Nous procédons à la première audition de notre commission d'enquête sur les mesures de compensation des atteintes à la biodiversité engagées sur des grands projets d'infrastructures.
Cette commission d'enquête a délimité un double cadre pour ses travaux : d'une part, elle étudiera en particulier les mesures d'anticipation, les études préalables, les conditions de réalisation et le suivi dans la durée des mesures de compensation ; d'autre part, elle analysera en détail quatre cas spécifiques, quatre projets d'infrastructures : le suivi des mesures mises en oeuvre dans le cadre de la construction de l'autoroute A65, la réalisation en cours des mesures de compensation du projet de LGV Tours-Bordeaux, les inventaires et la conception des mesures de compensation pour le projet d'aéroport à Notre-Dame-des-Landes, et enfin la réserve d'actifs naturels de Cossure en plaine de la Crau.
Ces projets en sont tous à un stade différent de mise en oeuvre de la compensation. Ils devront donc nous permettre d'étudier chaque stade de ce dispositif, d'apprécier l'efficacité et surtout l'effectivité du système de mesures compensatoires existant, et d'identifier les difficultés et les obstacles éventuels qui aujourd'hui ne permettent pas une bonne application de la séquence « éviter-réduire-compenser » (ERC).
Nous avons souhaité auditionner en premier lieu les représentants de l'État, en l'occurrence la Direction générale de la nature, de l'aménagement et du logement (DGALN). Son directeur, M. Paul Delduc, est accompagné de M. Guillem Canneva, adjoint à la sous-direction de l'action territoriale et de la législation de l'eau, et de M. Jacques Wintergerst, adjoint à la sous-direction de la protection et de la valorisation des espèces et de leurs milieux.
Chacun des groupes politiques du Sénat dispose d'un droit de tirage annuel qui lui permet de solliciter la création d'une commission d'enquête. Le bureau du Sénat a accepté la demande du groupe écologiste d'utiliser ce droit pour soulever la question des mesures de compensation des atteintes à la biodiversité. C'est sur cette base que notre commission d'enquête s'est constituée le 29 novembre dernier. M. Ronan Dantec, auteur de la proposition de résolution à l'origine de la constitution de cette commission, en est le rapporteur.
La DGALN fait partie des six directions rattachées au ministère de l'environnement, de l'énergie et de la mer. Elle a trois priorités : élaborer, animer et évaluer les politiques de l'urbanisme, de la construction et du logement ; les politiques des paysages, de la biodiversité et de l'eau ; la protection de l'ensemble du patrimoine naturel, y compris la mer et le littoral.
Je rappelle que tout faux témoignage et toute subordination de témoin serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, soit cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende pour un témoignage mensonger.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Paul Delduc prête serment.
Pouvez-vous nous indiquer, à titre liminaire, les liens d'intérêts que vous pourriez avoir avec les différents projets concernés par notre commission d'enquête ?
Aucun, madame la présidente.
Je voudrais rappeler quelques éléments historiques pour montrer que la question des mesures compensatoires a pris une ampleur particulière dans la période récente. C'est avec la loi de 1976 et les études d'impact que la séquence « Eviter, réduire, compenser », dite ERC, a été précisée par le législateur. Les réglementations communautaires ont ensuite évolué, avec l'adoption de la directive Oiseaux de 1979 et, en 1992, de la directive habitat-faune-flore puis de la directive-cadre sur l'eau en 2000. Cela a abouti à des régimes spécifiques de protection qui contenaient des versions de la séquence ERC, complétant celle, générale, de l'étude d'impact. À la fin des années 2000, la séquence « Eviter, réduire, compenser » a pris une tournure nouvelle, avec la traduction dans la législation française de l'impératif de protéger non pas seulement les spécimens d'espèces protégées, mais également leurs aires de reproduction et leurs sites de repos, c'est-à-dire une partie de leurs habitats. Les zones désormais concernées par la réglementation des espèces protégées ont été élargies.
La prise de conscience de la nécessité de mesures compensatoires et la dimension de ces dernières ont évolué dans le temps. Pour prendre l'exemple de l'A65, l'État et les parties prenantes ont voulu montrer - on était juste après le Grenelle de l'environnement - que les choses pouvaient être faites correctement, en prenant en compte les caractéristiques des espèces protégées et les zones humides. Le mouvement s'est poursuivi depuis : volonté d'une meilleure compréhension des actions à mener, progression dans la technicité des échanges entre parties prenantes... Je vous ai adressé des documents qui servent à éclairer aussi bien le maître d'ouvrage que les instructeurs, l'État, pour apprécier les atteintes à la biodiversité et la façon de les éviter, de les réduire, de les compenser.
La loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages a introduit des éléments de cadre commun qui traduisent la doctrine ERC élaborée par les parties prenantes en 2012. Subsistent malgré tout des régimes particuliers : l'étude d'impact, les zones humides, la réglementation propre à Natura 2000 et les espèces protégées. Le premier, l'étude d'impact, présente un spectre plus large que les autres, puisqu'il permet la prise en compte des impacts significatifs sur de la biodiversité ordinaire. Les autres sont davantage focalisés sur de la biodiversité patrimoniale - Natura 2000 pour des habitats et des espèces d'intérêt communautaire, les espèces protégées pour des espèces listées, les zones humides pour des zones bien déterminées, avec des caractéristiques particulières. Le cadre juridique n'est donc pas aussi simple et univoque qu'on peut l'imaginer. Il existe plusieurs types de compensation, plusieurs natures de dommages à la biodiversité.
Il ne faut recourir à la compensation que si l'on n'a pas réussi à éviter ou à réduire. La compensation est un « résidu » ; elle ne constitue pas un objectif de l'administration ou du Gouvernement. Elle constitue un moyen de maintenir dans un état de conservation favorable les espèces impactées, soit en tant que spécimen soit dans leur habitat.
J'ajoute qu'il y a une spécificité pour les espèces protégées. Leur destruction suppose une raison d'intérêt public majeure. Cette exigence est plus forte que celle des autres réglementations. Les débats sont intenses sur certains projets, et la jurisprudence du Conseil d'État est assez limitée.
C'est au maître d'ouvrage de montrer qu'il respecte la séquence ERC. Pour les projets d'infrastructures, substantiels, que vous allez examiner, cela commence dès la phase initiale, en particulier pour les infrastructures linéaires, avec l'examen des différentes variantes du tracé d'abord, puis le resserrement du faisceau. Les documents produits par l'État, notamment par la Direction générale des infrastructures, des transports et de la mer, superposent les enjeux relatifs à la biodiversité et à l'eau avec les potentiels fuseaux. Cette phase est sous la responsabilité du maître d'ouvrage. Pour des projets ayant un impact majeur, l'État et les parties prenantes sont associés dès le stade de la réflexion préalable, afin de prendre en compte les enjeux les plus importants.
La phase de réduction consiste, pour les grandes infrastructures linéaires, à rétablir la transparence des ouvrages, en réalisant par exemple des passages inférieurs ou supérieurs. Pour prendre l'exemple du hamster, on a installé, sans trop y croire, des passages inférieurs puis on s'est rendu compte que les animaux les empruntaient. Nous faisons encore beaucoup d'expérimentations. On a ainsi essayé de guider les chiroptères dans des couloirs pour éviter leur collision avec des véhicules, ce qui fonctionne partiellement. Depuis dix ans, notre compréhension de l'efficacité des dispositifs de protection des animaux progresse !
Reste, in fine, la compensation. Le responsable est, je le redis, le maître d'ouvrage. Néanmoins, pour les grands projets, l'interaction avec les services de l'État est très forte. Pour reprendre l'exemple de l'A65, juste après le Grenelle de l'environnement, le Gouvernement voulait que les choses soient bien faites : le Conseil national de protection de la nature a donné un avis assorti de nombreuses recommandations, qui ont toutes été suivies par le maître d'ouvrage.
Les relations entre les services de l'État et les maîtres d'ouvrage peuvent être tendues, voire conflictuelles. Mais nous voulons aboutir à des résultats satisfaisants. La prise en compte de l'environnement peut être vécue par les maîtres d'ouvrage comme un « surcoût ». Mais les choses changent. Il est vrai que le coût de la compensation peut s'élever à 5 à 10 % du montant total de l'opération. Il ne faut pas négliger l'aspect pédagogique de cette contrainte, ainsi que de certains contentieux. Certaines décisions de justice clarifient les choses.
La séquence ERC figure dans les principes généraux du code de l'environnement à l'article L. 110-1. Il faut aussi noter que les mesures compensatoires doivent désormais faire l'objet de la plus grande transparence. C'est l'un des grands apports de la récente loi relative à la biodiversité. En pratique, chaque direction départementale des territoires conserve des dossiers pour chaque arrêté, avec des cartes, dans lesquels on pioche pour faire des contrôles. La loi prévoit désormais que les mesures compensatoires soient géolocalisées, mises en ligne, décrites et accessibles à tous. C'est une avancée obtenue à la suite des travaux sur la séquence ERC en 2012-2013. Un groupe de travail a travaillé sur cette question et la loi a acté cette nécessité de transparence. Chacun peut contrôler l'effectivité des mesures. L'État, de son côté, ne peut effectuer que des contrôles par sondage. Les arrêtés de prescription prévoient certaines obligations, comme un rapport annuel du maître d'ouvrage sur l'état d'avancement des mesures compensatoires. Au-delà, on peut effectuer des contrôles inopinés. Certaines verbalisations se font aussi sur la base d'observations des citoyens. Ce contrôle par sondage n'est pas exhaustif.
Vous avez dressé un tableau très complet. Je vous poserai trois questions complémentaires.
L'État a-t-il une vision claire de l'impact global des infrastructures sur l'état de la biodiversité, en termes notamment de fragmentation des milieux, de diminution des zones humides ? L'Etat est-il en situation d'avoir une stratégie globale où il intègre le besoin d'infrastructures dans une logique de préservation de la biodiversité ?
Au regard de l'évolution des effectifs du ministère de l'environnement, avez-vous la capacité de contrôler, notamment dans la durée, les mesures de compensation ?
Quel est le rapport de force entre l'État et les grands aménageurs s'agissant des infrastructures qu'il désire faire construire, c'est-à-dire dans des situations où il se retrouve un peu écartelé entre sa volonté de bénéficier de l'infrastructure et sa volonté de faire respecter les mesures de compensation ?
Les infrastructures représentent près d'un quart de la surface des espaces artificialisés. Vous pourrez trouver des précisions dans le rapport sur l'état de l'environnement en France.
Par ailleurs, les anciennes infrastructures, qui sont majoritaires, ont rarement été conçues pour établir la transparence. On cherche toujours des moyens pour rattraper la situation, par exemple trouver des financements pour rétablir des continuités entre massifs forestiers. Notre vision n'est donc pas claire, mais l'impact est historiquement fort. Notre pays est bien équipé, c'est ce qui le rend attractif aux yeux des investisseurs. Il faut trouver un équilibre entre, d'un côté, la nécessité d'améliorer l'attractivité de notre pays et de faciliter la circulation et, de l'autre, la recherche du moindre impact sur la biodiversité.
Pour les ouvrages récents que vous allez étudier, je note que la superficie du projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes n'est pas très grande. En revanche, les deux autres ouvrages linéaires représentent des superficies importantes, de 3 000 à 5 000 hectares. Le sujet essentiel reste pour moi le rétablissement de la continuité sur un grand nombre d'ouvrages anciens.
La deuxième question portait sur les moyens de contrôle de l'État. Le ministère de l'environnement contribue bien sûr au rétablissement des comptes publics. Il possède néanmoins quelques ressorts : les agents des directions départementales des territoires qui font du contrôle par sondage, ceux de certains établissements publics comme l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques pour les zones humides - ce sont eux qui ont récemment constaté les carences ou les défaillances de certains ouvrages -, et les agents de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage, plutôt utilisés pour Natura 2000.
Nos moyens de contrôle sont limités et nous obligent à procéder par sondage pour les ouvrages anciens. Sur l'A65, qui est l'un des premiers projets pour lesquels des mesures compensatoires significatives ont été prévues, le contrôle est relativement important et un suivi continu est exercé par la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL). Le cas est particulier, car des garanties sont apportées par un sous-traitant qui a des préoccupations d'image. La DREAL exerce néanmoins des contrôles ponctuels et s'assure du bon achèvement des opérations. A'liénor, le concessionnaire de l'A65, finalise les dernières conventions de gestion détaillées pour les 1 500 hectares de compensation. On prête peut-être plus d'attention à ce projet emblématique qu'à d'autres ouvrages construits depuis.
Le rapport de force entre l'État et les grands aménageurs est forcément complexe. L'État cherche une position équilibrée. Il serait problématique que l'État insiste pour réaliser des ouvrages qui impactent la biodiversité sans compensation possible. La loi relative à la biodiversité prévoit que si des impacts ne peuvent être compensés, le projet ne peut être autorisé en l'état. Cela figurait dans la doctrine de 2012. Ce principe est ancien pour les espèces protégées, car il découle clairement de la directive.
Un équilibre se fait toujours entre les différents intérêts en présence. Il y a une question de proportionnalité assez apparente dans la réglementation sur les études d'impact. Mais si le projet est mal ficelé, il risque d'être interrompu par des contentieux qui seront gagnés par les opposants. Certains projets ont été autorisés un peu rapidement, et n'ont pas résisté aux tribunaux... La force de rappel est donc assez importante. Quand les maîtres d'ouvrage en sont conscients, cela permet à l'État de montrer que tel ou tel élément risque de ne pas résister à un contentieux. Nous avons des moyens de ne pas trop nous laisser aller !
Avez-vous des exemples de projets qui ont été significativement modifiés, voire abandonnés, en raison de la contrainte de compensation ?
Je pourrais trouver des exemples dans les infrastructures routières, comme par exemple les contournements. Ce sont des projets qui ne sont pas indispensables au bon fonctionnement du réseau mais qui ont de forts impacts, par exemple parce qu'ils traversent des zones humides.
Quand un ouvrage a un impact très fort sur une partie significative de son emprise, il n'est plus intéressant de le réaliser ! Car les mesures compensatoires coûteront non pas 10 % du montant du projet, mais 50 % ou plus. Dans ces cas, on déplace ou on reconfigure certains ouvrages.
La jurisprudence contribue-t-elle à l'élaboration de la doctrine de compensation ?
L'efficacité des mesures de compensation a-t-elle été évaluée ? Nous savons ce que nous détruisons en construisant des infrastructures, nous essayons de compenser si nous n'avons pas évité ou réduit, mais quid de l'efficacité de ces mesures ?
Vous avez évoqué les passages pour les chiroptères ; on peut penser également à ceux pour le gibier. C'est un surcoût. À court terme, on constate le passage d'animaux ; mais dix ans après, les résultats sont-ils toujours les mêmes ? Si l'on n'avait rien fait, quelle serait la situation de part et d'autre du tracé de l'infrastructure ?
Par ailleurs, vous avez mentionné les différents scénarios examinés pour une infrastructure. C'est une situation à laquelle je suis confronté actuellement pour un projet. On a l'impression que les opérateurs écrivent à l'avance le scénario qui sera choisi. On organise un débat public, on sollicite les élus et on s'aperçoit que l'on revient toujours à ce qui avait été initialement décidé, même si les élus ont choisi un autre tracé qui dessert mieux les agglomérations concernées. N'y aurait-il pas un lobby des opérateurs ? Y êtes-vous sensible ou tenez-vous compte des élus de terrain ?
Madame Primas, quand les projets sont importants, l'État demande un suivi scientifique des mesures de compensation. C'est notamment prévu pour l'A65. On observe si les populations reviennent et dans quels effectifs. La loi le prévoit explicitement. Auparavant, il s'agissait d'une obligation de moyens ; désormais, c'est une obligation de résultat.
Les ouvrages plus anciens ont été équipés pour vérifier le nombre de passages. Nous avons donc déjà engrangé des informations, par type d'ouvrage et par type d'espèce, sur l'efficacité relative de telle ou telle méthode. La Direction générale des infrastructures, des transports et de la mer a publié un rapport intitulé Infrastructures linéaires de transport et reptiles et un autre sur les chiroptères, dans lesquels on trouve des éléments sur l'efficacité des mesures de réduction.
Il faut être honnête : le suivi des mesures compensatoires sera plus intense pour les projets importants que pour ceux de plus petite dimension. Les quatre que vous avez sélectionnés feront l'objet d'un suivi scientifique. Quelquefois, des échanges scientifiques ont même lieu en amont du projet : la DREAL organise par exemple en Provence-Alpes-Côte d'Azur des comités de pilotage avec des membres du Conservatoire botanique national de Porquerolles, du conseil scientifique régional du patrimoine naturel et avec le maître d'ouvrage pour réfléchir aux aspects scientifiques de la future compensation.
Je citerai le cas spécifique de la compensation par l'offre. Une expérimentation est en cours dans la plaine de la Crau sur une sorte de steppe, appelée coussoul. Le suivi scientifique est très important et central dans cette opération conduite par l'État.
J'en profite pour rappeler que la compensation est forcément de la recréation ou de la restauration de milieux qui en remplacent d'autres ; ce n'est jamais la mise sous cloche de milieux existants en bon état. Créer une réserve n'est pas de la compensation. L'opération de la Crau était intéressante, car elle permettait d'intervenir sur des milieux très dégradés sur lesquels on essaye de reconstituer la steppe caractéristique de la Crau. Il faudra un millier d'années pour qu'elle retrouve ses spécificités d'origine, mais cela permet toute de suite de restaurer l'habitat de certaines espèces.
Monsieur Pointereau, je ne dispose pas d'éléments précis sur les passages à grande faune. Mais les animaux de la grande faune empruntent souvent les mêmes passages. C'est une question comportementale. Cela ne marche pas forcément pour des animaux plus petits, comme les batraciens. Cela dit, les passages à grande faune sont une solution onéreuse, qui suppose la construction de ponts, de viaducs... C'est la forme de rétablissement de continuité la plus aboutie : on reconstitue un milieu qui a toutes les caractéristiques du milieu naturel.
Dans les documents que je vous ai transmis, vous trouverez des exemples de passages toute faune assez récents qui montrent leur efficacité. Des études ont été faites sur le sujet par certains maîtres d'ouvrage, avec le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement notamment.
Enfin, tout serait joué d'avance ? La question est culturelle. Nous ne sommes pas en Suède, où l'on peut mettre vingt ans à élaborer un projet. Dans notre pays, il est plus compliqué de faire évoluer substantiellement un projet, sauf en cas d'enjeu majeur. Tout est fait pour que des changements soient possibles, notamment grâce à la Commission nationale du débat public. Nous avons encore quelques années d'apprentissage devant nous !
Nous avons trouvé des solutions intéressantes et positives pour les passages à grande faune, qui sont nombreux sur l'A39 et bien utilisés. Dans les années 1990, nombreux étaient ceux qui s'interrogeaient sur leur pertinence. Aujourd'hui, on se pose moins de questions.
Ma question porte sur l'évaluation de la compensation : qui fait l'estimation technique et financière ? Y a-t-il un débat avec le maître d'ouvrage ? Quel est le coût, qui doit être variable, de la compensation ?
Le débat doit intervenir assez tôt, et doit être en partie réglé par les séquences « éviter » et « réduire ». Dans le cas de la LGV Tours-Bordeaux, les arrêtés de prescription prévoient des compensations mutualisées qui aboutissent à une superficie d'environ 3 500 hectares. Une partie importante est réservée au vison d'Europe. Le concessionnaire a eu du mal à trouver les surfaces prévues et il s'est avéré qu'il pouvait être intéressant de renforcer la partie « réduire » au détriment de la partie « compenser ». Une première demande de modification des arrêtés a reçu un avis défavorable du Conseil national de la protection de la nature ; après de nouveaux échanges et un second examen, l'avis a été favorable. Les mesures de réduction vont donc être relevées par l'augmentation de la transparence de l'ouvrage pour le vison et celles de surface seront réduites.
Il faut optimiser les moyens vers les solutions les plus efficaces et, partant, réduire les coûts. L'appréciation des coûts doit se faire très tôt, au fur et à mesure de la conception du projet. Si les mesures compensatoires sont trop chères, il faut faire évoluer le projet, soit en accroissant l'évitement des zones à impact, soit en augmentant la réduction.
Pour le coût, les ordres de grandeur observés sont de 5 à 10 % du montant total de l'opération. Cela se discute avec le maître d'ouvrage, mais on ne discute pas le coût des mesures de compensation in fine sans revenir éventuellement sur les deux phases précédentes.
Vous évoquez un monde dans lequel les choses ne se passent pas trop mal ! Avez-vous des exemples dans lesquels certains opérateurs préféreraient risquer une amende plutôt que de réaliser des mesures de compensation ?
L'État remet-il les clés de l'ouvrage ? Signe-t-il, à un moment donné, la réception de l'infrastructure, mesures compensatoires incluses ?
Jouer l'amende est risqué, d'abord pour une raison d'image. Il ne serait guère honorable de se retrouver mis en défaut sur ce genre d'affaires. Les trois grands groupes essentiellement concernés ont leur réputation à défendre. Je ne nie pas que le rapport de force entre l'État et le maître d'ouvrage est parfois très tendu.
Le non-respect de certaines dispositions en matière d'espèces protégées revient à une destruction illicite de ces espèces et est considéré comme un délit : en plus du risque d'amende, il y a celui de la prison. Aucune peine de prison n'a encore été prononcée, mais cela pourrait arriver pour de gros projets.
S'agissant de la réception, les arrêtés de prescription définissent les étapes. Le maître d'ouvrage attend que l'État lui confirme qu'il a bien respecté ses obligations. A'liénor l'a demandé, par exemple. Il n'y a jamais de remise des clés par principe, car le maître d'ouvrage reste le seul responsable des mesures de compensation. Pour les infrastructures de transport, la loi d'orientation des transports intérieurs (LOTI) prévoit qu'un bilan est effectué cinq ans après la réception des ouvrages, notamment sur les mesures prises en matière d'environnement.
Je souhaiterais que vous nous précisiez la législation applicable à chacun des quatre projets que nous avons retenus. La loi n'étant pas rétroactive, quel est l'impact de la loi relative à la biodiversité sur ces projets ?
Nous vous transmettrons ce document.
Un questionnaire vous sera adressé. Nous communiquerons aux membres de la commission d'enquête les documents que vous nous avez transmis.
La réunion est close à 15 heures.