La présentation du programme de stabilité est devenue un moment important de notre année budgétaire, en particulier depuis qu'il est transmis aux autorités de l'Union européenne, dans le cadre du semestre européen et de l'article 121 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Le droit européen prévoit que le programme de stabilité doit être soumis avant la fin du mois d'avril ; le programme national de réforme répond au même calendrier. La Commission présentera une recommandation de recommandation au Conseil, lequel adressera une recommandation à la France au début de l'été.
Au niveau national, le projet de programme de stabilité est adressé au Parlement au moins deux semaines avant sa transmission à la Commission européenne, et donne lieu à un débat puis à un vote, qu'il n'est pas toujours possible d'organiser - nous sommes dans ce cas cette année, comme l'a constaté la Conférence des Présidents du 8 avril dernier. Pour autant, notre assemblée reste très attentive à ces documents essentiels sur lesquels le conseil des ministres a délibéré ce matin. Nous avons déjà entendu le président du Haut Conseil des finances publiques, et nous entendrons la communication du rapporteur général demain matin. Nous sommes heureux d'accueillir ce soir Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics et Christian Eckert, secrétaire d'État chargé du budget. Enfin, je salue la présence de nos collègues de la commission des affaires européennes auxquels cette audition est ouverte.
Tout en me réjouissant de votre présence parmi nous, je ne peux m'empêcher de vous dire, messieurs les Ministres, combien nous regrettons que le Gouvernement n'ait pas donné suite à notre invitation à débattre en séance du programme de stabilité. Le semestre européen ne peut se dérouler sans un contrôle démocratique plein et entier. Nous réfléchissons au niveau européen à développer une expression collective des parlements nationaux à travers la Conférence dite « de l'article 13 » du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG). Il est essentiel que le Parlement puisse faire connaître son appréciation sur le programme de stabilité : gardons-nous d'un dialogue exclusif entre l'exécutif et les autorités européennes ; il ne ferait que renforcer la défiance de nos concitoyens à l'égard du projet européen.
Nous avons tous à l'esprit la recommandation adressée à la France par la Commission européenne au début du mois de mars. Nous en avions débattu avec le vice-président, Valdis Dombrovskis. La France a obtenu un report jusqu'en 2017 pour ramener son déficit à moins de 3 % du PIB, avec une obligation de mettre en oeuvre des mesures d'ajustement. D'ici le 10 juin, 4 milliards d'euros devront être affectés à l'effort structurel, qui s'ajouteront aux 50 milliards prévus pour 2016 et 2017. Si l'on considère que la Commission européenne ne retient que 25 milliards sur les 50 annoncés par le Gouvernement, l'effort attendu s'élève à 79 milliards d'euros d'économies. Comment le programme de stabilité prend-il en compte ces contraintes ? Quel effort sera fait pour réduire le poids des dépenses publiques ? Le Gouvernement pourra-t-il tenir l'objectif de 50 milliards d'économies annoncé à l'automne ? Enfin, notre pays reste visé par la procédure concernant les déséquilibres macroéconomiques introduite par le « six pack » dès décembre 2011. Nous sommes classés dans la cinquième catégorie avec la Croatie, la Hongrie, l'Italie et le Portugal. Que peut-on attendre du programme national de réforme dont le rôle est crucial sur ce sujet ?
La présentation du programme de stabilité est un moment important que nous partageons tous les ans. La procédure s'applique à l'ensemble des pays de l'Union européenne, a fortiori aux membres de la zone euro. Puisque nous partageons la même monnaie, il est tout à fait légitime que nous acceptions de nous soumettre au regard attentif et critique de nos partenaires. En contrepartie de notre solidarité, il nous faut coordonner nos politiques budgétaires et convenir ensemble des réformes qui auront des conséquences sur la croissance de la zone euro.
Cette procédure déjà rodée marche sur deux jambes, dont l'une est le programme de stabilité qui couvre les grandes orientations macroéconomiques (données sur les déficits, poids de la dette, prélèvements obligatoires, dépense publique par rapport au PIB, etc.) sur lesquelles se construit la stratégie financière d'un pays sur une période de trois ans ; l'autre est le programme national de réforme qui inclut les mesures structurelles, profondes et durables qui modifient le tissu économique du pays, mais aussi sa situation budgétaire. Plus de croissance, c'est en effet une meilleure capacité à faire face aux situations budgétaires difficiles. Avec Christian Eckert, nous vous présenterons la trajectoire budgétaire de notre pays sur trois ans ; Emmanuel Macron reste à votre disposition pour détailler le programme national de réforme, qu'elles soient accomplies, en cours ou à venir. Je sais combien les sénateurs comme les députés regrettent de ne pas avoir pu avoir de débat dans l'hémicycle sur le programme de stabilité ; nous sommes d'autant plus à votre disposition, ce soir.
L'objectif fondamental du programme de stabilité est que la France retrouve une croissance suffisante pour faire reculer le chômage. Loin de nous livrer à un exercice théorique d'une technicité incroyable, nous voulons que ce programme soit une stratégie au service de la croissance et de l'emploi. Il mobilise les trois moteurs classiques de la croissance, au premier rang desquels la consommation, relancée en 2014 et toujours active, grâce aux baisses d'impôts : 9 millions de foyers fiscaux vont voir baisser leurs impôts et trois millions seront dispensés d'impôt sur le revenu. À cela s'ajoutent les bénéfices d'une inflation nulle qui, conjuguée à une évolution des revenus positive, a favorisé le pouvoir d'achat des ménages.
Le deuxième moteur s'allume progressivement : les exportations contribuent à créer de la croissance dans notre pays et par-delà, dans la zone euro. Avec le reste du monde, elles sont favorisées par le cours actuel de notre monnaie qui bénéficie aux entreprises.
Enfin, troisième moteur de la croissance, l'investissement des entreprises, stable voire négatif en 2014, reprend légèrement en 2015 (1,2 %) et commence à monter en régime. Il devrait augmenter de 4,6 % en 2016, ce qui n'est pas forcément considérable, mais reste absolument nécessaire. D'où notre volonté d'accélérer l'investissement par un avantage fiscal pour une durée d'un an, disposition dont vous aurez bientôt à débattre, dans le cadre du projet de loi sur la croissance et l'activité.
Le Haut Conseil des finances publiques a souligné la prudence de nos hypothèses de croissance. La loi de finances pour 2015 avait prévu un taux de croissance de 1 % en 2015. Même si les observateurs - FMI ou autres - s'accordent à dire qu'il sera en réalité plus élevé, nous préférons nous en tenir à cette hypothèse prudente, quitte à reporter sur le niveau du déficit public les effets bénéfiques d'un meilleur résultat. Nos hypothèses affichent la même prudence pour 2016 et 2017, avec un niveau de croissance de 1,5 %, révisé à la baisse par rapport aux hypothèses précédentes. Alors que les hypothèses de croissance étaient un objectif à atteindre, nous préférons les envisager comme un plancher. Nous gagnons ainsi en crédibilité auprès de nos concitoyens comme de nos partenaires européens.
Quant à la trajectoire du déficit, elle est conforme à 0,2 point près à la loi de programmation des finances publiques que le Parlement a votée à la fin de l'année dernière, et elle respecte la dernière recommandation de la Commission européenne. L'Europe recommandait 4 % pour 2015, nous prévoyons 3,8 % de déficit ; elle demandait 3,4 % pour 2016, nous prévoyons 3,3 % ; elle préconisait 2,8 % pour 2017, nous prévoyons 2,7 %. Là encore, nous avons souhaité conserver une marge de sécurité. Ce schéma exigeant mais réaliste est considéré par tous comme crédible. Pour la première fois depuis longtemps en situation de respecter ses engagements, la France a la capacité de passer la barre des 3 % en 2017.
Augmenterons-nous les impôts pour respecter ces orientations ? Non, nous ferons plutôt l'inverse. Les prélèvements obligatoires ont été stabilisés en 2014 par rapport à 2013, alors qu'ils n'avaient cessé d'augmenter depuis 2009. En 2015, ils sont prévus à la baisse, tant pour les foyers que pour les entreprises auxquelles nous offrons ainsi 12 milliards d'euros. Pour la première fois depuis très longtemps, les impôts diminueront par rapport au PIB, en 2015, 2016 et 2017. Nous maîtrisons nos finances sans austérité ni augmentation d'impôts.
Sommes-nous en capacité de maîtriser le poids de la dette par rapport au PIB, après les explosions survenues en 2009 et 2010 ? Tous les regards se focalisent sur le chiffre symbolique de 100 % de dette par rapport au PIB. Notre programme de stabilité confirme les analyses de l'ensemble des observateurs, y compris les agences de notation, selon lesquelles même si le poids de la dette continue d'augmenter légèrement en 2015 et se stabilise en 2016, la décrue s'enclenchera en 2017. Tant pour le déficit que pour les dépenses obligatoires, les impôts ou l'endettement, nous sommes sur les rails d'une gestion efficace.
Le Parlement a validé notre choix de diminuer le déficit par la réalisation d'un programme de 50 milliards d'euros d'économies. Si des efforts supplémentaires sont nécessaires en 2015, c'est pour atteindre les 21 milliards d'euros d'économies grâce auxquelles nous pourrons financer la baisse d'impôts, les dépenses prioritaires de l'État (éducation, sécurité, investissements d'avenir, etc.) et réduire le déficit. Nous n'aurons pas besoin de plus que ces 50 milliards d'euros pour respecter la stratégie de réduction des déficits et la baisse du déficit structurel de 0,5 point par an demandée par l'Europe.
Une inflation nulle alors que le prévisionnel était proche de 1 % a réduit le montant des économies prévues. C'est pour combler ce manque que nous avons ajouté des mesures nouvelles dégageant 4 milliards d'économies supplémentaires. Ces 4 milliards correspondent parfaitement à la réduction du déficit structurel de 0,5 point que la Commission européenne nous incite à faire. Notre politique nationale converge avec les règles européennes.
Une différence subsiste entre la dernière recommandation de la Commission européenne et notre programme de stabilité. Elle concerne l'effort supplémentaire d'ajustement structurel qui nous est réclamé en 2016 et 2017, soit 0,8 ou 0,9 point. La notion de déficit structurel est très discutée, surtout en période de sortie de crise.
Les résultats de 2014 sont bien plus favorables que ceux que la Commission avait pris en compte en élaborant sa recommandation. Elle prévoyait 4,3 % de déficit en 2014, alors qu'il n'a pas dépassé les 4 % dans notre pays. Tous les pays européens ont le souci de conforter la croissance naissante pour l'inscrire dans la durée. Nous suivons la même logique. Or, ce n'est pas un secret, la recommandation de la Commission aboutirait à casser la croissance en France, en la faisant passer à 0,7 % au lieu de 1,5 % en 2016, et aux alentours de 0,8 % en 2017. Et cela au nom du seul ajustement structurel, qui est une notion difficilement perceptible pour nos concitoyens plus sensibles aux questions de la dette, de la croissance ou du chômage.
Voilà pourquoi nous proposons une voie différente pour parvenir aux mêmes objectifs de déficit avec une croissance plus élevée, et un effort structurel fixé à 0,5 plutôt qu'à 0,8 ou 0,9. Des discussions sont en cours pour faire valoir ces arguments de bon sens auprès de la Commission européenne et de nos partenaires allemands, italiens ou espagnols, tout cela dans un dialogue exigeant mais positif.
Les résultats 2014 sont bons, meilleurs qu'attendus. C'est la clef d'entrée pour présenter ce programme de stabilité qui diffère sur les lignes les plus techniques de la recommandation de la Commission. D'exécution à exécution, entre 2013 et 2014, les dépenses de l'État ont diminué de 3,3 milliards d'euros. Les dépenses de l'ONDAM sont inférieures de 1,1 milliard d'euros à la prévision initiale, et de 300 millions d'euros à la prévision révisée. La dépense publique totale a augmenté de 0,9 %, taux le plus faible depuis que les statistiques existent. Quant au déficit structurel, il est à son plus bas niveau depuis 2000.
En 2015, l'inflation très basse minore les économies prévues. Les mesures de sous-indexation rapportent moins qu'espéré : par exemple, le point de la fonction publique étant déjà gelé, nous n'en tirons aucune économie. Les gestionnaires publics, pour un même budget fixé en valeur, gagnent en pouvoir d'achat grâce à des prix plus bas qu'attendu et à la chute du prix du pétrole, facteur spécifique que nous n'avions pas prévu. Dans cette situation, nous maintenons notre effort à 50 milliards d'économies. Nous l'avons fait dès le début de l'année en finançant les dépenses nouvelles liées au renforcement de la lutte contre le terrorisme par des redéploiements au sein du budget de l'État, concrétisés par un décret d'avance dont vous avez été informés, ainsi que par l'augmentation de la réserve de précaution.
Nous dégageons 4 milliards d'euros supplémentaires pour compenser les manques à gagner. En raison de la baisse des taux d'intérêt, nous anticipons une économie de 1,2 milliard d'euros sur la charge de la dette. C'est une économie pérenne puisqu'il s'agit de remplacer les obligations à dix ans contractée à un certain taux en 2008-2009 par des obligations à un taux beaucoup plus faible : aux environs de 0,43 %. Les prévisions de taux d'intérêt contenues dans le programme de stabilité sont de 1,20 % pour la fin 2015, 2,10 % en 2016, et 3 % en 2017. Ce sont des prévisions prudentes.
Nous prévoyons également 1,2 milliard d'économies sur l'État et ses opérateurs. Sur l'État, des annulations de crédits seront mises en oeuvre en cours de gestion par voie réglementaire, au début du mois de juin. Les opérateurs seront également mis à contribution, par la réduction des versements opérés par le budget de l'État et par une modération de leurs dépenses.
Les dépenses de protection sociale ont été revues à la baisse, à hauteur de 1 milliard d'euros, notamment grâce à l'assurance maladie et à la diminution des frais de gestion des organismes. L'objectif national des dépenses d'assurance maladie (ONDAM) est limité à 2,05 %, alors que la loi de financement de la sécurité sociale prévoyait une augmentation de 2,1 %.
Nous anticipons des recettes supplémentaires. Une partie d'entre elles, de l'ordre de 400 millions d'euros, provient des régularisations effectuées auprès du service de traitement des déclarations rectificatives (STDR) qui accueille les « repentis » fiscaux ayant des avoirs à l'étranger. Le flot de dossiers ne tarit pas, 37 000 ont été déposés, environ 6 000 ont été traités complètement. Les dossiers les moins complexes, dont les enjeux sont inférieurs à 600 000 euros, sont confiés à quatre directions déconcentrées. D'autres recettes proviennent de dividendes de la Banque de France plus élevés qu'escomptés. Au total, le cumul de ces postes représente 4 milliards d'euros de recettes qui permettront de tenir le solde nominal de 3,8 % en 2015.
Pour 2016, nous maintenons le rythme de baisse des dépenses publiques, fixée à 0,7 point hors crédit d'impôt et charge d'intérêts par la loi de programmation des finances publiques (LPFP). Afin d'atteindre cet objectif, nous prévoyons des efforts complémentaires qui seront équitablement répartis entre les différentes administrations publiques selon leur poids respectif : la baisse des dépenses devrait être de 1,6 milliard d'euros pour l'État et les opérateurs publics, de 2,2 milliards d'euros en matière de santé et de 1,2 milliard d'euros pour les collectivités territoriales grâce aux marges de manoeuvre offertes par la moindre inflation, renforcées par les mesures de gouvernance, et le nouvel objectif d'évolution de la dépense publique locale (ODEDEL) inscrit dans nos textes financiers. Ces mesures seront détaillées et, je l'espère, validées en fin d'année.
Les prélèvements obligatoires ont été stabilisés à 44,7 % du PIB en 2014, ce qui constitue une inflexion majeure. Ils devraient s'établir à 44,4 % en 2015 et 44,2 % en 2017. Ainsi, entre 2012 et 2017, nous aurons réalisé une amélioration structurelle des finances publiques de 4,6 points de PIB, soit 90 milliards d'euros, reposant à 90 % sur des économies en dépenses. Ceci ne nous empêche pas de financer nos priorités : le Pacte de responsabilité, l'investissement, la revalorisation des minimas sociaux, les départs en retraites anticipés des carrières longues, les moyens nouveaux en faveur de l'éducation, de la justice, de la sécurité et le plan de lutte contre le terrorisme.
Je vous remercie d'être venu devant notre commission immédiatement après la présentation du programme de stabilité et du programme de réforme. Nos questions se focaliseront sur le programme de stabilité. Nous avons eu peu de temps pour étudier ce document, qui est parfois difficile à lire en raison de choix de méthode : le solde effectif - qui s'améliore - a opportunément remplacé les références au solde structurel...
Le Gouvernement maintient avec constance l'objectif affiché d'économies de 50 milliards d'euros. Pourtant, dans les documents adressés à la Commission européenne, il indique que si l'inflation tardait à redémarrer, il prendrait des mesures complémentaires pour assurer le respect des cibles nominales de déficit. Quelles seraient ces mesures, puisque l'idée d'une hausse des impôts a été écartée ? Iriez-vous au-delà des 50 milliards d'euros annoncés ?
Le Gouvernement a revu les prévisions de croissance potentielle à la hausse de 0,2 point à partir de 2016. Le Haut Conseil des finances publiques a déploré cette modification, s'agissant d'une estimation qui comporte de fortes incertitudes, quelques mois après le vote de la loi de programmation des finances publiques. Quels éléments nouveaux justifient cette révision alors que le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) et le Pacte de responsabilité étaient déjà connus au moment du vote, en décembre dernier ?
Emmanuel Macron a annoncé ce matin en séance le dépôt d'un amendement du Gouvernement visant à la mise en oeuvre d'un dispositif de « suramortissement » de l'investissement des entreprises. Lorsque le Sénat, presque unanime, avait voté un dispositif de ce type en loi de finances puis en loi de finances rectificative, vous nous l'aviez refusé car trop coûteux. Comment financerez-vous cette mesure nouvelle, encore plus puissante, dont le coût devrait dépasser 2 milliards d'euros en pluriannuel ? Cette somme s'ajoute-t-elle aux 4 milliards d'euros évoqués précédemment ? Des mesures de compensation sur l'impôt sur les sociétés sont-elles prévues ? La fin de la surtaxe sur les sociétés sera-t-elle différée ? Comment financez-vous la prolongation d'une année du crédit d'impôt transition énergétique ?
En 2014, nous avons envisagé des mesures nouvelles pour atteindre l'objectif d'économies, car l'hypothèse d'inflation avait été revue à la baisse. Par honnêteté intellectuelle, nous avons précisé qu'une modification des hypothèses macroéconomiques aurait des conséquences et qu'il faudrait compléter nos mesures pour atteindre le volume d'économies que nous avons décidé. Ce raisonnement démontre qu'il est possible de dialoguer avec la Commission et avec nos partenaires - ce qui est indispensable dans une zone dotée d'une monnaie unique - et de mettre en oeuvre les décisions votées dans le cadre de la loi de finances sans être dans une posture de soumission. Ainsi que le Haut Conseil des finances publiques l'a reconnu, nos prévisions de croissance sont très prudentes et nos prévisions d'inflation, inférieures à celles de la Commission européenne et de la BCE. Si des mesures nouvelles sont nécessaires, nous les prendrons. Nous avons minimisé le risque d'erreur.
En période de reprise d'activité, les économistes s'accordent à dire qu'il est très délicat d'apprécier la croissance potentielle. Vous nous reprochez d'avoir modifié notre hypothèse de croissance...
Il indique, vous l'avez souligné, qu'il existe de « fortes incertitudes » sur l'évolution de la croissance potentielle. La Commission européenne modifie ses prévisions tous les quatre mois, à la hausse ou à la baisse... De quoi parlons-nous ? Nous fixons une cible de déficit nominal et non structurel. Si nous atteignons cette cible, les règles européennes changent. Pour prendre une comparaison automobile, si nous ne roulons pas à la bonne vitesse, la Commission et nos partenaires peuvent ouvrir le capot pour savoir ce qui se passe, mais si nous roulons à la vitesse fixée, pas de raison d'arrêter le véhicule ! Pendant de nombreuses années, la France n'a pas atteint les objectifs fixés - ce qui conduisait la Commission à l'interroger sur ses efforts structurels. Pour 2014, elle a constaté que nous avions consenti les efforts nécessaires. Votre question est pertinente mais j'espère qu'elle a aujourd'hui moins d'actualité. La question est simple : le déficit de la France baisse-t-il ou non conformément à nos engagements ? Si oui, nous verrons en 2018 où nous en sommes... Je reviendrai volontiers vous rendre des comptes !
Christian Eckert vous donnera des précisions sur le dispositif de « suramortissement ». Il s'agit d'une baisse d'impôt et non d'une dépense. La question est de savoir comment nous la compensons pour rester dans le cadre de la cible que nous nous sommes fixée.
Il peut arriver qu'une famille souhaite changer de téléviseur et y renonce à un moment donné pour des raisons budgétaires. Quelques mois plus tard, la dépense devient possible. Je ne change pas une virgule à mes déclarations de novembre et décembre. Les résultats de l'année 2014 nous permettent d'envisager des mesures qui étaient hors de portée alors. Cela est pris en compte dans notre trajectoire budgétaire.
Un débat monte dans le pays sur la durabilité des mesures du Pacte de responsabilité - surtaxe de l'impôt sur les sociétés à 2,5 milliards d'euros, baisse des cotisations sociales, tranches supplémentaires de C3S, baisse du taux de l'impôt sur les sociétés dont l'ampleur n'est pas fixée. Le montant d'économies sur lequel le Gouvernement s'est engagé ne changera pas en volume. Les organisations syndicales, même patronales, veulent discuter de la ventilation. Nous pouvons avoir ce débat sereinement. Mais il est incohérent de réclamer dans le même temps stabilité, lisibilité et changement ! Les volumes sont arrêtés, nous procèderons uniquement à des ajustements ligne à ligne s'ils sont consensuels.
Si le programme de stabilité s'appuie cette année sur un cadrage macroéconomique plus prudent, il ne gomme pas tous les aléas. La dynamique économique sera-t-elle au rendez-vous après plusieurs années de stagnation ? Je suis peu convaincue par notre capacité à tenir l'effort de réduction des dépenses sur la durée. Ces économies sont-elles pérennes et reportables d'année en année ? Qu'en est-il par exemple du solde de moindre décaissement au titre du programme d'investissements d'avenir ?
Au sujet des recettes, vous avez peu évoqué la situation des collectivités territoriales. L'État se défausse sur les collectivités. Les hypothèses de la loi de programmation mentionnent 5,3 milliards de recettes provenant de la hausse de la fiscalité locale...
J'en viens au prêt à taux zéro au bénéfice des collectivités locales. Les collectivités bénéficieront d'une avance sur les sommes versées par l'État au titre du fonds de compensation de la TVA pour améliorer leur trésorerie. Or les collectivités n'ont pas de problème de trésorerie mais d'équilibre budgétaire... Un problème que le prêt à taux zéro ne résoudra pas ! La baisse des dotations nous pose un problème d'équilibre en équipement et en fonctionnement.
Je vous remercie pour cette présentation détaillée, pédagogique et convaincante. Je me félicite que vous fassiez renaître la confiance dans notre pays. Le Sénat avait rejeté la trajectoire du projet de loi de programmation des finances publiques au motif qu'elle était fondée sur des hypothèses trop optimistes mais les réalités économiques vous donnent aujourd'hui raison.
Je m'interroge sur les relations entre notre pays et l'Union européenne. Au niveau européen, une convergence d'analyse semble se dessiner entre la BCE - qui pratique désormais la facilitation quantitative afin d'aider les PME à investir - et la Commission européenne, qui a changé de doctrine, ni plus ni moins. La logique keynésienne retrouve droit de cité ; le « plan Juncker » en est une illustration. L'Union pourrait-elle dès lors entraver le redémarrage de notre économie ? Si nous poursuivons notre trajectoire et atteignons un objectif de 2,7 % de déficit en 2017, les institutions européennes peuvent-elles exiger des mesures additionnelles de notre pays ?
Les perspectives d'amélioration des comptes publics me paraissent optimistes tout comme les prévisions d'augmentation de l'investissement des entreprises. J'ai rencontré hier à Londres des chefs d'entreprises : ils s'interrogent sur un départ à l'étranger compte tenu des blocages administratifs existant dans notre pays.
De nombreux entrepreneurs se sont déjà exilés à Londres pour développer leur activité. Il y a lieu de compléter le projet de loi « Macron ». La baisse d'investissement des collectivités territoriales a amélioré le solde des comptes publics en 2014 mais la nouvelle baisse de 1,2 milliard d'euros annoncée mettra les comptes des collectivités en péril. La loi relative à la nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) ne produira pas d'économies réelles. Confirmez-vous l'existence de prélèvements supplémentaires au-delà des 3,6 milliards d'euros annoncés ? Quelles mesures accompagneront les efforts des collectivités pour équilibrer leurs comptes ? La baisse du prix du pétrole a-t-elle eu un effet positif sur notre balance commerciale ?
Avez-vous mesuré l'impact sur le budget de la France de la baisse de la dotation de l'État aux collectivités locales ? La baisse des investissements des collectivités qui en découle n'aura-t-elle pas un effet négatif sur les recettes de l'impôt sur les sociétés ? L'amortissement accéléré de 2,5 milliards est entièrement financé en 2015, mais qu'en est-il en 2016 et 2017 ? La même question se pose au sujet du traitement des sociétés de projet.
Notre réunion d'aujourd'hui traduit l'amélioration sensible de la situation économique du pays depuis la discussion du projet de loi de finances en novembre. Les excellents résultats de 2014 par rapport aux prévisions doivent être salués. Les perspectives 2015 et 2016 traduisent une vision totalement nouvelle : depuis dix ans, les gouvernements pèchent par optimisme ; cette année, vous présentez des hypothèses très prudentes. La position du Haut Conseil des finances publiques, celle des organismes internationaux, l'avis de la Commission vont dans le bon sens et sont susceptibles de ramener la confiance dont notre pays a besoin. Cette confiance aura elle-même un effet positif sur la croissance. Après des années de difficultés, nous pouvons enfin partager un rayon de soleil.
Nos hypothèses macroéconomiques sont prudentes et réalistes - ce qui est fondamental pour la crédibilité de la France. Il en est de même de nos hypothèses sur la reprise de l'investissement. Ni l'Europe ni la France n'ont retrouvé les niveaux d'investissements publics ou privés d'avant 2007. Le déficit d'investissement cumulé est dramatique ! Il est impératif de réagir dans chaque pays et au niveau européen, faute de quoi le retard pris marginalisera notre continent. Une fois que l'investissement aura redémarré, nous retrouverons une confiance durable. Le rapport Gallois l'a souligné, il nous faut adopter des politiques de l'offre car des politiques classiques de soutien de la demande seraient inadaptées.
Vous m'avez interrogé sur la convergence entre les orientations françaises et européennes : elle est aujourd'hui considérable alors qu'elle restait à créer l'an dernier. Toute l'Europe s'est engagée dans la lutte contre la déflation. La Commission européenne a adopté l'idée de la neutralité budgétaire. Mes collègues européens s'accordent sur la nécessité de relancer l'investissement et de stimuler la croissance. La priorité donnée à la croissance est désormais le bien commun de l'Europe.
Je connais les contraintes budgétaires des collectivités territoriales. Pour autant, serait-il légitime qu'elles échappent à l'effort commun de maîtrise de la dépense publique dont elles représentent 25 % ? Toutes les dépenses des collectivités publiques ne sont pas nécessairement bonnes ! Au demeurant j'observe que, pendant la campagne électorale, certains responsables de l'opposition préconisaient des programmes de diminution des dépenses bien supérieures au nôtre. L'hétérogénéité de la situation des collectivités et des niveaux de dotations appelle sans doute des réponses mais nous ne pouvons partir du principe qu'il y aurait lieu de sanctuariser leurs dépenses.
À l'image de l'État, les collectivités doivent consentir des efforts sur leurs dépenses de fonctionnement. La Cour des comptes a relevé l'évolution de ces dépenses, notamment les charges de personnel. Le budget de l'État diminue en valeur absolue : en 2013, les dépenses ont été inférieures aux dépenses 2014 qui seront elles-mêmes inférieures aux dépenses 2015. Nous demandons aux collectivités locales d'agir dans le même sens.
Vous avez trahi mes propos : nous envisageons de constater une diminution des dépenses des collectivités locales de 1,2 milliard d'euros ; nous ne demandons pas une baisse supplémentaire de 1,2 milliard.
Il ressort du rapport d'étape de la députée Christine Pires Beaune et de votre regretté collègue Jean Germain que les écarts de dotations par habitant entre des communes comparables peuvent aller de un à quatre voire à six. Je vous mets au défi d'expliquer les modalités de calcul de la dotation de garantie... Nous sommes tous coupables de cette complexité, mais reconnaissons qu'une grosse part est à imputer à la suppression de la taxe professionnelle. Nous devons entamer une réforme des dotations de l'État afin de les rendre lisibles - et parce que certains écarts n'ont aucune justification. Cela sera une tâche passionnante.
La baisse des dotations est certes difficile à entendre - moins d'ailleurs semble-t-il au Sénat qu'à l'Assemblée. Les dotations représentent un quart des recettes des collectivités locales. Nous les diminuons cette année de 6 %, soit une baisse de 1,5 % des recettes. Les autres recettes proviennent à 60 % d'impositions et, pour le solde, de loyers et des produits d'activités. Les recettes fiscales ont été accrues mécaniquement de 0,9 % du fait de vos votes sur la revalorisation des valeurs locatives, qui représente environ 580 millions d'euros. S'y ajoute l'impact des variations physiques des bases. Au total, la situation n'est pas facile mais, si l'on tient compte de la dotation de solidarité rurale (DSR), de la DSR-cible, de la dotation de solidarité urbaine (DSU), de la DSU-cible, du fonds national de péréquation (FNP), on s'aperçoit que, dans bon nombre de cas, la baisse de recettes au titre des dotations de l'État - sans citer le fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC) dont certains peuvent se féliciter - n'est pas si significative. Les discours catastrophistes entretiennent le doute, minent la confiance : nous avons tous intérêt à travailler dans un esprit de responsabilité.
Nous sommes confrontés à des difficultés d'organisation au niveau de l'État, qui s'impose à lui-même un effort proportionnellement plus important que dans les autres secteurs de la dépense publique. Nous avons un objectif de stabilité en matière d'effectifs, que nous essayons de tenir sur l'ensemble de la législature. L'État exerce ainsi une action volontariste dans l'Éducation nationale, la justice et la sécurité, tout en demandant aux autres ministères de réduire leurs dépenses. Des milliers d'emplois ont donc été supprimés à la direction générale des finances publiques (DGFIP), dans les douanes, aux ministères de la culture, du travail ou de l'environnement. La tâche est rendue encore plus difficile par la loi de programmation militaire (LPM) que vous avez citée. À cause des impératifs de sécurité, le Président de la République a décidé de ne pas suivre le rythme prévu de réduction des effectifs en matière de défense.
Chacun souhaite la réduction de la dépense publique. Mais, tout est une priorité, de l'armée à la culture désormais sacralisée, ou aux dépenses de logement, essentielles aux dires d'un ancien Premier ministre. Lorsque la loi de santé a été discutée, les députés ont été nombreux à dire qu'il fallait revaloriser les honoraires de certaines professions médicales. Que reste-t-il alors pour faire les 150 milliards ou même les 120 milliards d'économie que demandent certains ? L'Éducation nationale et les retraites !
La loi de programmation militaire prévoit une recette exceptionnelle dégagée par la vente des fréquences hertziennes aux opérateurs de téléphonie mobile à hauteur de 2,2 milliards d'euros. Personne ne la remet en cause. En revanche, la date reste incertaine et un délai sera nécessaire pour encadrer les aménagements techniques qu'une telle opération nécessite. Une proposition de loi est en préparation. On a imaginé un dispositif impliquant des sociétés de projets (Special Purpose Vehicle ou SPV), dont tout le monde sait désormais qu'elles seront considérées comme de la dépense au sens maastrichtien et que leur création est coûteuse. Nous avons une question de délai. S'il s'agit seulement de gagner quelques mois, voire une demi année pour 2 milliards d'euros qui seraient comptabilisés à un moment plutôt qu'à un autre moment, autant mettre des crédits budgétaires. C'est notre position.
Des discussions sont en cours avec le ministère de la défense. Pour préserver nos options, nous avons proposé un amendement au projet de loi « Macron » prévoyant la possibilité de mettre en place des SPV. Un Conseil de défense doit se réunir le 29 avril, où le Président de la République fera connaître ses arbitrages. Les 2,2 milliards prévus seront réalisés, peut-être pas dès cette année mais au début de l'année prochaine et, s'il s'agit de « faire le joint » pour quelques mois voire une année, nous arriverons à trouver les moyens en termes de livraison de matériel et de commande. Si l'arbitrage est rendu pour les sociétés de projet, il sera soumis au Parlement.
Nous vous remercions, monsieur le secrétaire d'État, pour votre franchise et votre disponibilité.
La réunion est levée à 20 h 25.