Notre mission d'information sur la gestion durable de l'eau procède aujourd'hui à l'audition de MM. Jean-Paul Deron, premier vice-président et Hamid Oumoussa, directeur général de la Fédération nationale de la pêche en France (FNPF).
Depuis 2022, nous traversons une période de grande sécheresse. Au-delà de la conjoncture, cette audition vise à nous éclairer sur les évolutions des écosystèmes aquatiques, sur les pistes envisageables pour restaurer la biodiversité, et à entendre vos analyses sur les évolutions possibles de la politique de l'eau, de ses instruments et de son cadre juridique. Selon vous, comment mieux gérer l'eau dans nos territoires ?
La sécheresse hivernale importante que nous connaissons donne un écho particulier à nos travaux. Si le niveau de pluviométrie n'augmente pas dans les prochaines semaines, tous les usages risquent d'en pâtir - des premiers arrêtés de sécheresse ont été pris au mois de février dernier.
Vous êtes des observateurs attentifs de l'évolution des systèmes aquatiques. Selon vous, comment le changement climatique affecte-t-il ces écosystèmes ? Je pense aux conséquences du réchauffement des cours d'eau. On observe par exemple que, si la température de l'eau est trop élevée, la truite sauvage ne peut pas se reproduire. Comment les activités humaines affectent-elles les écosystèmes aquatiques ? Quels sont les effets des pollutions aquatiques, dues notamment aux micropolluants plastiques ?
Demain, le ministre Christophe Béchu devrait annoncer des décisions importantes, après avoir largement consulté les différents acteurs de l'eau, notamment notre organisme, au travers du Comité national de l'eau (CNE). Depuis un an, nous traversons une période de sécheresse continue. Aussi, nous nous réjouissons que le Sénat se saisisse de ce sujet, qui mobilise, selon nous, trop irrégulièrement le décideur public.
La Fédération nationale de la pêche en France et de la protection des milieux aquatiques (FNPF) a été instaurée par la loi de 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques, qui a traduit la volonté conjuguée du Parlement, du Gouvernement et surtout des pêcheurs de créer une grande organisation nationale ayant pour objet de coordonner l'ensemble des fédérations départementales. Nous comptons 94 fédérations départementales, dont une à La Réunion et une à Saint-Pierre-et-Miquelon, un peu moins de 4 000 associations locales, près de 40 000 bénévoles et 1,5 million d'adhérents. Nous sommes le deuxième réseau associatif français, après celui du football.
Notre expertise est reconnue sur les enjeux liés à la pêche et aux poissons, qui sont les deux missions que le Parlement nous a confiées au travers de la loi de 2006. En 2012, une étude réalisée en 2012 par le cabinet BIPE avait évalué notre impact économique global pour les territoires à 2,5 milliards euros. Nos activités ne sont pas délocalisables.
Nous agissons de deux manières, au travers d'un levier financier et de leviers techniques. Sur le volet financier, notre réseau a mis en place un système singulier : le pêcheur qui adhère à une association paye une cotisation qui alimente le budget de l'association, de la fédération départementale et de la fédération nationale. Le pêcheur paye également une redevance pour protection du milieu aquatique à destination des agences de l'eau, dont le produit s'élève à quelque 8 millions d'euros par an. Cette cotisation permet de mettre en place, à l'échelle nationale, un fonds de péréquation et de soutien à l'ensemble du réseau départemental, grâce auquel nous avons créé ou consolidé, depuis 2006, près de trois cents emplois très qualifiés dans le domaine de l'écologie aquatique, de la surveillance ou encore de l'éducation à l'environnement - les fameux agents de développement, pour reprendre la terminologie consacrée.
Oui, bien entendu. L'enveloppe que nous mettons à disposition représente une part importante de notre budget, mais ce n'est pas un financement intégral. Les fédérations départementales cofinancent ces postes grâce à leurs ressources propres.
Le montant des cotisations nationales s'élève à 22 à 23 millions d'euros par an. Près de 18 millions d'euros sont affectés aux missions d'intérêt général et au soutien à ces emplois à l'échelon départemental et environ 5 millions d'euros sont affectés à des travaux de restauration de la continuité écologique, de renaturation ou de connaissance de la biodiversité. L'argent est ainsi très largement redistribué à l'échelon départemental pour exercer nos missions.
En outre, nous intervenons activement, dans le cadre d'une convention que nous signons depuis de nombreuses années avec le ministère de l'éducation nationale, auprès des publics scolaires, mais pas seulement. Une centaine de milliers de personnes passent chaque année par nos « ateliers pêche-nature ».
Nous siégeons au Comité national de l'eau (CNE), au Conseil national de la transition écologique (CNTE), au Comité national de la biodiversité (CNB), ainsi qu'au conseil d'administration de l'Office français de la biodiversité (OFB), où nous militons pour que la loi de 2006 soit respectée mais aussi pour améliorer les dispositions réglementaires.
Nous organisons une fois par an de grandes journées techniques, au cours desquelles sont réunis près de deux cents ingénieurs qui discutent de thématiques liées aux écosystèmes aquatiques, notamment la restauration de la continuité écologique.
Depuis trois ans, nous lançons chaque année une grande campagne de communication pour sensibiliser le public sur la question des rivières. Le premier thème avait pour objet la gestion quantitative ; le second, l'an dernier, portait sur les poissons migrateurs, qui sont en très grande difficulté. Cette année, nous avons choisi pour notre campagne l'angle de la connaissance des écosystèmes et de la rivière, afin de mieux sensibiliser les décideurs publics.
Quel est l'impact du changement climatique et quel est celui des pressions des activités humaines et de la pollution sur les écosystèmes aquatiques ?
Les territoires sont inégaux dans leurs composantes et dans leurs populations, ce qui fait que les moyens financiers directs de notre réseau sont différents selon les départements. La loi de 2006 avait justement pour objet de répondre à cette préoccupation.
Pour répondre à vos questions, il faut revenir trente ans en arrière. Dans mon département, je me suis investi bénévolement il y a une trentaine d'années dans la protection de l'eau, des milieux aquatiques et des poissons migrateurs. Lorsque j'ai pris mes fonctions, j'ai souffert des affres des derniers travaux d'hydraulique agricole. La dégradation des milieux aquatiques qui en a résulté, sournoise, s'est prolongée et continue. Aussi, la question de l'usage et de l'aménagement du territoire est au coeur de l'enjeu de la gestion de l'eau, indépendamment du problème conjoncturel de la sécheresse, qui devient structurel en raison du changement climatique. Nous héritons, hélas, d'une situation qui, au fur et à mesure, s'est dégradée, au point que des cours d'eau et des zones humides ont disparu. Or les instances et les comités de bassin disposent d'outils de planification de l'eau.
Une de nos préoccupations consiste précisément à conforter l'inscription de la préservation de la ressource en eau dans les documents d'urbanisme, de manière à mieux gérer le stock et le fil de l'eau, pour reprendre l'expression consacrée.
Je vous remercie de vos précisions. Dans mon exercice professionnel, au sein d'un établissement public de coopération intercommunale (EPCI), je suis confronté à des questions relatives à l'urbanisme et à l'aménagement du territoire. Aujourd'hui, l'enjeu est sur l'usage du sol. Il s'agit de maintenir l'eau là où elle est.
La meilleure gestion de l'eau ne repose d'ailleurs pas toujours sur la mise en place d'un réseau séparatif des eaux usées et pluviales.
Nous avons assisté à une lente dégradation physique des écosystèmes aquatiques, du point de vue de l'hydromorphologie, qui est un aspect essentiel de la gestion de la ressource en eau, aggravée par la sécheresse ou encore par des inondations, qui sont produites par les mêmes causes, mais n'ont désormais pas les mêmes conséquences.
Cette dégradation lente et sournoise est toujours à l'oeuvre dans nos territoires. Par exemple, le préfet de mon département a annoncé la déclaration d'utilité publique (DUP) d'une route à deux fois deux voies, dont la construction détruira quelque 40 hectares de zones humides. Comment est-ce possible en cette période de sécheresse et dans un contexte où il faut préserver les infrastructures naturelles ?
On insiste pourtant sur la nécessité de préserver les zones humides et de respecter la séquence « éviter, réduire, compenser ». N'optons pas directement pour la compensation, surtout si cette dernière est réalisée dans un autre bassin versant ! La gestion de l'eau obéit à une logique implacable - géologique et géographique - de bassin versant.
La compensation est un véritable sujet. Comment bien évaluer la qualité des compensations, sachant qu'elles ne sont pas suivies dans la durée ? Sur le terrain, la situation peut être bien différente de celle qui a été imaginée en amont. Partagez-vous une telle inquiétude ?
Oui, j'ai constaté cela dans des dossiers de contentieux. Avant de poser la question de la compensation, il faut se demander quelles sont les véritables mesures qui, selon les études préalables sur un projet donné, pourraient favoriser l'évitement ou la réduction. L'option de la compensation doit venir en dernier. La question de la compensation se pose aussi à l'aune de la pertinence de sa localisation, de son suivi et de son évaluation. Pour nous, c'est un enjeu essentiel.
Si l'on en vient désormais à la situation présente, nous observons depuis cinq ans que les effets du dérèglement climatique s'accumulent, aussi bien en matière d'hydrologie que de température. Nous avons mis en place un réseau de suivi de la température de l'eau : l'élévation s'élève à 1,5 degré. Autrement dit, la température de l'eau a augmenté plus vite que la température extérieure. Cela a des effets directs sur les usages, la biodiversité et notre loisir - les populations de poisson vont soit disparaître, soit être concentrées dans des hydrorégions encore protégées. Les dix-huit mois de sécheresse que nous avons traversés n'ont fait qu'accélérer les choses. Voilà le témoignage, ou la photographie pour ainsi dire, d'un acteur qui est, au quotidien, sur le terrain.
La question des effets des usages du sol et de l'aménagement du territoire n'est pas posée, et c'est aberrant. Sur le terrain, l'enjeu est de faire en sorte que le réseau hydrographique soit maintenu, notamment les têtes de bassin versant - ce que l'on appelle le « chevelu » -, car elles sont essentielles à la gestion de la ressource aussi bien d'un point de vue quantitatif que qualitatif.
Il faut prendre en compte l'enjeu de la protection des têtes de bassin versant et mettre en oeuvre les actions nécessaires. Pour cela, une solidarité entre l'amont et l'aval est indispensable, car les territoires situés en aval, là où la ressource en eau est davantage présente, n'ont pas les mêmes capacités et usages que ceux qui sont situés en amont.
La gouvernance territoriale s'appuie, dans une logique de subsidiarité, sur des établissements publics territoriaux de bassin (EPTB), des établissements publics d'aménagement et de gestion de l'eau (EPAGE), des schémas d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE) et des commissions locales de l'eau (CLE). Quelles seraient vos propositions pour l'améliorer, dans le respect de la solidarité entre l'amont et l'aval ?
La gouvernance actuelle est structurée par une approche par bassin, autour des comités de bassin, d'un côté, et des agences, de l'autre. Elle est largement ouverte - les comités de bassin réunissent quelque 150 personnes - et non exclusive - tout le monde semble plutôt bien représenté.
C'est un vieux débat. N'oublions pas que ces revendications émanent également d'organisations qui ne sont pas très représentatives...
La politique de l'eau repose sur beaucoup de concertations, au cours desquelles on ne peut avoir raison contre tout le monde.
L'organisation actuelle de ce système nous convient.
Nous attendons de l'État qu'il se montre plus présent dans la gouvernance de la politique de l'eau : ce domaine, crucial, mériterait un ministère qui y soit consacré. Nous en sommes intimement convaincus, au regard des changements dans l'organisation qui suivent les couleurs politiques des gouvernements. Ainsi, l'enjeu deviendrait véritablement central.
Afin d'évaluer les grands changements dans notre environnement, l'un des meilleurs thermomètres est la quantité d'eau dans les rivières.
Il nous semble qu'il faut conforter encore la qualité de l'évaluation des ressources à l'échelle du comité de bassin. Au niveau des nappes profondes, nous ne connaissons pas encore l'ensemble des réservoirs. Est-ce le cas en matière de débit ?
Il existe un consensus scientifique fort pour constater que les débits ont baissé. La trajectoire actuelle est celle d'une réduction de 10 % à 40 %, ces chiffres étant en cours de révision.
Il faudra une nouvelle loi sur l'eau. Il s'agira de discuter du concept de débit réservé, fixé, malgré de nombreuses exceptions, au dixième du module du cours d'eau. Ce débit légal que doit maintenir tout usager est fixé à l'article L. 214-18 du code de l'environnement et vise à préserver la nature.
Pour mesurer les quatre seuils relatifs à la gestion de la ressource en eau dans les départements - « vigilance », « alerte », « alerte renforcée » et « crise » -, tout dépend de l'endroit où est placée la station de contrôle. Si le point d'observation est placé dans le bassin versant, les cours d'eau en tête de bassin peuvent être déjà à sec avant même de déclencher l'alerte.
Pour en revenir à la gouvernance, l'organisation territoriale qui s'appuie sur de grands bassins hydrographiques et sur l'outil de planification qu'est le schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) a évolué depuis la loi du 3 janvier 1992 sur l'eau. La composition même des comités de bassin a changé. Les commissions locales de l'eau (CLE) et les SAGE sont d'ailleurs issus de cette loi.
La Bretagne a la chance d'être un bassin bien couvert par ces commissions et schémas, mais ce n'est pas forcément le cas à l'échelle du territoire national. Aussi, lors du dernier CNE, le 5 janvier dernier, la secrétaire d'État Bérangère Couillard s'interrogeait sur les raisons pour lesquelles les CLE n'arrivaient pas à être opérationnelles. Je peux vous assurer qu'elles sont dans l'action au quotidien. Notre avantage est d'être au plus près des territoires : nous nous mettons autour d'une table avec l'ensemble des parties prenantes, la représentation à peu près équilibrée permet de coconstruire, au travers d'un SAGE, une politique territoriale relative à cette ressource.
Pour donner un petit coup de griffe, j'ai indiqué à la secrétaire d'État qu'il était dommageable que le premier représentant de l'État dans le département, le préfet, puisse saisir la CLE pour permettre, au travers d'une demande de modification d'un SAGE, la destruction de zones humides pour implanter des méthaniseurs. Cela pose un problème de cohérence pour l'État : pourquoi la ligne tracée par le Gouvernement se déclinerait-elle différemment selon les territoires ? Certes, il faut adapter les politiques aux contraintes, mais la feuille de route n'en demeure pas moins.
Nous avons véritablement besoin de renforcer le rôle des CLE, qui sont au plus près des territoires et en prise directe avec les enjeux touchant au bassin versant. En effet, si cette notion de « bassin versant » est implacable, le débit objectif d'étiage (DOE), lui, pour être un des points nodaux du SAGE, n'en reste pas moins un indicateur comme un autre. Les concepts importants sont plutôt ceux de débit réservé et de débit minimum biologique. Pourtant, les seuils fixés par certains arrêtés préfectoraux pour encadrer dans les territoires les prélèvements sur la ressource en eau sont parfois en dessous des débits minimums biologiques.
Les DOE s'appliquent sur tous les cours d'eau qui bénéficient d'un soutien d'étiage, contrairement au débit réservé, qui s'applique sur l'ensemble des cours d'eau.
Quelle est votre analyse des conséquences des nouvelles pollutions des milieux aquatiques ? Quels sont les effets de la production hydroélectrique sur les cours d'eau ? Ce sujet a fait l'objet de nombreux débats au Sénat : d'un côté, les syndicats de rivière prônent de plus en plus l'arasement des seuils pour retrouver une véritable continuité écologique, de l'autre, les propriétaires de moulins assurent créer par leur activité des réserves d'eau. Quel regard portez-vous sur cette petite hydroélectricité ?
Il y a dix ans, une étude indiquait que la disparition des poissons d'eau douce était principalement due à la pollution. Désormais, en plus des pollutions, le manque d'eau et la hausse de la température des rivières ont des répercussions considérables sur la biodiversité. Ainsi, un changement complet a lieu au sein des populations de poissons présents dans les rivières : les espèces invasives commencent à dépasser en nombre celles qui sont présentes depuis longtemps. Quel est votre regard sur cet enjeu ?
Concernant la continuité écologique dans les cours d'eau, les règles sont à peu près les mêmes, que les seuils mesurent trente centimètres ou quatre mètres de haut : or la problématique en matière de continuité écologique se pose-t-elle en termes identiques pour tous les seuils ? Que pensez-vous de leur suppression ?
La création d'un ministère dédié à l'eau me semble pertinente, mais j'entends également la proposition de renforcer la gouvernance au niveau des CLE. Quel est, de votre point de vue, le bon niveau de gouvernance de la ressource afin de se projeter dans les cinq à dix ans à venir ?
En matière de lutte contre les pollutions, sept programmes d'actions nationaux nitrate ont été mis en place. Constatez-vous des améliorations ? Auriez-vous des propositions à ce sujet ?
Concernant la gouvernance, nous sommes convaincus que les projets de territoire pour la gestion de l'eau (PTGE) sont un bon outil dès lors qu'ils sont mis en place de bonne foi : gouvernance et objectifs respectés, cahier des charges élaboré, signé par les uns et les autres et correctement mis en oeuvre, avec un État qui joue le rôle qui doit être le sien.
Des consensus trouvés à l'échelle du territoire peuvent pourtant être remis en cause à l'échelon national. Quand un accord territorial existe, il faudrait que le national l'accompagne de manière cohérente.
Les remises en cause peuvent aller dans les deux sens. De fait, si l'enjeu de la continuité écologique est considéré comme essentiel depuis la loi du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques, dite loi Lema, nos efforts sont contrecarrés par une contestation de ce principe, notamment au Sénat.
En voici une illustration : pour évaluer le potentiel de développement de l'hydroélectricité, d'excellentes concertations ont été menées de manière contradictoire, par bassin versant, pendant cinq ans, associant fédérations, État, collectivités, propriétaires de moulins... Malgré cela, un certain nombre d'associations sont venues au Sénat et à l'Assemblée nationale pour remettre en cause ce potentiel en avançant des études et des chiffres différents.
Nos fédérations s'inscrivent dans des protocoles liés aux retenues quand elles le jugent utile, par exemple quand il s'agit de favoriser une agriculture agroécologique ou quand le débit réservé négocié est plus élevé que celui prévu par la réglementation. Que le Gouvernement vienne les invalider ensuite est un problème.
La continuité écologique est une exigence ancienne. La réglementation date de la fin du XIXe siècle. Elle dispose qu'une échelle à poissons doit être prévue partout où un ouvrage est installé. La loi du 29 juin 1984 relative à la pêche en eau douce et à la gestion des ressources piscicoles n'a pas été mentionnée dans nos échanges jusqu'à présent, pourtant elle avait été adoptée à l'unanimité à l'Assemblée nationale. Elle a consacré législativement les notions de « débit réservé », vital pour le milieu naturel, et de « continuité écologique », vitale pour le peuplement piscicole. La loi du 30 décembre 2006 a transféré ces articles au sein du code de l'environnement.
L'installation d'énormes barrages a été accompagnée par nos structures. Elle répondait à l'enjeu de l'indépendance énergétique, de l'intérêt général et de l'activité économique. Cela n'a posé aucune difficulté : toujours, nous avons su rester à la table des négociations pour s'accorder grâce à une étroite collaboration des parties, sur les débits réservés, les échelles à poissons à aménager et pour proposer des solutions de suivi. Je tiens d'ailleurs à casser un mythe : les poissons ne peuvent pas franchir les ouvrages en sautant sur plusieurs mètres, saumon compris. Cette image est une totale fiction et la négation de notre travail au quotidien...
Entre 100 000 et 150 000 ouvrages de toutes natures barrent la continuité écologique. En 2006, les rapporteurs du Sénat et de l'Assemblée nationale ont réalisé un travail remarquable au sujet des moulins : ils ont trouvé des compromis satisfaisants pour tout le monde permettant de lancer le plan national d'actions pour la restauration de la continuité écologique (Parce). À partir de 2012, le vent a tourné. Il y a eu une velléité de remettre en cause substantiellement la continuité écologique ; la seule contrepartie imposée aux moulins a été de respecter la loi... Depuis 2006, à chacune des grandes lois relatives à l'écologie, des amendements sur les moulins et la continuité écologique sont déposés au Sénat.
Humblement, nous estimons que le Parlement est allé trop loin dans les droits qu'il a accordés aux propriétaires de moulins puisque, au gré d'une loi, ces derniers ont été considérés comme exonérés du respect de la continuité écologique. Or comment justifier qu'un ouvrage d'accès à l'eau potable doive respecter cette exigence, mais pas un moulin ? Récemment, le Conseil d'État a jugé que cela contrevenait aux conventions internationales signées par la France. La loi du 10 mars 2023 relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables a abrogé l'article L. 214-18-1 qui visait à accorder des droits substantiels et exorbitants aux propriétaires de moulins. La disparition de cet « ovni juridique » apaise un peu la situation, d'autant que personne ne revendique la disparition des moulins : ils font partie de notre patrimoine.
Il y a eu toutefois des excès de la part de l'administration. Il ne faut pas ignorer, dans certains départements, la volonté de détruire un certain nombre de moulins.
Les agences de l'eau ont aidé les propriétaires de moulins à détruire leurs seuils. Elles auraient plutôt pu aider certains propriétaires à réaliser des travaux en faveur de la continuité écologique.
Je travaille dans l'architecture : si je n'étais pas convaincu par la préservation du patrimoine, qui saurait l'être ? Néanmoins, cette préservation ne doit pas entraîner une distorsion de traitement entre citoyens face au droit et aux obligations attachées. Nous avons même trouvé le moyen de ne pas veiller à la mise aux normes des ouvrages prioritaires...
En tant qu'élu de terrain, je trouve insupportable de faire face à de la désinformation dans nos territoires. Ainsi, nous avions auparavant associé les propriétaires de moulins aux CLE pour les faire participer, mais leur seule revendication a été d'échapper au droit au motif qu'ils produisaient de l'électricité et qu'ils avaient un magnifique plan d'eau devant chez eux, même si 70 % de la masse d'eau s'y évaporait et que les poissons y mouraient...
Au sujet des espèces invasives, si nous sommes mobilisés au Sénat même, c'est justement pour préserver la biodiversité. Le poisson a besoin de la continuité écologique, car son cycle de vie dépend du cours d'eau.
Pour la petite hydroélectricité, il ne faut pas confondre le volume d'eau mobilisable et le débit. Quand l'activité du moulin est abaissée et qu'il n'y a plus d'eau dans le bief, le débit entrant du cours d'eau assure le productible.
Je vais énumérer nos propositions.
D'abord, nous encourageons fortement la création d'un ministère de l'eau.
Ensuite, la notion de débit mérite une réflexion de nature législative : le débit réservé et les exceptions figurant dans l'article L. 214-18 du code de l'environnement ne sont plus adaptés à la réalité, c'est-à-dire à un état de sécheresse permanent.
Enfin, sur l'aspect financier, malgré la réforme à venir des redevances, la politique de l'eau a lourdement souffert de mécanismes qui sont venus grever et neutraliser les finances des agences.
Exactement. Siégeant à son conseil d'administration, je constate que l'OFB, malgré toutes les promesses, connaît un problème de moyens humains sur le terrain, notamment en lien avec la police des pêches et de l'eau.
Lors du dernier conseil d'administration de l'OFB, la baisse drastique des moyens alloués à la police de l'eau et, de manière générale, à celle de l'environnement a été constatée. Ces polices sont pourtant des enjeux prioritaires.
Juridiquement, la politique de ces vingt dernières années a consisté à réaliser une sorte de gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences (GPEC) pour abaisser les moyens de certaines administrations. Les agents de la direction départementale de l'équipement (DDE), qui assuraient un lien entre acteurs sur les questions de l'eau, ne sont plus là. Le départ de ces experts crée un manque.
Dans la nomenclature des installations, ouvrages, travaux et activités (IOTA), nous sommes passés de systèmes relevant de l'autorisation à des systèmes relevant désormais de la déclaration. Avec un peu de recul et en l'état actuel de nos connaissances sur la nouvelle sécheresse permanente, autoriser la réalisation de travaux puis vérifier leur conformité n'est pas le meilleur moyen de gérer la politique de l'eau. Le système d'autorisation doit, dans un certain nombre de cas, être préféré.
Je vous remercie de votre contribution.
La réunion est close à 15 heures.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.