Conformément au deuxième alinéa de l'article 45 de la Constitution et à la demande du Premier ministre, une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi tendant à faciliter l'inscription sur les listes électorales s'est réunie au Sénat le mercredi 10 juin 2015.
Elle procède tout d'abord à la désignation de son bureau, constitué de M. Philippe Bas, président, M. Jean-Jacques Urvoas, vice-président, M. Pierre-Yves Collombat, sénateur, étant désigné rapporteur pour le Sénat, Mme Elisabeth Pochon, députée, étant désignée rapporteure pour l'Assemblée nationale.
La commission examine ensuite les dispositions restant en discussion.
Nous sommes réunis aujourd'hui pour faire en sorte que le plus grand nombre d'électeurs puisse participer à une élection dont les dates de scrutin ont été fixées à décembre 2015 ; il s'agit de faciliter l'exercice du droit de vote, non de chercher à résoudre la crise de l'abstention.
Vous connaissez tous le délai couperet du 31 décembre de l'année N-1. Ces modalités, contraignantes et un peu dépassées, ont fait l'objet d'un rapport d'information transpartisan à l'Assemblée nationale et d'un projet de modification d'envergure conduit par M. Jean-Luc Warsmann et moi-même. L'éloignement des dates d'inscription par rapport aux scrutins constitue une source d'abstention que nous ne devons pas négliger, si nous voulons, nous législateurs, convaincre nos concitoyens que chaque voix compte.
Le texte du Sénat a complètement changé l'esprit de celui de l'Assemblée nationale, qui souhaitait une réouverture exceptionnelle de l'inscription pour tous. Qui comprendrait, chez nos voisins européens, qu'un grand pays comme le nôtre ne soit pas capable de réagir devant un scrutin exceptionnellement décalé en décembre alors que nous votons toujours au printemps ? Je ne reviendrai pas sur les considérations partisanes dont j'ai pu prendre connaissance à la lecture des comptes rendus ; elles n'ont pas prévalu dans la préparation de cette proposition de loi. Celle-ci cherche à rendre service aux Français - pas à un parti, ni au Gouvernement. Nous disons aux citoyens : nous faisons tout pour que vous participiez aux élections. C'est une mesure plus attendue que vous ne l'imaginez.
Nous avions bien sûr examiné la possibilité de modifier l'article L. 30 du code électoral : elle pose cependant un problème de sécurisation des inscriptions. Dix jours pour des échanges entre les mairies et l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) sont déjà insuffisants pour traiter les demandes des six catégories de personnes limitativement énumérées par cet article. Ajouter une dérogation pour les électeurs qui auraient déménagé depuis janvier 2014 relèverait d'un pari hasardeux. L'enfer est pavé de bonnes intentions... Les procédures actuelles ne résisteront pas à l'afflux des demandes, les déménagements touchant chaque année entre 10 % et 15 % des habitants. Des chiffres nous montrent que 48 % des demandes d'inscription annuelles parviennent à l'INSEE en décembre, et 20 % le 31 décembre. Nos concitoyens ont un goût immodéré pour la dernière minute, comme nous...
Une nouvelle révision des listes par les commissions électorales entre septembre et décembre 2015, pour vérifier que sont remplies les trois conditions cumulatives de la qualité de l'électeur - attache avec la commune, capacité électorale et unicité de l'inscription -, assurera la sincérité de la liste électorale. Elle anticipe la procédure d'inscription lissée vers laquelle nous nous dirigeons. Le recours à l'article L. 30 réduirait à dix jours le délai de vérification. Avec M. Warsmann, nous envisageons plutôt de réduire la portée de cet article au maximum. Le texte du Sénat ne va pas dans le même sens. Au surplus, quel traitement serait réservé aux personnes inscrites pour des raisons de déménagement entre le 1er janvier 2015 et l'adoption de la proposition de loi ? Alors que notre solution les intègre à la liste, la vôtre exige d'elles une deuxième démarche pour se réinscrire. Je vous demande donc le rétablissement du texte de l'Assemblée nationale.
L'enfer est pavé de bonnes intentions, sans doute : d'autres intentions que la mienne y sont aussi. Nous différons sur la solution mais pas sur l'objectif, donner la plus large possibilité aux électeurs de voter en décembre 2015. Cela n'aura du reste pas d'influence sur les résultats du scrutin.
La modification exceptionnelle intervient après trois changements dans les dates des élections locales. Peut-être la loi de janvier 2015 aurait-elle dû comporter un dispositif qui règle le problème. Il a été décidé de déconnecter élections départementales et régionales, pourtant facteur de participation accrue ; il faut donc voter encore une loi exceptionnelle. Je suis un peu las - je parle en mon nom personnel - de voter des lois corrigeant les effets des précédentes...
Dans votre rapport rédigé avec M. Jean-Luc Warsmann, madame la rapporteure, vous proposiez une alternative : procéder à une deuxième révision des listes électorales dans les semaines précédant l'élection ou ménager une plus grande ouverture aux inscriptions hors période de révision - ce que nous proposons. Si vous l'envisagiez, c'est donc que cela a du sens, et n'est pas aussi farfelu que vous semblez le dire. J'ai choisi cette solution plus simple, moins dérogatoire, plutôt dans l'axe de ce que le Gouvernement envisage pour la future réforme, si j'en crois les déclarations du ministre de l'Intérieur lui-même en séance publique.
Je ne vois que des avantages à cette solution : nous pourrons prendre en compte les électeurs potentiels après le 30 septembre 2015, alors que votre texte nécessite une première révision pour les électeurs installés dans la commune du 1er janvier au 31 septembre, puis une seconde pour ceux arrivés après. Est-ce vraiment plus simple ?
Je n'en fais pas une question personnelle : les deux solutions sont défendables. Notre commission des lois à l'unanimité, et le Sénat à une majorité nette, en ont choisi une, qui ne mérite pas l'indignité dont vous l'accablez.
Comme je l'ai dit en commission des lois de l'Assemblée nationale, je souhaite que soit noté le regret du groupe Les Républicains devant l'utilisation abusive du rapport d'information sur les modalités d'inscription sur les listes électorales de Mme Élisabeth Pochon et M. Jean-Luc Warsmann et l'instrumentalisation de la signature de ce dernier. Réduire ce rapport, riche d'une trentaine de propositions, à ce que l'Assemblée nationale propose dans cette commission mixte paritaire n'est pas loin d'être fallacieux. On ne peut s'en targuer pour couper court au débat.
Dans le passé, lors des changements dans le calendrier électoral des cantonales, comme en 1967 ou en 1988, personne n'a jamais pensé à rouvrir exceptionnellement l'inscription sur les listes. Dire que c'est indispensable parce que la loi qui décale les élections date de janvier dernier et prend les citoyens au dépourvu, voilà qui dépasse les bornes. Le Premier ministre lui-même avait annoncé lors de sa déclaration de politique générale en septembre 2014 qu'il n'y avait plus matière à joindre les deux scrutins. Il avait alors annoncé les dates, mars pour les élections départementales, décembre pour les élections régionales. On le savait dès ce moment ! Il revenait dès lors au Gouvernement de prendre des dispositions pour informer les électeurs ; il n'en a rien été. Tout le monde veut que la participation aux élections soit la plus forte possible - ce n'est pas en racontant des histoires à nos concitoyens, en falsifiant la réalité, que nous y parviendrons. En réalité, le Gouvernement aurait bien voulu décaler les élections à mars 2016, mais des rumeurs provenant de certaines institutions qui auraient eu à en juger l'en avaient dissuadé - tant mieux. Assez de lois de circonstances ! Trop, c'est trop !
Nous connaissons les arguments de la majorité de l'Assemblée nationale. Mais l'inscription sur les listes électorales est une démarche citoyenne : il ne s'agit pas de se rendre au supermarché pour choisir les élections auxquelles on veut participer. À tout moment, une dissolution de l'Assemblée nationale peut déclencher une élection législative au cours de l'année. Pourquoi une procédure particulière ici ? Ce ne serait pas un bon signal adressé aux citoyens.
Sans illusions sur la conclusion de cette commission mixte paritaire, je m'étonne de la position des groupes LR...
Des groupes Les Républicains, voulez-vous dire ?
Je croyais que nous étions d'accord sur l'objectif, rendre possible l'inscription sur les listes électorales de ceux qui n'avaient pu y procéder avant le 31 décembre dernier. La France connaît une mobilité bien plus importante que dans les années soixante. Il me semblait que nous ne différions que sur les modalités. Or vous semblez dire que ces citoyens n'avaient qu'à y penser avant... C'est un déni !
M. Collombat n'a sans doute pas suffisamment affiné sa réflexion technique pour voir que le dispositif proposé par le Sénat n'est pas opérationnel. Un afflux de demandes représenterait une charge très importante pour les communes, et en particulier pour les plus petites, avec le risque de listes qui ne seraient pas sincères. Si nous partageons l'objectif, nous devons chercher à organiser les choses au mieux et écouter le ministre lorsqu'il nous avertit. Personne ici ne souhaite que le résultat des élections régionales soit remis en question ! J'adhère donc à la position de l'Assemblée nationale, qui permet d'intégrer directement les inscrits depuis janvier, au contraire de celle du Sénat qui les oblige à solliciter de nouveau leur inscription. C'est plus conforme à la vision du ministre de l'intérieur - qui a son mot à dire sur le sujet.
Ce sont les arguments de M. Geoffroy qui instrumentalisent le travail de M. Warsmann et on pourrait trouver cela tout aussi désagréable. Le gagnant pour moi, c'est le citoyen, dans un pays un peu plus moderne. Madame Troendlé, vous souhaitez que rien ne change : pourtant notre pays est l'un des rares à exiger des citoyens d'être aussi prévoyants... Suivant votre raisonnement, je ne comprends pas pourquoi vous voteriez pour la solution du Sénat. La mobilité en France en 1967 n'était pas la même qu'aujourd'hui : le législateur doit adapter le droit à l'évolution de la société. Je n'ai jamais présenté cette proposition de loi comme la panacée contre l'abstention. Il est cependant important de dire aux citoyens : nous faisons tout pour que vous puissiez participer au scrutin.
Pourquoi de mystérieux problèmes techniques sont-ils apparus depuis la publication de votre rapport d'information ? Sont-ils constatés par l'INSEE, par le ministre ? D'un naturel sceptique, je ne crois pas les techniciens sur parole. Le mécanisme de l'article L. 30 fonctionne aujourd'hui ! Quant à l'effet de masse, laissez-moi vous rappeler que les dernières élections départementales n'ont rassemblé que 50 % des électeurs... Aujourd'hui, un contrôle est effectué sur les inscriptions. Croyez-vous vraiment qu'un électeur s'inscrira dans sa nouvelle commune et retournera également voter dans l'ancienne ? Si l'on pense que les choses se dérouleront normalement, notre solution n'a rien de révoltant. Et si vous supposez des intentions de fraude, votre solution comporte les mêmes risques que la nôtre. Les contrôles sur l'application de l'article L. 30 ne sont pas nouveaux. Et des voies de recours existent. Pour éviter le risque d'afflux - auquel je ne crois pas un instant - nous pouvons toujours amender le texte du Sénat et prévoir un allongement du délai à quinze, vingt ou trente jours.
En effet.
Je pourrais mettre le texte aux voix ; mais il ne serait sans doute pas adopté par la majorité de l'Assemblée nationale ; sans me prêter à cet exercice vain, je constate donc notre désaccord.
La commission mixte paritaire constate qu'elle ne peut parvenir à élaborer un texte commun sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi tendant à faciliter l'inscription sur les listes électorales.
La réunion est levée à 13 h 20