Nous poursuivons nos travaux avec une audition consacrée aux équipements de protection. Je vous prie d'excuser l'absence du président Milon.
Nous entendons cet après-midi M. Laurent Bendavid, président de la Chambre syndicale de la répartition pharmaceutique (CSRP), M. Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), M. Gilles Bonnefond, président de l'Union des syndicats de pharmaciens d'officine (USPO) et M. Jacques Creyssel, délégué général de la Fédération du commerce et de la distribution (FCD).
Notre pays a été confronté à une pénurie d'équipements de protection qui a affecté, sinon conditionné, sa réponse à la crise sanitaire.
Ce n'est pas tant la question des stocks que nous examinons aujourd'hui - nous y reviendrons au cours d'autres auditions - mais celle de la réponse apportée à cette situation.
À quelle période la rupture de la chaîne d'approvisionnement a-t-elle été effectivement constatée ? À quelle période a-t-elle été rétablie ?
Dans cet intervalle, quels étaient les acteurs les plus efficaces pour acheter des masques, pour les stocker, pour les distribuer ? Quels ont été les effets concrets de la réquisition par l'État et les leçons de la crise dans ce domaine ?
Je vous demanderai de prêter serment, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête. Tout témoignage mensonger devant une commission d'enquête parlementaire est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Laurent Bendavid, Philippe Besset, Gilles Bonnefond et M. Jacques Creyssel prêtent serment.
Depuis février, les entreprises de la répartition pharmaceutique sont pleinement mobilisées pour répondre aux nombreuses sollicitations des pouvoirs publics lors de la crise de la covid-19. La distribution des masques du stock d'État était au coeur de la coopération entre la profession et les autorités de santé. Complexe, elle a mobilisé des moyens considérables. Les grossistes répartiteurs ont distribué plus de 500 millions de masques, et continuent, chaque semaine, à distribuer 30 millions à 35 millions de masques du stock de l'État.
Outre cette mission prioritaire, le ministère de la santé a sollicité les grossistes répartiteurs afin d'acheminer des traitements sensibles des pharmacies hospitalières vers les pharmacies d'officine, car certains patients ne pouvaient pas se rendre dans les hôpitaux - leur présence n'était pas souhaitée étant donné la propagation du virus. Ainsi, près de 10 000 traitements ont été transférés, via un dispositif logistique totalement exceptionnel et spécifique géré par les répartiteurs.
Les agences régionales de santé (ARS) ont aussi largement sollicité la profession pour distribuer des masques et du gel hydroalcoolique, en raison de notre proximité avec les officines, notre réseau et notre expertise logistique. Nous avons près de 180 établissements pharmaceutiques répartis sur l'ensemble du territoire français, couvrant l'ensemble de la population et des officines françaises.
Dans le même temps, la répartition a continué à livrer les pharmacies tous les jours pour garantir leur approvisionnement en médicaments et en produits de santé, les pharmacies ayant été définies comme des commerces indispensables durant la période du confinement. Il était donc tout à fait normal de maintenir notre qualité de service envers nos clients, les pharmacies. Durant cette période très complexe, nous avons maintenu l'ensemble de nos équipes, soit 12 000 collaborateurs, au service des pharmaciens.
Les répartiteurs ont assuré leurs missions exceptionnelles de santé publique - et continuent à les assurer avec fierté et efficacité - pour soutenir les pharmacies, car ils sont particulièrement attachés à leur rôle d'acteur de santé publique. Nous livrons les 21 000 pharmacies près de deux fois par jour sur l'ensemble du territoire, afin que nos concitoyens aient accès aux traitements nécessaires.
À travers cette crise, les entreprises de la répartition ont démontré à la fois leur capacité à s'adapter et à s'extraire de leurs process habituels pour intégrer les contraintes imposées par les circonstances. Elles ont démontré leur pertinence et la force de leur implantation au plus près des territoires et des patients, et leur très grande réactivité pour répondre efficacement à toutes les demandes urgentes qui nous ont été adressées.
Pour autant, il me paraît important de vous alerter sur la fragilité du secteur. Nous traversons une crise exceptionnelle depuis plus de dix ans qui affecte notre économie d'une manière sans précédent. Les entreprises de la répartition ont abordé la crise en étant affaiblies. Plusieurs entreprises de distribution de médicaments ont mis en place des plans de restructuration qui se traduiront par des suppressions d'emplois et des fermetures de sites.
La répartition, acteur indispensable, particulièrement pendant les crises sanitaires et durant la crise de la covid-19, est en grande souffrance, voire en danger depuis plusieurs années. Nous réclamons vainement des mesures de soutien économique. Le Gouvernement s'est engagé sur une première mesure d'augmentation de marges ; nous attendons la publication d'un arrêté dans les prochains jours, mais malheureusement, ce sera insuffisant pour redresser le secteur. C'est pourquoi nous avons soumis trois autres mesures au Gouvernement, en cours de discussion : l'allégement de la contribution sur les ventes en gros, la création d'un forfait pour les médicaments thermosensibles, et le relèvement du plafond de rémunération. Ces mesures économiques sont indispensables pour pérenniser l'existence de la profession, dont le rôle est fondamental pour préserver l'accès quotidien de tous nos concitoyens à leurs médicaments dans toutes les pharmacies de tous les territoires.
C'est un enjeu de santé publique. J'ai conscience qu'une telle demande n'est pas l'objet de cette commission, mais il m'était impossible de ne pas aborder ce sujet structurant et pouvant hypothéquer la mobilisation de notre profession lors d'une prochaine crise sanitaire.
Le 18 février 2020, lorsque nous avons été convoqués par Agnès Buzyn, pour la première réunion de crise au ministère de la santé - et reçus par Olivier Véran, dans sa première et seule réunion présentielle avec l'ensemble des acteurs de santé - nous, les deux organisations professionnelles et l'ordre des pharmaciens, nous sommes portés volontaires pour participer à la distribution des masques du stock d'État aux professionnels de santé.
À ce moment-là, le réseau pharmaceutique, de santé et de proximité, est en souffrance économique, et depuis longtemps : nous perdons environ 200 officines de proximité par an depuis les années 2000. Il reste 21 500 officines pour réaliser la mission que nous proposons à Olivier Véran, et qu'il décide de nous confier. À l'époque, nous ne savions pas quel était l'état des stocks de Santé publique France. Il y avait quelques stocks résiduels dans les pharmacies d'officine ; avant cette crise épidémique particulière, le port du masque n'était pas répandu dans notre société, ni chez les soignants - hormis les chirurgiens-dentistes qui en utilisent quotidiennement - ni par les patients. Les ventes de masques en officine étaient donc plutôt confidentielles, avec très peu de stocks.
Le 3 mars paraît un décret de réquisition générale de tous les masques sur le territoire. Le lendemain, il n'y a plus de masques disponibles et il nous est interdit de nous approvisionner.
Le 23 mars, la situation change. L'arrêté de réquisition est confirmé pour tous les masques produits sur le territoire français, mais nous sommes autorisés, comme tous les acteurs, à acheter des masques sur le marché international. Nous nous heurtons alors au problème du long délai entre la commande et la réception des masques, et surtout de la concurrence des demandes : le monde entier essaie au même moment d'avoir des masques sur ce marché. Nous avons eu des difficultés extrêmes à assumer notre mission.
Les pharmaciens ont mené beaucoup d'autres actions durant la crise. Ils ont renouvelé les traitements chroniques ; selon l'enquête Epi-phare menée par la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam) et l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), il n'y a pas eu d'interruption de traitement sur les patients chroniques, grâce au fait qu'ils ont pu renouveler leur traitement en officine. Je ne reviens pas sur ce qui a été dit sur la dispensation en ville des médicaments hospitaliers, réalisée pro bono par les pharmaciens. Bien sûr, nous avons porté à domicile les médicaments pour les patients malades atteints de la covid-19. Nous avons mis en place les premiers moyens de protection dans des lieux ouverts au public - on a réinventé les hygiaphones à cette occasion, les sens de circulation, la ventilation, ce que maintenant vous voyez dans l'ensemble des commerces et des lieux ouverts au public.
La profession était très unie le 16 mars. Avec le président de l'USPO et la présidente de l'ordre des pharmaciens, nous tenions des réunions quotidiennes pour définir les messages et mobiliser le réseau.
Dans cette période suivant le Ségur de la santé et précédant le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), il faut traiter le sujet économique. Nous ne demandons évidemment pas de récompense particulière par rapport à cette action, mais nous estimons que nous sommes sanctionnés financièrement. Nous aurons l'occasion de vous en dire plus à l'occasion du PLFSS. Je ne pense pas que le réseau mérite une sanction financière compte tenu de son implication lors de la crise.
Merci de votre invitation. Point le plus important, les pharmacies sont restées ouvertes, elles se sont organisées pour répondre aux besoins des patients. Notre maillage territorial est un atout formidable pour accéder aux médicaments sans difficulté.
Nous avons obtenu des pouvoirs publics des choses qui auraient été impensables en janvier, notamment pour assurer la continuité des soins lorsque le médecin est indisponible. En accord avec eux, même si l'ordonnance est expirée et à condition que l'état du patient soit stable, nous pouvions renouveler tous les médicaments, ce qui a rassuré les personnes âgées. Nous avons travaillé très en avant avec les médecins, puisque nous avons renouvelé des traitements chroniques, de stupéfiants, d'opiacés, d'hypnotiques, qui sont très sensibles. Cela a permis d'éviter une crise supplémentaire.
Ce travail a été compliqué. Il a fallu équiper les pharmacies, protéger et se protéger, fabriquer du gel hydroalcoolique, participer à la politique de prévention et de dépistage... On nous a aussi demandé de participer à la lutte contre les violences conjugales, à la distribution de médicaments hospitaliers, et permettre des interruptions de grossesse (IVG) médicamenteuses dans des conditions qui n'étaient pas faciles.
Cela a eu beaucoup d'impact sur le personnel des officines, parfois en danger, peu rassuré, qui avait parfois des difficultés à faire garder ses enfants, certains étaient asthmatiques... Nous avons travaillé avec un personnel réduit, dans des conditions difficiles. Nous avons rempli notre mission de santé, parce qu'il était hors de question de réduire l'activité des pharmacies en termes d'amplitude horaire ou d'accès aux médicaments.
La distribution des masques a été extrêmement chronophage, mais ce système a permis d'avoir accès à tous les professionnels de santé, dans des conditions de gestion de pénurie de ces masques, afin qu'il n'y ait pas de gaspillage.
Nous avons aussi participé au bon usage des médicaments : lorsque la crise est arrivée, nous avons eu une flambée de demandes de paracétamol. Nous avons donc averti les pouvoirs publics du risque de rupture. Nous avons limité la consommation et l'usage du paracétamol en le donnant boîte par boîte. Nous avons aussi limité la consommation d'ibuprofène, déconseillée pendant cette crise. Nous avons demandé à être protégés par rapport à une demande d'hydroxychloroquine pour pouvoir continuer de fournir les personnes à besoin chronique. Lorsqu'est parue une communication sur la nicotine, nous avons demandé de pouvoir limiter l'offre, car sinon il y aurait eu un important mésusage de médicaments. Nous avons participé à la garantie du bon usage.
Notre travail dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) est passé totalement inaperçu, dans une situation extrêmement tendue : les pharmaciens ont permis à tous les patients d'avoir accès, sans difficulté, à leurs médicaments - et ce n'était pas simple.
Le réseau, à l'épreuve de la tempête, a bien résisté. Il a assuré les nombreuses missions qu'on lui a confiées, sans faillir. Cela a permis d'avoir des dispositions qui pourraient être renouvelées, en coordination avec les infirmiers, les hôpitaux et les médecins.
Je vous remercie d'avoir insisté sur la continuité des soins et le rôle important des pharmaciens, car certains collègues nous avaient interrogés sur ce sujet, même si ce n'est pas directement notre thème. Votre rôle de secours était essentiel et entre dans la stratégie des masques, car sans protection, il ne se passe rien.
La distribution a eu un rôle totalement stratégique. Il n'était pas question que les Français ne puissent pas trouver de quoi se nourrir. L'ensemble des pouvoirs publics a d'ailleurs rendu hommage à nos salariés.
Aucun de nos 30 000 magasins n'a fermé, malgré un taux d'absentéisme important. Nous tenions, plusieurs fois par jour, des réunions avec les pouvoirs publics, notamment au niveau ministériel - surtout avec le ministre Bruno Le Maire, mais aussi avec les ministres du travail, de la santé et de l'agriculture.
Le sujet des masques est revenu tout au long de ces mois de travail, et était essentiel pour nos salariés et nos clients.
Je rappellerai les dates importantes : avant le 15 mars, nous ne vendions quasiment aucun masque, sauf marginalement.
Après le discours du 14 mars annonçant le confinement, Bruno Le Maire a réuni le 15 mars au matin les patrons des différentes enseignes. Ils se sont engagés pour que l'ensemble des magasins puissent fonctionner avec des exigences sanitaires élevées. Le 15 mars après-midi, nous avons bâti et envoyé aux pouvoirs publics un protocole sanitaire qui a été publié le 16 mars. Nous n'avions pas le droit, à l'époque, de rendre obligatoire le port du masque pour les salariés car nous n'avions pas la possibilité d'avoir des masques, réservés aux soignants. Une des enseignes avait cherché à acheter des masques. On lui avait répondu que c'était possible, sous réserve de réquisition, mais que cela ne servait pratiquement à rien pour lutter contre la maladie...
Une direction départementale, dans le Val-de-Marne, a répondu à une enseigne qu'il fallait indiquer que seuls les masques FFP2 servaient à lutter contre le coronavirus, et que porter d'autres masques ne servait à rien - nous vous avons envoyé ces précisions en mai. Nous avons donc privilégié les vitres en plexiglas et les visières, seuls équipements de protection disponibles.
Mais dès le 21 mars, à la suite de nos demandes répétées, nous avons obtenu l'autorisation d'acheter des masques pour nos salariés, et en avons massivement acheté. Nous avons aussi commencé à équiper les PME qui le souhaitaient - nous ne pouvions pas encore fournir de masques au grand public - dans les conditions fixées par le Gouvernement : il fallait le déclarer, mentionner la possibilité de réquisition... Nous l'avons fait naturellement. Nos enseignes ont l'habitude d'acheter, c'est leur métier. Nous avons massivement acheté, en Chine notamment, avec des coûts importants.
Le 14 avril, en amont du déconfinement, le Gouvernement a souhaité que nous travaillions ensemble sur les voies et moyens de la participation de la grande distribution au déconfinement et au port du masque. Nous avons commencé à travailler d'abord sur la disponibilité des masques en tissu - selon le Gouvernement, la production globale de masques chirurgicaux était insuffisante par rapport aux besoins. On nous a demandé de faire un sourcing en France et à l'étranger pour compléter ces achats. Nous avons répondu présents, mais signalé que la fabrication à la demande de masques en tissu prenait du temps, et qu'il était possible d'acheter des masques chirurgicaux sur le marché. Nous avons proposé de participer à la mise à disposition de ces deux types de masques.
Le 24 avril, cela nous a été confirmé : il n'y avait plus de possibilité juridique de nous l'interdire, et les études montraient qu'il y avait besoin, pour déconfiner, d'avoir suffisamment de masques.
Le 29 avril, nous avons rédigé un communiqué commun avec la ministre Agnès Pannier-Runacher, indiquant que la grande distribution était prête à vendre des masques - chirurgicaux et en tissu - avec des prix encadrés selon des conditions définies en commun.
Pour les entreprises de la FCD, le confinement et le déconfinement ont représenté des surcoûts énormes. La sécurité, avec les masques et les plexiglas, a coûté de 300 millions à 400 millions d'euros ; avec les primes et le personnel supplémentaire, nous avons eu plus d'un milliard d'euros de surcoûts. Mais dans le cadre de notre mission de service public, la question de ces surcoûts ne s'est jamais posée durant la crise.
Pouvez-vous nous en dire plus sur la négociation avec l'État des prix encadrés ? De nombreuses choses ont été dites sur les marges de la grande distribution pour la vente de masques ou d'équipements. Il faudrait être plus transparent sur les marges et les pertes...
Certains éléments varient selon les enseignes. Les pouvoirs publics ont souhaité, sur le fondement de leur analyse, que le prix maximal d'un masque chirurgical soit d'un euro. En réalité, ils sont plutôt vendus entre 50 et 60 centimes, car nous nous sommes collectivement engagés à les vendre à prix coûtant, sans marge. Au début, nous avons acheté de nombreux masques à un prix élevé, pour le week-end du 1er mai. Nous n'avions pas le droit de les vendre à perte. Au fur et à mesure de la constitution de nouveaux stocks, les prix ont baissé. Actuellement, le prix minimum est de 20 centimes le masque.
Sur l'ensemble de la période, nous avons pris l'engagement, auprès du Gouvernement, de ne pas augmenter nos prix sur l'ensemble des produits vendus dans nos magasins, hormis les produits frais : nous avions promis au secteur agricole de donner la priorité aux produits français - asperges, fraises... - dont les prix d'achat sont supérieurs à ceux des produits étrangers.
La totalité de nos surcoûts est largement supérieure au chiffre d'affaires supplémentaire réalisé sur la période, d'autant que les Français ont acheté des produits à plus faible marge - pâtes, steaks hachés... - durant le confinement.
Allons plus loin. Vous êtes tous en bout de chaîne, en contact avec la personne qui achète. Mais d'autres facteurs concernent l'amont. Il semblerait que des intermédiaires, notamment transporteurs, au plus fort de la crise, aient multiplié par dix, quinze, voire vingt leurs tarifs, le justifiant par des tensions sur le transport international, notamment maritime, mais dans une proportion sans rapport avec l'augmentation des frais induits par l'épidémie. Confirmez-vous cette hausse importante des prix des intermédiaires, notamment pour le transport ? Qu'en pensez-vous ?
Nous espérons qu'un vaccin sera bientôt trouvé. Il nécessitera une production et un transport de masse, et donc une chaîne de distribution suffisante dans un contexte où le transport maritime est sous tension, avec des prix largement supérieurs à l'avant-crise. Quelle organisation des chaînes logistiques faudra-t-il pour délivrer rapidement un vaccin sans un surcoût gigantesque - comme cela a été le cas pour les équipements de protection individuelle (EPI) ?
Quand, en mars, l'État a confié à Géodis cette mission de transport des masques, l'entreprise a eu de grandes difficultés à la remplir. Elle ne l'a finalement pas effectuée seule. Le choix d'un unique opérateur est-il adapté ? Quel choix aurait-il fallu faire ?
Pour les vaccins, il y a une chaîne de santé avec des prix fabricant, grossiste répartiteur et au patient fixés par les pouvoirs publics. Les grossistes répartiteurs et les pharmaciens font face à des prix réglementés, tandis que les fabricants négocient le prix fabricant avec l'État. Pour l'approvisionnement, si les vaccins sont en France, la logistique existe avec les grossistes répartiteurs et les pharmaciens. Il n'y a pas de risque particulier.
Les prix sont fixés en France, notamment sur la filière des médicaments. Mais si la chaîne logistique mondiale impose des facturations plus importantes et que les prix sont 25 % à 100 % plus chers hors de France, alors nous n'aurons pas de vaccin... Votre réponse vaut pour le territoire national, mais elle n'est pas efficiente dans un marché mondial.
Nous avons connu cela lors de la grippe H1N1 : il fallait se positionner rapidement pour pouvoir ensuite vacciner. Cela avait fait débat à l'époque. Nous sommes actuellement dans la même situation : nous devons préempter des doses de vaccin pour éviter des difficultés ultérieures. Les négociations ont lieu au niveau de l'État.
Non. Cette négociation devrait même se dérouler au niveau européen, pour éviter des compétitions entre pays européens...
Geodis, structure logistique pour acheter les masques en Chine, a remplacé durant une semaine les grossistes répartiteurs ; cela n'a pas fonctionné, et s'est arrêté de suite. Ce métier de logisticien pour les 21 000 pharmacies est un métier de spécialistes, on ne peut s'improviser grossiste répartiteur en une semaine. L'État a compris que ce n'était pas la bonne stratégie et a réagi immédiatement.
Je rappellerai les dates concernant la gestion des masques par le réseau pharmaceutique. Nous étions en lien avec le ministère de la santé et pas celui de l'économie, ce qui a sans doute posé certains problèmes, voire créé des incompréhensions.
Le 18 février, nous nous sommes portés volontaires pour distribuer des masques. Le ministre de la santé l'a approuvé. Le 2 mars, nous avons commencé la distribution aux professionnels de santé - dont les pharmaciens étaient exclus jusqu'au 15 mars, et il a fallu un mois pour que nos préparateurs en pharmacie en aient !
Le 3 mars a eu lieu la réquisition de tous les masques. De nombreuses entreprises devant assurer le fonctionnement de leur activité devaient avoir des masques, comme l'industrie pharmaceutique ou les entreprises en contact avec la population.
Le 21 mars, il y a eu une levée partielle des réquisitions pour permettre l'achat et la revente à des entreprises en ayant besoin - mais pas au consommateur.
Le 5 avril, une instruction interministérielle des directions générales du travail, des douanes, de la consommation, de la santé, établissait que les masques, les EPI et les dispositifs médicaux ne devaient pas être commercialisés pour les consommateurs. Cette instruction ayant été confirmée à plusieurs reprises à la suite de nos demandes, nous sommes restés sur cette position interministérielle. Lorsque des masques ont commencé à arriver, nous les avons donc proposés aux patients fragiles, gratuitement, jusqu'en juin. Nous n'avons toujours pas été rémunérés de ce travail. En juin, nous avons été rémunérés, d'un euro, pour cette distribution de masques aux professionnels... Or il fallait réceptionner des boîtes de 50 masques, les ouvrir dans un lieu isolé, compter 14 masques par semaine, les remettre en sachet pour le professionnel de santé et assurer leur traçabilité. Nous avons géré ce travail pour aider les professionnels et sans surstocker, pour éviter davantage de pénurie.
Mais le 29 avril, nous avons été surpris : le Premier ministre a annoncé qu'on pouvait distribuer des masques à tous les consommateurs, sans nous avoir avertis. M. Creyssel vient de nous dire que le 14 avril, la grande distribution avait été associée à une réunion pour modifier la doctrine, sans que les pharmaciens ne soient jamais associés ! Il aurait mieux valu que les deux réseaux soient complémentaires. Nous avons été exclus de ces réunions. Nous avons appris par la presse et les opérations de communication que certaines enseignes avaient 30 millions de masques, d'autres 80 millions ! Mais c'était compliqué ; certaines enseignes les vendaient par paquet de dix, d'autres exigeaient la carte de fidélité de leur magasin pour en vendre ou un caddie minimal de trente euros... (M. Jacques Creyssel le conteste).
J'ai des preuves. Ces pratiques ne convenaient pas à une gestion de crise sanitaire.
Nous étions gênés, car nous avions expliqué à tous les pharmaciens qu'il ne fallait pas vendre au consommateur. Les deux ou trois pharmacies qui l'ont fait ont été punies très sévèrement par le conseil de l'ordre. Il y a donc eu un dysfonctionnement. Un ministère ne peut pas interdire la vente au consommateur si un autre ministère organise en même temps l'approvisionnement pour d'autres ! Cela a créé des tensions inutiles.
Nous avons insisté pour qu'il y ait un encadrement des prix, afin d'éviter d'être en situation d'opportunité en période de crise. Il y a donc eu un prix maximal de vente et un prix intermédiaire. Le prix maximal - lorsque seul le transport aérien était possible - était d'un euro par masque. Cela ne veut plus rien dire aujourd'hui, car nous avons désormais d'autres modes de transport qui réduisent les coûts. Désormais, tout le monde vend des masques à un prix inférieur au prix maximal.
On ne parle pas de la même chose. Actuellement, dans mon officine, j'ai deux stocks de masques, d'environ 1 000 à 2 000 masques. J'ai acheté un stock de masques pour le grand public, que je vends au même titre que le fait la grande distribution. Mais cela n'est pas notre coeur de métier.
Nous avons un autre stock livré par les grossistes répartiteurs, provenant de Santé publique France. C'est comme pour le vaccin. Nous n'en sommes pas acheteurs. Jusqu'à mi-juin, nous avons reçu des masques sans savoir quand ils arrivaient et pour quel volume. Ils arrivaient un beau jour...
Parfois certaines régions n'en avaient pas, il y avait du retard... Nous n'avions aucunement la main sur leur arrivée. Les patients ne comprenaient pas pourquoi certaines officines en avaient, et d'autres pas, ce qui a provoqué quelques crispations.
Notre métier, c'était cela : équiper les soignants et les malades avec le stock de l'État - ce qui est différent de la gestion de la stratégie de déconfinement, qui relève de l'État.
La communication de l'État a été trop précoce, alors que nous étions encore en pleine tension avec Santé publique France pour la livraison de masques aux professionnels. Tout le monde était de bonne foi. La grande distribution voulait participer à la stratégie de déconfinement, mais nous n'en étions pas encore là : nous devions encore gérer la pénurie des stocks de masques pour les soignants et les malades les plus fragiles.
Il faudrait, le plus rapidement possible, que l'État instaure un dispositif qui perdure au-delà du 4 octobre pour que nous poursuivions la distribution des masques aux malades ; le 4 octobre est prévue la fin de la livraison de masques aux officines par Santé publique France, et nous n'avons pas d'alternative connue.
Le rôle logistique de Santé publique France a été difficile à vivre pour les pharmacies ?
Il était chaotique...
C'est fait au détriment des autres si vous prélevez les réactifs pour les plateformes.
Pr Philippe Froguel. - Nos premiers réactifs venant de Chine ont été volés sur le tarmac de Düsseldorf par le gouvernement allemand. J'ai fait venir les premiers réactifs d'Amérique.
Pr Bruno Lina. - Au départ de la Chine, des personnes payaient en cash à l'aéroport du matériel destiné à l'Europe, afin de l'envoyer aux États-Unis. Concernant des machines acquises, des engagements des fournisseurs sur l'approvisionnement en matériel permettant de les faire fonctionner n'ont pas été tenus.
Dr François Blanchecotte. - Je souhaite vous rappeler la loi de 2013 relative à la biologie médicale. Les généticiens ne sont pas des biologistes médicaux. Nous nous sommes battus auprès de l'Union Européenne pour que la biologie médicale française ne soit pas incluse dans les directives Service. Nous engageons notre responsabilité sur le résultat des tests et devons transmettre par SIDEP le nom d'un médecin traitant. Cette donnée est quasiment absente dans le secteur public. Nous ne pouvons pas renvoyer les malades vers le médecin traitant. Il faut une collaboration plutôt qu'un dictat : les plateformes ne sont pas la panacée.
Il faut en effet un suivi au-delà du seul dépistage, pour organiser ses conséquences et la prise en charge. C'est peut-être un rôle qui revient à l'ARS. Ces échanges nous ont éclairés même si tout n'est pas réglé. Je vous remercie.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 12 h 45.
- Présidence de M. René-Paul Savary, vice-président -
La réunion est ouverte à 14 h 5.
Table ronde sur les équipements de protection
Je l'ai dit à l'Assemblée nationale : Santé publique France, nous ne savons pas qui c'est...
Nous poursuivons nos travaux avec une audition consacrée aux équipements de protection. Je vous prie d'excuser l'absence du président Milon.
Nous entendons cet après-midi M. Laurent Bendavid, président de la Chambre syndicale de la répartition pharmaceutique (CSRP), M. Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), M. Gilles Bonnefond, président de l'Union des syndicats de pharmaciens d'officine (USPO) et M. Jacques Creyssel, délégué général de la Fédération du commerce et de la distribution (FCD).
Notre pays a été confronté à une pénurie d'équipements de protection qui a affecté, sinon conditionné, sa réponse à la crise sanitaire.
Ce n'est pas tant la question des stocks que nous examinons aujourd'hui - nous y reviendrons au cours d'autres auditions - mais celle de la réponse apportée à cette situation.
À quelle période la rupture de la chaîne d'approvisionnement a-t-elle été effectivement constatée ? À quelle période a-t-elle été rétablie ?
Dans cet intervalle, quels étaient les acteurs les plus efficaces pour acheter des masques, pour les stocker, pour les distribuer ? Quels ont été les effets concrets de la réquisition par l'État et les leçons de la crise dans ce domaine ?
Je vous demanderai de prêter serment, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête. Tout témoignage mensonger devant une commission d'enquête parlementaire est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Laurent Bendavid, Philippe Besset, Gilles Bonnefond et M. Jacques Creyssel prêtent serment.
Depuis février, les entreprises de la répartition pharmaceutique sont pleinement mobilisées pour répondre aux nombreuses sollicitations des pouvoirs publics lors de la crise de la covid-19. La distribution des masques du stock d'État était au coeur de la coopération entre la profession et les autorités de santé. Complexe, elle a mobilisé des moyens considérables. Les grossistes répartiteurs ont distribué plus de 500 millions de masques, et continuent, chaque semaine, à distribuer 30 millions à 35 millions de masques du stock de l'État.
Outre cette mission prioritaire, le ministère de la santé a sollicité les grossistes répartiteurs afin d'acheminer des traitements sensibles des pharmacies hospitalières vers les pharmacies d'officine, car certains patients ne pouvaient pas se rendre dans les hôpitaux - leur présence n'était pas souhaitée étant donné la propagation du virus. Ainsi, près de 10 000 traitements ont été transférés, via un dispositif logistique totalement exceptionnel et spécifique géré par les répartiteurs.
Les agences régionales de santé (ARS) ont aussi largement sollicité la profession pour distribuer des masques et du gel hydroalcoolique, en raison de notre proximité avec les officines, notre réseau et notre expertise logistique. Nous avons près de 180 établissements pharmaceutiques répartis sur l'ensemble du territoire français, couvrant l'ensemble de la population et des officines françaises.
Dans le même temps, la répartition a continué à livrer les pharmacies tous les jours pour garantir leur approvisionnement en médicaments et en produits de santé, les pharmacies ayant été définies comme des commerces indispensables durant la période du confinement. Il était donc tout à fait normal de maintenir notre qualité de service envers nos clients, les pharmacies. Durant cette période très complexe, nous avons maintenu l'ensemble de nos équipes, soit 12 000 collaborateurs, au service des pharmaciens.
Les répartiteurs ont assuré leurs missions exceptionnelles de santé publique - et continuent à les assurer avec fierté et efficacité - pour soutenir les pharmacies, car ils sont particulièrement attachés à leur rôle d'acteur de santé publique. Nous livrons les 21 000 pharmacies près de deux fois par jour sur l'ensemble du territoire, afin que nos concitoyens aient accès aux traitements nécessaires.
À travers cette crise, les entreprises de la répartition ont démontré à la fois leur capacité à s'adapter et à s'extraire de leurs process habituels pour intégrer les contraintes imposées par les circonstances. Elles ont démontré leur pertinence et la force de leur implantation au plus près des territoires et des patients, et leur très grande réactivité pour répondre efficacement à toutes les demandes urgentes qui nous ont été adressées.
Pour autant, il me paraît important de vous alerter sur la fragilité du secteur. Nous traversons une crise exceptionnelle depuis plus de dix ans qui affecte notre économie d'une manière sans précédent. Les entreprises de la répartition ont abordé la crise en étant affaiblies. Plusieurs entreprises de distribution de médicaments ont mis en place des plans de restructuration qui se traduiront par des suppressions d'emplois et des fermetures de sites.
La répartition, acteur indispensable, particulièrement pendant les crises sanitaires et durant la crise de la covid-19, est en grande souffrance, voire en danger depuis plusieurs années. Nous réclamons vainement des mesures de soutien économique. Le Gouvernement s'est engagé sur une première mesure d'augmentation de marges ; nous attendons la publication d'un arrêté dans les prochains jours, mais malheureusement, ce sera insuffisant pour redresser le secteur. C'est pourquoi nous avons soumis trois autres mesures au Gouvernement, en cours de discussion : l'allégement de la contribution sur les ventes en gros, la création d'un forfait pour les médicaments thermosensibles, et le relèvement du plafond de rémunération. Ces mesures économiques sont indispensables pour pérenniser l'existence de la profession, dont le rôle est fondamental pour préserver l'accès quotidien de tous nos concitoyens à leurs médicaments dans toutes les pharmacies de tous les territoires.
C'est un enjeu de santé publique. J'ai conscience qu'une telle demande n'est pas l'objet de cette commission, mais il m'était impossible de ne pas aborder ce sujet structurant et pouvant hypothéquer la mobilisation de notre profession lors d'une prochaine crise sanitaire.
C'est un problème. Lorsqu'on doit dire qu'il faut modifier ou changer le système de distribution, mieux vaudrait savoir à qui s'adresser, et le connaître ! Nous connaissons le cabinet des ministres, le directeur de la CNAM, le directeur général de la santé, celui de l'offre de soins, mais pas Santé publique France...
Le 18 février 2020, lorsque nous avons été convoqués par Agnès Buzyn, pour la première réunion de crise au ministère de la santé - et reçus par Olivier Véran, dans sa première et seule réunion présentielle avec l'ensemble des acteurs de santé - nous, les deux organisations professionnelles et l'ordre des pharmaciens, nous sommes portés volontaires pour participer à la distribution des masques du stock d'État aux professionnels de santé.
À ce moment-là, le réseau pharmaceutique, de santé et de proximité, est en souffrance économique, et depuis longtemps : nous perdons environ 200 officines de proximité par an depuis les années 2000. Il reste 21 500 officines pour réaliser la mission que nous proposons à Olivier Véran, et qu'il décide de nous confier. À l'époque, nous ne savions pas quel était l'état des stocks de Santé publique France. Il y avait quelques stocks résiduels dans les pharmacies d'officine ; avant cette crise épidémique particulière, le port du masque n'était pas répandu dans notre société, ni chez les soignants - hormis les chirurgiens-dentistes qui en utilisent quotidiennement - ni par les patients. Les ventes de masques en officine étaient donc plutôt confidentielles, avec très peu de stocks.
Le 3 mars paraît un décret de réquisition générale de tous les masques sur le territoire. Le lendemain, il n'y a plus de masques disponibles et il nous est interdit de nous approvisionner.
Le 23 mars, la situation change. L'arrêté de réquisition est confirmé pour tous les masques produits sur le territoire français, mais nous sommes autorisés, comme tous les acteurs, à acheter des masques sur le marché international. Nous nous heurtons alors au problème du long délai entre la commande et la réception des masques, et surtout de la concurrence des demandes : le monde entier essaie au même moment d'avoir des masques sur ce marché. Nous avons eu des difficultés extrêmes à assumer notre mission.
Les pharmaciens ont mené beaucoup d'autres actions durant la crise. Ils ont renouvelé les traitements chroniques ; selon l'enquête Epi-phare menée par la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam) et l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), il n'y a pas eu d'interruption de traitement sur les patients chroniques, grâce au fait qu'ils ont pu renouveler leur traitement en officine. Je ne reviens pas sur ce qui a été dit sur la dispensation en ville des médicaments hospitaliers, réalisée pro bono par les pharmaciens. Bien sûr, nous avons porté à domicile les médicaments pour les patients malades atteints de la covid-19. Nous avons mis en place les premiers moyens de protection dans des lieux ouverts au public - on a réinventé les hygiaphones à cette occasion, les sens de circulation, la ventilation, ce que maintenant vous voyez dans l'ensemble des commerces et des lieux ouverts au public.
La profession était très unie le 16 mars. Avec le président de l'USPO et la présidente de l'ordre des pharmaciens, nous tenions des réunions quotidiennes pour définir les messages et mobiliser le réseau.
Dans cette période suivant le Ségur de la santé et précédant le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), il faut traiter le sujet économique. Nous ne demandons évidemment pas de récompense particulière par rapport à cette action, mais nous estimons que nous sommes sanctionnés financièrement. Nous aurons l'occasion de vous en dire plus à l'occasion du PLFSS. Je ne pense pas que le réseau mérite une sanction financière compte tenu de son implication lors de la crise.
Cet épisode démontre que la distribution dans des réseaux de proximité ne s'invente pas du jour au lendemain. Nous n'avons pas été associés aux décisions, et avons appris la veille la distribution par cet autre acteur logistique. Nous ne sommes que preneurs d'ordre. Au bout de quatre jours, le ministère de la santé est revenu au réseau normal de distribution des masques. Distribuer 7 millions de masques par semaine vers 21 000 points de vente ne s'invente pas. Nous avons 12 000 professionnels, sept entreprises principales sur tout le territoire, et 5 000 chauffeurs livreurs qui connaissent toutes les pharmacies, leurs horaires d'ouverture. Ils ont pu remplir leurs missions. Cela démontre la force du réseau de santé publique en France et sa coordination. Nous avons, par l'interaction avec l'ensemble des métiers de la chaîne et de la filière de distribution, des médicaments et des produits de santé, une capacité de mobilisation qui n'existe que dans très peu d'autres pays européens. À nous de maintenir, faire vivre et solliciter ce réseau. Nous avons démontré notre capacité à assumer cette mission de santé publique et la continuerons jusqu'au 4 octobre, voire davantage.
En un mois, les volumes de masques demandés ont été multipliés par 100 000. Aucune chaîne logistique n'est capable de tenir des effets d'élasticité aussi importants. Il y a eu une nécessaire adaptation. Il faut savoir comment nous pouvons nous adapter et quel est le temps de réactivité de l'ensemble du réseau à ces évolutions. Nous sommes partis sur une longue période d'approvisionnement des professions de santé et le grand public en masse. Actuellement, les stocks sont là et nous sommes prêts à affronter les prochains mois si une augmentation du nombre de malades se confirme.
Merci de votre invitation. Point le plus important, les pharmacies sont restées ouvertes, elles se sont organisées pour répondre aux besoins des patients. Notre maillage territorial est un atout formidable pour accéder aux médicaments sans difficulté.
Nous avons obtenu des pouvoirs publics des choses qui auraient été impensables en janvier, notamment pour assurer la continuité des soins lorsque le médecin est indisponible. En accord avec eux, même si l'ordonnance est expirée et à condition que l'état du patient soit stable, nous pouvions renouveler tous les médicaments, ce qui a rassuré les personnes âgées. Nous avons travaillé très en avant avec les médecins, puisque nous avons renouvelé des traitements chroniques, de stupéfiants, d'opiacés, d'hypnotiques, qui sont très sensibles. Cela a permis d'éviter une crise supplémentaire.
Ce travail a été compliqué. Il a fallu équiper les pharmacies, protéger et se protéger, fabriquer du gel hydroalcoolique, participer à la politique de prévention et de dépistage... On nous a aussi demandé de participer à la lutte contre les violences conjugales, à la distribution de médicaments hospitaliers, et permettre des interruptions de grossesse (IVG) médicamenteuses dans des conditions qui n'étaient pas faciles.
Cela a eu beaucoup d'impact sur le personnel des officines, parfois en danger, peu rassuré, qui avait parfois des difficultés à faire garder ses enfants, certains étaient asthmatiques... Nous avons travaillé avec un personnel réduit, dans des conditions difficiles. Nous avons rempli notre mission de santé, parce qu'il était hors de question de réduire l'activité des pharmacies en termes d'amplitude horaire ou d'accès aux médicaments.
La distribution des masques a été extrêmement chronophage, mais ce système a permis d'avoir accès à tous les professionnels de santé, dans des conditions de gestion de pénurie de ces masques, afin qu'il n'y ait pas de gaspillage.
Nous avons aussi participé au bon usage des médicaments : lorsque la crise est arrivée, nous avons eu une flambée de demandes de paracétamol. Nous avons donc averti les pouvoirs publics du risque de rupture. Nous avons limité la consommation et l'usage du paracétamol en le donnant boîte par boîte. Nous avons aussi limité la consommation d'ibuprofène, déconseillée pendant cette crise. Nous avons demandé à être protégés par rapport à une demande d'hydroxychloroquine pour pouvoir continuer de fournir les personnes à besoin chronique. Lorsqu'est parue une communication sur la nicotine, nous avons demandé de pouvoir limiter l'offre, car sinon il y aurait eu un important mésusage de médicaments. Nous avons participé à la garantie du bon usage.
Notre travail dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) est passé totalement inaperçu, dans une situation extrêmement tendue : les pharmaciens ont permis à tous les patients d'avoir accès, sans difficulté, à leurs médicaments - et ce n'était pas simple.
Le réseau, à l'épreuve de la tempête, a bien résisté. Il a assuré les nombreuses missions qu'on lui a confiées, sans faillir. Cela a permis d'avoir des dispositions qui pourraient être renouvelées, en coordination avec les infirmiers, les hôpitaux et les médecins.
Vous avez des stocks de masques ainsi que de tous les EPI - gants, blouses, etc. ?
Je vous remercie d'avoir insisté sur la continuité des soins et le rôle important des pharmaciens, car certains collègues nous avaient interrogés sur ce sujet, même si ce n'est pas directement notre thème. Votre rôle de secours était essentiel et entre dans la stratégie des masques, car sans protection, il ne se passe rien.
Les grossistes répartiteurs et les professionnels de santé ont fait un certain nombre de commandes d'anticipation pour pouvoir y faire face.
La distribution a eu un rôle totalement stratégique. Il n'était pas question que les Français ne puissent pas trouver de quoi se nourrir. L'ensemble des pouvoirs publics a d'ailleurs rendu hommage à nos salariés.
Aucun de nos 30 000 magasins n'a fermé, malgré un taux d'absentéisme important. Nous tenions, plusieurs fois par jour, des réunions avec les pouvoirs publics, notamment au niveau ministériel - surtout avec le ministre Bruno Le Maire, mais aussi avec les ministres du travail, de la santé et de l'agriculture.
Le sujet des masques est revenu tout au long de ces mois de travail, et était essentiel pour nos salariés et nos clients.
Je rappellerai les dates importantes : avant le 15 mars, nous ne vendions quasiment aucun masque, sauf marginalement.
Après le discours du 14 mars annonçant le confinement, Bruno Le Maire a réuni le 15 mars au matin les patrons des différentes enseignes. Ils se sont engagés pour que l'ensemble des magasins puissent fonctionner avec des exigences sanitaires élevées. Le 15 mars après-midi, nous avons bâti et envoyé aux pouvoirs publics un protocole sanitaire qui a été publié le 16 mars. Nous n'avions pas le droit, à l'époque, de rendre obligatoire le port du masque pour les salariés car nous n'avions pas la possibilité d'avoir des masques, réservés aux soignants. Une des enseignes avait cherché à acheter des masques. On lui avait répondu que c'était possible, sous réserve de réquisition, mais que cela ne servait pratiquement à rien pour lutter contre la maladie...
Oui.
Une direction départementale, dans le Val-de-Marne, a répondu à une enseigne qu'il fallait indiquer que seuls les masques FFP2 servaient à lutter contre le coronavirus, et que porter d'autres masques ne servait à rien - nous vous avons envoyé ces précisions en mai. Nous avons donc privilégié les vitres en plexiglas et les visières, seuls équipements de protection disponibles.
Mais dès le 21 mars, à la suite de nos demandes répétées, nous avons obtenu l'autorisation d'acheter des masques pour nos salariés, et en avons massivement acheté. Nous avons aussi commencé à équiper les PME qui le souhaitaient - nous ne pouvions pas encore fournir de masques au grand public - dans les conditions fixées par le Gouvernement : il fallait le déclarer, mentionner la possibilité de réquisition... Nous l'avons fait naturellement. Nos enseignes ont l'habitude d'acheter, c'est leur métier. Nous avons massivement acheté, en Chine notamment, avec des coûts importants.
Le 14 avril, en amont du déconfinement, le Gouvernement a souhaité que nous travaillions ensemble sur les voies et moyens de la participation de la grande distribution au déconfinement et au port du masque. Nous avons commencé à travailler d'abord sur la disponibilité des masques en tissu - selon le Gouvernement, la production globale de masques chirurgicaux était insuffisante par rapport aux besoins. On nous a demandé de faire un sourcing en France et à l'étranger pour compléter ces achats. Nous avons répondu présents, mais signalé que la fabrication à la demande de masques en tissu prenait du temps, et qu'il était possible d'acheter des masques chirurgicaux sur le marché. Nous avons proposé de participer à la mise à disposition de ces deux types de masques.
Le 24 avril, cela nous a été confirmé : il n'y avait plus de possibilité juridique de nous l'interdire, et les études montraient qu'il y avait besoin, pour déconfiner, d'avoir suffisamment de masques.
Le 29 avril, nous avons rédigé un communiqué commun avec la ministre Agnès Pannier-Runacher, indiquant que la grande distribution était prête à vendre des masques - chirurgicaux et en tissu - avec des prix encadrés selon des conditions définies en commun.
Pour les entreprises de la FCD, le confinement et le déconfinement ont représenté des surcoûts énormes. La sécurité, avec les masques et les plexiglas, a coûté de 300 millions à 400 millions d'euros ; avec les primes et le personnel supplémentaire, nous avons eu plus d'un milliard d'euros de surcoûts. Mais dans le cadre de notre mission de service public, la question de ces surcoûts ne s'est jamais posée durant la crise.
Certains surcoûts durant cette crise étaient légitimes, mais des acteurs, comme les complémentaires santé, ont connu des baisses de charges et ont été taxés en conséquence, nous devons donc répondre à la question suivante : l'augmentation des tarifs a-t-elle été proportionnelle à la hausse des coûts induite par la situation ou a-t-elle donné lieu à des profits bien supérieurs ? Il serait tout de même extraordinaire que le secteur sanitaire soit mis à contribution alors que le secteur marchand se partagerait les dividendes.
Pouvez-vous nous en dire plus sur la négociation avec l'État des prix encadrés ? De nombreuses choses ont été dites sur les marges de la grande distribution pour la vente de masques ou d'équipements. Il faudrait être plus transparent sur les marges et les pertes...
Durant cette période, notre profession a rempli sa mission, alors même que nous n'étions pas reconnus comme personnel pouvant bénéficier d'une protection. J'ai 4 000 salariés, 3 000 étaient sur les routes ou dans les entrepôts chaque jour, nous avions mis en place des mesures de protection, mais nous n'avions pas de masques. Dans le stress et l'angoisse, ils ont assuré leur mission.
Ensuite, nous avons adapté les équipements de nos salariés en fonction des mesures gouvernementales, ce qui a emporté des coûts importants sur notre distribution. Nous avons poursuivi notre activité, car nous sommes acteurs de la santé publique, et il était inconcevable que nous arrêtions la distribution de médicaments ; l'absentéisme a été multiplié par trois, ce qui a également entraîné une hausse des coûts. Tout cela a renchéri le coût de la distribution. Or dans la même période, le chiffre d'affaires des pharmacies a baissé de 20 %, ce qui s'est répercuté sur le nôtre. Nos comptes étaient déjà sous pression, et nous avons donc connu une hausse des coûts et une baisse de chiffre d'affaires. Nous discutons donc aujourd'hui avec les pouvoirs publics afin que ceux-ci nous aident à passer cette vague. Sans juger votre question, je voulais vous expliquer les enjeux et les impacts économiques de cette période pour nous. Nous avons rempli notre rôle de santé publique ; certains en ont peut-être profité, nous pas, bien au contraire.
Certains éléments varient selon les enseignes. Les pouvoirs publics ont souhaité, sur le fondement de leur analyse, que le prix maximal d'un masque chirurgical soit d'un euro. En réalité, ils sont plutôt vendus entre 50 et 60 centimes, car nous nous sommes collectivement engagés à les vendre à prix coûtant, sans marge. Au début, nous avons acheté de nombreux masques à un prix élevé, pour le week-end du 1er mai. Nous n'avions pas le droit de les vendre à perte. Au fur et à mesure de la constitution de nouveaux stocks, les prix ont baissé. Actuellement, le prix minimum est de 20 centimes le masque.
Sur l'ensemble de la période, nous avons pris l'engagement, auprès du Gouvernement, de ne pas augmenter nos prix sur l'ensemble des produits vendus dans nos magasins, hormis les produits frais : nous avions promis au secteur agricole de donner la priorité aux produits français - asperges, fraises... - dont les prix d'achat sont supérieurs à ceux des produits étrangers.
La totalité de nos surcoûts est largement supérieure au chiffre d'affaires supplémentaire réalisé sur la période, d'autant que les Français ont acheté des produits à plus faible marge - pâtes, steaks hachés... - durant le confinement.
De combien de temps avez-vous eu besoin pour vous adapter à cette explosion des volumes ?
Allons plus loin. Vous êtes tous en bout de chaîne, en contact avec la personne qui achète. Mais d'autres facteurs concernent l'amont. Il semblerait que des intermédiaires, notamment transporteurs, au plus fort de la crise, aient multiplié par dix, quinze, voire vingt leurs tarifs, le justifiant par des tensions sur le transport international, notamment maritime, mais dans une proportion sans rapport avec l'augmentation des frais induits par l'épidémie. Confirmez-vous cette hausse importante des prix des intermédiaires, notamment pour le transport ? Qu'en pensez-vous ?
Nous espérons qu'un vaccin sera bientôt trouvé. Il nécessitera une production et un transport de masse, et donc une chaîne de distribution suffisante dans un contexte où le transport maritime est sous tension, avec des prix largement supérieurs à l'avant-crise. Quelle organisation des chaînes logistiques faudra-t-il pour délivrer rapidement un vaccin sans un surcoût gigantesque - comme cela a été le cas pour les équipements de protection individuelle (EPI) ?
Quand, en mars, l'État a confié à Géodis cette mission de transport des masques, l'entreprise a eu de grandes difficultés à la remplir. Elle ne l'a finalement pas effectuée seule. Le choix d'un unique opérateur est-il adapté ? Quel choix aurait-il fallu faire ?
Celle-ci était liée à l'explosion de la fourniture de masques aux professions de santé. La problématique à laquelle nous avions dû faire face relève de l'approvisionnement, plus que de Santé publique France. Pour servir les professionnels de santé et préparer le déconfinement, il nous a fallu six à sept semaines pour assurer des chaînes de logistique et garantir que les pharmacies avaient des masques quand les pouvoirs publics ont ouvert leur commercialisation au public. Nous avons cherché des masques dès la publication du décret du 23 mars, et nous avons eu besoin de six semaines pour assurer un approvisionnement stabilisé, en raison de la pénurie mondiale.
Pour les vaccins, il y a une chaîne de santé avec des prix fabricant, grossiste répartiteur et au patient fixés par les pouvoirs publics. Les grossistes répartiteurs et les pharmaciens font face à des prix réglementés, tandis que les fabricants négocient le prix fabricant avec l'État. Pour l'approvisionnement, si les vaccins sont en France, la logistique existe avec les grossistes répartiteurs et les pharmaciens. Il n'y a pas de risque particulier.
Durant quelle semaine Santé publique France s'est-elle occupée de la distribution dans les pharmacies ?
Les prix sont fixés en France, notamment sur la filière des médicaments. Mais si la chaîne logistique mondiale impose des facturations plus importantes et que les prix sont 25 % à 100 % plus chers hors de France, alors nous n'aurons pas de vaccin... Votre réponse vaut pour le territoire national, mais elle n'est pas efficiente dans un marché mondial.
Durant la semaine du 17 mars.
Nous avons connu cela lors de la grippe H1N1 : il fallait se positionner rapidement pour pouvoir ensuite vacciner. Cela avait fait débat à l'époque. Nous sommes actuellement dans la même situation : nous devons préempter des doses de vaccin pour éviter des difficultés ultérieures. Les négociations ont lieu au niveau de l'État.
La pharmacie n'a pas bénéficié de la crise : nous avons connu des baisses de chiffre d'affaires et une augmentation du travail et de sa complexité. Les patients nous téléphonaient pour renouveler leur traitement alors qu'ils étaient confinés. Nous passions alors du temps à rassurer et à expliquer, puis nous faisions de la dispensation à domicile, sans aucune rémunération. De même, nous avons pris en charge sans rémunération la distribution des médicaments précédemment uniquement dispensés à l'hôpital, pour éviter aux patients de longs trajets. Enfin, nous avons distribué gratuitement des masques aux professionnels de santé pendant trois mois. Nous allons peut-être entamer une négociation pour définir un forfait de compensation de ce travail. Nous nous sommes protégés et nous avons appris aux autres commerces à faire de même : nous leur avons conseillé le plexiglas, des associations fabriquaient des visières et passaient par nous, il y a eu un véritable élan de solidarité.
Nous avons donc connu une activité diminuée, mais beaucoup plus complexe, qui a emporté un impact sur la gestion du personnel et de la distanciation. C'était compliqué, ça l'est encore, mais nous sommes dans un secteur dans lequel on apprend parfois à ne pas compter.
Qu'est-ce qui a poussé l'État à décider que Géodis prenne en charge la distribution durant ce court intermède ?
Ensuite, nous avons beaucoup entendu parler de rupture dans les soins, consécutive à la fermeture de cabinets médicaux et paramédicaux, qui a entraîné une moindre prescription. Pourriez-vous nous envoyer des chiffres sur le type de pathologies qui ont été sacrifiées lors de cette rupture des soins ? En ce qui concerne le Doliprane, ce sont bien les pharmaciens, en effet, qui ont demandé que la distribution soit réglementée.
Les fédérations hospitalières nous ont dit que la distribution s'était faite par le biais des groupements hospitaliers de territoire (GHT) ; ce n'est pourtant pas leur vocation. Pourquoi ont-ils été chargés de cela ? Santé publique France a des antennes régionales, même si personne ne semble le savoir.
Comment, selon vous, la gestion de stocks stratégiques de l'État devrait-elle être idéalement configurée à l'avenir pour faire face à une nouvelle pandémie ?
Enfin, dans la grande distribution, vous avez évoqué le surcoût lié aux protections, mais ne pensez-vous pas que ces gestes d'hygiène de bon sens devront être prolongés après la covid ? Cela permet de limiter la transmission de certaines maladies.
Non. Cette négociation devrait même se dérouler au niveau européen, pour éviter des compétitions entre pays européens...
Geodis, structure logistique pour acheter les masques en Chine, a remplacé durant une semaine les grossistes répartiteurs ; cela n'a pas fonctionné, et s'est arrêté de suite. Ce métier de logisticien pour les 21 000 pharmacies est un métier de spécialistes, on ne peut s'improviser grossiste répartiteur en une semaine. L'État a compris que ce n'était pas la bonne stratégie et a réagi immédiatement.
Je rappellerai les dates concernant la gestion des masques par le réseau pharmaceutique. Nous étions en lien avec le ministère de la santé et pas celui de l'économie, ce qui a sans doute posé certains problèmes, voire créé des incompréhensions.
Le 18 février, nous nous sommes portés volontaires pour distribuer des masques. Le ministre de la santé l'a approuvé. Le 2 mars, nous avons commencé la distribution aux professionnels de santé - dont les pharmaciens étaient exclus jusqu'au 15 mars, et il a fallu un mois pour que nos préparateurs en pharmacie en aient !
Le 3 mars a eu lieu la réquisition de tous les masques. De nombreuses entreprises devant assurer le fonctionnement de leur activité devaient avoir des masques, comme l'industrie pharmaceutique ou les entreprises en contact avec la population.
Le 21 mars, il y a eu une levée partielle des réquisitions pour permettre l'achat et la revente à des entreprises en ayant besoin - mais pas au consommateur.
Le 5 avril, une instruction interministérielle des directions générales du travail, des douanes, de la consommation, de la santé, établissait que les masques, les EPI et les dispositifs médicaux ne devaient pas être commercialisés pour les consommateurs. Cette instruction ayant été confirmée à plusieurs reprises à la suite de nos demandes, nous sommes restés sur cette position interministérielle. Lorsque des masques ont commencé à arriver, nous les avons donc proposés aux patients fragiles, gratuitement, jusqu'en juin. Nous n'avons toujours pas été rémunérés de ce travail. En juin, nous avons été rémunérés, d'un euro, pour cette distribution de masques aux professionnels... Or il fallait réceptionner des boîtes de 50 masques, les ouvrir dans un lieu isolé, compter 14 masques par semaine, les remettre en sachet pour le professionnel de santé et assurer leur traçabilité. Nous avons géré ce travail pour aider les professionnels et sans surstocker, pour éviter davantage de pénurie.
Mais le 29 avril, nous avons été surpris : le Premier ministre a annoncé qu'on pouvait distribuer des masques à tous les consommateurs, sans nous avoir avertis. M. Creyssel vient de nous dire que le 14 avril, la grande distribution avait été associée à une réunion pour modifier la doctrine, sans que les pharmaciens ne soient jamais associés ! Il aurait mieux valu que les deux réseaux soient complémentaires. Nous avons été exclus de ces réunions. Nous avons appris par la presse et les opérations de communication que certaines enseignes avaient 30 millions de masques, d'autres 80 millions ! Mais c'était compliqué ; certaines enseignes les vendaient par paquet de dix, d'autres exigeaient la carte de fidélité de leur magasin pour en vendre ou un caddie minimal de trente euros... (M. Jacques Creyssel le conteste).
J'ai des preuves. Ces pratiques ne convenaient pas à une gestion de crise sanitaire.
Nous étions gênés, car nous avions expliqué à tous les pharmaciens qu'il ne fallait pas vendre au consommateur. Les deux ou trois pharmacies qui l'ont fait ont été punies très sévèrement par le conseil de l'ordre. Il y a donc eu un dysfonctionnement. Un ministère ne peut pas interdire la vente au consommateur si un autre ministère organise en même temps l'approvisionnement pour d'autres ! Cela a créé des tensions inutiles.
Nous avons insisté pour qu'il y ait un encadrement des prix, afin d'éviter d'être en situation d'opportunité en période de crise. Il y a donc eu un prix maximal de vente et un prix intermédiaire. Le prix maximal - lorsque seul le transport aérien était possible - était d'un euro par masque. Cela ne veut plus rien dire aujourd'hui, car nous avons désormais d'autres modes de transport qui réduisent les coûts. Désormais, tout le monde vend des masques à un prix inférieur au prix maximal.
sur Géodis, je ne sais pas, je ne suis pas dans la tête des pouvoirs publics.
On ne parle pas de la même chose. Actuellement, dans mon officine, j'ai deux stocks de masques, d'environ 1 000 à 2 000 masques. J'ai acheté un stock de masques pour le grand public, que je vends au même titre que le fait la grande distribution. Mais cela n'est pas notre coeur de métier.
Nous avons un autre stock livré par les grossistes répartiteurs, provenant de Santé publique France. C'est comme pour le vaccin. Nous n'en sommes pas acheteurs. Jusqu'à mi-juin, nous avons reçu des masques sans savoir quand ils arrivaient et pour quel volume. Ils arrivaient un beau jour...
Non, aucune. Je suis sous serment, et je vous garantis que lorsque j'ai des idées, je les communique. En tout état de cause, à mon avis, c'était une très mauvaise idée, nous nous y sommes opposés quand nous l'avons su, mais je ne sais pas pourquoi cette décision a été prise.
Sur les maladies négligées, je vous ferai parvenir les trois études menées par Epi-Phare, rassemblant la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM) et l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), qui montrent la répartition de l'évolution de la consommation de médicaments selon les catégories. Celle des traitements des maladies aiguës s'est effondrée, car les gens n'allaient plus chez le médecin, ainsi que celle des médicaments nécessitant un geste médical, c'est-à-dire les produits pour la radiologie ou les vaccins. Pour les vaccins des enfants, un rattrapage est en train de se faire, mais ce n'est pas le cas pour les rappels de vaccins pour adultes. Au contraire, les médicaments prescrits pour les maladies chroniques qui n'ont pas souffert de rupture, pour lesquels le pharmacien pouvait intervenir, n'ont pas été touchés. Si nous avions été inclus parmi les vaccinateurs pour effectuer les rappels des adultes, nous aurions pu éviter le problème. C'est ce qu'ont fait les États-Unis. Ce qui s'est passé est donc assez logique : pas de médecins, donc pas de maladies aiguës, donc chute des antibiotiques, et chute des produits nécessitant l'intervention d'un professionnel de santé, mais stabilisation pour les maladies chroniques, car nous avons assuré la continuité des soins.
Sur le paracétamol, et l'ensemble des médicaments qui ont été médiatisés, nous avons joué notre rôle ancestral de gardien des poisons. Nous avons appliqué les recommandations des autorités de santé et nous avons donc refusé la délivrance, parfois sur ordonnance, parfois sans, de médicaments qui allaient à leur encontre. Nous surveillions ces traitements médiatisés, tels que la chloroquine ou la nicotine - chaque semaine un médicament était désigné et le lendemain, beaucoup de gens venaient en chercher. Nous avons donc joué notre rôle, mais nous avons tout de même constaté une augmentation, certes modérée, des prises de ces substances.
Mes collègues ont beaucoup parlé d'absentéisme ; en pharmacie, cela n'a pas été le cas. Les équipes officinales sont restées sur le pont, sauf en cas de maladie, et nous avons connu très peu de retrait en raison de la covid. Nous avons malheureusement rencontré un problème récurrent au sujet duquel nous avons interpellé le ministre de l'éducation nationale et les autorités de santé : nous avons eu du mal à faire reconnaître les préparateurs en pharmacie comme des soignants, leurs enfants n'étaient donc pas acceptés dans les écoles et ils n'avaient accès ni aux tests ni aux masques. Cela paraît fou : nous ne pouvions accepter que le pharmacien soit masqué, mais pas le préparateur ! Nous avons beaucoup discuté avec l'Éducation nationale et, dans ce cas - c'est le seul -, nous n'avons pas appliqué la règle imposée par les pouvoirs publics.
Parfois certaines régions n'en avaient pas, il y avait du retard... Nous n'avions aucunement la main sur leur arrivée. Les patients ne comprenaient pas pourquoi certaines officines en avaient, et d'autres pas, ce qui a provoqué quelques crispations.
Notre métier, c'était cela : équiper les soignants et les malades avec le stock de l'État - ce qui est différent de la gestion de la stratégie de déconfinement, qui relève de l'État.
La communication de l'État a été trop précoce, alors que nous étions encore en pleine tension avec Santé publique France pour la livraison de masques aux professionnels. Tout le monde était de bonne foi. La grande distribution voulait participer à la stratégie de déconfinement, mais nous n'en étions pas encore là : nous devions encore gérer la pénurie des stocks de masques pour les soignants et les malades les plus fragiles.
Il faudrait, le plus rapidement possible, que l'État instaure un dispositif qui perdure au-delà du 4 octobre pour que nous poursuivions la distribution des masques aux malades ; le 4 octobre est prévue la fin de la livraison de masques aux officines par Santé publique France, et nous n'avons pas d'alternative connue.
Vous nous avez interrogés sur les stocks. Un stock, cela se gère. Il faut avoir de quoi assurer une distribution en période de crise ou de pénurie, il faut donc définir un volume nécessaire pour les hôpitaux, pour les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et pour les professionnels, puis le faire vivre. En effet, un stock s'abîme et se périme, on l'a vu pour les masques, qui étaient périmés, ce qui n'était pas très grave, mais parfois aussi moisis, ce qui l'était un peu plus. Il n'y a pas eu de gestion dynamique de ce stock. Il serait intéressant de mettre cela en place, parce que les hôpitaux ont besoin de volumes que l'on connaît. Maintenir le stock de l'État en assurant une rotation me paraît relever du bon sens.
Nous avons senti une forme d'abandon de ce stock, car il avait été constitué pour H1N1 et il n'a pas servi à grand-chose. Malheureusement, la crise arrive sans prévenir et nous nous trouvons démunis. C'est donc une question de stratégie, qui emporte des coûts.
S'agissant de la distribution des masques, vous avez évoqué la participation des hôpitaux : il y a eu deux flux, l'un pour les hôpitaux, puis, pour les Ehpad et les services de soins infirmiers à domicile (Ssiad), qui consommaient un gros volume, et un autre pour les professionnels libéraux, les aidants familiaux et toutes les personnes intervenant auprès des malades, souvent âgés, et qui avaient été oubliés. D'autres groupes ont ensuite été ajoutés, comme les employés des pompes funèbres. À chaque fois, il fallait transmettre des masses d'informations aux 21 000 pharmaciens. Chacune de ces évolutions s'est faite sans que nous en soyons informés, alors que nous avons trois organisations, deux syndicats et un ordre, que nous étions pleins de bonne volonté et que nous acceptions de faire ce travail difficile, mais nécessaire, pour protéger les professionnels.
Cette absence de dialogue avec Santé publique France quand la doctrine évoluait était très perturbante et nous avons dû envoyer plusieurs courriers communs au ministère pour demander à être informé des changements de doctrine : informez-nous que vous ajoutez les employés des pompes funèbres à la liste, afin que nous réfléchissions à la manière de les identifier en officine ! Cela nous a beaucoup crispés et nous a demandé beaucoup de temps en communication auprès des pharmaciens pour limiter les erreurs, car nous avions de surcroît un devoir de traçabilité sur les masques.
Un stock est donc évidemment nécessaire, pas seulement pour les masques, mais aussi pour les équipements de protection tels que les gants - dont la pénurie n'est pas encore réglée -, les charlottes, les blouses, etc. Il faut avoir une véritable stratégie, ce stock pourra être écoulé vers les hôpitaux en fin de période d'utilisation, qui s'équiperont ainsi à un coût compétitif puisqu'ils feront vivre le stock de l'État.
Le rôle logistique de Santé publique France a été difficile à vivre pour les pharmacies ?
Sur le stock stratégique, M. Grégory Emery, membre du cabinet du ministre, nous a indiqué que le stock d'un milliard de masques serait reconstitué mi-septembre. La doctrine est désormais de disposer d'un stock stratégique en Champagne, chez Santé publique France, et de prépositionner un stock tactique chez l'ensemble des professionnels de santé, selon la stratégie officielle mise au point début août par Mme Katia Julienne, la directrice générale de l'offre de soins. Nous y avons été associés, pour la première fois, au dernier moment.
Il était chaotique...
Nous ne nous sommes jamais posé la question des surcoûts, nous n'avions qu'un seul objectif : que les Français puissent avoir accès aux magasins dans une situation de sécurité sanitaire et de sécurité tout court satisfaisante. Durant un week-end, nous nous sommes demandé si nous n'allions pas devoir mettre en place des mécanismes de rationnement et d'organisation de pénurie, mais nous avons été sauvés par l'implication de nos personnels, par les masques, et par la généralisation du chômage partiel, qui a conduit beaucoup de salariés à revenir, car leur conjoint pouvait garder les enfants.
Sur la suite, faudra-t-il continuer dans la même direction ? La réponse appartient aux pouvoirs publics ; nous avons pris l'habitude de travailler en appliquant des protocoles sanitaires en permanence, même s'il est difficile de porter le masque toute la journée. Faut-il conserver les vitres en plexiglas aux caisses, qui sont un retour en arrière ? Il faudra y réfléchir, nous n'en sommes pas encore là.
C'est bien de parler de Santé publique France au bout d'une heure d'audition sur les masques...
Les GHT servent à équiper les hôpitaux, ils ont peut-être reçu une mission complémentaire, mais ce n'est pas notre domaine. On peut le regretter, mais il y a deux mondes dans la santé en France : le monde libéral et celui de l'hôpital. Nous n'approvisionnions que le premier ; les GHT, j'imagine, s'occupaient du second, je n'en sais rien, il faudra le leur demander.
Je l'ai dit à l'Assemblée nationale : Santé publique France, nous ne savons pas qui c'est...
Les grossistes avaient-ils été sollicités pour les GHT ? Les fédérations hospitalières avaient évoqué cette question.
Nous n'avons pas été sollicités pour cela. Nous avons largement été mis à contribution sur la distribution des masques aux personnels de santé libéraux au travers du réseau des pharmaciens, en période de pic d'équipement du personnel de santé, nous avons distribué jusqu'à 70 millions de masques par semaine, ce qui a saturé notre réseau, c'est sans doute pour cela que nous n'avons pas été contactés pour l'hôpital.
Il y avait eu une période de pénurie de masques auparavant, il a donc fallu rattraper le retard pour équiper tout le personnel concerné. Durant la dernière semaine de mars et la première d'avril, en particulier, nous avons connu un pic important de libération de masques pour équiper l'ensemble des professionnels de santé libéraux concernés et venir en support de la médecine de ville.
C'est un problème. Lorsqu'on doit dire qu'il faut modifier ou changer le système de distribution, mieux vaudrait savoir à qui s'adresser, et le connaître ! Nous connaissons le cabinet des ministres, le directeur de la CNAM, le directeur général de la santé, celui de l'offre de soins, mais pas Santé publique France...
La logistique pour les hôpitaux, les volumes concernés et les types d'équipements demandent de grandes capacités ; or celles des grossistes répartiteurs étaient mobilisées par la distribution aux soignants libéraux, laquelle a été organisée de manière hebdomadaire afin d'absorber la masse et de la répartir régulièrement. Le choix opéré a été d'irriguer le secteur hospitalier, les maisons de retraite et les Ssiad par un circuit différent, aux mains des agences régionales de santé et de Santé publique France sur les territoires, et les autres professionnels de santé dispersés, qui exigeait des quantités et des types de masques divers, par le réseau pharmaceutique.
Cet épisode démontre que la distribution dans des réseaux de proximité ne s'invente pas du jour au lendemain. Nous n'avons pas été associés aux décisions, et avons appris la veille la distribution par cet autre acteur logistique. Nous ne sommes que preneurs d'ordre. Au bout de quatre jours, le ministère de la santé est revenu au réseau normal de distribution des masques. Distribuer 7 millions de masques par semaine vers 21 000 points de vente ne s'invente pas. Nous avons 12 000 professionnels, sept entreprises principales sur tout le territoire, et 5 000 chauffeurs livreurs qui connaissent toutes les pharmacies, leurs horaires d'ouverture. Ils ont pu remplir leurs missions. Cela démontre la force du réseau de santé publique en France et sa coordination. Nous avons, par l'interaction avec l'ensemble des métiers de la chaîne et de la filière de distribution, des médicaments et des produits de santé, une capacité de mobilisation qui n'existe que dans très peu d'autres pays européens. À nous de maintenir, faire vivre et solliciter ce réseau. Nous avons démontré notre capacité à assumer cette mission de santé publique et la continuerons jusqu'au 4 octobre, voire davantage.
En un mois, les volumes de masques demandés ont été multipliés par 100 000. Aucune chaîne logistique n'est capable de tenir des effets d'élasticité aussi importants. Il y a eu une nécessaire adaptation. Il faut savoir comment nous pouvons nous adapter et quel est le temps de réactivité de l'ensemble du réseau à ces évolutions. Nous sommes partis sur une longue période d'approvisionnement des professions de santé et le grand public en masse. Actuellement, les stocks sont là et nous sommes prêts à affronter les prochains mois si une augmentation du nombre de malades se confirme.
N'y a-t-il pas eu un malentendu avec la Fédération hospitalière française parce que les libéraux travaillant en clinique ne savaient pas d'où venait leur matériel ? Ils dépendent en effet de nous pour le versant libéral de leur activité, mais pas pour la partie hospitalière.
Vous avez des stocks de masques ainsi que de tous les EPI - gants, blouses, etc. ?
Êtes-vous inclus dans les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) ?
Certaines pharmacies vendaient des masques grand public, disposiez-vous de certificats de conformité aux normes Afnor ? Étiez-vous en mesure d'assurer une traçabilité conforme à votre éthique, en comparaison de la grande distribution, qui n'est pas soumise à la même rigueur que vous ?
Concernant les Ssiad, vous indiquez qu'ils étaient plus ou moins dotés, ils ne l'étaient pas toujours, en fonction des lieux, j'ai souvent vu des auxiliaires de vie en détresse, mais aussi des infirmiers de soins à domicile qui rencontraient de grandes difficultés pour se procurer le matériel nécessaire à leur protection et à celle de leurs patients.
Enfin, s'agissant des stocks de Santé publique France, les grossistes répartiteurs ne peuvent plus répondre aujourd'hui aux besoins des officines en Guadeloupe, parce que les stocks ont été diminués, semble-t-il, par l'ARS. Qu'en pensez-vous ?
Les grossistes répartiteurs et les professionnels de santé ont fait un certain nombre de commandes d'anticipation pour pouvoir y faire face.
Au début, dites-vous, pendant une période d'un mois, vous distribuiez des masques aux professionnels de santé, mais vous n'en aviez pas pour vous. Étiez-vous conscient du risque ? Comment avez-vous fait ?
Ensuite, vous indiquez que, le 3 mars, tous les masques sur le territoire ont été réquisitionnés, dont les vôtres, j'imagine. Savez-vous quelles autres structures ont dû rendre des masques ? Les Ehpad l'ont-ils fait ?
Les masques sont réquisitionnés le 13 mars, et nous n'en aurons plus en propre jusqu'après le déconfinement, car nous ne pouvons-nous approvisionner qu'à partir du 23. Toutefois, nous n'en achetons pas directement, nous passons par les grossistes répartiteurs, qui en commandent à partir du 23, mais ne les reçoivent que six semaines après. Nous n'avions donc aucun masque et nous n'avions pas le droit de vendre des masques chirurgicaux jusqu'au déconfinement. Les produits de santé autorisés à la vente en pharmacie sont en effet inscrits sur une liste limitative et les masques en tissu n'y figuraient pas non plus. Nous avons dû intervenir, car nous savions depuis le début que le meilleur geste barrière était la distanciation sociale, ensuite venait le masque chirurgical ou grand public, avec un peu moins d'efficacité, qui sert à éviter la propagation du virus. Il s'agit donc essentiellement d'un geste citoyen : si tout le monde porte le masque, la couverture est la meilleure possible.
Oui.
Ce n'est pas récent ! Le masque grand public, en revanche, a été inventé au milieu de la crise.
Certains surcoûts durant cette crise étaient légitimes, mais des acteurs, comme les complémentaires santé, ont connu des baisses de charges et ont été taxés en conséquence, nous devons donc répondre à la question suivante : l'augmentation des tarifs a-t-elle été proportionnelle à la hausse des coûts induite par la situation ou a-t-elle donné lieu à des profits bien supérieurs ? Il serait tout de même extraordinaire que le secteur sanitaire soit mis à contribution alors que le secteur marchand se partagerait les dividendes.
En effet, nous savons depuis longtemps que le masque, y compris grand public, protège essentiellement les autres. Nous avons été très contrariés de devoir assumer ce qui nous semblait être du tri. En période de pénurie, certains acteurs de santé doivent appliquer des consignes spécifiques, comme en état de guerre, comme aux urgences. Il nous a été très pénible de refuser des masques à la population, notamment aux malades, car nous avions interdiction de leur fournir des masques du stock de l'État. Nous aurions donné les nôtres, mais nous n'en avions pas. Nous devions distribuer les masques du stock de l'État quatorze par quatorze, nous battre chaque semaine pour compléter la liste avec des professionnels oubliés, comme les biologistes médicaux, qui ont été ajoutés en cours de parcours. Auparavant, quand ils venaient, mais nous ne pouvions les équiper, ce qui est tout de même embêtant, car ils ont un grand rôle à jouer !
Sur la Guadeloupe, il est vrai que, en raison de la croissance du nombre de cas, nous sommes de nouveau en forte tension sur les masques du stock de l'État. Ceux-ci devraient cesser d'être fournis le 4 octobre, mais nous n'en recevons déjà plus assez, notamment les masques pédiatriques, que nous n'avons pas du tout. Nous nous occupons essentiellement de la distribution des masques du stock de l'État aux personnes fragiles et malades sur prescription médicale. C'est cela qui pose problème en Guadeloupe.
Durant cette période, notre profession a rempli sa mission, alors même que nous n'étions pas reconnus comme personnel pouvant bénéficier d'une protection. J'ai 4 000 salariés, 3 000 étaient sur les routes ou dans les entrepôts chaque jour, nous avions mis en place des mesures de protection, mais nous n'avions pas de masques. Dans le stress et l'angoisse, ils ont assuré leur mission.
Ensuite, nous avons adapté les équipements de nos salariés en fonction des mesures gouvernementales, ce qui a emporté des coûts importants sur notre distribution. Nous avons poursuivi notre activité, car nous sommes acteurs de la santé publique, et il était inconcevable que nous arrêtions la distribution de médicaments ; l'absentéisme a été multiplié par trois, ce qui a également entraîné une hausse des coûts. Tout cela a renchéri le coût de la distribution. Or dans la même période, le chiffre d'affaires des pharmacies a baissé de 20 %, ce qui s'est répercuté sur le nôtre. Nos comptes étaient déjà sous pression, et nous avons donc connu une hausse des coûts et une baisse de chiffre d'affaires. Nous discutons donc aujourd'hui avec les pouvoirs publics afin que ceux-ci nous aident à passer cette vague. Sans juger votre question, je voulais vous expliquer les enjeux et les impacts économiques de cette période pour nous. Nous avons rempli notre rôle de santé publique ; certains en ont peut-être profité, nous pas, bien au contraire.
Les CPTS ont largement contribué à créer du lien entre les professionnels de santé, même lorsqu'il s'agissait de communautés naissantes, elles nous ont permis de communiquer, d'échanger avec l'hôpital, avec les services d'urgences, sur leur situation, sur l'existence d'un système d'accueil pour tel ou tel type de patients, sur la coordination avec les infirmières intervenant auprès de patients susceptibles d'être contaminés, tout cela a amélioré la situation et a soudé le territoire, parce que nous partagions des informations. C'est très intéressant et cela démontre que le travail coordonné permet de gagner du temps.
S'agissant des masques grand public, nous avons eu l'autorisation d'en vendre le 26 avril, après plusieurs demandes. Auparavant, nous n'en avions pas le droit, nous ne pouvions pas en acheter, alors que l'approvisionnement était tendu, et nos fournisseurs ne prenaient pas le risque d'en commander en l'absence d'autorisation.
Leur qualité dépendait alors surtout du nombre de lavages possibles. Nous avons subi une pression légitime du ministère de l'économie pour éviter que ne se mettent en place des mécanismes d'opportunité de certains fabricants avec des prix déraisonnables. On voit aujourd'hui que ces masques ne sont pas prioritaires : ils sont moins utilisés que les masques jetables, ce qui pose d'autres problèmes, écologiques, en particulier.
En ce qui concerne le calendrier, nous avons commencé à distribuer le 2 mars. Les pharmaciens ont été exclus du bénéfice de ces masques jusqu'au 15 mars ; pendant quinze jours, nous n'étions donc pas censés porter de masque. Imaginez la réaction des pharmaciens, qui n'étaient pas reconnus comme professionnels de santé, mais qui devaient en distribuer à leurs confrères médecins ! Bien sûr, comme l'a dit Philippe Besset, nous avons désobéi, sinon nous aurions dû arrêter notre activité, notre personnel refusant légitimement de travailler sans protection. Ce n'est que le 20 avril que les préparateurs ont eu accès aux masques, alors qu'ils se trouvaient dans la même situation que nous. On voit bien aujourd'hui, alors que l'on sait que dans des locaux étroits tout le monde doit être masqué, que nous avons eu raison de protéger tout notre personnel.
En ce qui concerne la réquisition, nous n'avions plus de masques à ce moment-là. Nous n'en avions pas besoin, nous n'avions donc pas de stock et nous n'en vendions pas, car il n'y avait pas de demande. Certains d'entre nous avaient un vieux stock datant de l'épidémie H1N1. D'autres professions ont été sollicitées et nous avons été surpris de voir les dentistes restituer tous leurs masques FFP2 : quand ils ont pu reprendre leur activité, il n'avait plus ni masques ni blouses et la pénurie les empêchait toujours de s'approvisionner. Il faudra en tirer les leçons et conserver un stock tampon chez les professionnels dans la perspective de la reprise de leur activité.
De combien de temps avez-vous eu besoin pour vous adapter à cette explosion des volumes ?
On parlait alors de masques chirurgicaux ou FFP2, les masques grand public n'existaient pas. Quand sont-ils apparus dans les discussions ?
Celle-ci était liée à l'explosion de la fourniture de masques aux professions de santé. La problématique à laquelle nous avions dû faire face relève de l'approvisionnement, plus que de Santé publique France. Pour servir les professionnels de santé et préparer le déconfinement, il nous a fallu six à sept semaines pour assurer des chaînes de logistique et garantir que les pharmacies avaient des masques quand les pouvoirs publics ont ouvert leur commercialisation au public. Nous avons cherché des masques dès la publication du décret du 23 mars, et nous avons eu besoin de six semaines pour assurer un approvisionnement stabilisé, en raison de la pénurie mondiale.
le Gouvernement s'est fié aux autorités de santé. C'est l'Organisation mondiale de la santé (OMS) qui a donné le top départ en matière de masques grand public, en les présentant comme des succédanés des masques chirurgicaux. Il s'agissait d'avoir un masque sur le visage pour protéger les autres. Je ne me souviens pas de la date de cette recommandation, mais je vous l'enverrai.
Durant quelle semaine Santé publique France s'est-elle occupée de la distribution dans les pharmacies ?
Une précision : les pouvoirs publics avaient étudié la possibilité de porter des masques grand public, et les conditions dans lesquels ces dispositifs étaient suffisamment protecteurs pour constituer une alternative acceptable et pouvaient être produits en quantité suffisante. Les discussions ont dû démarrer début avril ; le 14 avril, nous avons eu cette discussion au ministère de l'économie, durant laquelle la grande distribution a été sollicitée pour distribuer ces masques. On nous a demandé si nous voulions y participer et nous avons accepté sous réserve de leur efficacité. Ensuite, les critères de nombre et de conditions de lavages ont été fixés et l'autorisation a été accordée aux pharmaciens le 26 avril.
Durant la semaine du 17 mars.
S'agissant des masques textiles, les réunions qui se sont tenues à partir de mi-avril portaient, initialement, sur les masques textiles. J'ai devant moi le mail : « Urgent, confcall mercredi 15 avril, masques textiles ». Nous avons alors fait valoir que, à court terme, d'ici au 4 mai, il n'y en aurait pas assez et qu'il fallait compléter les stocks. C'est pourquoi il a été décidé à partir du 24 avril d'ouvrir la vente au grand public des deux catégories. Je regrette que ces discussions aient été limitées à nous, alors que l'on nous avait dit le contraire et que la ministre l'avait même écrit dans son communiqué, lequel évoque d'ailleurs à la fois les masques textiles, avec un encadrement des prix à 2 à 3 euros pour un coût à l'usage de 10 à 30 centimes, et des encadrements de prix volontaires sur les masques chirurgicaux que l'on commençait à appeler masques à usage unique.
Ensuite, souvenons-nous que, lorsque nous avons obtenu cette autorisation et que tout cela s'est mis en place, à partir du 4 mai, le résultat global a été très positif : tous les Français ont réussi à obtenir des masques dans les jours qui ont suivi le déconfinement. Certaines choses ont échoué auparavant, certes, mais dès que nous avons eu ces autorisations, tout a fonctionné.
Enfin, nous nous sommes engagés, à cette occasion, à établir conjointement avec les services de l'État un guide de bonnes pratiques contenant des éléments différents par enseignes, avec un sujet majeur : le problème du déconditionnement. En effet, le Gouvernement nous avait demandé de vendre les masques chirurgicaux par cinq ou par dix alors que nous les recevions par boîtes de cinquante. Tout le monde n'a pas pu le faire, car il fallait des salles pour opérer dans de bonnes conditions sanitaires, et les masques ont alors été vendus par boîtes de cinquante.
La pharmacie n'a pas bénéficié de la crise : nous avons connu des baisses de chiffre d'affaires et une augmentation du travail et de sa complexité. Les patients nous téléphonaient pour renouveler leur traitement alors qu'ils étaient confinés. Nous passions alors du temps à rassurer et à expliquer, puis nous faisions de la dispensation à domicile, sans aucune rémunération. De même, nous avons pris en charge sans rémunération la distribution des médicaments précédemment uniquement dispensés à l'hôpital, pour éviter aux patients de longs trajets. Enfin, nous avons distribué gratuitement des masques aux professionnels de santé pendant trois mois. Nous allons peut-être entamer une négociation pour définir un forfait de compensation de ce travail. Nous nous sommes protégés et nous avons appris aux autres commerces à faire de même : nous leur avons conseillé le plexiglas, des associations fabriquaient des visières et passaient par nous, il y a eu un véritable élan de solidarité.
Nous avons donc connu une activité diminuée, mais beaucoup plus complexe, qui a emporté un impact sur la gestion du personnel et de la distanciation. C'était compliqué, ça l'est encore, mais nous sommes dans un secteur dans lequel on apprend parfois à ne pas compter.
Sur les masques en tissu, je souhaite saluer la mobilisation des maires et des présidents de conseils régionaux, qui ont saisi l'opportunité au moment du déconfinement pour offrir des masques à leurs administrés. Cela a contribué à vider l'approvisionnement des entreprises et à nous permettre de passer la période du début du déconfinement sans tension au 11 mai. Bravo de l'avoir fait, souvent en coordination avec les différents services de l'État.
Qu'est-ce qui a poussé l'État à décider que Géodis prenne en charge la distribution durant ce court intermède ?
Ensuite, nous avons beaucoup entendu parler de rupture dans les soins, consécutive à la fermeture de cabinets médicaux et paramédicaux, qui a entraîné une moindre prescription. Pourriez-vous nous envoyer des chiffres sur le type de pathologies qui ont été sacrifiées lors de cette rupture des soins ? En ce qui concerne le Doliprane, ce sont bien les pharmaciens, en effet, qui ont demandé que la distribution soit réglementée.
Les fédérations hospitalières nous ont dit que la distribution s'était faite par le biais des groupements hospitaliers de territoire (GHT) ; ce n'est pourtant pas leur vocation. Pourquoi ont-ils été chargés de cela ? Santé publique France a des antennes régionales, même si personne ne semble le savoir.
Comment, selon vous, la gestion de stocks stratégiques de l'État devrait-elle être idéalement configurée à l'avenir pour faire face à une nouvelle pandémie ?
Enfin, dans la grande distribution, vous avez évoqué le surcoût lié aux protections, mais ne pensez-vous pas que ces gestes d'hygiène de bon sens devront être prolongés après la covid ? Cela permet de limiter la transmission de certaines maladies.
Compte tenu de la situation que nous avons vécue, les pharmaciens d'officines connaissent leur patientèle et savent prendre les meilleures décisions. Pour les patients que vous connaissez ne pourrait-on pas permettre désormais aux pharmaciens d'officine, comme aux Ssiad, de disposer d'une zone d'autonomie en matière de choix des orientations à prendre en fonction de leur patientèle ?
sur Géodis, je ne sais pas, je ne suis pas dans la tête des pouvoirs publics.
Ce point concerne la traçabilité et l'autonomie du pharmacien dans la dispensation. Nous sommes attentifs à suivre les recommandations des autorités de santé et, dans la plupart des cas, le fait que nous n'ayons pas d'intérêt économique à proposer un produit conduit l'ensemble de la population, et nous aussi, à préférer que nous soyons une profession ordonnée. Pour autant, s'agissant de la prévention, notamment des masques, voire des vaccins, la situation est différente. Les arbres décisionnels sont connus et la traçabilité est possible : les patients éligibles à la dotation en masques, par exemple, sont ceux qui souffrent d'affection de longue durée (ALD) et nous pouvons les identifier avec la carte Vitale. Il n'est donc pas nécessaire de passer par la case médecin pour obtenir un bon.
Merci, messieurs, de vos réponses.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 15 h 55.
Non, aucune. Je suis sous serment, et je vous garantis que lorsque j'ai des idées, je les communique. En tout état de cause, à mon avis, c'était une très mauvaise idée, nous nous y sommes opposés quand nous l'avons su, mais je ne sais pas pourquoi cette décision a été prise.
Sur les maladies négligées, je vous ferai parvenir les trois études menées par Epi-Phare, rassemblant la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM) et l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), qui montrent la répartition de l'évolution de la consommation de médicaments selon les catégories. Celle des traitements des maladies aiguës s'est effondrée, car les gens n'allaient plus chez le médecin, ainsi que celle des médicaments nécessitant un geste médical, c'est-à-dire les produits pour la radiologie ou les vaccins. Pour les vaccins des enfants, un rattrapage est en train de se faire, mais ce n'est pas le cas pour les rappels de vaccins pour adultes. Au contraire, les médicaments prescrits pour les maladies chroniques qui n'ont pas souffert de rupture, pour lesquels le pharmacien pouvait intervenir, n'ont pas été touchés. Si nous avions été inclus parmi les vaccinateurs pour effectuer les rappels des adultes, nous aurions pu éviter le problème. C'est ce qu'ont fait les États-Unis. Ce qui s'est passé est donc assez logique : pas de médecins, donc pas de maladies aiguës, donc chute des antibiotiques, et chute des produits nécessitant l'intervention d'un professionnel de santé, mais stabilisation pour les maladies chroniques, car nous avons assuré la continuité des soins.
Sur le paracétamol, et l'ensemble des médicaments qui ont été médiatisés, nous avons joué notre rôle ancestral de gardien des poisons. Nous avons appliqué les recommandations des autorités de santé et nous avons donc refusé la délivrance, parfois sur ordonnance, parfois sans, de médicaments qui allaient à leur encontre. Nous surveillions ces traitements médiatisés, tels que la chloroquine ou la nicotine - chaque semaine un médicament était désigné et le lendemain, beaucoup de gens venaient en chercher. Nous avons donc joué notre rôle, mais nous avons tout de même constaté une augmentation, certes modérée, des prises de ces substances.
Mes collègues ont beaucoup parlé d'absentéisme ; en pharmacie, cela n'a pas été le cas. Les équipes officinales sont restées sur le pont, sauf en cas de maladie, et nous avons connu très peu de retrait en raison de la covid. Nous avons malheureusement rencontré un problème récurrent au sujet duquel nous avons interpellé le ministre de l'éducation nationale et les autorités de santé : nous avons eu du mal à faire reconnaître les préparateurs en pharmacie comme des soignants, leurs enfants n'étaient donc pas acceptés dans les écoles et ils n'avaient accès ni aux tests ni aux masques. Cela paraît fou : nous ne pouvions accepter que le pharmacien soit masqué, mais pas le préparateur ! Nous avons beaucoup discuté avec l'Éducation nationale et, dans ce cas - c'est le seul -, nous n'avons pas appliqué la règle imposée par les pouvoirs publics.
Vous nous avez interrogés sur les stocks. Un stock, cela se gère. Il faut avoir de quoi assurer une distribution en période de crise ou de pénurie, il faut donc définir un volume nécessaire pour les hôpitaux, pour les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et pour les professionnels, puis le faire vivre. En effet, un stock s'abîme et se périme, on l'a vu pour les masques, qui étaient périmés, ce qui n'était pas très grave, mais parfois aussi moisis, ce qui l'était un peu plus. Il n'y a pas eu de gestion dynamique de ce stock. Il serait intéressant de mettre cela en place, parce que les hôpitaux ont besoin de volumes que l'on connaît. Maintenir le stock de l'État en assurant une rotation me paraît relever du bon sens.
Nous avons senti une forme d'abandon de ce stock, car il avait été constitué pour H1N1 et il n'a pas servi à grand-chose. Malheureusement, la crise arrive sans prévenir et nous nous trouvons démunis. C'est donc une question de stratégie, qui emporte des coûts.
S'agissant de la distribution des masques, vous avez évoqué la participation des hôpitaux : il y a eu deux flux, l'un pour les hôpitaux, puis, pour les Ehpad et les services de soins infirmiers à domicile (Ssiad), qui consommaient un gros volume, et un autre pour les professionnels libéraux, les aidants familiaux et toutes les personnes intervenant auprès des malades, souvent âgés, et qui avaient été oubliés. D'autres groupes ont ensuite été ajoutés, comme les employés des pompes funèbres. À chaque fois, il fallait transmettre des masses d'informations aux 21 000 pharmaciens. Chacune de ces évolutions s'est faite sans que nous en soyons informés, alors que nous avons trois organisations, deux syndicats et un ordre, que nous étions pleins de bonne volonté et que nous acceptions de faire ce travail difficile, mais nécessaire, pour protéger les professionnels.
Cette absence de dialogue avec Santé publique France quand la doctrine évoluait était très perturbante et nous avons dû envoyer plusieurs courriers communs au ministère pour demander à être informé des changements de doctrine : informez-nous que vous ajoutez les employés des pompes funèbres à la liste, afin que nous réfléchissions à la manière de les identifier en officine ! Cela nous a beaucoup crispés et nous a demandé beaucoup de temps en communication auprès des pharmaciens pour limiter les erreurs, car nous avions de surcroît un devoir de traçabilité sur les masques.
Un stock est donc évidemment nécessaire, pas seulement pour les masques, mais aussi pour les équipements de protection tels que les gants - dont la pénurie n'est pas encore réglée -, les charlottes, les blouses, etc. Il faut avoir une véritable stratégie, ce stock pourra être écoulé vers les hôpitaux en fin de période d'utilisation, qui s'équiperont ainsi à un coût compétitif puisqu'ils feront vivre le stock de l'État.
Sur le stock stratégique, M. Grégory Emery, membre du cabinet du ministre, nous a indiqué que le stock d'un milliard de masques serait reconstitué mi-septembre. La doctrine est désormais de disposer d'un stock stratégique en Champagne, chez Santé publique France, et de prépositionner un stock tactique chez l'ensemble des professionnels de santé, selon la stratégie officielle mise au point début août par Mme Katia Julienne, la directrice générale de l'offre de soins. Nous y avons été associés, pour la première fois, au dernier moment.
Nous ne nous sommes jamais posé la question des surcoûts, nous n'avions qu'un seul objectif : que les Français puissent avoir accès aux magasins dans une situation de sécurité sanitaire et de sécurité tout court satisfaisante. Durant un week-end, nous nous sommes demandé si nous n'allions pas devoir mettre en place des mécanismes de rationnement et d'organisation de pénurie, mais nous avons été sauvés par l'implication de nos personnels, par les masques, et par la généralisation du chômage partiel, qui a conduit beaucoup de salariés à revenir, car leur conjoint pouvait garder les enfants.
Sur la suite, faudra-t-il continuer dans la même direction ? La réponse appartient aux pouvoirs publics ; nous avons pris l'habitude de travailler en appliquant des protocoles sanitaires en permanence, même s'il est difficile de porter le masque toute la journée. Faut-il conserver les vitres en plexiglas aux caisses, qui sont un retour en arrière ? Il faudra y réfléchir, nous n'en sommes pas encore là.
Les GHT servent à équiper les hôpitaux, ils ont peut-être reçu une mission complémentaire, mais ce n'est pas notre domaine. On peut le regretter, mais il y a deux mondes dans la santé en France : le monde libéral et celui de l'hôpital. Nous n'approvisionnions que le premier ; les GHT, j'imagine, s'occupaient du second, je n'en sais rien, il faudra le leur demander.
Les grossistes avaient-ils été sollicités pour les GHT ? Les fédérations hospitalières avaient évoqué cette question.
Nous n'avons pas été sollicités pour cela. Nous avons largement été mis à contribution sur la distribution des masques aux personnels de santé libéraux au travers du réseau des pharmaciens, en période de pic d'équipement du personnel de santé, nous avons distribué jusqu'à 70 millions de masques par semaine, ce qui a saturé notre réseau, c'est sans doute pour cela que nous n'avons pas été contactés pour l'hôpital.
Il y avait eu une période de pénurie de masques auparavant, il a donc fallu rattraper le retard pour équiper tout le personnel concerné. Durant la dernière semaine de mars et la première d'avril, en particulier, nous avons connu un pic important de libération de masques pour équiper l'ensemble des professionnels de santé libéraux concernés et venir en support de la médecine de ville.
La logistique pour les hôpitaux, les volumes concernés et les types d'équipements demandent de grandes capacités ; or celles des grossistes répartiteurs étaient mobilisées par la distribution aux soignants libéraux, laquelle a été organisée de manière hebdomadaire afin d'absorber la masse et de la répartir régulièrement. Le choix opéré a été d'irriguer le secteur hospitalier, les maisons de retraite et les Ssiad par un circuit différent, aux mains des agences régionales de santé et de Santé publique France sur les territoires, et les autres professionnels de santé dispersés, qui exigeait des quantités et des types de masques divers, par le réseau pharmaceutique.
N'y a-t-il pas eu un malentendu avec la Fédération hospitalière française parce que les libéraux travaillant en clinique ne savaient pas d'où venait leur matériel ? Ils dépendent en effet de nous pour le versant libéral de leur activité, mais pas pour la partie hospitalière.
Êtes-vous inclus dans les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) ?
Certaines pharmacies vendaient des masques grand public, disposiez-vous de certificats de conformité aux normes Afnor ? Étiez-vous en mesure d'assurer une traçabilité conforme à votre éthique, en comparaison de la grande distribution, qui n'est pas soumise à la même rigueur que vous ?
Concernant les Ssiad, vous indiquez qu'ils étaient plus ou moins dotés, ils ne l'étaient pas toujours, en fonction des lieux, j'ai souvent vu des auxiliaires de vie en détresse, mais aussi des infirmiers de soins à domicile qui rencontraient de grandes difficultés pour se procurer le matériel nécessaire à leur protection et à celle de leurs patients.
Enfin, s'agissant des stocks de Santé publique France, les grossistes répartiteurs ne peuvent plus répondre aujourd'hui aux besoins des officines en Guadeloupe, parce que les stocks ont été diminués, semble-t-il, par l'ARS. Qu'en pensez-vous ?
Au début, dites-vous, pendant une période d'un mois, vous distribuiez des masques aux professionnels de santé, mais vous n'en aviez pas pour vous. Étiez-vous conscient du risque ? Comment avez-vous fait ?
Ensuite, vous indiquez que, le 3 mars, tous les masques sur le territoire ont été réquisitionnés, dont les vôtres, j'imagine. Savez-vous quelles autres structures ont dû rendre des masques ? Les Ehpad l'ont-ils fait ?
Les masques sont réquisitionnés le 13 mars, et nous n'en aurons plus en propre jusqu'après le déconfinement, car nous ne pouvons-nous approvisionner qu'à partir du 23. Toutefois, nous n'en achetons pas directement, nous passons par les grossistes répartiteurs, qui en commandent à partir du 23, mais ne les reçoivent que six semaines après. Nous n'avions donc aucun masque et nous n'avions pas le droit de vendre des masques chirurgicaux jusqu'au déconfinement. Les produits de santé autorisés à la vente en pharmacie sont en effet inscrits sur une liste limitative et les masques en tissu n'y figuraient pas non plus. Nous avons dû intervenir, car nous savions depuis le début que le meilleur geste barrière était la distanciation sociale, ensuite venait le masque chirurgical ou grand public, avec un peu moins d'efficacité, qui sert à éviter la propagation du virus. Il s'agit donc essentiellement d'un geste citoyen : si tout le monde porte le masque, la couverture est la meilleure possible.
Ce n'est pas récent ! Le masque grand public, en revanche, a été inventé au milieu de la crise.
En effet, nous savons depuis longtemps que le masque, y compris grand public, protège essentiellement les autres. Nous avons été très contrariés de devoir assumer ce qui nous semblait être du tri. En période de pénurie, certains acteurs de santé doivent appliquer des consignes spécifiques, comme en état de guerre, comme aux urgences. Il nous a été très pénible de refuser des masques à la population, notamment aux malades, car nous avions interdiction de leur fournir des masques du stock de l'État. Nous aurions donné les nôtres, mais nous n'en avions pas. Nous devions distribuer les masques du stock de l'État quatorze par quatorze, nous battre chaque semaine pour compléter la liste avec des professionnels oubliés, comme les biologistes médicaux, qui ont été ajoutés en cours de parcours. Auparavant, quand ils venaient, mais nous ne pouvions les équiper, ce qui est tout de même embêtant, car ils ont un grand rôle à jouer !
Sur la Guadeloupe, il est vrai que, en raison de la croissance du nombre de cas, nous sommes de nouveau en forte tension sur les masques du stock de l'État. Ceux-ci devraient cesser d'être fournis le 4 octobre, mais nous n'en recevons déjà plus assez, notamment les masques pédiatriques, que nous n'avons pas du tout. Nous nous occupons essentiellement de la distribution des masques du stock de l'État aux personnes fragiles et malades sur prescription médicale. C'est cela qui pose problème en Guadeloupe.
Les CPTS ont largement contribué à créer du lien entre les professionnels de santé, même lorsqu'il s'agissait de communautés naissantes, elles nous ont permis de communiquer, d'échanger avec l'hôpital, avec les services d'urgences, sur leur situation, sur l'existence d'un système d'accueil pour tel ou tel type de patients, sur la coordination avec les infirmières intervenant auprès de patients susceptibles d'être contaminés, tout cela a amélioré la situation et a soudé le territoire, parce que nous partagions des informations. C'est très intéressant et cela démontre que le travail coordonné permet de gagner du temps.
S'agissant des masques grand public, nous avons eu l'autorisation d'en vendre le 26 avril, après plusieurs demandes. Auparavant, nous n'en avions pas le droit, nous ne pouvions pas en acheter, alors que l'approvisionnement était tendu, et nos fournisseurs ne prenaient pas le risque d'en commander en l'absence d'autorisation.
Leur qualité dépendait alors surtout du nombre de lavages possibles. Nous avons subi une pression légitime du ministère de l'économie pour éviter que ne se mettent en place des mécanismes d'opportunité de certains fabricants avec des prix déraisonnables. On voit aujourd'hui que ces masques ne sont pas prioritaires : ils sont moins utilisés que les masques jetables, ce qui pose d'autres problèmes, écologiques, en particulier.
En ce qui concerne le calendrier, nous avons commencé à distribuer le 2 mars. Les pharmaciens ont été exclus du bénéfice de ces masques jusqu'au 15 mars ; pendant quinze jours, nous n'étions donc pas censés porter de masque. Imaginez la réaction des pharmaciens, qui n'étaient pas reconnus comme professionnels de santé, mais qui devaient en distribuer à leurs confrères médecins ! Bien sûr, comme l'a dit Philippe Besset, nous avons désobéi, sinon nous aurions dû arrêter notre activité, notre personnel refusant légitimement de travailler sans protection. Ce n'est que le 20 avril que les préparateurs ont eu accès aux masques, alors qu'ils se trouvaient dans la même situation que nous. On voit bien aujourd'hui, alors que l'on sait que dans des locaux étroits tout le monde doit être masqué, que nous avons eu raison de protéger tout notre personnel.
En ce qui concerne la réquisition, nous n'avions plus de masques à ce moment-là. Nous n'en avions pas besoin, nous n'avions donc pas de stock et nous n'en vendions pas, car il n'y avait pas de demande. Certains d'entre nous avaient un vieux stock datant de l'épidémie H1N1. D'autres professions ont été sollicitées et nous avons été surpris de voir les dentistes restituer tous leurs masques FFP2 : quand ils ont pu reprendre leur activité, il n'avait plus ni masques ni blouses et la pénurie les empêchait toujours de s'approvisionner. Il faudra en tirer les leçons et conserver un stock tampon chez les professionnels dans la perspective de la reprise de leur activité.
On parlait alors de masques chirurgicaux ou FFP2, les masques grand public n'existaient pas. Quand sont-ils apparus dans les discussions ?
le Gouvernement s'est fié aux autorités de santé. C'est l'Organisation mondiale de la santé (OMS) qui a donné le top départ en matière de masques grand public, en les présentant comme des succédanés des masques chirurgicaux. Il s'agissait d'avoir un masque sur le visage pour protéger les autres. Je ne me souviens pas de la date de cette recommandation, mais je vous l'enverrai.
Une précision : les pouvoirs publics avaient étudié la possibilité de porter des masques grand public, et les conditions dans lesquels ces dispositifs étaient suffisamment protecteurs pour constituer une alternative acceptable et pouvaient être produits en quantité suffisante. Les discussions ont dû démarrer début avril ; le 14 avril, nous avons eu cette discussion au ministère de l'économie, durant laquelle la grande distribution a été sollicitée pour distribuer ces masques. On nous a demandé si nous voulions y participer et nous avons accepté sous réserve de leur efficacité. Ensuite, les critères de nombre et de conditions de lavages ont été fixés et l'autorisation a été accordée aux pharmaciens le 26 avril.
S'agissant des masques textiles, les réunions qui se sont tenues à partir de mi-avril portaient, initialement, sur les masques textiles. J'ai devant moi le mail : « Urgent, confcall mercredi 15 avril, masques textiles ». Nous avons alors fait valoir que, à court terme, d'ici au 4 mai, il n'y en aurait pas assez et qu'il fallait compléter les stocks. C'est pourquoi il a été décidé à partir du 24 avril d'ouvrir la vente au grand public des deux catégories. Je regrette que ces discussions aient été limitées à nous, alors que l'on nous avait dit le contraire et que la ministre l'avait même écrit dans son communiqué, lequel évoque d'ailleurs à la fois les masques textiles, avec un encadrement des prix à 2 à 3 euros pour un coût à l'usage de 10 à 30 centimes, et des encadrements de prix volontaires sur les masques chirurgicaux que l'on commençait à appeler masques à usage unique.
Ensuite, souvenons-nous que, lorsque nous avons obtenu cette autorisation et que tout cela s'est mis en place, à partir du 4 mai, le résultat global a été très positif : tous les Français ont réussi à obtenir des masques dans les jours qui ont suivi le déconfinement. Certaines choses ont échoué auparavant, certes, mais dès que nous avons eu ces autorisations, tout a fonctionné.
Enfin, nous nous sommes engagés, à cette occasion, à établir conjointement avec les services de l'État un guide de bonnes pratiques contenant des éléments différents par enseignes, avec un sujet majeur : le problème du déconditionnement. En effet, le Gouvernement nous avait demandé de vendre les masques chirurgicaux par cinq ou par dix alors que nous les recevions par boîtes de cinquante. Tout le monde n'a pas pu le faire, car il fallait des salles pour opérer dans de bonnes conditions sanitaires, et les masques ont alors été vendus par boîtes de cinquante.
Sur les masques en tissu, je souhaite saluer la mobilisation des maires et des présidents de conseils régionaux, qui ont saisi l'opportunité au moment du déconfinement pour offrir des masques à leurs administrés. Cela a contribué à vider l'approvisionnement des entreprises et à nous permettre de passer la période du début du déconfinement sans tension au 11 mai. Bravo de l'avoir fait, souvent en coordination avec les différents services de l'État.
Compte tenu de la situation que nous avons vécue, les pharmaciens d'officines connaissent leur patientèle et savent prendre les meilleures décisions. Pour les patients que vous connaissez ne pourrait-on pas permettre désormais aux pharmaciens d'officine, comme aux Ssiad, de disposer d'une zone d'autonomie en matière de choix des orientations à prendre en fonction de leur patientèle ?
Ce point concerne la traçabilité et l'autonomie du pharmacien dans la dispensation. Nous sommes attentifs à suivre les recommandations des autorités de santé et, dans la plupart des cas, le fait que nous n'ayons pas d'intérêt économique à proposer un produit conduit l'ensemble de la population, et nous aussi, à préférer que nous soyons une profession ordonnée. Pour autant, s'agissant de la prévention, notamment des masques, voire des vaccins, la situation est différente. Les arbres décisionnels sont connus et la traçabilité est possible : les patients éligibles à la dotation en masques, par exemple, sont ceux qui souffrent d'affection de longue durée (ALD) et nous pouvons les identifier avec la carte Vitale. Il n'est donc pas nécessaire de passer par la case médecin pour obtenir un bon.
Merci, messieurs, de vos réponses.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 15 h 55.
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