Nous allons ce matin commencer l'examen du rapport, et plus particulièrement des conclusions, dans une version qui tient compte de nos précédents échanges. Nous procédons aujourd'hui en effet à notre quatrième échange de vues sur ce rapport, après nos réunions des 30 juin, 29 septembre et 6 octobre 2016. Nous nous prononcerons définitivement le jeudi 3 novembre. Je propose également que nous présentions publiquement nos travaux à l'issue de cette prochaine réunion, à une heure qui vous sera indiquée dès que possible.
Je vous propose donc, dans le document qui vous est soumis, une version remaniée du rapport, avec une longue introduction présentant les enseignements que l'on peut tirer de la table ronde du 14 janvier 2016, dont les analyses plus complètes figurent, en annexe, sous le titre « Les religions ont-elles un problème avec les femmes ? ». Je rappelle que les développements relatifs à la remise en cause des droits sexuels et reproductifs sont exposés dans cette introduction, car ce sujet nous tient particulièrement à coeur au sein de la délégation.
Lorsque vous évoquez la question des droits sexuels et reproductifs dans l'introduction, il me semblerait important de mentionner la Convention d'Istanbul sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique, ratifiée par la France et 22 pays d'Europe. Il s'agit d'un outil juridique international contraignant d'une portée majeure dans le domaine des droits des femmes.
Toute proportion gardée, cette convention est au niveau international ce qu'est la loi Veil pour la France...
Cela me paraît d'autant plus pertinent que nos recommandations vont tout à fait dans le sens de la Convention d'Istanbul.
Je porte à votre attention que j'ai adressé une demande auprès du service compétent pour disposer d'une étude de droit comparé en matière d'accès à l'IVG. En tant que présidente du groupe d'amitié France-Irlande, la situation en Irlande m'intéresse tout particulièrement, mais il faudra probablement prochainement préciser le champ des pays sur lesquels portera l'étude. J'ai d'ores et déjà mentionné la Pologne, l'Irlande, l'Espagne, et je pensais aussi à l'Inde... Vos suggestions sont les bienvenues.
En effet, je confirme l'intérêt d'une telle étude.
Je rappelle que notre rapport précise qu'il ne nous appartient pas d'interférer avec le fonctionnement interne des cultes, mais que la délégation prend acte du souhait, exprimé devant nous par certaines femmes, que les femmes puissent exercer davantage de responsabilités au sein de leur religion.
Passons maintenant aux conclusions. Les dernières modifications que je vous soumets sont surlignées pour faciliter votre lecture. J'ai notamment modifié l'observation relative aux tenues vestimentaires, pour tenir compte de nos échanges de la semaine dernière. Que pensez-vous de la nouvelle formulation ?
La nouvelle rédaction me convient. Je voudrais à cette occasion ouvrir une parenthèse pour attirer votre attention sur la question des contraintes vestimentaires imposées aux hommes, qui est aussi une vraie problématique... Nous avons reçu récemment au Sénat l'association Hommes en jupe (HEJ) qui, comme son nom l'indique, milite pour le port de la jupe par les hommes. Les membres de cette association se heurtent à des préjugés tenaces, tant les traditions sont ancrées dans les moeurs... Et il y a derrière tout cela un réel enjeu économique, notamment pour le monde de la haute couture...
Nous ne disons pas que les hommes ne sont pas soumis, eux aussi, à des interdits vestimentaires. Nous mettons en avant le fait que la crispation du débat et le souhait de faire intervenir le législateur se focalisent systématiquement sur la tenue vestimentaire des femmes. J'avais déjà constaté ce travers dans le cadre de mon rapport sur l'hypersexualisation des petites filles. Il y avait à l'époque un débat portant sur le string qui dépassait des pantalons des adolescentes, avec des demandes extrêmement fortes pour qu'on légifère sur ce point. On me demandait de faire intervenir la loi pour que les jupes ne soient pas trop courtes. Aujourd'hui, on voudrait faire une loi pour qu'elles ne soient pas trop longues ! Ce n'est pas le rôle du législateur...
Je ne comprends pas bien l'observation sur les constats dressés en France depuis le début des années 2000, dans le cadre de réflexions successives sur le principe de laïcité. Pourriez-vous m'éclairer sur ce point ?
Cette observation fait référence aux divers travaux et rapports officiels, cités dans le rapport, qui ont alerté sur une remise en cause de la laïcité et de la mixité dans différents domaines, depuis le début des années 2000, à commencer par le rapport de la commission Stasi1(*) ou le rapport Obin2(*). La situation ne s'est pas franchement améliorée, malgré les alertes contenues dans ces documents...
Pour autant, on ne peut pas dire que les pouvoirs publics ne soient pas intervenus pour enrayer cette situation. Je pense par exemple aux nombreux plans en faveur de l'égalité entre les femmes et les hommes, dans différents secteurs et plus particulièrement dans l'éducation.
Notre observation se concentre sur la problématique de la laïcité et notre propos n'est pas de dire que rien n'a été tenté par les pouvoirs publics pour remédier aux problèmes identifiés, mais que les difficultés pointées par ces rapports il y a déjà plusieurs années continuent à se manifester. Si vous le souhaitez, nous préciserons la rédaction en ce sens pour lever l'ambiguïté.
Dans le contexte actuel, il me semble souhaitable que le début de l'observation n° 3 soit ainsi formulée : La délégation « considère que les droits des femmes, l'égalité entre femmes et hommes et la mixité sont au coeur de nos valeurs et de notre projet de société », etc.
Je suis d'accord. La rédaction sera revue en conséquence.
Venons-en maintenant aux propositions à l'attention du législateur.
Comme je l'ai déjà indiqué la semaine dernière, ayant présidé la mission d'information sur l'organisation, la place et le financement de l'islam en France et de ses lieux de culte, qui a pris le parti de ne pas toucher une virgule à la loi de 1905, je ne peux m'associer à une proposition qui viserait à modifier cette loi, même pour y inscrire le principe d'égalité entre femmes et hommes.
En revanche, je souscris à la proposition qui tend à inscrire explicitement le principe d'égalité entre femmes et hommes dans la Constitution. D'ailleurs, à travers une telle modification, le principe d'égalité serait de facto réaffirmé dans toutes les lois !
Le groupe écologiste préfère également ne pas proposer une modification de la loi de 1905 : nous considérons que cela ouvrirait la boîte de Pandore...
Le groupe CRC n'a pas de problème sur le fond avec cette proposition. La contribution que nous avons rédigée avec Brigitte Gonthier-Maurin insiste d'ailleurs sur le fait que, au moment où cette loi a été votée, en 1905, cette problématique de l'égalité entre les femmes et les hommes ne constituait pas une préoccupation du législateur, comme le rapport le rappelle très justement.
Néanmoins, peut-être pourrait-on formuler cette conclusion en faisant état d'un débat sur l'opportunité d'inscrire le principe d'égalité dans la loi de 1905 ?
La loi de 1905 est au coeur de ce rapport. On ne peut pas esquiver le débat : je rappelle que nous avons à l'origine commencé nos travaux sur le thème « Femmes et laïcité ». Par ailleurs, vous savez comme moi qu'une telle proposition a peu de chance d'être suivie d'effet... Nous pouvons douter qu'elle soit inscrite à l'ordre du jour !
Nous constatons que les avis sont partagés sur cette proposition : cela doit être mentionné dans le rapport.
À partir du moment où l'on propose d'inscrire explicitement le principe d'égalité dans la Constitution, on peut considérer qu'il est inutile de proposer, en plus, de modifier la loi de 1905.
Pour ma part, je trouve que cette proposition est au coeur de notre sujet. Au-delà de sa portée symbolique, le monde a évolué depuis l'adoption de la loi de 1905. C'est important de le dire.
Nous pourrions mentionner dans les conclusions notre questionnement sur l'opportunité d'inscrire dans la loi de 1905 le principe d'égalité. Cette interrogation découle de notre première proposition qui consiste à inscrire le principe d'égalité dans la Constitution.
La Constitution devrait être au coeur de nos réflexions, puisqu'elle prime sur les lois. Si nous mentionnons dans nos conclusions nos interrogations sur l'opportunité d'une modification de la loi de 1905, chacun d'entre nous pourra toujours, dans sa contribution personnelle, faire part de son point de vue spécifique.
Nous pourrions lier cette interrogation sur la loi de 1905 à notre proposition de modification constitutionnelle. Il s'agirait en quelque sorte de fusionner la proposition concernant la Constitution et celle relative à la loi de 1905.
En effet, pourquoi ne pas faire le lien avec la proposition de modification de la Constitution, en indiquant que, bien que la Constitution prime sur la loi en vertu de la hiérarchie des normes, la délégation s'est interrogée sur l'opportunité de faire évoluer la loi de 1905 pour y inscrire le principe d'égalité entre les femmes et les hommes ?
J'ai bien saisi la teneur de notre débat. Je suggère en effet d'indiquer que la délégation s'est interrogée sur l'opportunité d'une modification de la loi de 1905, au terme d'un débat qui a fait apparaître des divergences non pas sur le principe de la proposition, mais sur son opportunité. Je vous propose de le traduire ainsi : « La délégation estime que l'égalité entre femmes et hommes doit figurer dans le texte même de notre Constitution, dès l'article premier, dont le premier alinéa doit mentionner explicitement l'égalité devant la loi de tous les citoyens « sans distinction de sexe, d'origine, de race ou de religion ». La modification proposée à l'article premier de la Constitution pour qu'il se réfère explicitement à l'égalité entre femmes et hommes devrait suffire à soumettre toutes les lois au respect de ce principe. La délégation, convaincue que l'égalité est une dimension essentielle de la laïcité aujourd'hui en France, s'est toutefois interrogée sur l'inscription du principe d'égalité entre femmes et hommes dans la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l'État, de manière à préciser, dès son article premier, que « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes dans le respect de l'égalité entre femmes et hommes, sous les seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public. »
Enfin, pour conclure sur ce point, souhaitez-vous que, dans le corps du rapport, notre débat soit mentionné, ou bien vous suffit-il que le compte rendu de notre réunion en fasse état ?
Il me semble important que nos échanges figurent également dans le corps du rapport.
S'agissant des autres conclusions, je ne reviens pas sur tous les points débattus au cours de nos précédentes réunions.
La création d'un délit autonome d'agissement sexiste me paraît très importante.
Une telle mesure ne vient-elle pas d'être adoptée dans le cadre du projet de loi « Égalité et Citoyenneté » (PLEC) ?
La mesure votée n'a pas créé de délit autonome, mais une circonstance aggravante. J'ajoute que seuls deux des amendements que j'ai déposés sur le PLEC ont été adoptés par le Sénat...
Par ailleurs, nous avons également ajouté une précision dans le rapport, s'agissant de la proposition relative à la neutralité des élus, pour tenir compte de vos remarques.
Sur la question de l'extension de l'obligation de neutralité à de nouvelles catégories, j'ai un peu évolué dans ma réflexion depuis la semaine dernière. Pourquoi ne pas étendre la distinction entre la période de stage et la période de cours que nous voulons appliquer aux étudiants des ÉSPÉ à tous les étudiants dont les cursus sont susceptibles de les amener à exercer dans le service public ? Je pense aux formations d'infirmières, d'assistantes sociales, ou d'aides-soignantes par exemple.
Je ne suis pas d'accord, ce n'est pas comme les ÉSPÉ. En effet, les infirmières peuvent travailler en libéral et ne feront pas forcément leur carrière dans le service public hospitalier. Dès lors, il n'y a pas de raison de les soumettre à l'obligation de neutralité dès leurs études. Cela me paraît excessif.
Je rappelle que tous les points de désaccord peuvent être formulés par écrit dans vos contributions personnelles, qui seront annexées au rapport.
Je voudrais revenir sur les recommandations concernant l'enseignement primaire et secondaire. Il y a tout un travail réalisé par l'enseignement public pour sensibiliser les élèves à la laïcité et à la mixité. Je pense aux plans égalité entre les filles et les garçons dans les établissements, aux chartes de la laïcité, à l'enseignement moral et civique qui comprend un volet sur l'égalité. Dès lors, il faudrait atténuer la rédaction où figure le mot « obscurantisme » à propos de l'école.
Le terme « obscurantisme » ne me choque pas. C'était déjà celui qu'utilisait le rapport Obin. Qu'est-ce que la suppression des ABCD de l'égalité ou la polémique sur la soi-disant théorie du genre, sinon une attitude obscurantiste ?
Le paragraphe relatif à l'enseignement public concerne seulement l'idée de mettre un place un système de remontée directe des incidents jusqu'au ministère, qui reprend une recommandation très pertinente de la commission d'enquête sur le service public de l'éducation.
S'agissant de la lutte contre les dérives, nous visons tous les systèmes, et pas que le public.
Pour revenir sur ce que disait Maryvonne Blondin, plutôt que d'appeler à « l'élaboration » d'une stratégie de lutte, il me paraîtrait plus juste de parler « d'intensification » des stratégies déjà en place, afin de mettre en avant ce qui est fait dans l'enseignement public pour remédier à ces dysfonctionnements et afin de déconstruire les mécanismes qui conduisent à l'obscurantisme.
La stratégie de lutte contre les dérives doit évidemment être élargie à tous les établissements scolaires, y compris au privé. Je rappelle que l'école est obligatoire jusqu'à 16 ans, et de plus en plus d'enfants sont scolarisés dans des écoles confessionnelles. Nous devrions indiquer que cela s'appliquerait à tous les établissements scolaires à partir du moment où l'école est obligatoire.
Peut-être devrions-nous hiérarchiser les propositions au sein de ce bloc, en mettant d'abord celle relative à la lutte contre les dérives portant atteinte à la mixité et à l'égalité entre filles et garçons, qui concerne tous les établissements scolaires et pas uniquement le public. Puis nous inscririons celle sur les remontées d'incidents qui concerne le public.
Une autre modification des conclusions concerne la rédaction de l'appel aux organismes représentant les cultes en France, à la lumière des explications de Corinne Féret. Nos suggestions concernent les instances dont la gouvernance relève des pouvoirs publics.
La réflexion relative à la formation de cadres religieux dans le cadre des diplômes universitaires (DU) sur la laïcité commence par « La délégation considérerait comme une évolution positive que etc. ». Nous marchons sur des oeufs...
Cette formation sera obligatoire pour tous les aumôniers, qu'ils exercent à l'hôpital, dans les armées ou les prisons, et de toutes les confessions. La prudence de la formulation me paraît avisée... Dans l'appel aux établissements d'enseignement supérieur pour favoriser le respect de la mixité, vous proposez l'adoption d'une charte des examens. Mais elles existent déjà.
Nous visons tous les établissements publics, et si les chartes d'examen sont en effet très répandues, elles ne sont pas toutes formulées de manière aussi explicite que les exemples cités par le rapport.
L'idée est de prendre en compte le port de signes qui pourraient être gênants pour le contrôle de l'identification des candidats et d'inciter chaque établissement, dans le respect de son autonomie, à rester vigilant sur ce point en se dotant de chartes des examens aussi claires que possible.
Si vous préférez, nous pouvons reformuler la phrase pour les inviter à « intégrer dans leur charte des examens » les exigences liées au contrôle de l'identification des candidats en vue de la prévention des fraudes éventuelles.
Il me semble qu'un article du code de l'éducation mentionne ces chartes des examens, qui ont été mises en place partout en France.
Nous insistons sur le contenu de la charte, pas sur le fait d'en avoir une. Il s'agit de vérifier que ce contenu intègre les préoccupations relatives à l'identification des candidats.
Nous avons donc passé les conclusions en revue. En l'absence d'opposition, je constate qu'elles sont validées dans le texte issu des amendements que nous avons adoptés ce matin. C'était notre quatrième échange sur le rapport, et je pense que celui-ci tient compte de l'ensemble de vos remarques.
Nous voterons donc en principe le 3 novembre sur l'ensemble du rapport. D'ici là, je vous invite à me faire part de vos propositions s'agissant de son titre.
Il était important que l'on prenne le temps de débattre d'un sujet aussi sensible.
Malgré certaines divergences de position, je voterai pour ma part en faveur de l'adoption de ce rapport.
* 1 Rapport de la commission de réflexion sur l'application du principe de laïcité dans la République, remis au Président de la République le 11 décembre 2003.
* 2 Les signes d'appartenance religieuse dans les établissements scolaires, juin 2004.