuite, le poids de la fiscalité carbone varie selon la localisation des ménages, avec une grande hétérogénéité territoriale entre les communes rurales et les très grandes agglomérations ; enfin, à l'instar d'autres impôts indirects comme la TVA, la fiscalité carbone est une imposition régressive : les 20 % de ménages les plus modestes consacrent 7,2 % de leurs revenus à la fiscalité énergétique contre 2,1 % pour les 20 % de ménages les plus aisés. Le croisement de l'approche par les revenus avec celle de l'hétérogénéité territoriale met donc en lumière une plus grande vulnérabilité des ménages modestes habitant en zone rurale ou dans les unités urbaines de taille moyenne - jusqu'à 200 000 habitants.
Concernant les entreprises, une partie de leurs émissions est soumise au marché européen de quotas, ce qui explique partiellement le fait qu'elles ne s'acquittent que de 36 % du produit de la fiscalité sur les énergies fossiles, alors qu'elles sont responsables de 61 % des émissions de gaz à effet de serre. Par ailleurs, certains secteurs bénéficient de dispositifs d'exemption, d'exonération, de taux réduits ou de remboursement ; la combinaison de l'ensemble de ces paramètres aboutit à un niveau de tarification effective très hétérogène, aussi bien par secteur d'activité que par type d'énergie fossile consommée.
En quatrième lieu, le CPO a constaté que les marges budgétaires potentiellement dégagées par la fiscalité carbone étaient limitées. Si la fiscalité carbone est efficace pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, elle l'est tout autant pour éroder sa propre assiette à tarifs constants ; c'est-à-dire qu'en maintenant le gel de la composante carbone à son niveau de 2019, le produit de la fiscalité sur les énergies fossiles pourrait s'affaisser de 9 milliards d'euros d'ici à 2030 par rapport à 2019 ; seule une augmentation de la composante carbone pourrait stabiliser, voire augmenter le rendement de la fiscalité énergétique fossile à l'horizon de 2030.
Je voudrais désormais évoquer les principales conclusions et orientations du rapport. La fiscalité carbone est un instrument inséré dans un jeu d'opportunités et de contraintes dont le maniement est complexe. Avec le gel de la trajectoire d'augmentation de la fiscalité carbone en loi de finances pour 2019, la France a suspendu le principal outil qu'elle avait retenu contre les émissions de gaz à effet de serre en dehors du système européen d'échange de quotas d'émissions. Ce gel ne s'est pourtant pas traduit par une limitation des ambitions environnementales. Au contraire, les objectifs déjà contraignants de la loi de transition énergétique pour la croissance verte de 2015 sont en passe d'être renforcés avec l'ambition d'atteindre la neutralité carbone à l'horizon 2050. Si l'on veut atteindre cette cible, cela suppose de mobiliser l'ensemble des instruments de politique environnementale : le marché, les normes, les subventions, mais aussi la fiscalité, tout en tirant les enseignements de la contestation de l'automne 2018 en termes d'acceptabilité.
En s'inscrivant dans cette logique, le rapport formule huit orientations autour de trois axes.
Tout d'abord, la reprise d'une trajectoire d'augmentation de la fiscalité carbone paraît inéluctable pour espérer atteindre les objectifs que la France s'est assignés - sinon il faut remettre en cause les objectifs. Deux trajectoires de progression des tarifs de la fiscalité carbone ont été testées : une trajectoire modérée, reprenant l'objectif fixé par la loi de transition énergétique pour la croissance verte de 100 euros la tonne de CO2 en 2030, qui permettrait une baisse des émissions modeste de 5 % en 2030, par rapport à 2019. Cette trajectoire modérée serait à peine supérieure à l'effet d'une indexation des tarifs de fiscalité énergétique fossile sur l'inflation et n'aurait donc pas d'impact réel sur le pouvoir d'achat des ménages. Une trajectoire plus ambitieuse alignée sur la valeur de l'action pour le climat de 250 euros la tonne de CO2 en 2030, telle que calculée dans le rapport de la commission présidée par Alain Quinet en 2019, permettrait une baisse des émissions de 18 % en 2030, par rapport à 2019, avec un surcoût moyen de 56 euros par an et par ménage. Mais l'analyse de l'impact de la hausse de la fiscalité carbone sur les ménages ne peut se résumer à la hausse de la facture énergétique moyenne, tant est grande l'hétérogénéité des effets de cette hausse selon les revenus, la localisation des ménages et leurs pratiques de déplacements.
Le choix de trajectoire de fiscalité carbone doit s'apprécier au regard des effets prévisibles sur les ménages, comme sur les entreprises, en tenant compte également des contraintes d'une économie ouverte. Au-delà de la trajectoire d'augmentation du tarif de la fiscalité carbone, le CPO propose aussi d'en élargir l'assiette par la remise en cause progressive des dépenses fiscales qui affectent son efficacité. À la seule TICPE sont attachées aujourd'hui 23 dépenses fiscales majoritairement défavorables à l'environnement dont le coût, de 5,8 milliards d'euros en 2018, est en forte croissance. En y ajoutant les exonérations dont bénéficient notamment le transport aérien et le secteur maritime, ce sont 26 mesures dérogatoires représentant plus de 10 milliards d'euros de pertes de recettes fiscales. Or certaines dépenses fiscales présentent un taux de soutien sectoriel dépassant largement la valeur de la tonne de carbone et font bien plus que compenser le coût des émissions de CO2. C'est en particulier le cas pour le transport aérien et pour le gazole, sous condition d'emploi.
La réforme des dépenses fiscales pourrait suivre les orientations suivantes : supprimer les tarifs de remboursement de TICPE en faveur du transport routier de marchandises, qui représentent de l'ordre de 1,1 milliard d'euros, qui amènent à exonérer totalement ce secteur de toute fiscalité carbone, alors même qu'il est un émetteur important de gaz à effet de serre ; inclure une composante carbone pour les secteurs économiques faisant l'objet d'une exonération - transport aérien international, transport maritime international et national, transport fluvial, pêche - ; faire converger certains taux réduits sur le gazole non routier sur les tarifs de droit commun. Nous notons que le Gouvernement a retenu quelques-unes de ces orientations dans le projet de loi de finances pour 2020.
Le CPO propose ensuite de distinguer, voire de dissocier, la taxe carbone des taxes sur les énergies fossiles, comme la TICPE. Cela permettrait d'en faire un instrument distinct du socle de fiscalité énergétique, qui doit garder sa vocation de rendement et pouvoir bénéficier d'une évolution différenciée. Cette dissociation aurait l'avantage d'établir un lien plus clair entre l'objectif environnemental de la fiscalité carbone et l'instrument retenu pour l'atteindre. Plus largement, la fiscalité carbone gagnerait à être mieux articulée avec les autres instruments de politique environnementale, notamment fiscaux, dans le cadre d'une stratégie d'ensemble. La couverture de plusieurs coûts environnementaux, notamment dans le domaine des transports pourrait en effet gagner à davantage mobiliser des instruments fiscaux complémentaires. C'est le cas notamment des externalités liées à l'usage de la route, avec la taxe kilométrique nationale sur les poids lourds, la révision des modalités de calcul de la taxe sur les certificats d'immatriculation, la révision du barème kilométrique de l'impôt sur le revenu ou encore celles engendrées par la pollution atmosphérique, la convergence de la fiscalité du gazole vers l'essence.
Par ailleurs, l'articulation avec le marché européen de quotas demeure perfectible en termes de cohérence de l'assiette et de niveau de tarification du carbone. Au-delà de la conception de la taxe, les enjeux d'acceptabilité doivent faire l'objet d'une attention renouvelée. La reprise d'une trajectoire de taxe carbone ne peut faire l'économie d'une meilleure prise en compte de son acceptabilité par nos concitoyens. Au vu des difficultés récentes, plusieurs mesures pourraient permettre aux pouvoirs publics de retrouver une forme d'acceptabilité et d'envisager le développement de la fiscalité carbone. L'acceptabilité de la taxe pourrait être facilitée par la clarté des objectifs qui lui sont assignés, ainsi que par la stabilité et la visibilité de la trajectoire, même s'il faut être conscient que ce cadre d'action peut bien évidemment être perturbé par la variation des prix de marché des énergies fossiles. L'évolution du prix du baril de pétrole en est l'illustration. De plus, la transparence dans l'utilisation des recettes contribuerait à renforcer l'acceptabilité de la taxe sans qu'il y ait nécessairement d'affectation juridique. Enfin, la mise en place d'un mécanisme de compensation, qu'il soit pérenne ou transitoire, forfaitaire ou ciblé, pourrait également favoriser le consentement à la fiscalité carbone tout en modérant les effets sur les ménages les plus affectés. Le CPO a évalué les effets de plusieurs natures de dispositifs de compensation en fonction du revenu, du lieu de résidence et de la mobilité des ménages. Ces simulations figurent d'ailleurs dans le rapport.
L'opportunité de la mise en place et la nature de telles compensations doivent toutefois dépendre du niveau de trajectoire retenu. Il conviendrait en outre de veiller à ne pas subventionner l'usage des énergies fossiles contraires à l'effet recherché par la fiscalité carbone.
Enfin, des actions devraient être engagées au niveau européen et international, pour éviter que la France n'agisse seule. Par définition, la pollution climatique est un enjeu qui dépasse le cadre national. Il importe d'agir au niveau international et européen pour inciter les partenaires de la France à agir dans la même direction. Le CPO propose ainsi de soutenir les initiatives de révision du cadre européen relatif à la fiscalité énergétique, en particulier de la directive du 27 octobre 2003, afin d'y intégrer davantage les préoccupations environnementales et de mieux prendre en compte les objectifs climatiques de l'Union européenne. De plus, des dispositifs de protection commerciale gagneraient à être développés afin d'éviter que les politiques environnementales européennes ne pénalisent les secteurs les plus exposés à la concurrence internationale. Pour y parvenir, le CPO propose de soutenir les initiatives qui mettent en oeuvre un droit de douane uniforme sur les importations de pays non coopératifs en matière de politique climatique.
Enfin, le CPO propose de revenir sur les exemptions européennes dont bénéficient les secteurs du transport aérien et maritime. Ces modes de transport bénéficient aujourd'hui d'un régime dérogatoire qui n'est justifié ni par des motifs économiques ni par des motifs environnementaux. Il paraît nécessaire d'agir au niveau européen et de renforcer les engagements pris par ces deux secteurs au niveau mondial.
Le Conseil des prélèvements obligatoires s'est efforcé de formuler des propositions d'orientation qu'il a voulues réalistes, concrètes, pragmatiques.
Je voudrais féliciter le président du Conseil des prélèvements obligatoires. Là, nous sommes davantage dans le concret qu'avec le « green budgeting » du gouvernement.
Le 18 octobre 2018, j'étais dans le bureau du Premier ministre pour parler de la loi de finances. Nous avions quasi exclusivement parlé du début du mouvement des « gilets jaunes » et j'avais reçu des réponses technocratiques du type : « Le signal prix est le meilleur moyen de faire changer les comportements. » On a vu ! Toute la difficulté vient de ce que les constats n'ont pas été faits. Je regrette que le rapport du CPO n'ait pas été publié un an plus tôt. Si certains de vos constats avaient été partagés par le Gouvernement il y a un an, nous aurions sans doute évité ce que nous avons connu.
Je reviens sur quelques-uns de ces constats.
Historiquement en France, la fiscalité écologique a été conçue dans une logique de rendement. La hausse de la TICPE pluriannuelle avait été conçue comme une fiscalité de rendement pour équilibrer le budget de l'État, et non pour la transition énergétique.
Le CPO souligne aussi que la fiscalité énergétique pèse davantage sur les ménages ruraux et périurbains en raison de l'importance de leurs déplacements routiers. Évidemment, cela entraîne de très grandes inégalités. Vous soulignez l'hétérogénéité de l'impact de la hausse en fonction des revenus, de la localisation et des pratiques de déplacements des ménages.
Ces constats sont partagés.
Nous ne sommes pas contre une fiscalité énergétique ni contre la taxe carbone, mais le problème est la manière dont elle a été conçue, c'est-à-dire comme un rendement sans tenir compte de l'hétérogénéité des situations et sans compensation.
Monsieur le président, vous dites, à la proposition n° 4 : en fonction de la trajectoire retenue de la fiscalité carbone, des mécanismes de compensation en direction des ménages les plus affectés, notamment les ménages modestes, devront être associés, de manière à favoriser l'acceptation de la fiscalité carbone et l'adaptation des comportements. C'est exactement ce que le Sénat avait dit. Le signal prix est compréhensible sur un plan intellectuel si l'on dispose de 5 000 euros de revenus nets : on pourra acheter un véhicule hybride ou électrique. Mais si l'on gagne 1 200 euros par mois et que l'on habite en milieu ou dans une zone périphérique, comment changer son comportement sans compensation ? Avez-vous trouvé des exemples étrangers d'augmentation de la fiscalité adossée à un mécanisme d'accompagnement la rendant acceptable ?
On ne peut que partager votre objectif de transparence de l'utilisation des recettes de la fiscalité sur le carbone. On ne reproche pas à cette fiscalité qu'elle ne soit pas affectée, mais que la transparence fasse défaut. Il y a eu ambiguïté sur la hausse de la TICPE qui allait au budget général, de même que la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) déchets.
Une de vos recommandations rejoint les sujets abordés lors de la communication de Vincent Capo-Canellas de ce matin sur la compétitivité du transport aérien. La proposition n° 8 promeut en effet la suppression de l'exemption de fiscalité de carburant des transports internationaux aériens. Il existe trois moyens de réduire les émissions de gaz à effet de serre : améliorer la fluidité du trafic ; accélérer le renouvellement de la flotte ; soutenir la recherche pour promouvoir l'avion électrique ou d'autres modes de propulsion. Dans le projet de loi de finances, la taxe sur le transport aérien n'est pas du tout affectée à la transition énergétique, mais à l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) pour rembourser les pertes liées aux radars. Est-ce typiquement le bon signal pour vous ? Est-ce que cette suppression de l'exemption de fiscalité, c'est juste pour donner un signal prix ? Quelles alternatives pour le transport aérien ? Cela doit-il accompagner un mouvement ?
Merci de votre exposé. Nous assistons à des auditions qui entrent un peu dans le concret. Ce qui me préoccupe, c'est que nous continuons de parler de fiscalité écologique alors qu'il y a une urgence climatique.
J'avais alerté le gouvernement Philippe, lors de la présentation de son premier budget, sur l'écotaxe. Celle-ci avait fait l'objet d'un accord quasi unanime dans les deux chambres du Parlement. Peu importe, elle a été supprimée, avec une forme de brutalité, ce qui a envoyé un signal ravageur à l'opinion publique. Cette prime à la grogne, au rejet, au refus sans explication s'est accompagnée de doubles dépenses, ce qui a été un autre signal ravageur.
La révolte des ronds-points a concerné une minorité de Français, environ 300 000, mais une partie non négligeable de nos concitoyens, au début, s'y est retrouvée. Comment voulez-vous faire, aujourd'hui, en parlant taxes et impôts alors que l'on a évoqué le ras-le-bol fiscal sous le mandat précédent et que le Premier ministre actuel a dit qu'il n'y aurait ni taxe ni impôt nouveau ? C'est objectivement très compliqué. On demande de faire des acrobaties dans un contexte d'exaspération fiscale.
N'y a-t-il pas un risque à montrer que l'on continue à raisonner en vase clos comme si l'on n'entendait pas les sévères contestations des Français ?
Je suis lucide, mais pas suicidaire. Il faut rebattre les cartes, modifier le périmètre de nos réflexions et chercher des solutions hors de la fiscalité. Je ne participerai jamais au concours Lépine de la fiscalité verte. Je nous invite à étudier les approches normatives, à mobiliser des moyens nouveaux, notamment par la finance verte, en entrant dans des dynamiques de solutions nouvelles qui auront un effet d'entraînement bien plus fort pour les Français en les plaçant à égalité sur la ligne de départ.
Sur l'empreinte carbone, les importations posent problème. Le carbone importé n'est pas taxé or il représente 750 millions de tonnes, contre 450 millions de tonnes pour les émissions nationales. L'homme de la rue dit : « Vous marchez sur la tête ! Vous nous taxez alors que l'effort est d'abord à conduire ailleurs ». Cela consoliderait la relation positive entre les nations et l'Union européenne.
Je ne reviens pas sur la régressivité de la fiscalité écologique. Néanmoins, rappelons que les pourcentages sont importants, 20 % de 1 300 euros, ce n'est pas pareil que 2 % de 7 000 euros - c'est une lapalissade. Les efforts ne sont pas à conduire de la même manière. Là aussi, laissons l'éventail des possibilités ouvert. On a besoin de gros investissements dans le monde économique comme chez les particuliers.
Il faut faire une distinction entre les taxes énergétiques et la composante carbone. Comment vous y prendriez-vous ? Quelles solutions nouvelles ?
Ne donnons pas le sentiment de klaxonner alors que l'on est déjà dans le mur.
Merci de votre exposé. Je me réjouis de notre communion de pensée avec le rapporteur général et l'une de vos propositions. Nous avons évoqué ce matin la compétitivité du transport aérien et sa transition environnementale.
Le projet d'écotaxe de l'aérien contenu dans le projet de loi de finances est en réalité une augmentation de la taxe de solidarité, donc un projet de taxe de rendement pure sans effet incitatif ni environnemental réel. Je ne sais si vous pouvez le commenter.
Je trouve votre proposition n° 8 plus réaliste. Vous dites qu'il faut promouvoir la suppression de l'exemption de fiscalité des carburants des transports internationaux aériens au sein de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) et effectivement, elle est le bon échelon pour éviter les distorsions de concurrence. Taxer dans un seul pays ou dans l'Union européenne est compliqué. Autorisez-moi un peu de malice : quel niveau de taxe applique-t-on ? Dans certains pays, le transport aérien est plus robuste qu'en France. Chez nous, l'effet d'une telle taxe pourrait être malheureusement définitif. Il faut donc réfléchir dans le cadre de l'OACI et au niveau européen.
Plus de compensations et plus d'efforts, cela suppose l'émergence d'une réglementation mondiale. L'effort demandé aux constructeurs pour un meilleur rendement énergétique et une moindre consommation devra être encadré pour que les avions français ne soient pas moins polluants, mais plus chers, et donc pas concurrentiels face à des avions américains ou chinois plus polluants, mais moins chers. Il y aurait distorsion de concurrence.
Comment peut-on promouvoir ces hypothèses et convaincre le Gouvernement de traiter le sujet comme vous le proposez ?
Je vous remercie à mon tour pour votre communication, qui a le mérite de la clarté. Vous avez choisi, pour conduire votre réflexion sur la fiscalité environnementale, le thème de l'urgence climatique, ce qui donne plus de cohérence à votre démonstration.
L'ennemi, c'est le CO2. La fiscalité carbone doit donc être dissuasive. Le Gouvernement devrait se demander s'il ne faut pas une fiscalité simple et irrémédiablement dissuasive. Si nous voulons engager notre pays tout entier contre le CO2, sur tous les fronts et dans tous les domaines, il faut être absolument certain que des procédés qui sont aujourd'hui nécessairement plus coûteux deviendront économiquement viables, sans aucun aléa. Le premier facteur d'aléa, dans l'investissement industriel, c'est la décision politique, qui vient accélérer ou reporter telle ou telle décision. Une fiscalité qui conduirait nos compatriotes à avoir une attitude différente ne peut être qu'une fiscalité de dissuasion.
Quand il est question de fiscalité environnementale dédiée, non plus à la dissuasion, mais au soutien de divers projets, on entre dans un domaine extraordinairement précaire, incertain et aléatoire. Outre l'écotaxe, on peut évoquer la politique en faveur de l'énergie photovoltaïque, de l'énergie éolienne, qui n'est tout de même pas illimitée, ou encore des différents usages de la biomasse, qui requièrent des équipements extrêmement lourds et à l'utilité économique parfois discutable.
Les pouvoirs publics sont partagés entre une attitude dissuasive, assortie d'un correctif social, et la volonté de devenir eux-mêmes techniciens. Il faut plutôt laisser à l'investisseur, quel qu'il soit, le soin de choisir ! Je choisis donc la dissuasion plutôt que le soutien, car c'est plus clair : on pose une règle, et tous s'adaptent.
La dimension internationale de l'enjeu est indéniable. Vous suggérez qu'on peut progresser à l'échelon européen. Il s'agit de pays de cultures à peu près comparables : ils se tiennent par la barbichette, ils sont amenés à converger, quoi qu'ils en pensent. Le choix allemand d'abandonner l'énergie nucléaire au profit d'énergies fossiles est évidemment contre-productif, mais on peut discuter.
Tel n'est pas le cas hors de l'Union européenne. Une bonne partie de l'amélioration de notre empreinte carbone est liée aux délocalisations industrielles, avec leur lot de fermetures d'usines et de chômage. On importe : cela soulage à court terme l'industriel français, qui se fait commerçant, mais en fin de compte on perd des emplois tout en continuant de diffuser du CO2 dans l'atmosphère, depuis l'étranger.
Certes, on peut taxer les produits d'industries émettrices à l'importation, l'Union européenne peut adopter une attitude commune envers les importations en provenance de pays non coopérants, mais quand on voit la difficulté à mettre en place une politique commerciale européenne, cela me semble être une illusion. Il conviendrait de clarifier ce que doit être une fiscalité aux frontières de l'Union européenne.
Alors, comment juguler le risque de l'empreinte qui croît, des importations qui augmentent et des délocalisations industrielles ?
Par ailleurs, vous incluez au sein de la fiscalité environnementale la contribution au service public de l'électricité (CSPE). Cette fiscalité a pourtant un effet absolument contraire ! Elle taxe l'électricité, dont le mode de production, entre le nucléaire et les énergies renouvelables, est à plus de 85 % neutre du point de vue du CO2. On pénalise une énergie qui devrait gagner des parts de marché, notamment pour le chauffage, au détriment de systèmes émetteurs de CO2.
Je souhaite revenir sur les produits fiscaux réalisés sur les énergies fossiles. Votre rapport est très précis sur la répartition du bénéfice du rendement de la fiscalité énergétique fossile. Il apparaît que seuls 22 % de ce rendement sont affectés au compte d'affectation spéciale « Transition énergétique », même si les collectivités territoriales peuvent aussi en faire des utilisations à vocation de transition énergétique. On voit donc bien que l'utilisation de cette fiscalité peut poser problème, car elle manque de transparence. Certains de nos concitoyens considèrent qu'ils contribuent déjà, au travers de cette fiscalité, à l'amélioration de l'environnement. Cela pose un vrai problème d'acceptabilité, que vous avez souligné. Par ailleurs, la diminution du recours aux énergies fossiles, que nous souhaitons tous, aura pour effet la baisse du rendement de cette fiscalité.
Présidence de M. Jean-François Husson, vice-président
Nous sommes tout à fait conscients que le sujet est d'une sensibilité extrême. La question posée aux responsables politiques est la suivante : comment atteindrez-vous les objectifs que vous vous fixez vous-mêmes par rapport à cette urgence climatique ? Il faut pouvoir utiliser l'ensemble des outils permettant de limiter les émissions de gaz à effet de serre. Toutes les études montrent que la fiscalité carbone est un instrument efficace, aux côtés de la norme, ou encore des subventions. En tout cas, sans modification de la fiscalité, les objectifs déjà définis ne seront pas atteints, sans même parler des objectifs encore plus ambitieux que vous allez bientôt définir.
Certaines données ne sont pas intuitives pour l'ensemble des Français. Le poids des taxes a diminué : ce n'est pas du tout le cas dans l'esprit de nos concitoyens ! L'évolution du prix du pétrole en fonction de l'environnement international complique évidemment encore cette perception. De fait, la France se situe dans la moyenne européenne pour ce qui est de la fiscalité environnementale, après avoir longtemps été en deçà de cette moyenne.
Le sujet de l'acceptabilité est donc essentiel, et ce d'autant plus après les échecs politiques et juridiques que nous avons connus. L'écotaxe a été un formidable gâchis, que la Cour a pu mesurer. Non seulement son échec a eu un coût important, mais il a été transféré sur les automobilistes, ce qui a encore accentué ce sentiment d'aggravation de la taxation parmi les ménages affectés. On estime à 56 euros le coût moyen par ménage si la tonne de carbone est taxée à hauteur de 100 euros, mais il y a une très grande hétérogénéité des ménages en fonction de leurs revenus, et surtout de leur localisation et des moyens de transport qui leur sont accessibles. D'où les compensations qui doivent accompagner la trajectoire fiscale.
Il y a un besoin de lisibilité, de visibilité et de transparence. Tous les pays qui ont mieux réussi que d'autres dans ce domaine remplissent ces conditions, et la trajectoire qu'ils ont retenue a été progressive. La France s'est engagée dans cette voie plus tard que les autres...
L'augmentation a donc été plus brutale. Certes, nous sommes mieux placés que beaucoup d'autres pays. Nous mettons en avant l'accompagnement nécessaire, nous prévoyons diverses compensations tout en évitant de mettre en place des usines à gaz ! Si l'on complique la compréhension de la fiscalité, l'objectif ne sera pas atteint. Il faut passer par des mécanismes plus simples, tels que les chèques énergie ; il est en tout cas impératif de ne pas compliquer la mise en place de ces dispositifs.
Quant à la transparence, nous proposons de dissocier la taxe carbone des diverses taxes sur l'énergie qui sont essentiellement des taxes de rendement. Ainsi, on pourrait contribuer à la compréhension de ces mesures et à leur acceptabilité. Une telle dissociation a été mise en place dans certains pays. On peut aussi accroître la transparence de l'utilisation du produit de cette fiscalité. La transparence doit bien être distinguée de l'affectation.
Effectivement. L'État pourrait établir un compte de la fiscalité carbone. Cela clarifierait les choses aux yeux des citoyens. Quant à remplacer la taxation par de la norme, celle-ci a aussi un coût.
Mais ce coût est caché et n'apparaît pas aussi clairement que la taxe. Il semble difficile de se dispenser d'utiliser l'outil fiscal.
Comment l'Europe peut-elle peser par rapport à d'autres parties du monde moins sensible à ce sujet ? Nous pourrions envisager un droit de douane uniforme avec les pays non coopératifs dans ce domaine, mais cela nécessite un accord unanime des pays membres de l'Union européenne. Concernant l'exonération de taxe du trafic maritime et aérien, les choses évoluent au niveau européen : les propositions de rééquilibrage rencontrent moins de blocages qu'il y a quelques années. Il faut donc continuer nos efforts dans ce sens.
Le projet de loi énergie et climat fixe la neutralité carbone en 2050. Vous avez approuvé la stratégie bas carbone qui comprend la programmation pluriannuelle et les budgets carbone. Tout cela crée une obligation de réduction des émissions de 1,9 % et dès 2025 de 3,3 %. Il y a un trend de baisse, mais entre 2015 et 2018, nous avons dépassé le budget carbone de 78 millions de tonnes, ce qui crée un écart avec nos engagements.
La problématique de l'empreinte carbone doit aussi être prise en compte : elle représente en effet 1,7 fois les émissions nationales, et est en hausse de 7 % entre 1995 et 2017, la part importée passant de 10,5 tonnes à 11,2 tonnes de CO2 par habitant. C'est une des difficultés de toute politique fiscale.
La compétitivité des entreprises est évidemment importante et les quotas carbone peuvent être utiles dans ce domaine. Mais les prix sont aujourd'hui très loin du point d'équilibre. Cela doit être traité au niveau européen. La directive de 2018 en cours de transposition devrait réduire le champ. Pour les entreprises, ce qui est important, c'est la lisibilité. La taxation du carbone est clairement plus importante dans le secteur des transports que dans l'industrie, mais c'est surtout à cause de la TICPE socle, qui a été créée dans une optique de rendement et n'engage donc aucun arbitrage pour les entreprises. L'enjeu est de savoir comment faire changer cela, ce que de toute manière la directive Eurovignette nous oblige à faire. L'utilisation du GPS permet maintenant, comme le font la Suisse, l'Allemagne, l'Autriche, de mettre en place une taxe kilométrique, quitte à supprimer la taxe à l'essieu, qui pénalise le transport routier national par rapport aux transporteurs étrangers.
Le transport aérien a fait des efforts : la hausse du nombre de passagers est très supérieure a la hausse de leurs émissions.
Et il le fait savoir !
Les choses évoluent dans ce domaine. Les Pays-Bas ont exposé des projets de taxation. L'organisation de l'aviation civile internationale (OACI) se réveille avec le programme Corsia qui pourrait démarrer en 2023, mais les Américains s'y opposent...
Les Français ne comprennent pas que le transport aérien soit exonéré de taxe carbone, et que les produits importés de pays lointains en avion en profitent, comme les haricots du Kenya ou les divers produits chinois.
Il y a peut-être un chemin qui consisterait à rouvrir la directive européenne de 2011, abandonnée, car plusieurs pays s'y étaient opposés. Cela permettrait d'asseoir au niveau européen la disjonction entre taxation carbone et accises énergétiques et de poser la question essentielle d'une taxation à l'import sur les produits venant de pays non coopératifs, c'est à dire n'ayant pas mis en place de signal prix sur l'émission de gaz soit par la taxation soit par un système de quotas.
Les compensations doivent être faites au sein de chaque secteur. C'est ce qu'ont fait les Suédois. L'argent récolté par la taxation du secteur aérien, par exemple, devrait aider le secteur à s'adapter.
Un signal prix fixé sur une longue durée permet aux industriels de revoir les processus de production. Cela ne se fait pas en un jour. Pour les ménages, plusieurs options sont sur la table, mais il faut bien avoir à l'esprit que la taxation actuelle est une fiscalité régressive en fonction des revenus qui pénalise les revenus modestes ainsi que les populations rurales ou périurbaines. La facture énergétique est certes en moyenne de 3 000 euros, mais elle peut varier en réalité de 1 200 à 5 000 euros !
Les mécanismes qui permettraient de la compenser sont sur la table : selon les revenus, en cumulant revenus et localisation, en tenant compte de la mobilité. Nous pensons à une compensation forfaitaire, mais suffisamment longue pour atteindre les ménages les plus modestes qui ne peuvent pas arbitrer facilement une décision d'investissement de changement de voiture par exemple ou de changement de chaudière.
Regardez la page 11 de la synthèse ; la Suède a commencé dès les années 1990 les efforts que nous voulions faire en trois ans.
Les Suédois ont fait de la moyenne montagne alors que nous voulons nous attaquer directement au Tourmalet !
Je retiens que l'habitat est un chantier majeur. Il y a des propriétaires modestes et beaucoup de locataires modestes. Faire de la rénovation thermique dans le locatif peut être un allègement puissant de la facture énergétique.
Je vous remercie.
La réunion est close à 18 h 25.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.