Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées

Réunion du 5 décembre 2012 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

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  • AED
  • militaire

La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Soyez la bienvenue parmi nous, devant cette commission que vous connaissez désormais parfaitement bien.

Nous suivons de près vos travaux et en particulier l'adoption d'un code de conduite sur le « partage et la mutualisation » (pooling and sharing) qui vient d'être adopté, à votre initiative, par le conseil des ministres de la défense des pays membres de l'Agence. Pays membres qui vous ont refusé toute augmentation des crédits pour 2013, ne fût-ce que tenir compte de l'inflation, puisque nos alliés britanniques y ont mis un veto. Le budget de l'AED pour 2013 connaît donc un sort identique à celui du budget de la défense français, ni plus, ni moins, c'est-à-dire qu'en fait il diminue à hauteur de l'inflation.

Si l'Agence a peu de moyens, les objectifs qui lui sont assignés sont toujours aussi ambitieux, puisque elle est chargée, notamment, de consolider la demande d'armements à l'échelle européenne c'est-à-dire d'harmoniser les besoins opérationnels et d'harmoniser les calendriers, sur une base volontaire des Etats. Pour cette raison, vous avez un poste d'observation privilégié : vous voyez, vous écoutez et vous parlez à tous les Européens. C'est pourquoi, les questions auxquelles je vous demanderai de répondre, à l'issue de votre présentation, sont très politiques et concernent moins les textes et les normes, que « l'air du temps » qu'il fait en Europe en ce moment.

Or cet air du temps ne nous semble guère propice à des avancées en faveur d'une défense européenne. La crise aurait dû pousser les pays européens à unir les efforts. Il semble qu'elle n'ait fait qu'exacerber leurs égoïsmes et exalter les régionalismes en Flandres, en Ecosse, en Catalogne. Même les Anglais songent à quitter l'Union. A quand une sécession des Bavarois ou des Bretons ?

Première question : Hubert Védrine vient de rendre son rapport et l'a présenté à notre Commission la semaine dernière. Comme vous le savez, il n'est guère optimiste sur ce sujet et nous invite tous à cesser d'agiter ce qu'il appelle le « moulin à prière » de l'Europe de la défense. Faut-il faire, comme il semble le suggérer, le deuil d'une certaine « Europe de la défense » et repartir sur des bases plus saines parce que plus réalistes ? Qu'en pensez-vous ?

Deuxième question, directement en résonnance avec la précédente : l'échec de la fusion EADS-BAE. Cet échec - côté offre industrielle - semble montrer l'incapacité des Européens à s'unir. Que faire ?

Debut de section - Permalien
Claude-France Arnould, directrice exécutive de l'Agence européenne de défense (AED)

Je suis effectivement souvent en relation avec le Parlement allemand. J'ai été reçue récemment par Mme Susanne Kastner, présidente de la commission de la défense, de façon très chaleureuse. Je suis convaincue que l'Europe de la défense nécessite une impulsion politique, et que cette impulsion politique passe également par les Parlements nationaux. C'est une clef essentielle du succès. Hubert Védrine dit qu'il faut en finir avec ce qu'il appelle le « moulin à prière », je suis d'accord avec lui si cela veut dire qu'il ne faut pas s'accrocher à des mots. En revanche, je pense que le pessimisme sur l'Europe de la défense (ou, plus précisément, de la Politique de sécurité et de défense commune, seul vocable qu'utilisent les partenaires européens), de ses succès et de ses atouts doit être éclairé par une appréciation pragmatique pour soutenir tout ce qui va dans le sens du partage des capacités militaires et la recherche de résultats concrets.

Pour ce qui est de l'air du temps, vu de Bruxelles, l'atmosphère est effectivement à l'euroscepticisme. Il y a à la fois un euroscepticisme militant, du type britannique et puis l'euroscepticisme plus subtil qui consiste à dire : « on aimerait bien - mais ça ne marche pas - et donc ce n'est pas la peine d'essayer ».

Or, il n'est pas d'opération militaire menée sous le leadership de l'Union qui n'ait atteint ses objectifs. Par deux fois au Congo, l'intervention de l'Union a permis d'éviter un bain de sang. Au Tchad, elle a permis d'éviter la déstabilisation du régime du fait des évènements au Darfour. En matière de piraterie, l'intervention de l'Union est un succès.

En matière de capacités, c'est la même chose. On peut toujours penser que c'est en deçà de ce que les Français attendent. Mais il y a eu de vrais succès. Je pense en particulier aux normes d'aéronavigabilité pour les aéronefs militaires et leur insertion dans l'espace aérien; mais aussi à l'entraînement des pilotes d'hélicoptères. Le ravitaillement en vol est un projet phare de l'AED, à partir d'une lacune sérieuse, illustrée en Libye et de vrais atouts industriels avec l'Airbus A330 MRTT qui représente une solution européenne, tout à fait à la pointe de la technologie, ou l'A400M pour le ravitaillement tactique. Ne soyons pas naïfs. Pour allouer des crédits à la défense, il faut aussi des résultats en termes d'emplois. C'est vrai pour les Américains mais c'est vrai également pour les Européens. Par ailleurs, on me demande de faire connaître l'Agence Européenne de défense, j'ai déjà beaucoup fait pour accroître la visibilité de l'Agence européenne de défense. Il faut aussi que les pays européens s'approprient la communication sur l'AED, qui est leur instrument. C'est leur instrument. Et, pour aller de l'avant, à l'AED ou plus largement dans la PSDC, il faut que la France joue un rôle moteur pour entraîner les autres partenaires. On a parfois pu reprocher à la France d'être trop présente, on lui reproche tout autant quand elle ne joue plus son rôle d'initiative.

S'agissant du projet de fusion EADS-BAE, je dirai simplement que nous avons, au sein de l'AED, toujours plaidé en faveur de la consolidation de la base industrielle et technologique de défense : le projet de fusion allait dans ce sens, naturellement.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Reiner

Je ne suis pas certain que l'histoire repassera les plats - malheureusement. Nous avons commis, tous, une faute politique. Les politiques ont laissé les industriels prendre les coups et ne se sont pas battus pour que la fusion se fasse.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Effectivement nous sommes les seuls ici au Sénat - de façon transpartisane - à avoir pris position publiquement en faveur de ce projet.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Reiner

Un groupe de travail de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat va se mettre en place sur l'Europe de la défense, ses aspects institutionnels et au-delà sur les différentes perspectives possibles. Vous dites que si la France ne s'occupe pas de cela, personne ne s'en occupe. Or, j'ai le sentiment que quand elle s'en occupe, elle agace et irrite. On la soupçonne de vouloir imposer son propre point de vue. Alors comment faire ? Comment s'y prendre pour être efficace ?

Debut de section - PermalienPhoto de André Trillard

J'ai entendu dire que l'AED aurait mis en place une plate-forme informatique pour le matériel militaire d'occasion. Pouvez-vous confirmer cette information ? Par ailleurs, il n'y a plus aujourd'hui en Europe que deux marines authentiquement océaniques - la marine britannique et la marine française. Qu'arriverait-il si ces deux marines devaient affronter seules un conflit dans le Golfe persique par exemple ? Seraient-elles en mesure de faire face ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jeanny Lorgeoux

En ma qualité de co-rapporteur du programme 144 qui comprend les études amont, je m'interroge sur ce que pourrait être la contribution de l'Europe à cet effort de recherche.

Debut de section - PermalienPhoto de André Vallini

Quels sont les pays les plus allants et ceux qui sont les moins allants en matière d'Europe de la défense ?

Debut de section - Permalien
Claude-France Arnould, directrice exécutive de l'Agence européenne de défense (AED)

Je dirai à M. Daniel Reiner que ce qu'il dit est tout à fait juste, mais que nous devons faire avec. On reproche aussi beaucoup aux Français de ne pas pousser. Les Polonais, qui jouent un rôle de plus en plus important, ont par exemple pris des risques pendant leur présidence de l'Union. Mais ils ne s'attendaient pas à un veto britannique et ils auraient souhaité que les Français les soutiennent davantage. La réintégration de la France dans le commandement militaire intégré a levé les soupçons sur le fait que notre pays instrumentalisait l'Europe de la défense pour poursuivre une politique propre.

Sur la méthode, on peut toujours faire des efforts pour essayer d'être moins irritant, mais il faut, je crois, assumer les critiques vis-à-vis de qui agit plutôt que de renoncer à avancer et faire avancer.

En effet, la bonne surprise vient des petits et moyens pays européens et en particulier des pays nordiques. Ceux-ci ont mis en place un battle group d'une grande qualité, parfaitement entraîné, et sont très frustrés qu'on ne l'utilise pas. Les Autrichiens ont été présents au Tchad. Ils sont les principaux contributeurs en Bosnie. Par ailleurs, il faut aussi beaucoup travailler avec les Italiens et les Espagnols qui sont des partenaires très importants. Finmeccanica compte en Europe.

A M. André Trillard, je répondrai qu'effectivement nous avons mis en place une plate-forme pour vendre les surplus de gouvernement à gouvernement, « e-Quip » nous proposons uniquement un portail aux Etats membres permettant de publier les excédents en matière d'équipements, selon des modalités évidemment sécurisées

Se pose, en parallèle, la question d'un mécanisme européen équivalent aux Foreign Military Sales américain ou à l'initiativeC17 » pour les avions de transport, c'est-à-dire un service clef en main qui fournisse non seulement l'équipement, mais aussi la formation des pilotes et le maintien en conditions opérationnelles. C'est bien évidemment compliqué, mais il faut y réfléchir.

A M. André Vallini, je dirai que ce sont les petits pays qui sont les plus allants dont certains pays neutres comme l'Autriche ou l'Irlande, à condition toutefois de ne pas les mettre en difficulté sur leur neutralité vis-à-vis de leur opinion publique. Ces pays-là n'ont du reste pas le choix car leur participation à l'Agence européenne de défense ou d'une façon plus large aux initiatives de l'Europe de la défense leur permet de justifier le maintien d'une politique de défense nationale. Je répète également que la Pologne est une bonne surprise, que l'Italie a une industrie importante et qui compte et que l'Espagne est très européenne et a de grandes ambitions politiques pour l'Europe, même si elle traverse des difficultés financières en ce moment.

Pour les Pays Baltes, la Géorgie a été un choc important quant à la mesure de ce que l'OTAN peut faire ou non. Ils se sont aperçus que les Européens sont les seuls à avoir agi concrètement en faveur de la Géorgie. Ce sont eux qui ont négocié avec la Russie, qui ont obtenu un cessez-le-feu et ont déployé une mission d'observation. Ils se sont plus engagés dans la PSDC et sont potentiellement intéressés à accroître leur participation, par exemple sur des sujets comme la cyberdéfense.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Quels sont les projets qu'il faudrait pousser le plus ? Par ailleurs, le code de conduite sur le partage et la mutualisation ne représente-t-il pas un tournant ?

Debut de section - Permalien
Claude-France Arnould, directrice exécutive de l'Agence européenne de défense (AED)

Le projet le plus important est celui des avions ravitailleurs, car sans capacité en ce domaine, vous mettez en péril la capacité d'agir des Européens. Les drones représentent également une capacité clef. Le spatial militaire n'a pas très bien marché, alors que c'est très important aussi : il nous faut par exemple préparer la prochaine génération de moyens de communication satellitaire. Nous avons évalué que si nous nous mettions ensemble au niveau européen, nous pourrions faire 1,8 milliard d'euros d'économies dans le spatial, 5,5 milliards dans les programmes de véhicules blindés, et 2,3 milliards sur dix ans pour les frégates.

Le code de conduite peut être un vrai tournant. Nous avons du reste été d'une grande réactivité, puisque nous avons fait la proposition à la réunion informelle de Chypre en septembre et le code a été adopté par les Ministres de la défense le 19 novembre. Une des idées intéressante qui peut déclencher un véritable engagement est de dire que l'on accorde un plus haut degré de protection contre les coupes budgétaires aux programmes menés en coopération européenne. En d'autres termes, si tel pays doit pour des raisons économiques faire des coupes dans son budget de la défense, il ne met pas en difficulté les autres pays. Une autre idée intéressante, me semble-t-il, est que l'on réinvestisse les économies réalisées à travers la coopération, notamment dans la recherche et technologie de défense européenne.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

J'aurais encore deux questions à vous poser. La première concerne la Méditerranée. Il me semble que le présent Livre blanc s'oriente davantage vers la prise en compte de nos intérêts dans cette partie du monde que ne le faisait le précédent, d'où l'importance de notre relation avec l'Espagne et l'Italie. Qu'en pensez-vous ? Par ailleurs quelle est l'articulation entre la « smart defense » de l'OTAN et le « sharing and pooling » de l'AED ?

Debut de section - Permalien
Claude-France Arnould, directrice exécutive de l'Agence européenne de défense (AED)

L'Espagne est un pays important, mais leurs difficultés de court terme sont grandes. C'est du reste pour cela qu'il faut intensifier les relations avec l'Espagne. L'Italie est également un grand partenaire avec une industrie importante et un Ministre de la défense très partisan de l'Europe de la défense..

La « smart defense » et le « sharing and pooling » sont complémentaires, cette dernière est une initiative européenne issue du sommet de Gand en 2010, la première a été poussée par le Secrétaire général de l'Otan, M. Rasmussen, quatre mois plus tard. Dans certains cas, on souhaite coopérer sur une base transatlantique, dans d'autres cas pour faire jouer les synergies européennes, y compris avec les politiques de l'Union et en tenant compte de nos intérêts industriels. Ensuite, il faut travailler dans un esprit de coopération, comme on le fait avec ACT. Le fait que le budget de l'AED n'ait pas été augmenté depuis trois ans, représente une perte par rapport à l'inflation de huit millions d'euros. Cette cure d'amaigrissement est d'autant plus difficile à digérer qu'on nous demande de faire maigrir l'Agence, avant qu'elle n'ait grandi. Le 19 novembre, tous les ministres européens se sont exprimés en faveur d'une augmentation, à une exception près. Comme ils l'ont conclu, nous allons essayer de susciter des contributions additionnelles sur des activités spécifiques. Par ailleurs, nous essayons également de faire jouer au maximum les synergies avec les financements de l'Union européenne, par exemple les fonds structurels européens et les crédits recherche.