Nous examinons ce matin le rapport pour avis de notre collègue Daniel Gremillet sur les crédits « Énergie » de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » du projet de loi de finances (PLF) pour 2020.
J'appelle votre attention sur le fait qu'il est possible, lors du début de l'examen du PLF, que les articles afférents à la fiscalité énergétique soient appelés lundi après-midi, afin de les regrouper par souci de cohérence. Le principe a déjà été acté, mais je n'ai pas davantage de précision. La semaine prochaine, il nous restera à examiner les crédits relatifs à l'agriculture, à la recherche et au logement.
Comme vous le savez, la loi relative à l'énergie et au climat, qui résulte d'un accord entre le Sénat et l'Assemblée nationale, vient d'être promulguée par le Président de la République.
Lors de la lecture des conclusions de ce texte, j'avais indiqué en séance publique que le Sénat veillerait « avec une exigence particulière, à ce que le Gouvernement offre des réponses à la hauteur des enjeux dans le cadre du projet de loi de finances pour 2020 ».
Deux mois plus tard, je ne peux que déplorer l'insuffisance des moyens présentés par le Gouvernement par rapport aux objectifs adoptés par le législateur !
Si le ministère de la transition écologique et solidaire affiche un budget en hausse de 2,6 %, avec 3,5 milliards d'euros pour la rénovation énergétique, les crédits consacrés à l'énergie dont nous sommes saisis ne présentent une apparence haussière que grâce à d'importants redéploiements : à périmètre constant, ils sont en baisse de près de 1 milliard d'euros !
Plus spécifiquement, ces crédits sont caractérisés par la forte diminution du programme 174 « Énergie, climat et après-mines », avec - 17,5 %, et du compte d'affectation spéciale « Transition énergétique », avec - 13,3 %. Ils présentent une évolution nulle pour le CAS « Financement des aides aux collectivités pour l'électrification rurale » (FACÉ), ainsi qu'une légère hausse pour le programme 345 « Service public de l'énergie », avec + 5,5 %.
Les moyens qui nous sont présentés sont insuffisants dans trois domaines au moins.
Premier domaine : la rénovation énergétique.
La réforme du crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE), en excluant les ménages des 9e et des 10e déciles, conduira à une réduction des deux tiers des bénéficiaires et du montant de ce crédit d'impôt.
Elle ne sera pas compensée par la création de la prime pour les ménages très modestes.
En effet, les crédits d'impôt concerneront 350 000 ménages et 350 millions d'euros pour les travaux réalisés en 2020 tandis que les primes viseront 170 000 ménages et 390 millions d'euros pour celles distribuées en 2020.
Ces chiffres sont sans commune mesure avec ceux de l'ancien CITE, qui comptait 950 000 bénéficiaires et 1,1 milliard d'euros en 2019 !
Certains équipements, pourtant utiles à la réalisation d'économies d'énergie, ne seront plus éligibles, tels que les chaudières à très haute performance énergétique (THPE) hors fioul et les appareils de régulation de chauffage.
Par ailleurs, la forfaitisation des montants induira un reste à charge très élevé pour les ménages, d'autant que la nouvelle prime sera écrêtée par décret.
Lors de son audition hier par notre commission, la ministre Élisabeth Borne a précisé que ce reste à charge représenterait 10 % des dépenses, ce qui est loin d'être négligeable.
Au total, le président du Conseil supérieur de la construction et de l'efficacité énergétique m'a indiqué qu'au moins 62 000 professionnels seront directement touchés par cette réforme.
Deuxième enjeu : le soutien aux énergies renouvelables (EnR).
Tout d'abord, je déplore que l'Assemblée nationale ait adopté la suppression du compte d'affectation spéciale « Transition énergétique » (CAS TE) au 1er janvier 2021.
À l'occasion de son audition, la ministre a reconnu les difficultés posées par cette suppression, rappelant que cette modification a été adoptée contre l'avis du Gouvernement.
Oui, on va l'aider !
En effet, avec 6,23 milliards d'euros en 2020, le CAS TE constitue de très loin notre premier outil de financement des énergies renouvelables (ENR).
Il s'agit d'un signal tout à fait négatif pour les professionnels : on peut malheureusement penser que la budgétisation du CAS TE conduira à la compression de ses dépenses de soutien aux EnR...ainsi qu'à la captation de ses recettes par l'État.
S'agissant des dépenses de soutien aux EnR prévues par le CAS TE en 2020, elles connaissent des évolutions contrastées, dont le Gouvernement n'a pas la totale maîtrise cependant : - 3 % pour l'électricité, - 11,1 % pour les effacements, - 3,1 % pour la cogénération, mais + 88,1 % pour le biométhane.
Dans le même ordre d'idées, l'augmentation des moyens du Fonds chaleur renouvelable, qui doit atteindre 350 millions d'euros en 2020 selon le projet de programmation pluriannuelle de l'énergie, est financée par un « recyclage » d'anciens crédits de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), qui assure sa gestion, puisque la subvention pour charges de service public de cette agence n'évolue pas entre 2019 et 2020.
Dernier sujet : l'aide aux véhicules propres.
En 2020, la prime à la conversion sera rattachée au programme 174, aux côtés du bonus automobile.
Compte tenu du resserrement des conditions d'éligibilité de cette prime intervenu en août, elle ne bénéficiera qu'à 250 000 véhicules, contre 400 000 en 2019, pour un montant de 405 millions, contre 596 millions l'an passé.
Cela ne contribuera pas à favoriser le renouvellement des 10 millions de véhicules anciens.
Cette baisse des crédits budgétaires se traduit-elle par une baisse des prélèvements fiscaux ? La réponse est non, mes chers collègues.
Si le Gouvernement a été contraint l'an passé à un « gel » de la fiscalité énergétique à la suite de la contestation sociale que nous connaissons tous, il reconnaît lui-même une hausse de cette fiscalité de 3,9 milliards d'euros en 2020 par rapport à 2017, dont 2,4 pour les ménages et 1,5 pour les entreprises.
On observe ainsi un clair dynamisme des taxes intérieures de consommation : 10,7 % pour la taxe intérieure sur la consommation des produits énergétiques (TICPE) perçue par l'État, 4,2 % pour la taxe intérieure de consommation sur le gaz naturel (TICGN), 2,6 % pour la taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité (TICFE).
Ces taxes augmentent à un rythme bien supérieur à leur croissance « spontanée », c'est-à-dire à celle qui résulte de l'activité économique, laquelle s'établit respectivement à 0,1 %, 1,3 % et 1,7 %.
Cette hausse est notamment due à la suppression d'incitations fiscales dont bénéficient les professionnels : le taux réduit de TICPE sur les carburants « sous condition d'emploi », la baisse de 2 centimes du remboursement au titre de la TICPE pour les transporteurs routiers, l'exonération de la TICGN pour le biométhane injecté dans les réseaux.
Au total, c'est une charge fiscale pérenne de 1 milliard d'euros qui sera appliquée à ces professionnels !
Par ailleurs, la fiscalité énergétique poursuit un objectif de rendement budgétaire de plus en plus évident : en 2020, l'État percevra ainsi 43,2 % des recettes de la TICPE, contre 18,8 % pour le CAS TE, compte tenu de la baisse de 700 millions des recettes de ce compte.
Enfin, la reprise de la « trajectoire carbone » a fait l'objet d'un débat dans le cadre de la Convention citoyenne pour le climat.
Il n'est donc pas exclu qu'elle soit réintroduite si la convention s'exprime en ce sens.
Cela est d'autant plus préoccupant que les rapporteurs du Conseil des prélèvements obligatoires, qui a publié une récente étude sur le sujet, m'ont indiqué que l'impact de la fiscalité carbone était mal évalué.
Dans ce contexte, mes chers collègues, il y a fort à parier que les objectifs de notre transition énergétique seront très difficilement atteints.
En effet, nous n'en sommes qu'à mi-parcours, avec 16 % de consommation d'énergie renouvelable en 2017, contre un objectif de 33 % en 2030 pour la loi « Énergie-Climat » et 390 000 rénovations énergétiques en 2014, contre un objectif de 500 000 par an selon la loi « Transition énergétique ».
Constatant l'insuffisance des moyens prévus par le PLF pour 2020 au regard des objectifs de la loi « Énergie-Climat », je ne peux que proposer un avis défavorable sur les crédits présentés.
Pour autant, face à l'urgence d'agir contre les changements climatiques, il me semble indispensable de porter un débat plein et entier en séance publique sur le financement de notre transition énergétique. C'est pourquoi j'invite l'ensemble des commissaires qui le souhaitent à cosigner des amendements de première et de seconde parties que je présente à titre personnel ; ils sont destinés à obtenir du Gouvernement des réponses précises sur les enjeux les plus cruciaux du PLF pour 2020.
En premier lieu, je propose trois amendements de nature budgétaire destinés à modifier la répartition des crédits « Énergie ».
Le premier vise à abonder de 50 % le montant de la sous-action du programme 174 portant sur la revitalisation des territoires touchés par les fermetures de centrales.
En effet, si la création de cette sous-action est tout à fait utile, et répond d'ailleurs à une préconisation formulée en ce sens par notre commission l'an passé, le montant de 40 millions d'euros prévu est insuffisant pour accompagner à la fois les fermetures de centrales à charbon d'ici à 2022 ainsi que la fermeture de la centrale de Fessenheim dès 2020.
Le deuxième amendement tend à allouer 40 millions d'euros supplémentaires au Fonds chaleur renouvelable, qui soutient la production et la gestion des réseaux de chaleur et de froid.
Ce choix est dicté par la nécessité d'atteindre notre objectif d'au moins 38 % de chaleur renouvelable en 2030, tel que le prévoit la loi « Énergie-climat »... cette proportion n'étant que de 21,3 % en 2017.
Il est justifié par le fait que l'équilibre financier de ce fonds n'est atteint que grâce au « recyclage » d'anciens crédits que j'ai indiqué.
Enfin, le dernier amendement prévoit de relever les crédits du chèque énergie de 75 millions d'euros, de manière à lui permettre de financer effectivement les dépenses de rénovation énergétique auxquelles ils donnent droit, suivant en cela une préconisation qui m'a été faite par le médiateur national de l'énergie.
Cette modification permettrait de revaloriser le chèque énergie de 25 euros en moyenne, relevant ainsi son montant minimal à 73 euros - + 50 % environ - et son montant maximal à 302 euros - + 10 % environ.
Au-delà de ces crédits, je porte également plusieurs amendements de nature fiscale, avec mes collègues Jean-François Husson, rapporteur spécial de la commission des finances sur la mission « Écologie », et Dominique Estrosi Sassone, rapporteur pour avis de notre commission pour le logement.
Tout d'abord, je propose des amendements tendant à rétablir partiellement l'éligibilité au CITE des ménages des 9e et 10e déciles ainsi que pour certains équipements, dont les chaudières THPE hors fioul et les appareils de régulation de chauffage.
Par ailleurs, je défends le maintien du CAS TE au-delà du 30 décembre 2020, le rétablissement des incitations fiscales sur la TICPE et la TICGN que j'ai évoqué ainsi que l'évaluation de toute réforme éventuelle de la fiscalité carbone.
Je précise que ces amendements viennent de vous être adressés, le délai limite pour cosigner ceux de la première partie étant fixé, aujourd'hui, à 14 h 30.
Voilà en somme ce que je voulais vous dire sur le premier budget suivant l'adoption de la loi « Énergie-Climat » : seul un effort budgétaire et fiscal suffisant peut nous permettre d'atteindre en 2050 l'objectif de neutralité carbone que nous avons voté !
Je partage nombre des remarques de notre rapporteur. Dans le contexte d'urgence climatique que nous connaissons, je ne perçois aucune dynamique dans ces propositions budgétaires. Toutes les trajectoires actuelles s'éloignent des objectifs que le Gouvernement nous incite à fixer.
On nous dit qu'il faut entrer en guerre contre le réchauffement climatique, mais aucun effort de guerre n'est fait, et des emplois sont supprimés, notamment 1 073 emplois au ministère de la transition écologique. Il se dit même que 1 000 autres emplois seraient transférés vers un autre ministère. Or n'avons-nous pas besoin de moyens humains pour accélérer la transition écologique ?
Vous avez déploré la baisse brutale des crédits du programme 174, qui va bien au-delà des diminutions budgétaires liées au nombre de décès. C'est stupéfiant ! Comment le Gouvernement justifie-t-il une telle baisse ?
Le CITE transformé en prime me semble être une bonne chose, mais le reste à charge pour les ménages modestes serait trop important. Nous déposerons donc des amendements en séance.
L'année dernière, le chèque énergie a été réévalué de 50 euros, mais, comme je l'ai dit à la ministre Élisabeth Borne, le compte n'y est pas ! Le prix de l'électricité a augmenté en même temps de 6 %, c'est-à-dire de 85 euros. Il faudrait donc indexer le chèque énergie sur le prix de l'énergie.
Une bonne nouvelle, c'est la fin du remboursement du principal de la dette cumulée par l'État auprès d'EDF au titre de l'ancienne CSPE. Le CAS est donc en baisse de 1 milliard d'euros. N'aurait-on pas pu l'affecter à la transition énergétique ?
Les crédits concernant la qualité de l'air nous semblent encore insuffisants cette année. Rappelons que la Cour de justice de l'Union européenne a condamné la France pour avoir dépassé de manière persistante les valeurs limites de dioxyde d'azote.
Le plan de revitalisation de 40 millions s'avèrera insuffisant par rapport aux conséquences de la fermeture des centrales à charbon sur les territoires.
Il semble que l'Agence de sûreté nucléaire ait besoin d'inspecteurs supplémentaires en raison des irrégularités découvertes. On dénombre également des besoins chez le Médiateur national de l'énergie à cause de la multiplication des litiges. Nous allons voir si nous pouvons déposer des amendements sur ce sujet.
Enfin, la rénovation énergétique est l'un des principaux leviers pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Le problème est qu'il n'y a aucune dynamique, aucun dispositif innovant à ce niveau et que les échéances sont trop lointaines. L'urgence climatique attendra donc !
Pourtant, des pistes existent. Pourquoi ne pas affecter une plus large part des recettes de la mise aux enchères des quotas carbone ? Pourquoi ne pas développer des dispositifs d'avances et de financement qui seraient remboursés sur les économies d'énergie réalisées ? Pourquoi ne pas mettre en oeuvre un nouveau grand plan d'investissement public ?
Les mesures qui nous sont proposées sont insuffisantes par rapport à l'urgence climatique et sociale : nous n'approuvons pas ces crédits, qui ne répondent pas aux défis actuels.
Concernant la baisse des effectifs, et rien que dans le périmètre du programme 174, le plafond des autorisations d'emploi des opérateurs diminue à 443 équivalents temps plein (ETP). C'est pour cette raison que j'ai posé hier à la ministre Élisabeth Borne une question sur l'Ademe. Parfois, des crédits sont inutilisés, car les délais d'instruction sont trop longs... faute de moyens humains suffisants : c'est un vrai problème.
Par ailleurs, les fermetures des quatre centrales à charbon ont été décidées sans concertation. C'est le Sénat, l'an passé, qui avait rappelé qu'il était inenvisageable de ne pas accompagner les territoires concernés. Nous avions introduit l'idée d'un fonds d'accompagnement lors du budget de 2019 et nous souhaitons amplifier la sous-action prévue par le PLF 2020, car les conséquences territoriales, pour le personnel, mais aussi pour les entreprises sous-traitantes, sont très nombreuses.
Le rôle de l'Ademe est important. Peut-être conviendrait-il de faire un travail spécifique - dans le cadre d'une audition par exemple -, car des crédits ont été sortis de l'Ademe pour entrer dans le budget. La réponse de la ministre sur ce sujet me semble peu satisfaisante.
La commission émet un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Écologie, développement et mobilité durables ».
La réunion est close à 10 h 55.