Au cours d'une seconde séance tenue dans l'après-midi, la mission a procédé à l'audition de M. Christian Cardon, président de la commission de compensation.
En guise d'introduction, M. Christian Cardon, président de la commission de compensation, a indiqué que les réserves formulées dans le rapport Pelé-Normand de juillet 2004 sur le manque de fiabilité des éléments de calcul de la compensation restent encore aujourd'hui valables, et ce pour trois raisons.
En premier lieu, tous les régimes ne connaissent pas avec précision leurs effectifs. A titre d'exemple, ceux du régime général sont simplement estimés à partir des statistiques de l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), après déduction des effectifs des autres régimes.
Ensuite, toutes les caisses ne sont pas en mesure de déterminer le nombre de leurs cotisants en « équivalents carrière complète », pour les personnes ayant cotisé dans plusieurs régimes différents, ni même le montant de leur masse salariale plafonnée, ou encore le détail des périodes cotisées de leurs adhérents. Même s'ils devront prochainement améliorer leur outil statistique, conformément aux dispositions de la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites, ces régimes ne connaîtront pour autant jamais avec exactitude le décompte de ces périodes pour les assurés ayant déjà liquidé leur retraite en 2004.
Abordant ensuite la question de l'extrême sensibilité des paramètres de la compensation dont le rapport Pelé-Normand fait état, M. Christian Cardon a estimé qu'elle a trois origines. En premier lieu, le mécanisme même de la compensation, consistant à faire entrer tous les assurés sociaux dans un seul grand régime de retraite fictif, n'est assorti d'aucun système d'écrêtement. En second lieu, l'importance des effectifs et des montants financiers en cause est telle, que de faibles évolutions en pourcentage suffisent pour provoquer des transferts très élevés, se chiffrant en millions d'euros supplémentaires à verser ou à recevoir par les régimes concernés. Enfin, les paramètres de la compensation peuvent subir des évolutions d'une ampleur considérable en peu de temps. A titre d'exemple, le nombre des cotisants du régime des exploitants agricoles a brutalement chu de 20.000 unités entre 2005 et 2006.
Ces trois facteurs conjugués rendent aléatoire tout processus de réforme : certains régimes bénéficiaires de la compensation une année peuvent ainsi devenir débiteurs l'année suivante. En fait, les simulations accompagnant chaque hypothèse de réforme envisageable ne sont réellement valables que pour l'année où elles ont été établies ; au-delà, l'incertitude est très grande.
Puis M. Christian Cardon a évoqué la réforme des critères de compensation intervenue à l'automne 2002, rappelant qu'elle avait consisté à prendre en compte les chômeurs dont les cotisations sont financées par le fonds de solidarité vieillesse (FSV). Cette réforme n'avait pas été approuvée, en son temps, par la commission de compensation, mais elle a été considérée, a posteriori, par la Cour des comptes, dans son rapport public sur la sécurité sociale de septembre 2003, comme cohérente « avec la pratique actuelle qui ne distingue pas dans les ressources des régimes ce qui relève des cotisations et ce qui relève des financements extérieurs dont ils bénéficient ».
En réalité, l'opposition exprimée par la commission de compensation obéissait à différents motifs, tenant aussi bien aux conditions dans lesquelles cette modification était intervenue (son président d'alors, M. Zuber, se plaignant d'avoir découvert cette réforme a posteriori), qu'à des raisons de fond, dans la mesure où celle-ci apparaissait très défavorable au régime général.
A la question de savoir s'il convient de renforcer les pouvoirs de la commission de compensation, M. Christian Cardon a répondu que les dispositions de l'article 7 de la loi portant réforme des retraites apparaissent à ses yeux suffisantes, sous réserve toutefois que les décrets d'application prévus soient effectivement pris. Or, la rédaction desdits décrets est achevée depuis plusieurs mois, mais leur publication se heurte, semble-t-il, à une opposition du ministère de l'agriculture, qui porterait sur des points marginaux.
Invité ensuite à préciser les raisons pour lesquelles, de 1994 à 2002, la prestation de référence avait été calculée contre l'avis de la commission de compensation, M. Christian Cardon a rappelé qu'à compter de la création du FSV, les soldes de compensation ont pris en compte, dans l'établissement de la prestation de référence, les majorations pour enfant. La réforme de l'automne 2002 comportait, par ailleurs, deux volets contradictoires, en supprimant ces prestations de l'assiette de calcul tout en intégrant, à l'inverse, les cotisations et les effectifs des chômeurs parmi les paramètres. Là encore, la commission de compensation avait fait part de son désaccord : la cohérence aurait voulu que ces deux séries de données soient ou bien intégrées, ou retirées ensemble du mode de calcul, au lieu de se succéder dans le temps.
Poursuivant son exposé, M. Christian Cardon a confirmé que les propositions du rapport Pelé-Normand tendant, d'une part, à la mise en place d'une double procédure de contrôle, d'autre part, à la modification du calendrier habituel de travail de la commission de compensation, n'ont pas été mises en oeuvre. Néanmoins, la première de ces préconisations pourrait connaître un début d'application dans le cadre de la nouvelle procédure de certification des comptes de la sécurité sociale : il devrait être possible, en effet, de demander aux certificateurs de vérifier l'exactitude des éléments de calcul utilisés pour la compensation. La question de la modification du calendrier de travail de la commission de compensation continue, en revanche, de se heurter à la difficulté que rencontrent encore certains régimes pour fournir, dans les délais nécessaires, les indications qui leur sont demandées, notamment celui des fonctionnaires civils de l'Etat.
Evoquant ensuite la constitution d'un « Manuel du technicien », M. Christian Cardon a indiqué que des questionnaires ont été envoyés par le secrétariat de la commission des comptes, auxquels les régimes ont répondu en début d'année. Un groupe de travail ad hoc examinera prochainement les différences existant entre les méthodes utilisées et appréciera l'opportunité de définir les bonnes pratiques à suivre. Cette période d'évaluation, qui s'étendra d'octobre 2006 à juin 2007, doit déboucher sur l'élaboration de ce « Manuel du technicien » pour octobre 2007.
Interrogé par M. Claude Domeizel, rapporteur, sur la question de savoir si l'on peut parler d'un dévoiement au fil du temps de la compensation démographique créée par la loi de 1974, M. Christian Cardon a clairement répondu par la négative. Le mécanisme s'applique bel et bien aujourd'hui, tel que le législateur l'avait originellement prévu. Le rapport Pelé-Normand n'a fait que mettre en lumière et proposer de corriger certaines insuffisances apparues dès 1974.
Puis M. Dominique Leclerc, rapporteur, a souhaité connaître la position de M. Christian Cardon sur l'avenir de la compensation démographique dans un contexte où, d'ici à vingt ans, tous les régimes enregistreront des déficits élevés et présenteront un rapport cotisants-retraités très défavorable.
a rappelé que la compensation est rendue indispensable par la grande disparité de rapport entre les nombres des cotisants et des retraités des différents régimes de retraite. Il s'agit de corriger les déséquilibres insurmontables nés de ces inégalités. Ces mécanismes resteraient nécessaires, même s'ils devaient s'appliquer à des régimes tous devenus déficitaires, dans la mesure où leur objet premier vise à compenser les effets de situations démographiques différentes.
Cependant, on assiste actuellement, bon an mal an, à une convergence des régimes de retraite entre eux, renouant ainsi sur le long terme avec une perspective d'unification progressive de la branche vieillesse de la sécurité sociale, conformément à ce qui était l'objectif initial du législateur en 1945. A ce titre, il a cité à la fois l'harmonisation partielle, dans le cadre de la réforme de 2003, des règles des régimes alignés sur le régime général, les adossements de certains régimes spéciaux sur le régime général et la fusion de l'Organisation autonome nationale de l'industrie et du commerce (Organic) et de la Caisse autonome nationale de compensation des assurances vieillesse artisanale (Cancava).
Sollicité par M. Claude Domeizel, rapporteur, notamment sur les travaux du groupe de travail, présidé par M. Jean-François Chadelat, relatif à l'avenir du financement du fonds de financement des prestations sociales des non-salariés agricoles (Ffipsa), et sur le caractère réformable du mécanisme de compensation en général, M. Christian Cardon s'est déclaré relativement optimiste, estimant qu'il existe des marges d'amélioration possibles pour la compensation, même si celles-ci sont faibles.
En premier lieu, une partie des obstacles cités par le rapport Pelé-Normand concernant la fiabilité des données devrait être levée progressivement grâce aux dispositions de la « loi Fillon » obligeant, dans un proche avenir, les régimes à échanger les informations relatives à leurs cotisants. Ensuite, les travaux du système national d'information interrégimes de l'assurance maladie (Sniiram) et du répertoire national interrégimes des bénéficiaires de l'assurance maladie (RNIAM) permettront de mieux connaître d'ici à quatre ou cinq ans les effectifs des bénéficiaires de consommations médicales, ainsi que le montant de ces consommations. La prise en compte de ces paramètres rendrait possible une réforme de la compensation « maladie », en tenant compte des consommations par tranches d'âge. Mais cette réforme, réclamée par la Mutualité sociale agricole (MSA), est fortement critiquée par les régimes salariés, au premier chef desquels le régime général.
Dernier élément de réforme permettant d'améliorer les mécanismes de compensation, l'intégration des salariés agricoles dans le régime général pourrait être réalisée immédiatement, suivant les préconisations de la Cour des comptes. Cette solution n'a pas non plus été mise en oeuvre jusqu'à présent, car elle coûterait cher à l'Etat.
a reconnu cependant qu'aucune des solutions qu'il préconise n'est à la hauteur du problème de financement présenté aujourd'hui par le Ffipsa. Les seules méthodes permettant d'enrayer le creusement du déficit de ce fonds seraient soit l'affectation d'une taxe spécifique à fort rendement, soit le versement d'une contribution budgétaire à laquelle le ministère des finances ne saurait évidemment que difficilement se résoudre.
a ensuite souhaité connaître la perception qu'a la commission de compensation de son rôle, compte tenu du mouvement général d'intégration des dernières années. Il s'est demandé si la poursuite de cette tendance n'aboutissait pas, in fine, à créer le grand régime unique qui était l'objectif du législateur en 1945.
En réponse, M. Christian Cardon s'est déclaré optimiste en constatant que la branche vieillesse semble effectivement se diriger, sur le long terme, vers une sorte d'unification qui faciliterait grandement le fonctionnement de la compensation. Pour autant, toutes les conséquences de cette évolution n'ont pas été tirées. En particulier, il aurait fallu, contrairement à ce qui a été décidé, intégrer les régimes adossés au régime général pour le calcul du mécanisme de compensation. Mais il n'a pas été possible d'aller jusqu'au bout de cette logique, dans la mesure où des conséquences financières très négatives pour le régime général en auraient résultées. En réponse à M. Alain Vasselle, président, sur le lien éventuel entre une réforme du mécanisme de compensation et une amélioration de la situation de la branche vieillesse, il a estimé que les deux questions n'entretiennent pas de lien entre elles. Il a indiqué que les difficultés éprouvées par la branche vieillesse sont liées à l'évolution démographique du pays et au ralentissement de la croissance de la productivité et de la richesse nationale. La recherche de solutions visant à préserver l'équilibre des régimes de vieillesse supposera, tôt ou tard, de durcir les conditions d'obtention des retraites.
En réponse à M. Dominique Leclerc, rapporteur, M. Christian Cardon a insisté sur le fait que la commission de compensation n'est pas en situation de pouvoir proposer elle-même des réformes. Cette incapacité s'explique par sa nature même, puisqu'elle est tout à la fois un lieu d'expertise technique et de discussions de type « syndical », où tous les régimes sont représentés. S'il lui est possible d'expertiser les propositions qui lui sont soumises sur le plan technique, la commission ne peut jamais parvenir à un accord du fait de l'extrême diversité des intérêts qui s'y expriment. Ce sont ces caractéristiques spécifiques qui expliquent que les questions relatives au financement du Ffipsa aient dû être traitées par une structure ad hoc, le groupe présidé par M. Jean-François Chadelat, et non par la commission de compensation.
s'est étonné de ce que la commission de compensation ne cherche pas à analyser les distorsions pouvant exister entre, d'une part, certains régimes contributeurs à la compensation, d'autre part, ceux qui en sont bénéficiaires tout en offrant à leurs cotisants une qualité de prestations supérieure. De même, on constate que certaines caisses bénéficiaires de la compensation présentent des charges de fonctionnement élevées ou se trouvent à la tête d'un patrimoine de grande valeur.
a confirmé qu'il n'entre pas dans les attributions de la commission de compensation de se livrer à ce type de constats, qui ne sont de toute façon pas pris en compte pour le calcul de la compensation démographique. Il a cependant reconnu que les caisses complémentaires semblent plus attentives à leurs coûts de gestion et à l'équilibre financier à long terme des régimes qu'elles gèrent.