Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation

Réunion du 30 mars 2022 à 17h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Emmanuel Capus

président. – Le Gouvernement nous a fait parvenir vendredi dernier un projet de décret d’avance portant ouverture de 5,9 milliards d’euros en autorisations d’engagement et en crédits de paiement afin de financer des dépenses urgentes.

En application de l’article 13 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) du 1er août 2001, ce décret doit être pris sur avis du Conseil d’État et après avis des commissions des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat, qui disposent pour cela d’un délai de sept jours à compter de la notification qui leur a été faite du projet de décret. Aussi le rapporteur général nous exposera demain matin un projet d’avis sur lequel notre commission devra statuer.

Vous avez souhaité préalablement nous présenter les motivations de ce décret d’avance, monsieur le ministre, ce dont nous vous remercions. Votre audition permettra à notre commission d’être pleinement éclairée sur les raisons de l’utilisation de cette procédure, qui constitue une dérogation au principe de l’autorisation parlementaire de la dépense. Alors qu’aucun décret d’avance n’avait été pris au cours des années 2018 à 2020, cette procédure a été activée le 19 mai 2021 pour un montant de 7,2 milliards d’euros. C’est donc le second décret d’avance que vous venez nous présenter. Celui-ci n’épuise pas la totalité de la marge de manœuvre de 1 % des crédits ouverts en loi de finances initiale, mais son montant reste élevé.

Debut de section - Permalien
Olivier Dussopt, des finances et de la relance, chargé des comptes publics

ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics. – L’invasion russe de l’Ukraine a des conséquences économiques importantes, qui conduisent le Gouvernement à solliciter l’avis du Parlement sur ce décret d’avance. Elle a aggravé la forte hausse des prix de l’énergie que nous connaissons depuis l’automne dernier et nous avait déjà conduits à prendre des mesures pour les ménages ; elle complique aussi notre approvisionnement en matières premières dans le secteur agricole, ainsi que pour certains métaux et intrants chimiques. Les conséquences de cette guerre sont avant tout humaines : un nombre grandissant d’Ukrainiens se réfugient dans les pays européens et jusqu’en France ; nous devons les accueillir dans les meilleures conditions possible.

Pour financer le plan de résilience économique et sociale, ainsi que l’accueil de ces réfugiés, il nous faut ouvrir les crédits nécessaires en urgence. Tel est l’objet de ce décret : non pas couvrir l’ensemble des conséquences budgétaires de l’invasion russe, mais mettre à la disposition du Gouvernement les crédits immédiatement nécessaires pour faire face à l’urgence de la situation, à hauteur de 5,9 milliards d’euros, alors que la totalité du plan de résilience est estimée un peu au-dessus de 7 milliards d’euros.

Ces crédits nous permettront de mettre en œuvre jusqu’au mois de juillet les mesures annoncées par le Premier ministre, sans préempter les choix du Gouvernement et du Parlement qui résulteront des prochaines élections, qui pourraient s’incarner dans une loi de finances rectificative.

L’article 13 de la LOLF prévoit que les décrets d’avance doivent être équilibrés budgétairement. C’est pourquoi je vous présente aussi des annulations de crédits d’un montant strictement égal aux ouvertures. Précisons que ces annulations ne conduisent à l’arrêt ou à la réduction d’aucun dispositif, car elles sont prises pour l’essentiel sur les réserves de précaution. Ces mouvements de trésorerie donneront lieu, chaque fois que nécessaire, à des reconstitutions de crédits lors d’une future loi de finances rectificative.

Le soutien à nos entreprises, à nos emplois et au pouvoir d’achat des Français a été présenté par le Premier ministre. Afin d’amortir le choc de la crise énergétique, nous avons mis en place une remise à la pompe de 15 centimes d’euro par litre hors taxe du 1er avril au 31 juillet pour tous les consommateurs, ce qui requiert un effort financier de 3 milliards d’euros.

Nous allons aussi compenser une part des factures de gaz et d’électricité des entreprises dont la facture d’énergie représente plus de 3 % de la valeur de production et qui subissent des pertes d’exploitation du fait de la crise. Ces aides pourront atteindre 25 millions d’euros par entreprise, voire 50 millions à titre dérogatoire, sur une période de dix mois. Nous estimons le coût de cette mesure à plus de 3 milliards d’euros, mais il dépend de l’évolution des prix au cours de l’année. Nous calons donc son financement jusqu’à la fin de juillet, quitte à l’actualiser à la hausse dans une loi de finances rectificative pour la suite.

En parallèle, nous avons engagé une réflexion sur un dispositif à destination des ménages modestes utilisant leur voiture pour aller travailler. En l’absence d’arbitrages, des crédits n’y sont pas encore affectés.

D’autres mesures du plan de résilience visent à protéger les entreprises connaissant des difficultés temporaires de trésorerie. Nous avons renforcé les prêts garantis par l’État : ils resteront accessibles jusqu’au 31 juillet à toutes les entreprises éligibles. Pour les entreprises particulièrement affectées par les conséquences économiques du conflit ukrainien, nous relevons le montant maximal de ce prêt à 35 % du chiffre d’affaires et nous mettons en place une facilité de trésorerie garantie par l’État à hauteur de 10 % du chiffre d’affaires ; ces entreprises pourront aussi recourir à des prêts industrie de BpiFrance et aux dispositifs de report des charges sociales et fiscales mis en place pour la crise sanitaire, mais aussi continuer de profiter pendant 12 mois des accords d’activité partielle de longue durée (APLD) déjà signés ou en négocier de nouveaux jusqu’au 31 décembre prochain.

Enfin, pour soutenir les filières les plus affectées, nous proposons des mesures sectorielles. Ainsi, nous mettons en place une aide aux éleveurs pour prendre en charge une partie de la hausse du prix de l’alimentation animale pour 4 mois, à compter du 1er avril ; nous ouvrons à cette fin 400 millions d’euros de crédits. Nous attribuons aussi 150 millions d’euros de crédits supplémentaires à la Mutualité sociale agricole (MSA) pour la prise en charge des cotisations patronales de ces agriculteurs. Enfin, nous prévoyons un mécanisme d’avance sur le remboursement du gazole non routier (GNR) au titre de 2022 pour les exploitants agricoles, à hauteur de 25 % des consommations de 2021.

D’autres mesures stratégiques sont lancées, notamment de nouvelles négociations commerciales pour sécuriser nos producteurs agroalimentaires, ou encore la sécurisation de notre production d’engrais et de protéines végétales.

Un dispositif exceptionnel est aussi prévu pour les marins pêcheurs, qui prendra en compte un surcoût du litre de carburant de 35 centimes d’euro du 17 au 31 mars, puis de 20 centimes jusqu’au 31 juillet en complément de la réduction transversale de 15 centimes par litre. Un premier acompte sera versé par l’Enim à ceux qui en feront la demande. Le coût de ce dispositif est de 30 millions d’euros. Nous travaillons aussi sur ce sujet avec les collectivités locales.

Pour les transporteurs, nous ne prendrons pas en compte la remise de 15 centimes pour le niveau de désindexation du gazole, ce qui représente une économie de 1 500 euros par camion sur 4 mois. Le remboursement partiel de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) sera mensualisé pour donner de la trésorerie aux entreprises concernées. Enfin, 400 millions d’euros de subventions seront accordés sous forme d’une aide aux véhicules, au titre des pertes de ces dernières semaines.

Les aides sectorielles font l’objet de discussions avec les organisations professionnelles et la Commission européenne, de manière à respecter la réglementation sur les aides d’État.

Nous prenons aussi des mesures spécifiques pour les taxis, qui recevront une avance sur le remboursement de la TICPE pour 2022 à hauteur de 25 % des consommations de 2021.

Dans le secteur des travaux publics, nous demandons un effort aux acteurs publics afin d’inclure des clauses de révision des prix dans les contrats et de ne pas appliquer de pénalités de retard quand celui-ci est dû à la crise. Nous envisageons aussi une compensation de la hausse du prix du GNR.

Les crédits ouverts par ce décret d’avance permettront aussi de financer l’accueil des populations ukrainiennes réfugiées en France. Elles pourront ainsi bénéficier de l’allocation prévue dans le statut de la protection temporaire, afin de se loger et de subvenir à leurs besoins.

Au total, nous proposons d’ouvrir 5,95 milliards d’euros de crédits. Le respect du critère d’urgence nous conduit à considérer que les crédits ainsi ouverts couvriront les besoins jusqu’à la fin de juillet. Plus précisément, 2,99 milliards d’euros financeront la remise à la pompe de 15 centimes, dans le programme 345 « Service public de l’énergie » ; 1,5 milliard d’euros aideront les entreprises à faire face aux pertes liées à la crise énergétique, dans le programme 134 « Développement des entreprises et régulation » ; 550 millions d’euros viendront soutenir l’agriculture, dans le programme 149 « Compétitivité et durabilité de l’agriculture, de l’agroalimentaire, de la forêt, de la pêche et de l’aquaculture » et 30 millions d’euros sont destinés à l’aide aux marins pêcheurs dans le même programme ; 340 millions d’euros iront au transport routier, dans le programme 203 « Infrastructures et services de transport » ; 80 millions d’euros serviront à la mise en place des mesures concernant les entreprises de travaux publics, dans le programme 134 « Développement des entreprises et régulation ». Enfin, sur les 400 millions d’euros consacrés à l’accueil des populations ukrainiennes, 300 millions iront au programme 303 « Immigration et asile », et 100 millions au programme 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables ».

Quant aux annulations de crédits symétriques imposées par la LOLF, je tiens à vous garantir que les administrations concernées pourront assurer toutes leurs missions sans être affectées par ces annulations. Les besoins des ministères pour la mise en œuvre des dispositifs adoptés dans la dernière loi de finances et dans les différentes lois de programmation seront réexaminés lors de la prochaine loi de finances rectificative pour reconstituer tous les crédits nécessaires.

Ainsi, le décret procède à des annulations de crédits d’un montant de 3,474 milliards d’euros sur le périmètre de la mission « Plan d’urgence face à la crise sanitaire », avec 1,924 milliard d’euros prélevé sur le programme 358 « Renforcement des participations financières de l’État dans le cadre de la crise sanitaire », 550 millions d’euros prélevés sur le programme de prise en charge du chômage partiel, 500 millions sur le programme du fonds de solidarité et 500 millions sur le programme de compensation à la Sécurité sociale des allègements de prélèvements.

Nous proposons aussi d’annuler 488 millions d’euros de crédits sur le programme 825 « Avances à des organismes distincts de l’État et gérant des services publics », au vu de moindres risques que prévu pour la liquidité de ces établissements.

Enfin, nous proposons des annulations transverses de crédits du budget général de l’État, pour un montant de 1,988 milliard d’euros. Tous les ministères contribuent solidairement à l’équilibre général, selon une base homothétique ; seuls les programmes déjà en tension sont épargnés. Les annulations portent sur environ 25 % des crédits mis en réserve des ministères ; cela ne les empêchera pas de fonctionner. Il s’agit d’un ajustement budgétaire temporaire, qui sera sans impact.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

rapporteur général. – Merci pour votre présentation du second plus important décret d’avance jamais présenté par un gouvernement. Les ouvertures de crédits proposées portent pour moitié sur un dispositif général de réduction des prix des carburants ; l’autre moitié concerne des dispositifs sectoriels.

Contrairement aux décrets d’avance plus « classiques », celui-ci permet au Gouvernement de mettre en place des mesures nouvelles. Les modalités de la plupart de ces dispositifs ne sont d’ailleurs pas présentées avec une grande précision. Ainsi de l’aide offerte aux éleveurs : pouvez-vous nous expliquer ses critères d’obtention et son mécanisme d’attribution ? Nous n’avons pas connaissance du dispositif susceptible d’être mis en place, des éleveurs m’interrogeaient ce matin encore à ce sujet…

Plus généralement, l’urgence d’une action résolue paraît établie, au vu de la situation difficile causée par la hausse des prix de l’énergie et l’augmentation des coûts de certains intrants ; ces difficultés résultent en particulier, mais pas uniquement, de la guerre en Ukraine. Je regrette que le Gouvernement multiplie les dispositifs nouveaux alors que la crise actuelle ne fait qu’accentuer la hausse des coûts de l’énergie déjà constatée à l’automne dernier ; chacun des plans alors déployés devait répondre définitivement à cette situation.

Quant aux annulations de crédits, elles sont techniquement égales aux ouvertures et portent largement sur des crédits reportés. Certes, mais pour dire les choses autrement : vous venez de procéder au report de crédits non consommés de manière à pouvoir les annuler. Samedi dernier, les crédits disponibles pour la mission « Plan d’urgence face à la crise sanitaire » étaient de 155 millions d’euros seulement ; le présent décret en annule 3,5 milliards, soit 20 fois plus ! Depuis samedi, 11 arrêtés de report sont parus au Journal officiel : ce matin même, vous avez reporté plus de 5 milliards d’euros non consommés en 2021 depuis les programmes du plan d’urgence vers les mêmes programmes pour 2022, mais aussi 1 milliard d’euros vers le programme 367, qui finance des prises de participation de l’État sans lien direct avec la crise sanitaire. Vous utilisez donc la réserve de budgétisation constituée à la fin de 2021. Le décret d’avance sera techniquement gagé et n’accroîtra pas par lui-même le déficit budgétaire, mais c’est bien le cas des reports qui sont nécessaires à sa mise en œuvre.

Les autres annulations de crédits portent sur la quasi-totalité des missions des ministères, sauf, par exemple, la mission « Aide publique au développement ». Pourquoi avoir préservé cette mission, tandis que, par ailleurs, les crédits annulés de la mission « Défense » sont les plus importants en valeur absolue, en dépit du caractère essentiel du développement des moyens de la défense nationale ? Certes, il ne s’agirait selon vos propos que de mouvements de crédits temporaires, qui seraient compensés dans une prochaine loi de finances rectificative. Nous confirmez-vous que ce décret ne respecte les règles de la LOLF que de manière formelle ? Comment pouvez-vous annoncer le contenu d’un projet de loi qui ne sera pas déposé par votre Gouvernement, mais par celui qui résultera des choix faits par les électeurs dans les prochaines semaines ?

Si ce décret d’avance répond à l’évidence à une nécessité, un certain nombre d’interrogations demeurent. Je présenterai demain à notre commission une analyse plus approfondie.

Debut de section - PermalienPhoto de Emmanuel Capus

président. – J’ai une question similaire à celle de notre rapporteur général : vous avez annoncé le rétablissement de certains crédits dans une prochaine loi de finances rectificative ; avez-vous une idée du délai dans lequel celle-ci devrait être adoptée ? Serait-ce avant ou après les prochaines élections législatives ?

Debut de section - Permalien
Olivier Dussopt, ministre délégué

– Les dispositifs sectoriels, notamment dans l’agriculture, sont connus dans leur principe, mais chaque ministère mène des discussions avec les organisations professionnelles pour préciser les critères d’attribution ; je ne puis donc encore répondre dans le détail aux éleveurs sur ce point.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

rapporteur général. – Ils vont être déçus !

Debut de section - Permalien
Olivier Dussopt, ministre délégué

– Les mesures que nous prenons sont certes nouvelles, mais beaucoup les appelaient de leurs vœux, au Parlement comme dans la vie politique. Le décret d’avance est parfaitement respectueux de la LOLF, nous avons échangé avec le Conseil d’État pour nous en assurer. La possibilité de reporter des crédits comme nous l’avons fait est bien prévue par l’article 13 de la LOLF ; ces reports ont été déplafonnés par l’article 65 de la loi de finances pour 2022. Ces crédits se sont avérés superflus au vu de l’amélioration de la situation économique ; ils sont donc disponibles aujourd’hui.

Nous avons choisi de solliciter presque tous les ministères pour les annulations de crédits transversales, à l’exception de programmes connaissant des tensions ou des décaissements tels qu’il serait inopportun de les soumettre à ces mesures de trésorerie, même temporairement. Plusieurs programmes ont été ainsi exemptés, parmi lesquels l’aide au développement, mais aussi l’accompagnement des mutations économiques et le développement de l’emploi, ou encore les concours financiers aux collectivités territoriales et l’égalité entre les femmes et les hommes… Nous veillons à ce qu’aucun ministère ne soit empêché de mener à bien ses missions, en particulier le ministère des armées, dont moins de 25 % des crédits placés en réserve ont été annulés ; aucun engagement n’est donc remis en cause.

Quant à la future loi de finances rectificative, je ne saurais évidemment engager le gouvernement qui succédera à celui-ci, même si je suis convaincu qu’il sera attaché à protéger les Français des effets de la crise de l’énergie et de la guerre en Ukraine, ainsi qu’à reconstituer tous les crédits nécessaires pour l’accomplissement du travail des ministères.

Quant au calendrier, nous avons fait en sorte dans ce décret de fournir les financements nécessaires jusqu’à la fin de juillet, afin de ne pas avoir à solliciter le Parlement pendant la période de suspension de ses travaux. L’actualité nous impose toutefois de rester prudents dans de telles prédictions !

Mme Isabelle Briquet. – La moitié de ces ouvertures de crédits finance la baisse de 15 centimes du prix du carburant annoncée par le Gouvernement. Or il s’agirait plutôt d’une baisse de 18 centimes au total ; il serait utile de connaître le montant estimatif complet de cette mesure.

Les 400 millions d’euros consacrés à l’accueil des réfugiés ukrainiens sont nécessaires, mais cela ne remet-il pas en question l’accueil des réfugiés venant d’autres zones de conflits ?

La hausse du coût de l’énergie a un lourd impact sur les budgets de fonctionnement des collectivités, ce qui obère leurs marges de manœuvre. À ce stade, rien n’est prévu. Il serait pourtant indispensable de mettre en place un bouclier énergie pour que les collectivités puissent continuer d’assurer les services publics locaux.

M. Pascal Savoldelli. – Il faut regarder la vérité en face. Il y a une vérité douloureuse, la guerre en Ukraine, mais la crise des prix de l’énergie et de l’alimentation n’est pas née avec elle. Ce n’est pas faute de vous avoir alertés sur les effets de l’inflation sur le budget des ménages ! La guerre nous conduit à prendre des mesures d’urgence, mais il faut aussi assumer que ces problèmes existaient déjà. La dernière loi de finances rectificative pour 2021 en témoigne. Au cours de votre quinquennat, la facture de gaz a augmenté de 500 euros ; le gazole a pris 20 centimes ; le prix des pâtes a augmenté de 50 %, celui du café de 62 %. Les tensions autour du blé russe et ukrainien exacerbent la crise, mais n’oubliez pas que vous ironisiez quand les parlementaires vous alertaient quant au prix de denrées modestes, mais essentielles pour le quotidien de nos concitoyens.

Le débat autour de ce décret d’avance devrait donc porter non seulement sur la guerre, mais aussi sur le contexte antérieur et les mouvements spéculatifs : ainsi, le groupe Total voyait ses bénéfices multipliés par 23 avant même le début de la guerre et versait 6,7 milliards d’euros de dividendes. Il aurait fallu une taxe exceptionnelle de 10 % sur les bénéfices exceptionnels des distributeurs d’énergie. Votre approche pose un sérieux problème. Et certains annoncent déjà préparer une loi de finances rectificative, qui ôterait 10 milliards d’euros aux collectivités territoriales ! Il faudrait organiser un vrai débat politique, plutôt que d’agir de manière déguisée et autoritaire.

M. Marc Laménie. – Merci pour vos explications sur ce décret d’avance portant sur des sommes très importantes. Je m’interroge sur la liste des missions affectées par les annulations de crédits ; on observe des réductions substantielles pour certains ministères, notamment sur la mission « Défense », amputée de 300 millions d’euros, ce qui peut paraître inopportun au vu de la guerre en Ukraine. La mission « plan d’urgence » est aussi très affectée, alors que la crise sanitaire n’est pas terminée ; je me souviens des textes financiers d’urgence qu’il nous a fallu adopter à plusieurs reprises en 2020. La mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » perd aussi 50 millions d’euros, en dépit de sa valeur symbolique.

Les particuliers, les entreprises et le monde agricole souffrent de l’augmentation des prix de l’énergie, mais aussi les collectivités territoriales, jusqu’aux plus petites communes, qui sont les oubliées de ce décret d’avance.

M. Jérôme Bascher. – Ce décret d’avance épuise toutes les astuces permises par la LOLF et relevées par la Cour des comptes : utilisation des reports à des fins détournées, missions fourre-tout, décrets d’avance au lieu de lois de finances rectificatives. Il faudrait réformer la LOLF pour mieux respecter les droits du Parlement.

La fonction publique ne figure pas dans ce décret d’avance, alors que des annonces ont été faites sur le point d’indice. Qu’en sera-t-il, si les sommes correspondantes ne sont pas débloquées ?

Une incompréhension demeure concernant la remise sur le prix du carburant : est-elle de 15 ou de 18 centimes ? Quel mécanisme est ici en jeu qui semble faire intervenir la TVA ?

Mme Sylvie Vermeillet. – Je relève que 145 millions d’euros de crédits sont annulés au sein de la mission « Régimes sociaux et de retraite ». S’agit-il d’annulations temporaires ? Comment se justifient-elles ? Pourquoi n’y a-t-il pas eu d’annulations similaires pour d’autres régimes spéciaux, comme ceux de la SNCF et de la RATP ?

Mme Christine Lavarde. – Concernant les crédits ouverts au sein du programme 345 « Service public de l’énergie », on peut noter un changement de philosophie, avec l’introduction de dépenses liées aux carburants dans un programme visant d’abord à financer les dépenses liées au coût des énergies renouvelables et à l’accompagnement des ménages souffrant de précarité énergétique en matière d’électricité et de gaz.

Sur le fond, lors de la présentation du dernier projet de loi de finances, vous n’aviez repris que 415 millions d’euros sur les prévisions de dépenses au titre des énergies renouvelables, alors même que la Commission de régulation de l’énergie (CRE) avait estimé au mois d’octobre que ces charges pourraient baisser de 2,7 milliards d’euros. Pourquoi n’avez-vous pas réactualisé cette prévision, ce qui aurait permis d’ouvrir moins de crédits ? Était-ce pour constituer une réserve de crédits non consommés ?

Je constate des annulations de crédits assez fortes dans le programme 174 « Énergie, climat et après-mines », qui finance les primes à la conversion et le dispositif MaPrimeRénov’. Ces annulations sont-elles pertinentes ?

M. Jean-Baptiste Blanc. – Ce décret d’avance ouvre 300 millions d’euros de crédits dans le programme 303, pour l’accueil et l’accompagnement des demandeurs d’asile, et 100 millions d’euros dans le programme 177, qui finance l’hébergement d’urgence. Pourtant, les réfugiés ne sont pas des sans-abri, mais relèvent plutôt de la catégorie des demandeurs d’asile. Pourquoi alors ne pas avoir concentré les nouveaux crédits sur le programme 303 ? Comment ont-ils été calibrés ? Sont-ils suffisants pour l’accueil projeté de 100 000 réfugiés sur toute l’année 2022 ?

M. Christian Bilhac. – Un agriculteur m’a exposé la hausse des prix du GNR et des engrais ; il était inquiet pour l’équilibre de ses comptes. Il m’a aussi confié n’avoir reçu qu’hier le formulaire de demande d’indemnisation pour les dommages dus au gel d’avril 2021 ! Y aura-t-il cette fois un peu plus de célérité de la part de l’État ?

Les collectivités locales voient leurs dépenses s’envoler. Le plan de relance leur offre des crédits pour l’investissement, mais celui-ci ne peut se faire qu’avec une part équivalente de cofinancement par la collectivité. En l’absence d’aide pour les dépenses de fonctionnement, cela s’avérera difficile.

– Concernant la remise sur le prix du carburant, c’est bien l’effet de la TVA qui nous conduit à une baisse de 18 centimes. Les professionnels étant remboursés de la TVA, ils bénéficient d’une aide à hauteur de 15 centimes par litre ; si nous n’avions pas fait le nécessaire, l’aide aurait été diminuée du montant de la TVA pour les particuliers, c’est pourquoi nous l’avons fixée à 18 centimes. Les effets finaux sur les recettes de l’État sont difficiles à cerner, dans la mesure où ces mesures peuvent améliorer la profitabilité des entreprises ; nous constaterons ce qu’il en est en fin d’année. La reprise économique nous aide en la matière : nos prévisions de recettes de TVA pour janvier et février se sont avérées en dessous de la réalité.

Quant à l’accueil des Ukrainiens, ces 400 millions d’euros ont pour objet d’éviter de trop ponctionner la trésorerie de ces deux programmes et de mettre à mal notre capacité d’accueil d’autres réfugiés. Précisons que les 36 000 Ukrainiens présents en France aujourd’hui n’ont pas le statut de demandeur d’asile, mais celui de protégé temporaire. Cela a un avantage pour l’État : l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) n’aura pas à se prononcer sur ces demandes. En revanche, ce statut leur donne accès à l’allocation de demandeur d’asile (ADA). L’abondement de 100 millions d’euros du programme 177 a pour objectif d’orienter aussi vite que possible ces personnes vers des solutions de logement durables, dans le parc habituel, après les solutions d’urgence aujourd’hui mises en œuvre. Leur statut les autorise à travailler, ce qui permet d’envisager une insertion autonome.

Le Gouvernement accorde beaucoup d’attention aux collectivités locales, qui connaissent des situations très hétérogènes. Les dépenses d’énergie représentent en moyenne 2,4 % des recettes réelles de fonctionnement des collectivités, moins de 3,5 % pour les communes. Certaines collectivités doivent en revanche entretenir des bâtiments importants, ce qui génère de grosses consommations d’énergie. Le contexte financier des collectivités reste rassurant. Les comptes publiés par l’Insee pour 2021 ramènent la prévision de déficit public de 7 % à 6,5 % ; c’est notamment dû au fait que le déficit de la sécurité sociale a été mieux résorbé que prévu, mais aussi à l’amélioration générale de la santé financière des collectivités : on observe un excédent global de 4,7 milliards d’euros de leurs comptes, soit plus que 2018, année déjà exceptionnelle. C’est lié à la reprise des recettes fiscales, c’est une très bonne nouvelle !

M. Roger Karoutchi. – C’est parce qu’on ne dépense plus rien !

– Concernant la fonction publique, le niveau de revalorisation du point d’indice est soumis à concertation et devra faire l’objet de dispositions législatives.

Quant aux différentes annulations de crédits, les 145 millions d’euros évoqués par Mme Vermeillet sont pris sur une réserve de précaution de presque 250 millions d’euros, qui n’est d’ordinaire pas sollicitée. Il en est de même pour le programme 345, dont le rythme de décaissement est assez régulier ; ces mesures étant financées pour quelques mois, avant une éventuelle loi de finances rectificative, il n’y aura pas de difficulté de trésorerie.

Concernant les prévisions de la CRE, il y a un décalage entre la prévision au titre de l’année n et la mise en place du montant pour les années n+1 et n+2 ; les économies préconisées dans l’avis de novembre dernier seront exigibles pour 2023 ; la volatilité du secteur nous incite à un lissage prudent.

Monsieur Bilhac, les versements seront aussi rapides que possible une fois les dispositifs complètement arrêtés. Pour les aides relatives au gel du printemps dernier, nous avions acté qu’elles seraient débloquées au moment où le niveau de recettes des agriculteurs touchés serait affecté : certaines cultures n’auraient atteint leur maturité que 12 ou 18 mois plus tard.

Debut de section - PermalienPhoto de Emmanuel Capus

président. – Merci de nous avoir donné la primeur de vos réponses, monsieur le ministre.

Ce point de l’ordre du jour a fait l’objet d’une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La commission désigne M. Jean-François Husson rapporteur sur la proposition de nomination de Mme Florence Peybernes aux fonctions de président du Haut conseil du commissariat aux comptes en application de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010 838 du 23 juillet 2010, relatives à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution.

La réunion est close à 18 h 00.