Au cours d'une seconde réunion tenue à l'issue de la séance publique de l'après-midi, la commission examine le rapport et le texte qu'elle propose pour le projet de loi de prorogation de l'état d'urgence.
Nous avons déjà eu un débat très approfondi ce matin sur l'état d'urgence.
C'est un sujet important. Il faut préparer l'après-état d'urgence. Nous avons reçu le projet de loi cet après-midi, après son adoption en conseil des ministres ce matin. Il tient en un article unique qui proroge l'application de l'état d'urgence de trois mois à compter du 26 février 2016.
Le Gouvernement nous a transmis l'avis du Conseil d'État. Nous nous sommes posé les mêmes questions que le Conseil d'État. Ses pistes de réponse sont extrêmement intéressantes. Il reconnaît que la nouvelle prorogation est justifiée par la persistance d'un péril imminent résultant d'atteintes graves à l'ordre public, comme l'exige l'article 1er de la loi du 3 avril 1955. Le Conseil d'État cite les éléments constituant cet état de péril imminent : les liens entre le terrorisme intérieur et le terrorisme dirigé depuis l'étranger contre la France n'ont rien perdu de leur intensité ; un nombre important de ressortissants français sont présents en zone irako-syrienne aux côtés de groupes terroristes et sont susceptibles de revenir en France à tout moment pour y accomplir des actions violentes ; des actions terroristes de moindre ampleur qu'avant l'état d'urgence, mais pareillement inspirées, continuent de se produire sur le sol national, illustrant la persistance de la menace.
Des contrôles sont exercés par le Conseil d'État, en particulier un contrôle de proportionnalité. Les assignations à résidence en cours le 26 février cesseront. Elles devront toutes être réexaminées ; leur pertinence devra être vérifiée. Les décisions administratives prises en la matière pourront aussi être soumises au contrôle du juge administratif. Le Gouvernement, compte tenu de la moindre intensité de la pression extérieure, devrait réduire sensiblement le nombre de mesures restrictives de liberté.
Le Conseil d'État, ce qui est plus important, juge que l'état d'urgence doit demeurer temporaire. Ce n'est pas nouveau : le juge des référés du Conseil d'État, le 9 décembre 2005 à propos de l'état d'urgence de 2005, répété le 27 janvier 2016, rappelle qu'un régime de pouvoirs exceptionnels a des effets qui, dans un État de droit, sont par nature limités dans le temps et dans l'espace. Le ressort géographique déterminé par les décrets des 14 et 18 novembre 2015, soit l'ensemble du territoire national, à l'exception de la Nouvelle-Calédonie, de la Polynésie française et des îles Wallis et Futuna, est proportionné aux circonstances. L'état d'urgence reste un état de crise par nature temporaire. Ses renouvellements ne sauraient par conséquent se succéder indéfiniment. Le Gouvernement doit chercher dès à présent une façon d'en sortir. La durée de trois mois proposée n'apparaît pas inappropriée au regard des motifs justifiant la prorogation.
Lorsque, comme cela semble être le cas, le péril imminent ayant motivé la déclaration de l'état d'urgence trouve sa cause dans une menace permanente, c'est à des instruments pérennes, donc autres que ceux de l'état d'urgence, qu'il convient de recourir.
L'état d'urgence perd son objet dès que s'éloignent les atteintes graves à l'ordre public ayant créé le péril imminent ou que sont mis en oeuvre des instruments qui, sans être de même nature que ceux de l'état d'urgence, ont vocation à répondre de façon permanente à la menace. L'état d'urgence permet de recourir à des mesures de police administrative exceptionnelles. Mais cela ne peut pas durer toujours.
Le Conseil d'État énumère des pistes de sortie, citant tous les moyens légaux des périodes normales et, d'abord, une bonne coopération entre la justice, la police judiciaire et les autres forces de sécurité. Il dit surtout qu'il faut renforcer les procédures de droit commun, comme le prévoit le projet de loi du Gouvernement qui a pour objectif d'améliorer l'efficacité des enquêtes et des investigations sous le contrôle de l'autorité judiciaire - exactement le titre I de la proposition de loi que nous avons votée hier soir. Il dit aussi qu'il faut préserver les garanties des justiciables - des dispositions également votées hier par le Sénat. La surveillance des personnes rentrant de zones contrôlées par des groupes terroristes doit être assurée : là encore, cela correspond à une disposition votée par le Sénat, qui crée le délit de séjour intentionnel à l'étranger sur un théâtre d'opérations de groupements terroristes et permet de placer ces personnes sous contrôle judiciaire. Cette surveillance peut être exercée soit par des mesures administratives d'assignation à résidence, soit par des mesures de sûreté prononcées par le juge judiciaire.
En résumé, le Gouvernement propose de proroger de trois mois l'état d'urgence ; le Conseil d'État émet un avis favorable, tout en rappelant que cet état ne peut pas être permanent et qu'il faut, dès à présent, en préparer la sortie.
Je propose un amendement de réécriture de l'article unique. Le fond est identique, mais la rédaction plus précise. L'article dispose que l'état d'urgence, déclaré par décret et prorogé par la loi, est à nouveau prorogé pour une durée de trois mois, à compter du 26 février 2016 et selon les modalités prévues aux articles 2 et 3 de la loi du 20 novembre 2015.
Je propose d'écrire que l'état d'urgence emporte, pour sa durée, application du I de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955, c'est-à-dire le droit de procéder à des perquisitions administratives ; qu'il peut y être mis fin par décret en conseil des ministres avant l'expiration de ce délai. Les assignations à résidence sont de droit, contrairement aux perquisitions administratives. Il est bon de permettre aux Français de faire des recours, et au Parlement de se prononcer distinctement sur la prorogation de l'état d'urgence, la possibilité de mener des perquisitions administratives et la possibilité pour le Président de la République, de mettre fin à l'état d'urgence.
Je propose à votre commission d'accepter l'article unique de ce projet de loi, tel que rédigé par mon amendement.
Merci à Michel Mercier, rapporteur du comité de suivi et ancien garde des Sceaux. Je me réjouis qu'il ait été nommé rapporteur car nous travaillons dans des conditions extrêmement difficiles. Il a fallu, en un temps record, se poser les questions et proposer une rédaction bien plus lisible que celle du Gouvernement.
Nous avons déjà débattu du cadre global ce matin. Je soulève une interrogation : devons-nous dès maintenant conclure que lorsqu'une loi supplémentaire renforçant les prérogatives de la justice pour conduire des enquêtes plus rapides et par surprise aura été votée, nous serons naturellement conduits à juger la prorogation suivante injustifiée ?
Inévitablement, les avis du Conseil d'État sur des projets de loi changent de signification lorsqu'ils deviennent des documents publics, ce qui est contraire à leur nature et à la tradition. La liberté de mise en garde voire de mise en défaut du Gouvernement était plus grande tant que ces avis relevaient uniquement du rôle confidentiel de conseil juridique de l'exécutif.
Le Conseil d'État estime qu'en ce mois de février, le péril imminent est toujours constitué, mais il ajoute que si, « comme cela semble être le cas », ce péril trouve sa cause dans une menace permanente, l'état d'urgence doit demeurer temporaire. Le raisonnement du Conseil d'État est que si l'arsenal pénal était complété par le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, dont le Gouvernement a délibéré ce matin en conseil des ministres, il devrait être mis fin à l'état d'urgence. Si, donc, ladite loi était promulguée et non contestée avant le 26 mai prochain, il ne faudrait pas à nouveau proroger l'état d'urgence. Faisons réserve des événements et des données de renseignement qui se présenteront d'ici là... Le rapporteur a souligné l'adéquation de la proposition de loi dont nous avons discuté hier soir avec les remarques du Conseil d'État. Manque la notion de surveillance : le projet de loi anticipé par la proposition de loi ne concerne que la police judiciaire, non le renseignement, ni les visites par surprise. C'est plus restrictif, sans remplir totalement le même objectif. Il n'est pas possible de mener une perquisition, juste pour voir. Il n'existe pas de procédure judiciaire permettant une surveillance. Une personne de retour de Syrie peut être poursuivie, mais elle ne peut pas être mise sous surveillance. Le raisonnement pâtit d'une petite fragilité. La question pourra sans doute être reposée en fonction de l'évolution des événements.
Je ne vois aucune objection à la réécriture proposée par le rapporteur.
Il n'est pas question de partir d'un avis du Conseil d'État pour donner la solution de la sortie de l'état d'urgence. Il appartient au Gouvernement et au Parlement de décider, dans la plénitude de leurs pouvoirs. Le Conseil d'État exprime simplement des pistes dont le Gouvernement, et éventuellement le législateur, pourront s'inspirer pour bâtir des procédures de droit commun efficaces. Le Conseil d'État souligne que si un péril imminent est devenu permanent, on ne peut pas rester en état d'urgence.
Tout ceci est fragile. Nous sommes chargés, au Parlement, d'élaborer une doctrine et de rappeler au Gouvernement la nécessité d'avancer plus vite qu'il ne l'a fait jusqu'à ce jour sur la recherche de mesures renforçant les procédures de droit commun, tout en respectant les principes fondamentaux de notre droit.
Mon amendement, qui ne change rien au fond et conserve la structure du Gouvernement, explicite l'autorisation parlementaire ; il est également plus parlant pour nos concitoyens.
Pouvez-vous répéter ce qui justifie la différence de traitement entre les perquisitions et les assignations à résidence ?
La loi de 1955 prévoit de droit l'assignation à résidence, mais exige une mention expresse pour les perquisitions, par décret ou par la loi.
La durée de trois mois est-elle un usage, ou est-elle inscrite dans la loi ?
Il s'agit d'un usage. En 1961, après le putsch des généraux, l'état d'urgence est proclamé. Michel Debré avait appelé, à la télévision, les Parisiens à enfiler leurs imperméables et à se rendre à pied, à cheval, en voiture, à Orly pour s'installer sur la piste et empêcher les parachutistes d'atterrir. J'étais gamin ; dans ma campagne, nous n'avions pas d'aéroport et ne savions pas comment faire pour les empêcher d'atterrir ! L'état d'urgence est d'abord proclamé par décret pour deux jours, puis l'article 16 de la Constitution a été mis en oeuvre... et le général de Gaulle a prononcé la prorogation, par deux décisions prises en avril puis septembre 1961, jusqu'au 15 juillet 1962 ! C'est qu'il avait le pouvoir législatif complet. La durée de trois mois est un usage récent.
L'amendement COM-1 est adopté et l'article unique est ainsi rédigé. En conséquence, le projet de loi est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
La réunion est levée à 21 h 30