Notre ordre du jour appelle l'audition de M. Jean-Christophe Niel, candidat pressenti pour exercer les fonctions de directeur général de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), pour un second mandat.
Nous avons été informés le 2 mars dernier que le Président de la République envisageait, sur proposition du Premier ministre et sur proposition de la présidente du conseil d'administration de l'Institut, de vous renouveler dans vos fonctions.
Nous vous entendons aujourd'hui en application de la loi organique et de la loi ordinaire du 23 juillet 2010 relatives à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution. Comme vous le savez, cette audition doit avoir lieu devant les deux commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat.
Elle fait l'objet d'une diffusion en direct sur le site du Sénat et sera suivie d'un vote à bulletins secrets. Le même vote aura lieu demain à l'issue de votre audition par la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire de l'Assemblée nationale, ainsi que le dépouillement des votes des deux commissions.
Je rappelle qu'il ne pourra être procédé à votre nomination si l'addition des votes négatifs de chaque commission représentait au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés dans les deux commissions.
Monsieur Niel, vous connaissez bien l'exercice qui nous réunit aujourd'hui puisque vous étiez déjà venu devant nous pour votre premier mandat, en mars 2016.
Je reviendrai d'abord brièvement sur votre parcours avant de rappeler quelques éléments sur l'IRSN.
Vous êtes ingénieur général des ponts et chaussées et docteur en physique. Vous exercez depuis cinq ans les fonctions de directeur général de l'IRSN, en lien avec la présidente du conseil d'administration, Mme Marie-France Bellin, que nous avions entendue en novembre 2018 en application de l'article L. 1451-1 du code de la santé publique, une procédure différente de celle qui est prévue pour votre nomination et qui ne donne pas lieu à un vote. La fin de votre mandat est fixée au 19 avril prochain.
Avant cela, vous avez exercé pendant neuf ans les fonctions de directeur général de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et avez effectué une grande partie de votre carrière dans ce domaine, y compris à l'IRSN, pendant dix ans.
Vous avez également travaillé au sein du ministère des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer. Vous devez donc disposer d'une très bonne connaissance des enjeux de sûreté nucléaire et du paysage budgétaire et administratif français.
J'en viens à l'IRSN. L'institut dont vous assumez la direction générale est' un établissement public industriel et commercial à vocation scientifique et technique, placé sous la tutelle conjointe des ministres chargés de l'écologie, de la recherche, de l'énergie, de la santé et de la défense. Il assure des missions d'expertise et de recherche en matière de sûreté nucléaire, de protection de l'homme et de l'environnement contre les rayons ionisants ou encore de protection des installations et des transports de matières radioactives contre les actes de malveillance. Vous avez une relation particulière avec l'ASN, à laquelle vous apportez un appui technique décisif pour ses missions de contrôle.
Le budget 2021 de l'IRSN avoisine les 275 millions d'euros. Il est constitué pour l'essentiel de subventions pour charges de service public (SCSP), à hauteur de 170 millions d'euros, inscrites au budget du ministère de la transition écologique au titre du programme 190 « Recherche dans le domaine des risques » et au budget du ministère des armées au titre du programme 212 « Soutien de la politique de la défense ». Ce montant est stable par rapport aux années précédentes.
À cela s'ajoute, depuis 2011, une taxe affectée, qui est le produit de la contribution acquittée par les exploitants d'installations nucléaires de base (INB).
Enfin, l'Institut dispose également de ressources propres complémentaires, qui proviennent soit de la vente de prestations, soit de cofinancements de programmes de recherche par des acteurs français ou étrangers, soit de subventions de la Commission européenne, de l'Agence nationale de la recherche (ANR) ou provenant du programme d'investissements d'avenir (PIA).
Les effectifs de l'IRSN ont été fixés à 1 745 équivalents temps plein travaillés (ETPT) pour l'année 2021.
J'en viens aux questions que je souhaite vous poser et que je vous demande de bien vouloir traiter dans le cadre de votre propos liminaire.
D'abord, je souhaiterais que vous dressiez un bilan de votre mandat actuel. Quels ont été les points positifs, quels sont les points à améliorer ? En d'autres termes, pour quelles raisons devrions-nous vous faire confiance pour un nouveau mandat ?
Ensuite, je souhaiterais vous entendre sur la stratégie de l'Institut face aux nombreux défis de notre filière nucléaire en matière de radioprotection et de sûreté pour les prochaines années. Quelles seront vos priorités d'actions ? En particulier, quel rôle joue l'IRSN à l'échelle internationale et comment comptez-vous conforter l'expertise française de sûreté nucléaire dans le cadre international ?
Enfin, quel a été l'impact de la crise sanitaire sur le budget de l'IRSN ? Lors de l'examen du budget pour 2021, le Gouvernement avait indiqué que l'évolution du solde budgétaire de l'Institut serait comprise entre -1 million d'euros et +1 million d'euros du fait de la crise sanitaire. Les pertes de recettes propres étaient censées être équilibrées par la limitation de dépenses pendant la période de confinement. Qu'en est-il plus précisément ?
Je vous laisse la parole, Monsieur Niel, puis mes collègues vous poseront un certain nombre de questions. Je pense notamment à Frédéric Marchand, rapporteur pour avis sur les crédits consacrés à la recherche en matière de développement durable du programme 190, et à Pascal Martin, rapporteur pour avis sur les crédits du programme 181 relatif à la prévention des risques. Je vous remercie.
Merci Monsieur le Président. Comme vous venez de le rappeler, j'ai l'honneur de servir mon pays en évaluant les risques radioactifs depuis une trentaine d'années. Vous avez présenté mon parcours et l'IRSN. Je soulignerais en particulier mon expérience du dialogue avec les élus et les associations, mon expérience des situations de crise - nous mobilisons notre centre de crise régulièrement, pour des exercices, mais aussi des situations réelles, en France et à l'étranger. Par ailleurs, je suis président, depuis 2017, du comité de la sûreté des installations nucléaires de l'OCDE, qui regroupe des organismes similaires à l'IRSN. Enfin, j'ai une expérience en matière de direction de structures publiques, d'autorités administratives indépendantes ou d'établissements publics, de management, de dialogue avec les tutelles, le Parlement, les instances représentatives du personnel (IRP), ainsi que dans la capacité à conduire des changements. J'ai aussi une connaissance des mécanismes budgétaires et administratifs.
L'IRSN prend une place particulière dans la transition écologique, avec l'enjeu de la prolongation de deux réacteurs au-delà de quarante ans, le réexamen de sûreté des installations du cycle du combustible, la gestion des déchets radioactifs, le démantèlement d'installations, la construction de nouvelles structures, comme le réacteur pressurisé européen (EPR), le centre industriel de stockage géologique (Cigéo), le réacteur thermonucléaire expérimental international (ITER), le réacteur de recherche Jules Horowitz (RJH), la contribution du personnel médical et le recours à des techniques de plus en plus sophistiquées notamment de radiothérapie, enfin un enjeu de protection contre les rayons ionisants en particulier des professionnels et des patients. Le baromètre de l'IRSN montre que les Français se préoccupent de plus en plus de santé environnementale.
Les questions de sécurité et de lutte contre les actes malveillants prennent une importance grandissante et ce contexte me conduit à vous proposer trois axes pour être au rendez-vous en matière de sécurité et de sûreté nucléaires ainsi qu'en radioprotection.
Le premier consiste à réaffirmer les fondamentaux de l'IRSN : expert public du risque radiologique et nucléaire, l'Institut doit éclairer la décision par l'évaluation du risque lié à l'utilisation des rayons ionisants ; cette évaluation est technique et scientifique, elle obéit aux canons et aux exigences de la science, elle est collective et impartiale ; elle s'appuie sur une expertise nourrie par la recherche. En cohérence avec les agences sanitaires européennes et nationales, cette mission d'évaluation est bien distincte de la mission d'inspection et de sanction qui appartient aux pouvoirs publics. C'est par ce système de double sécurité, entre l'expert et l'autorité, entre l'évaluateur et le gestionnaire du risque, que l'État assure la protection de nos concitoyens à l'égard des usages des rayonnements ionisants. L'IRSN est un interlocuteur de confiance des pouvoirs publics et de la société en répondant à leurs attentes par des informations qu'il délivre de manière transparente, en interagissant avec eux.
Deuxième axe, l'anticipation et la culture du risque. Notre environnement évolue en permanence et de nouveaux risques émergent, par exemple la pandémie de coronavirus, ou l'accident de Fukushima, survenu il y a dix ans. Lors de chaque crise, l'anticipation et la culture de risque sont questionnées, les pouvoirs publics sont interpellés : l'IRSN est un outil pour aider à anticiper les risques liés à l'utilisation des rayons ionisants et pour la gestion des risques en général.
Cette anticipation fait partie de notre contrat d'objectifs signé il y a deux ans : il s'agit, par la recherche, par les retours d'expériences, par l'évaluation des sujets à venir comme la prolongation d'exploitation de réacteurs, les déchets, le radon, la cybersécurité, d'anticiper les enjeux liés à la révolution numérique, d'anticiper les nouvelles demandes de la société par un dialogue avec elle, d'instaurer de nouveaux partenariats, mais aussi d'anticiper en capitalisant sur l'humain et l'accumulation des compétences et des connaissances. Comme le disait Saint-Exupéry : pour ce qui est de l'avenir, il ne s'agit pas de le prévoir, mais de le rendre possible.
Troisième axe, c'est la performance et l'efficience. L'IRSN doit être performant, prospectif, faire évoluer ses méthodes et ses pratiques. J'ai introduit dans notre fonctionnement quatre programmes de transformation : celui des modes de collaboration, par exemple le mode projets ou les communautés de pratiques ; celui de la transformation managériale, avec la mobilité professionnelle et la préparation des métiers de demain ; celui de la transformation numérique, en développant les méthodes et les outils d'aide à l'expertise ou à la recherche ; enfin, le programme de la transformation des relations sociales et sociétales, en renforçant notre démarche de responsabilité sociétale des entreprises (RSE). Grâce à ces quatre programmes, nous évaluerons mieux notre rôle et les conditions d'exercice de nos missions, et ce de manière collective, en interaction avec nos tutelles et la société.
Depuis sa création, l'IRSN contribue à la protection des citoyens contre les risques liés aux usages des rayonnements ionisants sous toutes leurs formes, à renforcer leur implication dans la vigilance à l'égard de ces risques. Dans un monde en constante évolution, la pertinence de notre action nécessite une adaptation permanente aux nouveaux enjeux. Mon projet, c'est de permettre à l'Institut de répondre à tout moment à ce besoin d'adaptation pour que la sûreté nucléaire, la sécurité nucléaire et la protection des personnes et de l'environnement soient au plus haut niveau. C'est la voie pour que l'IRSN soit un outil d'anticipation et de confiance dans un univers innovant et numérique.
Pour répondre à votre question sur notre bilan, je dirai que l'IRSN a été résilient durant la crise sanitaire. Dans un contexte de télétravail massif, nous avons pu rendre un avis attendu sur la capacité, pour EDF, à poursuivre l'exploitation de ses réacteurs au-delà de quarante ans - un avis qui a demandé 200 000 heures de travail sur quatre ans et que nous avons rendu dans ce contexte très particulier. Nous avons rempli nos missions, y compris en situation de crise, par exemple en créant notre centre de crise à distance pour suivre les incendies autour de la centrale de Tchernobyl en avril dernier. Nous avons pu utiliser un grand nombre de nos plateformes expérimentales, mais pas toutes, ce qui nous a fait prendre un peu de retard sur certains programmes de recherche et d'expérimentation.
La crise sanitaire a eu un impact sur nos finances que nous évaluons entre 7 et 8 millions d'euros, en particulier pour l'achat de matériel informatique, et ce compte tenu du manque à gagner dû au report de la vente de dosimètres et des économies liées aux moindres déplacements pendant les périodes de confinement.
Lors de votre audition en 2016, vous vous étiez engagé, je cite, à « renforcer la cohérence stratégique entre les autorités publiques, notamment l'ASN et l'IRSN » et vous appeliez à « une programmation pour une expertise incontestable, opérationnelle et proportionnée aux risques ». Or, l'ASN estime encore aujourd'hui que ses moyens sont insuffisants et que ses demandes d'expertise ne sont pas toujours satisfaites. Le Sénat avait d'ailleurs adopté, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2021, un amendement dont j'ai été à l'origine au nom de notre commission, pour permettre à l'ASN de développer ses propres actions en matière de recherche même avec des moyens modestes (120 000 euros de plus pour son budget). Quel bilan tirez-vous de votre action sur ce volet ? Quel regard portez-vous sur les relations actuelles entre l'IRSN et l'ASN ? Comment entendez-vous répondre aux besoins d'expertise de l'ASN pour lui permettre d'exercer au mieux ses missions ?
En 2016, vous aviez également annoncé vouloir renforcer la transparence sur la sûreté nucléaire et l'information du public ; quelles ont été vos principales réalisations et quels sont vos projets en la matière ?
Enfin, quel rôle joue l'IRSN dans le démantèlement de la centrale de Fessenheim, dont la phase de préparation devrait s'achever en 2025 et l'enquête publique durer jusqu'en 2037, un processus particulièrement important puisqu'il préfigurera notre méthodologie pour d'autres centrales ?
Je suis heureux de vous retrouver, car j'ai pu, en préparant l'avis de la commission sur le programme 190 dans le cadre du projet de loi de finances pour 2021, mesurer la qualité et la pertinence du travail mené par l'IRSN. Dans un rapport que vous venez de publier sur la catastrophe de Fukushima, vous évoquez les concepts d'anticipation et de résilience : pensez-vous qu'il y ait là des pistes pour faire évoluer notre corpus juridique et renforcer davantage la sûreté et la sécurité nucléaires ? Vous m'avez dit faire face à un problème d'attractivité de l'IRSN en raison de rémunérations jugées trop faibles dans le secteur, et subir en particulier la concurrence du Commissariat à l'énergie atomique (CEA), où elles ont augmenté : quelles pistes vous semble-t-il possible d'emprunter dans les années à venir ?
Notre commission porte une attention particulière au stockage des déchets nucléaires, et nous nous étions rendus en septembre 2018 à Bure, sur le site du projet Cigéo de stockage en couche géologique profonde, puis en octobre 2018 à Marcoule pour découvrir le centre de stockage du CEA. Le centre industriel de regroupement, d'entreposage et de stockage (Cires) de Morvilliers, dans l'Aube, qui est dédié depuis 2003 au stockage des déchets de très faible activité et depuis 2012 au regroupement de déchets radioactifs issus d'activités non nucléaires et à l'entreposage de certains de ces déchets qui n'ont pas encore de solution de gestion définitive, est bientôt saturé ; il était à 63 % de sa capacité fin 2020 et il devrait être plein dans huit ans. Comment l'IRSN travaille-t-il avec l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) sur ce sujet ?
Ma seconde question concerne le projet Citéo de stockage profond de déchets hautement radioactifs et à durée de vie longue, à Bure, qui devrait être mis en service en 2035. Récemment, de nouvelles oppositions locales se sont manifestées et quatre communes ont émis un avis négatif sur le projet, exprimant des doutes pour la sécurité des habitants et sur les promesses de développement économique qui ont été faites par le Gouvernement. Quel rôle joue l'IRSN dans le suivi de ce projet ? Comment mettez-vous votre expertise au service des populations et des acteurs publics mobilisés pour sa mise en oeuvre ?
Nous sommes à mi-parcours du contrat d'objectifs et de moyens 2019-2023 entre l'IRSN et l'État, un contrat très ambitieux avec ses 38 objectifs : la crise sanitaire en a-t-elle affecté le déroulement, en particulier les programmes de recherche ? Vous avez évoqué des retards : concernent-ils le nettoyage des piscines de refroidissement du combustible lors de la perte du circuit primaire, ou bien les risques d'explosion dans des enceintes de confinement ?
Le contrat mentionne que l'IRSN doit adapter sa capacité d'expertise aux besoins futurs, donc aux enjeux du démantèlement de réacteurs, mais aussi à la prolongation de deux réacteurs au-delà de quarante ans, à la réalisation de nouveaux équipements pour la gestion des déchets ; l'IRSN devait faire la revue de ces besoins d'expertise dans un document d'étape : où en êtes-vous ?
Comment, enfin, comptez--vous faire pour attirer à l'Institut des compétences rares ? D'une manière plus large, est-ce que la loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 vous aide dans ce sens ?
Une enquête publique sera menée dans mon département de l'Aube pour un complément d'enfouissement : quel rôle l'IRSN va-t-il y jouer ?
Les relations de l'IRSN et de l'ASN sont quotidiennes, elles représentent le tiers de l'activité de l'Institut, avec plusieurs centaines d'avis délivrés chaque année ; ces relations sont structurées et très denses, à tous les niveaux, du terrain à l'état-major ; nous avons deux auditions annuelles, avec un bilan au printemps et la définition du programme pour l'année suivante à l'automne.
Le président de l'ASN nous a dit, cette année encore, son approbation complète et sans réserve du travail de l'IRSN. Nous avons co-évalué notre expertise, sur l'ensemble de la chaîne, de la saisine à l'avis, en passant par l'expertise elle-même et nous avons constaté, ensemble, que le système fonctionne, ce qui n'empêche pas quelques progrès à faire, notamment sur la communication - nous y travaillons. Je dirai donc que la situation s'est améliorée depuis quatre ans.
J'ajoute que nous proportionnons notre expertise à l'importance du risque, aux enjeux de sûreté et de sécurité nucléaire.
La transparence est un objectif prioritaire dans une société vigilante au risque, où l'on gagne à ce que chacun soit capable de se faire sa propre opinion. Nous avons signé en 2009 une charte d'ouverture à la société, qui demande aux personnels de l'Institut de porter à connaissance l'expertise produite et d'aider les personnes qui le souhaitent à monter en compétence, nous l'avons fait dans la concertation sur la prolongation de deux réacteurs au-delà de quarante ans, ou encore dans le cadre du débat public sur le plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs (PNGMDR), nous avons proposé des fonctionnements innovants, notamment des « serious games », des jeux de rôle où chacun envisage plusieurs points de vue. Nous poursuivons dans cette direction : l'ANR a lancé un appel à manifestation d'intérêt sur des projets de sciences participatives intitulé « Les sciences avec et pour la société » ; nous avons déposé quatre projets qui ont été retenus à ce stade. Petit bémol cependant : nous n'avons pas encore mis en place le comité des parties prenantes, comme prévu par le contrat d'objectif et de moyens, nous allons le faire prochainement.
Sur le démantèlement, l'IRSN joue un rôle d'expertise, de recherche et d'ouverture à la société. Le démantèlement est une activité industrielle à part entière, qui doit être gérée comme un projet ; elle n'impose pas de technique rédhibitoire, ce qui ne signifie pas qu'elle soit facile, en particulier compte tenu de ses risques spécifiques, et nous expertisons les conditions dans lesquelles l'opérateur démantèle. Nous avons aussi des programmes de recherche, notamment sur l'incendie. Nous avons agréé un centre de crise en juin dernier, lors de l'incendie intervenu sur le sous-marin Perle, à Toulon, lors d'une opération de maintenance lourde. Nous menons des recherches en sciences humaines sur le comportement des organisations - je pense à une recherche sur la co-activité, que nous conduisons avec la RATP. Enfin, l'ouverture à la société passe par le travail avec les commissions locales d'information (CLI). Nous répondons à une centaine de sollicitations par an et nous présentons notre position scientifique et technique.
Il n'entre pas dans les missions de l'IRSN de proposer une évolution des normes relatives à la sûreté et la sécurité nucléaire. Cela dit, nous réfléchissons sur les liens entre la capacité de prévoir des difficultés et le fait que certaines se produisent, cela vaut d'ailleurs pour l'ensemble de l'industrie.
Nous avons lancé, fin 2019, une plateforme intégrée de retour d'expérience (Pirex), avec le concours, pour 1 million d'euros, du Fonds pour la transformation de l'action publique (FTAP) ; cette plateforme utilise l'intelligence artificielle pour mieux extraire, dans les milliers de données que nous collectons chaque jour, l'information qui nous aidera à prévenir les incidents et les difficultés. D'une manière générale, les installations se complexifiant, il faut renforcer la résilience des opérateurs, c'est-à-dire leur capacité à intervenir sur des situations non prévues. Nous n'avons pas de prospective juridique, mais nous analysons ces questions de façon technique et scientifique.
Sur l'attractivité de nos métiers, il est vrai que, à la suite de l'accident de Fukushima, l'Institut national des sciences et techniques nucléaires (INSTN) a constaté un recul du nombre des candidats pour la filière génie atomique, notre « turn-over », la rotation de nos effectifs, est passée, elle, de 4,6 % à 6,5 % ; la crise sanitaire a ralenti le mouvement, nous allons voir ce qui se passe ensuite. L'IRSN étant un établissement public, il ne concurrencera jamais les industriels pour les rémunérations, mais nous avons des atouts que nous faisons valoir sur le sens de nos missions et sur la qualité de la vie au travail - c'est pourquoi nous avions développé le télétravail avant le confinement, dans le cadre d'un accord avec les syndicats et je dois dire que le dialogue social est de bonne qualité à l'IRSN.
S'agissant de la stratégie scientifique de l'IRSN, le contrat d'objectifs mentionne cette année 2021 pour un nouveau document, sachant que la stratégie 2015-2025 va s'achever. Nous y travaillons, en partant d'une vingtaine de questions que posent la sûreté et la sécurité nucléaires.
Madame de Cidrac, l'Andra est un exploitant nucléaire ; il exploite ainsi le centre de stockage de la Manche - qui est sans activité, mais sous surveillance - ou celui de l'Aube - pour des déchets de faible activité à vie courte. Nous menons donc à l'égard de l'Andra un travail d'expertise technique, à la demande de l'ASN, pour assurer la sûreté de ces centres.
Le centre Cigéo est un cas tout à fait particulier, car il s'agit d'un centre de stockage en profondeur, avec une durée d'exploitation d'au moins une centaine d'années. Nous nous sommes penchés en 2018 sur le dossier d'option de sûreté et la prochaine étape sera le rapport de sûreté, qui sera remis dans les prochains mois. Nous avons considéré que le dossier d'option de sûreté était en cohérence avec l'avancement des travaux, tout en soulignant quelques points d'attention, notamment sur la maîtrise du risque incendie - qui ne semble pas suffisamment assurée s'agissant des colis de déchets de bitume -, la surveillance du stockage ou encore la capacité d'intervention. Ces points devront être traités par l'Andra.
L'Autorité environnementale nous a interrogés sur la déclaration d'utilité publique de Cigéo : nous avons répondu en janvier. Enfin, nous menons également des projets de recherche communs avec l'Andra, notamment européens.
Ma deuxième question portait sur le stockage de déchets hautement radioactifs et à durée de vie longue à Bure, dans le cadre du projet Cigéo. Certaines collectivités territoriales sont réticentes. Comment l'IRSN contribue-t-il le cas échéant à faire évoluer la position des uns et des autres ?
Nous sommes tout à fait disposés à mener un dialogue technique autour de Cigéo : nous sommes disponibles et même volontaires pour expliquer nos avis techniques qui sont tous rendus publics depuis la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte.
Une enquête publique relative à un enfouissement complémentaire devrait prochainement être lancée : quel regard portez-vous sur cette enquête ?
Nous serons saisis par l'ASN sur l'aspect technique de ce projet : c'est une dimension majeure du dossier bien entendu, car un centre d'enfouissement ne peut voir le jour que si sa sûreté est garantie.
Si ce centre est mis en service et si l'IRSN et l'ASN existent toujours à l'issue de l'exploitation du site - prévue pour au moins cent ans -, l'IRSN continuera à assurer une prestation technique. C'est ce qui se passe pour le centre de stockage de l'Andra dans la Manche : c'est un centre inerte, mais l'IRSN y maintient son expertise avec, notamment, un réexamen de sûreté tous les dix ans comme pour toutes les installations nucléaires de base.
Monsieur Houllegatte, nous sommes globalement dans les clous s'agissant du contrat d'objectifs. Nous avons cependant pris quelques mois de retard sur certains programmes expérimentaux, comme celui qui est mené par l'équipe de Cadarache sur l'impact de l'irradiation chronique des poissons-zèbres que j'avais décidé d'arrêter au début du premier confinement.
Nous faisons face à une demande croissante d'expertise, à moyens constants. Nous travaillons donc par hiérarchisation et priorisation. C'est ainsi que nous avons mis en place des comités de pilotage sur le projet de l'EPR. Nous avons des rencontres régulières avec l'ASN et les autres autorités afin d'identifier les sujets qu'il faut travailler dans une démarche de risque. Le dossier de mise en service de l'EPR représente 40 000 pages...
La question des compétences critiques fait partie intégrante de notre contrat d'objectifs. Suivant une recommandation de la Cour des comptes, nous avons fait évoluer notre organisation afin de créer une direction de la maîtrise des risques et de la performance qui traite de la maîtrise de l'ensemble des risques de l'Institut, dont la gestion des compétences critiques. Ces compétences - qui répondent aux trois critères suivants : difficiles à obtenir, peu fréquentes et sensibles pour l'IRSN - sont évaluées tous les ans afin, le cas échéant, de procéder à un recrutement, de mettre en place un tutorat ou de faire appel à un autre organisme.
L'IRSN n'est pas concerné par la loi de programmation pour la recherche, même si nous avions participé aux groupes de travail en amont.
Sur la question des risques en radiothérapie, pouvez-vous nous éclairer sur le partenariat signé avec l'Institut Gustave Roussy (IGR) le 23 mars dernier ? Un ionisateur industriel est installé à Pouzauges pour la stérilisation du matériel médical, mais aussi des denrées alimentaires. Pouvez-vous nous en dire plus ? L'ionisation des aliments est en effet un aspect méconnu du nucléaire qui inspire parfois de la méfiance.
Le tritium est un polluant récurrent de l'industrie nucléaire. Des concentrations anormales ont été détectées dans les eaux de la Loire, entre Chinon et Saumur, selon un relevé de l'Association pour le contrôle de la radioactivité dans l'Ouest (Acro) de janvier 2019. Vous avez annoncé mener des études : quels en sont les premiers résultats ? Ces substances peuvent-elles être filtrées ?
On a également observé des pollutions diffuses et chroniques de sols en Loire-Atlantique, avec des concentrations et des effets cocktail qui, à terme, peuvent poser problème pour la santé humaine et l'environnement. En octobre 2020, l'ASN a diligenté une campagne de mesures. Comment vos missions s'articulent-elles avec celles de l'ASN ? Quelle est votre vigilance sur ces pollutions diffuses qui préoccupent nos concitoyens et sur lesquelles les élus locaux sont régulièrement interpellés ?
Votre expertise est essentielle pour contrer les attaques contre notre filière nucléaire française qui produit pourtant une énergie décarbonée. Au cours de votre carrière, avez-vous pu mesurer l'augmentation des critiques contre le nucléaire dans notre pays ? La fermeture de Fessenheim a-t-elle eu un impact sur le rayonnement international de la France en matière nucléaire ?
Enfin, pouvez-vous nous dire comment l'IRSN se situe au regard de l'index d'égalité femmes-hommes prévu par le décret du 8 juin 2019 pour les entreprises de plus de 50 salariés ?
Je profite de cette audition pour vous remercier pour vos lettres d'information, courtes et utiles. Nous devons protéger nos concitoyens, mais aussi les associer, en développant leur culture scientifique et leur culture du risque. La situation actuelle vous semble-t-elle satisfaisante à cet égard ? Comment faire en sorte que les Français se sentent concernés et aient les bons réflexes en cas d'accident ? Sommes-nous collectivement prêts ?
Je salue votre volonté de travailler avec les sciences sociales et de développer les sciences participatives. Pouvez-vous nous en dire plus ? Certains territoires ou certaines populations seront-ils plus particulièrement ciblés ?
Je remercie M. Mandelli pour sa question, car le nucléaire est très souvent associé aux réacteurs, alors que nous sommes également très présents dans le domaine médical. L'IRSN a fait le choix stratégique de renforcer son action dans le domaine du cancer. C'est ainsi que nous avons publié un travail sur l'impact cardiaque des irradiations médicales sur les enfants et que nous avons été consultés dans le cadre de l'élaboration du plan Cancer 2021-2030 annoncé le 4 février dernier par le Président de la République. L'IRSN contribuera à ce Plan sur ses deux axes : la prévention - avec, notamment, des travaux sur le radon, gaz radioactif naturel, à l'origine de quelque 3 000 décès par an par cancer du poumon - et la qualité de vie des patients - avec, par exemple, l'étude de l'impact des irradiations sur les tissus sains.
Sachez que l'Europe a lancé un partenariat sur six ans et doté de 30 millions d'euros dont l'IRSN devrait être le pilote. Ce partenariat se structure autour de trois axes : effet des faibles doses, gestion de crise et post accidentel et sécurité des rayonnements ionisants et des patients. L'IRSN et l'IGR travaillent également, dans le cadre d'un accord, sur l'impact des rayonnements ionisants.
Le site de Pouzauges est une INB, avec des quantités de radioactivité considérables. L'IRSN donne son avis à l'ASN sur la sûreté de ce type d'installations. L'irradiation des aliments ne pose pas de question de contamination, mais simplement de qualité.
En janvier 2019, l'Acro a réalisé des mesures de radioactivité qui ont fait apparaître des quantités faibles, mais inhabituelles, de tritium dans la Loire, à hauteur de 310 becquerels (Bq) par litre, alors que les mesures font d'ordinaire apparaître un taux de 30 à 40 Bq par litre, que la valeur de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) est de 10 000 et que la valeur européenne d'alerte est de 100. Les investigations menées pour trouver l'éventuel responsable n'ont pas abouti. La piste du rejet des centrales a été explorée par l'IRSN avec plus d'un millier de prélèvements opérés au pont Cessart à Saumur et un travail de modélisation. Le rapport de synthèse devrait être divulgué dans quelques jours, mais je peux d'ores et déjà vous indiquer que nous n'avons pas retrouvé le niveau de 310 Bq par litre. Nous travaillons sur ces sujets en lien avec l'ASN et de manière transparente avec un comité de suivi qui réunit des élus locaux et des associations. Pour l'IRSN, c'est un budget de 600 000 euros.
S'agissant des critiques contre le nucléaire, nous sommes dans une démarche d'ouverture à la société et d'explication de nos actions, par nos experts.
En 2001, la création de l'Institut a permis de rassembler tous les aspects du risque radiologique et nucléaire : sûreté, sécurité, recherche, expertise... Avec nos 1 800 personnels, nous sommes un important acteur international. De surcroît, la France dispose d'un parc nucléaire conséquent et est le premier pays producteur d'énergie nucléaire en pourcentage de la production totale d'électricité, ce qui lui confère une reconnaissance à l'international sur ces sujets. Au niveau de l'IRSN, nous entretenons des relations techniques nourries avec nos homologues étrangers.
L'index d'égalité femmes-hommes de l'IRSN est de 88 sur 100. L'IRSN accuse un retard sur les niveaux de rémunération les plus élevés. C'est pourquoi nous nous sommes assigné un objectif ambitieux de promotion des femmes au sein de l'Institut dans notre contrat d'objectifs.
En matière de culture du risque, chacun doit pouvoir se faire son opinion. Notre comité des parties prenantes y contribue. Nous menons également des actions en direction des scolaires : c'est ainsi que des élèves de première ont travaillé sur la présence de tritium dans des prélèvements d'eau de pluie en lien avec le laboratoire d'Octeville, et que nous avons confié au skipper de l'Escondida un appareil de mesure de la radioactivité, en relation avec des lycéens de la région de Cherbourg.
S'agissant des recherches participatives, l'IRSN dispose d'une structure originale, le comité d'orientation des recherches. Nous espérons être retenus dans le cadre de l'appel à manifestation d'intérêt sur la multi-exposition dans la région de Dunkerque.
La centrale nucléaire de Saint-Laurent-des-Eaux est en cours de démantèlement. Mais les tonnes de graphite encore présentes dans le coeur du réacteur inquiètent les populations. Que pouvez-vous nous en dire ? Quels enseignements avez-vous tirés des suites de l'accident de Fukushima, dix ans après ?
Le démantèlement d'un réacteur de type Fessenheim ne pose pas de difficulté technique, contrairement au démantèlement d'un réacteur à uranium naturel graphite gaz (UNGG). Un tel réacteur doit faire l'objet d'un réexamen périodique de sûreté tous les dix ans, car la corrosion peut affaiblir la structure.
Dans le cas de Fukushima, le réacteur s'est arrêté lorsque le séisme a détruit les installations électriques, le 11 mars 2011. Mais sept vagues de tsunami ont ensuite déferlé sur le site détruisant les installations d'eau. Le délai de 40 minutes entre le séisme et le tsunami a toutefois réduit l'ampleur de l'accident, car cela a permis au réacteur de perdre beaucoup de sa puissance.
Les Japonais ont fait un travail considérable, mais la situation reste fragile, comme en témoigne le séisme qui a frappé le site début février. Il n'y a toutefois plus d'énergie pour diffuser de la radioactivité.
Sachez qu'un million de litres d'eau tritiée est présent sur le site en raison du ruissellement de l'eau de la montagne. La quantité d'eau contaminée a cependant été réduite de 400 mètres cubes par jour à 100. Cette eau est traitée et stockée, mais le tritium est un élément très difficile à éliminer. Des études d'impact sanitaire montrent qu'un rejet de ces eaux serait acceptable dans la durée, mais l'acceptation sociale de cette solution - notamment par les pêcheurs - reste à démontrer. Le Japon a fait le choix de la décontamination du territoire, avec un écroûtage de la terre sur la zone qui a conduit à stocker 20 millions de mètres cubes de terre potentiellement contaminée.
Les Japonais ont interrogé 2 millions de personnes pour mesurer l'impact sanitaire de cette catastrophe. Ils ont reçu 500 000 réponses, qui ont montré que 62 % des personnes ont reçu moins d'un millisievert et toutes sont en dessous de 15 millisieverts. À ce stade, les analyses internationales ne montrent pas d'apparition de pathologies, mais des effets indirects ont toutefois été mis en lumière dans un article de The Lancet de 2015 : 50 résidents de maison de retraite sont décédés des suites de leur évacuation et un peu moins de 2 000 personnes de conséquences indirectes de la catastrophe dans les deux ans qui ont suivi.
Je vous remercie.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Nous avons procédé à l'audition de M. Jean-Christophe Niel, dont la nomination est envisagée par le Président de la République pour exercer les fonctions de directeur général de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN).
Chers collègues, je vous rappelle qu'en application de la loi organique n° 2010-837 du 23 juillet 2010 relative à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, les délégations de vote ne sont pas autorisées.
Le scrutin sera dépouillé demain matin et les résultats vous seront communiqués à l'issue du dépouillement, après l'audition de M. Niel par la commission de l'Assemblée nationale.
Il est procédé au vote.
La réunion est close à 18 h 35.