Monsieur le président, je vous remercie d'avoir à nouveau répondu à l'appel de notre commission : nous avons toujours plaisir à vous recevoir, que cela soit dans le cadre des cellules de veille que notre commission a récemment mises en place ou en réunion plénière.
Nous souhaitons évoquer avec vous les défis que la crise actuelle pose à notre économie, dans une vision prospective. La question qui se pose à notre pays et aux pouvoirs publics est la suivante : quelles devront être nos priorités de politique publique, en prenant en compte la fragilisation de nos entreprises durement touchées par la paralysie de l'activité, tout en gardant le cap sur les grands objectifs de transition écologique, d'innovation ou de souveraineté économique - un thème qui a émergé avec force durant la crise ?
Si les mesures de soutien d'urgence qui ont été mises en place ces dernières semaines et qui ont été élargies à plusieurs reprises sont saluées par les acteurs que nous avons entendus, elles s'inscrivent pour l'instant dans le court terme. Vous l'avez dit : l'indemnisation par l'État du chômage partiel ne pourra pas durer.
Pourtant certains secteurs, comme l'aéronautique, ne prévoient pas de retrouver leur niveau habituel d'activité avant 2023. Les plus petites entreprises, qui font face aux problèmes de trésorerie les plus pressants, peuvent certes contracter des prêts garantis par l'État, mais elles s'endettent, et leurs fonds propres restent trop bas. Dans quelques mois, nous risquons de voir certaines d'entre elles sombrer ou être victimes d'acquisitions prédatrices, alors qu'elles sont essentielles au bon fonctionnement de nos filières industrielles. La R&D, qui est un impératif pour assurer la transition écologique et énergétique, et qui sous-tend notre innovation et notre compétitivité, risque d'être sacrifiée pendant plusieurs années. Le travail est donc loin d'être fini.
Malgré une lente reprise, la France a aujourd'hui un niveau d'activité industriel inférieur à tous ses voisins européens. Comment s'assurer que nous ne prenions pas de retard, cette fois, dans la relance et dans la transformation de notre économie ? Quels sont les leviers que nous pouvons activer : investissement public, numérisation, aides à la décarbonation, structuration des filières ? Comment les entreprises s'engagent-elles pour atteindre ces objectifs ? Que pensez-vous aussi de la politique européenne ?
Je suis très heureux d'échanger avec vous. M. Alexandre Saubot, vice-président, M. Vincent Moulin-Wright, directeur général et M. Jean-Marie Danjou, directeur général délégué de France Industrie, m'aideront à vous répondre.
Je dirai tout d'abord un mot de la situation, avant d'aborder la question du plan de relance.
Les taux d'activité sont très faibles dans l'industrie - autour de 56 % ou 57 % en moyenne -, avec une grande hétérogénéité entre les secteurs : si la santé, l'alimentaire, la chimie, l'emballage et les télécommunications fonctionnent bien et ont un taux d'activité supérieur à 80 %, d'autres secteurs fonctionnent au ralenti, comme l'automobile, l'aéronautique, la construction - à la différence de certains de nos voisins -, l'ameublement ou la métallurgie.
Dans la construction et les travaux publics, l'important est la reprise des chantiers. Le secteur a élaboré un guide sanitaire pour préparer la reprise, mais celle-ci n'est pas encore en vue, sauf dans quelques domaines particuliers, comme la rénovation. Les appels d'offre publics sont suspendus, et l'on ne sent pas d'enthousiasme à reprendre les chantiers de la part des maîtres d'ouvrage publics.
Dans l'automobile, le redémarrage sera graduel, peut-être plus rapide chez certains équipementiers, mais les grandes lignes d'assemblage des constructeurs ne reprendront pas tant que les concessionnaires seront fermés et que les Français n'auront pas repris leurs achats de véhicules. Il faudra du temps, car les stocks sont élevés, même si je note avec satisfaction que Toyota a déjà repris sa production.
Dans l'aéronautique, la situation actuelle semble malheureusement amenée à durer. Le niveau d'activité est de 35 %. Les vols commerciaux sont interrompus. La situation des compagnies aériennes sera un sujet de long terme.
Outre ces disparités sectorielles, l'absentéisme des salariés, de l'ordre de 20 % à 30 % par exemple dans l'agro-alimentaire, constitue une autre source de préoccupation. La réouverture des écoles sera lente et ne favorisera pas la reprise de l'activité.
Nous observons aussi avec vigilance la situation dans les collectivités locales, car les appels d'offre sont gelés. Des factures trimestrielles doivent être passées mensuellement... C'est là notre constat, et nous sommes préoccupés par le maintien de l'activité des délégations de service public, ainsi que dans les transports et la logistique.
La santé des salariés constitue aussi une priorité. Si toutes les mesures ne sont pas prises pour la garantir, on ne redémarrera pas. Nous avons élaboré des guides par branches, une trentaine environ, et pas seulement dans l'industrie d'ailleurs, afin de rassembler les bonnes pratiques sanitaires et d'aider les responsables des sites à préparer des protocoles de reprise en lien avec les représentants du personnel. Organisation du travail, marquage de la distanciation sociale au sol, restauration, nettoyage des postes de travail et des zones communes, etc., ces aspects sont spécifiques à chaque entreprise font l'objet d'un protocole qui doit être défini dans le cadre du dialogue social.
J'en profite pour dire un mot de la responsabilité juridique des patrons et des responsables d'entreprise. Avec la CGT, notamment, ce sujet a pris une dimension aiguë ; d'où un redémarrage plus lent que chez nos voisins. Les entreprises ont une obligation de moyens, notamment en définissant des protocoles de reprise, mais beaucoup de dirigeants pensent qu'ils ont une obligation de résultat et sont inquiets. Cette crainte peut les inciter à préférer prolonger le chômage partiel.
Avec les industriels, nous nous sommes mobilisés pour contribuer à l'effort de santé ; cela a commencé par la production de gels hydroalcooliques, grâce aux industries de la chimie et du luxe, puis par la fabrication de masques : l'Union des industries textiles et le secteur du luxe ont réalisé des efforts remarquables, et la production atteint 15 millions d'unités par semaine. Je pourrais aussi citer la production de 10 000 respirateurs artificiels, autour d'Air Liquide, ou de blouses et d'équipements pour les salles de réanimation.
Je salue les mesures d'urgence prises par le Gouvernement, ainsi que la réactivité du Parlement, qui a adopté rapidement les textes proposés. J'ai aussi été auditionné par la cellule de veille sur l'industrie de votre commission ; M. Chatillon, Mme Létard, et M. Bourquin nous ont écoutés avec attention.
La question maintenant est de savoir comment sortir de cette situation. La France compte 10,5 millions de salariés en chômage partiel, soit la moitié des salariés du privé, ce qui n'est pas soutenable. Il convient donc de faciliter la reprise et de préparer un plan de relance. J'évoquerai successivement les modalités de soutien à la consommation, puis à l'investissement, au travers notamment du renforcement des fonds propres et d'un effort en faveur du capital humain, et je terminerai par la dimension européenne.
Quelques remarques générales, tout d'abord. Les défis sont considérables. Dans le monde d'après, les citoyens auront besoin de sécurité et de protection face à la montée des risques, sanitaires ou environnementaux par exemple. Il faudra probablement mieux assurer notre souveraineté, on parle ainsi beaucoup de relocalisation ou de la sécurisation de nos chaines d'approvisionnement.
Le deuxième enjeu est environnemental. Il n'y a pas, à cet égard, de changement par rapport à la période d'avant la crise. Ce qui avait été décidé dans le cadre du Pacte productif reste d'actualité. La crise offre autant d'opportunités que de contraintes pour l'industrie à cet égard. Le cap en tout cas ne changera pas, contrairement à ce que certains articles dans la presse pourraient laisser croire.
Il faut aussi prendre en considération le niveau des fonds propres. Beaucoup d'entreprises sont très endettées. Or on ne peut compter sur une relance de l'investissement si elles manquent de fonds propres.
De même, compter sur une hausse de la consommation me paraît difficile. Je ne pense pas que les Français vont se précipiter pour consommer massivement. Ils ont augmenté leur épargne de 50 milliards d'euros ces dernières semaines, et ce mouvement me paraît durable. La situation de l'emploi est préoccupante. Le maintien de la cohésion sociale est un enjeu collectif fondamental.
Ces éléments de contexte appellent deux remarques. La première, qui est une remarque personnelle, c'est que l'on ne peut pas sortir de cette situation sans mobiliser l'intelligence collective - l'État, les entreprises, les partenaires sociaux, les régions, l'Europe - pour réinventer notre modèle productif. Cela demande de la détermination et du temps long, ce qui n'est pas toujours le mode de fonctionnement de l'économie libérale ; c'est là un changement de point de vue.
Ensuite, nous devons rester compétitifs, ce qui signifie à la fois régler les problèmes qui existaient avant la crise - poids de la fiscalité de production, poids du chômage structurel, qui est supérieur de quatre points à celui de nos voisins immédiats - et intégrer les contraintes nouvelles qui sont liées à la continuité d'approvisionnement sur certains maillons stratégiques, autrement dit les relocalisations, et à la transition écologique. Du point de vue du capital humain, l'effort de formation pour accompagner ces mutations sera colossal. Pour la mise en oeuvre d'une stratégie industrielle renouvelée, nos dix-huit filières réfléchissent depuis près d'un mois, secteur par secteur, à ces nouvelles préoccupations.
Après ce préambule, j'en viens à la pratique. Le premier enjeu, c'est le soutien ciblé à la demande. Plus qu'un soutien général à la demande, compte tenu des comportements d'épargne, un soutien ciblé et l'utilisation de la commande publique pour des préoccupations liées à la trajectoire carbone seraient souhaitable.
En ce qui concerne la mobilité, par exemple, nous pourrions sortir par le haut d'une situation extrêmement difficile. « Dans le doute, on accélère », ai-je retenu de la période que j'ai passée dans le secteur automobile... Accélérer, en la matière, c'est aider au développement des véhicules électriques et hybrides de manière plus volontariste, notamment en réintroduisant les aides à la consommation pour les flottes de véhicules et développant plus massivement les bornes de recharge. Le plan existe, mais il convient de l'accélérer. Je pense également aux infrastructures de transports en commun, domaine où la commande publique joue un rôle essentiel.
Autre sujet important : l'isolation thermique des logements privés et des bâtiments publics. C'est un angle mort dans le plan carbone du pays, avec à la clé des gains sur la trajectoire carbone et beaucoup d'emplois. Contrairement à la mobilité, ce sujet est moins identifié et nous manquons cependant d'un véritable plan national bien financé. C'est l'occasion ou jamais d'élaborer un tel plan, les propriétaires privés n'ayant pas forcément les capacités d'endettement correspondantes.
Il conviendrait également de développer la séquestration du carbone dans les sols pour l'agriculture et la sylviculture. Un soutien à la demande doit exister. À cet égard, au-delà des crédits publics, il faut favoriser l'épargne des Français. Il y a là beaucoup d'emplois à la clé.
Le deuxième enjeu est l'investissement ; il comporte trois volets.
Le premier concerne la relocalisation des maillons stratégiques de nos approvisionnements qui sont en situation de rupture - équipements médicaux, pièces automobiles, moules en plasturgie, pièces électroniques... Une évaluation des nécessités de relocalisation est en cours. Spontanément, les entreprises vont agir, notamment dans le secteur santé, où le coût d'une rupture est supérieur au surcoût éventuel d'une solution française : on l'a vu avec les principes actifs de médicaments. Pour d'autres sujets, la relocalisation, en France, en Europe ou dans les pays du Maghreb qui sont moins risqués en termes d'approvisionnement, nécessitera un soutien. En pratique, nous devons établir, au niveau national, filière par filière, une évaluation des risques et un registre des pièces et équipements stratégiques, afin de prévoir à chaque fois une relocalisation ou la mise sous contrôle des approvisionnements en cas de nécessité.
Le deuxième volet est celui de la transition écologique. Les procédés industriels représentent 18 % des émissions. Dans le Pacte productif, auquel nous travaillons avec le ministère de l'environnement, nous cherchons à assurer la trajectoire écologique des procédés industriels, en utilisant les outils actuels comme le Fonds chaleur, mais en les redimensionnant pour soutenir l'investissement. Sur ce sujet, il n'y a pas de changement.
Le troisième volet est lié aux marchés du futur, à la digitalisation. Nous y avons beaucoup travaillé, ces deux dernières années. Vous connaissez le plan d'accompagnement de 10 000 PME vers l'industrie du futur, soutenu par l'État et maintenant piloté par les Régions ; la mise en place de plateformes d'accélération ; et les centres techniques industriels (CTI). Il faut accélérer ces initiatives.
En ce qui concerne les marchés du futur - les batteries, l'hydrogène, la santé digitale, la bioproduction -, le Conseil de l'innovation a identifié des segments pouvant bénéficier des crédits du quatrième programme d'investissements d'avenir (PIA 4). En lien avec la dimension européenne et les écosystèmes promus par notre commissaire Thierry Breton, le passage à l'industrialisation doit être accéléré pour les batteries, l'hydrogène ou la décarbonation des procédés industriels.
Le plan de relance doit contenir un plan d'investissement massif des entreprises, avec le soutien de l'État. Si les problèmes de liquidités à court terme ont été pour beaucoup réglés, l'endettement empêchera les entreprises d'investir. Nous réfléchissons, avec l'État, aux différentes manières de renforcer leurs fonds propres. L'amélioration de leurs résultats nets permettrait d'augmenter mécaniquement leurs fonds propres, mais ce sera loin d'être suffisant. Nous pensons à la consolidation à long terme des dettes PGE (Prêt garanti par l'État) ou à des interventions directes de l'État ; Bruno Le Maire en a évoqué quelques-unes pour les cas extrêmes comme Air France. Il faudrait engager une réflexion plus large. Les Régions, avec leurs fonds d'investissement, ou des partenariats public-privé peuvent trouver le moyen de soutenir les entreprises. D'autres réflexions sont en cours avec Bercy sur ce thème. Le renforcement des fonds propres des entreprises est indispensable.
Pour ce qui est du capital humain, nous sommes face à un changement radical de perspective. Trois mois avant la crise, l'offre d'emploi de l'industrie était de 250 000 emplois par an, dont 50 000 non pourvus. Nous travaillions sur cette inadéquation de l'offre et de la demande. Aujourd'hui, notre sujet sera de contrer le gel des embauches et de faire face à une inévitable montée du chômage. En pratique, les entreprises devront prendre le relais de l'abandon progressif du dispositif de chômage partiel, le plus généreux d'Europe. Nous réfléchissons à de nouvelles organisations dans les entreprises, en nous appuyant sur le principe des accords de performance collective, qui permettent une flexibilité plus importante de la force de travail. Les outils juridiques existent, mais ils n'ont guère fonctionné dans la pratique ces dix dernières années. Il va falloir rouvrir la réflexion, avec ce maître mot : flexibilité.
Hors des entreprises, nous devrons accompagner le retour vers l'emploi de nouveaux chômeurs, dont des « cols blancs ». Au niveau régional, des groupes d'études regroupant les différents acteurs devront y travailler avec une réactivité décuplée.
Sur les questions de l'apprentissage et de l'alternance, nous rencontrions un vrai succès, et le soufflet ne doit pas retomber. Il faut maintenir la dynamique.
La dimension régionale est essentielle pour un certain nombre de sujets. Un plan national non coordonné avec des plans régionaux ne serait pas efficace, qu'il s'agisse du financement, du capital humain ou du soutien à l'investissement. Je ne sais pas aujourd'hui quel format serait le plus adapté, mais l'articulation de ces plans régionaux avec un plan national pourrait être clarifiée dans le cadre du conseil économique État-régions créé l'année dernière.
J'en viens à mon dernier point : l'Europe. Les nouveaux éléments du modèle productif que j'évoquais doivent intégrer la profonde et croissante rivalité entre les États-Unis et la Chine, d'où l'enjeu critique d'une Europe forte. Dans ce contexte, nous devons nous coordonner à l'échelle européenne. C'est actuellement le cas sur le plan financier, avec le soutien bienvenu de la Banque centrale européenne (BCE) ; il faudra certainement aller plus loin et engager une réflexion sur la manière de traiter la dette collective.
En ce qui concerne la politique industrielle, l'approche verticale promue par la Commission sur la maîtrise des chaînes de valeur stratégiques du futur doit être cristallisée. Les projets comme l'hydrogène, la décarbonation des procédés industriels et l'électronique devront faire l'objet d'un PIIEC (projet important d'intérêt européen commun), qui permet des partenariats d'entreprises de pays différents, exonérés du droit commun de la concurrence. La Commission doit préciser les secteurs concernés dans les mois à venir.
L'Europe a également un rôle à jouer sur les questions de défense, de décarbonation de l'économie et, peut-être, dans les domaines de la santé et de la lutte contre les pandémies, nouveaux pour l'échelon européen.
Comme le dit Thierry Breton, le temps d'une Europe ayant pour seul but de réduire les prix pour le consommateur est fini. Nous devons intégrer cet élément à notre réflexion.
Une Europe plus forte pour soutenir l'investissement des entreprises et l'innovation stratégique est une bonne chose. Mais le besoin d'investissement dans les fonds propres des entreprises sera très fort, afin de sécuriser leur capital et celui des fournisseurs stratégiques.
Comment l'investissement en fonds propres pourra-t-il être soutenu dans l'industrie, dans les secteurs de l'aéronautique et de l'automobile par exemple ? On parle d'une prise d'investissement public via Bpifrance ou l'Agence des participations de l'État, mais il faut pouvoir assurer des entrées au capital à long terme, pour que les entreprises aient le temps de se développer. Un fonds comme Aerofund 3 a permis à des TPE de devenir des ETI. Beaucoup de propositions voient le jour, mais il faut privilégier l'efficacité, pour permettre aux entreprises françaises d'assurer leur développement, en liaison étroite avec leurs fournisseurs. Qu'en pensez-vous ?
Je remercie le président Varin de ce riche exposé liminaire. Comment va s'articuler le plan de relance national dans les territoires, en lien avec les régions, mais aussi les intercommunalités - compétentes en matière d'aménagement du territoire - et les communes ? Quels échanges avez-vous avec le ministère sur ces questions ? Vous avez évoqué le conseil économique État-Régions : des réunions sont-elles envisagées avec les Régions dans les semaines à venir, pour définir cette stratégie partagée ?
Nous sommes dans une phase intermédiaire de sortie de crise où tous les continents ne sont pas au même niveau, beaucoup ayant déjà relancé leur économie industrielle. Quelles mesures de protection ou de vigilance faut-il appliquer aux frontières de l'Europe dans cette période intermédiaire et pour l'avenir ?
Je remercie à mon tour M. Varin de sa hauteur de vue. Vous attirez notre attention, monsieur le président, sur trois points : un soutien à la demande ciblée, l'utilisation de la commande publique et l'articulation stratégique au niveau régional. Vous avez abordé la rénovation globale des bâtiments, secteur qui permet de lutter contre les émissions de CO2 et qui est fortement créateur d'emplois, ce qui est décisif.
Que pensez-vous de contrats passés entre les entreprises et la SNCF pour développer de façon inédite le fret ferroviaire et faire baisser les émissions de CO2 ? La reprise pourrait s'accompagner d'une augmentation du fret ferroviaire, qui ne cesse de se réduire dans notre pays. Les pays voisins ne sont pas dans cette situation ; nous pourrions faire mieux.
La filière batterie se met en place. Au-delà d'une simple usine d'assemblage, pour ne pas simplement copier les batteries chinoises, ne faudrait-il pas prévoir de la R&D sur les batteries bas carbone, en lien avec les universités et les pôles de recherche, dans le cadre d'un véritable projet franco-allemand ?
Pour la reprise, l'État ne devrait-il pas renforcer fortement les mesures incitatives à l'achat de véhicules électriques et hybrides, l'autonomie de ces derniers atteignant à présent cinquante à soixante kilomètres ?
Enfin, vous avez évoqué, monsieur le président, la relocalisation de la production. Il peut s'agir de médicaments, mais aussi des énergies renouvelables. Ne faut-il pas accompagner ces relocalisations par un suramortissement ? Ce pourrait être un levier intéressant pour ne pas en rester au stade des voeux pieux et obtenir des résultats immédiats.
En ce qui concerne la filière hydrogène, ne devrait-on pas mettre en place un projet européen impliquant des entreprises comme Faurecia, par exemple, pour massifier la filière et faire baisser le prix de cette énergie ? Des aides d'État et européennes très fortes pourraient-elles permettre à l'hydrogène de devenir, dans les dix ans à venir, l'énergie qui s'impose ? La France se doit d'être à la pointe dans ce domaine.
Nous sommes très nombreux, depuis longtemps, à demander une simplification des normes pour faciliter la vie des entreprises - simplification administrative, allégement des procédures, réduction des délais, arrêt des surtranspositions de directives... Cette crise pourrait-elle servir de déclencheur pour nous départir de nos lourdeurs ? Avez-vous des pistes et des exemples à nous proposer ?
Au début du mois d'avril, sur Public Sénat, Mme Pannier-Runacher indiquait que le Pacte productif serait un moyen de sortie de crise très adapté à la relance économique. Qu'attendez-vous de ce Pacte, et comment devrait-il être orienté pour répondre aux défis actuels ?
Monsieur Chatillon, je partage votre sentiment : renforcer le passif des entreprises, c'est-à-dire leurs capitaux propres, d'une manière ou d'une autre, est une obligation absolue, à moins de rallonger leur dette. À défaut, elles ne pourront plus investir et risquent de s'affaiblir.
Nous réfléchissons tout d'abord à la manière d'améliorer la trésorerie des sociétés, afin de renforcer leurs résultats. La transformation des déficits fiscaux en trésorerie immédiate est une option pour renforcer les fonds propres des entreprises. Il n'existe pas de solution miracle. Il faut mettre en place une panoplie de mesures.
On peut aussi réfléchir à la manière de transformer les prêts garantis par l'État (PGE) et autres situations d'endettement en prêts à très long terme sous forme de quasi-equity ou d'obligations soit perpétuelles soit de très long terme. Ces outils permettraient aux agences de rating de considérer ces sommes comme de quasi-fonds propres.
Enfin, la troisième possibilité, plus simple, consiste à injecter des capitaux ciblés. Il ne s'agit pas de prendre des participations majoritaires, mais d'apporter du capital dans des sociétés très saines ayant un problème de liquidités. C'est vrai de l'industrie, mais encore plus des services. Cela peut se faire soit au niveau national avec Bpifrance, soit au niveau régional - certains présidents de région ont lancé des fonds d'investissements. Des partenariats public-privé permettraient d'établir des critères d'investissement et de rentabilité dans la durée. Ce serait une très bonne chose pour les 5 000 entreprises de taille intermédiaire (ETI) françaises à forte dimension régionale.
La question fondamentale est celle de la durée de la crise. Les mesures prises par le Gouvernement ont permis de pallier les problèmes de trésorerie à court terme. Mais à quelle vitesse l'activité va-t-elle revenir à un niveau équivalent à celui d'avant la crise ? En fonction des situations, des activités, le type de réponse peut être assez différent. Pour les entreprises qui reviendront assez rapidement à ce niveau, il faudra simplement se demander si la consolidation du PGE et l'étalement du remboursement leur permettront de redevenir viables.
Pour le secteur aéronautique, par exemple, qui table sur une baisse de 30 % de son activité sur deux, trois, voire quatre ans, il faudra faire plus, c'est-à-dire injecter des capitaux, soit par consolidation de déficits fiscaux, soit par d'importantes réductions d'impôts, temporaires ou définitives, soit par consolidation de la dette, abandon de créances ou recapitalisation... Il faut rester très pragmatique.
Nous, industriels, avons besoin de commandes. À défaut, nous entrons dans des schémas de destruction des capacités de production, donc d'emplois. Nous avons connu cette situation très douloureuse en 2009. Nous réfléchissons à tout ce qui pourrait permettre de limiter au maximum ces effets négatifs sur le « produire en France ». Nous regardons tous les sujets. Il faut être imaginatif et ne pas se donner de limite.
Le redémarrage de l'économie - du commerce, de la construction - aura indirectement des effets très forts sur l'industrie, car nous aurons alors de premières perspectives sur le niveau de commandes. À quelle vitesse le système repartira-t-il ? Avec quelles dynamiques et quelles aides ? Nous aurons besoin de construire les réponses avec vous, à mesure que nous prendrons conscience de l'ampleur des dégâts et de la vitesse du redémarrage.
Madame Létard, en ce qui concerne le lien entre État et Région, une grande partie de la réponse est entre vos mains. Il faut mettre en place, à l'échelle régionale et intra-régionale, une véritable organisation à même de porter le projet industriel régional. Nous avons créé, dans chaque région, un « collectif industrie », émanation de France Industrie regroupant les industriels de la région. Ce collectif doit travailler avec les instances de développement économique régionales. C'est sur l'initiative des présidences de Région, en intégrant les grandes métropoles, qu'il faut mettre en place un véritable plan de relance régional.
Beaucoup de mesures à très court terme ont déjà été prises. Il faut aller au-delà de des problèmes de liquidités et de financement. Chaque région doit déterminer ses priorités de relance et les formaliser. Les dispositifs actuels comme les centres de recherche et d'innovation industrielle (CR2I) et les schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet) ne sont pas très opérationnels. Si ces plans de relance sont mis en place, je pense que le conseil économique État-Régions est la bonne enceinte pour discuter de l'articulation entre priorités nationales et priorités régionales. Cette interaction n'est pas aussi formalisée, agile et interactive qu'il le faudrait pour être efficace aujourd'hui. Nous soutenons une telle démarche, mais la balle est dans le camp de l'État et des élus. Le Sénat a bien évidemment un rôle particulier à jouer en la matière.
En ce qui concerne la vigilance aux frontières européennes, il y a deux sujets. D'abord, il existe des dispositifs de filtrage des investissements propres à chaque pays - la France a le sien, tout comme l'Italie ou l'Allemagne, par exemple, qui sont en train de le renforcer. Il en existe également un à l'échelle européenne. Tous les outils existent, il n'est question que de les mettre en oeuvre.
Par ailleurs, nous voulons placer la question du carbone au coeur des différents projets de relance européens. Or, si certains pays importent massivement du carbone en Europe, des distorsions de concurrence rendront ces efforts vains. Le mécanisme d'inclusion carbone, promu par l'État français et par de plus en plus de pays européens, est en devenir. Il s'agit, selon moi, de l'autre priorité européenne en termes de vigilance.
Les écosystèmes me semblent la bonne structure pour promouvoir certains secteurs comme celui de l'hydrogène. Nous allons faire en sorte d'assurer le meilleur lien possible entre ces écosystèmes européens et les plans français.
Monsieur Bourquin, je voudrais élargir la question du fret ferroviaire à celle de la logistique. Il s'agit d'un sujet majeur de compétitivité, à côté de la fiscalité de la production. Une étude de France Logistique, réalisée voilà quelques mois, s'est intéressée au transport depuis Shanghai jusqu'à une ville française : elle a montré un différentiel de coût de 20 % selon que l'entreprise concernée passe par Rotterdam ou par les ports français... France Logistique a commencé à travailler avec plusieurs filières pour tenter de diminuer le coût de transport à l'unité. Je pense que le fret ferroviaire est inclus dans la réflexion, mais je ne dispose pas de tous les éléments pour vous répondre.
Le fret ferroviaire fait partie des sujets, mais France Logistique est d'abord la réunion de la logistique et du transport routier. Toutefois, un lien peut s'opérer avec le ferroviaire.
Se pose aussi la question de la logistique multimodale, notamment avec le projet multi-réseaux des voies navigables. Nous allons étudier cette question, monsieur Bourquin, pour faire en sorte d'intégrer le fret ferroviaire à nos réflexions.
Il ne faut pas oublier le fret fluvial. Je songe notamment aux efforts importants entrepris par la Compagnie du Rhône...
Ils sont importants et déjà intégrés dans nos réflexions.
En ce qui concerne les batteries, il existe un projet européen, largement soutenu par Bruno Le Maire et Peter Altmaier, de développement des batteries lithium-ion solides. Mais il ne faut pas oublier la production immédiate de batteries lithium-ion liquides, dont la technologie a atteint un tel degré de maturité qu'il est possible d'en produire en Europe. Certains projets ont vu le jour dans le nord de l'Europe, notamment en Pologne. Il serait tout à fait possible de produire de telles batteries en France de manière compétitive : une batterie pèse lourd, mieux vaut ne pas avoir à trop la transporter ; le besoin en main d'oeuvre est assez modéré ; le recyclage des batteries, question de plus en plus prégnante, serait facilité par la proximité du circuit de recyclage français. Le plan de relance devrait donc s'intéresser aussi aux batteries de première génération. Un consortium est en train de voir le jour, à l'instar de ce qu'a fait la Norvège avec le projet Northvolt.
Tout cela pourrait être intégré au plan de relance de l'automobile. À cet égard, la partie développement des batteries lithium-ion solides et la question du recyclage supposent de mener d'importants efforts de recherche dans le cadre de l'écosystème du véhicule électrique européen.
Nous avions demandé le maintien des primes de 6 000 euros sur les véhicules électriques. Nous avons été entendus pour les consommateurs privés, mais pas pour les flottes de véhicules, ce qui est regrettable. Nous avions aussi demandé l'instauration de primes sur les véhicules hybrides, secteur où la France est en très bonne position, mais nous n'avons pas été suivis. Sans doute faudrait-il revenir sur ces deux décisions.
Vous avez aussi évoqué la question du suramortissement. Nous avons repris notre plan de travail avec l'État sur la fiscalité de production et l'incitation à l'investissement. Nous avons travaillé sur différentes dispositions comme la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S), sur toute la fiscalité territoriale, notamment la cotisation foncière des entreprises (CFE), la contribution économique territoriale (CET) et la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Nous devons reprendre notre réflexion. L'objectif reste le même, à savoir la baisse de la fiscalité de production. Nous sommes conscients de la très forte pression financière que vont connaître les collectivités territoriales dans les deux ou trois prochaines années. L'État devra jouer un rôle particulier durant cette période.
Au-delà de ces dispositions fiscales, il faut aussi développer l'incitation propre à l'investissement dans certains secteurs ou dans certains territoires. À cet égard, le suramortissement est un outil intéressant, simple et compréhensible, qui existe déjà, notamment dans le secteur du digital, et qui est très apprécié des entreprises. En revanche, il n'est intéressant que si les sociétés ont fait du résultat, ce qui n'est pas forcément le cas en sortie de crise... L'idée est bonne, mais il faut réfléchir si c'est la bonne dans la période actuelle.
Monsieur Bourquin, la question de l'hydrogène n'est pas simple. Il s'agit d'un écosystème complet. Faire de l'hydrogène vert suppose aujourd'hui de disposer d'une énergie à coût presque nul, ce qui en fait un outil idéal pour utiliser l'énergie excédentaire des centrales nucléaires ou les énergies renouvelables. Après l'avoir produit, il faut transporter et stocker l'hydrogène. On peut enfin l'utiliser pour le transport, pour la production de matière première décarbonée - je pense, par exemple, à l'acier ou à la chimie. Mélangé à du gaz traditionnel, il peut être utilisé pour le chauffage.
La massification que vous évoquez, essentielle pour la compétitivité de cette énergie, implique un plan global. C'est la raison pour laquelle nous travaillons avec l'Europe au développement d'un PIIEC hydrogène. Des acteurs français et allemands ont noué des partenariats. L'hydrogène, secteur dans lequel Chinois et Japonais sont extrêmement actifs, devra bénéficier d'un soutien très important de la part du programme européen Horizon Europe.
Madame Lamure, en ce qui concerne la simplification administrative, nous ne demandons pas de remise en cause ni de moratoire sur les dispositions liées à la transition écologique. Nous demandons simplement quelques ajustements temporels sur les modalités d'application de la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire.
Les sénateurs ont déjà pris ce sujet en main et souligné qu'il faudrait sans doute aménager les délais de concertation. Les mesures applicables dès 2021 à certains secteurs qui vont être très affaiblis pourraient être quelque peu décalées dans le temps. Il pourrait en aller de même de mesures prises à l'échelle européenne.
Je voudrais revenir sur le sujet de la logistique. France Logistique et France Industrie travaillent ensemble à l'élaboration d'un plan. Une première proposition a été faite sur l'abaissement du taux de TVA du fret ferroviaire à 7 %, sur le modèle allemand. La priorisation des « slots » du fret ferroviaire par rapport au transport de voyageurs a également été avancée. En ce qui concerne le fret fluvial, nous proposons de modifier la politique des frais de stationnement pour assurer une égalité de traitement entre le transbordement fluvial et les autres modes.
Nous avons beaucoup travaillé sur le Pacte productif depuis six mois. Le plan de relance devra bien évidemment intégrer quelques-unes des idées du Pacte.
Le Pacte productif comportait trois volets : fiscalité de production, décarbonation et capital humain. Le volet décarbonation, comme je l'ai souligné, est inchangé, sinon renforcé. Il faut faire évoluer le volet consacré à la fiscalité de production, en gardant les mêmes objectifs, mais en y consacrant des moyens différents, notamment une aide plus marquée à la relocalisation d'un certain nombre de secteurs. Il faudra également le renforcer au travers d'un nouveau volet investissement. Le volet capital humain aura toujours sa place dans le plan de relance, mais il aura peu de choses à voir avec le volet initial.
Vous avez souligné, monsieur le président, qu'il n'y aurait pas de changement de cap en matière de transition écologique. Dans le secteur de l'aéronautique, le développement de l'avion « propre » - plus électrique, plus léger - pourrait être générateur d'emplois. Seriez-vous favorable à un conditionnement des aides publiques à des engagements environnementaux encore plus forts pour renforcer le volet décarbonation ?
Vous avez dit de la dimension régionale qu'elle était essentielle. Je partage cette approche à 110 % ! Je pense à l'initiative Territoires d'industrie, lancée par le Premier ministre à la fin 2018 et qui prend aujourd'hui tout son sens. Vous nous avez indiqué qu'il était nécessaire de mettre en place une véritable organisation pour aboutir à des plans régionaux. Quel serait, selon vous, le meilleur pilote pour y parvenir ?
La crise a mis notre économie à rude épreuve. Dans ce contexte, les entreprises fragilisées peuvent être la proie d'acquisitions étrangères intempestives. Cette crise a également montré combien il était nécessaire de protéger certains enjeux stratégiques et de souveraineté.
Vous avez évoqué le mécanisme de filtrage des investissements directs étrangers. Cette politique, encore conduite à l'échelle de chaque État, est-elle suffisamment puissante et pertinente en France ? Ce n'est pas le cas dans tous les pays. Ne devons-nous pas être beaucoup plus exigeants et volontaristes à l'échelon européen ?
Que pensez-vous de l'entrée temporaire de l'État, le cas échéant, dans le capital de certaines entreprises fragilisées ?
La crise actuelle a mis en évidence la fragilité de l'économie dans sa version mondialisée et le manque de matériel basique de fabrication française. Nombreux sont les industriels à avoir réagi immédiatement. Quelle doit être la participation de l'État dans la profonde réorganisation à venir de notre industrie ?
Enfin, vous avez souligné à plusieurs reprises que notre taux d'activité était plus faible que celui de nos voisins européens. Comment l'expliquez-vous, et que faire pour y remédier ?
En ce qui concerne le conditionnement des aides de l'État au respect des réglementations environnementales, nous venons d'avoir un bon exemple avec Air France : aucune condition explicite n'a été posée, mais une référence à la trajectoire carbone figure bien dans le texte. Il va falloir soutenir le secteur aéronautique, et les questions liées aux biocarburants, à l'hydrogène, aux différents moyens de propulsion vertueux en carbone sont bien évidemment au coeur des discussions.
Il y aura une très grande cohérence entre le soutien de l'État, quelque forme qu'il prenne, et la trajectoire carbone. Je ne suis pas inquiet. Le soutien au secteur de l'automobile va se faire en accélérant sur la trajectoire carbone.
S'agissant de la dimension régionale, j'ai omis de mentionner, dans mon propos liminaire, les Territoires d'industrie. Cette initiative, lancée il y a un peu plus d'un an, fonctionne extrêmement bien lorsque le ticket formé par le responsable local et le responsable industriel est très actif. Elle doit absolument faire partie du dispositif régional que devront piloter les présidents de Région. C'est en effet à l'échelon régional qu'un certain nombre de grands schémas d'infrastructures et de mesures sur le financement ou les ressources humaines doivent être pilotés. Mais la coordination avec les communautés de communes devra aussi être renforcée, comme l'a souligné Valérie Létard. Quant au lien institutionnel entre l'État et les Régions, il pourra se faire au travers du comité économique prévu dans chaque région.
La France dispose d'un système de filtrage des investissements. Les Italiens et les Allemands viennent de renforcer le leur. Il en existe également un au niveau européen, qui doit fonctionner de manière efficace, et je fais confiance pour cela à la Commission. Ce sujet devra être évoqué lors du prochain Conseil européen, qui est prévu début mai. D'autres thèmes généraux devront y être abordés : les mesures de sauvegarde dans l'acier, l'encadrement des aides d'État dans les secteurs en crise, le lancement de projets européens d'intérêt commun sur l'hydrogène, la bio-production, les dispositifs médicaux et la e-santé.
Bien évidemment, l'État va jouer un rôle majeur dans la mutation de notre modèle productif. Il permet de prendre en compte le temps long et d'intégrer de nouvelles dimensions dans nos critères de choix - celui-ci ne seront plus nécessairement les critères traditionnels -, comme la stratégie carbone ou les questions de souveraineté. L'État devra jouer son rôle tout en conservant une interaction efficace avec les entreprises, qui sont celles qui doivent prendre les décisions.
Je crois beaucoup à l'intelligence collective lorsque l'on met autour de la table des représentants de l'État, des industriels et des organisations syndicales, comme cela se passe au Conseil national de l'industrie. Il me semblerait intéressant qu'un dispositif du même type soit décliné au niveau régional. Ce modèle est à élaborer ensemble, et le Sénat a rôle majeur à jouer - il le joue d'ailleurs depuis déjà longtemps.
L'Allemagne connaît aujourd'hui un taux d'activité de 80 %, quand la France n'affiche que 57 %. Ces écarts sont très importants, notamment dans le secteur de la construction, où la France connaît un taux de 10 % d'activité, contre 50 % en Allemagne. Cet écart peut s'expliquer, d'une part, par les inquiétudes des chefs d'entreprise sur l'insécurité juridique, et, d'autre part, par l'ample couverture du chômage partiel : en France, mieux valait ne pas travailler plutôt que de prendre des risques. La performance du système de santé allemand a également pu jouer, alors que la France a été plus durement touchée.
Dans le système français, la bonne indemnisation du dommage repose sur la recherche de la responsabilité de l'employeur. La deuxième grande différence, c'est l'inquiétude relative à la capacité de résistance du système de santé ; c'est pourquoi la capacité à continuer à travailler a été plus forte en Europe du Nord qu'en Europe du Sud, où les systèmes de santé semblaient saturés. La France a combiné les deux aspects, contrairement à l'Allemagne.
Je vous remercie de vos propos. Dans les perspectives de relance, n'oublions pas l'exportation et le made in France. Les marchés internationaux sont particulièrement bousculés, la demande internationale s'est contractée, la concurrence s'est exacerbée, certains marchés ont sans doute été perdus. Or les charges qui pèsent sur nos entreprises sont inchangées, notamment la fiscalité de production. Préconisez-vous des actions d'accompagnement, nationales ou régionales, en direction notamment des petites et moyennes industries ?
Je vous remercie moi aussi de la qualité de nos échanges.
Il y a un an déjà, lors d'une audition du ministre François de Rugy, j'avais alerté sur la question de l'hydrogène, qui me semblait stratégique.
Avez-vous identifié des filières qui seraient en danger de disparition et proposé des actions pour éviter un tel scénario ? En effet, j'ai conduit, avec ma collègue Anne-Catherine Loisier, des auditions sur le déploiement du très haut débit, et nous sommes inquiets pour la sous-traitance de deuxième et de troisième rangs.
Avez-vous des propositions législatives à faire quant au mécanisme d'inclusion carbone (MIC) ?
Je partage totalement votre souhait de donner à la relance une dimension régionale. Le dispositif actuel des contrats de plan État-Région (CPER) se termine en 2020. Une nouvelle génération de plans devrait être négociée d'ici à la fin de l'année pour la période 2021-2027, avec une volonté de différenciation. Attention à ne pas empiler les dispositifs, alors que celui-ci existe. Ne serait-il pas souhaitable d'utiliser pleinement cet outil et de le réorienter autour des orientations du plan de relance et des actions européennes, afin d'articuler tous les niveaux - national, régional, départemental et intercommunal ? Cela permettrait opérationnalité de terrain et adaptation aux réalités locales.
J'ai été frappé par l'une des phrases du discours du Premier ministre hier : il a parlé d'un « risque d'écroulement de notre pays » et indiqué qu'il s'agissait plutôt d'une litote... Ce n'est pas une expression à prendre à la légère. Faut-il, selon vous, un effort national pour éviter ce risque ? Le Medef a évoqué l'idée d'une évolution du temps de travail. N'est-ce pas le bon moment de réfléchir aux 35 heures et à la manière de les faire évoluer ? Notre pays ne sortira pas du marasme économique si chacun ne fait pas un effort pour la Nation.
Nous avons 3,5 millions de chômeurs, soit un taux de 8 %, et consacrons 35 milliards d'euros à l'indemnisation du chômage. Si nous réussissions à réduire les quatre points du chômage structurel, nous économiserions 15 à 20 milliards d'euros, sans compter les cotisations sociales supplémentaires. Il faut inciter les gens à travailler. Avant la crise, la plupart des chefs d'entreprise que je rencontrais me disaient qu'ils avaient du mal à recruter.
Oui aux importations, à condition qu'elles respectent les normes environnementales que nous imposons à nos propres entreprises et producteurs ! Ce n'est pas de l'autarcie, c'est la logique normale.
Je vous remercie de vos propos. Le choc énergétique auquel nous assistons - avec un prix du baril qui est devenu négatif - ne remet-il pas en cause notre stratégie nationale et européenne sur la neutralité carbone et la fin des énergies fossiles ?
Il faut une coordination de l'accompagnement à l'investissement au niveau des régions, des métropoles et des autres EPCI. En tant qu'élu régional du Grand-Est, je pense que les budgets des collectivités régionales vont rapidement se retrouver dans une situation complexe, car c'est le « sauve qui peut » : les régions dépensent énormément d'argent pour sauver les entreprises qui étaient saines avant la crise. La question des capacités financières des collectivités va rapidement se poser, car il leur faut à la fois gérer la crise et accompagner l'investissement.
Le Sénat avait introduit dans la loi du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat la notion de bilan carbone : nous avions été choqués que l'énergie renouvelable importée fasse fi du bilan carbone. Pourrait-on décliner cette notion dans tous les plans de relance, au niveau tant national qu'européen ?
La captation de nouveaux marchés internationaux est une voie de reprise pour nos entreprises, car certaines d'entre elles ont connu des effets d'éviction, ainsi qu'une baisse de la demande traditionnelle. À ce stade, il convient de pérenniser tous les mécanismes de soutien financier à l'export qui ont été mis en place à l'occasion de cette crise, notamment les garanties bancaires, et de les développer à l'échelon européen.
Les capacités des mécanismes de garantie à l'export, comme ceux portés par Bpifrance, doivent être augmentées, notamment pour soutenir l'activité aéronautique. Des mesures interdisent actuellement aux agences de crédit-export d'intervenir en faveur du pays constructeur d'un matériel qui est exporté : il faut lever cette interdiction de financer. Ce sont des sujets sur lesquels nous devons travailler. Sur le terrain, je salue l'important programme qui a été mené sur l'Industrie du futur, avec la digitalisation de 10 000 entreprises. Dans la même perspective, avec l'aide de Bpifrance, nous devons soutenir nos entreprises pour les aider à aborder les marchés export.
Aucune de nos dix-huit filières n'est en danger de disparition, mais certaines parties de ces filières le seront si nous ne sommes pas capables de les aider en sortie de crise. C'est le cas notamment de l'automobile.
La France a fait des propositions sur le MIC, mais celui-ci doit être cohérent avec les règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Il convient le mettre en place, sans qu'il constitue une mesure préférentielle pour nos entreprises : nous devrons donc assurer une compensation. C'est une proposition qui peut tenir la route et qui est soutenue par des pays européens de plus en plus nombreux.
Je ne connais pas suffisamment le contenu des CPER pour m'exprimer à leur sujet. Au vu de la période couverte, cela peut être un bon outil et cela mérite d'être étudié. Il faudra alors que cet outil porte une vision globale, mais aussi qu'il aborde tous les volets : le volet digital, le volet compétences, le volet environnemental, etc. Il faut aussi qu'il soit un outil opérationnel - les considérations trop générales ne sont pas opérationnelles -, comme nous le faisons au Conseil national de l'industrie. Nous allons examiner comment nous pouvons contribuer en pratique à cette réflexion à l'échelon régional.
Je crains qu'il n'ait été fait une mauvaise interprétation de la proposition du Medef. L'essentiel est que nous évitions un chômage massif de sortie de crise. Beaucoup doit se faire au niveau local et dans les entreprises, car c'est là que tout va se passer. Au niveau national, nous travaillons sur certaines thématiques comme les accords d'entreprises, le prêt de main-d'oeuvre, etc. Les mesures générales sur le temps de travail ne me paraissent pas d'actualité.
Je suis d'accord avec Laurent Duplomb sur le coût du chômage structurel. C'est un coût extrêmement important et souvent invisible pour l'économie. Nous avions décidé de travailler sur ce sujet dans le cadre du Pacte productif, notamment sur la gestion prévisionnelle de l'emploi, afin d'orienter les formations vers les nouveaux métiers ; ces réflexions vont se poursuivre, mais elles sont devenues moins urgentes.
Nous avions également travaillé sur l'inclusion des personnes qui se trouvent en dehors de la « boucle économique » : comment faire en sorte que les 4 % de chômeurs structurels puissent retrouver le chemin de l'emploi avec l'aide des entreprises ? Ce sujet va rester d'actualité. La priorité doit être donnée au traitement en temps réel des nouveaux chômeurs et afin d'en éviter le plus possible. Les questions relatives au chômage structurel devront être réabordées lorsque nous serons sortis de la période très difficile que nous allons traverser.
Dans nos accords commerciaux bilatéraux, l'adéquation de nos importations aux normes environnementales européennes est prioritaire. Mais le diable réside souvent dans le détail des négociations. Je fais confiance à Thierry Breton pour relayer nos préoccupations auprès du commissaire européen au commerce.
La stratégie carbone est une ambition politique française et européenne. Elle est dimensionnée par la menace qui pèse sur nous et sur les générations futures. Elle ne me semble pas menacée par le prix du baril de pétrole. Par ailleurs, les marchés du pétrole sont très réactifs : dès que le prix du baril est inférieur à un certain niveau, les investissements nouveaux s'arrêtent et l'offre se réduit. Je pense donc que d'ici deux ou trois ans le marché sera rééquilibré ; je ne suis pas pessimiste sur ce sujet.
Enfin, les collectivités territoriales risquent en effet être exsangues dans les deux ou trois prochaines années.
Nous ne connaissons pas encore l'ampleur des besoins en matière de soutien économique. Cela sera-t-il supportable pour les contribuables ? C'est un enjeu de société.
C'est un sujet qui concerne tout le pays. Nous sommes tous d'accord pour que l'État intervienne. Cela coûtera cher, ce qui pose la question de l'acquittement de notre dette dans la durée. Aujourd'hui, personne n'a la réponse.
Les chaînes de valeur dans la mondialisation se sont construites sans nous. Les États vont revenir en force à l'issue de cette crise, car ils financent la reprise. Des aides importantes sont accordées à des groupes comme Renault. Vous semblerait-il opportun que ces aides soient assorties d'une exigence de relocalisation de la production ? La reconstruction de notre économie ne passera pas par des relocalisations opportunistes, mais par le développement des circuits courts, du made in France, par des relations solides entre consommateur et producteur, par un sursaut de patriotisme économique !
La filière bois se situe à la croisée de nombreux enjeux prioritaires que vous avez mentionnés. La bonne santé et la relance de cette filière sont très liées au transport et au fret. De très bonnes initiatives avaient été menées il y a une quinzaine d'années, autour des gares stratégiques bois : ces infrastructures pourraient être réhabilitées. La baisse du prix des énergies fossiles a un impact sur la filière bois : certaines chaufferies fonctionnant aujourd'hui au bois basculent vers le gaz par effet d'aubaine. Cela risque de déstabiliser la filière.
Nous avons des remontées qui font état de fragilités du côté des industries du numérique. Celles-ci sont pourtant essentielles pour la relance et la digitalisation accrue à venir de nos entreprises.
S'agissant des Territoires d'industrie, l'outil ne pourrait-il pas être revu ? En effet, il n'est pas très opérationnel, et l'on pourrait afficher de manière plus volontariste les objectifs de relocalisation, de soutien à l'investissement et de renforcement des fonds propres.
Je vous remercie de la densité et de la clarté de vos propos. Le prêt garanti par l'État est un bon dispositif, mais il faut le faire évoluer. En effet, l'innovation et la capacité d'investissement conditionneront l'efficacité du plan de relance. Par courrier, j'ai proposé à M. Bruno Le Maire d'ajouter un volet investissement sous condition de qualité des dossiers.
Les dettes contractées par les États seront probablement étalées sur une très longue période : êtes-vous favorable à un dispositif de défaisance ou de cantonnement de ces dettes ? Souhaitez-vous que les entreprises puissent également étaler leurs dettes, afin de les rendre les plus indolores possibles ?
Le soutien de l'État aux entreprises est conditionné à la cohérence de la politique menée. C'est ce que nous avons vu en matière de dividendes ou de rémunération des dirigeants : les propos du ministre ont eu un impact indiscutable. Je fais confiance à l'État pour avoir une gestion appropriée des ressources publiques et pour faire en sorte que les prêts accordés soient vertueux pour le développement de l'industrie en France.
Le développement des circuits courts est essentiel. La relocalisation de certaines activités n'est pas une tendance nouvelle, en raison notamment de l'augmentation du coût du carbone, mais aussi du besoin d'usines plus flexibles pour servir la demande de proximité. Cela existait avant l'arrivée du virus. Mais, désormais, le consommateur va accorder plus d'importance à la proximité de la ressource. Le message du patriotisme économique va être naturellement envoyé aux producteurs par les consommateurs, en particulier pour l'agroalimentaire. Je ne suis pas inquiet de ce point de vue : le rôle de l'État et les comportements naturels des consommateurs vont favoriser ces évolutions.
La filière bois est extrêmement importante pour notre pays sur le plan économique et pour la trajectoire carbone. Nous avons toutefois deux angles morts, que je mentionnais tout à l'heure : l'isolation thermique des logements et la séquestration du carbone dans les sols. Permettez-moi de vous rappeler que, à l'horizon 2050, la séquestration de carbone représentera 80 millions de tonnes sur les 450 millions de tonnes émises. Il est donc capital que la filière bois se porte bien.
Le plan de filière comporte deux axes : la valorisation thermique - nous devons continuer à inciter à l'utilisation de chaudières au bois - et le développement du bois dans la construction. Dans la construction du village olympique des Jeux olympiques de 2024, nous avons dû limiter notre utilisation du bois, car nos normes et notre qualité n'étaient pas encore à un niveau permettant que tout soit réalisé en bois.
Les industries numériques sont essentielles pour notre pays. Certaines start ups connaissent des difficultés, et un plan spécifique de 4 milliards d'euros a été annoncé par M. Cédric O. Il est essentiel que ces entreprises traversent aussi cette période difficile.
Après bientôt deux ans de fonctionnement, je propose non pas de revoir les Territoires d'industrie, mais plutôt de faire un retour d'expérience. La qualité du ticket formé par le responsable public et le responsable d'entreprise et la maturité industrielle du territoire sont les éléments les plus déterminants pour la réussite de cet outil, car beaucoup tient au dynamisme des personnes.
Il va falloir allonger l'échéance des dettes. Certaines devront être converties en instruments de long terme. Aux niveaux national et européen, des dispositions devront être prises le moment venu.
Je vous remercie beaucoup de la qualité de cette audition, qui a été appréciée par tous.
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