La réunion

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Au cours d'une première réunion tenue dans la matinée, la commission procède à l'audition de M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Nous avons le plaisir et l'honneur d'accueillir M. Didier Migaud, premier président de la Cour des comptes, qui pourra nous éclairer sur les enjeux financiers de la réforme territoriale. Nous devrons nous prononcer sur ce texte en décembre, et nous avons déjà procédé à de nombreuses auditions - présidents de Länder, universitaires, Conseil d'État, associations... Nous nous sommes même rendus sur le terrain, dans l'Eure-et-Loir, pour échanger avec les différents acteurs locaux de ce département.

Debut de section - Permalien
Didier Migaud, premier président de la Cour des comptes

Je suis heureux de répondre à votre invitation.

Un certain nombre des mesures qui figurent dans le projet de loi soumis à votre examen concernent la Cour des comptes.

Ainsi, l'article 30, qui reprend l'une de nos préconisations, prévoit que l'exécutif local présentera à l'assemblée délibérante un rapport sur les suites données aux observations des chambres régionales des comptes. C'est une mesure utile qui renforcera la transparence de ces contrôles. Dans le même article, des précisions sont données sur les documents à remettre dans le cadre du débat d'orientation budgétaire qui sera organisé. Cela répond à nos recommandations pour enrichir ce débat et mieux informer les élus. Tout ce qui concerne la gestion de l'endettement et la structure de la dette sera particulièrement utile.

L'article 31 prévoit que la Cour remettra chaque année un rapport sur la gestion financière des collectivités territoriales. Nous avions anticipé, puisque nous avons présenté le deuxième rapport de ce type, il y a quelques semaines déjà. Inscrire ce rapport dans la loi va dans le bon sens. Les juridictions financières y trouveront un réel intérêt, et la Cour et les chambres régionales pourront travailler en complémentarité.

L'article 32 dispose qu'une expérimentation sera mise en place pour la certification des comptes de grandes collectivités territoriales, sur la base du volontariat. Elle ne peut être pertinente que dans le cas de collectivités d'une certaine importance ; ce ne serait qu'un excès de lourdeur pour les autres. Le dispositif proposé envisage à juste titre des travaux préalables à mener : sur quoi portera la certification ? Selon quelles modalités ? La question du compte financier unique devra également être résolue. La Cour est prête à apporter son concours à une telle expérimentation, mais la signification de « la Cour coordonne » mérite d'être précisée. Doit-il y avoir plusieurs acteurs ? Mieux vaudrait écrire « la Cour conduit » l'expérimentation, selon des modalités restant à préciser, sachant que pour l'Europe, la certification entre dans le champ concurrentiel. La Cour bénéficiera-t-elle d'un droit exclusif pour certains établissements à statut particulier ? Au-delà de l'expérimentation, je ne suis pas certain que ce soit son rôle de procéder elle-même à l'exercice de certification des comptes. Enfin, rappelons que certifier les comptes n'est pas un exercice de contrôle : vous le savez bien, puisque la Cour certifie les comptes du Sénat.

Je n'ai pas d'observations particulières sur les autres articles, sinon que la création d'un observatoire de la gestion publique locale me parait aller dans le bon sens. En revanche, certaines dispositions ne figurent pas dans le texte ; ainsi, rien n'est prévu au titre IV pour éviter que certaines collectivités, mises en garde par un contrôle budgétaire, ne récidivent dans leur mauvaise gestion des comptes.

J'en arrive à quelques remarques d'ordre général.

La Cour des comptes a eu de nombreuses occasions pour livrer ses constats ou ses observations sur la situation des finances publiques et des finances locales. Dans le cadre européen, l'État s'est engagé vis-à-vis de ses autres partenaires, non seulement sur les finances publiques, mais aussi sur les finances de la Sécurité sociale et sur celles des collectivités territoriales. Or il ne dispose pas d'outils pour faire respecter ses engagements au niveau des collectivités territoriales. Des propositions restent à faire pour améliorer la gouvernance entre l'État et les collectivités territoriales. Elles pourraient s'inscrire dans un cadre constitutionnel, puisque les articles 72 et 34 de la Constitution prévoient la « libre administration des collectivités territoriales dans le cadre des lois qui la règlementent ». Le législateur est donc en droit de fixer des règles pour encadrer les relations entre l'État et les collectivités.

Chacun doit contribuer à l'effort de redressement des comptes publics. Nous invitons l'État à clarifier ses compétences par rapport aux collectivités territoriales. À vouloir tout faire, il ne pourra plus exercer pleinement ses compétences régaliennes. Chaque nouvelle étape de décentralisation devrait s'accompagner d'une redéfinition des missions de l'État. Les juridictions financières n'ont jamais été très favorables à la clause de compétence générale. Nous verrions d'un bon oeil sa remise en cause. Il faudrait clarifier les compétences à tous les niveaux. Par exemple, dans le bloc communes et intercommunalités, on reste souvent à mi-chemin dans le partage des compétences. La mutualisation des moyens n'est pas menée à son terme, de sorte qu'elle crée des facteurs de dépenses supplémentaires plutôt que de maximiser les économies possibles. Nous avons également suggéré de conclure, au sein des intercommunalités, un pacte de gouvernance financière et fiscale. Ce pacte existe déjà ; il faudrait le rendre obligatoire. Quant aux régions, leur part de fiscalité pourrait être revue à la hausse, en fonction des nouvelles compétences qui leur seront attribuées. Enfin, des propositions restent à faire pour le calcul des péréquations.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Le Sénat est toujours très attentif aux recommandations de la Cour des comptes. Dans les dispositions relatives à la transparence financière, vous n'avez pas mentionné l'article 33 qui inquiète les responsables des collectivités territoriales, car il est lourd de conséquences : quand l'État est condamné pour manquement à ses obligations par la Cour de justice de l'Union européenne, il peut engager une action récursoire à l'encontre des collectivités territoriales responsables du manquement. Mais s'il y a eu manquement, c'est que le contrôle de légalité a nécessairement été défaillant... La Cour des comptes s'est-elle penchée sur ce problème ? Enfin, vous nous avez dit que le Gouvernement disposait de moyens limités pour contrôler les dépenses des collectivités territoriales. La baisse des dotations est pourtant une contrainte réelle et substantielle.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

J'ai défendu l'idée de la certification des comptes, il y a vingt ans déjà. Cela fonctionnerait mieux que certains classements AAA. Je partage votre insatisfaction sur la rédaction de l'article 32. Les rapports de la Cour des comptes sur la situation des collectivités territoriales ont parfois été sévères. Néanmoins, il existe bien des communes qui récidivent dans la mauvaise gestion de leurs comptes. J'en connais ! C'est un phénomène récurrent. Quant à la clarification des compétences, elle est nécessaire. Au fil de la décentralisation, l'État a conservé ses compétences régaliennes tout en demandant de l'aide aux communes pour pallier ses manques pécuniaires. On a maintenant une police municipale à côté de la police nationale ; c'était hors de question, il y a trente ou quarante ans. Dans certains domaines, l'État accorde peu de crédits publics, tout en prétendant garder le contrôle.

Où sont les avancées de la décentralisation dans ce projet de loi ? Il ne propose en fait qu'une nouvelle répartition des compétences entre les collectivités. Les péréquations ont transformé la fiscalité locale en maquis impénétrable. Jusqu'à présent, l'État transférait des recettes sous forme de dotations, en même temps que les compétences. Une loi sur les finances des collectivités locales contribuerait à plus de clarté.

Enfin, le projet de loi ne modifie en rien le bloc communal. Ne faudrait-il pas aller plus loin ? Et pourquoi demander aux collectivités d'assumer une part si importante de l'effort de redressement des comptes publics, puisqu'elles doivent présenter des budgets en équilibre ?

Debut de section - PermalienPhoto de René Vandierendonck

Depuis hier, Bruxelles a ouvert une procédure d'infraction sur le barrage de Sivens. L'article 33 prévoit la subrogation automatique de la responsabilité de l'État aux collectivités locales. Comme mon collègue Jean-Jacques Hyest, je suis extrêmement réservé sur cette mesure. Concernant les crédits européens et leur mobilisation, l'État a mis en place une usine à gaz, dont l'exemple paroxystique est le Fonds social européen. D'autres États européens - la Belgique, par exemple - ont une procédure beaucoup plus fluide. Il y a quelques jours, une ministre- présidente allemande nous expliquait qu'elle n'échangerait pas pour tout l'or du monde la garantie constitutionnelle de ses dotations contre la prétendue autonomie fiscale dont nous nous gargarisons, ici... Selon les rapports de la Cour des comptes - que nous lisons attentivement, au Sénat ! -, l'optimisation de l'action publique doit être recherchée plutôt au niveau du bloc communal, en éliminant les doublons qui subsistent après le transfert des compétences. Pourquoi vos recommandations n'ont-elles pas d'effets ? Il y a plus de dix ans, vous avez dit que la communauté urbaine de Lyon devait prendre en charge l'entretien de la voirie dont elle avait la compétence. Pourquoi ce principe n'a-t-il pas été appliqué sur tout le territoire ? C'est parce que j'ai une haute idée de la juridiction financière que je vous fais remarquer cette disparité d'application.

Dans votre dernier rapport - et je vous en remercie - vous préconisez, pour aider des régions exsangues, de leur donner des recettes fiscales supplémentaires indexées sur leurs nouvelles compétences. Avant de créer un Ondam pour les collectivités territoriales, ne faudrait-il pas rendre leurs recettes fiscales plus cohérentes ?

Debut de section - PermalienPhoto de Rémy Pointereau

J'ai été très contrarié, cet été, par les conclusions de votre rapport, reprises en boucle par les radios, selon lequel les collectivités territoriales dépensaient trop et avaient une dette abyssale. Nombre de citoyens nous ont interrogés. Vous savez pourtant d'expérience que la majorité des communes, surtout rurales, sont gérées en bon père de famille, et souvent presque bénévolement. Il aurait fallu parler davantage des transferts de compétences effectués par l'État, qui a chargé les communes ou les communautés de communes de fonctions supplémentaires : crèches, sports, PLUi, police municipale... En évoquant l'explosion de la dette, il aurait fallu mieux distinguer entre dépenses d'investissement et dépenses de fonctionnement. Contrairement à l'État, notre budget doit être équilibré et nous ne pouvons emprunter que pour investir. Rappelons-le, pour éviter d'inquiéter la population.

En quoi l'agrandissement des régions ou le transfert à celles-ci des routes départementales sera-t-il un facteur d'économies ? Les transports scolaires requièrent une gestion de proximité. Confier cette gestion à d'immenses régions, notamment dans le Sud ou l'Est de la France, générera-t-il des économies ? Il y a un ministre de l'égalité des territoires. Comment peut-on employer cette expression alors que les dotations par habitant sont, en moyenne, de 20 euros pour les communautés de communes, essentiellement rurales, de 40 euros pour les habitants des communautés d'agglomération et de 60 euros pour les communautés urbaines et les métropoles ? Pouvez-vous nous expliquer ces écarts ?

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Allez-vous faire évoluer le mode de calcul de la DGF ? Son logiciel de fonctionnement correspond à un modèle dépassé, dont la logique semble être : « Aide-toi, le ciel t'aidera » : plus on augmente la fiscalité, plus on est aidé. C'est une incitation à l'inflation fiscale. Mieux vaudrait reconnaître les efforts de celui qui gère avec rigueur et ne prélève pas d'impôts excessifs. Or, de tels gestionnaires sont actuellement pénalisés de manière systématique dans les dispositifs de péréquation.

Comment maintenir un équilibre budgétaire alors même que sont prises en permanence des mesures qui ne peuvent que déséquilibrer les budgets des collectivités territoriales, notamment des départements ? Dès 2016, les trois quarts d'entre eux ne pourront plus respecter les règles comptables d'équilibre, puisqu'ils ne pourront plus affecter leur épargne brute à l'amortissement, alors même qu'ils devront amortir les subventions d'investissement octroyées aux communes. Nous en avons longuement parlé à l'Assemblée des départements de France (ADF) : les règles comptables doivent être adaptées.

Une grande région, qui se verra confier 35 000 kms de routes, 600 collèges, 400 lycées, aura 25 000 personnels pour gérer l'ensemble ! Est-ce de la rationalisation ? Les départements qui ont fait de gros travaux sur leurs routes ou dans leurs collèges transféreront à la région un patrimoine bien entretenu et celle-ci touchera une dotation importante, puisqu'elle aura été calculée sur le fonctionnement ou l'investissement des dernières années. La situation inverse prévaudra si le département n'a pas fait son travail. Il y aura donc des déséquilibres. Cette déstructuration budgétaire ne fera qu'accentuer la pente sur laquelle glissent les budgets des départements.

Allons-nous parvenir à clarifier les compétences sociales ? Nous ne pouvons que faire des propositions par voie d'amendement, mais l'article 40 de la Constitution restreint notre marge de manoeuvre. Pour régler le problème des mineurs étrangers isolés ou celui des personnes âgées, il faut absolument clarifier les compétences des uns et des autres. Merci, en tout cas, pour le référé adressé à la ministre de la santé sur la tarification des EHPAD : les décrets ne sont pas pris, les financements mal répartis... Le dossier va peut-être enfin avancer !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Certaines des questions posées s'adressent à nous-mêmes : le Premier président n'est pas chargé de voter la loi... Son discours, très intéressant, aurait sans nul doute encore plus d'effet au Congrès des maires de France !

Vous avez raison de dire que, dès lors qu'il faut réduire la dépense publique après vingt-cinq années trop peu précautionneuses, les collectivités territoriales doivent prendre part à l'effort. Vos remarques sur l'intercommunalité sont très justes. N'y manque que l'évocation du moyen de s'assurer que, si une dépense ou une compétence est transférée, les personnels et les moyens afférents le soient aussi. Certaines collectivités territoriales sont vertueuses, d'autres, peut-être plus nombreuses, le sont moins.

C'est un partisan du non cumul qui l'affirme : dès lors que les parlementaires appelés à statuer sur l'organisation territoriale sont les représentants d'un niveau de collectivités, cela pose problème. Lorsque M. Raffarin nous a présenté sa loi de décentralisation en 2003-2004, il voulait en faire une loi pour la région. Résultat : seuls les départements ont gagné dans le processus...

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

La loi a été plus départementaliste que régionaliste. J'espère qu'il n'en ira pas de même pour ce texte, mais j'ai quelques craintes... Pourtant, les parlementaires n'ont pas vocation à se faire les relais d'un niveau territorial ou d'une strate de collectivités.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Nous sommes le pays au monde, à l'exception de l'Allemagne, dans lequel il y a le plus de dotation. Ce qui le justifie, c'est la mission de solidarité de l'État. Il devrait donc y avoir davantage de péréquation. Or la complexité du calcul de la DGF l'empêche. Il n'est pas possible que les ressources de grandes régions, surtout si elles ont davantage de compétences, proviennent exclusivement des dotations de l'État. La solution ? Baisser la dotation de l'État et augmenter d'autant la fiscalité locale. Bon courage !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-René Lecerf

Vous avez évoqué une nouvelle répartition des ressources fiscales des collectivités territoriales au profit des régions. S'agit-il de poursuivre la dévitalisation des départements ? Dans de nombreuses communes, l'État devient le principal payeur des impôts locaux, ce qui n'incite en rien à maîtriser la fiscalité locale et a même des effets pervers : membre de la commission communale des impôts directs d'une grande ville, j'ai constaté que les services fiscaux s'évertuaient à classer aussi bas que possible les bâtiments nouveaux, au risque de porter atteinte à la mixité sociale.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Bouvard

Merci pour cet éclairage. Je suppose que la Cour des Comptes attend de ce texte un accroissement de l'efficacité du fonctionnement des collectivités territoriales et de l'État et, donc, des économies.

Malgré la décentralisation, l'État a conservé certaines compétences, ce qui nuit au financement de ses missions régaliennes. Doit-il, dans son organisation, tirer les conséquences de la réforme de la carte des collectivités territoriales ? Par exemple, qu'adviendra-t-il des résidus du réseau routier de l'État gérés par la direction interrégionales des routes Rhône-Alpes-Bourgogne si la région devient Rhône-Alpes-Auvergne ? Il convient de compléter la RéATE à la lumière de la nouvelle organisation territoriale.

Les compétences doivent-elles être réparties uniformément par niveau de collectivité ou devons-nous, dans certains secteurs, envisager des adaptations territoriales, quitte à admettre des délégations de compétences d'une collectivité vers une autre ?

La question de la certification avait été abordée lors de la précédente réforme des juridictions financières. La Cour des Comptes ne saurait, bien sûr, mener une certification généralisée, mais elle pourrait fixer un cadre au travail d'acteurs privés, voire des orientations : information des assemblées délibérantes, structure de la dette...

Pour être efficace, la péréquation ne devrait-elle pas être plus vertueuse ? Au lieu d'avoir un effet pousse-au-crime sur la fiscalité, elle devrait prendre en compte l'efficacité de la gestion et ne pas récompenser celui qui a laissé filer la dépense.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Kaltenbach

Merci pour cet exposé brillant sur les finances des collectivités territoriales. Pourriez-vous nous donner une liste exhaustive des doublons assurés par l'État malgré les transferts de compétences ? Il s'agit d'un véritable gisement d'économies. N'est-il pas temps de réformer la DGF, dont le fonctionnement est complexe, difficile à comprendre, et pas toujours très juste ? Les péréquations horizontales suscitent également des difficultés. Mieux vaudrait un système unique, juste et lisible. Tous les élus veulent davantage de moyens mais aucun ne souhaite augmenter les impôts. Nous devrions peut-être engager une réforme des bases fiscales qui fasse porter davantage la fiscalité locale sur les ménages, en l'indexant mieux sur le niveau des revenus, ce qui serait plus juste qu'un système fondé sur la valeur des biens. Les compétences, sur lesquels nous débattons, requièrent des moyens. Puisque les départements vont rester, finissons-en avec la clause de compétence générale, afin que chaque collectivité territoriale se concentre sur ses objectifs propres.

Debut de section - Permalien
Didier Migaud, premier président de la Cour des comptes

Beaucoup de vos questions se rejoignent... et certaines réponses sont au-dessus de ma condition : respectueuse de l'organisation des pouvoirs publics, la Cour des Comptes n'a nullement l'intention de se substituer au législateur. Nous nous bornons à faire des constats et à formuler des recommandations. Le dernier mot appartient aux parlementaires, qui votent la loi.

Je vois que plusieurs d'entre vous ont été contrariés par notre dernier rapport sur les finances locales ; j'ai d'ailleurs eu un échange intéressant avec le comité des finances locales. Le rapport n'avait aucunement pour but de stigmatiser les élus locaux ou leur gestion des collectivités territoriales : je vous invite à le lire de bout en bout. Hélas, il peut arriver que notre message soit déformé ou réduit par les médias à quelques titres. Il y a eu, aussi, des sur-réactions à ce rapport, qui ont peut-être contribué à l'instauration d'un climat qui a pu paraître hostile. Des communiqués ont paru avant même que je ne le présente...

Nous raisonnons sur l'année 2013, à partir de chiffres officiels et des contrôles effectués par nos chambres régionales. Nous avons bien établi la différence entre la dette des collectivités territoriales et la dette de l'État ou de la sécurité sociale, en précisant dans le rapport que la première n'est pas de même nature que les deux autres, puisque les collectivités territoriales ne peuvent emprunter que pour financer des investissements. Cela dit, leurs emprunts sont comptabilisés dans la dette globale, telles que la définissent les traités européens et nos propres lois. Elles contribuent donc à la dette au sens de Maastricht, tout comme elles contribuent à la dépense. Elles sont donc responsables, pour un tiers, du non-respect par la France de ses engagements en matière de finances publiques : c'est incontestable. Bien sûr, nous avons fait remarquer que l'État contribuait aussi à la dépense locale puisqu'il prend des décisions qui ont des conséquences sur celle-ci, qu'il s'agisse de l'évolution des normes ou de la revalorisation de certaines catégories de personnel. Pour autant, les acteurs locaux ont une part de responsabilité. De même, constater que les dépenses augmentent plus vite que les recettes, ce n'est pas dénigrer la gestion des collectivités territoriales. Et les engagements de l'État valent pour tous ! Peut-être le législateur pourrait-il organiser différemment le dialogue entre l'État et les collectivités locales... mais cela dépend de vous.

Vous avez auditionné des élus allemands, qui n'ont pas de pouvoir fiscal. Pour autant, leurs recettes sont garanties et leur pouvoir, réel. En France, le Conseil constitutionnel ne reconnaît pas d'autonomie fiscale aux collectivités territoriales mais uniquement une autonomie financière. Nous appelons à donner à la région une part plus importante de la fiscalité locale pour qu'elle puisse faire face aux transferts proposés par le texte.

Pour optimiser l'action publique, la clarification des compétences est essentielle. Nous avons remis il y a deux ans un rapport sur l'organisation territoriale de l'État, dans lequel nous avons formulé deux recommandations. D'abord, l'État doit mettre fin à un certain nombre de doublons et tenir compte de l'organisation territoriale dans sa propre organisation. Il doit s'interroger sur son propre fonctionnement : au 21ème siècle, doit-il fonctionner comme au 20ème, voire au 19ème ? La question ne concerne pas seulement les sous-préfectures...

Le contrôle de légalité est exercé de manière très inégale selon les territoires ; savoir si l'article 33 est justifié relève de votre travail de législateur. Il est prévu qu'une commission soit mise en place, qui comprendrait pour moitié des membres du Conseil d'État et pour moitié des magistrats de la Cour des comptes, afin de proposer des solutions en cas de désaccord entre l'État et les collectivités territoriales.

Il importe également de clarifier les compétences entre les collectivités territoriales. Cela dégagera des économies, même si celles-ci ne seront pas perceptibles immédiatement. De même, des économies sont possibles dans les politiques publiques sans remettre en cause leur qualité : alors que nous sommes un des pays où la dépense publique est la plus élevée, notre score dans les évaluations est généralement médiocre. Hélas, cette réalité laisse relativement indifférents nos hommes politiques. Évaluer mieux l'efficacité de la dépense serait un facteur d'économies. Dans la santé, en particulier, il y a des marges de progrès, sans remettre en cause la qualité et l'accès aux soins. Mais pour chaque euro mal dépensé, il y a quelqu'un derrière, ce qui explique les récriminations...

Il y a aussi des marges de progression importantes dans le bloc communal. En nous appuyant sur des exemples, nous essayons de mettre en avant les bonnes pratiques. Certaines collectivités territoriales ont fait des efforts de mutualisation : nous les citons. Naturellement, certains élus peuvent ne pas se reconnaître dans nos observations : notre territoire n'est pas uniforme... ce qui justifie qu'une règle nationale s'applique différemment selon les territoires.

Dans le domaine de la santé et de l'action sociale, l'efficacité de l'action publique est obérée par la multiplicité des acteurs et, parfois, par la confusion des politiques. Il y a un gros travail d'évaluation des politiques publiques à mener ; le Sénat y a déjà consacré beaucoup de ses efforts.

Je partage vos propos sur la péréquation. Une mission a été constituée à l'Assemblée nationale sur le sujet. Le dispositif actuel n'est pas totalement satisfaisant : nous sommes prêts à vous aider.

Enfin, nous ne sommes pas opposés à la certification des comptes, pourvu qu'en soient bien précisés les objectifs et les modalités. Nous sommes prêts, là encore, à accompagner l'expérimentation.

La réunion est levée à 13 h 05

- Présidence de Philippe Bas, président -

La réunion est ouverte à 16 h 10