Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées

Réunion du 7 juillet 2021 à 9h30

Résumé de la réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Bruno Sido

Monsieur le Président, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui le projet de loi n° 561 (2020-2021) autorisant la ratification du Protocole d'amendement à la Convention pour la protection des personnes à l'égard du traitement automatisé des données à caractère personnel.

Signé par la France le 10 octobre 2018, jour d'ouverture à sa signature, ce Protocole amende, pour la 2e fois, la Convention pour la protection des personnes à l'égard du traitement automatisé des données à caractère personnel, dite « Convention 108 », du Conseil de l'Europe, qui date de 1981.

Elle fut, il faut le remarquer, non seulement le premier instrument international juridique contraignant en la matière, mais elle continue aussi d'être le seul à ce jour.

À ce jour, cinquante-cinq États sont parties à la Convention : les quarante-sept États membres du Conseil de l'Europe, ainsi que huit États tiers (Argentine, Cap Vert, Maroc, Maurice, Mexique, Sénégal, Tunisie, Uruguay).

Quarante-quatre États sont parties au Protocole additionnel : trente-six États membres du Conseil de l'Europe, ainsi que les huit États tiers qui sont parties à la Convention 108. La plupart des États membres du Conseil de l'Europe qui n'y sont pas parties l'ont signé mais ne l'ont pas ratifié.

La Convention et son Protocole additionnel nécessitent d'être modernisés afin de répondre aux nouveaux défis que posent l'utilisation des nouvelles technologies de l'information et de la communication ainsi que l'intensification et la mondialisation accrue des échanges de données personnelles à l'ère du numérique, par rapport à la protection de la vie privée et des données personnelles.

C'est ce que propose de faire ce protocole d'amendement, qui comporte un préambule, quarante articles et une annexe.

En fait, si la philosophie reste la même, c'est l'ensemble de la Convention et de son Protocole additionnel qui se trouve modifié par le présent protocole d'amendement. Il est déjà convenu d'appeler la future Convention révisée « Convention 108+ ».

En particulier, il intègre dans la convention les grands principes du Règlement général sur la protection des données (RGPD) et de la directive « Police - Justice », textes postérieurs à la Convention d'origine. Il prévoit également le renforcement des autorités de contrôle nationales.

Cette convention modernisée est par ailleurs parfaitement compatible avec la règlementation européenne et notre réglementation nationale en la matière.

De plus, les précautions ont été prises pour qu'elle n'enfreigne pas l'activité de nos services de renseignement.

En conclusion, je recommande l'adoption de ce projet de loi, dont le Sénat est saisi en premier, compte tenu de l'intérêt que représente ce protocole d'amendement pour la protection des données personnelles à un niveau international.

De plus, comme l'indique l'étude d'impact, la nouvelle Convention « 108+ » contribuera à une « exportation » d'un modèle européen cohérent et ambitieux de protection des données à caractère personnel.

L'examen en séance publique au Sénat est prévu le mardi 13 juillet 2021, selon la procédure simplifiée, ce à quoi la conférence des présidents, de même que votre rapporteur, a souscrit.

Suivant l'avis du rapporteur, la commission a adopté le rapport et le projet de loi précité, une sénatrice du groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste (CRCE) s'abstenant.

Debut de section - PermalienPhoto de Cédric Perrin

Nous examinons à présent le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Kosovo relatif à l'emploi des membres des familles des agents des missions officielles de chaque État dans l'autre, sur le rapport de notre collègue André Guiol.

Debut de section - PermalienPhoto de André Guiol

Monsieur le président, mes chers collègues, ces trois dernières années, notre commission a examiné sept projets de loi autorisant l'approbation d'accords similaires avec huit pays d'Amérique, quatre pays européens, trois États africains et un pays d'Asie.

Le souhait de favoriser la mobilité internationale de ses agents a conduit le Quai d'Orsay à moderniser le cadre d'expatriation et tenir compte, entre autres, de la volonté croissante des familles de leurs personnels, en particulier les conjoints et les partenaires de PACS, d'occuper un emploi dans l'État d'accueil. En effet, la possibilité de poursuivre sa carrière professionnelle apparaît de plus en plus déterminante dans la décision d'expatriation, car aujourd'hui, un changement de résidence est souvent vécu comme une contrainte et non comme une source d'enrichissement.

Des facilités existent au sein de l'Espace économique européen, qui réunit trente États, en vertu du principe de libre circulation des travailleurs. En revanche, tel n'est pas le cas dans la plupart des pays situés hors des frontières de l'Union européenne.

Ainsi, le ministère de l'Europe et des affaires étrangères a entamé, en 2015, des négociations visant à tripler le nombre de conventions bilatérales permettant aux conjoints des agents en mission officielle à l'étranger d'avoir accès au marché du travail local, sans préjudice de leur statut diplomatique ou consulaire et de certaines immunités qui leurs sont accordées. L'activité professionnelle rémunérée peut être exercée au sein d'une entreprise privée, ou bien au sein d'une structure française sous tutelle du Quai d'Orsay - ambassade, consulat, Alliance française, Institut français, établissement scolaire relevant de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger.

Au total, ce sont quelque 3 000 familles d'agents publics qui seraient potentiellement concernées par le bénéfice de ce dispositif. Il s'agit, pour l'essentiel, des conjoints de fonctionnaires du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, auxquels s'ajoutent les conjoints d'agents issus d'autres administrations, comme le ministère des armées et le ministère de l'économie, des finances et de la relance.

L'accord soumis à notre examen résulte de négociations engagées à la demande de la partie kosovare. Il a pour objet d'autoriser, sur la base de la réciprocité, les membres des familles des agents diplomatiques et consulaires à occuper un emploi pendant toute la durée d'affectation des agents dans les pays cocontractants. Cela participera d'une meilleure conciliation de leur vie privée et de leur vie professionnelle.

L'accord s'appliquera en premier lieu au conjoint de l'agent, ou à son partenaire de PACS, ayant obtenu la délivrance d'un titre de séjour spécial par le ministère des affaires étrangères de l'autre partie. Je souligne à cet égard que le Kosovo reconnaît le mariage homosexuel dans sa Constitution, mais pas encore dans son droit civil. Cependant, le pays a déjà accepté d'accréditer le partenaire de même sexe d'un agent pacsé, et l'accord prévoit cette possibilité.

L'accord concernera également les enfants des agents français, célibataires et âgés de moins de 21 ans qui vivent à la charge et au foyer de leurs parents.

La procédure de demande d'autorisation de travail est détaillée dans l'accord. Il est précisé que toute demande doit être transmise par la mission officielle au protocole du ministère des affaires étrangères de l'autre partie. En cas de changement d'employeur, l'accord stipule qu'une nouvelle demande doit être établie. Les bénéficiaires d'une autorisation de travail doivent naturellement se conformer à la législation fiscale et sociale de l'État d'accueil, en particulier lorsqu'ils exercent des professions réglementées. Il leur est interdit de poursuivre l'exercice de leur emploi après la fin de la mission officielle de l'agent de leur famille.

Enfin, les immunités civiles et administratives cessent de s'appliquer pour les personnes concernées dans le cadre de leur nouvelle activité professionnelle, à la différence de l'immunité de juridiction pénale qui pourra toutefois faire l'objet, dans le cas de délits graves, d'une demande de renonciation écrite par l'État accréditaire.

Pour conclure, cet accord répond à une volonté de notre diplomatie d'améliorer la qualité de vie des familles de leurs agents en mission. Il permettra principalement à leurs conjoints de mieux s'insérer dans le pays d'affectation et de poursuivre ou de diversifier leur parcours professionnel, en exerçant une activité rémunérée.

Le nombre de bénéficiaires du présent accord est relativement limité. D'après le Quai d'Orsay, il pourrait concerner trois personnes côté français, et entre trois et cinq personnes côté kosovar.

Les perspectives professionnelles restent toutefois limitées pour nos ressortissants établis au Kosovo. En effet, malgré la présence de quelques grandes entreprises françaises, le marché de l'emploi local est restreint et le pays connaît un taux de chômage supérieur à 30 %. Néanmoins, il n'est pas exclu que notre réseau diplomatique, consulaire et culturel puisse profiter, par ce biais, de la mise à disposition de certaines compétences faisant défaut sur place. En outre, même si le nombre de personnes concernées est modeste, ce type d'accords est important pour nos concitoyens expatriés, car leurs partenaires ou conjoints - le plus souvent des femmes - suspendent leur carrière pour les accompagner à l'étranger. Ces accords leur permettent donc de poursuivre leur vie professionnelle et d'apporter des compétences nouvelles aux pays d'accueil ; il est donc essentiel d'élargir le tissu conventionnel à l'ensemble des pays du monde.

En conséquence, je préconise l'adoption de ce projet de loi. Son examen en séance publique est prévu le mardi 13 juillet prochain, selon la procédure simplifiée, ce à quoi la conférence des présidents, de même que votre rapporteur, a souscrit.

Debut de section - PermalienPhoto de Hélène Conway-Mouret

Je tiens à rappeler l'importance de ces accords pour nos agents diplomatiques et consulaires.

Par ailleurs, il faut souligner que la représentation diplomatique française est extrêmement modeste au Kosovo, puisque notre poste est composé d'une quinzaine de personnes, contre près de cent cinquante agents à l'ambassade d'Allemagne.

Suivant l'avis du rapporteur, la commission a adopté le rapport et le projet de loi précité.

Debut de section - PermalienPhoto de Cédric Perrin

Nous examinons maintenant le rapport d'information « Quelle boussole stratégique pour l'UE », présenté par nos collègues Ronan Le Gleut et Hélène Conway-Mouret.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Le Gleut

À la fin des années 2010, alors que les menaces planant sur l'Europe avaient progressé, et en nombre, et en gravité, le président des États-Unis, Donald Trump, remettait en question la protection des Alliés européens par l'OTAN - rappelons-nous l'interview qu'il avait donné à Fox News sur l'article 5 et le Monténégro. Pourtant, la PSDC, la politique de défense et de sécurité commune, patinait en dépit de tentatives de relances successives. Alors l'Allemagne proposa un nouvel exercice, la « boussole stratégique », pour donner une chance à l'Union européenne de parvenir à un document stratégique vraiment opérant, en renouvelant doublement l'approche : par la méthode et la largeur de vue.

Certes, ce document aura une structure classique, avec une première partie sur les menaces - à l'horizon de 2030 - et une deuxième sur les objectifs et les moyens que l'Union européenne doit se donner en conséquence. Mais c'est à une échelle inédite que l'exercice organise l'écoute réciproque d'experts et de représentants des exécutifs de tous les États membres. Par ailleurs, il élargit la réflexion stratégique à l'ensemble des menaces pour s'employer à garantir, au-delà la sécurité de l'Union européenne, sa « résilience ».

L'analyse des menaces a été finalisée en novembre 2020. Elle n'a pas été agréée politiquement, ce qui a permis d'éviter un premier écueil : devoir prioriser des risques perçus très différemment selon les État membre de l'Union européenne.

Tout au long du premier semestre, les États membres ont travaillé aux objectifs et aux moyens autour de quatre « paniers » : la gestion de crise, les capacités - domaines attendus -, la résilience et les partenariats - qui consacrent une nouvelle ambition. L'exercice évite ici un second écueil en évitant de promouvoir explicitement l'« autonomie stratégique » ou la « souveraineté » de l'Union européenne, qui sont des termes irritants pour certains partenaires européens estimant qu'ils pourraient froisser les États-Unis.

La boussole stratégique est censée aboutir en mars 2022, sous la présidence française de l'Union européenne. Quels espoirs cette démarche, lancée pendant le mandat de Donald Trump, peut-elle susciter aujourd'hui, dans le contexte d'une réaffirmation énergique de l'attachement des États-Unis au multilatéralisme et de l'OTAN à la clause de défense mutuelle de l'article 5 ?

De fait, l'Union européenne compte sur l'OTAN, non seulement pour la défense de son territoire via l'article 5 du traité de l'Atlantique Nord, mais aussi pour la gestion de crise tout en haut du spectre, les deux concernant a priori le flanc Est. Reste en principe à l'Union européenne de savoir répondre aux autres défis sécuritaires alentours - opérations de stabilisation, de maintien de la paix, contrôle des mouvements migratoires -, cette gestion de crise concernant a priori plutôt le flanc Sud. Saurait-elle le faire en toute circonstance ? Alors même que la conflictualité augmente, le nombre d'opérations de gestion de crise de l'Union européenne tend à se réduire.

Pourtant, la PSDC a été relancée en 2009 par le traité de Lisbonne, en 2016 par la « stratégie globale de l'Union européenne », avec une floraison d'initiatives prometteuses sur le papier. Mais les coordinations sont facultatives, les processus comportent des échappatoires pour tout État pacifiste, atlantiste, économe ou sceptique, sachant que les décisions en matière de PSDC sont normalement prises à l'unanimité.

Une intégration totale des outils de sécurité et de défense des États membres serait bien sûr inenvisageable dans un domaine foncièrement régalien. Une PSDC qui orienterait fortement les développements capacitaires des États membres et pourrait les obliger à participer à une opération, personne n'en a jamais voulu, même durant le mandat de Donald Trump ! Mais il nous semble possible de corriger certains des défauts les plus criants de la PSDC et de la rendre plus crédible, au moins pour la gestion de crise.

En matière capacitaire, des instruments dits « à acronymes » - PDC, CARD, CSP, FED, etc. - sont conçus pour combler les lacunes et acquérir une BITDE, une base industrielle et technologique de défense européenne, en encourageant les coopérations. Mais que dire, pour commencer, du PDC, le Plan de développement des capacités ? Bien que très structurant, il se contente d'énumérer les priorités que les États membres veulent bien se fixer en s'inspirant d'une liste de lacunes capacitaires établie sur la base de scénarios moyennement réalistes et de déclarations peu sincères...

Le problème central est la préférence pour les planifications capacitaires nationales. Il faudrait parvenir à y intégrer des éléments du processus capacitaire de l'Union européenne. Ce sera difficile, d'autant qu'existe déjà le processus capacitaire de l'OTAN. On peut aussi chercher à corriger certains défauts d'articulation entre les outils capacitaires. Mais probablement pas tous, car certains aboutissent à ménager la souveraineté des États.

La CSP, la coopération structurée permanente - la PESCO en anglais -, a suscité de nombreux projets. Mais il faudrait être plus sélectif pour gagner en qualité, tandis que le risque d'ITARisation - c'est-à-dire d'application de la réglementation américaine ITAR - devrait rester une préoccupation qui ne semble pas partagée avec la même intensité dans toute l'Union européenne. Une avancée majeure, toutefois, doit être signalée avec le financement européen du FED, ou FEDEF, le fonds européen de défense. La commission devra veiller à ce qu'il ne soit pas utilisé comme un fonds de redistribution.

J'en viens aux aspects opérationnels. Une PSDC timorée, dont les opérations se raréfient alors qu'augmente la conflictualité, nuit à la stature et à la crédibilité de l'Union européenne. La boussole pourrait ici prévoir quelques mesures efficaces :

- Il faut d'abord chercher à mieux s'accommoder du principe d'unanimité. L'expédient, nous le connaissons : ce sont les opérations nationales et les opérations ad hoc, Agénor, Takuba, dont la France s'est faite une spécialité. Or, contourner la PSDC prive de commandement européen, de financements, d'une couverture politique et de la participation éventuelle de pays qui, comme l'Allemagne, ne peuvent intervenir sans mandat.

Faciliter le recours à la PSDC semble ici faisable : sur le territoire de l'Union européenne, avec une automaticité de l'entraide en cas d'agression sur la base de l'article 42.7 du traité de l'Union européenne TUE ; en matière de gestion de crise, avec la possibilité de proposer une opération « clé en main » économisant études et discussions préalables, ou encore avec l'apport par la PSDC de « briques de coopération » à des opérations nationales ou ad hoc.

Faut-il instaurer un Conseil de sécurité européen, dans la perspective de créer un noyau dur de la défense européenne ? La chancelière Angela Merkel l'envisageait, le président Emmanuel Macron l'a finalement approuvé, mais c'était il y a trois ans, à l'époque d'une autre présidence américaine...

Une seconde piste consiste à améliorer les opérations et à les rendre plus incitatives. On peut d'abord progresser sur le plan de la qualité des opérations militaires en améliorant les formations dispensées à des forces étrangères dans le cadre des EUTM, les missions d'entraînement de l'Union européenne, qui sont au nombre de trois et concernent le Mali, la Centrafrique et la Somalie. De ce point de vue, la mise en place, cette année, de la FEP, la facilité européenne pour la paix, qui permettra le financement de la fourniture de matériel létal, est une véritable avancée.

Point crucial, la rapidité de la génération de force : les battlegroups, bataillons de 1 500 hommes mis en place en 2006 pour composer une permanence militaire, n'ont jamais été déployés, et ils sont souvent indisponibles. Un financement par la FEP serait une incitation décisive. Mieux : dans le cadre des discussions sur la boussole stratégique, une petite majorité d'États soutiennent l'initiative française d'une « force d'entrée en premier », dont le noyau dur pourrait être deux gros battlegroups ainsi relancés, avec des composantes terrestre, aérienne et maritime. Ce serait l'occasion pour la boussole de réaffirmer et préciser la complémentarité OTAN-Union européenne en cohérence avec un niveau d'ambition réaliste. En disant enfin clairement ce que l'Union européenne doit savoir faire, on ne pourra qu'améliorer la coordination capacitaire et opérationnelle.

Autre vecteur d'amélioration, le commandement militaire européen, c'est-à-dire la MPCC - la capacité militaire de planification et de conduite -, placée sous l'autorité de l'état-major de l'Union européenne, qui évite de s'en remettre à l'OTAN ou à un État membre pour la direction d'une opération de la PSDC. Cantonnée aujourd'hui aux EUTM, il faudrait étendre son rôle au commandement des missions exécutives et disposer ainsi d'un OHQ, autrement dit d'un état-major de planification, couvrant la totalité des missions militaires. Dans cette perspective, la France soutient le maintien de l'unicité du commandement de l'état-major de l'Union européenne et de la MPCC - que l'Allemagne voudrait remettre en question - pour préserver l'unité de la réflexion capacitaire.

Enfin, il faut impérativement combler les lacunes d'un renseignement européen qui n'est pas à la hauteur des enjeux.

Debut de section - PermalienPhoto de Hélène Conway-Mouret

Avant d'entrer dans le vif du sujet, je voudrais rappeler que, pour ce rapport, nous avons repris le processus que nous avions suivi pour notre rapport sur la défense européenne de 2019, qui consiste à consulter nos partenaires européens. Nous l'avons fait par visioconférence et par questionnaire envoyé aux ambassades, qui ont presque toutes répondu. Cette démarche nous a permis de nous fixer assez rapidement sur un certain nombre de points, souvent d'une manière peu encourageante puisque nous avons réalisé que les citoyens européens et les Parlements des États membres n'étaient pas du tout sensibilisés à la boussole stratégique. Je voudrais donc ici féliciter la commission de s'être saisie de ce sujet, ce qui nous a permis de l'étudier, de comprendre que bien des choses qui se passent en Europe sont généralement méconnues et que nous disposons, avec la boussole stratégique, d'un outil à la fois remarquable et inédit.

Les velléités successives d'améliorations de la PSDC, maintenant trentenaire, incitent aujourd'hui, au moment de formuler de nouvelles ambitions, au réalisme. En revanche, la « résilience » - l'un des 4 paniers de la boussole stratégique - comporte toutes les promesses d'un futur projet.

Préserver l'accès aux espaces stratégiques contestés, réduire notre dépendance industrielle en matière de sécurité et de défense, renforcer notre accès à des technologies critiques ou à des matériaux stratégiques, garantir notre sécurité économique, sanitaire et climatique... La résilience c'est, en un mot, la sécurité hors PSDC.

La commission européenne est très active sur ces sujets. Un changement de dimension est perceptible depuis la crise sanitaire. La mise en place en 2020 de la DG DEFIS est révélatrice d'une nouvelle propension de l'UE à mobiliser sa puissance économique sur le plan stratégique.

Cette Europe géopolitique repose aussi sur ses partenariats, quatrième panier de la boussole. Concernant les États-Unis, Joe Biden est revenu sur la plupart des décisions prises par son prédécesseur, très critiquées par l'Union européenne, et les relations semblent apaisées. Nous devrions cependant nous garder de tout suivisme. D'abord, l'intérêt américain s'est déplacé vers l'Asie avec une relation bilatérale très tendue avec la Chine. L'Union européenne, elle, a une relation moins concurrentielle, passant notamment par l'exigence de réciprocité économique. Il est donc important que nous développions un partenariat indopacifique qui nous soit propre. Le partenariat avec l'Afrique est lui aussi de toute première importance, la Chine y étant cette fois appréhendée en rivale. Reste le partenariat avec l'OTAN, de loin le plus problématique, tant il devient structurant pour la boussole stratégique.

Nous assistons à un grand retour du tropisme atlantique. L'élection de Joe Biden est allée de pair avec la réaffirmation par l'OTAN de sa protection à ses Alliés européens. Il n'en fallait pas plus pour démobiliser les Européens sur l'autonomie stratégique et la PSDC...

Le Brexit ajoute un argument pour faire pencher la balance du côté de l'OTAN, puisque le Royaume-Uni est l'Allié dont les dépenses de défense sont les plus importantes - 60 milliards de dollars - après les États-Unis - 785 milliards de dollars. Si bien que les pays de l'Union européenne appartenant à l'OTAN ne représentent plus que le cinquième de la dépense de défense des pays de l'Alliance, comme se plaît à le rappeler le secrétaire général de l'OTAN. Par ailleurs, la crise sanitaire, tout en focalisant l'attention sur la résilience, a entraîné de fortes dépenses de soutien à l'économie qui déboucheront peut-être sur des ajustements budgétaires. Les Alliés de l'Union européenne ne s'en remettront que plus volontiers à l'OTAN pour s'autoriser des renoncements capacitaires et opérationnels. Ajoutons que les prochaines élections allemande et française pourraient conduire à des changements qui pèseraient sur la mobilisation de l'Union européenne pour la sécurité et la défense.

Tous les voyants de la marche vers l'autonomie stratégique passent au rouge. Au même moment, la coordination avec l'OTAN devient aléatoire.

Premièrement, le positionnement géostratégique de l'Union européenne diffère de celui de l'OTAN et des États-Unis : la Chine n'est pas pour nous l'ennemi ultime, la Russie reste un voisin, les agissements de la Turquie nous touchent directement, à l'inverse des Américains pour qui elle reste, en outre, un Allié.

Deuxièmement, rien ne dit que le parapluie de l'OTAN, largement redéployé depuis l'élection de Joe Biden, ne perdra pas en étanchéité si les Républicains gagnent les prochaines présidentielles, voire les midterms, dans un peu plus d'un an. Le Trumpisme reste une force politique majeure.

Troisièmement l'OTAN entreprend en ce moment, à l'initiative de son secrétaire général, un « grand bond en avant ». Celui-ci prône une stratégie de défense à 360 degrés reprise par l'agenda OTAN 2030, que viennent d'approuver les Alliés. L'utilisation de l'article 5 en cas de cyberattaque y est avancée, ce qui méritera des précisions, ces actes pouvant être le fait de pays vis-à-vis desquels les risques et les finalités de l'Union européenne et des États-Unis ne sont pas les mêmes. Par ailleurs, l'Agenda envisage la résilience dans son sens le plus large, et il va jusqu'à prévoir l'attribution d'objectifs aux Alliés dont la réalisation ferait l'objet d'un suivi !

Si toutes les perspectives ouvertes par l'Agenda se réalisent, la résilience que l'Union européenne veut orchestrer pourrait finir dans l'ombre d'une résilience pilotée par l'OTAN - de même que la PSDC vivote à côté de l'Alliance. Or, ce que l'incommensurable puissance de l'armée américaine peut ici expliquer, là, rien ne le justifierait au regard des moyens de l'Union européenne.

Quatrièmement, sur le plan capacitaire, le processus otanien est bien mieux suivi que celui de l'UE, au détriment du développement d'une BITDE. L'Agenda 2030 prévoit la mise en place d'un fonds OTAN pour l'innovation qui pourrait en outre affaiblir le Fonds européen de défense.

Cinquièmement, la boussole stratégique s'élabore au même moment que le « concept stratégique », autre document stratégique auquel travaille l'OTAN. Pour éviter que le second ne déteigne sur le premier, les réflexions ont été décalées, de même que leur aboutissement, le concept stratégique ne devant sortir qu'à l'été 2022. Mais l'OTAN multiplie travaux et réflexions et tout se passe, d'après certains observateurs, comme si elle se livrait à une course de vitesse.

Au fond, la boussole stratégique est devenue un exercice à risque. Nous en avons identifié cinq, qui peuvent se recouper.

Le premier risque est bien sûr celui d'un document de faible envergure. La réaffirmation de la couverture atlantique réduit les ambitions de la plupart des États membres pour la PSDC.

L'analyse définitive des menaces, celle qui seront endossées politiquement dans la boussole, pourrait se concentrer sur les plus consensuelles, de type hybride et technologique, favorisant la résilience au détriment de la gestion de crise. Au moins deux années - celles de l'élaboration de la boussole - auront alors été perdues pour la PSDC. Ce demi-échec pourrait être relativisé - et rendu présentable - par des initiatives améliorant les seules missions civiles ou militaires non exécutives, que l'Allemagne préfère aux missions exécutives.

Le second risque est celui d'un document calé sur les seuls besoins de l'OTAN et qui se coulerait dans le concept stratégique. La boussole ne proposerait rien qui puisse doublonner les moyens de l'Alliance ou s'émanciper de ses ambitions - tant en matière militaire que de résilience. Ses principaux attendus concerneraient le partenariat avec l'OTAN. Il faudrait qu'un dialogue politique s'instaure entre Josep Borrell et le secrétaire général de l'OTAN pour dégager la cohérence nécessaire entre les deux exercices tout en garantissant l'autonomie de notre démarche. Rien n'indique qu'un tel dialogue puisse avoir lieu...

Le troisième risque est celui d'un document plus ambitieux, mais peu suivi d'effet. Des effets d'affichage seront peut-être recherchés. Quoi qu'il en soit, le document final pourrait comprendre des ouvertures intéressantes, notamment en matière de résilience concernant les espaces contestés, dont il faudra organiser la postérité. En matière de PSDC, la proposition française d'une force d'entrée en premier, dont vient de parler mon collègue, serait une avancée importante. Soutenue par Josep Borrell, elle pourrait apparaître acceptable, même dans une perspective atlantiste. C'est pourquoi devront être mis en place un mécanisme de suivi et un portage politique, suivant l'une des principales préoccupations française.

Le quatrième risque est à notre avis celui d'un document trop détaillé, au point d'en devenir contreproductif en cas de crise. L'épisode pandémique a montré que l'Union européenne est capable d'un sursaut de volonté à l'épreuve des faits. En cas de crise, un document très formalisé, surtout s'il préjuge d'une capacité d'action minimale, serait donc un carcan. Ce raisonnement vaut aussi pour les relations avec l'OTAN, vis-à-vis de laquelle des ajustements devront toujours rester possibles.

Le dernier risque est que la France, craignant que la boussole stratégique ne ternisse sa présidence, en fasse un peu trop. Gardons-nous de suivre notre tendance aux déclarations et à la promotion de concepts, qui effraient et indisposent nos partenaires ! Mais la France est écoutée, ses analyses sont attendues : elle devra, dans le respect d'autrui, assumer ses convictions, les expliquer et chercher à convaincre.

Un échec de la boussole stratégique serait très dommageable pour la PSDC : les désillusions en la matière font reporter à bien plus tard toute velléité de progrès.

Nous formulons ici un regret de taille, qui nous ramène à la méthode : les discussions sur la boussole stratégique n'ont pas été élargies aux Parlements, privant la boussole stratégique d'un levier d'enrichissement et de profondeur d'audience auprès des citoyens européens dont nous craignons fort de regretter l'absence quand il s'agira de parachever l'exercice. Nous proposons par ailleurs que la boussole stratégique fasse l'objet d'une révision tous les 5 ans. Il importera donc que les Parlements en soient systématiquement saisis.

Debut de section - PermalienPhoto de Cédric Perrin

Vous appelez notre attention sur la nécessité de rester attentifs à ce sujet et d'exercer un droit de suite. À cet égard, je vous signale que nous tiendrons au Sénat, le 25 février 2022, la conférence PESC/PSDC du volet parlementaire de la présidence française de l'Union européenne. Ce sera l'occasion de revenir sur ce sujet avec nos partenaires.

Debut de section - PermalienPhoto de André Guiol

Les rapporteurs ont évoqué le problème de la montée en puissance de la défense européenne et de l'OTAN. J'ai lu récemment que, pour de nombreux militaires américains, les deux étaient incompatibles, que c'était l'un ou l'autre. Comment montrer que ce peut être l'un et l'autre ?

Debut de section - PermalienPhoto de Hélène Conway-Mouret

Nous avions préconisé, dans notre rapport de 2019, l'écriture d'un Livre blanc, et estimons que l'Europe s'est ici dotée de l'outil nécessaire pour y aboutir, sur la base d'une analyse commune, à 27, des menaces. Puis il y a eu cette décision unilatérale du secrétaire général de l'OTAN d'engager un processus très similaire à celui de la boussole stratégique, nous privant d'un exercice véritablement autonome en nous poussant à l'insérer dans celui, beaucoup plus important, de l'Alliance atlantique. D'ailleurs, c'est devenu une sorte de course de vitesse, on voit que l'OTAN, qui se renouvelle, s'occupe désormais de réchauffement climatique, de résilience - bref, de sujets qui n'entrent pas dans ses prérogatives historiques.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Le Gleut

Rappelons-nous qu'un certain nombre d'États de l'Union européenne ne sont pas membres de l'OTAN. Les deux organisations ne se superposent pas. Pour que l'Union européenne puisse adopter une position, nous avions fait, dans notre rapport de 2019, la proposition d'un Livre blanc - l'idée n'était évidemment pas nouvelle, mais nous l'avions remise en avant. L'existence de cette boussole stratégique est donc une bonne nouvelle, elle s'inscrit ainsi dans les préconisations de notre commission d'il y a deux ans, et nous pourrons en tirer une certaine fierté. Le fait même que cet exercice existe, le fait que les services de renseignement des États membres de l'Union européenne aient des échanges en vue d'établir une analyse des menaces qui soit partagée, c'est une première. Cette avancée considérable répond au fond à votre question : c'est bien l'un et l'autre.

Debut de section - PermalienPhoto de Gisèle Jourda

Il a été évoqué un sujet qui nous a tenus à coeur, tant au sein de cette commission que dans celle des affaires européennes, c'est le Fonds européen de défense. C'est un élément fondateur pour la dimension européenne de la défense, alors qu'il a déjà été impacté financièrement. Est-il possible d'avoir des précisions sur les risques que cet instrument encourt ?

Debut de section - PermalienPhoto de Hélène Conway-Mouret

La France avait en effet soutenu un abondement du Fonds européen de défense à hauteur de 13 milliards d'euros. Nous en sommes à 8 milliards d'euros. Mais nous restons satisfaits, car c'est la première fois que l'Union européenne se dote d'un tel fonds. Dans le cadre de ce fonds, on dénombre 26 projets qui ont fait l'objet d'un processus très inclusif, qui encourage la greffe sur un grand projet initial de PME issues de divers États membres. C'est une bonne structure, qui va dans le bon sens. Bien sûr, le danger existe d'un saupoudrage de l'argent ne permettant pas de soutenir des projets permettant véritablement à l'Union européenne de rester concurrentielle sur le plan industriel. Mais le danger que nous venons d'évoquer résulte, lui, du fait que l'OTAN souhaite s'occuper d'innovation en créant son propre fonds, qui serait évidemment bien mieux abondé que le Fonds européen de défense et risquerait de s'y substituer. Nous avons résisté pour obtenir que les entreprises de pays non membres de l'UE ne puissent avoir accès au Fonds européen de défense. Les États-Unis, en particulier, dépensent des milliards en recherche et en innovation dans leur propre pays, et accéder au Fonds européen de défense leur permettrait d'avoir accès à l'argent du contribuable européen pour augmenter encore cette dépense. Certes, des entreprises européennes travaillent pour des entreprises américaines, ou sont les filiales de ces entreprises, qui essayent ainsi d'entrer dans le Fonds européen de défense par la petite porte. Il reste que ce fonds existe, qu'il a vocation à monter en puissance dans la durée et qu'il représente un progrès considérable. Dans notre rapport de 2019, nous avions par ailleurs proposé la création d'une direction qui elle aussi a été mise en place. En tout, deux de nos propositions ont ainsi prospéré... Quoi qu'il en soit, je ne sais pas si, dans vingt ans, le Fonds européen de défense aura ou non été absorbé par l'OTAN, je crains que la situation ne soit devenue un peu compliquée.

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

Je crois qu'il faut rester modestes, des collaborations entre services de différents pays existaient bien avant que ne commencent les travaux sur la boussole stratégique. Par ailleurs, nous sommes plusieurs ici à faire partie de l'assemblée parlementaire de l'OTAN, et, pour ma part, je suis agacée d'entendre revenir aussi souvent, au sujet de l'Alliance, les même discours et vieilles lunes. Il y a le propos d'Emmanuel Macron, cette vision presque romantique d'une Europe qui travaillerait à sa défense avec la Russie... Je voudrais rappeler que, selon les termes mêmes de son secrétaire général, l'Alliance atlantique est la plus réussie au monde, qu'aucun pays ne l'a jamais quittée et qu'elle assure notre défense sans qu'ait jamais été rencontré le moindre problème à ce sujet, même s'il existe des tensions aux frontières de l'Union européenne. De très nombreux États membres de l'Union européenne sont extrêmement favorables à l'OTAN, contrairement à ce que l'on peut entendre ici, tandis que d'autres ne veulent pas suffisamment contribuer - comme ils devraient le faire - au budget de l'Union européenne, si bien que la protection de l'OTAN est particulièrement bienvenue. Alors ce discours anti-otanien, qui tend à se répandre, cette petite musique, tout cela devient exaspérant pour les personnes qui voient ce qui se passe à l'OTAN, le travail qui y est accompli, dont tous mes collègues présents à l'assemblée parlementaire de l'OTAN sont, je crois, bien conscients.

La commission autorise la publication du rapport d'information.

Présidence de M. Christian Cambon, président -

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Cigolotti

Alors que les conflits interétatiques paraissaient presque obsolètes, le conflit du Haut-Karabagh est venu rappeler la possibilité d'un conflit territorial symétrique, classique dans son essence, sinon dans ses modalités. Cette guerre a été une « surprise stratégique » dont il convient de tirer les enseignements tant sur le plan géopolitique que sur le plan militaire.

Avec Marie-Arlette Carlotti, et nos collègues Gilbert Bouchet, Bernard Fournier et Joël Guerriau, nous avons auditionné des représentants de l'ensemble des parties prenantes, nos ambassadeurs en Arménie, en Azerbaïdjan et au sein du Groupe de Minsk, ainsi que de nombreux experts. Nous avons été frappés par la divergence des « narratifs » arménien et azerbaïdjanais, chaque partie ayant sa propre lecture de l'histoire. Le passé a créé des rancoeurs inimaginables. Nous prenons acte de ces divergences sans prétendre en démêler tous les tenants et aboutissants. L'essentiel est, selon nous, de se projeter vers l'avenir.

Nous avons tiré, de ce conflit du Haut-Karabagh, dix enseignements : Marie-Arlette Carlotti présentera d'abord cinq enseignements d'ordre géopolitique ; puis j'évoquerai cinq enseignements d'ordre militaire, car ce conflit hors normes pourrait bien, dans ses modalités, en annoncer d'autres.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Arlette Carlotti

L'histoire du Caucase du sud a été très marquée par la domination des puissances voisines, perse, russe et ottomane. Cette région demeure aujourd'hui une région sous influences.

Le premier enseignement de ce conflit, c'est la responsabilité manifeste de l'Azerbaïdjan et de la Turquie. Les négociations engagées depuis près de 30 ans s'enlisaient. La coprésidence du Groupe de Minsk - France, Etats-Unis, Russie - a proposé plusieurs plans de paix. Mais les parties n'ont jamais vraiment semblé prêtes à un compromis, les Arméniens ayant l'espoir de maintenir le statu quo sur les frontières de 1994, et les Azéris occupant ce temps à préparer la riposte, ce qui a été fait méticuleusement et avec le soutien de la Turquie.

Le déséquilibre économique entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan s'est vite traduit par un déséquilibre de leurs capacités militaires. Les deux pays investissent environ 5 % de leur PIB dans la défense, certes, mais pour l'Azerbaïdjan cela représentait 2,2 milliards de dollars en 2020, tandis que pour l'Arménie cela représentait 630 millions de dollars. L'Azerbaïdjan a profondément transformé son armée, avec l'aide de la Turquie qui a déployé 1500 à 2000 mercenaires syriens en appui - et qui sont peut-être encore aujourd'hui dispersés sur le territoire, ce qui pourrait être extrêmement dangereux.

La Turquie a joué un rôle déterminant dans le renversement du rapport de force et le déclenchement de la guerre. Chacune des interventions militaires turques récentes a répondu à une logique propre : problématique kurde, rivalités en Méditerranée orientale... Il en a été de même dans ce conflit. Soutenir l'Azerbaïdjan allait permettre à la Turquie d'étendre son influence politique et sa présence économique dans le Caucase, région clef où la Russie et l'Iran ont aussi des aspirations.

Face à cette situation, il est regrettable que le gouvernement français ait, du moins initialement, cru devoir adopter une position de neutralité. L'impartialité de la France en tant que co-présidente du Groupe de Minsk pouvait s'expliquer dans le cadre des négociations, pas en cas d'agression ni de recours aux armes. Ce fut une erreur de la part du gouvernement français.

La question du Haut-Karabagh doit figurer à l'agenda de nos relations diplomatiques, particulièrement dans nos relations avec la Turquie, dans toutes les enceintes pertinentes : relations bilatérales, dialogue UE-Turquie et OTAN.

Le deuxième enseignement c'est que ce conflit n'est peut-être pas terminé : l'instabilité demeure.

La déclaration tripartite du 9 novembre 2020 a permis de stopper l'avancée azérie. Environ un tiers du territoire du Haut-Karabagh est désormais sous le contrôle de l'Azerbaïdjan, de même que les sept districts conquis par les Arméniens pendant la première guerre. En Arménie, la guerre a créé un profond traumatisme, une inquiétude existentielle, l'hémorragie de toute une génération. Ceux qui ont survécu souhaitent bien souvent émigrer, notamment vers la Russie.

La pression s'est progressivement déplacée du Haut-Karabagh vers le territoire arménien lui-même, avec des incursions aux frontières et une impatience manifeste de la part de l'Azerbaïdjan à ouvrir des axes de communication et des couloirs sur le territoire arménien.

Aujourd'hui, tout est possible. Compte-tenu de certains discours aux accents nationalistes et belliqueux des dirigeants turcs et azéris, on peut légitimement craindre que l'Azerbaïdjan ne soit tenté de pousser plus loin son avantage. Dans ce contexte, le soutien de la France à l'Arménie est essentiel.

La sécurité des territoires demeurant sous administration du Haut-Karabagh repose entièrement sur les forces russes, soit 2000 soldats en théorie et probablement davantage en réalité. Les forces russes, qui avaient quitté l'Azerbaïdjan en 2012 sont désormais de nouveau présentes dans les trois pays du Caucase du Sud.

La Russie a donc les clefs en main. Elle a établi une sorte de protectorat sur le Haut-Karabagh et une relation de dépendance avec l'Arménie. La Russie a plus à gagner à discuter avec l'Azerbaïdjan où son influence a reculé au cours des dernières années qu'avec l'Arménie qui n'a plus grand-chose à faire peser dans la balance. C'est pourquoi la France doit la soutenir.

La France a laissé pendant longtemps le leadership russe s'exercer dans cette région. Elle doit désormais entreprendre un dialogue renforcé avec la Russie pour l'inciter à jouer un rôle constructif.

Le troisième enseignement du conflit, c'est la nécessité de reconstruire le processus multilatéral.

La Russie privilégie le cadre trilatéral qui lui permet d'être la seule médiatrice entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, et laisse une part résiduelle au Groupe de Minsk. Or, les nombreuses questions qui restent en suspens entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan redonnent une certaine utilité au Groupe de Minsk, moyennant une extension de son mandat et un accroissement de ses moyens.

La question des prisonniers est prioritaire pour l'Arménie ; celle des mines antipersonnel est prioritaire pour l'Azerbaïdjan. Il s'agit de « donnant-donnant », comme l'a montré récemment la libération de prisonniers contre la remise de cartes des mines par la partie arménienne, chacun gardant une monnaie d'échange, ce qui explique que cette question évolue lentement.

Il faudrait par ailleurs inciter les deux pays à signer la Convention d'Ottawa sur l'interdiction des mines anti-personnel.

S'agissant de la frontière, sa délimitation et sa démarcation ne sauraient être réglées par le fait accompli. Une négociation est là aussi nécessaire. La création de zones tampons et le déploiement d'observateurs de l'OSCE, au moins sur les 400 kilomètres de frontières contestée, permettraient de rétablir une certaine confiance.

La question du statut du Haut-Karabagh doit rester posée au niveau international. C'est le sens de la résolution du Sénat du 25 novembre dernier.

Enfin, l'élection d'un nouveau président américain a créé un contexte favorable pour donner de l'oxygène à la négociation. Désormais, la France et les États-Unis devraient travailler main dans la main pour promouvoir, dans la région, des États forts et démocratiques. La Russie et la Turquie n'agiront pas dans ce sens, préférant probablement des États faibles et peu démocratiques.

La relance du Groupe de Minsk serait facilitée par un renouvellement du mandat des co-présidents et par un renforcement de leurs moyens. Ces moyens sont très réduits au regard de ceux d'une mission de l'OSCE : 1300 personnes sont par exemple engagées au sein de la Mission spéciale d'observation en Ukraine. Le Groupe de Minsk, avec 3 ambassadeurs et 1 représentant de l'OSCE ne dispose pas, par exemple, d'observateurs sur place pour élaborer sa propre évaluation de la situation. De plus, le mandat actuel des co-présidents comporte l'éventualité d'un déploiement d'une force de maintien de la paix. Il conviendrait d'examiner à nouveau cette possibilité.

Le quatrième enseignement de ce conflit est relatif au patrimoine culturel de cette région du Caucase du Sud, berceau de l'humanité, qui abrite un patrimoine religieux chrétien au coeur de l'identité arménienne.

Les Azéris développent une théorie, non reconnue par la communauté scientifique internationale, d'après laquelle une partie du patrimoine arménien serait un patrimoine albanais du Caucase, antérieur à l'arrivée des Arméniens.

Le conflit récent suscite de fortes inquiétudes : 1500 monuments arméniens sont passés sous le contrôle de l'Azerbaïdjan. On peut espérer la conservation des monuments les plus connus, surveillés par satellites, dont la destruction susciterait la réprobation de la communauté internationale. Mais le risque de destruction ou de dénaturation est plus fort sur le petit patrimoine, les stèles, les pierres-croix, les cimetières...

Une mission d'inventaire préliminaire a été proposée par l'UNESCO. L'Azerbaïdjan en a accepté le principe pour trois régions. La balle semble désormais dans le camp de l'Arménie. Or, cette mission, même imparfaite et limitée, est une nécessité pour enclencher un processus impliquant davantage l'UNESCO dans la protection du patrimoine de la région.

Par ailleurs, la communauté internationale s'est fortement mobilisée, et la France a été à l'avant-garde par l'intermédiaire de l'Institut National du Patrimoine. Mais désormais, il faut avancer. Pour cela, il serait utile de créer un groupe de contact impliquant des experts internationaux susceptibles de servir d'intermédiaires, afin qu'un dialogue puisse s'instaurer entre les parties.

Enfin, le cinquième et dernier enseignement est d'ordre économique et culturel. Si nous avons des marges de progrès, c'est bien dans le domaine économique, tant pour l'UE que pour la France. En 2019, les échanges commerciaux de l'UE avec l'Azerbaïdjan étaient dix fois plus élevés que ses échanges commerciaux avec l'Arménie. L'ouverture récente du corridor gazier sud-européen renforcera encore les liens économiques avec l'Azerbaïdjan, bien placé, par ailleurs, dans le projet chinois des « Routes de la soie », alors que l'Arménie demeure marginalisée.

Les relations bilatérales de la France avec ces deux pays sont également très déséquilibrées en faveur de l'Azerbaïdjan. Les relations économiques de la France avec l'Arménie ne sont pas à la hauteur de ce qu'elles devraient être.

La France a, par ailleurs, livré à l'Azerbaïdjan, depuis 2011, 148 millions d'euros de matériels soumis à autorisation préalable d'exportation : un satellite, alors qu'aucun matériel de ce type n'a été livré à l'Arménie sur cette période.

En fait : c'est l'humanitaire et le mémoriel pour l'Arménie, et le business pour l'Azerbaïdjan.

La diaspora pourrait jouer un rôle. Mais quel est le projet français porté par la diaspora arménienne ? Orange a rapidement quitté l'Arménie à cause de la corruption, Carrefour a mis sept ans à s'installer. L'Union Européenne et la France doivent participer au désenclavement économique de l'Arménie.

Dans le domaine culturel, nous demandons que le Fonds pour les écoles chrétiennes francophones d'Orient soit renforcé et mis à contribution pour aider les écoles francophones du Caucase du sud.

Cette affaire du Haut-Karabagh est très grave. Demain, quel sera le prochain théâtre ? Pourquoi Erdogan et Poutine s'arrêteraient-ils alors qu'il n'y a aucun répondant du côté occidental ?

Ce qui manque à la France et à l'Union Européenne, c'est une vision stratégique. C'est d'autant plus regrettable que lorsque l'on demande aux Arméniens : « quel est le meilleur ami de l'Arménie ? », ils répondent « la France ».

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Cigolotti

Le sixième enseignement de ce conflit est relatif à la place nouvelle des drones comme acteurs incontournables de la troisième dimension.

Dans cette guerre, les drones ont rempli les fonctions complètes, classiques, de l'arme aérienne - renseignement, coordination, appui-feu, frappes - à un coût bien moindre.

Ce conflit a contribué, avec d'autres, à l'émergence d'une nouvelle doctrine d'emploi des drones. Ceux-ci sont en effet, progressivement, intégrés à de vastes dispositifs offensifs, en coordination avec l'artillerie et l'usage de munitions télé-opérées dites « maraudeuses ». Ainsi, le conflit du Haut-Karabagh est symptomatique d'une étape intermédiaire entre la « dronisation des forces », qui s'est imposée depuis 30 ans, et le « combat collaboratif en essaim », qui pourrait devenir une réalité dans 30 ans.

Je ne m'attarderai pas sur ce sujet, également développé dans l'excellent rapport de nos collègues sur les drones, mais la France continue d'avoir un emploi « stratégique » de ses drones MALE Reaper armés, pour des opérations de haute valeur ajoutée. Certes, une partie de notre retard devrait être rattrapée, avec l'arrivée dans les forces du système de drones tactiques et des acquisitions dans le domaine des drones de contact. Nos forces devraient être équipées de plus de 1000 drones d'ici trois ans. Mais il reste à tirer tous les enseignements des conflits récents, s'agissant des drones et munitions télé-opérées d'emploi « tactique », au profit des unités de première ligne, et de l'usage de matériel moins coûteux, pouvant être considéré comme « consommable » sur de courtes périodes.

Le septième enseignement porte sur l'importance des défenses sol-air et de la lutte anti-drones.

Les défenses sol-air arméniennes, pourtant denses, ont été dépassées par l'offensive azerbaidjanaise. La mauvaise prise en compte de la menace « drones » dans la définition des capacités a eu des conséquences dévastatrices. La France n'est certes pas dans la situation de l'Arménie. Mais force est de constater que les défenses sol-air ont été négligées, de façon d'ailleurs logique, en raison des contraintes budgétaires, dans le contexte post-guerre froide, alors que nos OPEX se font en situation de supériorité aérienne.

Il faut désormais anticiper des situations dans lesquelles nos forces seraient la cible d'actions impliquant l'emploi de drones et de munitions télé-opérées. La combinaison des drones, en nombre important, et de moyens plus classiques pose de nombreux défis en termes de détection, de neutralisation et de coordination de la défense. Les défenses sol-air, incluant la défense de proximité des unités terrestres, constitueront un enjeu majeur de la prochaine LPM.

Huitième enseignement : ce conflit est un exemple de ce que peut être la « haute intensité ».

Cette guerre a vu le retour de la manoeuvre, avec une armée de l'Azerbaïdjan à l'offensive, mettant en oeuvre toute la gamme de matériels à sa disposition. Ce type de dispositif nécessite un système de commandement et de coordination qui doit parfaitement fonctionner. La fonction logistique y est essentielle. La guerre de haute intensité est une guerre de stocks, une guerre économique, très consommatrice en équipements et en munitions. Elle implique un risque de pertes humaines plus importantes que celles que la France subit en OPEX : 4000 soldats arméniens tués, c'est un chiffre considérable pour un pays qui compte moins de 40 000 naissances par an - environ 10 % d'une classe d'âge. Les pertes matérielles sont également impressionnantes.

L'armée de terre française a subi au cours des dernières décennies des choix budgétaires, qui ont conduit à délaisser une partie du matériel utile à la haute intensité. Le développement de ce matériel spécifique, et l'accroissement des volumes d'équipements et de munitions, doivent être planifiés au cours des années à venir. L'armée de terre ne dispose plus, par exemple, de moyens de minage anti-chars mécaniques, ni de moyens de déminage lourds. Le système de déminage actuel est fondé sur un engin blindé du génie qui a près de 40 ans d'âge.

L'Azerbaïdjan a fait usage de lance-roquettes multiples et de missiles balistiques. Pour le même usage, la France dispose du lance-roquettes unitaire (LRU) qui répond toutefois davantage à une logique de précision que de saturation. Par ailleurs, les drones « consommables » tendent à devenir des équipements incontournables.

De façon générale, l'arbitrage entre masse/rusticité et technologie, voire haute-technologie, doit être repensé en profondeur. Ce sera l'un des enjeux du programme Titan de renouvellement du segment lourd de l'armée de terre et, en particulier, des programmes menés en coopération avec l'Allemagne (MGCS).

Le 9e enseignement que nous tirons de ce conflit porte sur l'importance de la réactivité, face au risque de surprise stratégique.

Les hypothèses d'engagement majeur doivent prendre en compte la possibilité d'un préavis très court et donc d'une montée en puissance très rapide.

Comme la Revue stratégique de 2017 et son Actualisation de 2021 l'ont bien souligné, la fonction « connaissance et anticipation » est essentielle. Son renforcement doit se poursuivre, notamment dans le domaine de l'analyse du renseignement.

Afin de réduire les effets d'inertie des programmes et opérations d'armement, il faut renforcer leur capacité à intégrer rapidement des modifications de l'environnement stratégique ou technologique. Ceci vaut tant pour la conduite des programmes nationaux que pour celle des programmes internationaux dont la gouvernance est particulièrement complexe.

Enfin, le 10e et dernier enseignement de cette guerre du Haut-Karabagh porte sur les partenariats militaires et la complexification des conflits.

À l'heure où la France cherche à contribuer à la montée en puissance des armées de pays partenaires, dans le cadre de partenariats militaires opérationnels, le conflit du Haut-Karabagh a donné l'exemple d'un partenariat particulièrement efficace entre l'Azerbaïdjan et la Turquie, dont certains enseignements positifs pourraient probablement être tirés.

Mais ce partenariat entre l'Azerbaïdjan et la Turquie illustre aussi une tendance à la complexification des conflits, qui est un facteur d'aggravation de la violence. La guerre du Haut-Karabagh en a donné deux exemples.

S'agissant tout d'abord du déploiement de mercenaires par la Turquie, il convient de rester pleinement mobilisé sur ce sujet qui monte en puissance, de même que celui des sociétés militaires privées, alors que la France réprime l'activité de mercenaire par la loi du 14 avril 2003. Nous n'avons pas pu déterminer avec précision où se trouvent aujourd'hui ces mercenaires.

S'agissant du commerce des armes, l'embargo de l'OSCE doit être réaffirmé avec force et rendu, dans la mesure du possible, plus effectif et plus contraignant. Cet embargo souple n'a pas empêché l'Azerbaïdjan de s'équiper de matériels de guerre de haute technologie auprès de ses partenaires, notamment turc et israélien, s'agissant en particulier des drones. La présence de composants canadiens sur les drones turcs Bayraktar TB2 a, par ailleurs, été mise en évidence pendant le conflit, démontrant la difficulté à faire respecter ce type d'embargo purement incitatif, non contrôlé et non sanctionné, même verbalement, qui peut être contourné de multiples manières.

Pour conclure, cette guerre dramatique du Haut-Karabagh, qui a duré 44 jours, n'est donc pas une guerre lointaine, anecdotique, encore moins un accident de l'histoire. C'est une guerre qui nous concerne car elle illustre des tendances géopolitiques profondes, et parce qu'elle annonce, dans ses modalités, ce que pourraient être les conflits futurs. La surprise stratégique et l'avance technologique ont toujours été des facteurs de supériorité décisifs dans la guerre. Un conflit « classique » dans son essence peut donc s'accompagner d'éléments novateurs : c'est le cas de celui du Haut-Karabagh.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cambon

Merci pour ces observations et recommandations tout à fait intéressantes. La situation en Arménie est préoccupante, pour ne pas dire dramatique, comme nous l'avons constaté avec le Président Gérard Larcher lors de notre déplacement dans ce pays. J'approuve ce qui a été dit sur l'ambiguïté de la position de la France. Il nous faudra interroger à nouveau le Ministre de l'Europe et des affaires étrangères sur ce point.

La situation politique en Arménie s'est clarifiée avec la réélection du Premier Ministre Nikol Pachinian. Mais l'Azerbaïdjan rêve de relier la mer Noire à la mer Caspienne, en établissant un couloir à travers l'Arménie entre les territoires récemment reconquis et l'enclave du Nakhitchevan. Les avancées de l'armée azerbaidjanaise portent atteinte à la souveraineté de l'Arménie. Une relance du Groupe de Minsk est nécessaire, comme le proposent les rapporteurs, alors que la Russie est aujourd'hui seule garante de la sécurité de l'Arménie.

Par ailleurs, lors de ce conflit, des drones armés de petite taille ont fait des dégâts considérables. Les soldats arméniens ont pu être repérés grâce aux ondes de leurs téléphones portables. Les blessures infligées sont effroyables. En matière de drones, la France travaille sur des équipements lourds - l'Eurodrone - mais la tendance est aujourd'hui à la multiplication de drones plus simples, plus petits. C'est une évolution que nos forces armées ont commencé à intégrer.

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

Merci pour cet excellent rapport. Depuis 2004, je représente le Sénat au sein de la Commission nationale pour l'élimination des mines antipersonnel. Je souhaiterais revenir sur cette question des mines. Le lobbying azerbaïdjanais est considérable, non seulement auprès des parlementaires, mais aussi sur les réseaux sociaux, où le discours anti-arménien est très présent. Avez-vous des informations chiffrées objectives sur ces mines antipersonnel ? Il me semble que nous devrions aussi interroger le Ministre de l'Europe et des affaires étrangères à ce sujet qui est instrumentalisé par l'Azerbaïdjan. Comme l'ont rappelé les rapporteurs, la disproportion des moyens entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan est considérable.

Debut de section - PermalienPhoto de Bruno Sido

L'Arménie n'a pas utilisé ses moyens aériens. Ses forces ont subi les attaques sans réagir. Si l'Arménie avait utilisé ses avions de chasse, cela aurait-il changé les choses ?

Debut de section - PermalienPhoto de Mickaël Vallet

La résolution du Sénat sur la reconnaissance du Haut-Karabagh a-t-elle eu une utilité immédiate, a-t-elle fait bouger les lignes ? Cette résolution a-t-elle influé sur les orientations du gouvernement français, trop attentiste, alors qu'il aurait fallu passer d'une attitude équilibrée à davantage de fermeté, dès lors qu'il y avait agression ?

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Cigolotti

Le sujet des mines antipersonnel est très complexe. Ni l'Arménie ni l'Azerbaïdjan n'ont adhéré à la Convention d'Ottawa. Aux mines posées lors de ce conflit s'ajoutent celles issues du conflit antérieur. On estime que la superficie des zones minées est de l'ordre de 1500 km2. C'est un sujet de négociation : des restitutions de prisonniers sont intervenues en échange de l'obtention de cartes des mines sur certaines zones. La question des prisonniers est d'ailleurs elle aussi l'objet d'interprétations divergentes. Pour l'Azerbaïdjan, les seuls prisonniers restants sont des soldats arméniens qui se seraient infiltrés sur le territoire azerbaïdjanais après le cessez-le-feu.

L'aviation a en effet été très peu utilisée dans ce conflit, par crainte des défenses antiaériennes. L'utilisation des drones a été déterminante, mais pas décisive. Ces drones ont permis de saturer les défenses aériennes. L'Arménie n'a pas pu répliquer.

Concernant la résolution du Sénat, elle a été très mal perçue par les autorités azerbaidjanaises. C'est un sujet à double tranchant, car si l'on reconnaît le Haut-Karabagh, comment évolueront les autres conflits dits gelés ? Le Sénat a souhaité réagir, ajouter un élément à la négociation.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Arlette Carlotti

L'Arménie a, elle aussi, posé des mines antipersonnel. 747 victimes ont été recensées avant le conflit récent, souvent des civils. Deux journalistes ont été tués en 2020. Les deux parties se renvoient la responsabilité du minage, aucune des deux n'ayant signé la Convention d'Ottawa. Les Arméniens communiquent les cartes au compte-goutte. Les Azéris utilisent les prisonniers comme monnaie d'échange. La diplomatie azerbaidjanaise a été très active auprès de la communauté internationale et ce travail a payé.

La résolution du Sénat a été très importante pour le peuple arménien, qui s'est senti à nouveau soutenu par la France, alors que le gouvernement français avait été d'une prudence infinie. Cette résolution est sur la table. Je ne suis pas sûre que l'on puisse avancer beaucoup sur la question de la reconnaissance du statut du Haut-Karabagh, mais peut-être peut-on avancer sur d'autres questions. Par exemple, l'ambassadeur de France en Arménie ne peut pas se rendre au Haut-Karabagh. Le représentant de l'Artsakh à Paris n'a pas de statut officiel. Peut-être peut-on avancer sur des questions de ce type.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cambon

Cette résolution était un acte politique nécessaire. Sa portée a été d'autant plus grande qu'elle a fait l'objet d'une quasi-unanimité du Sénat. Elle a eu un écho important sur place. Mais ce genre de conflit se prête rarement à une interprétation manichéenne. Les territoires restitués avaient été conquis par les Arméniens en 1994. L'histoire et la géographie sont d'une complexité extrême.

Que peut faire la France ? Nous souhaitons qu'elle réactive autant que possible le Groupe de Minsk. Les Azerbaidjanais communiquent dans le sens d'un apaisement, sur la reconnaissance du rôle de l'UNESCO par exemple. Ils estiment avoir libéré tous les prisonniers de guerre et ne détenir que des prisonniers capturés lors d'une incursion postérieure au cessez-le-feu. Il nous est très difficile de trancher face à ces interprétations divergentes. Nous resterons vigilants et nous réinterrogerons le Ministre à ce sujet. L'Azerbaïdjan est, certes, un partenaire économique important. Mais nos relations économiques et culturelles avec l'Arménie doivent être renforcées. L'Agence française de développement est, par exemple, très insuffisamment impliquée dans ce pays.

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Cigolotti

On parle souvent d'échec du Groupe de Minsk. Mais celui-ci manque cruellement de moyens. Et surtout, il n'y a jamais vraiment eu de volonté de négocier de la part des deux parties.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Arlette Carlotti

La France doit avoir une vraie stratégie dans cette région. Elle est attendue. Notre communauté arménienne doit poursuivre son action dans le domaine mémoriel, mais aussi investir en Arménie et contribuer à l'indépendance économique de ce pays.

La publication du rapport est approuvée.

La commission nomme rapporteurs :

Alain Houpert sur le projet de loi n° 670 (2020-2021) autorisant l'approbation de l'avenant à l'accord de sécurité sociale sous forme d'échange de lettres des 7 et 20 septembre 2011 entre le Gouvernement de la République française et l'Organisation internationale pour l'énergie de fusion en vue de la mise en oeuvre conjointe du projet ITER ;

MM. Hugues Saury et Rachid Temal sur le contrat d'objectifs et de moyens (COM) de l'AFD.

La réunion est close à 12 h 05.