Nous recevons M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur, qui nous présente les crédits dont il a la charge dans le projet de loi de finances pour 2017.
Je souhaite tout d'abord nous associer à l'hommage rendu dimanche à travers le pays aux 130 victimes des attaques terroristes commises il y a tout juste un an, lors de cette terrible nuit du 13 novembre 2015. À la suite de ces attentats, le Président de la République avait annoncé devant l'ensemble des parlementaires réunis en Congrès à Versailles un « pacte de sécurité » devant notamment se traduire par un renforcement significatif des moyens et des effectifs de la sécurité. Quelques jours plus tard, c'est vous, monsieur le ministre, qui aviez présenté devant le Sénat les amendements au projet de loi de finances permettant de mettre en oeuvre, dès 2016, ces engagements. La commission des finances vous avait alors apporté son soutien unanime.
Lors du débat en séance publique sur la mission « Sécurités » le 30 novembre 2015, vous aviez pris l'engagement de venir devant la commission des finances rendre compte de l'utilisation exacte des crédits ouverts dans le cadre des différents plans annoncés par le Gouvernement. Il est donc utile de vous entendre aujourd'hui, alors que le projet de loi de finances pour 2017 prévoit un nouvel effort budgétaire en faveur des services du ministère de l'intérieur. Peut-être n'aurons-nous pas l'occasion de nous prononcer sur ces crédits en séance publique - nous en saurons davantage demain. Je vous propose, monsieur le ministre, de répondre, mission par mission, aux questions de nos rapporteurs, puis de nous présenter rapidement votre budget.
Je me réjouis que nos deux commissions se réunissent pour entendre le ministre, que notre commission des lois a déjà vu ce matin !
Chaque année, l'examen de votre budget est marqué par des évènements forts : les attentats en 2015, le mécontentement des forces de police cette année. S'il est en progression, j'y constate un déséquilibre entre les crédits de personnels, bien dotés, et ceux de fonctionnement et d'investissement, qui le sont moins.
Le mécontentement des agents a entraîné, une nouvelle fois, une réunion autour du Président de la République, à l'issue de laquelle vous avez annoncé un effort supplémentaire. La presse et certains syndicats ont compris que vous déposeriez un amendement exceptionnel, pendant la discussion budgétaire, chiffré à 250 millions d'euros. Il semblerait que, finalement, le montant qui figurera dans l'amendement soit de seulement 100 millions d'euros, car vous prenez en compte les efforts déjà annoncés dans le projet de budget initial. Cela suscite des incompréhensions.
Comme d'autres gouvernements européens, vous subissez la nécessité de transposer la directive relative au temps de travail aux forces armées. Les dispositions transitoires ont déjà été prises pour la gendarmerie. La négociation avec Bruxelles est entamée. D'après le directeur général de la gendarmerie nationale (DGGN), l'impact sur le temps de travail serait compris entre 3 % et 5 %, soit une baisse équivalente à une destruction de 3 000 et 5 000 postes - autant que les créations d'emplois prévues pendant toute la législature dans la gendarmerie !
Sans doute par souci d'équilibre avec la gendarmerie, les rythmes de travail des policiers vont évoluer. Vous avez procédé cette année à des expérimentations dans plusieurs villes. Une proposition sera décidée dans chaque département. Beaucoup souhaiteront s'orienter vers le système dit du « vendredi fort », qui libère les week-ends mais allonge les vacations d'une heure vingt. Surtout, ce système nécessite pour être mis en oeuvre la création d'une quatrième brigade, ce qui augmente les effectifs de 33 %. Ces chiffres préoccupants n'apparaissent pas dans les documents budgétaires.
J'ai rédigé au début de l'année un rapport sur le programme Antares - le réseau numérique de transmissions partagées de la sécurité civile -, qui révélait certains dysfonctionnements de ce dernier et formulait quinze préconisations. Les services départementaux d'incendie et de secours (SDIS), qui financent la sécurité civile à hauteur de près de 4,5 milliards d'euros chaque année, ont contribué à la mise en place d'Antares. Dans certains départements, il existe encore des zones blanches. Quelles mesures avez-vous prises pour les résorber ? Les équipes de maintenance mettent beaucoup de temps à réparer les relais endommagés, et les batteries posent souvent problème. Or, les SDIS ont des groupes électrogènes, et peuvent dépanner en quelques heures, au lieu des quelques jours que nécessitent actuellement ces réparations. Allez-vous inciter, voire obliger, les Samu à utiliser Antares ? Les SDIS l'utilisent sans difficulté. Par ailleurs, pouvez-vous m'indiquer où en sont les mesures visant à préparer la migration vers la technologie 4G ? Parfois, les sapeurs-pompiers utilisent leur téléphone personnel, qui fonctionne mieux...
Le nombre de tués sur les routes françaises a augmenté deux années de suite, en 2014 et 2015, pour la première fois depuis trente-cinq ans. Les résultats des dix premiers mois de 2016 ne permettent pas d'augurer une inversion de cette tendance. La solution proposée par la loi de finances est d'accroître fortement le nombre de radars : elle en prévoit 364 dont la majeure partie vient compléter le parc existant. Mes investigations montrent toutefois que les radars ne sont actuellement pas implantés sur les routes les plus accidentogènes, c'est-à-dire les voies départementales et communales. Allez-vous remédier à cette lacune ? Vous attendez une hausse de 10 % des recettes en 2017. N'est-ce pas optimiste ? Certes, cela renforcera les crédits de l'agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF), mais tous les nouveaux radars ne seront pas implantés dès le 1er janvier 2017.
Pourriez-vous nous donner des précisions sur le projet de système unifié de réception des appels et de gestion opérationnelle des SDIS ? Les plateformes d'appel seront-elles mutualisées avec les autres acteurs du secours ? J'ai rédigé, avec le sénateur Pierre-Yves Collombat, un rapport d'information sur cette question dans le cadre d'une mission d'information de la commission des lois. Comment seront articulés le dispositif des sapeurs-pompiers volontaires et celui de la réserve opérationnelle ? Celle-ci ne doit pas affaiblir le volontariat.
Vous avez indiqué à l'Assemblée nationale que le budget de la mission « Sécurités » serait abondé de 100 millions d'euros pour financer les équipements de protection et les nouvelles armes des policiers et gendarmes prévus par le plan pour la sécurité publique. Ce plan doit répondre aux préoccupations exprimées par la mobilisation inédite des fonctionnaires de police, qui témoigne chez eux d'un malaise profond. De même, les crédits dédiés à la réserve de la gendarmerie et de la police seront abondés pour tenir les objectifs fixés par le Président de la République après l'attentat de Nice : création d'une garde nationale de 85 000 personnes, objectif de mobilisation de 9 250 hommes chaque jour en 2018. Où en est la rédaction de ces amendements ? Quand seront-ils déposés ?
Le budget « Sécurités » de mon ministère s'élèvera, en 2017, à 19 692 millions d'euros en AE - soit une augmentation de 838 millions d'euros - et 19 390 millions d'euros en CP - soit une augmentation de 657 millions d'euros -, dont 16 635 millions d'euros sont des crédits hors titre 2. Il croît donc très significativement. Entre 2013 et 2017, 9 000 emplois auront été créés dans la police et la gendarmerie. D'où l'augmentation des crédits de titre 2. Je précise que nous avons dû essuyer 12 519 suppressions d'emplois au cours du quinquennat précédent : 6 276 dans la police et 6 243 dans la gendarmerie, pour un total de 8 200 destructions nettes. Cela n'a certainement pas été sans effet sur le moral des troupes. Les créations d'emplois que nous avons effectuées ont été plusieurs fois mises en cause. On entend encore dire que les effectifs auraient baissé de 868 agents entre 2011 et 2015, alors que la Cour des comptes a plusieurs fois rectifié cette erreur. Nous devons débattre sur des données exactes. Aussi ai-je confié à l'inspection générale des finances la mission d'établir précisément le nombre d'emplois créés chaque année depuis 2007.
Vous affirmez que les crédits d'investissement sont insuffisants. Ils sont de 3,057 milliards d'euros. Le budget de fonctionnement et d'investissement de la police nationale avait baissé de 16 % entre 2007 et 2012. Il a augmenté de 15 % de 2012 à 2017, et même de 23 % en tenant compte du plan que vous avez évoqué. De même, celui de la gendarmerie avait diminué de 18 %, et il aura augmenté de 10,5 % entre 2012 et 2017 -12,3 % avec le plan. Grâce à ces moyens, nous avons relancé l'investissement. Ainsi, 1 800 véhicules ont été commandés et 3 000 livrés à la police nationale. Pour la gendarmerie nationale, 3 000 ont été commandés et 1 200 livrés. Nous avons aussi entamé la remise à niveau des équipements, dans la sécurité publique comme dans le renseignement.
Nous avons lancé en octobre 2015 un plan de modernisation des équipements des pelotons de surveillance et d'intervention de la gendarmerie (Psig) et des brigades anti-criminalité (Bac), qui a été entièrement exécuté dès mai 2016 car nous sommes passés par des marchés simplifiés. En effet, nous devions déployer le plan de protection contre les risques terroristes, qui fait des Psig et des Bac les primo-intervenants.
Notre objectif est de faire de même pour la sécurité publique. Demain, à Creil, je présenterai les investissements que nous réaliserons avant la fin de l'année et le calendrier précis de livraison des armes et des équipements. J'indiquerai également quand seront mises en oeuvre plusieurs dispositions de protection de la police - anonymisation, légitime défense, alignement de l'outrage à policier sur l'outrage à magistrat -, qui feront l'objet d'un texte du Gouvernement avant fin 2016.
Comment le plan de sécurité publique de 250 millions d'euros sera-t-il financé ? Le Gouvernement déposera d'ici la fin de la discussion budgétaire un amendement de 100 millions d'euros. Les 150 millions d'euros supplémentaires correspondent à l'affectation d'une partie de l'augmentation du budget 2017 sur la sécurité publique : achats de gilets, de casques, de moyens de protection collectifs, de véhicules nouveaux... L'amendement gouvernemental s'ajoutera à l'augmentation de 850 millions d'euros déjà prévue, et dont un huitième financera le plan sécurité publique en sus des 100 millions d'euros évoqués. Ainsi, les 250 millions d'euros ne se réduisent pas au redéploiement de moyens existants.
La transposition de la directive relative au temps de travail est complexe. La France respectera ses engagements, tout en préservant le maximum de capacité opérationnelle : il serait dommage que nos augmentations d'effectifs s'en trouvent annulées ! Nous avons mis en place un groupe de travail de haut niveau, piloté par mon cabinet et par celui du ministre de la défense et associant le Secrétariat général des affaires européennes. Il conduit les échanges avec la Commission européenne. Un groupe technique commun à ces deux ministères prépare le décret de transposition relatif aux personnels sous statut militaire. Voilà près d'un an que nous avons des échanges constructifs avec la Commission. La consultation interne doit se mettre en oeuvre dans de bonnes conditions. Compte tenu du contentieux initié par deux associations, le DGGN a pris des mesures immédiates et, le 1er septembre dernier, une instruction provisoire a pris en compte la règlementation européenne. Un premier bilan sera réalisé dans quelques semaines. Pour la police nationale, la mise en conformité est engagée depuis des mois. La question du « vendredi fort » suscite une attente significative. Sur une dizaine de sites, sa mise en place est possible dès les prochaines semaines. Sur les autres, elle ne l'est pas, faute d'effectifs, et nous attendons les prochaines sorties d'écoles, ce qui renvoie à la fin du premier semestre 2017. Nous avons multiplié par dix le nombre d'élèves à la sortie des écoles.
Nous poursuivons la mise en oeuvre du programme Antares, qui comble la fracture technologique entre les services de secours et les services de sécurité intérieure. Lors d'attaques terroristes, les deux services sont engagés conjointement.
95 % du territoire national seront bientôt couverts par Antares, dispositif présent dans tous les départements métropolitains. Dans quelques zones identifiées, certes limitées, la couverture est insuffisante, voire inexistante. Nous mettons tout en oeuvre pour couvrir l'intégralité du territoire national, malgré le contexte budgétaire contraint. Plus de 24,8 millions d'euros de travaux de complément de couverture sont programmés entre 2013 et 2019. En 2017, nous déploierons le raccordement de nouveaux services départementaux d'incendie et de secours, notamment dans les départements et territoires d'outre-mer, particulièrement pénalisés. Nous prévoyons 150 millions d'euros sur six ans pour la modernisation de l'infrastructure nationale de partage des transmissions, afin de conforter la capacité de résilience du réseau actuel et prolonger sa durée de vie jusqu'en 2030.
Nos services réalisent une étude approfondie sur la gouvernance - création de comités locaux de systèmes d'information et de communication - et mettent au point des indicateurs de performance sur l'indisponibilité, le temps de réparation des pannes ou la transmission des bilans par le Samu.
Il y a un an et demi, je me suis engagé sur le système de gestion opérationnelle des SDIS et l'expérience de mutualisation des plateformes d'appel lors du congrès de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers (FNSP). Chaque SDIS est désormais équipé d'un système informatique pour la réception et le traitement des demandes de secours. Ces systèmes sont extrêmement coûteux, de 1 à 5 millions d'euros d'investissement par département, auxquels s'ajoutent les coûts de maintenance de systèmes pas toujours sécurisés contre une cyberattaque et posant des problèmes d'interopérabilité avec les autres partenaires des secours. Le préfet Guillaume Lambert réalise une étude de faisabilité sur un système unifié de gestion des appels et de gestion opérationnelle des SDIS en lien avec les différents acteurs, pour un partage de l'information en temps réel sur un système sécurisé, évolutif et paramétrable, optimisant les infrastructures et répondant aux nouveaux besoins. Cette expérience de mutualisation des plateformes d'appels d'urgence est concentrée en région Centre-Val de Loire depuis l'automne 2016. Nous examinerons les conditions de son extension.
En sus de la garde nationale, qui assure une protection armée et inclut la réserve opérationnelle de niveau 2 de la gendarmerie nationale et la réserve de la police, nous voulons mobiliser le deuxième pilier du dispositif de vigilance, la protection civile, avec la réserve nationale d'experts de la sécurité civile. Lors du congrès de la FNSP, le Président de la République a assuré que le dispositif reposait sur ces deux piliers à part entière, traités simultanément et articulés entre eux. Les sapeurs-pompiers craignaient que cela n'obère le volontariat. Au contraire, il doit être un catalyseur du volontariat. Lors du congrès national des sapeurs-pompiers qui s'est tenu à Chambéry en 2013, nous avons pris 25 engagements, déclinés en 24 actions, sur le volontariat. Pour la première fois depuis quatorze ans, le nombre de volontaires a augmenté de 1 400 l'an dernier. À travers la grande cause nationale « Adoptons les comportements qui sauvent », nous voulons relancer le dispositif de l'engagement volontaire, et avons signé des accords avec des entreprises privées et les organismes HLM afin de maintenir le rythme d'engagement.
La sécurité routière a connu deux mauvaises années : en octobre 2015, l'accident de Puisseguin en Gironde, avec 43 morts, a été l'un des plus meurtriers depuis 1992. Sur les dix premiers mois de l'année 2016, le nombre de personnes décédées sur les routes est de 0,8 % supérieur à celui enregistré pendant la même période l'an passé, ce qui représente 22 tués de plus par rapport aux dix premiers mois de 2015. Si les deux derniers mois sont plus mauvais, le chiffre annuel le sera également, mais soyons prudents. Il est plus facile de passer de 15 000 morts sur les routes à 3 000 que de réduire ce nombre à 2 000. La dernière marche est toujours la plus difficile. Je n'ai pas pris l'unique mesure demandée par certaines associations - à la place de nombreuses mesures sur plusieurs thématiques -, à savoir limiter à 80 kilomètres par heure la vitesse maximale sur les routes départementales les plus accidentogènes. En effet, ceux qui ne respectent pas la limitation à 90 ne respecteront pas plus celle à 80 kilomètres par heure. En quoi cela me dispenserait-il de décider d'autres mesures ? À un moment où nos forces de l'ordre sont très mobilisées contre le terrorisme, pour le maintien de l'ordre et la question migratoire, il était difficile de les mobiliser sur les routes. Nous avons dégagé de nouveau des marges de manoeuvre ; je ne désespère pas que cette année se termine par une diminution du nombre de morts.
Nous avons souhaité installer de nouveaux radars, y compris des radars leurres, pour lutter contre l'insécurité routière, ainsi que des forces de sécurité. Je ne peux garantir que les recettes seront bien là. Je transmettrai, trimestriellement, à la commission des finances, le résultat des recettes des radars, afin que nous en débattions et qu'un ajustement soit réalisé si besoin en cours de route.
Vous avez été ministre du budget, vous connaissez les chiffres et les estimations. Vous n'avez répondu précisément qu'à une seule de mes questions. Compte tenu des 150 millions d'euros déjà budgétisés dans le budget initial, l'augmentation réelle n'est que de 100 millions d'euros et non de 250 millions d'euros.
Je n'ose croire que vous n'ayez aucune estimation du nombre d'emplois nécessaires pour l'application de la directive européenne sur le temps de travail en 2017. Je l'estime entre 3 000 et 5 000. Vous annoncez un bilan dans peu de temps, mais j'aimerais déjà en savoir plus... Je vous ai interpellé sur la création d'une quatrième brigade là où les effectifs sont insuffisants pour mettre en place le cycle du « vendredi fort », ce qui nécessite une augmentation d'un tiers des effectifs. Est-ce une bonne estimation ? Vous attendez la sortie de l'école de police en juin prochain. Je comprends votre intention mais souhaiterais la chiffrer. Je ne suis pas en mesure de chiffrer la sincérité de votre budget pour 2017.
Le cycle des temps de travail ne remet pas en cause la sincérité du budget, ni les efforts réalisés, ni le nombre d'emplois créés. Il peut conduire à une mobilisation effective des emplois pour des missions non prévues, compte tenu de l'application de la directive sur le temps de travail. Nous avons augmenté de plus de 800 millions d'euros les crédits de la mission sécurité pour tenir les engagements de création d'emplois faits par le Gouvernement.
Vous m'interrogez sur le niveau d'effort du plan pour la sécurité publique, l'impact de la directive sur le temps de travail sur la gendarmerie et celui du « vendredi fort » sur les effectifs de la police nationale. Selon vous, l'absence de réponses précises sur les deux derniers éléments ne garantit pas la sincérité du budget. Mais le critère de jugement, c'est l'adéquation entre les sommes supplémentaires, les créations d'emplois et l'équipement des forces : 850 millions d'euros permettent de créer en 2017 2 500 emplois dans la police et la gendarmerie nationale, d'augmenter de 15 % les crédits pour équiper la totalité de nos forces. Je ne connais pas la proportion de nouveaux effectifs qui seront absorbés par les cycles de travail ou le « vendredi fort ». Alors que 452 sorties d'écoles étaient assurées en 2012, 4 600 le sont actuellement et 4 756 le seront en 2017. Dix expérimentations ont été réalisées sur le « vendredi fort ». Nous nous interrogeons sur l'organisation du travail dans les autres départements car elle sera déterminée après l'affectation des écoles dans les départements en déficit d'effectif. Les effectifs nouveaux seront affectés en fonction du taux de délinquance, de l'effectif départemental de fonctionnement annuel (EDFA) et de l'état de la négociation sur les cycles horaires.
Il en est de même pour la gendarmerie nationale. Les études des comités d'experts portent sur le maillage des brigades, les missions organisationnelles et l'organisation du temps de travail dans chaque site. J'attends leurs résultats pour savoir quelle part des nouveaux effectifs sera absorbée par la réforme du temps de travail.
Je remarque bien le raisonnement d'une partie de l'opposition en cette période. Mais les crédits d'investissement de la police nationale ont diminué de 17 % et ceux de la gendarmerie de 18 % entre 2007 et 2012, tandis que nous les avons augmentés respectivement de 15 % et 17 %, avec une augmentation de 850 millions d'euros dont 30 % consacrés aux crédits d'investissement. Le plan pour la sécurité publique n'a pas été décidé en raison de la crise, mais son annonce a été anticipée : j'en avais parlé lors de la présentation du plan Bac en octobre 2015. J'ai obtenu un arbitrage pour accélérer ce plan pour la sécurité publique et augmenter son niveau de 100 millions d'euros par un amendement. Il s'ajoute donc aux 150 millions d'euros supplémentaires actés lors des premiers arbitrages sur le projet de loi de finances pour 2017. Ce double effort supplémentaire d'investissement s'élève donc à 250 millions d'euros. Si je ne les avais pas voulus, je n'aurais pas obtenu ces arbitrages.
Nous en venons aux questions portant plus précisément sur la mission « Immigration, asile et intégration ».
en remplacement de M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial de la commission des finances sur la mission « Immigration, asile et intégration ». - Le 29 octobre dernier, la commission des finances a rejeté les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ». Selon le rapporteur spécial, malgré leur hausse de 14 % à périmètre constant, les dépenses sont sous-budgétées par rapport aux besoins réels. L'allocation pour les demandeurs d'asile est dotée de 100 millions d'euros de moins que la consommation prévisionnelle de 2016. Malgré les créations de places, les centres d'accueil de demandeurs d'asile (Cada) et l'hébergement d'urgence ne pourront pas absorber l'afflux migratoire sans un déversement massif sur le programme 177. En outre, la région Île-de-France reste sous-dotée par rapport aux besoins des Cada.
Quel est le montant cumulé des dépenses d'hébergement en faveur des migrants, qu'elles relèvent du programme 303 ou du programme 177 ? Pouvez-vous expliciter le budget prévisionnel 2017 de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii) sur le programme 104 relatif à l'intégration ? Les dépenses pour 2016 étaient prévues à 207 millions d'euros. Pourtant, les ressources de l'État s'élèveront en 2017 à 181 millions d'euros : comment sera financé ce différentiel ? S'agit-il d'un prélèvement sur son fonds de roulement, pourtant déjà asséché, ou d'un recours aux financements européens, dont on connaît les retards de versement ?
C'est peut-être la dernière fois que je vous présente ce budget ; je dresse donc un bilan, dans une perspective plus large. Le nombre de demandeurs d'asile a doublé, passant de 35 000 à 65 000 entre 2007 et 2012, alors que les Cada n'ont bénéficié que de 2 000 places supplémentaires, et que le nombre de postes supplémentaires créés à l'Ofii et à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) était maigre. On compte désormais 90 000 demandeurs d'asile, mais nous avons créé 20 000 places supplémentaires en Cada, les portant à 42 000 fin 2017, et 600 postes de collaborateurs supplémentaires à l'Offi et à l'Ofpra, pour répondre au projet de loi - pour lequel François-Noël Buffet, rapporteur pour le Sénat, a réalisé un excellent travail - qui avait comme objectif de réduire la durée de demande d'asile de 24 à 9 mois. Celle-ci est désormais de 14 mois, loin de l'objectif mais sensiblement inférieure au précédent délai. Cette réforme visait à renvoyer plus vite chez eux les déboutés de la demande d'asile, et à mieux accueillir ceux qui ont besoin de protection. Elle limite également les dépenses d'allocation pour demandeur d'asile (Ada), qui n'est plus payée lorsque le demandeur sort du dispositif national des demandeurs d'asile (DNA). Selon le raisonnement de Roger Karoutchi, la loi relative à la réforme du droit d'asile n'aurait aucun impact sur la durée de traitement des dossiers ni sur le versement de l'Ada, d'où une dénonciation de sous-budgétisation. Mais le statut de demandeur d'asile ou de réfugié est donné strictement. Le démantèlement de Calais n'est pas une vaste régularisation, car ces personnes relèvent bien du statut de réfugié, contrairement à 60 % des personnes arrivant en Italie ou aux 60 % de personnes venant d'Italie en France, qui relèvent de l'immigration économique irrégulière. La loi portant réforme de l'asile permettra d'obtenir des gains budgétaires, il n'y a donc pas de sous-budgétisation.
Si le programme 303 relève du ministère de l'intérieur, le programme 177 relève du ministère d'Emmanuelle Cosse. Pour le programme 303, 398 millions d'euros en crédits de paiement sont budgétés pour 2017 en matière d'hébergement, dont 280 millions d'euros pour atteindre les 42 000 places en Cada fin 2017, 35,5 millions d'euros pour le dispositif ATSA (accueil temporaire service de l'asile) avec 6 000 places d'hébergement de demandeurs d'asile - notamment en Île-de-France, 53,2 millions d'euros pour l'hébergement d'urgence géré par les préfets, et 29,3 millions d'euros de nouvelles places pour l'hébergement d'urgence pour renforcer les mesures du plan « répondre au défi des migrations : respecter les droits » de 2015. En 2016, 377 millions d'euros étaient prévus : c'est donc une augmentation de 20 millions d'euros. Le programme 177 pour l'accueil en centre d'accueil et d'orientation (CAO) est estimé à 48 millions d'euros. Je vous suggère d'auditionner la ministre du logement pour plus de précisions.
En toute objectivité, il était difficile de demander plus de réactivité et de réponses à un Gouvernement, quel qu'il soit. En raison de la formation nécessaire, les effets positifs des nouveaux effectifs déployés se feront sentir jusqu'en 2019. De nombreuses communes ont accueilli les demandeurs d'asile mais elles s'interrogent sur l'attitude de la Grande-Bretagne. Savez-vous si sa politique d'accueil des mineurs isolés va évoluer, avec un possible retour en France ?
Le sujet des mineurs isolés est complexe. Nous avons évacué Calais, avec une présence uniquement humanitaire des forces de l'ordre, et la collaboration des collectivités territoriales. Les maires, de droite comme de gauche, se sont comportés de manière républicaine. Ainsi, en Vendée, des maires d'opposition ont fait un travail remarquable d'accueil. Plus de 13 000 personnes ont été mises totalement à l'abri depuis l'évacuation de Calais en octobre 2015. Restent 2 000 mineurs isolés. Les Britanniques doivent assumer leurs responsabilités par rapport à l'amendement Dubs et à la règle de Dublin. Un mineur isolé peut se rendre au Royaume-Uni s'il a des contacts avec la Grande-Bretagne, après examen de son dossier. Les Britanniques se déploient dans les centres d'accueil et d'orientation pour mineurs isolés (Caomi), mais le traitement de ce sujet n'est pas emphytéotique : ils ne peuvent agir lentement tout en nous demandant d'agir vite... Par contre, nous apprécions la mobilisation et le vote d'une résolution du parlement irlandais d'accueillir 200 mineurs isolés résidant à Calais. Je les remercierai bientôt in situ. Les discussions avec le Royaume-Uni sont exigeantes et compliquées. Près de 300 jeunes sont partis, les autres partiront dès que les règles de Dublin ou de l'amendement Dubs seront mises en oeuvre.
Nous abordons maintenant la mission « Administration générale et territoriale de l'État », en commençant par les questions du rapporteur spécial.
Quel sera l'impact sur cette mission du renforcement des flux migratoires et du pacte de sécurité annoncé en 2015 ? Quelles sont les priorités du plan « préfectures nouvelle génération », en particulier en matière de développement de la fonction de conseil et d'ingénierie territoriale ? Allez-vous également poursuivre le déploiement des sous-préfectures et, le cas échéant, à quel rythme ?
Enfin, une question sur la propagande électorale pour les élections présidentielle et législatives. Depuis plusieurs années, l'abandon du papier est régulièrement proposé aux assemblées, qui s'y refusent : l'Assemblée nationale a dernièrement supprimé l'article du projet de loi de finances pour 2017 prévoyant la dématérialisation. Comptez-vous étendre vos projets au scrutin présidentiel dont le régime est, pour des raisons historiques, principalement fixé au niveau réglementaire ?
Je souhaiterais des précisions sur le calendrier de déploiement des bornes à destination des publics isolés ou en difficulté, annoncé dans le cadre du plan « préfectures nouvelle génération ». Quels renforts en matière d'ingénierie sont prévus pour renforcer le rôle des sous-préfectures ? C'est une attente forte des maires ruraux.
Mon objectif est de mettre fin à la révision générale des politiques publiques qui a conduit, dans les préfectures et les sous-préfectures, à la disparition de près de 3 500 emplois, soit l'équivalent de treize préfectures. L'effort budgétaire doit être maintenu, mais dans une autre logique que celle du rabot.
C'est dans cet esprit que nous avons lancé le plan « préfectures nouvelle génération » (PPNG), qui consiste à dégager, grâce aux plateformes mutualisées de titres (cartes nationales d'identité, passeports, cartes grises, permis de conduire), près de deux mille emplois, dont 1 300 seront supprimés - soit une capacité d'injection de 700 emplois nouveaux dans les préfectures et sous-préfectures.
La fusion des secrétariats généraux des affaires régionales (Sgar) dans le cadre de la réorganisation des régions a dégagé environ 30 % d'effectifs compétents en matière d'ingénierie et de montage de projet pouvant être projetés auprès des communautés de communes. De plus, la réforme PPNG permet de constituer dans chaque département des cellules d'ingénierie territoriale. On peut enfin ajouter à ces effectifs ceux d'autres ministères mobilisables sur le conseil juridique ou les questions environnementales pour constituer des équipes étoffées et pluridisciplinaires.
Quant à l'impact des flux migratoires, le projet de loi de finances pour 2017 crée 13 ETP dans l'administration centrale et 15 en préfecture. En 2016, 46 ETP avaient déjà été créés pour augmenter notre capacité de traitement des dossiers.
La question de la propagande électorale revient tous les ans sur le métier. Pour ma part, je considère la dématérialisation comme un élément de modernisation, d'économie et d'allègement des tâches des services, alors que l'équipement numérique se développe dans notre pays : internet est véritablement entré dans les moeurs, puisqu'il est utilisé par 84 % des électeurs. Mettre en ligne la propagande électorale est une nécessité, sans préjudice du maintien des modalités traditionnelles pour les publics les plus éloignés d'internet. Nous envisageons ainsi des mesures d'accompagnement spécifiques conformes aux nécessités de la protection des droits et de l'information des électeurs : mise en ligne sur un site internet public des circulaires et bulletins de vote de vote des candidats, courriers à domicile pour informer les électeurs des conditions de consultation mais aussi les alerter de la tenue des élections, mise à disposition des circulaires pour consultation dans chaque mairie, préfecture et sous-préfecture.
Je ne suis pas sûr que ces mesures résisteront aux réflexes parlementaires. J'observe cependant que lorsque, ministre du budget, j'avais proposé la dématérialisation, on m'avait objecté qu'il était trop tôt, qu'il fallait des études ; aujourd'hui, il serait trop tard puisque la fin du quinquennat approche... L'économie que représenterait la dématérialisation n'est pas dérisoire : 168 millions d'euros en 2017. Je compte sur vous !
Je ne partage pas du tout vos vues ; certes, 84 % des Français ont accès à internet, mais souvent dans des conditions aléatoires. La dématérialisation n'est pas une bonne façon de mobiliser les Français pour voter. La démocratie vaut bien 168 millions d'euros...
Dans nombre de secteurs, notamment ruraux, la fracture numérique est une réalité. Certaines zones - dans la Manche par exemple - ne sont pas desservies, et beaucoup de nos concitoyens ont peur d'internet ; le développement des outils numériques ne fait que renforcer leur sentiment d'exclusion. Il conviendrait de demander par courriel aux électeurs s'ils souhaitent continuer à recevoir la propagande électorale par courrier, et procéder ainsi à une numérisation progressive.
La mise en place du fichier des titres électroniques sécurisés (TES) a été décidée très vite, voire de manière précipitée. Il faudrait en examiner les conditions de mise en oeuvre. La dématérialisation des demandes de carte nationale d'identité inquiète elle aussi les maires. Je comprends que les échéances électorales vous incitent à aller vite mais, en Bretagne par exemple, on a demandé aux maires des communes qui sont équipées pour cela de mettre en place la numérisation au 1er décembre. La compensation offerte par l'État est de 3 550 euros, contre 5 000 euros pour les passeports, alors que le nombre de cartes d'identité à délivrer est bien supérieur. C'est une évolution qui nécessite du personnel, donc des moyens à la hauteur ; il convient d'abonder la dotation pour faire en sorte que les communes équipées de stations biométriques ne soient pas pénalisées financièrement.
Beaucoup semblent découvrir subitement des dispositifs qui existent depuis des années. Le premier fichier national de gestion des cartes d'identité date de 1987 ; les premiers éléments biométriques de 1955... Le fichier TES des passeports biométriques a, lui, été créé en 2008. Nous ne faisons que greffer les données numériques relatives aux cartes nationales d'identité sur le fichier existant qui est opérationnel, donne toutes les garanties sur le plan technique et ne pose aucun problème en matière de libertés publiques.
Et pourtant, j'entends que nous allons ficher 60 millions de Français en catimini... Au point de vue entomologique, je trouve intéressants ces emportements qui se diffusent de manière privilégiée sur la toile, au point que la discussion devient virtuelle. Les résultats politiques sont parfois pénibles, en témoigne l'élection d'un homme qui avait mis en doute la validité du certificat de naissance du président Obama avant de démentir avoir tenu de tels propos...
Nous reviendrons demain, en séance publique au Sénat, sur ce sujet. Cette affaire ne s'est pas réglée comme jaune d'oeuf sur toile cirée. Nous avons eu des échanges avec l'Association des maires de France, avec laquelle nous avons trouvé un accord. Il convient de prendre en compte les remontées de terrain que vous évoquez concernant les délais et les compensations. Ma priorité est que l'administration préfectorale fonctionne bien. La mise en place des TES est importante pour la sécurité des titres et l'accès simplifié des usagers au service de délivrance des titres, et fondamentale pour la lutte contre la fraude et les organisations criminelles. Nous souhaitons approfondir les relations avec les collectivités rurales, pour que cette réforme soit vécue par ces dernières comme un progrès ; progrès car les relations entre les mairies et les préfectures seront désormais dématérialisées : les envois se feront par télé-procédure, ce qui simplifiera le traitement en réduisant les manipulations de papier.
Nous vous remercions d'avoir bien voulu répondre à nos questions. Je fonde l'espoir que vous mènerez à bien la réforme des préfectures, qui ont fortement pâti de la révision générale des politiques publiques - j'ai eu l'occasion de le souligner à de nombreuses reprises en tant que rapporteure spéciale de cette mission. La création des nouvelles régions devrait permettre aux préfectures départementales de recouvrer leur puissance. Nous avons besoin d'un État fort et de personnel compétent, attentif et à la disposition du public dans les préfectures et sous-préfectures.
La réunion est close à 19 h 55.
Loi de finances pour 2017 - Audition de M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur
La réunion est ouverte à 18 h 35