La réunion est ouverte à 15 h 15.
Mes chers collègues, nous entendons cet après-midi M. Christian Brabant, directeur général de l'éco-organisme Eco-systèmes, ainsi que MM. Guillaume Duparay et Richard Toffolet, respectivement directeur des affaires institutionnelles et de la collecte et directeur technique de cette société.
Monsieur le directeur général, messieurs les directeurs, la mission d'information du Sénat sur l'inventaire et le devenir des matériaux et composants des téléphones mobiles, créée à la demande du groupe écologiste et qui rendra son rapport à la fin du mois de septembre, a déjà entendu, outre le ministère de l'écologie et l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, l'ADEME, les fabricants de téléphones mobiles, la fédération des opérateurs de téléphonie mobile ou encore des acteurs de la recherche en matière de recyclage des téléphones portables.
Il nous a paru indispensable de nous entretenir également avec les responsables des éco-organismes spécialisés dans les déchets d'équipements électriques et électroniques, les DEEE, afin de pouvoir analyser l'ensemble du cycle de vie des téléphones mobiles. Il nous est d'autant plus agréable de vous recevoir que nombre de nos interlocuteurs précédents, de l'ADEME aux fabricants en passant par l'association AMORCE, nous ont expliqué qu'Eco-systèmes serait en mesure de répondre à bon nombre de nos questions, notamment en ce qui concerne les composants des téléphones mobiles, le niveau de la collecte des téléphones usagés et le sort de ces derniers.
Avant que M. Guillaume Duparay ne traite de la collecte, ainsi que du réemploi et de la réutilisation, et M. Richard Toffolet de la composition en matériaux des téléphones, je vous présenterai la filière des DEEE dans notre pays.
Les éco-organismes de cette filière doivent satisfaire à des obligations en termes de niveau de collecte et de taux de recyclage, exprimées en pourcentages des équipements mis sur le marché. Pour leur part, les distributeurs sont soumis à une obligation de reprise « un pour un » pour les gros appareils et « un pour zéro » pour les petits. En d'autres termes, il est possible de déposer en magasin un petit équipement, même sans faire d'achat. C'est pourquoi Eco-systèmes a pris l'initiative de mettre en place plus de 6 000 meubles de collecte sur tout le territoire, dont dans les outre-mer.
Du point de vue opérationnel, c'est nous-mêmes qui organisons les marchés de logistique et traitement, ce qui est une caractéristique de la filière des DEEE par rapport aux filières emballage et papier. Nous le faisons en lançant des appels d'offres et en contractualisant avec des opérateurs de récupération aux différents points de collecte - déchetteries, distributeurs et sites de l'économie sociale et solidaire, notamment des réseaux Emmaüs et Envie -, ainsi qu'avec des opérateurs de traitement.
La mission d'Eco-systèmes est de garantir la qualité du recyclage, qui inclut la dépollution et la récupération des matières, notamment des métaux précieux présents dans les cartes électroniques, mais aussi d'autres métaux stratégiques et rares, pour lesquels se posent certaines difficultés.
Les consommateurs étant exposés pendant très peu de temps à la nécessité de rapporter un appareil, ils n'ont souvent pas en mémoire la marche à suivre. Nous assurons donc aussi un travail de communication pour leur faire mieux connaître les solutions de collecte.
Nous sommes confrontés à la convoitise que suscitent les matériels dont nous nous occupons, en particulier les téléphones mobiles, dont la composition en matières peut avoir de la valeur. La concurrence avec les filières parallèles est un enjeu important pour nous, compte tenu des coûts nécessaires à un travail fin de dépollution et de récupération. À cet égard, le législateur a déjà pris de nombreuses mesures, comme l'interdiction des achats en espèces et l'obligation pour les opérateurs de contractualiser avec des éco-organismes ou des filières individuelles.
Notre filière est concurrentielle, puisque quatre éco-organismes y opèrent. Un organisme coordonnateur, l'OCAD3E, est chargé d'organiser l'accès aux collectivités territoriales pour la contractualisation.
Eco-systèmes a été créée par trente-cinq associés, fabricants et distributeurs. Nous avons obtenu un premier agrément pour la période 2006-2009, un deuxième pour 2010-2014 et un troisième pour 2015-2020. Depuis dix ans, nos objectifs de collecte n'ont cessé de croître. En 2015, nous avons atteint un taux de collecte de 44 %, supérieur de quatre points à notre objectif. L'objectif est de 45 % pour cette année et, pour 2019, il a été fixé à 65 %, ce qui correspond à l'objectif européen. Ces taux sont calculés sur la moyenne des mises sur le marché des trois années précédant l'année de collecte. Par ailleurs, nous disposons d'un agrément dans le domaine des équipements professionnels. Notre gouvernance est conçue pour permettre une participation et une implication larges des administrateurs.
En 2015, Eco-systèmes a réuni 1 837 producteurs représentant 79 % des mises sur le marché d'appareils électroménagers en tonnage. Nous gérons 9 300 points de collecte auprès des distributeurs, des déchetteries des collectivités territoriales et des communautés Emmaüs. Nous avons conclu des contrats avec 340 sites récupérateurs et opérateurs de broyage ; cette politique, menée depuis deux ans, permet de développer la collecte. Nous avons collecté l'année dernière 461 000 tonnes de DEEE, soit 44 % de la moyenne des mises sur le marché des trois années précédentes, ce qui fait d'Eco-systèmes le premier éco-organisme en Europe - de très loin, puisque le deuxième, qui est anglais, affiche une collecte inférieure à 300 000 tonnes.
Depuis notre création, nous sommes liés par contrat avec Emmaüs et Envie, mais aussi avec d'autres réseaux solidaires ; en 2015, près de 402 000 appareils ont été réemployés ou réutilisés grâce à ces partenaires.
Les performances des opérateurs de traitement avec lesquels nous avons contractualisé nous permettent d'atteindre un taux de recyclage moyen de 81 %, supérieur à l'obligation réglementaire européenne.
Nous comptons quatre-vingt-six collaborateurs, dont quinze responsables régionaux, et nos charges d'exploitation s'élèvent à 220 millions d'euros.
Il me revient de vous présenter plus précisément nos activités dans le domaine de la téléphonie mobile. Je traiterai du gisement, puis de la collecte et, enfin, du réemploi et de la réutilisation. M. Richard Toffolet vous entretiendra ensuite du recyclage et de la valorisation.
Le gisement a connu une progression importante : les mises sur le marché de téléphones mobiles s'élèvent aujourd'hui à environ 24 millions d'unités par an. Nous avons consigné sur le document que nous vous avons remis quelques indicateurs tirés de deux études, réalisées par l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l'ARCEP, et l'OCAD3E. De ces enquêtes il ressort notamment que 92 % des personnes sondées possèdent et utilisent au moins un GSM : un smartphone pour 58 % et, pour les autres 34 %, un mobile simple, c'est-à-dire de première génération. La durée moyenne de détention est de 1,8 année et l'ancienneté moyenne de l'appareil possédé de 2,4 années. Environ 10 % des appareils en usage ont été acquis d'occasion.
Il ne faut pas confondre un âge moyen et une espérance de vie. La durée de vie des téléphones mobiles peut être estimée à un peu plus de quatre ans.
Les utilisateurs sont 28 % à conserver leur ancien GSM lors de l'achat d'un nouveau terminal. De fait, un certain nombre de téléphones mobiles dorment dans les tiroirs... Enfin, la durée moyenne d'utilisation d'un téléphone mobile est de 24 mois, selon l'ADEME.
En ce qui concerne notre collecte, il faut bien se représenter qu'elle repose sur un dispositif dédié. Nous avons consacré de gros moyens financiers à la mise en place de cette collecte dédiée, qui emprunte trois voies : les distributeurs, les opérateurs de téléphonie mobile et les quartiers des grandes villes. Nous disposons aujourd'hui de plus de 3 400 meubles de collecte dédiés auprès des premiers, équipés d'un dispositif de collecte sécurisé pour les téléphones mobiles dans 40 enseignes, et de 900 autres auprès des opérateurs de téléphonie mobile.
Lorsque nous avons mis sur pied ce dispositif, nous étions loin d'imaginer les difficultés qui allaient se poser à nous. Je veux parler des vols et des pillages. À peine les meubles avaient-ils été installés que nous avons dû les doter d'un dispositif antivol renforcé. Nous avons également mis en place des équipes quasiment dédiées, qui vérifient très fréquemment l'état des meubles et procèdent aux réparations nécessaires. Les vols sont de tout type ; il arrive même qu'ils soient commis par les agents de sécurité, dans les galeries commerciales ou à l'intérieur des magasins. Cette situation fait peser un certain nombre de contraintes sur la collecte des GSM.
Dédié par les meubles de collecte, notre dispositif l'est aussi par le système d'acheminement. Il faut imaginer, à l'intérieur du module, un carton, préaffranchi à la charge d'Eco-systèmes, destiné à rejoindre directement les Ateliers du bocage, filiale d'Emmaüs et notre partenaire historique.
Ce dispositif a été lancé en 2010 à titre de test, puis généralisé à partir de 2011. Plus récemment, nous l'avons complété par des collectes solidaires de quartier, qui nous donnent accès à un gisement de qualité un peu meilleure : alors que nous ne trouvons quasiment que des appareils de première génération dans les meubles de collecte, nous commençons, dans les collectes de proximité, à trouver des smartphones et même des tablettes, du fait de la relation directe qui s'établit entre l'ancien utilisateur et Eco-systèmes, représenté par ses opérateurs de collecte solidaire.
Si notre activité repose sur le principe de non-rémunération du dépôt, de nombreux systèmes de reprise rémunérée nous font concurrence. En pianotant sur un moteur de recherche, on accède facilement à une vingtaine au moins d'offres de reprise rémunérée, parfois assez différentes pour un même téléphone en fonction de l'algorithme mis au point par les opérateurs. Ce sont ces systèmes qui captent les smartphones, notamment les plus prisés d'entre eux, comme les modèles Samsung et Apple, repris contre une somme qui peut aller jusqu'à cinq cents euros pour les plus récents. On accède à ces systèmes sur internet, mais aussi dans des magasins, spécialisés ou non. Les opérateurs de téléphonie mobile proposent également des reprises rémunérées, aussi bien à leurs nouveaux clients qu'à ceux qui renouvellent leur appareil. De même, Apple propose la reprise rémunérée de ses anciens appareils. Le marché de la reprise rémunérée en ligne est dominé par quelques acteurs historiques, en particulier Love 2 Recycle, qui dépend d'Anovo.
J'en viens au réemploi et à la réutilisation.
En 2010, sur l'initiative d'Eco-systèmes, une charte de réemploi a été rédigée. À cette époque, en effet, un certain nombre d'acteurs essayaient de prendre pied sur le marché de la revente des GSM sans effacer les données personnelles des appareils ni vérifier l'état de fonctionnement de ceux-ci. Le ministère de l'écologie nous a laissé le champ libre, puis a validé la charte, laquelle énonce des principes importants à caractère technique, environnemental, social et réglementaire. Ces principes encadrent tout le processus de revente, depuis la vérification de la fonctionnalité de l'appareil et du clavier jusqu'à l'effacement des données personnelles, en passant par le changement systématique de la batterie. La charte assure qu'un appareil traité par une structure, notamment de l'économie sociale, qui en est signataire est véritablement fonctionnel.
Cette charte, dont nous tenons un exemplaire à votre disposition, est au fondement de l'accord que nous avons noué dès 2010 avec les Ateliers du bocage, que nous alimentons, dans des quantités toujours trop modestes mais néanmoins notables, en téléphones récupérés auprès notamment d'Orange et SFR. Un peu plus de 200 000 unités par an parviennent aux Ateliers du bocage par notre intermédiaire.
Les téléphones qui suivent cette filière n'ont, en général, pas de valeur de rachat.
Les smartphones sont rares, en effet, encore qu'on commence à voir des BlackBerry de première génération.
Depuis 2010, un peu plus de 1,3 million de téléphones collectés auprès des deux opérateurs que j'ai nommés sont parvenus aux Ateliers du bocage par notre intermédiaire. Plus de 100 000 téléphones, réparés et garantis par un processus qualitatif, ont été revendus par les Ateliers du bocage sur le marché international.
Pour terminer notre exposé collectif, j'aborderai la composition en matières des téléphones mobiles et l'évolution des technologies.
La composition moyenne des téléphones que nous collectons aujourd'hui est détaillée dans le tableau figurant sur le document que nous vous avons remis. Ces données sont issues d'un programme de démantèlement manuel que nous appliquons depuis quatre ans. Dans ce cadre, nous avons démantelé plus de 14 000 appareils, dont 43 téléphones ; ce chiffre peut paraître faible, mais les calculs statistiques montrent que, à partir d'une trentaine d'appareils démantelés, les données sont déjà stables. Cette base de données est d'ailleurs tellement précise qu'elle est très utilisée au niveau européen, en particulier dans le cadre du programme ProSUM, dont je parlerai dans quelques instants.
Nos téléphones ont un poids moyen de 100 grammes. Je parle bien des téléphones que nous collectons aujourd'hui, qui ne sont pas les plus coûteux et ont en général deux, trois ou quatre ans d'âge.
Il n'est pas rare qu'ils soient plus vieux encore.
Les plastiques représentent la plus grande part de la composition de nos téléphones. Les cartes électroniques en représentent également une part notable ; par ailleurs, ce sont elles qui font toute la valeur de l'objet. La pile est aussi une partie importante des téléphones. Ceux-ci contiennent également des métaux, en particulier ferreux.
Les composants qui contiennent des métaux stratégiques sont les cartes électroniques, les batteries, notamment au lithium, et les aimants présents dans les haut-parleurs. Les cartes électroniques contiennent surtout du tantale, dans les condensateurs gouttes, du titane et du tungstène. Des métaux précieux s'y trouvent également, en faible quantité : or, argent et palladium. Quant aux aimants des haut-parleurs, ils contiennent des terres rares, principalement du néodyme, du praséodyme et du dysprosium. La difficulté est de mettre au point des technologies de récupération de ces matériaux qui soient rentables, en particulier pour les terres rares, dont les cours ont été divisés par dix ou douze par rapport au pic atteint voilà quatre ans. Les modèles imaginés à cette époque pour recycler les terres rares ne sont plus viables aujourd'hui ; c'est d'ailleurs la raison de la récente fermeture d'une unité de Rhodia spécialisée dans cette activité. Si, comme certains spécialistes le pensent, les cours des terres rares restent bas dans les cinquante prochaines années, il sera difficile de rendre rentables des technologies de récupération.
Les matériaux dangereux sont principalement les batteries au lithium. Le lithium étant facilement inflammable, il faut être très prudent lors du démantèlement des appareils.
Pour finir, je dirai quelques mots des technologies sur lesquelles Eco-systèmes finance des travaux de recherche.
Nous nous concentrons sur les cartes électroniques, qui font l'essentiel de la valeur des téléphones. Actuellement, nos cartes sont traitées en Belgique, en Allemagne et en Suède par des unités extrêmement capitalistiques des affineurs de métaux précieux, comme Umicore, Aurubis et Boliden. La construction d'une telle unité nécessite un investissement de 1 milliard d'euros au moins. Pour des raisons de thermodynamique, la récupération se limite à certains métaux ; le tantale et l'étain, par exemple, ne peuvent pas être récupérés.
Parallèlement à ces filières contrôlées, il existe des systèmes de récupération artisanaux en Afrique et en Chine ; des images en ont été diffusées à la télévision. L'or et l'argent sont récupérés à la manière des orpailleurs, c'est-à-dire à l'aide de mercure, ce qui a de graves conséquences pour l'environnement.
Nous essayons d'imaginer de nouveaux business models, fondés sur des systèmes technologiques peu capitalistiques et spécialisés dans la récupération d'un métal.
Le projet européen ProSUM, que j'ai déjà mentionné et dans lequel nous sommes fortement impliqués, vise à cartographier tous les métaux précieux et stratégiques présents dans les DEEE, mais aussi dans les véhicules hors d'usage.
Par ailleurs, nous avons créé une chaire associant trois écoles parisiennes, Chimie ParisTech, Mines ParisTech et Arts et métiers ParisTech, dans des domaines de recherche beaucoup plus fondamentale. Dans ce cadre, seize thèses sont en cours, notamment sur les métaux stratégiques et sur le recyclage des plastiques des DEEE. Cette dernière question est très complexe, compte tenu du nombre et de la variété des plastiques utilisés et des additifs qu'ils intègrent, en particulier les retardateurs de flamme bromés ; la présence de polluants organiques persistants nécessite des tris extrêmement fins. Enfin, avec Mines ParisTech, nous réfléchissons aux modèles économiques de demain dans le domaine de l'économie circulaire et à la manière de lever les freins au développement de celle-ci.
Pour cette dernière réflexion, nous nous appuyons sur le travail que nous avons réalisé avec Veolia et SEB pour essayer de construire une boucle fermée en ce qui concerne les plastiques de petit électroménager. Veolia a construit à Angers un centre de traitement qui est certainement l'un des meilleurs en Europe dans le domaine des DEEE ; le tri des plastiques y est extrêmement sophistiqué et performant. Il s'agit d'arriver à obtenir, avec du plastique issu, par exemple, de cafetières, non pas des bancs publics en plastique, mais de nouveaux appareils.
Ce projet, qui a duré deux ans et demi, s'est heurté à de fortes résistances au changement. Ainsi, dans une société comme SEB, pourtant très volontaire dans ce domaine, il faut passer par le service des achats, le service du développement et le service du marketing, mais aussi par la fabrication et par la conception. Nous avons demandé à Mines ParisTech de modéliser toutes ces implications.
Je mentionnerai enfin trois projets auxquels nous sommes associés, sans en être financeurs. Le premier porte sur le recyclage du tantale et le deuxième sur l'optimisation de la récupération des métaux dans le traitement des cartes électroniques. Tous deux sont menés par Terra Nova Développement, fondée par Christian Thomas, membre du comité des métaux stratégiques mis en place par le ministère de l'économie et de l'industrie. Le troisième projet porte sur le recyclage des cartes électroniques ; il est mené avec un industriel français et sa mise en place est envisagée dans deux ou trois ans.
Monsieur le directeur général, messieurs les directeurs, nous vous remercions pour votre exposé.
Vous avez parlé des vols. Quelle en est la motivation ? Les personnes espèrent-elles des téléphones fonctionnels ou se lancent-elles dans un bricolage sale avec un fantasme de récupération ?
Les téléphones qui ont de la valeur sont volés par des personnes qui espèrent s'en servir. L'action est parfois plus organisée, dans un esprit de commercialisation. Certains aussi s'efforcent, par un démontage sommaire, de récupérer la carte électronique pour la vendre.
Une tonne de cartes électroniques vaut entre 6 000 et 15 000 euros, selon que les cartes sont plus ou moins riches. Mais il faut un grand nombre de téléphones pour obtenir une tonne !
Au cours d'auditions précédentes, on nous a présenté différentes manoeuvres sur les téléphones en fin de course, ceux qui ne peuvent pas être réutilisés. Nous avons ainsi découvert des chaînes de broyage dans lesquelles le grille-pain et le sèche-cheveux côtoient le téléphone. Quelle est la proportion de téléphones qui subissent ces broyages peu porteurs de valorisation des matières et sources de dissémination de matières toxiques ?
La part du GSM en mélange dans la collecte du petit électroménager est infinitésimale.
Au demeurant, ces appareils sont bien traités, même si un traitement spécifique permettrait sans doute de faire encore mieux, en particulier en récupérant les cartes électroniques. La technologie de récupération et de recyclage des plastiques qui est active à Angers est l'une des meilleures au monde aujourd'hui. Les plastiques sont certainement mieux traités dans ce centre que, par exemple, chez Umicore, où les métaux sont récupérés, mais les plastiques brûlés pour fournir de l'énergie.
Les cartes électroniques sont séparées des téléphones dans le système de broyage.
Les petits appareils en mélange sont d'abord dépollués : on récupère les parties qui peuvent poser des problèmes ensuite, comme les cartouches d'encre et les sacs d'aspirateurs. Généralement, on ne récupère pas les téléphones mobiles, qui passent donc à la deuxième phase, celle de l'éclateur. Les appareils sont comme jetés par terre plusieurs fois, afin qu'ils s'ouvrent et que l'on puisse accéder à leur contenu pour le dépolluer. C'est alors qu'on retire, par exemple, les piles et les condensateurs. Cette opération a lieu manuellement. Lorsque ne restent plus que des matières valorisables, elles sont mises en petites fractions par un granulateur, ou broyeur, qui sépare les différentes sortes de métaux et de plastiques. Enfin, des technologies de tri sont mises en oeuvre, fondées sur des aimants, des courants de Foucault ou des méthodes optiques.
Encore après vient la phase de traitement des plastiques. Chez Veolia, elle se déroule dans une unité spéciale, où des machines séparent les matériaux à l'aide de rayons X.
Il s'agit d'une unité à part, qui représente plusieurs millions d'euros d'investissement.
Je suis frappé par le nombre de téléphones qui dorment dans les tiroirs. Ne pourrait-on pas instaurer une forme de garantie sur l'appareil, intégrée dans le prix et remboursée, afin d'encourager les utilisateurs à rapporter leur téléphone ?
C'est cela. Un tel système éviterait la gabegie des téléphones stockés dans les tiroirs. Et je ne parle pas des chargeurs, dont la diversité est plus grande encore que celle des téléphones ! A-t-on prévu une contribution des grands fabricants de téléphones dans cet esprit ?
Votre suggestion est intéressante ; nous l'avons d'ailleurs étudiée voilà cinq ans.
Il faut au préalable se demander pourquoi les téléphones ne sont pas rapportés. Depuis deux ans, nous travaillons avec une spécialiste du comportement des consommateurs dans ce domaine, maître de conférences à l'université Paris-Dauphine. Cette étude vise à comprendre ce qui pousse les consommateurs à stocker un téléphone, un appareil photo ou un ordinateur et les ressorts de l'attachement qui les lie aux objets de ce type, mais pas, par exemple, à une cafetière ou un sèche-cheveux.
Nous ne disposons pas encore des résultats de l'étude, mais, en effet, il n'est pas rare que cinq à dix téléphones dorment dans une maison. De fait, les gens pensent que leur ancien téléphone pourra les dépanner en cas de problème du nouveau, un raisonnement difficile à contrer. Ils se disent aussi que ce téléphone pourrait servir à quelqu'un. Moyennant quoi, la matière reste des années dans un tiroir au lieu d'être récupérée.
Les résultats de cette étude nous permettront d'améliorer nos campagnes d'information, afin de mieux sensibiliser les consommateurs tout en évitant de les culpabiliser. Il ne s'agit pas de donner des ordres aux consommateurs, mais de les persuader de l'utilité du geste de tri et de récompenser celui-ci sur les plans psychologique et moral. Tel est le sens de nos dernières campagnes : nous avons cherché à montrer que, grâce à ce geste, un appareil pouvait se réincarner en un nouveau produit. Nous avons d'abord pris l'exemple d'une perceuse réincarnée en banc, parce que, à l'époque, le plastique récupéré servait à la fabrication de bancs. Aujourd'hui, nous montrons un mini-aspirateur qui se réincarne en sèche-cheveux, parce que, en partenariat avec SEB, nous réalisons de tels recyclages. Nous ne trompons donc pas le consommateur sur ce qui est fait.
Je reviens à la question de la consigne. Voilà quatre ou cinq ans, nous avons été sollicités par l'ADEME pour mettre en place un tel système. Nous avons travaillé avec le cabinet du ministre de l'environnement dans cette perspective, dans l'idée que ce serait un bon moyen de favoriser le retour des téléphones. Or, sans même avoir les connaissances dont nous disposons aujourd'hui sur le geste de conservation, nous avons réalisé qu'un système de ce type serait extrêmement compliqué et coûteux - une vraie usine à gaz... - et, surtout, qu'il pourrait donner lieu à un carrousel, la consigne étant payée trois ou quatre fois sans que le téléphone soit jamais rapporté.
Nous avons travaillé avec des distributeurs extrêmement sérieux, qui se préoccupent de longue date de récupération, et prévu une procédure particulière de suivi des produits. Malgré tout, les produits disparaissaient... Le problème est d'assurer la sécurité du téléphone une fois qu'il a été rapporté.
Je suis moyennement convaincu par votre argument. De très nombreuses entreprises de l'économie solidaire pourraient être labellisées et une opération pourrait être faite sur le téléphone pour le rendre non réutilisable. Il s'agirait de lier le remboursement de la consigne à un acte de destruction réalisé par une entreprise agréée. Un tel système peut être mis en place pour un grand nombre de produits.
Une bouteille de gaz ou une bouteille de plastique ou de verre n'a pas de valeur. Un téléphone portable en a une, ce qui complique la question.
Avec un fabricant, nous avons dû mettre en place un système de surveillance de téléphones en retour SAV non réparables, parce que des disparitions étaient constatées. Des personnes que nous n'aurions jamais soupçonnées ont organisé un trafic...
Ce qui est aussi choquant, c'est de voir à quelle cadence les grands fabricants de téléphones changent les modèles. Ce rythme rend d'autant plus pressante la nécessité de trouver une solution.
Non seulement les personnes ont un attachement pour leur téléphone, comme vous l'avez expliqué, mais elles peuvent aussi craindre que leurs données soient captées. Même après le retrait de la carte, le téléphone lui-même conserve une mémoire de l'utilisation qui en a été faite. À mon sens, la labellisation d'associations permettrait à celles-ci d'offrir la garantie juridique qu'il n'y a aucune exploitation possible des données personnelles et confidentielles du dernier utilisateur.
Cette garantie est prévue dans la charte de réemploi, dont nous contrôlons régulièrement l'application.
Avez-vous un regard sur les conditions de travail des salariés, notamment sur le plan sanitaire, dans les entreprises de déconstruction et de dépollution ?
Par ailleurs, quel est le niveau de vos investissements en matière de recherche, à la fois en valeur et en pourcentage de votre activité ?
À travers nos cahiers des charges, nous sommes extrêmement attentifs à ces questions, compte tenu de la dangerosité des métiers.
Nous avons travaillé, à l'échelle européenne, à la définition de normes et standards relatifs notamment à l'hygiène et à la sécurité. Une quinzaine de normes, suivant les types d'appareils, sont en cours d'élaboration au sein du Comité européen de normalisation électrotechnique, le CENELEC. Six ou sept ont déjà été publiées et progressivement intégrées dans la réglementation, en liaison avec le ministère de l'environnement. Cela se fait en France, mais pas forcément dans les autres pays. C'est notre manière de traiter le problème de la sécurité.
Nous organisons également de nombreux audits pour vérifier que les normes figurant dans les cahiers des charges sont bien respectées. En moyenne, un audit est réalisé chaque année sur un centre de traitement comme celui dont j'ai parlé précédemment, et nous faisons sur place quatre visites annuelles.
J'imagine que, comme nous, vous avez vu les vidéos montrant des salariés au milieu de nuages de brouillard, notamment lorsqu'ils démolissent des postes de télévision.
Vous parlez sans doute d'un de nos prestataires. Il y a différentes visions de ce film. Un problème s'est effectivement posé avec ce prestataire. Nous avons conclu avec un partenariat avec l'Institut national de recherche et de sécurité sur les questions d'hygiène et de sécurité, s'agissant notamment des télévisions. À travers les contrats, nous avons poussé le prestataire à réaliser des investissements pour améliorer encore la protection des travailleurs, ce qui a été fait. La préfecture comme la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail sont allées visiter l'unité et les choses semblent maintenant rentrées dans l'ordre.
Pour ce qui est de nos investissements dans la recherche, ils se sont élevés à 1,5 million d'euros en 2015, soit 1,3 % de nos contributions. Par ailleurs, notre partenariat avec la chaire Paris Tech représente 0,5 million d'euros par an pendant cinq ans, soit 2,5 millions d'euros au total. Notre effort d'investissement est donc supérieur au minimum de 1 % prévu par notre cahier des charges.
Je souhaite revenir sur les terres rares contenues dans les aimants. Les quantités en jeu sont limitées, presque confidentielles, puisque, malgré le flux de 24 millions de téléphones par an, on ne parle que de 40 tonnes d'aimants. Avez-vous idée de ce que représente la quantité de terres rares nécessaire pour la construction des machines électromagnétiques par rapport aux toutes petites quantités présentes dans nos téléphones ?
Le gisement des terres rares contenues dans les aimants a été évalué à une dizaine de tonnes, ce qui est tout à fait négligeable par rapport aux besoins, en particulier dans le secteur des éoliennes où les terres rares sont aujourd'hui le plus utilisées, dans des quantités cent, voire mille fois supérieures. Il s'agit donc d'une goutte d'eau.
Si la récupération des terres rares des téléphones est utile, n'y a-t-il pas des gisements de récupération plus importants et aussi plus simples à traiter ? Je pense notamment aux moteurs en robotique.
Les téléphones mobiles mis sur le marché chaque année représentent entre 2 000 et 2 500 tonnes, sur un total de 1,07 million de tonnes mises sur le marché pour Eco-systèmes. Le ratio est éloquent ! Il est sûr que, si on ne s'occupe que des téléphones, on ne récoltera rien, même si la teneur en métaux précieux d'un téléphone mobile est supérieure à celle d'autres appareils. Dans un sèche-cheveux ou une machine à laver, il n'y a pas un gramme d'or ni d'argent... Les volumes en jeu n'en restent pas moins extrêmement faibles.
S'agissant des moteurs, la filière des équipements professionnels, dans laquelle nous sommes engagés, a pris un peu de retard, en raison d'une définition européenne quelque peu différente en ce qui concerne les responsabilités. Nous sommes désormais en système agréé, et il existe aussi de nombreux systèmes individuels. Ce domaine est en plein développement et nous allons développer notre recherche dans cette direction. Je pense en particulier aux moteurs et aux climatisations, mais aussi aux chaînes hifi. En termes de volume, un haut-parleur de chaîne hifi est évidemment bien plus intéressant que le tout petit haut-parleur d'un téléphone !
Les téléphones mobiles constituent à juste titre une préoccupation très importante, en partie parce que c'est un appareil auquel nous sommes tous très attachés, mais il est sûr qu'ils ne représentent pas grand-chose par rapport aux enjeux, notamment environnementaux, des DEEE. Reste qu'il faut récupérer les terres rares de tous les objets électroniques - ordinateurs, tablettes et téléphones -, conformément à nos engagements en matière de développement de la collecte.
Je tiens à saluer l'excellent travail accompli par Eco-systèmes dans le cadre de la responsabilité élargie des producteurs. Nous avons constaté une évolution considérable en la matière, grâce à la politique qu'Eco-systèmes a mise en oeuvre pour récupérer les produits et les réutiliser ou les recycler.
Nous devons réfléchir à une harmonisation de la réglementation au niveau européen. En effet, si les règles que nous avons réussi à imposer en France s'appliquaient partout en Europe, nous n'aurions pas à déplorer, par exemple, que des câbles de la SNCF soient coupés, puis brûlés, pour récupérer du cuivre ou d'autres métaux. Je pense en particulier à l'interdiction faite aux opérateurs de procéder à des reprises en espèces, un principe qui garantit la connaissance de l'origine des produits.
Aujourd'hui, tous les produits qui nous échappent dans le domaine des DEEE - batteries, téléphones, câbles brûlés, entre autres - passent la frontière espagnole ou belge pour être rachetés en espèces, ni vu ni connu, dans un autre pays européen. Nous ferions bien de nous pencher sur ce problème et d'insister sur son importance à Bruxelles. Car si les règles étaient harmonisées, les « petits bricolos » qui pillent nos déchetteries et même nos rues cesseraient leur trafic, faute de pouvoir écouler leurs marchandises.
Il faudrait également interdire l'exportation de produits non recyclés. L'exportation après recyclage est parfaitement normale, mais les conditions dans lesquelles, en Asie ou en Afrique, on brûle des produits non recyclés pour en retirer quelques bricoles font honte pour l'Europe.
En France, nous pouvons être fiers d'avoir mis en place des systèmes qui fonctionnent bien. Seulement, nous sommes victimes de bricolos qui partent à l'étranger pour contourner nos règles. Confirmez-vous ce constat ?
Une donnée statistique récente confirme l'analyse de M. Miquel. Après les attentats de novembre dernier, la fermeture des frontières, notamment avec la Belgique, a été décidée : dans le mois qui a suivi, les déchetteries de Lille ont enregistré une hausse de 40 % en volume du tonnage récolté !
Le problème du vol de matériaux vendus ensuite à l'étranger est avéré, notamment à la frontière belge. Je connais une commune qui s'est fait retirer tout son réseau souterrain !
Monsieur le directeur général, messieurs les directeurs, êtes-vous contents que le Sénat travaille sur ce sujet, ce qui valorise votre activité ?
Nous avons toujours plaisir à venir au Sénat. Vous avez eu le courage de voter l'interdiction des achats de métaux en espèces, pour laquelle nous militons beaucoup au niveau européen, mais aussi la contribution visible. S'il est une filière de qualité en France dans le domaine des DEEE, c'est là où a été mise en oeuvre la visible fee, la contribution visible avec répercussion. C'est un gage de succès absolument vital et qui suscite de nombreuses visites d'étrangers.
Richard Toffolet préside l'organisation du Weeelabex à Prague ; de mon côté, je préside Weee Europe et je suis membre du Weee forum. Nous exerçons ainsi une réelle influence au niveau européen et nous incitons le ministère à faire de même, car c'est de cet échelon que dépendent certaines décisions clés pour la suite de nos activités. Comme M. Miquel l'a signalé, certaines mesures que nous avons prises en France pourraient utilement être appliquées dans les autres pays d'Europe.
Vous avez fait référence à votre campagne de communication montrant la reconversion d'une perceuse en machine à café. À quand une campagne sur les téléphones ?
Nous préférons ne lancer une campagne que lorsque nous pouvons garantir que les appareils pourront être traités. Aujourd'hui, nous sommes un peu déçus, car nous avons beaucoup investi pour mettre en place des meubles qui collectent un tonnage très réduit.
En vue de votre rapport, je me permets de vous faire une suggestion : il serait intéressant de mieux connaître le marché de l'occasion, notamment de disposer d'une étude sur sa structure, à laquelle nous pourrions participer financièrement. Si certains acteurs ont pignon sur rue, d'autres sont plus opaques : on ne sait pas vraiment où sont revendus les téléphones, ni quels volumes sont traités.
Par ailleurs, je me demande si les opérateurs ont la traçabilité des téléphones, via les numéros IMEI.
Certaines sociétés du marché de l'occasion sont très éphémères.
Il faut souligner une originalité du système français : il repose sur des sociétés privées, mais à but non lucratif. Avec l'arrivée de la concurrence voulue par Bruxelles - une fausse concurrence, mais n'insistons pas -, des éco-organismes seront rachetés par des sociétés privées à but lucratif. Il faut y faire très attention, car une société privée d'un pays voisin qui viendra en France collecter des produits voudra les traiter au coût le plus bas, en Afrique ou en Asie, dans des conditions, notamment sociales, qui ne sont évidemment pas les nôtres. Nous nous battons au quotidien, mais je suis un peu inquiet pour l'avenir. Redoublons donc de vigilance !
Je crois, mon cher collègue, que nous pouvons compter sur vous pour être vigilant ! (Sourires.)
Monsieur le directeur général, messieurs les directeurs, merci pour vos explications et pour le document que vous nous avez remis.
Nous espérons que la diffusion des travaux de notre mission d'information contribuera à la sensibilisation des utilisateurs de téléphone sur les enjeux du recyclage.
La réunion est levée à 16 h 30.