Nous poursuivons nos travaux par une table ronde de représentants des organismes d'inspection et de contrôle des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE), avec la participation de :
- M. Alexandre Gelin, secrétaire national, et M. Julien Jacquet-Francillon secrétaire général adjoint du syndicat national des ingénieurs de l'industrie et des mines (Sniim) ;
- M. Bertrand Georjon, chef du pôle « Déchets, sites et sols pollués » à la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) Auvergne-Rhône-Alpes, et M. Joël Crespine, responsable de la subdivision « Déchets, sites et sols pollués » du pôle « Environnement » au sein de la même Dreal.
Cette table ronde est l'occasion de recueillir votre éclairage sur la qualité et l'efficience de notre système d'inspection et de contrôle des ICPE. Il serait notamment utile que vous nous rappeliez rapidement les grands principes qui régissent l'inspection des ICPE et les principales différences en termes d'inspection qui existent entre les différents régimes d'installations classées, entre les ICPE soumises à autorisation, notamment celles présentant les risques industriels les plus importants comme les installations Seveso, celles soumises à enregistrement et celles soumises à déclaration.
En matière d'inspection et de contrôle, il serait également intéressant que vous nous fassiez part de votre sentiment sur la répartition des responsabilités entre les Dreal et les bureaux d'études certifiés. Les bureaux d'études échangent-ils des informations avec les Dreal, notamment lorsque leurs diagnostics des sols font état d'anomalies et proposent des contre-mesures, ou seul l'exploitant peut-il décider de communiquer ces conclusions aux Dreal ?
Par ailleurs, de nos précédentes auditions il ressort que la question de la pollution des sols est parfois traitée de manière trop ponctuelle pour un grand nombre d'installations : elle est abordée au moment de la demande d'autorisation environnementale pour établir un état initial des sols et eaux souterraines, puis la question ne semble revenir véritablement qu'au moment de la fermeture du site, souvent plusieurs décennies après. Entretemps, l'exploitant peut s'intéresser à la pollution atmosphérique ou encore aux déchets mais la question de la pollution des sols semble, elle, ne se poser dans cet intervalle qu'en cas d'accident impliquant un déversement de polluants. Seules les installations les plus polluantes, comme les installations relevant de la directive « IED », font l'objet d'un suivi du milieu souterrain plus prégnant.
Quel regard portez-vous sur la périodicité des inspections et contrôles périodiques des ICPE : faut-il la renforcer pour certaines catégories d'ICPE, notamment les installations soumises à déclaration ? Quels seraient, selon vous, les moyens de renforcer le suivi plus régulier de la problématique de la pollution des sols par les industriels, au-delà de la seule question des déchets et des eaux souterraines ?
Avant de vous laisser la parole pour une intervention liminaire d'une dizaine de minutes maximum, je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Je vous invite, chacun dans l'ordre que j'appellerai, à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Alexandre Gelin, Julien Jacquet-Francillon, Bertrand Georjon et Joël Crespine prêtent serment.
Le corps des ingénieurs de l'industrie et des mines compte 1 800 ingénieurs fonctionnaires d'État qui travaillent pour moitié sur les métiers d'inspection des installations classés, pour le quart à l'autorité de sûreté nucléaire et pour le quart au ministère de l'économie et des finances. Tous ces ingénieurs travaillent au contact des entreprises. Le Sniim fédère 85 % de ces ingénieurs de l'industrie et des mines.
À titre liminaire, quatre points retiennent notre attention, points que nous avons déjà mis en exergue dans le cadre de Lubrizol et qui sont également ressortis dans le cadre de la crise sanitaire actuelle.
Le premier concerne l'efficience. L'inspection des installations classées est aujourd'hui accaparée par un certain nombre de tâches administratives. La ministre de la transition écologique et solidaire, Élisabeth Borne, l'avait d'ailleurs souligné à la suite de l'accident de Lubrizol et s'est engagée à ce que nous re-calibrions ces tâches administratives qui détournent l'inspection de son vrai métier. Ces tâches relèvent d'une part du fonctionnement des Dreal et d'autre part des processus d'évaluation environnementale. Les Dreal sont des structures très volumineuses, avec beaucoup d'inertie, et qui requièrent beaucoup d'énergie au quotidien.
Le processus d'évaluation environnementale est imposé par le droit européen et transposé en France en faisant intervenir un nouvel acteur. L'inspection passe donc beaucoup de temps à se coordonner avec ce nouvel acteur qui peine à se doter de compétences et pour lequel il existe beaucoup de redondances avec notre métier. Pour améliorer l'efficience de l'inspection, il convient de supprimer ces tâches administratives.
Nous considérons pour cela qu'il convient de donner une nouvelle place à l'inspection dans l'organisation de l'État afin de viser un système intégré en termes d'évaluation environnementale et d'inspection, nouvelle place qui lui donnerait plus de visibilité et qui donnerait ainsi plus de crédit à la parole publique sur les risques technologiques et des sites et sols pollués. Si nous cherchons cette nouvelle place, il convient toutefois de ne pas toucher aux acquis qui font la force de l'inspection des installations classées. Ses forces consistent en une chaîne de l'inspection à trois niveaux, de l'administration centrale, au travers de la direction générale de la prévention des risques (DGPR), à l'échelon régional et territorial. Cette chaîne fonctionne, comme on le voit pendant la crise sanitaire actuelle ou pour Lubrizol. Un autre atout consiste en l'intervention de l'inspection des installations classées de la conception des projets au démantèlement de celles-ci et à la remise en l'état, mais aussi en l'intervention sur l'instruction, la réglementation et le contrôle, qui forment un tout indissociable et constituent une force. Enfin, l'inspection dispose de compétences, s'appuyant sur un corps de fonctionnaires d'État qui connaît les entreprises.
Un second point concerne l'information du public. De nombreuses informations sont disponibles, notamment avec les bases de données Basias et Basol, mais ces informations sont peu accessibles et peu compréhensibles du grand public. Il convient donc de travailler sur la vulgarisation de cette information. En travaillant sur l'efficience, nous récupérerons des moyens humains qui pourront être mis à contribution sur cette vulgarisation de l'information.
Le point suivant que nous souhaitons aborder concerne l'objectif de réconcilier l'écologie et l'industrie. Il convient de s'assurer que le projet industriel est suffisamment étudié du début à la fin de l'exploitation. Nous notons en premier lieu un sujet de prévention, qui débute à la conception du projet, avec la demande d'autorisation, de déclaration et d'enregistrement, et va jusqu'à la cessation, voire à l'usage futur envisagé pour le site. En assurant une bonne sécurité et une bonne remise en l'état, il est possible de rendre compatible un ancien site industriel avec son usage futur, dans le but d'éviter les multiples friches industrielles qui pourraient apparaître. Nous considérons que la question se pose, dès l'ouverture du site et la demande d'autorisation avec la notion de capacités technique et financière, sujets qui doivent être abordés, même si ces sujets économiques sont très peu mis en avant dans les procédures.
Comme le préfet ne peut se prononcer sur l'opportunité ou non de créer un site pour raison économique, il prend sa décision sur les seuls fondements environnementaux et l'inspection, en tant que service instructeur, formule son avis de la même manière. Nous regrettons ce point puisque l'inspecteur des installations classées est un agent de l'État en contact avec la vie des entreprises et qu'il connaît leur santé économique et leur fonctionnement, pour les entreprises classées pour l'environnement. Son avis pourrait donc éclairer l'opinion sur la viabilité économique des projets et l'inspecteur pourrait porter une vigilance, voire mettre en place une surveillance, sur les capacités financières d'un exploitant tout au long de l'exploitation, en intégrant de fait un moyen de contrôle, voire de sanction, sur la base de cette surveillance sur les capacités financières. L'avis de l'inspection des installations classées pourrait ainsi porter également sur ce volet, à condition d'élargir le champ de l'inspection et de le rendre plus visible, en lui donnant une nouvelle place dans l'organisation de l'État.
Je souhaite par ailleurs aborder le sujet de la gestion des pollutions historiques ou accidentelles. Même si les sites ont bien été suivis, nous pouvons avoir à gérer ces pollutions, parfois relativement lourdes. Il existe des garde-fous, tels que les garanties financières qui ne permettent toutefois que la mise en sécurité du site et non la réhabilitation, et il existe des solutions pour rechercher la responsabilité des exploitants. Le dispositif de tiers demandeur permet d'associer l'aménageur à la remise en état d'un site. Ce dispositif est encore relativement jeune et peu utilisé, mais il pourrait devenir plus puissant en prévoyant que l'artificialisation d'un nouveau sol ne pourrait se faire qu'en contrepartie de la dépollution du sol. Ceci réconcilierait l'enjeu du développement industriel et l'enjeu écologique. Sur ce point, il paraît important qu'un dispositif de ce type ne puisse pas libérer un pollueur de ses obligations et constituer un frein au développement industriel ou économique.
Sur les responsabilités, si le code de l'environnement permet de réaliser un certain nombre de choses, nous notons que le code minier est assez divergent sur la notion de responsabilité, avec une police des mines qui cesse à la fin de la concession minière et des garanties financières qui portent sur d'autres sujets. Des rapprochements entre les deux codes devraient être envisagés, sur les enjeux sanitaires, l'intégration des travaux miniers dans l'autorisation environnementale, les garanties financières et la possibilité de solliciter les maisons mères quand un exploitant est mis en défaut. Le développement économique nous tient à coeur et il convient de conserver la spécificité minière, puisque le développement de l'activité minière ne répond pas exactement aux mêmes besoins que le développement de l'activité industrielle. Les deux codes doivent donc coexister.
chef du pôle « Déchets, sites et sols pollués » à la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) Auvergne-Rhône-Alpes. - Je souhaite revenir sur l'organisation de l'inspection et la chaîne de l'inspection avec l'administration centrale, les services de la direction régionale de la Dreal et les unités départementales au niveau du préfet de département. Cette organisation comprend au niveau départemental les inspecteurs des installations classées en charge de l'approche intégrée de l'inspection des installations classées avec l'ensemble des thèmes (eau, air, risques industriels, sites et sols pollués).
Dans l'unité Loire Haute-Loire dont je suis chef de pôle, nous avons un inspecteur dédié à cette problématique des sites et sols pollués. Nous avons choisi cette organisation puisque le département a un passif industriel important, avec des entreprises minières, métallurgiques et sidérurgiques. Les dossiers sites et sols pollués sont complexes, notamment quand les exploitants ont disparu. Nous nous retrouvons alors face à des liquidateurs judiciaires qui reprennent à leur charge les responsabilités du dernier exploitant.
Je souhaite attirer votre attention sur les difficultés rencontrées par certains départements, au regard de la valeur du foncier des sites et sols pollués. Dans les grandes métropoles, il n'est pas difficile de réhabiliter des sites et sols pollués puisque le coût du foncier le permet. Pour les friches industrielles des départements ruraux, le foncier n'est pas élevé et le coût de réhabilitation se confronte rapidement à une logique économique non rentable. Nous disposons alors de très peu d'outils économiques pour réaliser cette réhabilitation.
La méthodologie des sites et sols pollués demande une réhabilitation en fonction de l'usage futur envisagé, usage qui diffère en fonction des sites et sols pollués et n'a pas de seuil de dépollution à atteindre. Si le site industriel accueille un parking ou un parc photovoltaïque, il est possible de moins dépolluer que si le projet vise à accueillir des bureaux ou des habitations qui requièrent une dépollution plus approfondie. Les coûts pour les exploitants diffèrent donc selon l'usage futur porté par l'aménageur ou par des collectivités locales. Le traitement des sites et sols pollués n'est donc pas équivalent. Comme les seuils de dépollution sont différents, les coûts de réhabilitation diffèrent aussi.
Nous rencontrons également des difficultés avec les liquidateurs. Un liquidateur gère aussi la garantie des salaires et oppose souvent ce privilège pour ne pas investir dans la réhabilitation des sites.
Vous posiez une question sur les bureaux d'études. Ces derniers sont des acteurs techniques, mais dont les donneurs d'ordre sont les exploitants. Cette relation empêche l'indépendance des bureaux d'études. L'inspection des installations classées dispose en revanche de cette indépendance vis-à-vis de l'exploitant qui lui permet de s'opposer à lui. Les bureaux d'étude ont davantage de difficulté à s'opposer à leur donneur d'ordre, d'autant qu'un des critères repose sur le coût de la réhabilitation. Les bureaux d'études proposent des mémoires de réhabilitation en fonction du coût que l'exploitant octroie pour réhabiliter son site et non en fonction des objectifs de dépollution à atteindre.
En termes de sanction, le code de l'environnement comprend une police des sites et sols pollués. Contrairement aux polices qui existent par exemple sur les déchets, cet outil de sanction est bien moins abouti. La jurisprudence est bien plus jeune pour les sites et sols pollués que sur les déchets.
responsable de la subdivision « Déchets, sites et sols pollués » du pôle « Environnement » au sein de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) Auvergne-Rhône-Alpes. - Je vous apporterai un éclairage d'inspecteur en matière de relation avec les bureaux d'études et de méthodologie nationale. En fin de vie, les sites doivent être remis en l'état en fonction d'une méthodologie nationale prévoyant la suppression des pollutions concentrées. Cette notion est relative puisqu'une pollution concentrée est supérieure à la pollution du bruit de fond, anthropique ou naturel. Les sources de pollution doivent être supprimées et maîtrisées, soit ce qui génère un écoulement ou un rayonnement de la pollution sur le site et hors de son emprise. Il convient également de remettre le site en l'état, en le dépolluant dans des limites qui permettent une réutilisation en fonction de l'usage prévu. Si une usine laisse la place à un supermarché, les exigences seront donc moindres que si elle laisse la place à un lotissement pavillonnaire.
Cette méthodologie prévoit donc un certain nombre d'évaluations historiques, de sensibilité du milieu, et de prélèvements. Elle conclut à des seuils de dépollution sur mesure. Chaque site a ses propres seuils de dépollution qui dépendent du bruit de fond, du bilan coûts-avantages, de l'état antérieur et de l'usage futur. Cette méthodologie requiert un certain nombre de contrôles, puisque les incertitudes existent. Un bureau d'études qui souhaiterait ne pas faire valoir une pollution particulière pourrait effectuer des prélèvements qui ne sont pas adaptés ou utiliser des valeurs toxicologiques anciennes. Il pourrait utiliser des modèles de diffusion des polluants qui conditionnerait les résultats. Cette méthodologie accumule un certain nombre d'incertitudes et l'inspecteur doit vérifier que ces incertitudes sont prises en compte de manière majorante et réaliste à la fois. Un risque existerait si un bureau d'études attestait qu'un site présente un impact résiduel acceptable. D'expérience, il est rare qu'une étude de sol ne fasse pas l'objet de remarques, de concertation et d'échanges avec le bureau d'études pour qu'il se justifie ou modifie ses hypothèses pour parvenir à un consensus sur les conditions de réhabilitation d'un site. À titre d'exemple, le débit de renouvellement d'air est inversement proportionnel au risque : si le risque est deux fois supérieur à la limite acceptable, en partant de l'hypothèse que le renouvellement de l'air dans les locaux est deux fois supérieur, vous parvenez au risque acceptable, du fait d'une inversion de la proportionnalité. Notre rôle consiste à vérifier que les hypothèses sont prises de façon satisfaisante. À chaque étude de sol, nous demandons des justifications au bureau d'étude, qu'il soit certifié ou pas.
Avec la réglementation actuelle, nous ne croisons pas les bureaux d'études certifiés dans le cadre de leurs missions pour lesquelles la certification est nécessaire. Les bureaux d'études certifiés attestent de la prise en compte de la pollution d'un site pour son usage futur, dans le cas des secteurs d'information sur les sols (SIS) et dans le cadre de l'application de l'article L.556-1 du code de l'environnement qui prévoit que, pour la modification de l'usage d'un site occupé par une installation classée, le bureau d'études doive attester la prise en compte de la pollution résiduelle. Ce travail nous échappe puisque c'est un problème d'urbanisme et que l'attestation est délivrée dans le cadre du permis de construire. Nous croisons donc les bureaux d'études dans des dossiers où ils n'interviennent pas au titre de leur certification et nous échangeons de la même manière avec un bureau d'études certifié et avec un bureau d'étude non certifié.
Nous avons assisté depuis 1994 à une obligation des exploitants des installations soumises à autorisation de remettre leur site en l'état. La réglementation s'est ensuite étoffée avec des méthodologies, des modifications du code de l'environnement, dont les articles L. 556-1 et L. 556-2 sur les SIS. La loi d'accélération et de simplification de l'action publique (ASAP) modifiera le contenu de nos missions et l'inspection devrait perdre la main sur un certain nombre de sites, au profit des bureaux d'études. Il me parait nécessaire de définir les responsabilités respectives des bureaux d'études et de l'inspection. Je crains personnellement les dispositifs selon lesquels « silence vaut accord ». L'objectif visant à décharger l'inspection de certaines tâches pour se concentrer sur d'autres sujets ne sera pas atteint si l'inspection doit étudier le dossier du bureau d'études pour formuler des remarques. L'expérience montre que tous les dossiers appellent des remarques ou un échange.
Un autre point semble problématique dans le projet de loi : le bureau d'études attestera la mise en oeuvre des dispositions de réhabilitation du site et le dossier nous sera transmis pour que nous mettions en place les servitudes d'utilité publique, si nécessaire. Nous récupérerons donc le dossier pour une tâche purement administrative. Au-delà de cette tâche administrative, nous devrons endosser les conclusions de l'étude de sol. Si le bureau d'études nous propose de mettre en oeuvre des servitudes, nous devrons implicitement les valider, sans disposer de droit de regard sur l'amont. Les évolutions prévues dans le cadre de la loi ASAP nécessitent de positionner clairement l'inspection dans ses missions, en distinguant les points dont elle est responsable et les points dont elle n'est pas responsable et en évitant de lui faire endosser les conclusions d'un bureau d'études pour une étude à laquelle elle n'aura pas participé.
Je vous remercie de la clarté de vos propos liminaires qui font émerger des questionnements sur le projet de loi.
Quel est votre sentiment sur l'adéquation des moyens des Dreal à leurs missions d'inspection des sites industriels ? Les services de l'État disposent-ils des moyens suffisants pour réaliser globalement aujourd'hui un nombre plus important d'inspections des sites industriels qu'auparavant ? Nous avons l'impression qu'il existe une lourdeur dans la gestion et que les retours ne parviennent pas dans les délais voulus.
En particulier, pour l'élaboration et la mise en oeuvre de leur plan pluriannuel de contrôle des installations classées, pensez-vous que les Dreal aient les moyens des ambitions que devrait se fixer l'État ? Parmi les installations soumises à autorisation ou enregistrement qui ne sont théoriquement inspectées que tous les sept ans, les Dreal sont en effet censées assurer un contrôle plus fréquent pour les établissements les plus problématiques, tous les ans pour les établissements dits « prioritaires » et tous les trois ans pour les établissements dits « à enjeux » : toutes les Dreal procèdent-elles bien à des contrôles annuels ou tous les trois ans des établissements qui le méritent ?
Par ailleurs, les inspecteurs des installations classées semblent réclamer plus de transparence et d'indépendance dans les contrôles qu'ils effectuent. Pourriez-vous revenir sur les obstacles que vous rencontrez au quotidien pour assurer des inspections transparentes et indépendantes et fournir au grand public une information tout aussi transparente et indépendante sur les risques industriels qui se situent dans leur voisinage ? Quelles seraient vos propositions pour améliorer cette transparence auprès du grand public ?
Enfin, quel regard portez-vous sur la qualité du dialogue entre les exploitants, les services de l'État et les élus locaux ? Lorsque des craintes ou des alertes sont émises par des associations de riverains et sont relayées par les élus locaux, avez-vous le sentiment que le processus aujourd'hui en oeuvre pour traiter des alertes soit optimal ?
Je souhaite ensuite connaître vos suggestions pour améliorer le dialogue et la transparence tout au long de la vie de l'installation. Serait-il pertinent d'ajouter le suivi de la qualité des sols dans les obligations des arrêtés préfectoraux de suivi de la qualité environnementale des ICPE ? En effet, les rejets dans l'eau et l'air font l'objet de mesures régulières. Pourquoi les sols ne rentreraient-ils pas dans le même dispositif de suivi ? Ceci permettrait que l'état du sous-sol soit connu par l'administration tout au long de la vie de l'installation et de la vie post-installation. Je réside dans le département de l'Aude, dans la vallée de l'Orbiel. Ces problématiques de suivi sont quotidiennes.
Je souhaiterais également savoir pourquoi les exploitants d'ICPE ne doivent déclarer à la Dreal que les pollutions liées à un accident ou à un incident. Ne serait-il pas plus efficace d'imposer la déclaration de toute découverte de pollution, notamment pour les pollutions historiques, hors de la vie de l'installation ?
Enfin, je m'interroge sur l'article 27 du projet de loi d'accélération et de simplification de l'action publique en cours d'examen au Parlement, me demandant s'il ne vise pas à externaliser vos fonctions pour qu'elles soient réalisées par des bureaux d'études privés, payés par leurs clients, plutôt que par votre service public garant de la santé des populations. Vous avez déjà répondu sur la ligne de partage des compétences, puisque vous seriez alors dessaisis de missions pourtant de grande importance. Il m'aurait semblé plus pertinent que vous soyez davantage associés comme autorité de référence à ces analyses sur les SIS, pour mieux les contrôler. Je crains sinon que les études de complaisance se multiplient. Sans séparation des pouvoirs et des compétences, des doutes pourraient naître, dans un contexte de crise de confiance avec les populations. Je ne remets pas en cause la valeur scientifique des bureaux d'études, mais je constate, dans mon département, que l'organisme en charge de la cartographie des pollutions était le conseil de l'exploitant dans les années 1990 alors que le confinement interne n'a pas résisté en sous-sol. Il me semble nécessaire de demander plus de clarté, pour établir une confiance et répondre aux attentes de la population. Pour nos concitoyens, les questions d'environnement, de santé, de qualité de vie et d'accès à des informations lisibles sont primordiales. Actuellement, des informations sont accessibles, mais elles sont incompréhensibles et jettent une suspicion.
Des attentes sont exprimées puisque les Dreal, faute de moyens, ne peuvent rendre les avis nécessaires à certains futurs travaux.
Votre première question porte sur les objectifs, l'adéquation des moyens et le plan pluriannuel de contrôle (PPC). Le PPC définit trois périodicités en fonction de l'enjeu sur les établissements (un an, trois ans et sept ans), en déclinaison d'un objectif ministériel et national non négociable.
Tout ce qui doit être fait tous les ans est a minima fait tous les ans et il en est de même pour les périodicités de trois et sept ans. Les Dreal ont toutefois la liberté d'adapter les enjeux à la connaissance du terrain. Si un établissement doit être inspecté plus souvent que prévu, l'inspection est adaptée. A minima, le PPC est respecté.
Sur l'adéquation entre les missions et les moyens, l'ambition ministérielle consiste à réaliser 50 % d'inspections sur site supplémentaire d'ici la fin du quinquennat, ce qui se traduit par un renforcement de la présence sur le terrain, avec un PPC comprenant les mêmes fréquences. La simple approche de l'adéquation missions et moyens par la question du nombre d'inspecteurs nous semble tronquée puisque d'autres tâches monopolisent l'inspection, avec des tâches parfois un peu éloignées de l'inspection. En préservant l'inspection dans une structure plus ouverte, l'inspection aurait plus de liberté pour déployer ses moyens sur le terrain pour atteindre cet objectif de 50 % supplémentaire et assurer une surveillance plus fine et mieux adaptée aux enjeux réels du terrain.
Il ne convient pas de raisonner uniquement en termes d'effectifs de l'inspection. Nous avons insisté sur l'efficience puisque nous pensons que la priorité consiste à travailler sur l'efficience de l'inspection, à moyens constants ou un peu plus élevés. Nous pensons que cette efficience passe par la place de l'inspection dans l'organisation de l'État.
Le débat parlementaire sur la place de l'inspection a commencé dans le cadre du post-Lubrizol et il me semble souhaitable de poursuivre ce débat sur la base de la proposition de loi du député Bouillon.
Sur l'augmentation de 50 % des contrôles sur site, j'ai l'impression que l'inspection est résumée à la présence sur le terrain. Nos propos liminaires rappellent bien que l'inspection est chargée de bien d'autres travaux, comme l'instruction, qui contribuent à la prévention des risques. Ces travaux doivent être pris en compte pour apprécier l'efficience de l'inspection. Au cours de la présente crise sanitaire, nous avons vu naître un nouveau type de contrôle, avec les contrôles déportés : l'inspecteur ne se trouve alors pas sur le terrain, mais il est présent auprès de l'entreprise, en visioconférence, et demande des pièces justificatives et contrôle. Il convient peut-être d'élargir les modalités de mesure de l'efficience de l'inspection.
Vous avez posé une question relative à l'instruction des sols pollués au sein de l'inspection. Nous instruisons aujourd'hui ce sujet au moment des cessations d'activité et des pollutions ou incidents. La directive IED a ajouté des contrôles périodiques, mais seulement pour une minorité d'établissements. Pour la grande majorité de nos installations, cette thématique n'est étudiée qu'à la fin et nous ne pouvons souvent que constater les dégâts pour la pollution des sols.
Nous sommes informés par la déclaration de la cessation d'activité de l'exploitant. Nous sommes toutefois confrontés à de nombreuses absences de déclarations de cessations d'activité par les exploitants. Quand nous instruisons des dossiers, nous devons avoir obtenu l'information. Or les exploitants ne réalisent souvent pas cette formalité administrative, ce qui conduit à laisser des pollutions en place pour une durée plus longue que celle initialement prévue.
Vous avez évoqué l'instruction avec des régimes, puisque certains sites sont soumis à autorisation, d'autres à enregistrement et d'autres à déclaration. Cette notion de régime n'est pas tout à fait liée à l'impact sur les sols. Je citerai l'exemple d'une station-service qui n'est soumise qu'au régime de la déclaration alors que son impact sur les sols peut pourtant être catastrophique. En revanche, une installation soumise à autorisation et entrepose des matériels solides aura un impact dans les sols quasiment nul. Le code de l'environnement prévoit des dispositions qui dépendent des régimes, sans lien entre l'impact dans les sols et l'activité de l'entreprise. Comment pourrions-nous améliorer le diagnostic sur les sols, en cours de vie d'une installation classée ? Nous réalisons actuellement des contrôles inopinés pour l'eau et l'air, en mandatant des bureaux d'études pendant le fonctionnement d'une installation pour contrôler que l'installation respecte la réglementation. Nous pourrions procéder à des prélèvements de sol ou d'eau souterraine, de manière inopinée ou ponctuelle. Certaines installations sont équipées de piézomètre et nous pourrions réaliser des mesures inopinées ou procéder à des sondages de sols. Ce dispositif n'est aujourd'hui que peu utilisé par l'inspection des installations classées, mais nous pourrions imaginer de mettre en place un dispositif similaire à celui mis en place pour les rejets à queue ou les rejets atmosphériques.
Pour accroître la transparence, nous pouvons mettre en place des commissions de suivi de site (CSS), regroupant différents collèges pour les représentants de l'État, les associations, les exploitants et les représentants du personnel, pour partager les problématiques et le choix des bureaux d'études. Une CSS améliore la transparence et permet à chacun de s'exprimer et de disposer des mêmes informations au même moment.
Cette commission de suivi a été mise en place, mais elle dépend des préfets. La réunion se tient avec des parties qui ne comprennent pas toutes le jargon scientifique. Si les commissions de suivi ne débouchent pas sur des travaux pratiques sur les territoires, des études sont présentées et s'empilent. Il conviendrait de prévoir une périodicité pour la tenue de ces commissions et de clarifier leur fonctionnement pour que les parties en voient les résultats pratiques.
Vous avez indiqué qu'une évolution du code minier était nécessaire, avec des rapprochements sur certains points avec le code de l'environnement. Pourriez-vous développer ce point ?
Le code minier est historique et n'a pas été révisé en profondeur depuis un certain temps. Pour rechercher les responsabilités des anciens exploitants miniers, le pouvoir administratif reste très limité, une fois la concession finie. Le point relève alors de la juridiction civile. Une solution consisterait à rechercher la responsabilité des maisons mères. Une évolution du code minier, pour se rapprocher de certains principes du code de l'environnement, semble donc nécessaire.
L'exploitation minière vise initialement à exploiter une ressource à caractère stratégique et le code minier a donc été écrit dans cette logique. Des divergences existent maintenant et le rapprochement semble nécessaire.
Les CSS sont parfois imposées pour des installations Seveso ou de stockage de déchets, parfois sans les associations. Cet outil présente un intérêt, à condition d'être adapté : les rendre obligatoires ne semble pas pertinent, si les participants ne montrent pas d'intérêt pour le sujet. À l'inverse, si des associations souhaitent y participer, il conviendrait de prévoir ces CSS. Actuellement, ces CSS sont plutôt liées au régime de l'installation et les enjeux sites et sols pollués ne sont pas traités de manière spécifique.
Le suivi périodique des sols présente des inconvénients puisqu'il n'est pas pratique à mettre en oeuvre et que le prélèvement peut affaiblir la protection. Les milieux intégrateurs et la nappe phréatique peuvent toutefois être analysés puisque l'analyse des eaux souterraines qui passent sous l'usine, avec des piézomètres, permet en outre de détecter les pollutions, ce qui permettrait d'intervenir immédiatement ou de prendre des précautions au moment de la cessation d'activité. La généralisation du suivi des eaux souterraines me semble donc plus pertinente qu'un suivi régulier des sols.
La directive IED prévoit une surveillance des eaux souterraines, ainsi qu'une surveillance des sols tous les dix ans. L'arrêté ministériel du 2 février 1998 prévoit, pour certains types d'installations, une surveillance des eaux souterraines. Enfin, au gré des incidents et accidents ou des traces des écoulements visibles en inspection, nous sommes amenés à prescrire la surveillance des eaux souterraines dans des installations où cette surveillance n'était pas prévue. La surveillance des eaux souterraines est riche d'enseignements et relativement aisée à mettre en oeuvre.
Enfin, vous parliez de rapport de complaisance. Il est vrai que les bureaux d'études payés par les industriels peuvent être tentés de satisfaire leur client, mais je pense que les rapports ne disent pas le contraire de la vérité : ils déroulent toutefois la méthodologie nationale de manière de parvenir à des conclusions satisfaisantes. Il existe des seuils d'acceptabilité sanitaire et un grand nombre d'études conclut à un risque acceptable, juste inférieur à la limite. Nous devons alors vérifier que les hypothèses retenues sont crédibles.
Je vous remercie pour ces explications et les pistes que vous suggérez.
Je partage le constat de Monsieur Gelin sur l'inertie des Dreal avec des inspecteurs souvent embourbés, dans le cadre des processus d'évaluation environnementale, dans les instructions pour prendre en compte les contraintes réglementaires, ce qui occasionne des demandes en escalier, avec des ajouts et des compléments d'étude demandés tous les deux mois, rallongeant les délais d'instruction.
Vous avez également parlé de la vigilance à apporter sur les capacités financières des exploitants. Cette vigilance devrait également s'appliquer aux capacités financières des collectivités qui prennent souvent en charge les dommages et sont par exemple confrontées à la réparation des dommages de mines très anciennes.
Un enjeu sanitaire existe sur la pollution des eaux souterraines. Je ne suis pas certaine que la pollution des eaux superficielles, liée au ruissellement d'un ancien site minier, soit bien prise en compte et évaluée à son juste niveau alors que cette pollution est durable et a des répercussions sur les collectivités ayant des compétences sur la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations (GeMAPI), confrontées à des demandes de dépollution démesurées.
Les capacités financières étudiées sont bien celles des exploitants ICPE, en application d'une obligation réglementaire. Mon propos visait à porter un regard sur ces capacités en cours d'exploitation pour vérifier qu'elles ne s'amoindrissent pas avec le temps, compromettant ainsi la sécurisation des sites qui serait alors laissée à la charge de l'État, d'une collectivité ou du propriétaire du terrain.
Nous ne regardons pas les capacités financières des collectivités. Le code minier prévoit que la responsabilité de l'exploitant soit étudiée pour les dommages miniers.
Je sais que vous avez auditionné l'agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) qui intervient notamment sur les sites et sols pollués, pour la mise en sécurité. Quand nous rencontrons une problématique environnementale, nous sommes confrontés à une absence d'outils. L'Ademe se substitue à l'exploitant, quand il n'existe plus et qu'il existe des sites orphelins, ce qui évite de reporter cette charge sur les collectivités. Sur les sites et sols pollués, quand il existe une problématique de mise en sécurité, il n'existe aucun dispositif et les collectivités se retrouvent avec des friches industrielles dont le coût de réhabilitation est exorbitant. Les collectivités ne disposent alors d'aucun outil financier pour réaliser cette réhabilitation. Je pense que cet outil devrait être créé. L'objectif de zéro artificialisation des sols répond à des problématiques d'inondation ou de développement durable. Cet outil pourrait être porté par les aménageurs qui ne procéderaient plus à des artificialisations des sols et contribueraient à la réhabilitation des sites et sols pollués en créant un fonds pour permettre cette réhabilitation. Dans de nombreux territoires, cette réhabilitation n'est pas viable économiquement et les collectivités ne peuvent s'engager seules, sans appui financier, dans une réhabilitation simplement environnementale. Trouver un outil pour réhabiliter quand l'exploitant est insolvable présenterait un intérêt, même si le principe pollueur payeur doit être privilégié, tant qu'il est possible de rechercher un exploitant. Si l'exploitant est orphelin ou ne peut payer, il convient alors de disposer d'un outil financier pour réhabiliter et éviter l'aggravation de la situation.
Je souhaite prolonger votre réflexion sur la nécessité de trouver un outil si le dernier exploitant n'existe plus ou n'est pas suffisamment solvable. Comment alimenter cet outil financier ? Compte tenu du nombre de sites potentiellement concernés, le montant pourrait être significatif. Avez-vous réfléchi à la manière d'alimenter un tel outil financier ?
Il semblerait par ailleurs que l'inspection des Dreal n'interviendrait plus dans les sites situés dans les SIS. En conséquence, les bureaux d'études ne pourraient plus s'appuyer sur l'inspection, dans le cadre d'une collaboration, et les aménageurs seraient alors tentés de réduire les travaux de dépollution. Avez-vous observé cette situation dans laquelle les travaux ne correspondent pas à ce qu'ils devraient normalement être ? Pensez-vous que les Dreal pourraient jouer un rôle d'arbitre pour assurer des travaux de dépollution de meilleure qualité ?
Nous considérons les sols comme un bien commun. Si un sol n'est pas réhabilité, il est laissé aux générations futures et le problème est alors reporté. Il convient d'intervenir pour éviter une aggravation de la situation. Il faut éviter que, sous prétexte qu'il n'existe pas de projet de réaménagement, la pollution se diffuse sans intervention. Je ne peux vous dire quels fonds pourraient alimenter cet outil, mais les pollutions qui perdurent créent des problèmes. Une réflexion doit être menée, mais je me garderai de formuler une proposition.
Sur les SIS, les Dreal n'assurent effectivement plus de contrôle et les bureaux d'études peuvent indiquer que la réhabilitation est correcte. L'inspection ne voit même pas passer le dossier et n'est informée qu'au moment du permis de construire futur. Nous ne contrôlons alors que la présence d'une attestation, assurant ainsi un contrôle administratif, sans disposer des études nous permettant de vérifier que la dépollution a été correctement réalisée. Le dispositif ne nous permet pas de contrôler la réalisation en bonne et due forme, dans l'état de l'art, de la dépollution d'un site placé en SIS.
Nous avons effectivement déjà été confrontés à des cas de fraude, notamment avec des établissements publics fonciers. J'ai en tête un exemple dont nous avons eu connaissance par délation d'un salarié de l'entreprise qui nous a informés qu'une demande de recouvrir les sols avait été formulée. Nous avons alors fait venir une pelle mécanique pour ouvrir un site recouvert et avons constaté, visuellement et à travers des prélèvements, qu'une pollution volontaire avait été dissimulée, recouverte par du remblai, par l'aménageur. Ces cas sont alors très difficiles à détecter, puisque nous nous basons sur des rapports administratifs. Nous nous rendons parfois sur le terrain, mais la meilleure solution pour détecter les fraudes consisterait en des contrôles inopinés.
Le débat me fait penser à un système qui existe en matière de défrichement. Quand un exploitant veut défricher un terrain pour y implanter un projet, il doit contribuer financièrement à un fonds ou reboiser l'équivalent de ce qu'il a défriché. Nous pourrions nous inspirer de cet exemple.
Sur l'iniquité entre les CSS, je vous invite à regarder les pratiques du nucléaire. Outre les commissions locales d'information (CLI), une association nationale veille à l'animation des CLI, assurant une plus grande équité sur le territoire.
Vous avez parlé de l'Ademe, des sites orphelins et de la difficulté à dépolluer certains sites pollués. Nous léguons ces sols aux générations futures et devons traiter le sujet. Constatez-vous une recrudescence à l'échelle nationale des accidents industriels qui polluent les sols ? Au moment où nous parlons de la nécessité de relocaliser l'industrie, sommes-nous en capacité de retisser un tissu industriel mal en point ? Ne risquons-nous pas de faire émerger de nouveaux conflits de type « zone à défendre » (ZAD), y compris dans le cadre de réhabilitations des solutions ?
Disposez-vous des retours d'expérience de nos voisins européens en matière de réhabilitation des sols et de surveillance des pollutions ?
Le pays à l'avant-garde de la démarche sur les sols pollués était les Pays-Bas, dont nous nous sommes initialement inspirés, en 1996, quand les évaluations simplifiées des risques ont été établies. Nous utilisions alors les valeurs hollandaises, parmi d'autres. Les Hollandais avaient adopté des valeurs de dépollution en fonction de ce que devenait le site (habitation, industrie...) ce qui permettait de fixer des objectifs de dépollution simples. Actuellement, quand une usine importante ferme, nous pouvons lui demander de justifier, par des études approfondies, les seuils de dépollution au cas par cas. Quand une station-service ou une petite installation s'arrête, la démarche est similaire et reste très complexe. Nous ne pouvons répondre simplement sur les seuils à respecter et cette réponse n'est pas très satisfaisante. Il conviendrait de mener une réflexion, à partir de l'expérience des Pays-Bas et de la Belgique, pour définir des seuils de dépollution standard pour les cas simples, afin de dégager du temps pour les cas plus complexes.
Entre 1996 et 2006, le protocole Gaz de France a été déroulé en France. Pour les usines à gaz exploitées et fermées dans les années 1950, le ministère avait hiérarchisé les enjeux de chaque usine à gaz et avait déterminé des protocoles et des seuils de dépollution. Ainsi, pour les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), une concentration inférieure à 50 mg par kilo de terre permettait d'utiliser le site pour un usage d'habitation et entre 50 et 500, le site pouvait être utilisé pour des activités industrielles ou commerciales. Des valeurs standard étaient ainsi définies.
Il conviendrait de définir des seuils de dépollution pour les cas simples et d'utiliser la méthodologie actuelle, exhaustive, pour des cas plus complexes.
Je ne crois pas que nous assistions à une recrudescence des accidents industriels. Un bureau de la direction générale de la prévention des risques (DGPR) recense tous les accidents. Ce n'est toutefois pas tant la recrudescence des accidents qui amène aux pollutions, mais plutôt la recrudescence des cessations d'activités. Avec la désindustrialisation de la France, des ICPE ferment. Comme nous ne nous intéressons à la question des sites et sols pollués qu'au moment des fermetures de site ou de futurs projets, nous détectons alors les pollutions, ce qui explique que ce sujet émerge davantage. Faute de pouvoir remettre un usage industriel à la place d'un usage industriel, il convient de réhabiliter.
Dans le cadre d'une réhabilitation d'une friche industrielle, un exploitant a voulu connaître l'état des sols en amont de son site, à 50 ou 100 mètres, et a réalisé un sondage. Ce sondage a permis de détecter une source de pollution non traitée par un exploitant cinquante ans auparavant et l'Ademe est alors intervenue pour prendre en charge cette dépollution.
Vous avez évoqué les difficultés rencontrées en milieu rural et je suis élu d'un milieu rural, où de nombreuses friches attendent une réhabilitation, après l'effondrement du textile en Ariège. Je partage l'idée de créer un outil financier puisque le sol est un bien commun et que la pollution risque sinon de se répandre.
Je trouve insupportable que la pollution des villes soit mieux traitée que la pollution des champs, à cause des coûts du foncier. Existe-t-il un inventaire des sites en attente de réhabilitation, avec des pollutions qui perdurent ? Un tel inventaire pourrait justifier la création de cet outil.
Nous disposons de trois inventaires avec les bases de données Basias, Basol et des SIS. Cette dernière base est majoritairement constituée des bases de données Basol et peut être regroupée avec cette dernière : elles sont toutes deux alimentées par l'inspection des installations classées qui remonte toutes les informations dont elle dispose sur l'état des sols. Toutes les valeurs disponibles sur un site sont enregistrées dans la base de données Basol : si le site est pollué et qu'il n'existe plus d'exploitant, les données sont mises dans la base de données SIS pour alerter le futur aménageur. La base de données Basias recense l'ensemble des exploitants industriels susceptibles d'avoir pollué. Cette base de données est gigantesque, mais ne comprend pas d'informations sur l'état des sols. Un diagnostic pourrait être établi, mais nous ne disposons pas d'outils permettant de connaître l'état des sites et sols pollués de manière exhaustive et précise pour présenter une cartographie certaine des diagnostics.
L'information de la réhabilitation et des diagnostics de sols n'est toujours pas imposée à tous les exploitants, notamment ceux soumis au régime de la déclaration, comme les stations-services. Il est très probable, d'après notre retour d'expérience, que ces installations aient conduit à des pollutions des sols, mais l'exploitant peut nous fournir un rapport signé par un bureau d'études qu'il n'a pas pollué les sols : nous ne disposons alors d'aucun outil réglementaire pour lui imposer des sondages de sols ou d'eaux souterraines pour vérifier la bonne qualité des sols.
La démarche de sites et sols pollués est née en 1976. Nous avons créé un dispositif pour les installations soumises à une autorisation. Nous augmentons progressivement notre champ d'intervention, même s'il reste des zones pour lesquelles nous ne pouvons intervenir, comme les pollutions historiques. Pour construire les mines, du remblai a été excavé et a fini dans des zones d'aménagement concerté (ZAC). Les sondages réalisés maintenant montrent que la qualité des remblais historiques des années 1960 et 1970 est extrêmement polluée, alors que l'exploitant n'y est pour rien. Cette pollution des mines s'est disséminée sur les territoires par ces remblais. Je ne vois pas comment disposer d'un inventaire précis et exhaustif.
Le code de l'environnement prévoit qu'une attestation soit délivrée par un bureau d'études certifié en sites et sols pollués, établissant un diagnostic pour les anciens sites ICPE. L'aménageur doit alors être informé de l'état du sol, grâce à ce document. Rechercher la responsabilité d'un ancien exploitant s'avère en revanche bien plus compliqué.
Les méthodologies ont évolué au fil du temps. Ne croyez-vous pas qu'il conviendrait de repositionner tous les dispositifs pour gagner en clarté ? Vous avez tous évoqué des pistes intéressantes dont nous nous saisirons certainement. Il me semble maintenant nécessaire de clarifier la situation et de pallier les manques. Nous constatons que différents types de pollutions existent. Il conviendrait de traiter les pollutions avec équité, qu'elles se trouvent dans les villes ou en milieu rural, et de traiter tous les volets, pour les installations classées ou pas, en activité ou pas.
Les textes doivent permettre d'accroître la transparence administrative et juridique. Nous sentons bien que chacun tente de s'adapter et que des insuffisances existent. Je souhaiterais savoir comment les certifications des bureaux d'études sont délivrées et contrôlées.
Cette table ronde était très enrichissante. Nous devrons nous pencher sur les différentes formes de pollution et penser au devenir de ces sites, une fois que l'activité a cessé et que ces sites deviennent des friches, afin de les valoriser.
Je vous remercie d'avoir répondu à nos questions et d'avoir proposé des pistes pertinentes.
Je vous joins mes remerciements et ceux de mes collègues. Vous avez précisément répondu à nos interrogations et au questionnaire écrit, avec des éléments qui enrichiront notre réflexion et notre rapport. Si vous souhaitez ultérieurement nous adresser d'autres remarques, nous pourrons tout à fait les recevoir.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
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