Chers Collègues, je tiens à vous informer en préambule qu'à compter de la semaine prochaine, nos auditions ne se dérouleront plus en visioconférence.
Nous poursuivons nos auditions sur les concessions autoroutières en entendant aujourd'hui la Cour des comptes, qui a eu maintes fois l'occasion de se pencher sur ce sujet complexe. Les concessions autoroutières relèvent de la compétence de la deuxième chambre, représentée par sa présidente, Mme Annie Podeur, MM. André Le Mer, président de la section et Daniel Vasseur.
Cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle fera l'objet d'un compte rendu publié.
Madame la présidente, Messieurs les président et conseiller, je vous remercie de vous être rendus à notre convocation. Après vous avoir rappelé qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 43415 du code pénal, je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « je le jure ».
Je le jure.
Je vous remercie.
Vous souhaitez sans doute faire une présentation liminaire pour indiquer dans quel cadre, avec quels pouvoirs et avec quelles conséquences la Cour des comptes a été appelée à se pencher sur les concessions autoroutières.
Le rapporteur et les membres de la commission d'enquête vous poseront ensuite des questions plus précises sur les contrôles effectués.
Sans plus attendre, Madame la Présidente, je vous donne donc la parole.
Monsieur le Président, Monsieur le rapporteur, Mesdames, Messieurs les Sénateurs, la Cour a conduit, ces dernières années, plusieurs contrôles concernant les concessions autoroutières. Nous nous attacherons à répondre aussi précisément que possible à vos questions, dans la limite de nos écrits. Je suis accompagnée pour ce faire d'André Le Mer, président de la section transport et Daniel Vasseur, conseiller référendaire.
Après l'enquête menée en 2012 à la demande de la Commission des finances de l'Assemblée nationale sur les relations entre l'Etat et les sociétés concessionnaires d'autoroutes, la Cour a produit en 2019 plusieurs rapports. Le premier portait sur le plan de relance autoroutier de 2015 et le contrôle a été étendu au plan d'investissement routier signé en 2017. Deux autres rapports, remis la même année, concernaient les sociétés concessionnaires indirectement contrôlées par les Etats français et italien du tunnel du Mont-Blanc et du tunnel du Fréjus. Il s'agissait de contrôles organiques classiques, puisque ces sociétés relèvent de la compétence de contrôle de la Cour. Je ne reviendrai pas sur ces rapports qui ont été suivis d'un référé adressé au Premier ministre le 26 juillet 2019, l'alertant des difficultés de gouvernance binationale, mais nous sommes prêts à répondre à vos questions sur ces sujets.
J'appellerai votre attention sur le positionnement de la Cour, puis sur les principaux constats retenus à l'issue de l'enquête sur le plan de relance autoroutier de 2015.
S'agissant de nos méthodes et de notre positionnement, la Cour s'attache aux faits et fonde ses constats et recommandations sur une analyse serrée de documents écrits, fournis lors de l'instruction, puis tient le plus grand compte des réponses apportées lors de la contradiction, en toute souveraineté. Cette enquête a donc été menée selon les procédures habituelles de la Cour lorsqu'elle contrôle les services de l'Etat. Elle s'appuie sur l'analyse des réponses à des questionnaires, complétées par des entretiens et sur une analyse financière et juridique des différents documents : les contrats de concession, les avenants à ces contrats, les dossiers de notification du plan de relance autoroutier à la Commission européenne, l'avis de cette dernière, les comptes rendus périodiques d'exécution du plan de relance autoroutier, les comptes rendus de réunion, etc. Les entretiens ont permis de mieux comprendre le contexte de ce dossier, notamment l'extrême complexité des discussions ayant précédé la définition du plan, en caractérisant également le suivi de sa mise en oeuvre.
La parole de la Cour que j'ai l'honneur de porter aujourd'hui avec mes collègues se limitera au contenu de ces rapports écrits qui, après avoir été instruits, sont délibérés à deux reprises : tout d'abord au stade de l'examen provisoire, puis au stade définitif, après prise en compte des éléments reçus lors de la contradiction. Je voudrais présenter par avance mes excuses aux sénateurs si nous ne pouvons pas répondre à des questions qui n'auraient pas fait l'objet de cette instruction et dont les réponses ne figureraient pas dans les rapports écrits.
S'agissant du récent contrôle de la Cour sur le plan de relance autoroutier, la Cour a conduit cette enquête en application de l'article L.111-3 du Code des juridictions financières qui dispose que « la Cour contrôle les services de l'Etat et les autres personnes morales de droit public ». Au vu des conclusions de ce rapport, la Cour a jugé utile d'adresser un référé, le 23 janvier 2019, au ministre d'Etat, ministre de la Transition écologique et solidaire et à la ministre alors chargée des Transports. Ce référé adressé par le premier Président de la Cour des Comptes visait à attirer leur attention sur certaines des observations formulées par la Cour à l'issue de son contrôle.
Le document a l'avantage d'être synthétique. J'en rappellerai les quatre principaux constats et Daniel Vasseur, qui faisait partie de l'équipe de rapporteurs, pourra évoquer certaines questions précises.
La Cour fait tout d'abord le constat de plans à répétition, peu justifiés au regard des priorités de la politique de transport. Au cours des dix dernières années, trois plans se sont succédé et même superposés visant, via une modification du cahier des charges des sociétés concessionnaires d'autoroutes, à leur faire effectuer des travaux supplémentaires en principe non prévus dans la convention de concession. Dès 2011, à peine deux ans après le « paquet vert » autoroutier, une nouvelle opération de même nature a été engagée, aboutissant en août 2015 au plan de relance autoroutier. L'enchaînement s'est poursuivi alors que l'exécution du PRA devait encore durer plusieurs années, puisque l'Etat et les sociétés concessionnaires d'autoroutes ont signé, début 2017 un nouvel accord dit « plan d'investissement autoroutier » (PIA).
La Cour a relevé que cet empilement de plans alimente, sur le réseau concédé, un flux d'investissements d'amélioration des infrastructures existantes et d'aménagements environnementaux, au risque d'un surinvestissement qui contraste avec le sous-investissement que nous constatons aujourd'hui sur le réseau non concédé. A cet égard, je signale que la Cour mène actuellement avec neuf chambres régionales des comptes une enquête sur l'entretien et l'exploitation du réseau routier non concédé, national et décentralisé, principalement départemental, qui l'amènera sans doute à effectuer dans ce domaine des comparaisons avec le réseau concédé.
Les inconvénients du recours à l'allongement de la durée des concessions constituaient le deuxième constat. Il s'agit d'une forme de facilité pour les pouvoirs publics qui recouvre en réalité un coût élevé pour la collectivité. Cette formule de l'allongement présente l'avantage de ne pas solliciter les comptes publics et de ne pas augmenter les tarifs auxquels sont soumis les usagers, mais en reportant ce coût sur l'usager futur. Elle repose sur l'idée que cette contribution restera assez indolore, car repoussée assez loin dans le temps, en partie sur d'autres générations et pourra passer inaperçue du fait de l'accoutumance aux péages.
Pour autant, cette formule a un inconvénient majeur : son surcoût. Elle revient cher, parce qu'elle reporte le financement loin dans le temps du fait de l'application d'un taux d'actualisation élevé, de l'ordre de 8 %, qui garantit une profitabilité incontestable aux sociétés concessionnaires, supérieure au taux d'actualisation public. Elle présente un autre inconvénient. L'allongement des concessions repousse également leur remise en concurrence dont nous pourrions attendre des effets favorables en termes de prix ou d'innovation et qui devrait être l'occasion d'une réflexion stratégique sur l'avenir du réseau national.
La réforme apportée dans ce domaine par la loi d'août 2005 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques est donc particulièrement bienvenue. Elle prévoit que la compensation de ce type d'investissements négociés doit désormais prendre la forme d'une hausse de péage, tout allongement des concessions par exception nécessitant une autorisation législative.
Le troisième constat portait sur une définition insuffisante des opérations susceptibles d'être compensées. La Cour a constaté une fois de plus que l'Etat a accepté la compensation de certaines opérations qu'il aurait dû refuser en faisant une lecture plus rigoureuse des cahiers des charges. Elle a également noté l'absence d'une définition claire des critères qui figurent dans la loi de nécessité et d'utilité de ces opérations supplémentaires, critères donnant lieu de ce fait à des marchandages entre concédant et concessionnaire, puis à des divergences d'interprétation, en particulier entre le ministère et l'Autorité de régulation des transports. La Cour a donc recommandé l'élaboration d'une doctrine sur le champ des opérations compensables et a demandé qu'un décret en Conseil d'Etat, pris après avis de l'Autorité de régulation des transports, précise ces critères de nécessité et d'utilité.
Dans son quatrième et dernier constat, la Cour relevait qu'il existe des risques de surcompensation à mieux circonscrire. Le calcul des compensations dépend d'une série de paramètres dont la détermination est aujourd'hui apparue insuffisamment objectivée et, là aussi, susceptible de donner lieu à des marchandages entre l'Etat et les concessionnaires. Cette situation conduit la Cour à recommander de faire appel sur ce point à un organisme expert indépendant.
Pour ne pas finir sur une tonalité critique, je souhaite souligner que la Cour relève aussi une nette amélioration du cadre de fonctionnement des concessions autoroutières depuis 2015. D'abord, la loi de 2015 a instauré une autorisation législative pour tout recours à l'allongement des concessions en vue de financer des travaux supplémentaires. Cette mesure nous paraît susceptible de modérer le recours à cette facilité, puisque l'accord de la représentation nationale est désormais requis. Ensuite, le dispositif contractuel s'est enrichi avec l'introduction, à la demande de la Commission européenne, des clauses de durée et de péage endogènes, permettant de réduire la durée de l'allongement et le niveau des tarifs au cas où serait constaté ex post un risque de surcompensation.
Surtout, l'intervention d'une autorité administrative indépendante, en l'espèce l'Autorité de régulation des transports, dans ce qui a été pendant très longtemps un face à face entre l'Etat et les sociétés concessionnaires, apparaît à la Cour une avancée substantielle, et ce, à trois titres. Tout d'abord par l'importance que pourront revêtir ses avis consultatifs sur les compensations tarifaires des investissements autoroutiers et son contrôle de l'exercice d'une concurrence effective et loyale en matière de marchés de travaux, de fournitures et de services des concessionnaires. Deuxièmement par le caractère continu de cette fonction de régulation qu'assure l'ART, et les pouvoirs étendus de collecte et d'enquête dont elle dispose sur l'ensemble des acteurs. Enfin, par sa mission générale de surveillance des performances économiques du secteur qui vont la conduire à produire une synthèse annuelle des comptes des concessionnaires et à établir tous les cinq ans un rapport public sur l'économie générale des conventions de délégation, dont la première édition est attendue cette année. Cet état des lieux constituera une référence dans un climat que nous espérons apaisé sur la question majeure du modèle économique des concessions.
En termes de politique globale des infrastructures de transport, la Cour ne peut que relever le maintien d'un flux élevé d'investissements sur le réseau concédé alors qu'existent de fortes interrogations sur l'état du réseau non concédé. Vous comprendrez dès lors pourquoi la Cour a inscrit à son programme une enquête sur ce point particulier.
Merci pour cet exposé liminaire d'une grande précision. Je donne la parole à notre rapporteur.
Merci pour cet exposé. La Cour nous apporte des éléments toujours très précieux pour nous parlementaires qui manquons souvent d'outils d'évaluation.
Vous avez soulevé de nombreux éléments qui font partie de notre travail de recherche et d'appréciation dans le cadre de cette commission d'enquête. Vous critiquez, je pense à juste titre, l'empilement des plans d'investissement sans les avoir terminés, ce qui crée forcément de la confusion et de la discussion.
Vous avez cité la justification des investissements retenus. S'agit-il vraiment d'investissements complémentaires ou sont-ils déjà prévus dans le cadre des concessions, impliquant une prise en charge directe par le concessionnaire sans répercussion ? Avez-vous réussi à chiffrer, sur les différents plans, le pourcentage des travaux qui vous semblaient ne pas devoir faire l'objet d'une compensation, parce que prévus dans les contrats initiaux, notamment sur le plan de relance autoroutier de 3,2 milliards d'euros, voire sur le plan d'investissement autoroutier ?
Vous indiquez qu'il existe des surcompensations, en particulier le fait d'allonger les contrats de concession, d'augmenter les tarifs avec des taux d'actualisation assez élevés. Avez-vous réussi à chiffrer ces surcompensations ?
Les ministres de l'époque, Elisabeth Borne et François de Rugy, ont répondu de façon assez incisive à votre référé de 2019. Quelles réflexions cette réponse vous inspire-t-elle ? La Cour des comptes y a-t-elle répondu ?? Maintenez-vous certaines de vos observations malgré tout ?
Enfin, sur les taux d'actualisation, nous sommes assez surpris de voir que depuis 2006 se maintient un taux de 8 % alors que les taux d'intérêt ont baissé assez fortement, que les taux d'actualisation publics couramment utilisés sont nettement inférieurs. En dehors de la pression sur la rentabilité des sociétés, comment pouvons-nous expliquer selon vous que l'Etat accepte de maintenir dans ses avenants des taux élevés, participant au sentiment que ce secteur reste un peu protégé ?
La Cour, si le Parlement n'a pas toujours les moyens propres d'évaluation, est là pour conduire ces évaluations et les mettre à votre disposition.
Vous évoquiez le caractère incisif de la réponse des ministres à notre référé. C'est un peu la règle du jeu. Lorsque la Cour envoie un référé, c'est bien pour attirer l'attention du Premier ministre ou de certains ministres sur des difficultés qui lui paraissent devoir justifier une modification de la politique gouvernementale ou des arbitrages. Le premier Président envoie ce référé. Le ministre répond, mais la Cour ne répond pas à nouveau ; elle enregistre la réponse. Vous me permettrez de respecter un droit de réserve et de ne pas porter d'appréciation sur la réponse des ministres. Lorsque nous publions les référés, nous publions en même temps la réponse apportée. C'est un gage de transparence vis-à-vis de l'opinion publique et de la représentation nationale.
Le jeu de réponses se déroule en amont, lors de l'instruction. Dans la suite donnée au rapport, la Cour alerte et les membres du gouvernement disposent d'un droit de réponse à cette alerte, ce qui paraît totalement normal.
S'agissant de la part des investissements qui, à nos yeux, n'auraient pas dû être compensables, j'ai peur que ma réponse vous déçoive. Nous n'avons pas essayé de réaliser un tel calcul. L'ART, en revanche, l'a fait pour le PIA. Elle a indiqué de manière très précise les projets qui, à ses yeux, n'avaient pas à être compensés.
La position de la Cour est assez différente. Elle consiste à dire qu'il faut fixer une doctrine ; elle n'en a pas elle-même. Elle a bien pris acte par exemple, en matière d'échangeurs, qu'il existe une opposition assez radicale de points de vue entre le ministère, la DGITM et l'ART, mais elle n'a pas pris position. En revanche, l'ART a adopté une position assez ferme sur ce qui doit être compensé ou non et a une vision plutôt restrictive des critères de nécessité et d'utilité. Elle considère que le péage est une redevance pour service rendu. Il faut donc avant tout que les ouvrages, pour pouvoir être compensés sous la forme d'une hausse des péages ou d'une prolongation, bénéficient réellement à l'exploitation de l'ouvrage et aux usagers. A ce titre, elle a rejeté un certain nombre de projets d'échangeurs dans le cadre du PIA. Son avis était néanmoins simplement consultatif. Le ministère a une vision plus large, plutôt confortée par la jurisprudence du Conseil d'Etat et par certaines modifications introduites à l'article L.122-4 du Code de la voirie routière par la loi d'orientation des mobilités.
Sur des cas précis, la Cour a jugé qu'à ses yeux les opérations n'étaient pas compensables, soit parce qu'en réalité ces aménagements entraient dans les obligations normales du concessionnaire prévues au cahier des charges, soit parce que le service n'était pas suffisamment amélioré, que cela ne correspondait pas aux critères de nécessité et d'utilité. Je peux citer notamment le problème assez récurrent des élargissements. Les concessionnaires considèrent qu'ils n'étaient pas prévus au cahier des charges. Parfois ils étaient explicitement prévus, même si la date n'était pas mentionnée. Parfois aussi, on pourrait considérer que cet élargissement constitue une mise aux normes, compte tenu de l'augmentation des trafics, pour que l'ouvrage soit toujours parfaitement adapté au service qu'il doit rendre. Il peut s'avérer nécessaire de prévoir des voies supplémentaires, d'autant que les embouteillages montrent que le trafic a augmenté et que les recettes vont aussi probablement dépasser le plan d'affaires initial.
Nous sommes entrés dans le détail de certaines opérations pour critiquer la compensation prévue sous forme d'un allongement de la durée des péages et de la concession, mais nous n'avons pas fait systématiquement ce calcul. Parfois, l'exercice peut être tout à fait discutable. Sur les échangeurs, nous n'avons pas établi de doctrine. Nous pensons qu'il revient à l'Etat de fixer cette doctrine plutôt que de laisser la voie à des marchandages qui tournent souvent à l'avantage des sociétés concessionnaires.
Vous auriez pu distinguer trois catégories : les travaux indiscutables, les travaux qui entrent clairement dans le cadre du contrat et, au milieu, les opérations discutables qui peuvent porter à interprétation. Il me semblerait intéressant de pouvoir identifier, dans les 3,2 milliards d'euros, les montants liés à chacun de ces cas.
Nous pouvons peut-être reprendre nos rapports pour essayer d'effectuer ce partage. Pour l'avenir, j'attire votre attention sur le fait que l'ART le fait depuis le PIA. Il faudrait revenir sur le plan de relance autoroutier pour faire suite à votre demande.
S'agissant des surcompensations, là encore, je risque de vous décevoir. Notre recommandation consiste à dire que tous ces paramètres doivent être estimés par un organisme expert indépendant. La Cour des comptes n'a pas vocation à préciser le taux d'actualisation retenu. Elle formule des observations sur ce taux de 8 %, qui est jugé tout à fait normal par les sociétés concessionnaires. Ces sociétés demandaient plus au départ. Une contre-expertise a été menée par l'Inspection des finances autour du concept de coût d'opportunité du coût du capital. Elle aboutissait à des chiffres relativement élevés et ces 8 % se situaient en haut de la fourchette du rapport de M. Charpin.
Le problème vient probablement du fait que ce taux est trop élevé, y compris au regard des données de marché. Nous l'avons bien vu à l'occasion du PIA. Le taux a alors été revu à la baisse. Il l'a été une seconde fois à la suite de l'avis de l'ART. Nous sommes passés de 8 à 6,5 %, une différence que ne justifiait pas l'écart de date, car les taux d'intérêt n'ont pas baissé dans une telle proportion dans ce laps de temps. L'ART a ensuite obtenu un abaissement de 6,5 à 5,9 %. Ce taux reste pour autant supérieur aux 4,5 % correspondant au taux officiel d'actualisation des collectivités publiques.
La surcompensation nécessiterait de fixer le bon taux, puis de calculer la différence. La Cour n'a pas indiqué quel devait être ce taux. Elle relève seulement qu'un taux de 8 % paraît exagéré. En tout état de cause, elle observe que repousser dans le temps, à 17 ans en pratique, le remboursement du capital et des intérêts avec un taux aussi élevé conduit à un surcoût financier très important par rapport à une situation où l'Etat s'endette directement. Quand on transfère du risque du public vers le privé, on crée une forme de surcoût de financement pour la collectivité publique qui n'est pas forcément justifié par un gain d'efficacité équivalent.
Je suis effectivement un peu déçu par les réponses. Entre les opérations qui n'auraient peut-être pas dû faire l'objet d'une compensation et cette surcompensation, l'addition peut se révéler in fine assez importante. Or ce sont les usagers qui la paient au travers de l'augmentation des tarifs. Si nous obtenions des éléments de l'ART notamment, nous pourrions nous forger une opinion sur le sujet pour notre rapport.
La Cour ayant terminé son instruction, le rapport ayant été remis, les suites ayant été formulées, nous n'y reviendrons pas. En général, lorsque nous formulons des recommandations, nous conduisons à nouveau une instruction quelques années après. Il ne faut pas confondre les rôles. L'ART assure désormais cette supervision en continu. Elle serait peut-être en mesure de vous éclairer et dispose d'une plus grande liberté pour ce faire. Nous sommes liés par nos procédures.
Au cours des multiples auditions que nous avons menées, nous avons vu émerger un sujet de gouvernance dans le domaine des concessions autoroutières. La Cour a-t-elle examiné ces aspects ? Derrière cette question de gouvernance se pose aussi la question de savoir si l'on choisit toujours le moindre coût pour la collectivité publique ou si l'on s'accompagne des meilleurs experts en la matière. Avez-vous déjà considéré ces questions dans l'histoire des concessions autoroutières ?
Cet aspect a effectivement été abordé. Dans mon propos liminaire, j'ai indiqué très clairement que pendant très longtemps, les relations entre l'Etat et les sociétés concessionnaires d'autoroutes se sont traduites par une forme de marchandage où règne la loi du plus fort. Dans un certain nombre de régimes concessifs ou de régimes de délégation de services publics, les concessionnaires disposent souvent de moyens en termes de conseil juridique et financier supérieurs à ceux de l'administration.
Dans son rapport de 2013, la Cour émettait des recommandations assez précises sur cette question. Elle souhaitait en quelque sorte protéger l'Etat contre lui-même en préconisant de fixer une doctrine claire et des règles applicables assez strictes. En 2013, la Cour avait suggéré la mise en place d'une procédure interministérielle avec des étapes de rendez-vous associant tous les ministères concernés, et en n'oubliant pas en particulier d'associer le ministère des Finances qui se montre extrêmement rigoureux sur les aspects financiers quand le ministère des Transports donne parfois la priorité à la réalisation des équipements.
D'autres recommandations ont été formulées à l'occasion de ce référé. Objectiver les hypothèses économiques en en confiant l'élaboration à un organisme expert et en fixant une doctrine sur ce qui est compensable ou pas permettrait notamment de placer l'Etat en position de force vis-à-vis des sociétés concessionnaires.
Différentes couches de droit se sont ajoutées au cours des dix dernières années. La Commission européenne a fixé des règles assez claires de suivi de réalisation des travaux et de suivi de leur rentabilité dans le temps qui, à certains égards, étaient relativement révolutionnaires. Les concessions autoroutières sont fondées sur la théorie de la concession aux risques et périls du concessionnaire. Les sociétés ont arrangé les choses en leur faveur, l'Etat ne disposant pas toujours des moyens pour voir ce qui pourrait arriver, y compris au détriment des usagers. Après, plus aucun suivi n'est assuré. Les surcoûts sont supportés par le concessionnaire qui bénéficie en contrepartie des profits et effets d'aubaine liés à la baisse des taux d'intérêt et des gains de productivité non anticipés. En théorie, ce système garantit la recherche de l'efficacité. Cependant, cette efficacité bénéficie à l'usager dès lors que les concessions sont relancées. Dans un premier temps, elle constitue uniquement du profit supplémentaire pour les sociétés concessionnaires.
La Commission européenne a rejeté la théorie française, tenant absolument à ce que des clauses de bonne fortune s'appliquent, que la réalisation des projets soit suivie strictement et que la rentabilité en soit contrôlée de telle manière qu'en raccourcissant la durée de l'allongement ou en revoyant à la baisse les hausses tarifaires, les avantages soient rétrocédés aux usagers. Réduire le pouvoir de négociation représente une solution possible. Les sociétés apprécient avant tout qu'il reste des marges de manoeuvre. Or plus les règles sont définies a priori, plus l'intérêt du contribuable et de l'usager sera bien défendu.
Ces marchandages peuvent en outre conduire à des formes d'inégalité et d'arbitraire entre contribuables, d'une collectivité à une autre ou entre usagers et contribuables. Ces règles ne sont pas purement abstraites. Il s'agit parfois de savoir si tel ouvrage doit être financé par l'usager, dont le service va être amélioré ou par le contribuable local, parce qu'il va avant tout favoriser le développement de l'économie locale. Actuellement, ces sujets donnent lieu à une forme de marchandage alors que l'égalité de l'impôt devant la loi devrait conduire à se demander s'il revient au contribuable ou à l'usager de financer ce projet.
Vous avez évoqué dans votre propos liminaire une expertise indépendante. Pouvez-vous préciser l'idée de cette recommandation ?
Elle ne s'adresse pas nécessairement à l'ART. Nous pensions éventuellement à l'Insee. Il s'agit de faire appel à une structure qui dispose de cette expertise. Il faudrait instaurer une gouvernance plus interministérielle qu'aujourd'hui, avec un renforcement des compétences juridiques et surtout financières.
Quelle est la date du premier rapport de la Cour ? Combien avez-vous réalisé de rapports depuis la mise en place de ce système ? Quelles ont été les réponses de l'Etat à vos observations ? Je suis parfois profondément choqué de voir que les rapports de la Cour des comptes ne sont pas du tout suivis d'effet au niveau national. Je citerai l'exemple des aiguilleurs du ciel. Dans les départements, les régions ou les villes, à l'inverse, lorsque la chambre des comptes fait des observations, nous corrigeons immédiatement. Enfin, avez-vous pu chiffrer la perte globale pour l'Etat liée à la privatisation ?
Après la privatisation des autoroutes, dès mars 2008, un référé a été adressé par le premier Président sur la privatisation des sociétés d'économie mixte concessionnaires d'autoroutes. Au rapport public annuel 2008 figure également un rapport sur les péages autoroutiers. Ensuite, nous avons réalisé une enquête à la demande de la Commission des finances de l'Assemblée nationale au titre de l'article 58-2 de la LOLF sur les relations entre l'Etat et les concessionnaires d'autoroutes. Cette enquête a donné lieu à un rapport en juillet 2013. Nous en avons repris l'essentiel lorsque nous avons conduit le nouveau contrôle en 2019. En 2019, nous nous sommes prononcés à la fois sur le plan de relance autoroutier et sur le PIA. Cette même année, nous avons également produit deux rapports sur les seules sociétés qui sont encore indirectement sous un contrôle public, la société du tunnel du Mont-Blanc et celle du Fréjus. Ces travaux ont débouché eux aussi sur un référé.
Je souhaiterais nuancer un peu votre propos sur le suivi des recommandations. Je ne suis pas en mesure de vous faire un état précis de toutes les recommandations formulées depuis 2008. A chaque fois que nous reprenons un rapport, nous repartons du précédent et nous vérifions si ses recommandations ont été mises en oeuvre. En outre, chaque année, lors de notre rapport public annuel, nous rendons publics les résultats du suivi des recommandations. En principe, nous arrivons à un taux de recommandations totalement ou en cours de mise en oeuvre de 75 %.
Il existe bien évidemment différents types de recommandations. Les recommandations de gestion pure et simple sont assez rapidement mises en oeuvre. Si au contraire la Cour propose une inflexion forte de la politique conduite par l'Etat, le temps de maturation est nécessairement plus long. Il faut parfois que la représentation nationale intervienne pour que des recommandations soient réellement mises en oeuvre. Vous faisiez référence aux aiguilleurs du ciel. Vous savez combien cette question est socialement sensible. Ces recommandations sont sans aucun doute beaucoup plus difficiles à mettre en application.
La Cour n'a pas calculé la perte globale qu'aurait enregistrée l'Etat via la privatisation de l'ensemble des autoroutes. Il serait extrêmement ambitieux de procéder à un calcul mélangeant des charges et des recettes pour en déduire une perte globale pour la collectivité.
En plus de mesurer cette perte, il faudrait ajouter éventuellement une moins-value pour les finances publiques et le surcoût pour l'usager futur, en choisissant en outre un taux d'actualisation. La Cour ne préconise pas que des mesures qui ont un impact immédiat sur les finances publiques et les comptes de l'Etat. S'agissant du plan de relance autoroutier, nous avons défendu l'intérêt de l'usager futur alors que beaucoup se flattent que les allongements de la durée des concessions permettent de faire de la relance économique sans augmenter les impôts et les péages, ce qui constitue une forme de facilité attachée à une formule qui manque de lisibilité.
Par ailleurs, les réponses apportées à nos recommandations n'ont pas toujours été très positives. Le ministère a balayé les recommandations de notre référé de janvier 2019 d'un revers de main. Il a considéré qu'élaborer une doctrine pour objectiver des hypothèses économiques en les confiant à un organisme contribuerait à alourdir les processus de décision. Or ces processus de décision s'étagent déjà sur plusieurs années. S'agissant du plan de relance autoroutier, les premières propositions datent de 2011-2012 pour une signature en 2015.
Néanmoins, les recommandations et critiques de la Cour ont participé de l'amélioration du cadre réglementaire qui régit ces concessions. La Cour a contribué à ces améliorations parallèlement aux travaux d'autres institutions comme l'Autorité de la concurrence et l'ART. Chacun garde en mémoire la polémique de 2014-2015 qui s'était en partie nourrie de certaines observations de la Cour sur ce sujet.
Nos recommandations se placent dans la perspective de la fin des concessions et de l'après-concession qui pourrait consister en une continuation du modèle concessif, revisité selon de nouveaux équilibres.
Une bonne partie des recommandations du rapport de 2013 reste d'actualité, que ce soit la mise en place d'une procédure interministérielle de conduite des négociations, le recours à une contre-expertise, la révision du décret tarifaire de 1995, notamment sur l'application systématique du taux de 0,70 % de l'inflation, la doctrine sur le champ des opérations compensables ou la mise en place d'une méthodologie et d'un contrôle relatif au patrimoine dans la perspective de la fin des concessions pour traiter la question des biens de retour et des biens de reprise, avec la clause de revoyure qui doit s'exercer sept ans avant. Enfin, une recommandation commence à être mise en oeuvre avec le rapport quinquennal de l'ART, s'agissant de l'analyse ex post des modèles financiers des concessions.
Nous avons le sentiment qu'il existe un avant et un après-2015 dans l'exécution des contrats. Portez-vous la même appréciation ?
Je l'ai indiqué très clairement dans mon propos liminaire. A partir de 2015, nous avons quand même assisté à des évolutions extrêmement positives et l'ART a joué en la matière un rôle fondamental.
Les concessionnaires nous disent même qu'ils sont sur-contrôlés. Quel regard portez-vous sur ces propos rapportés par plusieurs dirigeants des entreprises concessionnaires ?
La Cour ne contrôle pas directement les concessions.
Il est de bonne guerre pour un délégataire de service public ou un concessionnaire de dire qu'il est sur-contrôlé. Il est vrai que depuis le début des autoroutes dans les années 60, les systèmes d'information ont évolué, les indicateurs sont bien plus nombreux. Le concessionnaire se doit de rendre compte auprès de l'autorité administrative indépendante. Nous contrôlons la politique de l'Etat. Dans le cadre de notre contrôle de 2013, nous avons examiné précisément les contrats de concession. Quand un opérateur accepte une mission qui rend service à la collectivité, conformément à l'article 15 de la Déclaration des droits de l'homme, il accepte d'en rendre compte.
Cette perception subjective est peut-être aussi un peu intéressée. Pendant une longue période, ces sociétés étaient publiques. L'adossement qui fondait les plans de travaux laissait des marges de manoeuvre très importantes qui n'ont sans doute pas été suffisamment révisées lors des privatisations. Il aurait peut-être fallu revoir le cadre réglementaire à cette occasion.
Il a été confié à une autorité de régulation un droit de regard. En matière de respect des règles de la concurrence, l'ART dispose d'un vrai pouvoir prescriptif. Sur les avenants aux concessions, en revanche, son avis n'est que consultatif. Le ministère n'a pas tenu compte de nombreux avis de l'ART sur le PIA. Par ailleurs, la loi d'août 2015 a légèrement restreint les marges de manoeuvre en matière d'allongement des durées de concession, de telle sorte que le financement des travaux ne peut passer que par des hausses de tarif. Cette disposition limite les possibilités et le volume de ces plans de relance, mais elle conduit aussi à s'interroger sur la nécessité et l'utilité de ces travaux, ce qui n'est pas une mauvaise chose.
Enfin sous la pression de l'opinion publique, de la représentation nationale et de la Commission européenne, ces plans de relance ont permis de revoir les cahiers des charges. Depuis, des objectifs ont été fixés aux grandes concessions historiques en matière de qualité de service rendu aux usagers contrôlables et même sanctionnables, comme ils existaient déjà pour les nouvelles concessions. Il est légitime de vérifier que le service public est rendu dans de bonnes conditions pour les usagers.
La transformation de l'ARAFER en ART et ses compétences dans le domaine autoroutier ont apporté un plus. J'ai noté votre recommandation de définir une doctrine claire des investissements qui pourraient être retenus dans des plans futurs. Vous préconisez aussi de faire intervenir un cabinet d'experts extérieur pour définir les critères. Pourquoi ne pas confier cette responsabilité à l'ART qui pourrait déterminer des taux de rentabilité internes et des taux d'actualisation adaptés ?
Voyez-vous des axes d'amélioration dans l'intervention de l'ART ? J'ai l'impression que son intervention sur les marchés est assez lourde. Est-ce bien justifié ? En matière d'audit, l'exhaustivité prend beaucoup de temps. L'ART essaie par ailleurs de bâtir une banque de données sur les prix. En soi, les prix constituent un indicateur intéressant. Cependant, au regard de la grande variabilité des prix des marchés de travaux publics, je m'interroge sur sa pertinence. L'ART ne pourrait-elle pas mieux employer son temps ?
Mon attention a également été attirée sur les provisions pour renouvellement. Une décision du Conseil d'Etat de fin 2018 sur une concession en Nouvelle-Calédonie pourrait avoir des implications sur les provisions pour renouvellement des sociétés concessionnaires d'autoroutes. Avez-vous effectué un travail particulier sur le sujet ? Quel est, le cas échéant, votre point de vue, notamment sur le reversement à l'Etat de ces provisions ?
Enfin, sur le tunnel du Fréjus, le président de la société nous a parlé ce matin du mur de la dette de 2025, soit 850 millions d'euros à refinancer. Avez-vous examiné cet aspect ? De quelle manière pourrions-nous franchir cet obstacle ?
Nous avons préconisé que s'établisse une doctrine claire, formalisée par un décret en Conseil d'Etat après avis de l'ART. Nous n'avons pas effectué de contrôle sur l'ART. Nous attendions d'avoir un peu de recul sur l'élargissement de ses missions. Si je ne l'ai pas citée d'emblée, c'est que ses moyens sont relativement limités en comparaison avec la régulation sur le marché de l'énergie. Avec une dizaine de personnes, l'ART ne peut pousser trop loin l'expertise.
Sur l'intervention sur les marchés ou la banque de données sur les prix, tant que nous n'avons pas conduit de contrôle, je me garderais bien de porter une appréciation. Nous n'avons pas examiné non plus le sujet des provisions pour renouvellement. A la date de cette décision du Conseil d'Etat, notre instruction était close.
Nous avons contrôlé conjointement la société ATMB et la société du tunnel du Fréjus, avec une difficulté liée au fait que chaque société est un GIE avec l'Italie hors de portée des contrôles de la Cour. Nous avons vu le nouveau système de fonctionnement, avec le rapprochement des deux sociétés et un président commun. Le système de financement a du sens, mais il pose quelques problèmes du point de vue de la LOLF, puisqu'il remet en cause le principe d'universalité budgétaire.
Sur le Fréjus, le SFTRF affiche une dette supérieure à un milliard d'euros contractée pour la construction de l'autoroute de la Maurienne. Elle doit rembourser d'ici 2025 l'intégralité d'un emprunt obligataire de 828 millions d'euros, souscrit auprès de la Caisse nationale des autoroutes, soit quatre fois son chiffre d'affaires annuel. Elle ne peut plus faire appel à la CNA pour se refinancer, faute de pouvoir émettre des emprunts obligataires. Il reviendra donc à l'Etat de se pencher sur cette question comme actionnaire quasi unique de la SFTRF pour mobiliser les ressources d'ingénierie financière nécessaires.
Depuis le début de cette commission d'enquête, je m'étonne de la faible capacité de contrôle du concédant sur ses concessions. Nous avons entendu les propos assez déroutants d'un ancien ministre, évoquant un problème de stockage et de consolidation des archives, d'une éminente juriste de Bercy, estimant que le rapport de force n'était pas égalitaire et qu'il serait nécessaire de faire appel à des économistes pour mieux connaître le modèle économique de l'objet concédé. Lorsque nous interrogeons les acteurs sur l'absence d'état des lieux en cours de concession, ils admettent le point sans nous donner plus d'explications. Je souhaiterais connaître votre regard sur le sujet.
D'une manière plus prospective, ne pensez-vous pas qu'en ressortant le risque trafic de l'objet concédé, nous pourrions optimiser le coût des nouvelles concessions pour l'argent public ? Avec le taux de rendement des sociétés privées, ce risque trafic me semble nous coûter extrêmement cher. Nous avons un exemple sur Lyon, où un morceau de contournement a été concédé à Sanef sans le risque trafic. Les péages sont donc encaissés par la puissance publique.
Enfin, de nouvelles sociétés ont été conçues pour le domaine de l'eau. Les avez-vous déjà contrôlées ? Ne pourraient-elles pas se révéler intéressantes, avec quelques adaptations, pour de futures relations entre la puissance publique et les concessionnaires ?
J'ai évoqué à plusieurs reprises la faiblesse du contrôle de l'Etat. Face à des contrats de 70 ans, assurer un archivage solide serait un plus. A défaut, les sociétés concessionnaires peuvent faire valoir des revendications infondées. Cette situation n'est pas propre cependant aux sociétés concessionnaires d'autoroutes. Dans un système de délégation de service public ou de concession, il existe souvent un déséquilibre entre l'autorité concédante et le concessionnaire ou délégataire qui possède parfois beaucoup plus de connaissances. Daniel Vasseur en a donné des exemples assez précis.
Sur l'avenir des concessions, les premières échéances sont prévues en 2034. La Cour n'a pas fait de prospective sur le sujet. Nous avons formulé des recommandations pour que ces fins de concession soient gérées au mieux, avec une amélioration du suivi. Je ne suis pas fondée en revanche à vous préciser le choix qui doit être fait. D'ailleurs, la Cour n'a pas pour mission de faire des choix politiques. Elle essaie d'éclairer la décision publique.
Quant aux nouvelles formes d'organisation sociétale, la Cour n'a pas effectué de contrôle récent sur la gestion de l'eau et les délégations de service public sur ce champ.
Dans le cadre de vos contrôles actuels, n'estimez-vous pas que le risque trafic nous coûte très cher ?
Il existe une série de formules permettant de partager les risques entre la collectivité publique et la collectivité privée. Le risque trafic est valorisé beaucoup plus cher par une entité privée que publique. En général, il peut être intéressant de déléguer le service public parce que l'on en attend en contrepartie une plus grande efficacité. Il faut examiner les avantages et les inconvénients de chaque mode de gestion. Il est possible de trouver des formules intermédiaires faisant en sorte que l'entreprise privée gère le service, l'entité publique supportant le risque.
Dans le plan de relance autoroutier, plus on repousse le remboursement d'un risque pris par une entreprise privée loin dans le temps, plus ce risque sera valorisé de manière élevée. Notre rapport soulignait bien que nous avions payé très cher le report dans le temps et le risque trafic.
Je vous remercie.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
- Présidence de M. Éric Jeansannetas, président -
Mes chers collègues, nous entendons M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État chargé des transports depuis septembre 2019 auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, Mme Élisabeth Borne, que nous avons auditionnée la semaine dernière.
Après une carrière dans l'aéronautique et le secteur privé, vous avez été élu député de la Haute-Vienne en 2017, une région - le Limousin - qui nous est chère à tous les deux. Elle est aujourd'hui bien représentée.
Cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle fera l'objet d'un compte rendu qui sera publié.
Monsieur le ministre, je vous remercie de vous être rendu à notre convocation. Je salue également les collaborateurs qui se trouvent à vos côtés. Je vous rappelle qu'un faux témoignage devant une commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, et je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité. Levez la main droite et dites : « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Jean-Baptiste Djebbari prête serment.
Merci, monsieur le ministre. Vous avez la parole pour un propos liminaire.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les sénateurs, je suis heureux que nous puissions échanger à propos d'un sujet éminemment politique sur lequel j'ai été amené à me pencher en tant que député. Mes fonctions actuelles confortent mon intérêt pour cette question. Elles me permettent de porter un regard rétrospectif sur le passé du réseau autoroutier et de tracer quelques perspectives pour l'avenir.
Ce modèle autoroutier s'est dessiné au milieu des années 1950. Ses modalités de gestion ont beaucoup évolué au fil des années. Elles ont fait émerger un réseau routier qui fait beaucoup d'envieux en Europe pour la qualité de ses infrastructures et de ses services, ainsi qu'un modèle qui a fait l'objet de contentieux et de nombreux débats politiques qui m'amènent aujourd'hui à échanger avec vous.
Peut-être vais-je revenir rapidement sur les leçons que j'en tire au titre de mes fonctions. Je dirai un mot du présent et tracerai les perspectives d'avenir telles que je les envisage aujourd'hui.
J'ai eu l'occasion d'écouter vos différents interlocuteurs, et je ne reviens pas sur le passé. L'État a innové en 1955 en concédant pour la première fois la construction et l'exploitation de ses autoroutes, qui ont vu la durée des concessions s'allonger et intégrer des sections interurbaines moins rentables à l'époque. Ceci a eu le mérite indéniable de soutenir l'aménagement du territoire. On peut assez facilement s'en convaincre quand on compare la carte de l'année 1960 à celle du milieu des années 1990. Cela a permis de soutenir la vitalité d'un certain nombre de territoires, comme le grand Massif central ou autres, et d'assurer leur connectivité.
De fait, ce réseau, de 80 kilomètres au moment de sa création en 1955, est passé à environ 1 500 kilomètres en 1970 et compte aujourd'hui 9 100 kilomètres, ce qui en fait un réseau quasiment comparable au réseau non concédé, qui représente aujourd'hui environ 12 000 kilomètres.
S'il fallait ne retenir que deux dates, on pourrait en premier lieu choisir l'année 2006, qui a constitué un tournant majeur avec la privatisation des sociétés concessionnaires. On peut certainement s'interroger sur le fait que le changement d'actionnaire ait été réalisé sans revoir les modalités du contrat de concession, notamment la loi tarifaire. C'est une pomme de discorde qui, depuis, a donné lieu à beaucoup d'interrogations et de contre-vérités, et qui a eu pour défaut d'altérer la confiance des élus et d'une partie de l'opinion dans la gestion par l'État de ses relations avec les sociétés concessionnaires.
Le deuxième moment important est, de mon point de vue l'année 2015. Le protocole signé a permis de solder les différents litiges qui existaient alors et de tirer profit d'un certain nombre de recommandations de la Cour des comptes, de l'Autorité de la concurrence et de la Commission européenne. Il y a véritablement un avant et un après 2015.
L'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (Arafer), est ainsi devenue l'Autorité de régulation des transports (ART), compétente pour rendre des avis importants, comme ceux mis en oeuvre en 2018, par exemple. On peut également la faculté d'introduire de clauses de plafonnement des surprofits concernant la rentabilité des avenants. Différents apports sont par ailleurs venus préfigurer ce que seront les autoroutes de demain, comme la contribution volontaire des sociétés concessionnaires, essentiellement versée à l'Agence de financement des infrastructures de transport (AFIT) pour financer les transports collectifs, ou la mise en place de mesures commerciales destinées à favoriser les publics les plus fragiles - jeunes, étudiants - et de modes de transport plus vertueux, tels le covoiturage.
Pour en revenir au présent, nous vivons sous l'empire du modèle mis à jour en 2015, qui a déjà porté ses fruits. L'avenant au plan d'investissement autoroutier (PIA), en 2018, s'est directement inspiré de l'avis de l'ART, notamment s'agissant du taux de rentabilité. Nous avons, par là même, démontré l'intérêt d'un régulateur fort sur ces sujets.
Il existe aussi des enjeux très contemporains liés à la transition écologique, comme l'implantation des bornes électriques nécessaires à l'itinérance. Ceci fait assez largement écho au plan de soutien à l'industrie automobile, qui en avait bien besoin. Tout se tient donc.
Nous avons également besoin d'investissements nouveaux pour les voies réservées, afin de permettre davantage de transports collectifs sur les autoroutes. Il est, pour ce faire, nécessaire que le modèle actuel et le modèle futur soient acceptables du point de vue de l'usager et du contribuable.
Pour l'avenir, les principales concessions historiques arrivent à échéance entre 2031 et 2036. Le droit européen pose un certain nombre de conditions pour la perception des péages. Quelques questions se posent dans cette perspective. Il ne s'agit pas de questions faciles.
La première est de savoir comment l'on veut opérationnellement gérer notre réseau autoroutier : veut-on une gestion unitaire de l'ensemble du réseau ou préserver une gestion différenciée avec un réseau rapide et payant ? On pourra peut-être revenir à ce sujet sur la question des 110 kilomètres. Souhaite-t-on un réseau d'aménagement du territoire gratuit, financé par la puissance publique ? Si ce deuxième modèle perdure, doit-on avoir recours en tout ou partie à des opérateurs privés ?
Autre question importante : qui finance ? Peut-il s'agir d'un modèle intégralement financé par l'État ? C'est le cas, par exemple, en Espagne où la fin des concessions a pris effet au 1er janvier 2020. Le financement par l'État, c'est le financement par l'impôt et donc, in fine, par le contribuable. Comment sécuriser les ressources nécessaires, dans un contexte où la régulation budgétaire est une réalité annuelle ?
A contrario, veut-on préserver un modèle où c'est finalement l'usager qui paye ? Peut-être souhaiterait-on, dans cette hypothèse, aller vers une plus grande contribution de ceux qui polluent ou pollueront le plus à l'avenir.
La troisième question qui me paraît importante est de savoir ce que l'on veut jusqu'à l'échéance 2031-2036. On peut évidemment ne rien faire, ne pas toucher aux contrats tels qu'ils sont aujourd'hui, en considérant que ce sont des objets politiques un peu trop sensibles. On peut les réviser en tenant compte des améliorations de 2015, les contrats qui existent aujourd'hui comportant des investissements qui n'ont plus la même pertinence qu'auparavant. Je pense notamment à des élargissements de voies autoroutières à deux fois trois voies ou deux fois quatre voies, qui ne correspondent pas forcément à la nature des investissements que j'ai cités auparavant.
Enfin, comment rendre ce modèle acceptable ? Ces sujets peuvent évidemment susciter l'émoi ou l'enthousiasme, notamment lorsqu'on en débat localement. J'ai eu à vivre cette expérience au sujet du projet d'autoroute concédée entre Limoges et Poitiers. J'y reviendrai peut-être au cours des questions. Il me semble que cette question est une question d'acceptabilité locale. Mon expérience de député et de secrétaire d'État en charge des transports me laisse à penser que la clé réside dans la conviction que ces projets se feront parce qu'ils ont une utilité socio-économique locale. Autrement dit, tous les grands projets qui ont achoppé ces dernières années - EuropaCity, Notre-Dame des Landes - sont des projets qui ont fini par ne plus faire sens pour les populations. De ce point de vue, les projets d'infrastructures présentent les mêmes caractéristiques.
De toutes ces questions peuvent découler des modèles très différents. Il ne faut jamais oublier qu'un projet d'infrastructures n'est pas une fin en soi, mais qu'il répond aux besoins de la société. Or ces besoins évoluent. La Convention citoyenne pour le climat en est une des illustrations. Cela me semble constituer un très bel objet de débat politique.
Merci pour ces propos, monsieur le ministre. Vous avez bien posé toutes les problématiques que soulève la commission à travers les différentes auditions.
La parole est au rapporteur.
Sans vouloir contredire le président, nous nous penchons également sur quelques autres éléments que vous n'avez pas abordés dans votre propos liminaire, mais il était assez court, et je vous en remercie.
Vous avez pris des positions en tant que député sur la création d'une société à capitaux publics pour reprendre en gestion les concessions d'autoroutes historiques. Restez-vous sur cette ligne ? Est-ce une idée que vous avez toujours en tête ? Se fondait-elle sur une conviction ou un certain nombre d'études ou d'éléments financiers sur lesquels vous avez pu travailler ? Est-ce un sujet que vous pouvez aborder dans les discussions interministérielles au sein du Gouvernement, ou bien cela reste-t-il dans les archives de l'Assemblée nationale, au titre des positions prises par le député Jean-Baptiste Djebbari ?
Par ailleurs, concernant l'ART, vous avez dit qu'il existe un avant et un après 2015, à la fois en matière d'organisation et de suivi des sociétés concessionnaires d'autoroutes, qui trouvent d'ailleurs que ce dernier un peu trop strict et fréquent, estimant que l'État est plutôt favorisé. Notre commission d'enquête l'entend depuis un moment.
Des améliorations ont également été apportées sur le plan législatif, notamment concernant le fait que les prolongations de contrats doivent passer par l'autorisation du Parlement, ce qui me semble une bonne chose. Pensez-vous que l'on puisse encore apporter des améliorations sur ces aspects dans les missions de l'ART, la façon d'aborder son contrôle, ses avis et leur prise en compte ?
Croyez-vous, tout en restant assez strict dans le contrôle, comme doit l'être l'État, à chaque fois que l'on confie une mission au secteur privé, qu'il faille aller au terme des concessions actuelles ? Comment préparer la suite ?
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, je répondrai à ces nombreuses questions suivant l'ordre chronologique.
Je crois être constant dans mes positions. Tout est public et je ne renie rien des propos que j'ai pu tenir. Ceux-ci visaient toutefois deux éléments différents.
Le premier élément concernait le financement de la loi d'orientation des mobilités (LOM), dont le dispositif s'inspirait très largement des discussions que j'avais pu avoir avec Thierry Dallard, président du directoire de la Société du Grand Paris, qui a mené des travaux sur la contribution de mobilité durable - une production de l'Institut de la gestion déléguée - et sur le fait de savoir comment gérer un réseau dual, concédé ou non, jusqu'à l'échéance des concessions, pour des raisons d'aménagement du territoire, dans un contexte de ressources budgétaires assez rares.
À l'époque, il manquait dans la LOM 500 millions d'euros de financement par an. L'idée que j'avais portée était de dire qu'il était possible, pour financer cette somme, d'annoncer le retour des concessions autoroutières dans le giron de l'État entre 2031 et 2036, pour respecter la lettre et l'esprit des contrats, sur la base des recettes futures perçues par l'État, en prenant en compte la directive Eurovignette qui, comme vous le savez, réduit la capacité de percevoir du péage et de lever de la dette.
Cette solution présentait le défaut d'endetter notre pays à des conditions d'ailleurs plutôt bonnes, mais un peu plus élevées que le taux d'endettement de l'État. Cette solution n'a pas prospéré. On a choisi un bouquet de ressources fiscales pour financer la trajectoire de la LOM, notamment la contribution sur le transport aérien.
Le second élément visait la gestion future. Je ne renie rien de ma réflexion politique sur ce sujet. Je pense que la deuxième partie de mon raisonnement demeure valide. La première est de fait écartée, la LOM ayant été financée.
S'agissant du rôle de l'État et de l'ART, peut-être faut-il rappeler les fonctions de chacun. Le ministère des transports s'occupe du contrôle opérationnel, s'assure que les opérations sur les réseaux concédés et non concédés se font en toute sécurité, se charge des commodités pour les usagers. On a connu un sujet extrêmement concret avec les routiers qui, dans les premiers jours de la crise sanitaire, ont trouvé sur le réseau, concédé ou non, des toilettes condamnées, des sanitaires non disponibles, des points de restauration fermés. Nous avons contrôlé les choses et avons incité à y remédier sur le réseau public comme sur le réseau concédé, et tout a pu rentrer dans l'ordre au bout de quelques jours. Le travail des agents du ministère des transports a été sur ce point particulièrement précis et intense.
Sur le plan environnemental, les protocoles successifs, notamment ceux de 2015, ont permis, au sein des contrats qui ont fait l'objet d'avenants, de mettre en oeuvre différentes mesures en matière de biodiversité ou de protection des zones humides, par exemple. Ceci a permis de faire avancer les choses. C'est la responsabilité du ministère des transports que de vérifier que tout se fait de la meilleure des façons.
Il revient à Bercy de procéder au contrôle économique et financier, la charge de régulateur revenant à l'ART. Chacun doit être dans son rôle, et il est bien du ressort du politique, sous le contrôle du Parlement, de se prononcer sur l'analyse des opportunités politiques de développement de telle ou telle infrastructure. Mme Borne a eu des propos très précis à ce sujet, que je reprends à mon compte.
La troisième question que vous posez porte sur le modèle d'après. Doit-on aller au bout des concessions ou non ? J'ai essayé d'ébaucher quelques pistes, en expliquant qu'on pouvait « fossiliser » ces contrats ou utiliser le modèle post-2015 pour réaliser des investissements utiles et les questionner à nouveau, en lien avec l'ART, afin de déterminer les investissements inscrits et voir parmi ceux-ci ceux qui font encore sens ou non.
Je pense qu'il y a là une possibilité, avec les autoroutiers, avec qui nous devons avoir une relation ouverte et exigeante, de retrouver un peu de ressources financières pour réaliser des investissements utiles à la collectivité.
Pour ce qui est des modèles futurs, je reprendrai ici des propositions qui sont faites par des députés qui défendent des points de vue selon moi intéressants de concessions multimodales acceptables par l'usager, le péage servant à financer des lignes à grande vitesse ou de petites lignes ferroviaires, éventuellement à une échelle régionalisée. Les choses doivent évidemment être approfondies, mais permettent d'envisager les concessions au-delà de leur échéance.
Il existe d'autres solutions de régulation économique en cas de délégation ou si des opérateurs privés continuent à gérer opérationnellement les concessions. Les aéroports ou autres ouvrages d'art sont régulés par contrat, avec une clause de revoyure tous les trois, quatre ou cinq ans. Tout cela doit être expertisé de façon assez fine mais, en tout état de cause, des clauses de revoyure à échéance régulière me paraissent une des conditions d'acceptabilité d'un meilleur contrôle financier, en lien avec le régulateur, pour ne pas voir courir sur des périodes très longues des lois tarifaires qui s'imposent mais qui, à échéance régulière, viennent perturber le débat public et jeter l'opprobre sur les uns et les autres. Du point de vue de la démocratie, ce n'est pas souhaitable.
Monsieur le ministre, je voulais moi aussi revenir sur votre position de l'été 2019 et sur cette idée de créer une société anonyme à capitaux entièrement publics chargée d'exploiter les autoroutes pour le compte de l'État à la fin des concessions. Vous venez de rappeler que vous ne reniez pas cette idée, et je vous en félicite. Je la partage complètement.
Malheureusement, vous nous dites que cette solution n'a pas prospéré. Nous avons auditionné Mme Borne la semaine dernière. Je ne pense pas qu'elle était sur cette ligne.
Existe-t-il, au sein du Gouvernement, non une doctrine sur le sujet mais au moins une orientation, voire des réflexions sur l'avenir des concessions ?
En second lieu, le rapport de l'Autorité de la concurrence de septembre 2014 a été vilipendé par les concessionnaires, contesté par d'autres, mais s'avère riche d'informations pour les parlementaires. Quel est votre avis sur les conclusions de ce rapport ?
Il n'y a pas encore de doctrine établie sur l'avenir des concessions. C'est un peu loin, et la réflexion n'est pas aboutie. Pour être très clair, j'ai eu des échanges à plusieurs reprises avec les sociétés concessionnaires pour bien comprendre leur problématique, voir quels étaient leurs plans d'investissement, comprendre leurs contraintes et essayer d'avoir la vision la plus objective possible.
Il n'y a pas encore eu de discussions interministérielles sur l'avenir des autoroutes, mais c'est un sujet politique qui existe. Des propositions de nationalisation ont été faites à plusieurs reprises, et une proposition de loi a été examinée dans cette maison en 2019. Je ne doute pas que ce sujet reviendra à l'horizon 2022.
Il serait de bon ton que le parti politique auquel j'appartiens fasse des propositions - et je ne doute pas qu'il en sera ainsi.
J'avais envisagé à l'époque une société à capitaux publics détenant le patrimoine qui anime éventuellement à côté un fonds d'infrastructures public ou privé, et qui déléguerait ou concéderait tout ou partie de l'exploitation, de l'investissement, et de l'entretien d'un certain nombre d'infrastructures, avec les conditions de contrôle et de régulation que vous avez évoquées. Certains députés ont défendu des modèles plus maximalistes - en tout cas plus ambitieux. Les idées sont sur la table. Il y a matière à bâtir politiquement un projet, sous le contrôle du Parlement, car cela intéresse les territoires. Or l'aménagement du territoire conditionne la capacité desdits territoires à rester connectés, leur vitalité et leur attractivité. Tous les débats que nous avons actuellement sur les lignes aériennes - deux heures et demie, quatre heures, etc. - parlent de la même chose.
Deux réflexions sur le rapport de l'Autorité de la concurrence. En premier lieu - mais je crois que cela a été dit - l'évaluation de la surrentabilité en calculant le ratio entre la marge brute et le chiffre d'affaires sur une année n'était pas très convaincante du point de vue de l'ingénierie financière.
En second lieu, qu'est-ce qu'un risque et comment se matérialise-t-il ? La situation économique actuelle permet de l'illustrer. Le risque trafic qui s'est manifesté au moment de la crise de 2008, notamment pour les poids lourds, est revenu au même niveau dix ans plus tard. Les pertes estimées sont importantes. En matière de travaux, on évalue le surcoût à environ 200 à 300 millions d'euros pour les sociétés concessionnaires. La perte de recettes due à la crise sanitaire est de l'ordre de 2 à 2,5 milliards d'euros, si la dynamique se poursuit jusqu'à la fin de l'année.
Le débat politique a parfois consisté à dire qu'il existait une rentabilité établie face à des risques qui ne se réalisent jamais. On l'a souvent caricaturé sous cette forme. De fait, les risques se réalisent parfois, et même durement. C'est le cas actuellement.
Monsieur le ministre, il est agréable de dialoguer avec vous, parce qu'on obtient généralement des réponses, et je viens d'en obtenir une sur l'amendement Djebbari-Dallard. Vous avez cependant rappelé que cette solution n'avait pas été retenue et qu'on avait trouvé d'autres sources de financement.
Toutefois, cette démarche visait aussi à créer une société publique. Une estimation très prudente avait été faite. On estimait pouvoir percevoir au moins 4 milliards d'euros par an. Le ministre que vous êtes ne peut se désintéresser d'un tel potentiel. Vous nous faites des réponses prospectives très larges, mais je voudrais connaître votre sentiment sur l'hypothèse de retrouver un modèle public.
Mme Borne a par ailleurs évoqué de nouveaux contrats de concession plus resserrés, permettant notamment d'intégrer des principes pollueur-payeur et des autoroutes « plus vertes ». Ce sera ma deuxième question. L'innovation avance très peu en matière d'autoroutes. Il existe quelques expérimentations intéressantes de gares routières embranchées sur des voies réservées, avec bus express et modulation tarifaire.
Nous avons suivi ce matin une remarquable audition de M. Repentin qui nous a décliné tout le champ des possibles, prenant l'exemple de modèles d'autoroutes à l'étranger qui n'existent pas chez nous. D'où viennent les blocages ? Même dans la LOM, les différents amendements que j'ai déposés pour faciliter la création de voies réservées n'ont pas abouti. S'agit-il de problèmes de dogmes liés à la sécurité ?
Troisième question : pour l'avenir, ne faut-il pas envisager de nouvelles relations entre l'état et les concessionnaires et ne pas faire porter le risque trafic aux concessionnaires privés ? On en a quelques exemples en France. Les coûts peuvent baisser substantiellement. Certaines études estiment que le coût de la prise en compte du risque trafic par le privé représente entre 30 et 40 % du prix de sa prestation.
Enfin, à faire de la prospective, on écarte les responsabilités actuelles de l'État. On a découvert pendant cette commission d'enquête que l'état des lieux des concessions devait être fait de manière régulière. Or le contrôle qui devait être réalisé en 2017, avant votre arrivée, n'a pas été effectué. Qu'en est-il ?
Monsieur Jacquin, je partage votre plaisir de discuter ensemble. C'est toujours enrichissant. Je vais donc essayer d'être pratique et peu prospectif sur le sujet.
En tant que député, j'ai souhaité porter un projet d'autoroute concédée entre Limoges et Poitiers. J'ai vu très concrètement comment les choses se posaient en termes d'évaluation du trafic et du risque. Parmi les différents modèles que j'ai proposés figuraient des autoroutes à péage, où le risque trafic est supporté par la collectivité, et des modèles dits d'autoroutes concédées, où le risque trafic est supporté par l'opérateur privé.
Comment améliorer tout cela ? Il est difficile d'établir des hypothèses de trafic partagées. Lorsque vous parlez à la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL), à un opérateur qui produit une note prospective ou aux services de la région, vous n'avez jamais les mêmes réponses, et dans des proportions qui varient parfois du simple au triple, ce qui a parfois un côté un peu inquiétant.
Il y a probablement des compétences à garder en l'état. Le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA) est, par exemple, une agence de très grande qualité. Peut-être faut-il se doter d'algorithmes ou d'outils qui permettront de mieux évaluer le trafic et de faire porter un risque traduit en taux de rentabilité. C'est mon expertise de député qui me le fait penser.
D'où viennent les blocages en matière de transition écologique ? Je pense qu'ils proviennent en partie des relations réputées compliquées entre le concédant et les sociétés concessionnaires. L'une des clefs est d'avoir des échanges exigeants et ouverts, l'État, défendant l'intérêt général et les concessionnaires leur intérêt particulier.
Les blocages viennent peut-être de l'incapacité à avoir des discussions apaisées sur les investissements qui font sens, ceux qui doivent être remis en question, l'environnement ou le paysage fiscal. Les choses varient, et il serait politiquement sain que nous mettions en place, dans l'ensemble du secteur des transports, une forme de stabilité fiscale, car les investissements se font sur le temps long, avec des cycles économiques parfois compliqués et sujets aux aléas.
Cette affaire présente une dimension de confiance, de stabilité et de prévisibilité pour l'ensemble des acteurs.
Je vous ferai une réponse par écrit quant à l'état des lieux. Il me semble que, du point de vue du contrôle opéré par mes services et de la sous-direction de la gestion et du contrôle du réseau autoroutier concédé (GCA), dont l'éminent sous-directeur est derrière moi, les choses sont bien gérées. En tout cas, il a toute ma confiance.
S'agissant de la pertinence du modèle financier, on évalue les frais financiers à 700 millions d'euros. Ce mécanisme a un coût, mais cela pose la question plus large du financement des grandes infrastructures. D'autres idées existent dans les différents organismes qui réfléchissent à ces sujets. Je dissocie le besoin de financer la trajectoire de la LOM, pour lequel cette réflexion a été menée, les différentes opportunités de financer des infrastructures qui vont bien au-delà de la proposition que j'ai faite, et les diverses façons de réguler par contrat ces infrastructures.
Mme Borne a parlé de nouveaux contrats concessifs sur des modèles plus récents. J'ai parlé de contrats de régulation économique avec des temporalités plus courtes, qui pourraient également s'appliquer. Tout ceci devrait être débattu sous le contrôle du Parlement quand les choses se présenteront.
Monsieur le ministre, je suis heureux de vous entendre, car vous êtes un bon ministre.
Vous avez évoqué tout à l'heure le problème de la liaison autoroutière Poitiers-Limoges. Il se trouve que je suis élu à Poitiers et que j'ai présidé le département. Si les choses ne se sont pas faites, c'est de la faute des élus du Limousin et de la Vienne, qui ont été incapables de se mettre d'accord : ils voulaient trois voies, quatre voies, l'autoroute. L'autoroute n'est pas rentable, on le sait.
Des financements pour réaliser une quatre voies ont été apportés par deux ministres, Jean-Claude Gayssot, sous Lionel Jospin, puis Jean-Pierre Raffarin. Les élus ne s'entendant pas entre eux, l'État a mis ces crédits ailleurs. Rien ne s'est fait, et on avance très doucement.
Vous évoquez en deuxième lieu les nationalisations à venir. En France, on a vu la gauche nationaliser, puis dénationaliser. Nationaliser c'est très bien, mais comment allez-vous faire pour financer tout cela ? Il faut des fonds. Ils seront de plus en plus importants. Où les prendrez-vous ? Les nationalisations coûtent des fortunes !
Troisièmement, je ne comprends pas que la France réalise des routes aussi chères. Nous sommes le pays d'Europe où les routes sont les plus onéreuses - c'est le fait des anciennes DDE -, alors qu'on peut faire des routes tout aussi efficaces et moins chères.
Y a-t-il des projets de nationalisation dans les cartons du Gouvernement ?
En tout cas, pas dans les miens, monsieur le président.
Je partage l'avis du sénateur Fouché concernant le dissensus politique qui a empêché certains projets de prospérer s'agissant de la liaison Poitiers-Limoges.
Pour en revenir à la nationalisation, celle-ci a un coût. Des études ont été faites : fin 2019, on serait à 44 milliards d'euros, voire plus au regard des contrats en cours et des recettes attendues. C'est tout le sujet autour du gel de fin décembre 2014, qu'il a fallu compenser par des augmentations de tarifs entre 2019 et 2023. Tout cela est bien connu, et il est heureux que, dans un état de droit, les contrats s'appliquent de bonne foi. Les décisions d'un jour qui peuvent paraître populaires ont souvent des coûts importants pour les finances publiques, le contribuable ou l'usager.
Il n'y a pas de projet de nationalisation des autoroutes dans les cartons du Gouvernement actuel, mais il existe une réflexion sur l'après-concession. Ce patrimoine de 150 milliards d'euros revient par contrat dans le giron de l'État, qui a le choix soit de le concéder à nouveau, soit de le gérer directement. Nous aurons ce débat, dont les grandes lignes doivent porter sur le modèle de réseau que nous souhaitons, son financement, les capacités contributives de chacun et le rôle des sociétés concessionnaires. Celles-ci disposent de compétences, de moyens et ont prouvé qu'elles savaient entretenir, concevoir et exploiter les autoroutes pour un taux moyen au kilomètre qui, me semble-t-il, est dans la moyenne européenne. Nous enverrons ces éléments à M. Fouché de façon à clarifier le débat, si besoin était.
Merci monsieur le ministre. Si on a bien compris, le bien, lors de sa remise, doit être plein état de fonctionnement. Il n'y a là aucun coût pour l'État. Il faudra donc y réfléchir dans quelques années.
La parole est au rapporteur.
Monsieur le ministre, je voudrais évoquer les tarifs. Le système autoroutier concédé français compte 40 000 tarifs différents, pour lesquels les sociétés concessionnaires d'autoroutes remettent des propositions fin novembre, début décembre. La direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM) et la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) disposent d'assez peu de temps pour vérifier tous ces tarifs qui devraient être relativement simples à calculer puisqu'on applique un taux moyen. Or les règles d'arrondi font que le système se complique. Ceci s'explique par des paiements en liquide. De quels moyens dispose-t-on pour améliorer ce système ? Faut-il laisser plus de temps à l'administration ?
Existe-t-il des moyens de simplifier les choses ? Peut-on supprimer les paiements en liquide ? Cela n'améliorait-il pas largement le dispositif ? Il nous semble qu'il existe dans ce domaine des voies d'amélioration non négligeables.
Par ailleurs, le Gouvernement réfléchit-il à des travaux dans le cadre d'un plan de relance ? Ceux-ci sont la plupart du temps réalisés par des sociétés françaises. C'est toujours intéressant en termes d'emplois, sachant qu'on a enchaîné plans de relance et PIA et que ces plans ne sont pas encore achevés. Pourrait-on néanmoins en relancer de nouveaux ?
96 % ou 97 % des projets du PIA de 2016 restent à réaliser. C'est un volume considérable. Il y aura bien un plan de relance. Certaines demandes territoriales ne concernent pas en l'état des projets autoroutiers mais, pour autant, nous avons des projets assez matures en cours d'instruction, comme le projet Toulouse-Castres, pour lequel la désignation des candidats se fera dans les prochaines semaines et dont l'attribution est prévue en fin d'année.
S'agissant de la question des modalités de paiement des péages et, d'une manière générale, des nouvelles technologies applicables à l'usage des autoroutes, il est évident que les passages en free flow, avec abonnement ou les paiements automatisés en fin de mois intéressent beaucoup d'usagers. De même, le télépéage a permis de fluidifier davantage les passages, notamment des voyageurs récurrents.
Je ne sais pas si interdire le paiement en monnaie serait acceptable sur un plan juridique. Il semble que l'on recourt de moins en moins à la monnaie, comme en témoigne la réduction très forte des différents points de passage aux péages.
Pour ce qui est de l'instruction des augmentations annuelles de tarifs par les services, il n'y a pas à ma connaissance, sous le contrôle du sous-directeur, de problèmes de délais. Il s'agit de concessions bien connues, pour lesquelles les règles de calcul sont établies et qui se simplifient avec le temps.
Il est cependant nécessaire d'avoir à la fois une certaine stabilité dans ces environnements et une capacité de pouvoir régulièrement questionner les règles. Vous avez eu l'opportunité de débattre de ces clauses de revoyure, y compris s'agissant d'une ingénierie financière parfois complexe. Un des leviers efficaces dans la relation entre concédant et concessionnaire et le traitement administratif de cette relation contractuelle repose sur la capacité d'interroger à nouveau un certain nombre d'hypothèses sous-jacentes, notamment en matière tarifaire, et d'en simplifier les déterminants financiers.
Le PIA a permis des travaux de rénovation voire de réhabilitation qui peuvent être assez dispendieux, car techniques. Ainsi, pour permettre l'élargissement de l'autoroute, on réalise un viaduc en trois tronçons. Ce ne sont pas des travaux légers. Dans le même temps, on a une ligne ferroviaire qui ne fait l'objet d'aucune amélioration. L'autoroute devient donc largement compétitive en temps par rapport à la ligne ferroviaire. Comment résout-on l'objectif de stratégie nationale bas carbone quand on sait que le transport est l'un des principaux émetteurs de gaz à effet de serre, avec le logement ? On a donné aux autoroutes le moyen de réaliser des investissements là où d'autres secteurs du transport n'en ont pas.
C'est un sujet très intéressant. Je crois avoir déjà eu l'occasion d'échanger sur ces points avec certains d'entre vous. Cette question est celle de la complémentarité et de la concurrence entre les différents modes de transport et la façon très différente qu'on a de les financer. 70 % du budget du ministère est alloué au mode ferroviaire.
Nous sommes donc présents en termes de stratégie nationale bas carbone. On a d'ailleurs déjà tenté de régénérer les petites lignes ferroviaires. Nous avons signé, le 20 février, entre la pandémie mondiale et la fin de la grève, deux contrats avec les régions Centre-Val de Loire et Grand Est pour trouver des mécanismes contractuels entre l'État et les régions afin de poursuivre et pérenniser ces lignes importantes pour l'irrigation du territoire, parfois concurrencées par la route.
Cela pose aussi la question des 110 kilomètres à l'heure, que je souhaitais évoquer. Ces liaisons rapides et payantes, qui ont pour intérêt de sécuriser les déplacements, ont aussi un coût. Si on dégrade le niveau de service de ces axes pour des raisons acceptables sur le plan écologique, il faut peut-être actualiser le bilan coût-bénéfice. Je n'ai pas de religion sur le sujet. J'observe que le débat sur les 80 kilomètres à l'heure portait beaucoup sur la sécurité routière, l'écologie et les libertés individuelles, ce qui a rendu la question assez complexe à comprendre. L'hypothèse des 110 kilomètres à l'heure sur autoroutes pose plusieurs questions. La première est celle de la vitesse maximale. Tout le monde ne roule pas tout le temps à la vitesse maximale, mais à une vitesse moyenne inférieure. Quand on abaisse la vitesse maximale, on abaisse la vitesse moyenne. Dès lors, la sensibilité au prix peut varier, et on peut être tenté de se reporter sur le réseau secondaire pour ne pas payer, mais on congestionne alors ce dernier, on passe à travers des villes, et l'accidentalité augmente. Cela soulève d'autres questions.
C'est ce que vous soulignez, je crois, à propos de la complémentarité et de la concurrence des modes de transport, y compris dans leur dimension en termes de sécurité routière et d'aménagement du territoire.
Ce sont des sujets extrêmement complexes, et c'est aussi une des priorités du ministère que je dirige que d'essayer de se doter de ces outils de comparaison compliqués en termes de gestion des flux et de contribution environnementale. C'est sur ce sujet que nous allons essayer d'avancer ces prochains mois.
Vous nous aviez « tendu la perche » dans votre propos liminaire à propos des 110 kilomètres à l'heure. La question de notre collègue Christine Lavarde était donc la bienvenue.
Nous vous remercions, ainsi que vos collaborateurs, pour votre participation à cette audition.
La réunion est close à 17 h 25.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.